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Suivez le parcours atypique de Catherine Théot, connue pour ses prédictions et incarcérée à la Bastille, jusqu'à l'aube de la Révolution française...
Le destin de la
Mère de Dieu est à la fois inattendu et étonnant. Née le 5 mars 1716 à Barenton en Normandie, Catherine Théot prétendit dès son adolescence être la
Mère de Dieu. À Paris, elle est vite remarquée pour ses prédictions, notamment des persécutions religieuses… Réputée folle, elle est incarcérée à la Bastille en 1779, puis à la Salpêtrière. Elle sera libérée en 1788, guérie ! À sa sortie, Catherine Théot découvre un Paris où fourmillent des illuminés, des gourous, des prophètes. Elle va créer deux petites chapelles dont les rites initiatiques s’inspirent de ceux de la franc-maçonnerie. Aux premières heures de la Révolution, Catherine Théot noue des relations avec des personnages influents. Averti, le directeur du comité de Sûreté générale, Guillaume Vadier, manœuvre en coulisse pour renverser Robespierre. Il implique la « Mère de Dieu » dans un complot qui aboutira au 9 Thermidor et à la fin de la Terreur. C’est ainsi que la
Mère de Dieu entre dans l’histoire.
Découvrez le récit historique du destin étonnant de la dénommée Mère de Dieu, l'une des grandes figures féminines de la Révolution française qui a fréquenté des personnages de premier plan et participé au complot visant à renverser Robespierre.
EXTRAIT
À l’automne 1793 éclate la crise religieuse qui oppose spiritualistes et athées. Deux grandes figures de la Convention vont s’affronter : Robespierre et Guillaume Vadier. Robespierre, disciple de Rousseau, est un spiritualiste, d’où sa volonté d’instaurer le culte de l’Être suprême, qui sous-entendait une référence au Grand Architecte de l’Univers, voire Dieu. Il ne cachait pas son aversion pour l’athéisme, déclarant même « vomir l’athéisme ». Face à lui, Guillaume Vadier, disciple de Voltaire, athée, est un farouche républicain. C’est à la faveur d’une enquête policière menée en janvier 1793 par Chaumette sur Catherine Théot que Guillaume Vadier tombe par hasard sur le dossier de la « Mère de Dieu » et va mettre en œuvre un complot politico-policier pour renverser l’Incorruptible, lequel se vantera après le 9 Thermidor d’avoir « anéanti, fini, abîmé Robespierre et son Être suprême, avec la complicité du Comité de salut public. »
À soixante-treize ans, la « Mère de Dieu » inscrit son destin dans les pages de l’histoire de France. Croiser des destins aussi dissemblables que ceux de Catherine Théot, Robespierre et Vadier relevait du défi. La destinée de la « Mère de Dieu », Normande quasiment illettrée, vivant dans sa « petite église de la Contrescarpe » mérite une place dans la galerie des oubliés de l’histoire de France.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Alain Landurant, lauréat de l’Académie française en 1994 pour son ouvrage
Symboles des manuscrits médiévaux du Mont Saint-Michel, a consacré pendant quarante ans ses travaux d’historien à sa province d’origine, la Normandie. Il a également écrit deux biographies remarquées,
Montgommery le Régicide en 1988 et
Bellavidès le chouan de l’Avranchin en 2006.
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Seitenzahl: 301
Veröffentlichungsjahr: 2019
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À la mémoire de Gilles Buisson
Il apparaissait nécessaire de présenter dans les deux premiers chapitres la crise religieuse du XVIIIe siècle, les origines de la laïcité et la déchristianisation afin d’unir le curieux destin de Catherine Théot – la « Mère de Dieu » – à celui de Robespierre. Liens certes minces, mais qui contribueront à la chute de « l’Incorruptible » et à la fin du régime de la Terreur.
Les révolutions ont une caractéristique commune : elles transforment des vies ordinaires en des destins exceptionnels. Trois grandes figures féminines s’inscrivent dans la tourmente révolutionnaire.
La plus célèbre, Charlotte Corday, jeune provinciale de petite noblesse normande, venue de sa province pour assassiner Marat, « L’ami du peuple », a laissé dans la mémoire des Français le souvenir d’un acte héroïque et douloureux en raison de son âme vertueuse. Ce geste reste un des plus beaux de la Révolution française.
Marie-Anne Lenormand, nécromancienne et cartomancienne, née à Alençon, sera une célébrité parisienne dans le Paris révolutionnaire, plus connue comme « La Sibylle du Faubourg Saint-Germain ». Elle laissera son nom à de nombreux jeux de cartes illustrés sous différentes appellations « jeu de Mademoiselle Lenormand », « le grand Lenormand » ou encore « le petit Lenormand ». Elle sera arrêtée en 1794 par Guillaume Vadier, directeur du Comité de sûreté générale, pour avoir fréquenté les hommes les plus influents de la Révolution : Marat, Robespierre et Saint-Just, auxquels elle aurait prédit une mort violente. Elle eut la chance d’échapper à la guillotine.
Le destin de ces deux femmes demeure profondément ancré dans la mémoire normande.
