La Promesse du Dragon - Elin Bakker - E-Book

La Promesse du Dragon E-Book

Elin Bakker

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Beschreibung

Un dragon libéré Une servante sauvée Le chaos a été réveillé Melinn sert le mystérieux ordre de Kashin. Enfermée dans leur temple depuis près de treize ans, la jeune femme vit dans la servitude et le renoncement. Toutefois, lorsque son extravagante maîtresse décède au cours d'un rituel étrange, la vie de la jeune servante bascule. Elle devra être sacrifiée pour la ramener à la vie ! Pour échapper à son sort, Melinn décide de passer un pacte avec Aïko, un esprit retenu captif par l'ordre de Kashin depuis des décennies : sa vie contre sa liberté. Le marché est simple, mais les apparences sont trompeuses. Surtout lorsque l'esprit en question est voué à détruire le monde.

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Seitenzahl: 304

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DISCLAIMER

Les légendes présentes dans ce roman ont été

inventées ou réinterprétées.

Ce ne sont en aucun cas les mythes d'origine.

L'univers peut s'effondrer tant que nos rêves tiennent debout...

Sommaire

PROLOGUE

CYCLE 1 : LE FEMPLE

Chapitre 1

Chapitre 2

Chapitre 3

Chapitre 4

Chapitre 5

Chapitre 6

Chapitre 7

Chapitre 8

CYCLE 2 : TYGHI

Chapitre 9

Chapitre 10

Chapitre 11

Chapitre 12

Chapitre 13

Chapitre 14

Chapitre 15

Chapitre 16

Chapitre 17

Chapitre 18

Chapitre 19

CYCLE 3 : LA VALLÉE

Chapitre 20

Chapitre 21

Chapitre 22

Chapitre 23

Chapitre 24

Chapitre 25

Chapitre 26

CYCLE 4 : UNGAN

Chapitre 27

Chapitre 28

Chapitre 29

Chapitre 30

Chapitre 31

Chapitre 32

Chapitre 33

Chapitre 34

Chapitre 35

Chapitre 36

CYCLE 5 : LE PALAIS

Chapitre 37

Chapitre 38

Chapitre 39

Chapitre 40

Chapitre 41

Chapitre 42

Chapitre 43

Chapitre 44

CYCLE 6 : LE LAC

Chapitre 45

Chapitre 46

Chapitre 47

Chapitre 48

Chapitre 49

Chapitre 50

Chapitre 51

Chapitre 52

Chapitre 53

Chapitre 54

Chapitre 55

Chapitre 56

ÉPILOGUE

BESTIAIRE

L'ESPRIT DU DRAGON

KITSUNE

NEKOMATA

KODAMA

ROKUROKUBI

OTOROSHI

USHIONI

NUPPEPPO

YUKI ONNA

BIOGRAPHIE - ELIN BAKKER

CATALOGUE DE LA MAISON

PROLOGUE

Que ses yeux piègent en eux la richesse de la terre.

Une prière est comme un souffle, elle est emportée par le vent. Ses mots sont consumés par le temps. En fin de compte, il n'en reste pas bien plus qu'un souvenir, mais la mémoire finit aussi par céder un jour ou l'autre. Ainsi, une prière devient un secret.

Que son souffle soit plus puissant que les tornades des anciens.

Mais qu'est-ce un souvenir ? Une suite d'images ? De sentiments ? Certains n'en possèdent pas, certains les repoussent.

Que le brasier se répande dans ses mots tranchants.

Les paroles, elles, peuvent laisser des marques indélébiles. Telles d'inoubliables cicatrices.

Que l'eau changeante et mortelle prenne la place de son cœur.

Ainsi, par une suite de simples syllabes, ils ont donné naissance à une créature sans précédent. Pris dans une fascination malsaine, ils n'ont cessé d'être émerveillés par le produit majestueux de leur prière. Peu savaient que ce monstre allait dévorer le monde et le parsemer de terreur.

Cette nuit-là, le dragon venait de se réveiller.

CYCLE 1 LE FEMPLE

1

Assise dans la neige, la jeune femme laissa le vent jouer avec ses longs cheveux d’ébène. Elle plissa ses yeux bridés pour mieux résister au blanc aveuglant de la poudreuse qui l’entourait. Les rayons du soleil faisaient scintiller la matière glaciale telle une étendue de cristaux purs.

