La Mort des Sables - Elin Bakker - E-Book

La Mort des Sables E-Book

Elin Bakker

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Beschreibung

Asthen est immortelle, tout comme son peuple, le seul à avoir survécu à l'Orage Obscur. Cette catastrophe a recouvert le monde de dunes glaciales et sombres, donnant naissance à un nouvel ennemi : les Morts des Sables. Pour se protéger de cette menace insaisissable, Ashten et les siens ont vécu pendant trois siècles cachés derrière un immense mur. Mais lorsqu'elle découvre qu'il n'en est rien, toutes ses certitudes s'envolent. Son destin vient des sables. Et son futur ne lui appartient plus.

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Table des matières

La Mort des Sables

Louanges pour La Mort des Sables

Prologue

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Partie 3 :

Les Whedarg

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

Chapitre 57

Chapitre 58

Chapitre 59

Épilogue

Elin Bakker

La Mort des Sables

Beta Publisher

©2023, Beta Publisher

Édition : Beta Publisher,

11 rue Blanche, 75009 Paris

ISBN : 978-2-38392-011-3

Dépôt légal : Avril 2023

Louanges pour La Mort des Sables

« Un récit où la quête de soi emporte le lecteur aux confins de son monde intérieur, un désert de sable glacial, un Cœur palpitant. Pour sauver le futur de son monde, Asthen devra consentir à bien des sacrifices. La plume d’Elin, délicatement ciselée, vous emportera sans aucun doute avec elle au gré des vents de l’existence, sur le chemin tracé entre vie et mort. »

- L.A. Braun, auteure de Le Crépuscule des 5 piliers

« Un récit original, poignant, qui vous entraînera dans le monde merveilleux de l’auteure. »

- Sophie Tremblay, blogueuse et auteure de s’il suffisait d’aimer

« Ce récit est un véritable orage à l’issue duquel votre vision du monde sera totalement chamboulée. Une histoire particulièrement bien menée avec une plume magnifique qui nous plonge dans un désert inconnu. »

- Misskokosreadings, blogueuse

« Un roman très intéressant, qui soulève des thématiques profondes et qui présente un univers très travaillé. On suit l’héroïne dans ses aventures, avides d’en savoir plus sur le fonctionnement de ce monde mystérieux. »

- Sandy Ruperti, professionnelle de l’édition et auteure

« C’est une magnifique histoire qui me hantera pendant très longtemps. Maintenant, je ne désire qu’une chose : que cette histoire soit adaptée au cinéma! »

- Jevouslis, bêta-lectrice professionnelle

Un jour on atteindra les étoiles

En attendant, vivons l’instant présent.

Prologue

Cette histoire fait partie de notre présent. Toutefois, avant de pouvoir le comprendre, il vous faut connaître notre passé…

Il y a des siècles de cela, les Anciens,un conseilde cinq êtres surpuissants, livraient bataille à toutes les civilisations de leur planète. Avec l’aide de leur armée, ils étendaient leur influence et leur contrôle sur toutes les terres, plongeant leurs habitants dans le sang et dans la peur.

Avides de pouvoir, les Anciens cherchèrent alors un moyen de rendre leur armée plus redoutable encore qu’elle ne l’était déjà et trouvèrent l’immortalité. Grâce à la magie ancestrale qui coulait dans leurs veines, ils éradiquèrent la mort et figèrent toutes les enveloppes charnelles de leurs sujets, créant ainsi une armée qui ne pouvait être vaincue, blessée ou tuée. Mais pour cela, il leur fallut sacrifier leur magie ainsi que leur vie.

Après leur disparition, une nouvelle ère s’ouvrit et le peuple des Ilesienns délaissa la guerre et se tourna vers la connaissance. Bien vite, ils durent apprendre d’autres civilisations pour subvenir à leurs besoins et, de cet échange, la planète prospéra pendant près de deux siècles.

Jusqu’à l’arrivée de l’Orage Obscur.

Cette tempête particulièrement puissante et destructrice ravagea toutes les villes, tuant toute vie mortelle sur terre. Seuls les Ilesienns, immortels, survécurent.

La catastrophe recouvrit la planète de dunes glaciales et a plongé le monde dans un âge de glace vouée à torturer chaque créature qui en foulait la surface. Infertile, la terre ne donna plus naissance à la moindre végétation ou forme de vie autre que les Ilesienns.

Au début, soumis à leur immortalité, ces derniers connurent la faim et le froid, incapables de cultiver la terre malgré leurs vastes connaissances. Ce fut alors qu’un nouveau dirigeant les guida et fit taire leur souffrance. Grâce à lui et aux efforts du peuple, leur capitale regagna sa splendeur d’antan.

Capitale dans laquelle apparurent, tout à coup, de petits tas de sable aux grains noirs et dorés, glacials et lourds, tout comme ceux du désert qui les encerclait. Au cours de leurs siècles d’existence, ils n’avaient encore jamais connu une chose pareille. Et pour cause : ces petits tas de sable regorgeaient de magie depuis longtemps perdue.

Bientôt, ces derniers se matérialisèrent sous une forme nouvelle, dévoilant l’étendue de la menace qu’ils représentaient. Les grains s’allièrent les uns aux autres et finirent par constituer des corps, puis des silhouettes à l’apparence humaine. À la place de leurs visages de grains froids, l’illusion d’une peau pareille à celle des Ilesienns et, très vite, il fut impossible de les distinguer des immortels.