La Normandie a oublié sa troisième compatriote : Catherine Théot, prophétesse qui se prétendait la « Mère de Dieu ». Arrivée probablement dans les années 1740 à Paris, elle se signale aussitôt dans la capitale par ses vaticinations, lançant aux passants des prédictions dont certaines se révéleront exactes, en particulier la chute de la Bastille et les persécutions religieuses sous la Révolution. Le clergé parisien s’émeut et obtient une lettre de cachet. Réputée folle, Catherine Théot sera incarcérée à la Bastille le 21 avril 1779, puis à la Salpêtrière dans le pavillon des fous.
Sortie de la Salpêtrière le 27 juin 1782, jugée guérie, Catherine Théot découvre un Paris qui fourmille d’illuminés, de faux prophètes, de gourous qui exploitent la crédulité des individus. Dans le même temps, les idées du siècle des Lumières mettent à mal la religion catholique, remettant même en cause l’existence de Dieu. Des cénacles inspirés des Saintes Écritures ainsi que des chapelles aux pratiques proches des initiations maçonniques prolifèrent dans Paris.
Dès les premières heures de la Révolution, Catherine Théot est parvenue à une notoriété tant auprès des gens du peuple qu’auprès de la bourgeoisie de la noblesse. Elle va nouer d’étroites relations avec des personnages influents tels : l’ex-chartreux Dom Gerle, qui figure au premier plan dans le tableau du Serment du jeu de paume, qui deviendra son directeur de conscience et maître de cérémonie lors des initiations dirigées par la « Mère de Dieu » ; avec la prophétesse Catherine Labrousse, le philosophe de Saint-Martin, plus connu sous le pseudonyme « Le Philosophe inconnu » et la duchesse de Bourbon, sœur de Philippe d’Orléans, futur Philippe Égalité. Ses relations comptaient de nombreux francs-maçons qui fréquentaient son cénacle de la rue de la Contrescarpe. Ses liens avec de tels personnages accentuent la singularité de Catherine Théot.
*
Contrairement à l’idée reçue qui veut que toute idée religieuse fût balayée ou ignorée par la Révolution française, la réalité fut toute autre. La Révolution fut spirituelle voire mystique. Dès les premiers mois de 1789, l’Église et les Hommes de la Liberté s’unissent pour exalter les grandes valeurs républicaines. Un curé de Coutances, dans le département de La Manche ira jusqu’à « recommander la douce Fraternité à la Sainte Égalité entre enfants de Dieu ». Dans l’enthousiasme, Jésus prend le visage d’un patriote qui invite les croyants à pratiquer les trois idéaux : Liberté, Égalité, Fraternité. Mais au fil des mois, athées et anticléricaux imposent la rupture avec l’Église et vont instituer des rites républicains calqués sur ceux du catholicisme.
À l’automne 1793 éclate la crise religieuse qui oppose spiritualistes et athées. Deux grandes figures de la Convention vont s’affronter : Robespierre et Guillaume Vadier. Robespierre, disciple de Rousseau, est un spiritualiste, d’où sa volonté d’instaurer le culte de l’Être suprême, qui sous-entendait une référence au Grand Architecte de l’Univers, voire Dieu. Il ne cachait pas son aversion pour l’athéisme, déclarant même « vomir l’athéisme ». Face à lui, Guillaume Vadier, disciple de Voltaire, athée, est un farouche républicain. C’est à la faveur d’une enquête policière menée en janvier 1793 par Chaumette sur Catherine Théot que Guillaume Vadier tombe par hasard sur le dossier de la « Mère de Dieu » et va mettre en œuvre un complot politico-policier pour renverser l’Incorruptible, lequel se vantera après le 9 Thermidor d’avoir « anéanti, fini, abîmé Robespierre et son Être suprême, avec la complicité du Comité de salut public. »
À soixante-treize ans, la « Mère de Dieu » inscrit son destin dans les pages de l’histoire de France.
Croiser des destins aussi dissemblables que ceux de Catherine Théot, Robespierre et Vadier relevait du défi. La destinée de la « Mère de Dieu », Normande quasiment illettrée, vivant dans sa « petite église de la Contrescarpe » mérite une place dans la galerie des oubliés de l’histoire de France.
En 1789, vingt-huit millions de Français, pour la plupart paysans, ouvriers, artisans, vivent en harmonie sous la dynastie capétienne laquelle règne depuis huit siècles sur la France. Sacré à Reims, le roi de France est le protecteur de la « Fille aînée de l’Église ».
À la veille des états généraux, la France apparaît entièrement chrétienne, à l’exception des protestants, qui ont obtenu le droit d’exister par le Traité de Tolérance promulgué par Louis XVI le 7 novembre 1783. Ce traité donne à cette minorité religieuse un état civil et le droit d’exercer son culte. Quant aux juifs, on en recense à peine cent mille ; ils sont réduits à un état inférieur.
Baptême, mariage, sépulture restent le monopole de l’Église qui tient les registres paroissiaux, seul état civil officiel. À côté des étapes de la vie de chaque homme, l’Église assume une action caritative et d’assistance par ses hospices, sans oublier l’enseignement où elle tient une place prépondérante voire exclusive. En réalité, le christianisme au XVIIIe siècle traverse une période extrêmement critique. Tout un courant d’idées, qui n’avait circulé depuis le XVIIe siècle que par voies souterraines au sein d’une minorité de « libertins », éclate au grand jour.