II faisait froid, mais à peine plus que d’habitude.

Enfermée depuis ses dix ans au cœur des montagnes, Melinn n’avait jamais connu la chaleur de l’été. Perché plus haut que l’œil ne pouvait voir, l’édifice ne profitait que rarement de la chaleur du soleil.

Comme tous les ans, ce sanctuaire, qu’elle entretenait nuit et jour, était désert en cette fin de printemps et d’autant plus en cet unique jour de congé de l’année. Tous s’étaient rendus en ville pour faire des emplettes : de nouveaux tissus, des obis colorées ou encore des kimonos. Tous, sauf Melinn.

L’ordre des Kashin, pour lequel tous les serviteurs travaillaient, leur allouait une somme confortable pour vivre en échange de leur service. Un service qui s’étendait jusqu’à leur dernier souffle. Ou jusqu’à ce que leurs maîtres décident de disposer d’eux. Personne ne quittait l’ordre vivant, car ils en savaient trop. Ils n’étaient tous que des bouts de chair, des objets à l’utilité limitée et Melinn le savait.

Aux yeux du monde, le sanctuaire n’était qu’un temple rouge comme tant d’autres, un lieu où les croyants se recueillaient et rendaient hommage à la terre qui les accueillait. Mais les choses étaient, en réalité, bien différentes.

La température basse fit frémir sa peau pâle, mais elle ne bougea pas. Seul le rouge intense de ses lèvres mordues colorait ses traits et tranchait avec le noir de ses iris et de sa tenue.

Une tache sombre dans ce décor d’une blancheur virginale.

Une brise légère berça les pins et transporta leur agressif parfum jusqu’aux narines rondes de la jeune femme. Des narines semblables au reste de son visage et de son corps. Pourvu d’un physique potelé, Melinn était loin des standards de beauté, mais peu lui importait. Cela ne l’empêchait aucunement d’accomplir sa tâche, celle que l’ordre lui avait confiée, il y a treize ans de cela.

Le calme de la nature environnante l’apaisait, mais dans quelques instants, cette même nature serait prise d’une vigueur nouvelle. Dans quelques instants, la prairie de l’ordre de Kashin serait remplie de fleurs écarlates.

Une fois par an, leurs bourgeons perçaient la neige granuleuse et inondaient le paysage de leurs pétales rouges comme le sang. Ce phénomène ne durait qu’une seule soirée dans l’année, le temps pour ces apparitions chatoyantes de faner sans laisser la moindre trace derrière elles. Un phénomène que tous les serviteurs savaient d’origine surnaturelle.

En effet, tout au long de la journée, leurs maîtres dormaient, plongés dans une profonde transe. Leur âme quittait alors leur enveloppe charnelle afin de s’aventurer dans le ciel. Sous forme de spectres, ils replantaient alors les graines des fleurs de Sayn, ces fleurs de sang, afin qu’elles puissent renaître l’année suivante. Eux seuls possédaient le secret de cette pratique et leurs motivations demeuraient aussi secrètes que leur existence. Seule une légende, contée par l’ordre de Kashin, expliquait leur geste : sans la prolifération de ces fleurs, la survie et la fertilité de leurs terres étaient mises en péril.

Une légende parmi tant d’autres que nul n’avait osé remettre en cause ou questionner. À quoi bon ?

Melinn laissa échapper une volute de vapeur dans le ciel hivernal. Abandonnée à la naissance, elle ne s’était jamais permis de rêver et son sort lui convenait. Toujours assise dans la neige, elle contemplait le paysage silencieux, si différent de son quotidien agité. Pensive, Melinn leva les yeux au ciel. Comme chaque année depuis son arrivée, elle attendait patiemment que les bourgeons pourpres des fleurs de Sayn s’ouvrent. Ces fleurs au cycle de vie aussi éphémère que le sien.

Vendue à l’âge de dix ans, l’enfant s’était rapidement adaptée à sa vie d’employée. Discrète, elle ne s’opposait jamais aux ordres de sa maîtresse pourtant tyrannique, exigeante, désagréable et hautaine. Le moindre faux pas pouvait lui coûter la vie. Lors de son arrivée, on lui avait offert une chambre individuelle, étroite, mais confortable. À l’orphelinat, elle avait dû partager son espace de vie avec une dizaine d’autres enfants. Ici, ses rations de nourriture étaient raisonnables et son futon douillet. Elle savait qu’elle n’avait pas de quoi se plaindre.