Mais ce n’était pas tout. Ces derniers comprirent rapidement que, grâce à leur magie semblable à celle des Anciens, ces créatures venues des dunes étaient en mesure de les tuer. Il leur suffisait de souffler dans la bouche de leurs victimes pour que leurs poumons se remplissent de sable et qu’elles meurent d’asphyxie.

Ils les appelèrent Les Morts des Sables.

Pris au piège entre les éléments glacials et ce nouvel ennemi, les immortels bâtirent un mur immense autour de leur ville dans l’espoir de tenir leurs assaillants à distance.

Et cela faisait bientôt trois siècles qu’ils vivaient ainsi, coupés de tout et plus isolés que jamais sur cette planète ravagée qui était la leur. Voilà où commence cette histoire…

Partie 1 :

Les Ilesienns

Les Ilesienns sont un peuple d’immortels à l’apparence humaine. Anciennement dédiés à la guerre, ils se sont tournés vers le pacifisme et le savoir depuis plusieurs siècles. Ils prient des entités qu’ils nomment « les Anciens » et qu’ils disent être à l’origine de leur immortalité.

Chapitre 1

Comme à son habitude, Asthen se réveilla aux premières lueurs du jour. Elle s’étira en bâillant, prête à commencer cette nouvelle journée, comme toutes celles des cinq cent dix-neuf ans de son existence.

Elle aurait cru se lasser de ce quotidien, mais était étrangement satisfaite de se réveiller chaque matin dans son lit. Même si les journées étaient répétitives, elle parvenait à apprendre chaque jour un peu plus et c’était bien tout ce que l’on demandait d’elle, tout ce à quoi son peuple avait toujours aspiré, loin de la guerre des premiers temps.

À cette pensée, un frisson lui parcourut l’échine. Le conflit n’était plus si lointain désormais. Les Morts des Sables l’avaient ramené avec eux, tout comme la magie des Anciens. Leurs premières victimes avaient servi d’exemple à tous. Leur simple évocation provoquait la peur chez Asthen et lui rappelait que son existence pouvait basculer du jour au lendemain. Ainsi le quotidien en devenait précieux et presque excitant.

La femme, à l’apparence d’une adolescente de seulement dix-neuf ans, se leva pour rejoindre une petite table abritant trois statuettes en pierre beige, sculptée en forme d’individus vêtus d’armures. Les Anciens qu’elle se devait de vénérer chaque jour, comme tous les Ilesienns.

Elle ferma les yeux et inspira en posant sa main gauche sur son front et la main droite sur son cœur. Puis, elle récita la prière, la même depuis des siècles :

— Nous, Ilesienns, vous remercions pour votre sacrifice et votre courage. Nous vous honorerons chaque jour jusqu’à la fin des temps pour vous remercier du don que vous nous avez offert.

Sa voix était puissante et ferme, bien qu’elle vienne tout juste de s’extirper du sommeil.

Son peuple n’avait pas toujours porté le nom d’Ilesienns. Autrefois, il s’était nommé Navraks, mais ces quelques syllabes avaient tant évoqué de violence et de sang qu’il avait été décidé de le changer dans l’espoir d’effacer le passé obscur. Les autres civilisations, d’abord réticentes, s’y attelèrent bien vite, mais n’eurent pas le temps de profiter de ce changement et de ses biens faits.

Au moment du sacrifice des Anciens, Asthen n’avait suivi qu’une infime partie de l’entraînement militaire et, avant même qu’elle puisse aspirer à terminer sa formation, l’armée fut dissoute. Elle n’avait donc jamais vu la guerre et ne pouvait qu’en imaginer l’horreur en lisant les grimoires dans lesquels les soldats avaient décrit leurs expériences terrifiantes.

Les Navraks détruisaient tout sur leur passage, pillaient des villes entières, saccageaient et répandaient la mort dans leur sillage. Un peu comme leur nouvel ennemi, bien qu’il ne semble pas vouloir les détruire en tant que tel et ses réelles intentions restaient, même après tout ce temps, un mystère.

Asthen s’avança jusqu’à un miroir ovale suspendu au mur et se contempla dans la surface réfléchissante comme elle le faisait chaque matin. Sa peau hâlée aurait dû pâlir à cause du changement de climat de l’Orage Obscur, mais avait été figée dans le temps, inchangée.

Là où régnaient désormais des dunes de sable froid et noir se tenait autrefois une forêt luxuriante d’une fertilité incroyable, mais aussi remplie de dangers. Ces mêmes dangers qui avaient forcé les Navraks à se tourner vers la guerre pour survivre. Aujourd’hui, grâce à Dhavir, leur nouveau dirigeant, et ses conseillers, les Ilesienns ne recherchaient plus à survivre, mais bien à vivre malgré leurs conditions difficiles.

Désormais, ils cultivaient la terre dure et construisaient leurs habitations à l’aide d’une brique bleue, que les Anciens avaient ramenée d’une de leurs conquêtes et qui filtrait l’air de chacun des foyers. Dhavir avait réussi l’impossible en mettant en place un système de chauffage et, même si le pourquoi du comment restait un mystère pour tous ceux qui ne siégeaient pas au conseil, tous avaient été heureux de pouvoir se réchauffer correctement chez eux.