Déchirée de l’intérieur par de violents conflits entre gallicans et ultramontains, entre jésuites et jansénistes, minée moralement par sa compromission avec le pouvoir et l’argent, l’Église est en butte aux attaques des philosophes qui tentent de ruiner sa légitimité et même ses dogmes. Son autorité tant spirituelle que temporelle est remise en cause. Le mauvais exemple est donné par le haut clergé, avec son immense fortune qui abuse du régime des commendes. Cette pratique, permettait à un ecclésiastique voire un laïc, de bénéficier des revenus d’un monastère, d’une église ou d’un évêché, sans que son titulaire ait l’obligation d’assumer sa charge. Ce système provoqua la décadence de nombreuses abbayes. S’ajoutait à cela un haut clergé dont les prélats étaient des libertins. Le pouvoir de l’Église s’effondrait, le peuple ressentait une profonde antipathie pour son clergé, à tel point que le comte d’Argenson en 1753 écrivit : « Dans les grandes villes, surtout à Versailles et à Paris, la haine contre les prêtres va à son dernier point. À peine osent-ils se montrer dans les rues ! » Cela paraît exagéré, cependant ce témoignage dévoile tout un état d’esprit trente ans avant les États généraux !
Le bas clergé, celui des campagnes issu du tiers état, conserve son prestige aux yeux de la population. Lui non plus n’est exempt du mouvement de contestation. Nombreux sont les curés qui vivent une situation les confinant à l’indigence, subsistant grâce aux dons de leurs paroissiens. L’insuffisance des revenus des cures était si manifeste qu’une ordonnance royale avait fixé un minimum de revenus au curé – la portion congrue (partie du revenu qu’abandonnait le vicaire perpétuel au curé de la paroisse) : bref, une aumône !
Le clergé des campagnes n’ignorait pas les idées nouvelles qui agitaient les esprits. À son tour, il va dévoiler sa volonté de réformes lors des assemblées préparatoires dans la rédaction des cahiers de doléances, ce qui fait écrire l’évêque d’Évreux à Necker : « Je vis une sorte de cabale de mes prêtres… Ils veulent être les maîtres de toutes les opérations… Tout ce qu’on demande est rejeté avec le mépris le plus marqué. Ils sont trente contre un ! »
*
Crise religieuse, crise financière, crise politique, crise sociale, les élites, nourries des philosophes des Lumières, critiquent ouvertement la religion catholique et le pouvoir royal de droit divin, on attaque l’Église, son pouvoir, sa richesse, ses privilèges et surtout son intolérance.
Depuis plusieurs décennies, toute une production d’ouvrages, de libelles se multiplie, plus particulièrement dans les années 1740, dont la plupart sont imprimés à Genève, Londres, Amsterdam ou clandestinement en France. Ils s’intitulent : Nouvelles Liberté de penser ; l’Évangile de la Raison. Ils ont en commun la volonté de révéler au grand public une analyse critique des textes religieux qu’ils considèrent comme des légendes. Ces écrits emprunteront souvent la position d’un matérialisme conduisant à un athéisme radical. Parmi ceux qui rejettent l’Église domine la figure de l’abbé Jean Meslier. Pour le philosophe Michel Onfray, « Jean Meslier condense sous sa soutane toute la dynamique qui mine le XVIIIe siècle : ce prêtre sans visage et sans sépulture fournit l’arsenal conceptuel de la pensée des Lumières dans son versant radical… »
Jean Meslier naît le 15 janvier 1664 à Mazerny, dans les Ardennes. En 1678, un curé du voisinage s’aperçoit que l’enfant est doué pour les études ; il lui enseigne le latin et, en accord avec les parents, propose de conduire l’enfant au séminaire. Docile, l’enfant effectue ses études et va gravir tous les grades sacerdotaux pour être nommé le 7 janvier 1689 curé d’Etrépigny, dans les Ardennes, où il passera ses quarante années de sacerdoce.
Bien noté par sa hiérarchie au début de sa charge, le curé Meslier s’acquitte de son sacerdoce sans éclat. Il surprend ses paroissiens par ses comportements ; il n’exige pas d’émoluments pour la célébration d’un mariage si le jeune couple est pauvre et encore moins pour un enterrement. Le plus déconcertant pour les paroissiens, lorsqu’en fin d’année, une fois les comptes de la paroisse établis, Jean Meslier distribue le reliquat des bénéfices aux plus pauvres.
On lui connaît quelques conflits avec sa hiérarchie. Jean Meslier transgresse les règles du droit Canon lesquelles exigent que les servantes de curé doivent atteindre l’âge de 40 ans pour être au service d’un prêtre. Jean Meslier, il choisira une jeune fille âgée de 23 ans, alors qu’il en a 32, affirmant à son évêque qu’elle est sa nièce ! Sa seconde servante aura 18 ans alors qu’il en a 55 ! La colère épiscopale lui inflige une retraite d’un mois dans un monastère, mais le curé ne cédera jamais.
Son conflit avec Antoine de Toully seigneur d’Etrépigny dévoile son aversion pour la noblesse, les riches et les puissants. Antoine de Toully avait maltraité ses paysans ; le dimanche qui suivit ces exactions, à la fin de la messe, au moment de recommander le seigneur aux prières, Jean Meslier s’abstient. L’affaire remonte à l’évêché, nouvelles remontrances, peu importe, Jean Meslier persistera dans son refus, il sera désormais mal noté.