Satisfaite, elle entoura ses jambes de ses bras, tout en posant son menton sur ses genoux regroupés.

Le silence l’enchantait. Les oiseaux semblaient s’être réfugiés dans leurs nids en vue de la cérémonie à venir. Plus aucun chant n’emplissait l’air.

L’idée que les esprits de ses maîtres puissent la voir assise au bord de la prairie florale lui traversa l’esprit. Toutefois, cela faisait maintenant plusieurs années qu’elle assistait au spectacle sans qu’on lui adresse la moindre remarque. Ils avaient sûrement des problèmes plus importants à résoudre.

Un coup de vent caressa les joues glacées de la servante. Le soleil du soir projetait ses rayons dorés sur les pics des chaînes de montagnes environnantes, les faisant scintiller de mille feux.

Les fleurs de Sayn ne tarderaient plus à se montrer.

Les autres jours, Melinn devait rester aux côtés de sa maîtresse aussi longtemps que le soleil se trouvait dans le ciel. Une maîtresse difficile à contenter et avec laquelle elle ne communiquait qu’avec de simples mouvements de tête. Parler serait prendre le risque de lui déplaire. Une fois la nuit tombée, elle pouvait enfin contempler les étoiles sans être dérangée. Les heures passées sous la lueur de la lune étaient les seules pendant lesquelles elle trouvait la paix. Au crépuscule, des légendes, mettant en scène de terribles démons, chassaient tous les habitants du pays dans leurs habitations, mais Melinn n’en avait pas peur. Ils l’avaient toujours fascinée.

Parfois, elle enviait leur liberté, mais la cruauté du monde extérieur la ramenait inlassablement dans l’enceinte du temple.

La jeune femme ferma les yeux et profita encore un peu de ce dernier moment de paix, cet ultime instant de solitude et de calme, avant de retrouver son quotidien de labeur.

Seule au milieu des fleurs.

2

Des cris résonnèrent dans les couloirs. Ce n’étaient ni des exclamations de joie ni de satisfaction. Les voix étaient haut perchées et terrifiantes et, même à cette distance, une grande agitation pouvait être perçue dans la salle de réunion du temple. Les maîtres couraient dans tous les sens, pris par la panique.

Aucun d’entre eux n’avait prédit ce qui venait de se produire. Au cœur de la nuit, sous le couvert des étoiles scintillantes qui illuminaient le domaine, un homme svelte et pâle avançait pieds nus dans les couloirs du sanctuaire en bois. On le gardait prisonnier ici, enchaîné par la folie des maîtres de l’ordre de Kashin. On le surveillait étroitement, mais, ce soir-là, ses geôliers étaient bien trop occupés. Un imprévu avait surgi, un imprévu inquiétant dont l’entité se délectait.

Une odeur familière lui parvint alors qu’il poursuivait sa route à pas feutrés. Sa tenue, composée d’un satin écarlate, flottait autour de ses membres souples.

Au bout du couloir brillait une lumière vacillante. Les bougies de cérémonie avaient été allumées et disposées autour d’un corps. Ce ne fut que lorsqu’il s’avança doucement vers l’ouverture de la porte en bambou qu’Aïko aperçut enfin le cadavre aux courbes féminines.

Il se concentra sur la peau livide de la victime afin de voir à travers l’enveloppe charnelle de cette dernière. Aucune âme n’y résidait.

L’homme expira. Ses cheveux noirs mi-longs et ses yeux verts bridés s’assombrirent. Il savait qu’on allait bientôt venir le chercher et qu’il allait devoir obéir à leur folie destructrice. Ce qu’ils lui demanderaient était de l’ordre du surnaturel, de l’interdit, de l’abominable, mais il braverait tout de même la frontière entre la vie et la mort afin de les satisfaire.

Aïko se mit à jouer avec les larges manches de son kimono en satin rouge. Il aimait faire semblant d’interagir avec la matière soyeuse, d’exister dans le monde qui l’entourait. Les étoffes propres à cet univers étaient les seuls objets qui ne passaient pas à travers sa silhouette spectrale, les seuls qu’il pouvait serrer entre ses mains.