Mais bien que tout cela fut mis en place, les Ilesienns ressentaient toujours la faim et le froid pour une raison inconnue. Peut-être était-ce pour leur rappeler leur humanité ?

Asthen continua à se contempler dans la glace, comme si elle souhaitait à tout prix y voir apparaître quelque chose qui sortait de l’ordinaire, comme un signe que cette journée serait moins monotone que les autres. Pourtant, seuls ses grands yeux aux iris vert clair la fixaient en retour. Sa bouche rosée était fine et son menton pointu, ce qui lui donnait un air sévère. Ses cheveux châtains étaient traversés d’éclats roux et leur teinte se rapprochait de celle de sa peau. Elle inspira profondément et ses narines se dilatèrent.

Puis, elle attrapa un petit bol rempli d’une teinture bleue, posée sur la table dédiée à ses ancêtres, et plongea l’index et le majeur de sa main droite dans le liquide épais. Elle traça un trait droit le long de la séparation de ses cheveux, allant de l’avant à l’arrière de son crâne. Ce rituel quotidien montrait aux Anciens que leur peuple était toujours à leur service et depuis les cieux, ils verraient que le dévouement de leurs sujets ne décroissait pas. La légende disait aussi que ceux qui ne suivaient pas cette règle se verraient déshonorés pour l’éternité.

Bien sûr, Asthen n’en croyait pas un mot, mais elle se pliait tout de même à cette coutume par habitude, car c’était ainsi qu’elle se devait de vivre.

— Moi, Ilesienne, accueille ce nouveau jour, marmonna-t-elle en fermant les yeux.

Chapitre 2

Des milliers d’individus sillonnaient les rues de Karpali. Certains portaient des tenues constituées d’un grand nombre de couches de tissu épais. D’autres, comme Asthen, préféraient enfiler des combinaisons grises récupérées dans une des villes que leurs éclaireurs avaient découvertes après l’Orage Obscur : celle des Vams. Des explorateurs chevronnés qui étudiaient la nature et vivaient au cœur des montagnes. Grâce à leur technologie, ils avaient su élaborer des combinaisons qui les protégeaient des intempéries et des blessures. Leur matière lisse et épaisse était indestructible, mais peu efficace contre le froid. Néanmoins, au fil des décennies, de plus en plus d’Ilesienns, comme Ashten, avaient adopté cet habit confortable et près du corps.

Elle serra ses poings gantés et observa ses épaisses bottes grises. Autrefois, elle avait pu fouler le sol de ses pieds nus. À présent, sa peau serait recouverte de gelures en un rien de temps si elle le tentait. Ses joues étaient rougies par le froid et sa respiration formait des nuages de vapeur dans l’air. Et les éclaireurs prétendaient que c’était encore pire au dehors des murs protecteurs de la ville ?

Elle pressa l’allure en voyant son lieu de travail apparaître au loin. Depuis des siècles, elle s’occupait des archives : de larges grimoires qui recelaient les connaissances de la planète entière. Ces ouvrages étaient si précieux qu’un bâtiment entier, dont les portes étaient ouvertes à tous, leur avait été dédié. Contrairement à ce qu’on aurait pu croire, l’immortalité ne fixait pas le savoir. Ce dernier finissait par s’effacer au fil des années.

Asthen avait d’abord été une des scribes à l’origine de ces si précieux écrits. Mais bientôt elle devint archiviste, car, dans leur solitude, les Ilesienns n’eurent plus aucun mot nouveau à coucher sur le papier. Un travail pas des plus animés, mais qui lui permettait de consulter les textes d’antan, de revivre des époques lointaines, de se souvenir du monde sous sa forme d’autrefois, de voyager sans quitter Karpali.

Sur la route, elle salua quelques semblables d’un hochement de tête, sans pour autant s’arrêter pour leur parler. Les années monotones et les évènements l’avaient éloignée de tout contact social.

Au-dessus de sa tête, le soleil éclairait la ville de ses rayons, mais aucune chaleur ne provenait de cet astre si puissant. À chaque lever ou coucher, le ciel était envahi de teintes bleues au lieu des couleurs rouges et oranges que tout le monde avait tant aimé. C’était comme si l’Orage Obscur avait réussi à modifier non seulement la surface de la planète, mais également son atmosphère.

Les bottes d’Asthen produisirent un cliquetis répétitif sur le sol en pierre grise de la route principale. Elle avait hâte de pouvoir enfin entrer dans le foyer chaleureux des archives. Là-bas elle pourrait enlever sa combinaison et sentir les pages des grimoires frôler la pulpe de ses doigts.

Les archives se résumaient à une bâtisse avec une hauteur sous plafond de trois mètres dont chaque mur était tapissé d’étagères en pierre bleue. Des milliers d’ouvrages y étaient soigneusement conservés, chouchoutés par d’anciens scribes. Ceux-ci, au nombre de vingt, occupaient tous des bureaux disposés dans une seule grande pièce. Il n’y avait pas de hiérarchie officielle, mais comme partout certains s’imposaient naturellement plus que d’autres.

En arrivant, Asthen salua ses collègues un à un et ils lui répondirent par des sourires bienveillants. Bien qu’elle ne soit pas sociable, elle faisait tout de même des efforts pour s’intégrer. Du moins, pendant ses heures de travail.

— Asthen ! Je te cherchais ! l’interpella soudain une femme grande et svelte.