Hormis ces quelques heurts, Jean Meslier va poursuivre son sacerdoce avec ponctualité, sans excès, extérieurement rien ne transpire de la révolte qui bouillonne en lui. Pendant dix ans, de 1719 à 1729, entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans, notre curé de campagne trempe sa plume d’oie dans l’encre qui n’est autre que du vitriol, et rédige son Mémoire, véritable bombe philosophique pour son temps.
Jean Meslier sera le premier philosophe à avoir posé le concept d’athéisme, on peut même le voir comme son fondateur. Sa vision se résume en la négation de Dieu qu’il dénomme le « Dieu de farine » et toutes les fables de la Bible et des Évangiles qu’il désigne sous le vocable « les christicoles et autres déicoles ». Dans un chapitre, il conclut : « Il n’y a point de Dieu ! » Ses ennemis, il les énumère : la religion, l’Église, les pères de l’Église, les papes, les nobles, les rois et autres puissants. Seuls les pauvres, les miséreux, les enfants et les femmes sont sanctifiés.
Le curé Jean Meslier meurt le 28 ou 29 juin 1729. L’église, comme le veut le droit Canon, procède à l’inventaire de ses biens. Elle met la main sur le fameux Mémoire. C’est l’horreur, voilà un prêtre apostat ! Le clergé s’empresse de détruire ces brûlots au nombre de trois. Seulement, Meslier a été prévoyant : il avait rédigé quatre exemplaires, si trois sont saisis par l’Église, le quatrième est entre des mains fidèles. Il n’y aura point d’office religieux, le curé Meslier est enterré dans le jardin de la cure sans pierre tombale, sans plaque. Son décès ne figure même pas sur le registre paroissial.
On reste stupéfait, en ce début du XVIIIe siècle, qu’un prêtre revendique avec une telle détermination l’inexistence d’un Dieu invisible, rejetant à maintes reprises les dogmes du christianisme et qu’il ait pu tout au long de son sacerdoce dissimuler son athéisme. On s’interroge sur les causes de cet athéisme virulent. Provenaient-elles de blessures lors de sa formation au séminaire ou d’un esprit au sens critique développé ? Cela restera le jardin secret de l’abbé Meslier.
Athée, déchristianisateur, matérialiste, Jean Meslier incarne à lui seul tout le génie de la Révolution. Les anticléricaux se référeront à son Mémoire qui sera reproduit en cinq, dix, puis en vingt et en cent exemplaires. Aristocrates, bourgeois éclairés, tous veulent lire le brûlot de l’abbé Meslier ; ils se l’arrachent.
Voltaire va découvrir la personnalité de l’abbé Meslier par une correspondance que lui adresse un de ses amis, Claude Thiriot, en 1735. Le philosophe lira le Testament de l’abbé Meslier intégralement, avec enthousiasme, mais émettra des réserves sur la valeur religieuse du texte. Contrairement à ce que l’on peut penser de Voltaire, il n’est pas athée, il croit en un « Grand Horloger », concept qui sans vouloir désigner Dieu, formule l’idée d’un Être Suprême, dont l’intelligence ordonne l’univers. Mais Voltaire va déformer la pensée de Jean Meslier, en rédigeant un faux sous le titre Extrait des sentiments de Jean Meslier qui paraîtra en 1761, où le philosophe aura l’audace d’écrire : « Voici le témoignage d’un prêtre mourant qui demande pardon à Dieu ! » : on rêve, Jean Meslier demandant pardon à Dieu : il vaut mieux en rire !
Désormais, Jean Meslier est considéré comme le fondateur de l’athéisme, de l’anticléricalisme et du matérialisme en France et son influence sera déterminante sur les hommes de la Liberté.
Les bolcheviques n’oublieront pas l’abbé Meslier, ils lui érigeront une stèle dans le parc Alexandrovski à Moscou.
*
Si Jean Meslier a posé les bases de l’athéisme, sa rage contre le catholicisme demeura silencieuse. Il n’en fut pas de même du baron d’Holbach. Né le 8 décembre 1723 à Heidelsheim dans le Palatinat, Paul, Henri, Thiry d’Holbach (ou Paul, Heinrich, Dietrich Von Holbach) sera élevé par son oncle qui lui fera découvrir Paris et la langue française. L’oncle est fortuné, sans enfant, aussi il fera de son neveu son légataire universel et lui transmettra son titre nobiliaire à l’âge de 30 ans. Personnage étonnant, il est dépeint par ses contemporains comme un travailleur acharné, doté d’une forte personnalité, ne changeant que rarement d’opinion. On le dit atrabilaire, sujet aux sautes d’humeur.
Curieusement, dans ce siècle où le libertinage est à la mode, le baron d’Holbach célèbre le mariage, il voit dans cette institution un contrat affectif et amoureux entre les époux. Il écrira des lignes sévères contre l’adultère qui détruit l’union conjugale : il exècre le libertinage.
Travailleur forcené, le baron a deux passions : la science et la philosophie. Sa passion pour les sciences l’amène à collaborer à l’Encyclopédie, y rédigera près de quatre cents notices scientifiques sur des sujets les plus divers : géologie, minéralogie, métallurgie, fossiles. Son salon sera le quartier général des encyclopédistes, il y recevra Diderot et d’Alembert.