Il fronça les sourcils, saisi par l’inquiétude. Le décès d’une maîtresse était à prendre au sérieux. L’ordre de Kashin maintenait l’équilibre des fleurs de Sayn en place et, sans elles, le monde finirait par sombrer dans le chaos et la folie. Même s’ils étaient idiots de penser qu’ils valaient plus que de communs mortels, ils avaient un rôle essentiel à jouer dans l’équilibre du pays et du monde.

L’entité ne se souvenait plus du nombre d’années qu’elle avait passées ici. À vrai dire, la notion de temps lui paraissait futile. Son regard se posa une fois de plus sur la victime. Les mains de cette dernière avaient été posées en forme de croix sur son ventre et sa chevelure avait été relevée en un élégant chignon. Des pétales venaient d’être posés sur ses yeux afin de les cacher. Elle avait l’air paisible, comme endormie.

Quel gâchis ! Son âme aurait pu être un tel régal, mais l’horloge de la vie avait devancé Aïko ! Il continua à observer la scène depuis le couloir. Il n’avait pas le droit de se montrer. Pas maintenant. Pas encore.

— Qu’on fasse appel à l’esprit du dragon ! vociféra soudain un homme chauve au regard sévère et à la corpulence imposante.

Il leva le menton en contemplant les autres maîtres qui se trouvaient à ses côtés. Leur spectateur en eut la chair de poule.

— La prière doit être préparée, argumenta un autre.

Tous s’immobilisèrent.

Ils connaissaient l’enjeu d’une telle incantation.

— Du sang coulera.

Du sang, des âmes, des corps. Rien de tout ceci ne s’arrêterait avant que la soif de pouvoir de l’ordre de Kashin ne soit assouvie. Mais tout avait un prix.

— Aucun problème ! Nous avons déjà une victime en vue.

Ils acquiescèrent en silence. Pas un seul ne s’opposa à la décision. Aïko sourit. Qu’ils étaient bêtes ! La vie des autres ne signifiait rien à leurs yeux, pourtant les leurs n’avaient pas plus de valeur. Un jour, lorsque l’esprit accomplirait la quête qui lui avait été confiée, il y a des centaines d’années de cela, leur tour viendrait.

— Demain, au coucher du soleil, Madame Ghenshi renaîtra ! conclut le grand chauve en désignant la dépouille de la maîtresse.

Ils évoquaient la mort comme si ce n’était qu’une simple formalité. Leurs expressions triomphantes faisaient montre de leur inconscience. Ils appelaient ça de la « magie », mais en réalité c’était un pacte, un marché destructeur passé entre deux individus.

— Nous vivrons éternellement !

Des rires rebondirent en échos. Aïko grimaça. L’immortalité était une malédiction, un supplice infligé à des âmes qui n’en avaient jamais voulu, pourtant eux la désiraient plus que tout.

Une brise anima ses mèches couleur ébène. Ennuyé par le comportement puéril des maîtres et maîtresses, il se détourna de la scène et leva les yeux vers le ciel nocturne visible à travers les fenêtres du couloir en bois. Elles avaient été percées afin d’aérer la structure rectangulaire rouge encadrant une vaste cour. Chaque face du bâtiment était destinée à un public différent. Il y avait les quartiers des servants et des cuisines, ceux des maîtres et des maîtresses, ceux des visiteurs et des apprentis et ceux auxquels on interdisait l’accès.

Aïko inspira profondément.

Seule une poignée de personnes était autorisée à mettre les pieds dans ce couloir. Il était considéré comme sacré, car on y pratiquait les sacrifices et déposait les offrandes. C’était aussi là qu’Aïko aurait dû se trouver à cet instant. Là où on le retenait prisonnier.

Son regard d’un vert émeraude se posa sur l’étang au centre de la cour. À sa surface flottaient des bourgeons de nénuphars fermés à la nuit tombée. Il n’avait encore jamais pu voir leurs pétales colorés. Il n’avait plus vu, non plus, les rayons du soleil depuis des années, des décennies, des siècles même. Seul leur souvenir chaleureux animait encore vaguement son esprit fatigué.