Ses cheveux noirs coupés en carré plongeant vaguaient autour de son visage blanc. Ses yeux bleus et sa bouche pulpeuse étaient ses deux caractéristiques les plus mémorables et faisaient d’elle la plus belle employée des archives. Toutefois, elle préférait jouer de son intelligence plutôt que de ses charmes.

— Bonjour, Citha, lui répondit Asthen de la façon la plus enjouée possible.

— Aujourd’hui, on t’a assigné une mission un peu spéciale.

Citha lui tendit l’épais grimoire qu’elle tenait entre les mains.

Asthen l’avait feuilleté le jour précédent, redécouvrant ainsi des légendes au sujet des peuples du Nord et de leurs dieux si fascinants. Des êtres si forts qu’ils ne craignaient pas la mort, mais la voyaient comme une étape nécessaire à la vie. Cela signifiait-il que les Ilesienns n’étaient pas réellement vivants ?

— Tu dois aller le livrer à un membre du Haut Conseil.

Asthen fronça les sourcils. Elle allait s’aventurer dans les tours sacrées du conseil ? Pourquoi elle ? C’était un tel honneur de s’y rendre que n’importe qui se serait battu pour pouvoir s’occuper de cette mission !

— Le haut conseiller t’attend à l’entrée de Karpali. Il supervise l’arrivée d’une cargaison venue de l’extérieur.

La déception envahit aussitôt l’Ilesienne. Elle ne verrait pas les tours de sitôt. Elle se força tout de même à sourire et à accepter le grimoire en se préparant mentalement à braver de nouveau le froid extérieur. Au moins, ça changeait de sa routine d’archiviste.

Chapitre 3

Ashten ne s’était pas attendue à devoir se déplacer pour remettre le grimoire à celui qui souhaitait le lire. Et encore moins le livrer à un des dix membres du Haut Conseil Ilesienn ! Bien sûr, elle les avait déjà aperçus lors des rassemblements publics, mais ils n’étaient pas du genre à sortir beaucoup. D’après les rumeurs, ils ne quittaient les trois immenses tours qui leur étaient dédiées, en plein cœur de la ville, qu’en cas d’urgences. Cette cargaison que les éclaireurs avaient récupérée était-elle si importante ?

La jeune femme se mouvait dans la foule de façon si souple qu’on aurait pu croire qu’elle n’était qu’une ombre. Son corps si jeune et agile était riche de son début de formation au sein des forces militaires des Anciens et elle savait passer inaperçue lorsqu’elle le souhaitait.

Bien qu’elle soit en vie depuis plus de cinq cents ans, elle ne connaissait pas tous les habitants de Karpali. Son métier l’avait déjà amené à côtoyer certains membres moins importants du premier quartile du conseil, composé de près de cent sujets impatients de siéger à la table des mythiques dix Hauts Conseillers. Des places qui ne se libéraient d’ailleurs que très rarement. Un seul d’entre eux avait succombé à une attaque de Morts des Sables et avait été remplacé avec grande hâte.

Asthen avait autrefois aspiré à jouer un rôle important dans sa société et, bien qu’elle aime son travail, son échec avait toujours un goût amer. À chaque fois qu’elle assistait aux rassemblements, tenus sur la grande place en face des trois tours, elle ne pouvait s’empêcher d’être émerveillée par le Haut Conseil lorsqu’il posait ses yeux sur elle. Ou, plutôt, sur le peuple Ilesienn. Dans ses rêves les plus fous, elle aurait aimé qu’on la contemple à son tour avec admiration, mais elle savait que cela n’appartenait pas à son destin. Elle devait connaître et garder sa place.

Comme tant d’autres, elle n’avait jamais oublié le visage de Dhavir depuis la première fois qu’elle l’avait aperçu. Il l’avait tant impressionnée par sa sagesse et sa bienveillance que chaque mot de son premier discours, prônant le pacifisme, avait été gravé dans sa mémoire. Toutes les émotions ayant traversé ses traits ce jour-là paraissaient avoir été épinglées dans son cerveau. Pour les siens, il était comme une légende, un être envoyé par des forces supérieures dans le but de les sauver de la misère. Il avait fait ses preuves, il avait tenu ses promesses, devenant ainsi le meilleur dirigeant que la civilisation Ilesienne ait jamais connu.

Asthen parvint à atteindre le grand portail en pierre blanche de la ville, le seul endroit accessible à d’éventuels envahisseurs et seul point de sortie des Ilesienns. Depuis l’arrivée des Morts des Sables, seuls les éclaireurs avaient quitté l’enceinte de la ville et certains n’étaient jamais revenus de ce périlleux voyage.

Au fil des années, Asthen avait oublié à quoi ressemblait le monde ravagé par l’Orage Obscur. Tout ce dont elle se rappelait était la nature verdoyante de la planète qui l’avait vu grandir avant la catastrophe. Et maintenant qu’elle se trouvait si proche de la sortie, elle fut prise d’une folle envie de jeter un coup d’œil au-dehors. Cependant, ce ne serait possible que si les deux battants de l’immense portail s’ouvraient. Et seul un mécanisme principal pouvait faire bouger les quatre poids colossaux qui gardaient les portes closes.