La philosophie, qu’il pratique avec un grand talent, est une arme qu’il utilisera pour détruire la religion. Cet esprit d’une grande érudition et athée va utiliser sa force de travail pour entreprendre une œuvre philosophique immense et prodigieuse avec trois axes : la déconstruction du christianisme ; l’élaboration d’un matérialisme et une politique eudémoniste. C’est un combat contre les superstitions religieuses, philosophiques idéalistes, spiritualistes et métaphysiques.
Les assauts les plus virulents contre le christianisme commencent par des publications : La Déconstruction de la religion, Le Christianisme dévoilé daté de 1766 (en réalité du 4 mai 1758), puis vont se succéder La Contagion sacrée, Histoire naturelle de la superstition, Analyse raisonnée des Évangiles, pour ne citer que les principales œuvres.
L’œuvre philosophique est une véritable machine de guerre contre la religion catholique, elle est dévastatrice et s’impose dans les salons aristocratiques.
Deux fois par semaine, le baron invite à son hôtel particulier de la rue Royale Saint-Roch (aujourd’hui rue des Moulins, dans le IIe arrondissement) ses amis de la haute société intellectuelle du siècle des Lumières, philosophes et scientifiques. On rencontrait Bernard de Fontenelle, neveu de Corneille quasiment centenaire ; Marmontel, historiographe de France, romancier et tragédien ; Grimm, le père de Blanche Neige, plus connu comme le fondateur de la philologie allemande ; Buffon l’inventeur du naturalisme ; l’abbé Guillaume Thomas Raynal, le précurseur de la lutte contre l’esclavage, promoteur des Droits de l’homme, auteur de la Bible des Révolutions ainsi que Condorcet et Turgot et Helvétius, lequel avait son hôtel particulier à une centaine de mètres de celui du baron d’Holbach.
Autour d’une table bien garnie et arrosée, les convives exposent leurs idées, se lancent dans des joutes oratoires qui ressemblent aux débats entre rabbins sur le Talmud, d’où le nom donné au salon du baron « la Synagogue de la rue Saint-Roch » laquelle était également désignée sous le nom de « la Boulangerie » pour la simple raison que le baron publiait ses textes sous le pseudonyme de « Boulanger ».
La propagande philosophique affirmait la primauté de la Raison, et le rationalisme triomphant remettait en cause les fondements de la société. La liste des philosophes du siècle des Lumières qui ont combattu l’Église et la religion catholique qui sape les fondements de la monarchie de droit divin serait longue à énumérer. Ils seront relayés par les clubs de pensées, les cercles, les sociétés littéraires, les cafés, les académies royales, même les sociétés d’agriculture se joignent à eux. En 1785, les clubs des Arcades, des Chevaliers de Saint-Louis, le Premier club et le club Olympique sont les plus en vue, les idées se croisent, s’affrontent ; il n’y a pas d’étanchéité.
Les clubs de pensées seront relayés par les salons féminins très prisés des beaux esprits. Les grandes dames de la noblesse contribuent grandement au mouvement de pensées du siècle des Lumières ; on prétendait même : « Aujourd’hui, le beau sexe est politique ; il ne traite que de politique et tout tourne en politique ». On se précipitait dans les plus beaux salons pour y être vu. Le salon de la marquise du Deffand, rue Saint Dominique était un des plus recherchés, il recevait Voltaire ainsi que d’Alembert, intime de la marquise. Il était suivi par celui de Julie de Lespinasse.
À la veille de la Révolution française, le salon de Madame de Necker reçoit une société empreinte de charité, d’œuvres de bienfaisance. Le peuple parisien reconnaissant la surnomma « l’hospitalière des mansardes ».
L’abbé Sieyès, grande figure de la Révolution, gagné aux idées nouvelles, auteur de Essai sur les privilèges et qu’est-ce que le tiers état ? est une des personnalités les plus assidues du salon, ce qui a fait dire à Robespierre : « Il fut la taupe de la Révolution ne cessant d’agir dans les souterrains de l’assemblée ».
Citons également le salon de Joséphine de Beauharnais, qui recevait les grandes figures de l’ancien régime, mais restera très attachée aux valeurs de la monarchie. Sans oublier le salon de Sophie de Condorcet, un des plus brillants de Paris.
*
Le siècle des Lumières fut le siècle de l’illuminisme et de l’occultisme, il produira de nombreuses sociétés secrètes dont la plupart s’inspireront de la franc-maçonnerie pour leurs rites. Leurs membres sont attirés par l’étude des sciences occultes cet attrait les amène à vouloir dénouer l’imbroglio des innombrables symboles qui composent l’univers. Dans leurs quêtes d’absolu, les initiés de ces sociétés s’inspireront de la Bible et de la Kabbale. Dans les pratiques, on trouve toujours la même caractéristique : le culte du secret imposé à leurs membres. Secret qui demeure toujours suspecte aux yeux des profanes, alors que s’il n’avait pas été imposé à ses membres, la franc-maçonnerie n’aurait été en réalité qu’une simple confrérie, or, elle ouvrait les portes aux extrapolations.