Un immense bonsaï poussait au pied de l’étendue d’eau. Aïko l’avait vu germer, ridicule et frêle, et l’observait aujourd’hui surplombant fièrement la cour. À ses pieds, des herbes médicinales, et une zone entière réservée à un jardin aromatique. Des lys blancs avaient été plantés le long des quatre couloirs perpendiculaires et des senteurs divines envahissaient l’air du jardin. Les chemins, recouverts de gravier, formaient un serpentin gris entre les différents éléments.

L’ensemble semblait tout droit sorti d’une légende.

Soudain, les graviers crissèrent et sortirent Aïko de sa torpeur. À quelques pas de lui, une jeune femme avançait, une poignée de pierres en main et le regard étrangement triste.

Comment pouvait-elle être triste alors qu’elle était libre ? pensa-t-il avant de la regarder disparaître au loin.

Il ne comprendrait jamais les humains.

Il n’était pas comme eux et ne le serait jamais.

En attendant, des affaires plus urgentes l’appelaient déjà.

Car, bientôt, un sacrifice aurait lieu.

3

La cérémonie des fleurs de Sayn avait été ensorcelante, tout comme les années précédentes. Le souvenir de leurs pétales d’un rouge écarlate dansait encore dans l’esprit revigoré de Melinn. Malheureusement, en à peine quelques heures, ces apparitions fanaient et il faudrait attendre un an avant de pouvoir les revoir.

La servante leva le visage au ciel à cette pensée. Les étoiles étaient plus brillantes qu’à leur habitude. Après chaque rituel, elle attendait avec appréhension le retour de sa maîtresse. Cette dernière aimait dormir jusqu’à la fin de la matinée après que son âme a quitté son corps et, à son réveil, encore plus capricieux que les autres, Melinn devait être à son chevet.

Lorsqu’elle se saisit d’une poignée de cailloux, une sensation désagréable s’empara d’elle. Elle joua avec les pierres en tentant de se remettre les idées en place. Tout se passerait bien si elle restait silencieuse et obéissante, comme à son habitude. Elle se devait de garder ses pensées pour elle afin de conserver son poste et, au passage, sa vie.

La jeune femme traversa le jardin en parcourant les chemins de gravier. Ses sandales fines ne protégeaient pas ses pieds des petits éclats tranchants qui s’enfonçaient dans sa chair. Toutefois, elle en fit abstraction et poursuivit sa route.

Une fois arrivée à l’étang, au centre de la cour, elle s’arrêta. Des poissons jouaient dans l’eau transparente, créant des vaguelettes à la surface du liquide. Leurs écailles argentées scintillaient sous les rayons de la lune. Melinn s’installa sous l’immense bonsaï qui surplombait ce spectacle.

Le dos posé contre le tronc, elle leva de nouveau les yeux au ciel.

Les astres étaient fascinants. Elle avait appris à reconnaître certaines constellations grâce aux représentations accrochées aux murs de la chambre de sa maîtresse. Cette dernière les étudiait de temps à autre à des fins occultes.

Le cygne, pensa-t-elle en la cherchant du regard.

Ensuite, elle repéra le poisson et le serpent. Finalement, elle trouva le dragon en forme de S inversé, ensemble de points lumineux époustouflants.

Elle aurait tant aimé en savoir plus sur le ciel, mais entre son séjour à l’orphelinat et celui au sein du temple, on ne lui en avait pas laissé l’occasion. Elle avait été élevée dans le seul et unique but de servir l’ordre de Kashin, voilà tout. À l’écart du monde et même de l’immense vallée avoisinante.

Elle jeta un des cailloux dans l’étang. Les habitants aquatiques, surpris, se réfugièrent dans les coins les plus reculés de l’étendue. Au-dessus d’eux, quelques oiseaux nocturnes gazouillaient tandis qu’une brise agitait les feuilles de l’arbre centenaire. Tout était si paisible.

Une tranquillité qui s’effacerait bien vite, une fois l’aube venue. Melinn serait alors de nouveau captive de son sort.

La jeune femme laissa glisser les autres pierres de ses mains et contempla son reflet brouillé. Parfois, elle en venait à envier sa maîtresse. Elle pouvait se rendre où elle le souhaitait, quand elle le souhaitait. Elle était libre. Infiniment plus qu’elle ne le serait jamais.

Un long soupir s’échappa de ses lèvres avant qu’elle ne décide de quitter l’étang, la tête basse. Il ne lui restait que quelques heures de sommeil avant que sa maîtresse ne se réveille avec de nouvelles lubies plus absurdes et irréalisables que les précédentes. Rapidement, elle regagna sa chambre à pas feutrés sans croiser personne.