La matière rugueuse et blanche des parois du haut et long mur protecteur de Karpali s’accordait au bleu clair des habitations, créant un tableau rempli de douceur. Les Ilesienns avaient érigé cette prouesse architecturale trois cents ans auparavant à la force de leurs bras et au prix de leur sueur. À l’époque, l’urgence de la situation, de la survie, leur avait fait oublier la douleur et la fatigue et chaque pierre du mur qui s’étendait à des kilomètres autour de la ville formait un bouclier inestimable.

La femme jeta un coup d’œil discret autour d’elle, le grimoire fermement serré dans ses bras. Ces quelques pages valaient plus que n’importe quelle vie, elles décrivaient les cultures de civilisations perdues et si elles venaient à disparaître, tout ce savoir s’évanouirait, comme s’il n’avait jamais existé. Du moins, tout sauf ce qu’Asthen avait réussi à mémoriser lorsqu’elle l’avait écrit, puis relu à maintes reprises. Elle était d’autant plus mal à l’aise qu’en temps normal, aucun grimoire ne quittait les archives. Jamais. Toutefois, la question ne se posait pas quand la demande provenait d’un des Conseillers.

— Je crois que c’est moi que vous cherchez, intervint soudain une voix féminine.

Asthen se retourna d’un coup sec, surprise. Elle vit devant elle une femme aux longs cheveux noirs tressés. Sa peau lisse et foncée luisait sous les rayons du soleil. Une telle autorité émanait d’elle qu’Ashten comprit vite que c’était bien elle qu’elle cherchait. Ses yeux d’un marron doré paraissaient sonder son âme et la mirent mal à l’aise.

Pas une seule seconde avait-elle pensé que le destinataire puisse être une femme ! Une erreur stupide puisque femmes comme hommes siégeaient au Haut Conseil.

Elle se rappela aussitôt de la conseillère, se souvenant qu’elle portait une robe rouge écarlate à chacun des rassemblements publics. Asthen l’avait toujours pensée courageuse de se rendre à de tels événements habillée de si peu pour se parer du froid.

— Bheris ! l’interpella un homme qui se trouvait juste à côté du portail d’entrée.

La principale concernée lui adressa aussitôt un hochement de tête. L’inconnu fit signe à un de ses collègues de faire descendre les poids et les deux battants blancs se mirent à bouger lentement.

— Attends ici, marmonna-t-elle à Asthen, avant de s’éloigner en direction de l’entrée de la ville.

Elle cria des instructions à ceux qui l’entouraient, bientôt couverts par le vacarme des pierres, du sable et des poids.

Peu à peu, l’extérieur apparut devant les yeux des habitants. Des dunes d’un menaçant sable noir et doré. À l’infini s’étendait un désert glacial qui tuerait n’importe quel imprudent osant y mettre les pieds. Les montagnes de grains froids étaient encore plus impressionnantes qu’Asthen ne l’avait imaginé.

Elle avait oublié à quoi ressemblait ce désert né de l’Orage Obscur. Il ne s’agissait en aucun cas d’une plaine recouverte de plaques de glace et de neige, comme cela aurait dû être le cas en raison des températures extrêmement basses. Mais au contraire, le désert s’étendait en vagues chaudes, presque accueillantes.

Soudain, alors que le passage fut entièrement ouvert, un coup de vent furtif s’infiltra à l’intérieur de la ville. Son souffle hypnotisa Asthen tandis que les effluves chauds et floraux assaillaient ses narines. Qu’est-ce que ça lui avait manqué !

Elle ferma les yeux et inspira profondément pour se délecter de cette si mystérieuse apparition.

— Asthen.

Chapitre 4

— Ashten, répéta une voix douce et envoûtante.

À son prénom, elle ouvrit les yeux et fut alors incapable du moindre mouvement. Peu importe combien elle tentait de s’en échapper, son regard resta rivé sur les dunes si obscures et scintillantes à la fois. Leur surface était recouverte de noir et d’or, deux teintes qui se contrastaient autant qu’elles se complétaient. L’obscurité et la lumière.

Elle sentit le vent s’immiscer dans sa bouche, dans ses narines, comme pour la posséder et fut incapable de renoncer à son toucher enivrant.

L’unité d’éclaireurs franchit l’entrée de la ville avec la cargaison mystère, mais Asthen n’y prêta pas attention. Ils n’étaient qu’une tache floue dans son champ de vision. Elle avait l’impression d’être réchauffée par une puissance inattendue, d’être bercée par une présence maternelle remplaçant celle qu’elle avait perdue.

— Asthen.

La voix mystérieuse, quant à elle, l’alarma. Elle résonnait sous son crâne, comme si elle s’était nichée dans son esprit. Soudain, une main se posa sur son épaule et la transe fut brisée. La femme expira d’un seul coup, remarquant ainsi qu’elle avait retenu son souffle. Son organisme fut envahi par une vague de froid qui la frappa tel un coup de fouet. La chaleur et l’odeur florale s’évanouirent comme si elles n’avaient jamais existé.

Ses muscles se tendirent et elle secoua la tête en se tournant vers celle qui venait d’interférer. De quoi exactement venait-elle d’être victime ?

— Tout va bien ? lui demanda Bheris en fronçant les sourcils.

Elle avait l’air inquiète, mais son interlocutrice se dépêcha de la rassurer et repoussa sa confusion au plus profond de son esprit. Elle s’en occuperait plus tard. Seule.