Au milieu du XVIIIe siècle, la Franc-maçonnerie se transforme. Elle abandonne ses traditions militaires pour entrer dans l’univers de l’occultisme et de l’illuminisme. En loge, on pratique le symbolisme dans les trois grades : apprentis, compagnon et maître. Puis on entre dans « les Hauts grades » échelonnés sur un nombre variable suivant les degrés ; à ce niveau la pratique de l’ésotérisme constitue le socle du travail en loge.
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Catherine Théot ne fera pas exception à cet univers occultiste. Elle imposera aux postulants qui entreront dans ses deux cénacles des rites initiatiques qui s’inspireront de ceux de la franc-maçonnerie. Recluse dans ses petites chapelles de la rue des Rosiers et de la Contrescarpe, la « Mère de Dieu » est néanmoins parfaitement informée des pratiques occultistes, d’autant plus qu’un grand nombre de ses adeptes sont francs-maçons. Par ailleurs, elle rencontrera en 1793, Louis-Claude de Saint-Martin, plus connu sous le pseudonyme « le Philosophe Inconnu », avec lequel elle aura de nombreux entretiens au château du Petit-Bourg, lieu de villégiature de la duchesse de Bourbon. Elle n’ignorerait pas que le « Philosophe Inconnu » avait été un des plus proches disciples des grands maîtres du mysticisme maçonnique que sont Martinès de Pasqually des « Élus de Coëns » et Jean-Baptiste Willermoz fondateur du rite écossais rectifié et de l’ordre des Chevaliers bienfaisants de la Cité Sainte. Claude de Saint Martin avait également fréquenté Antoine Joseph Pernety, bénédictin mauriste défroqué plus connu sous le nom de Dom Pernety, fondateur des Illuminés d’Avignon. Quelques-uns des adeptes de Catherine Théot pratiquaient les deux rites. On peut ajouter que ce monde d’illuminés avait des liens avec deux d’autres loges, telles les illuminés Théosophes et celle de Philalèthes de Paris, animées par Savalette de Lange.
*
Le titre de premier des maîtres secrets du XVIIIe siècle revient à Joachim Martinès de Pasqually né à Grenoble en 1727 d’un père juif marrane d’Espagne et d’une mère française et catholique. D’une grande érudition, Joachim Martinès de Pasqually pratiquait l’hébreu et s’était initié à la kabbale. À partir de 1758 il travaille à la fondation de l’Ordre des Chevaliers Maçons « Élus Coëns » (prêtre en hébreu) de l’Univers. Il n’installera le Suprême Conseil de son Ordre, c’est-à-dire le Tribunal Souverain, qu’en 1767 et promulguera les statuts à Paris la même année. En 1771, Martinès de Pasqually se lance dans la rédaction de son Traité de la Réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles divines, texte qui pose les bases de la doctrine martinésiste, mélange de théurgie, cosmogonie, anthropologie, théosophie, un amalgame de toutes les doctrines ésotériques de l’Orient transmises à l’Occident par l’intermédiaire de la Kabbale. Son œuvre n’aboutira pas ; obligé de partir à Saint-Domingue en 1774 pour recueillir un héritage, il y décédera à l’automne de la même année.
Il aura eu néanmoins le temps nécessaire, avant son départ pour Saint-Domingue, d’endoctriner deux adeptes qui seront célèbres dans l’occultisme du XVIIIe siècle : Jean-Baptiste Willermoz et Louis-Claude de Saint-Martin.
Jean-Baptiste Willermoz négociant lyonnais en soierie rencontre Martinès de Pasqually en 1766. Notable de Lyon, Willermoz est un mystique, une lumière, un oracle de la franc-maçonnerie du XVIIIe siècle. Il fut en relation épistolaire avec tous les maçons, tous les occultistes notables du XVIIIe : Savalette de Lange, Joseph de Maistre, Cagliostro et bien d’autres. Catherine Théot n’aura pas l’occasion de le rencontrer. Ses liens avec le second adepte « le Philosophe Inconnu » Louis-Claude de Saint-Martin la place parmi les illuminés du XVIIIe siècle. Né à Amboise le 18 janvier 1743, Louis-Claude de Saint-Martin est issu de la petite noblesse. Très tôt, il présente un penchant prononcé pour le mysticisme, s’enflammant à la lecture d’ouvrages ésotériques. Après des études de droit, il embrassera la carrière d’avocat pour laquelle il n’a aucune prédisposition. Il s’engage dans l’armée et obtient son brevet de sous-lieutenant dans le régiment de Foix cantonné à Bordeaux. Son capitaine le sieur de Grainville sera son parrain en l’initiant à la loge maçonnique « La Française » à Bordeaux.
Sa rencontre avec Martinès de Pasqually va bouleverser son existence. Initié Élu Coëns en 1768, il accède en 1772 à la dignité suprême de l’Ordre en devenant Réau-Croix.
En 1775, il publie son grand traité Des erreurs et de la Vérité qui fut, selon ses contemporains, une révélation philosophique. En réalité, c’était une bible d’illuminisme qui contenait de nombreuses énigmes, mais qui excitait la curiosité des esprits du siècle des Lumières ! Par prudence et par crainte d’être poursuivi par le pouvoir royal, il prit soin de signer ses ouvrages sous le pseudonyme « Le Philosophe inconnu ».