Tous avaient une peur bleue de la nuit, mais surtout des yōkai, des démons redoutables réputés pour leur cruauté et leur ruse. Les mythes les dépeignaient comme des monstres cauchemardesques chassant leurs victimes une fois le crépuscule tombé. Le pire d’entre eux était « l’esprit dragon » et rien que son nom suffisait à insuffler la peur dans le cœur des hommes. Et même dans celui des braves soldats qui patrouillaient de nuit pour éloigner les curieux et les indésirables.

Une peur que Melinn ne partageait pas. Ces créatures surnaturelles l’avaient fascinée dès l’instant qu’elle avait posé les yeux sur eux, au cœur des pages d’un livre de la bibliothèque publique de Tyghi, le village que surplombait le sanctuaire. À l’orphelinat, elle avait passé son temps à observer les illustrations des yōkai et, comme elle ne savait pas lire, à écouter leurs récits contés par un ami. Elle n’avait pas peur de leurs pouvoirs ou de leurs malédictions. Après tout, pourquoi s’occuperaient-ils d’une mortelle aussi insignifiante qu’elle ?

Une fois la porte coulissante en bambou de sa chambre fermée, elle expira longuement. À cette heure tardive, n’importe qui aurait pu la dénoncer pour la faire exécuter et prendre ainsi sa place. Si Melinn ne dormait pas, elle ne pourrait pas satisfaire sa maîtresse au mieux. Heureusement pour elle, tous dormaient profondément.

L’espace qui s’étendait devant elle ne faisait pas plus que quelques mètres carrés. Le sol était fait de lamelles de bois et les murs de fines couches de bambou que le moindre son traversait. Un porte-manteau occupait le coin au fond à gauche et servait à suspendre les deux seules tenues que Melinn possédait : le pantalon évasé et le haut ample noir qu’elle portait en faisaient partie, ainsi qu’un kimono simple de la même couleur.

Elle enleva ses sandales usées puis ôta ses vêtements avant de les plier et de les déposer dans un coin de la pièce. À son arrivée, elle avait eu peur qu’on l’observe au travers des nombreux interstices des parois. Néanmoins, elle avait très vite compris que personne ne prêtait attention à elle et avait fait le choix de dormir nue lorsque les températures le lui permettaient.

Allongée dans son couchage moelleux, Melinn, qui aurait dû trouver le sommeil, ne put s’empêcher de garder les yeux ouverts. Son instinct, auquel elle s’était toujours fiée, lui criait que quelque chose n’allait pas. Elle sentit son sang tambouriner contre ses tempes et sa respiration devint plus lourde. Elle était nerveuse. La jeune femme pria que tout se soit bien passé lors de la cérémonie des fleurs de Sayn.

Indirectement, sa vie en dépendait.

4

Le soleil venait tout juste de poindre lorsque Melinn sortit de sa chambre. Vêtue de son kimono noir, elle se dirigea machinalement en direction des cuisines, situées dans le couloir avoisinant.

La jeune femme énuméra mentalement les herbes et épices qui composaient le thé du jour de sa maîtresse. La recette changeait quotidiennement. Aujourd’hui, elle demanderait un thé vert à l’anis, à la cannelle et au miel. Un ensemble très sucré qui se démarquait de celui qu’elle se composait pour elle-même : un thé noir acidulé.

Avec la grâce que procure l’habitude, elle récupéra l’eau bouillante dans la cuve chauffée et piocha les herbes nécessaires dans le panier d’ingrédients qu’elle remplissait toutes les semaines de pousses fraîches.

Les épices, plus rares et coûteuses, étaient quant à elles achetées aux villages des environs par le personnel de cuisine. Un achat qui s’accompagnait souvent d’autres requêtes alimentaires de la part des serviteurs, de quoi agrémenter quelque peu les maigres repas monotones et saisonniers qu’on leur servait : du chou, des fèves de soja, du riz, du poisson maigre.

Après avoir rassemblé sa concoction dans une théière en porcelaine bleue, la préférée de sa maîtresse disposa le récipient sur un plateau en argent. Elle y ajouta quelques gâteaux au sucre et retint un bâillement en sortant de la cuisine.