— Oui, ça faisait longtemps que je n’avais plus vu l’extérieur.

— C’est impressionnant, n’est-ce pas ? Un seul orage a réussi à changer le paysage et le climat à l’échelle planétaire. Même notre style de vie en a été chamboulé.

Asthen hocha la tête. En l’espace de quelques années, les existences des Ilesienns avaient changé pour le pire, hantées par la frayeur de la mort, celle des Morts des Sables.

— C’est étrange de voir à quel point ces dunes destructrices sont belles. Elles ont englouti notre végétation, détruit notre planète et ses civilisations, mais n’ont rien d’effrayant de loin. Elles sont presque…

— Apaisantes, compléta Bheris en acquiesçant.

Pendant de longues secondes, les deux femmes se regardèrent dans les yeux. Asthen ignorait si ressentir de la fascination face à un monde ravagé était une bonne chose ou non. Elle espérait que oui. Puis, après un lourd silence, elle comprit que son interlocutrice n’attendait qu’une chose : qu’elle lui remette le grimoire. Alors, Asthen s’exécuta et le lui tendit de ses deux mains.

Bheris ouvrit le livre épais et sourit en contemplant la page de titre. Les peuples et mystères de l’hémisphère Nord. Partie 2. Asthen avait rempli certaines de ses pages d’encre, mais ne se souvenait plus exactement desquelles. Bientôt trois cents ans la séparaient de son passé de scribe.

— Merci. Ce deuxième volume nous aidera à comprendre les particularités des zones dans lesquelles nous avons échoué auparavant. Il nous faut nous assurer que, la prochaine fois, les éclaireurs nous reviendront tous en vie. Et ce avec le double de la cargaison d’aujourd’hui. C’est étonnant de voir à quel point l’équipement que certaines civilisations ont laissé derrière elles est en bon état, même après trois siècles d’abandon total.

Bheris referma l’ouvrage d’un coup sec et inspira l’air froid avec un sourire aux lèvres. La porte menant vers le désert se referma à la même allure qu’elle s’était ouverte, coupant de nouveau les Ilesienns du reste de leur planète.

Puis, en regardant aux alentours, Ashten remarqua enfin que deux silhouettes étaient allongées par terre, recouvertes partiellement par de grands tissus bleus. Les visages des jeunes hommes étaient figés, les yeux et la bouche grands ouverts. Ils paraissaient appeler au secours de toutes leurs forces. Malheureusement, leurs cris de détresse ne seraient jamais entendus. Il n’y avait pas le moindre doute : les Morts des Sables leur avaient ôté la vie.

Le cœur de la femme se serra. Ça faisait si longtemps qu’elle n’avait plus été confrontée à cette réalité, à la vulnérabilité de son peuple. Cependant, elle ne laissa rien paraître de l’angoisse qui coulait dans ses veines.

« Il nous faut nous assurer que, la prochaine fois, les éclaireurs nous reviennent tous en vie. » Les paroles de Bheris prirent tout leur sens à présent.

Asthen avait été si captivée par le sable, le vent et la voix qu’elle n’avait même pas remarqué qu’on avait franchi l’entrée avec des cadavres sur le dos ! Les autres éclaireurs de l’équipe, dont les visages étaient entièrement recouverts de leurs masques noirs, composés de la même matière que celle des combinaisons résistantes qu’ils portaient, inspectaient leur cargaison en ouvrant les caisses en métal qu’ils avaient rapportées d’une cité lointaine et ravagée.

Ils étaient équipés des meilleures technologies découvertes par les Ilesienns et avaient pour objectif de récupérer autant de matériaux utiles que possible pour aider leur peuple. Que ce soit pour cultiver la terre ou pour élaborer de nouvelles combinaisons.

Lorsqu’ils enlevèrent leurs masques, leurs yeux vides contrastèrent avec les sourires qui ornaient leurs lèvres. Ils avaient rencontré la mort, mais ce n’était pas la première fois. Beaucoup d’entre eux avaient combattu dans les sanglantes batailles des Anciens avant de devenir immortels. Ils avaient été entraînés pour devenir des machines de guerre sans pitié, mais la tristesse sur leurs visages épuisés ne pouvait plus être camouflée. Ils avaient perdu deux de leurs camarades en une seule expédition et, bien qu’ils connaissent les risques du métier, un être vivant ne s’habituait jamais entièrement au poids qu’engendrait un décès. D’autant plus quand on pensait avoir définitivement repoussé la mort.

Lorsque son regard rencontra celui d’un d’entre eux, ses muscles se tendirent : Neth. Celui qu’elle avait un jour cru être l’homme de sa vie se tenait à quelques mètres d’elle, mais leur amour n’avait pas survécu aux aléas du passé. Toutefois, bien qu’ils ne se soient plus parlé depuis des siècles, elle était soulagée de voir qu’il venait de rentrer sain et sauf à Karpali. Elle ignorait combien de temps il avait passé en dehors des murs, mais, à en juger par l’absence de la couleur bleue sur sa chevelure, plus d’une journée. Seuls les plus doués parvenaient à survivre aussi longtemps en dehors des murs sans croiser la route des Morts des Sables, ou se perdre pour l’éternité entre les dunes. Asthen détourna le regard, tandis que Bheris avança vers les deux corps allongés au sol et s’accroupit auprès d’eux. On lui apporta un bol de liquide bleu, qu’elle se devait d’appliquer sur leurs cheveux, et ne tarda pas à réaliser le rituel des anciens pour honorer ceux qu’ils avaient perdus.