La renommée de Louis-Claude de Saint-Martin est telle qu’il est sollicité par tous les beaux esprits du siècle des Lumières. Il va devenir l’ami intime de Louise Marie Thérèse Bathilde d’Orléans, fille de Louis-Philippe d’Orléans, épouse du duc de Bourbon et mère du futur duc d’Enghien qui sera fusillé dans les fossés de Vincennes sur ordre de Bonaparte.
Personne extravagante, la duchesse de Bourbon ne déroge pas aux enfièvrements de son époque pour le mysticisme et l’occultisme. Passionnée d’oracles et de magnétisme elle aura une attirance particulière pour Franz Anton Mesmer, médecin allemand fondateur de la théorie du magnétisme animal qui donne à tout homme la capacité de guérir son prochain grâce au fluide naturel par des passes sur tout le corps. Elle s’entoura d’un cercle de mystiques exaltés, de martinistes et de francs-maçons dont elle était la Grande maîtresse de l’Ordre des Franc-maçonnes d’adoption en France et Vénérable de la loge « La Candeur » où fut initiée toute la noblesse de cour.
Louis-Claude de Saint-Martin, devenu l’ami intime de la duchesse de Bourbon, accompagnera celle-ci dans de nombreux déplacements, mais il sera surtout l’invité privilégié au château du Petit-Bourg dans la commune d’Évry, résidence d’été de la duchesse, demeure aujourd’hui disparue qui dominait la Seine. Le Philosophe inconnu, rencontrait une foule d’illuminés dont certains étaient considérés comme charlatans. Ce qui amènera Louis-Claude de Saint-Martin à mettre en garde son hôtesse sur les fausses idées répandues par ces individus.
Le mysticisme de la duchesse amènera celle-ci à accueillir à plusieurs reprises Catherine Théot au château du Petit-Bourg, contredisant l’opinion répandue selon laquelle « la Mère de Dieu » ne vivait qu’entourée de quelques fidèles. En réalité elle côtoyait autant les gens du peuple que les bourgeois et les nobles. C’est à l’occasion de ses séjours au château du Petit-Bourg qu’elle rencontra l’ex-chartreux Dom Gerle, disciple de Suzette Labrousse, qui deviendra par la suite son directeur de conscience.
Tous ces courants philosophiques, ésotériques, occultistes, mystiques vont entraîner une immense effervescence dans tous les milieux sociaux au cours de la dernière décennie du siècle des Lumières. Ils vont même s’infiltrer dans le clergé. De nombreux ecclésiastiques, prêtres, moines et même des évêques sont francs-maçons. Certains monastères, en particulier en Normandie, ont leur propre loge comme à l’Orient de Dieppe « La Parfaite Union ». Cet engouement se conçoit parfaitement, l’Ordre maçonnique est une société de bienfaisance, philanthropique, sa pensée est en harmonie avec l’enseignement de l’Église, il faut être catholique, croire en Dieu et en l’immortalité de l’âme pour postuler l’entrée du Temple. À l’avènement de la Révolution, ils seront nombreux à se dévoiler. Citons les grands noms : l’abbé Grégoire, premier prêtre à prêter le serment de la constitution civile du clergé, il était membre de la loge « Le Comité secret des amis réunis » ; Dom Gerle, chartreux qui deviendra le directeur de conscience de Catherine Théot ; l’abbé Éric Fréron, originaire de Quimper, ennemi de Voltaire contre lequel il défendit la religion catholique ; Pierre Le Breton, prieur bénédictin de Cluny, député à la Constituante, membre de la loge parisienne « Saint Louis de la Martinique des Frères Réunis » ; Jean-Baptiste Saurine, évêque constitutionnel des Landes, fut même le Vénérable de la loge parisienne « La Réunion des Amis Intimes », il deviendra en 1790, président de la Chambre symbolique du Grand Orient de France. Quant à Emmanuel Sieyès, grand vicaire puis chanoine de l’évêque de Chartres, il fut l’un des auteurs de la Déclaration des Droits de l’homme, et initié à la célèbre loge des « Neuf sœurs ».
À la fin du XVIIIe siècle, la littérature contre-révolutionnaire a voulu mettre en évidence le rôle de la franc-maçonnerie dans la chute de l’Ancien Régime et du mouvement de déchristianisation. Cette opinion, nous la devons aux écrits d’un jésuite, Augustin Barruel, un des principaux inspirateurs du traditionalisme du XIXe siècle. Son ouvrage Mémoires pour servir l’histoire du jacobinisme est un vaste essai politique composé de cinq volumes. Ce polémiste estime que la Révolution française est le fruit d’un immense complot ourdi par les philosophes relayés par la franc-maçonnerie, le jacobinisme étant le résultat de leur alliance. Il sera suivi par un écossais John Robison, qui accuse la maçonnerie de complot révolutionnaire. Tout comme Barruel, il affirme que les « Illuminés de Bavière » ont pénétré les loges maçonniques françaises ; il sera suivi par une partie de la société française du XIXe et XXe siècles. Véritable secte, propre à la culture germanique, certes anticléricale, les « Illuminés de Bavière » n’imposeront jamais leurs idées dans les loges françaises.