— Nous, Ilesienns, envoyons à votre rencontre deux de nos braves héros tombés au combat, prononça la conseillère à haute voix.

Si les Anciens veillaient vraiment encore sur leurs sujets, ils accueilleraient les âmes des défunts les bras grands ouverts. D’après eux, tomber au combat était la plus honorable façon de succomber.

Chapitre 5

Asthen était assise sur son lit, fixant le mur vierge face à elle. De temps à autre, son regard s’aventurait sur l’autel qu’elle avait créé pour les Anciens et elle se demanda s’ils avaient vraiment accueilli les âmes des éclaireurs défunts. Le souvenir de leurs cadavres hantait encore son esprit.

Elle aurait aimé regarder dehors, mais pour des raisons pratiques, son habitation constituée d’une chambre, d’une salle de bain et d’une salle à manger, ne possédait pas de fenêtres. Cet aménagement, identique à toutes les habitations de la ville, empêchait le froid d’entrer.

En temps normal, elle aimait être coupée du monde, pourtant, ce soir-là, le silence la mit mal à l’aise. Elle était angoissée à l’idée que la voix se manifeste à nouveau dans son esprit.

Après cet événement inattendu, Asthen était retournée aux archives avec comme seule image en tête les dunes glacées qui encerclaient Karpali. L’absence du vent chaud laissait un vide déchirant derrière elle.

Assise sur son matelas constitué de plumes blanches et de tissu satiné, la femme entoura ses jambes de ses bras. Elle scruta la pièce et fut traversée par des frissons malgré la chaleur ambiante. Les images des deux cadavres revinrent hanter son esprit avant qu’elle ne décide de s’allonger et de se mettre sur le ventre pour tenter d’oublier ce qui l’entourait. Comme reliée à son organisme, la lumière de la pièce diminua d’intensité au fur et à mesure qu’elle sombrait dans le sommeil. Une lumière dont seul Dhavir détenait le secret.

Asthen soupira et sentit tous ses muscles se détendre, avant d’être emportée par la fatigue.

— Asthen.

Elle ouvrit aussitôt les yeux, surprise. Elle se redressa avec hâte et regarda autour d’elle pour voir si quelqu’un lui jouait un mauvais tour. La pièce était vide.

Asthen se leva en se frottant les yeux, et se dirigea vers le miroir ovale suspendu au mur comme elle le faisait chaque matin. Elle ignorait quelle heure il était, mais son horloge biologique la poussait à ouvrir les yeux à l’heure précise à laquelle il lui fallait se lever pour être à l’heure au travail.

Une des choses les plus pratiques de l’immortalité qui leur avait octroyé était qu’il était devenu inutile de se laver. Les corps des Ilesienns ne sécrétaient plus de fluides : ils ne pouvaient donc jamais se déshydrater ni suer. Toute forme d’eau était enfermée dans leurs corps et, même lorsqu’ils fournissaient des efforts considérables, elle ne sortait plus par leurs pores. Ils étaient donc épargnés par la soif et cela permettait au peu d’eau potable qui sortait de la source de la ville d’être, selon Dhavir, utilisée pour cultiver la terre. Seuls les éclaireurs avaient le privilège de la sentir couler sur leurs peaux en tant que récompense suite à leurs longues et dures expéditions.

En soi, les Ilesienns n’avaient pas non plus besoin de se nourrir afin de survivre, mais, pour une étrange raison, la sensation de faim les tiraillait toujours. Il leur avait donc fallu trouver un moyen de la faire disparaître en s’alimentant. L’avantage de leurs digestions très lentes était qu’ils parvenaient à s’abstenir de se nourrir pendant plusieurs jours sans ressentir de manque. Bien qu’ils aient un jour été humains, ils ne l’étaient plus vraiment à présent.

Lorsque Asthen se contempla enfin dans la glace, elle remarqua que quelque chose avait changé. Sa peau hâlée était plus étincelante, ses yeux verts étaient plus obscurs et ses cheveux châtains avaient été tressés comme ceux de Bheris. Des traits de pigments dorés recouvraient son front et ses paupières.

Elle regarda autour d’elle et remarqua pour la première fois que l’autel qu’elle dédiait aux Anciens avait disparu.

— Asthen.

Des sueurs froides parcoururent son échine et elle déglutit en serrant les poings. Sur un coup de tête, elle se dirigea vers la porte de son foyer pour prendre l’air, se changer les idées. Elle ouvrit le battant d’un coup sec sans même avoir mis sa combinaison et se prépara à être agressée par le froid.

Au lieu de cela, une rafale chaude la frappa en plein visage, la forçant à fermer les yeux. Du sable noir et doré, insaisissable, s’immisça dans ses cheveux et ses voies respiratoires. Elle toussa, mais impossible de s’en défaire.

— C’est le futur.

La voix était toujours là, ancrée dans son esprit, résonnant dans sa tête. Lorsqu’elle rouvrit les paupières, elle fut confrontée à un spectacle inattendu.

La ville entière était vide. Sa pierre bleue était devenue beige et du sable noir et doré jonchait le sol. Au loin, un orage colorait le ciel d’une obscurité menaçante. La vue était d’autant plus surprenante qu’Ashten ne contemplait pas la ville du pas de sa porte, mais du balcon des chambres mythiques de Dhavir. À cette hauteur, elle parvenait à observer chaque recoin de Karpali et même ce qui se trouvait au-delà de mur qui l’entourait : un désert s’étendant à l’infini.

Elle remarqua alors que ses doigts collaient. Elle baissa les yeux et regarda ses mains, les sourcils froncés.

Elles étaient teintées de sang.

— Tue-les tous.

Ses paupières s’ouvrirent d’un seul coup et avec elles s’alluma la lumière de la pièce. Asthen était hors d’haleine, encore hantée par ce que la mystérieuse voix venait de lui murmurer et de lui montrer dans son cauchemar. Est-ce qu’elle devenait folle après toutes ces années d’existence ?

Elle espérait que tout cela ne soit qu’un rêve, mais sut au plus profond d’elle-même que ce n’était pas le cas.

Chapitre 6

Le jour de la grande récolte était arrivé. Une fois tous les quatre jours, on distribuait les résultats des cultures aux Ilesienns. Chaque jour de travail s’étendait du lever au coucher du soleil et la nuit était si froide qu’il était impossible pour les habitants autres que les éclaireurs de s’aventurer dehors.

Avant l’Orage Obscur, un quart de l’année, la ville plongeait dans le noir total et un autre quart, elle était illuminée toutes les heures par les rayons du soleil. Les deux autres quarts faisaient office de transition entre les deux périodes et équilibraient lumière et nuit. Depuis, ces quatre périodes avaient laissé place à des jours identiques et monotones qui comptaient toujours autant d’heures éclairées par le soleil que d’heures obscurcies par un ciel indigo.

Il avait donc fallu réorganiser le calendrier Ilesienn pour donner un nouveau rythme à la vie quotidienne. Ainsi, le conseil décida de mettre en place un cycle fixe de quatre jours dans le but de pouvoir compter à nouveau l’avancement des années. Dans ce nouveau calendrier, chaque année était constituée de quatre séquences de vingt-cinq cycles, l’équivalant de semaines. Chaque cycle comptait quatre jours, donnant donc un total de cent jours par séquence. Soit quatre cents jours en un an. Depuis la mise en vigueur du système, Asthen avait eu le temps de s’y faire.

Ce jour-là était le premier du S3 C14 de l’année 300 du nouveau calendrier et l’on remettait, toute la journée durant, les paniers d’aliments à ses sujets au cours d’un rassemblement public : la grande récolte.

Alors qu’elle se positionna devant son miroir, Asthen eut peur de voir apparaître sur son front les pigments dorés de son rêve. À son grand soulagement, ce ne fut pas le cas. Ses cheveux n’étaient pas tressés et ses iris avaient repris leur couleur claire.

Tout allait bien.

Elle attrapa le bol de teinture bleue et l’appliqua en silence sur sa raie. Puis, elle se positionna devant l’autel des Anciens, afin de leur rendre hommage. Elle eut l’impression que l’atmosphère s’alourdissait au fil des secondes et sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Malgré cela, elle ferma les paupières.

— Nous, Ilesienns, vous remercions pour votre sacrifice et votre courage. Nous vous honorerons chaque jour jusqu’à la fin des temps.

Les Anciens la protégeraient et chasseraient ses cauchemars tant qu’elle leur restait fidèle. Les autres y croyaient, ce devait être vrai. Du moins, l’espérait-elle.

— Asthen.

Le souffle de la femme resta bloqué dans sa gorge. La voix était toujours là, nichée sous son crâne. Étrangement, elle ne sût pas déterminer si ce dernier était une femme ou un homme ni s’il était seul ou si plusieurs entités l’accompagnaient.

Elle continua à invoquer les Anciens dans l’espoir qu’ils la chasseraient.

— Moi, Ilesienne, accueille ce nouveau jour, prononça-t-elle d’une voix plus forte qu’à son habitude.

— Le dernier jour.

Prise de frissons, Asthen se mit en mouvement et s’empressa d’enfiler sa combinaison. Aussi vite que le vent, elle quitta sa maison pour rejoindre la cérémonie de la grande récolte. Et, l’espérait-elle, pour s’éloigner de cette voix venue des sables.

Alors qu’elle traversait la ville, toujours majoritairement endormie, Asthen se demanda de quels aliments son panier serait composé. Ils n’étaient jamais deux fois identiques au cours d’une même séquence.

Seuls ceux qui travaillaient aux halles fertiles savaient comment une telle diversité alimentaire était en mesure d’exister sur des terres presque désertiques. Les halles en question étaient situées dans la seconde moitié de Karpali et occupaient autant de place que les habitations des dix mille Ilesienns. Mais s’y rendre était impossible puisqu’il fallait traverser les tours du conseil pour les atteindre. Ces dernières coupaient la ville en deux et accueillaient les couchages des membres du Conseil. Bien sûr, plus l’étage de la chambre était élevé, plus la personne était importante. Dhavir siégeait donc tout en haut de la bâtisse du milieu.

Là où Asthen se tenait dans son cauchemar.

Elle secoua la tête et avança jusqu’à la place de rassemblement sur laquelle la grande récolte avait lieu. Seule une poignée de citoyens s’y trouvait à cette heure si matinale et les Hauts Conseillers ne s