Qu’en est-il aujourd’hui ? Les historiens les plus éminents réfutent cette thèse, certains y voient « une légende ! »
Or, une des caractéristiques qui exclue la Franc-maçonnerie des ferments de la Révolution, c’est son absence d’unité au XVIIIe siècle. Quand on consulte les brochures de l’époque, qu’on compulse les vieux papiers, en particulier les cahiers rédigés par les secrétaires de loges on finit par conclure que les loges ne collaborent pas entre elles. De plus, il n’y a pas de développement logique dans leur fonctionnement. Chaque loge pratique le rite qui lui convient. On constate une absence d’assiduité, le désordre règne dans presque tous les ateliers, à certains moments la hiérarchie est absente, les hauts grades délèguent leurs charges. Comment, alors, expliquer qu’une telle institution, peu structurée ait pu avoir une quelconque influence sur l’échiquier politique qui exige une organisation hiérarchisée ? La réponse est simple, la Franc-maçonnerie ne sera qu’un modeste porte-parole des idéaux du siècle des Lumières, parmi d’autres sociétés initiatiques.
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Dans cette effervescence philosophique, religieuse et politique, que devient la masse du peuple français ? Il est bien loin de ces débats. Le peuple français, constitué aux trois quarts de paysans, d’ouvriers et d’artisans vit à l’ombre du clocher de son village, avec pour seul interlocuteur et confident le curé du village. Il reste très attaché aux valeurs chrétiennes. Par contre, les étrangers qui parcourent le royaume, tel l’agronome britannique Arthur Young constatent une grande disparité dans la pratique religieuse selon les tempéraments régionaux. Necker remarquait que les hommes dans de nombreuses régions rentraient dans les églises au moment de la consécration, signe d’un relâchement spirituel.
Le Grand Ouest (Bretagne, Normandie, Maine et Vendée) ainsi que le Nord-Est (Alsace et Lorraine) sont les régions qui maintiennent une forte pratique religieuse. On note, en revanche, un laisser-aller de la vie chrétienne dans le Bassin parisien, ainsi que dans le centre de la France, régions où la déchristianisation sera la plus violente au cours de l’an II.
Les états généraux, convoqués par Louis XVI le 2 août 1788, susciteront un immense espoir dans le royaume. Au printemps 1789, rien ne laissait prévoir une crise religieuse. Pour un grand nombre d’élus du tiers état et de la noblesse, s’ils critiquent la puissance de l’Église et sa richesse, ils ne sont pas pour autant des anticléricaux, encore moins des athées. Le souhait pour les élus des états généraux, c’est un retour au christianisme originaire, que l’Église a abandonné en se détournant au fil des siècles de ses valeurs fondamentales.
Les Français vont vivre dans les premiers jours des moments d’enthousiasme. Ils attendent des réformes profondes de leurs élus. Les États généraux auront la charge de transformer leur quotidien dont les élus auront la mission de « régénérer la société ».
Ils sont loin de se douter qu’un conflit religieux explosera dans les prochains mois.
À la veille de la Révolution apparaît une liturgie révolutionnaire qui se calque sur celle du christianisme par ses prières, ses psaumes et ses chants. Elle s’associe ainsi par invocations à l’esprit mystique du XVIIIe siècle.
Dès la publication de l’ordonnance de Louis XVI convoquant les états généraux, une multitude de petits livrets seront imprimés et diffusés à travers le royaume. Les premiers livrets sont édités à l’automne de 1788. On peut pour les mois suivants dater leur parution en fonction de leur contenu et du style ainsi que du ton adopter pour exprimer les espérances du peuple. Au début, les prières sont respectueuses, aimables. Elles sont empreintes d’ardente gratitude envers le souverain : ce sont d’humbles prières, même pour certaines émouvantes. Le chant le plus éloquent revient au Gloria in excelsis du peuple, suivi de l’évangile dont voici les textes :
« Gloire au Roi, honneur à ses ministres et paix aux bons citoyens.
Digne successeur de Henri, nous vous louons, nous vous bénissons, nous vous glorifions, nous vous rendons grâce à la vue de la gloire dont vous jouissez déjà et de celle dont vous êtes sur le point de vous couronner.
Necker, vous qui êtes assis à la droite du trône, protégez-nous. Vous qui avez refusé de signer le fameux mémoire, protégez-nous.
Vous qui, par votre intelligence et votre noble désintéressement, réparez autant qu’il est en vous les bévues de vos prédécesseurs, ayez pitié de nous. Continuez à dire la vérité à celui qui est digne de l’entendre ; et puissent, en dépit des envieux, votre bonheur et celui de la nation française, être le fruit de vos travaux et le sceau de votre gloire. Ainsi soit-il. »
Évangile
« En ce temps-là, les roturiers dirent aux nobles : jusqu’ici nous vous avons nourris, nous vous avons vêtus, nous vous avons servis et, pour récompense, les trois quarts d’entre vous nous ont méprisés, et souvent même, profitant de l’avantage du nombre, ils nous ont fait charger de coups. Cependant, en vérité, en vérité, nous vous le disons, un temps viendra auquel l’envoyé de Dieu rétablira l’égalité parmi les hommes. Car, étant tous nés d’un même père, il n’est pas juste que ceux qui sèment le plus récoltent le moins, ni qu’une poignée de suffisants regorgent de superfluités lorsque leurs frères périssent de besoin.
V. evangelica dicta deleatur misericordia nostra. R. Amen ».
Les litanies sont, quant à elles, d’humbles supplications adressées au Roi, l’appelant à être bienveillant et à apporter les remèdes nécessaires pour redresser le royaume. Le Magnificat