Les chefs pâtissiers se réveillaient le plus souvent la nuit afin de peaufiner leurs créations. Ils disparaissaient à l’aurore et réapparaissaient au crépuscule. Leurs journées étaient radicalement différentes de celles des autres 2 habitants du temple. Cependant, leur peur des yōkai les poussait à se réfugier dans leur travail jusqu’à l’arrivée du petit matin. Sous le ciel étoilé, seuls quelques soldats patrouillaient à l’extérieur des murs du temple afin d’éloigner les intrus et les curieux.

En traversant la cour, elle remarqua que la branche d’une fleur de lys avait été cassée. Elle s’arrêta à sa hauteur, déposa le plateau au sol puis ramassa la fleur blanche et la déposa à côté de la théière. Le parfum envoûtant diffusé par le pistil plairait à coup sûr à sa maîtresse.

Les premiers rayons du soleil éclairaient progressivement la cour centrale, faisant scintiller la fine couche de neige, tombée il y a quelques heures à peine sur le gravier.

Elle leva la tête et avança jusqu’au couloir du quartier des maîtres. Ses pas peu assurés baignaient dans la lumière projetée des bougies qui parsemaient le sol. Chaque fois qu’elle traversait cet endroit, un indescriptible malaise la saisissait. Elle savait que, même si sa maîtresse l’attendait et la demandait à son chevet, elle ne serait pas contente de la voir. Mais qu’importait.

Melinn prit, comme à son habitude, une grande inspiration quelques pas avant d’atteindre la chambre, mais manqua, un bref instant, de la relâcher.

La porte était entrouverte.

La jeune femme fronça les sourcils et jeta un coup d’œil à la pièce : elle était vide.

Son cœur se serra et un nœud se forma au fond de sa gorge alors que sa salive pâteuse restait bloquée dans sa trachée. Elle ne savait pas quoi faire. La situation était sans précédent. Après un instant de réflexion, elle décida d’attendre afin d’être là lorsque sa maîtresse reviendrait.

Sur le pas de la porte, elle resta immobile, le souffle étrangement court. Son mauvais pressentiment était de retour. Était-ce un test ? Un piège ?

Soudain, des pleurs se firent entendre. Les lamentations provenaient du bout du couloir, derrière une porte encadrée par de larges sculptures dorées. Malgré la curiosité qui la tiraillait, Melinn resta fermement rivée vers la porte de sa maîtresse.

Une bonne domestique ne fouillait pas dans les affaires des autres et encore moins dans celles de ses maîtres. Les plaintes continuaient, mais elle demeura de marbre. Elle ne reconnaissait pas la voix attristée et sa maîtresse pouvait revenir à tout instant. S’absenter serait faire mauvaise figure. Elle ne pouvait pas prendre ce risque.

Au-dehors, le soleil continuait son ascension. Après de longues minutes, il inonda le sanctuaire de ses rayons orangés et réchauffa le dos de Melinn, toujours seule.

Après une plus longue attente encore, une femme aux cheveux grisonnants sortit de la salle qui se trouvait au bout du couloir. Son kimono écru était recouvert de broderies dorées et bordeaux en forme de fleurs. Un fard rosé avait été appliqué sur sa peau pâle et un rouge à lèvres rouge recouvrait ses lèvres fines. Des rides, témoins de son habitude à sourire, se dessinaient aux coins de ses yeux. D’un mouchoir, elle séchait ses larmes.

En remarquant la présence de Melinn, elle lui fit signe d’approcher. La servante obéit sans hésiter.

— Qui attends-tu de si tôt, chère fille ? articula l’aînée d’une voix douce.

— Maîtresse Ghenshi, Madame.

Son interlocutrice parut choquée par ces propos. Silencieuse, elle se gratta le cou.

— Je dois lui apporter son thé matinal, poursuivit Melinn en baissant la tête en signe de respect.

Un thé qu’elle devrait sûrement refaire maintenant qu’il avait tiédi.

— Ta maîtresse ne viendra pas aujourd’hui.

La doyenne se mordit la lèvre, tentant de retenir ses larmes. Face à elle, Melinn, désemparée, ne savait quoi répondre.

— Je te laisse voir par toi-même.

L’aînée s’écarta de son chemin et tendit la main en direction de la pièce qu’elle avait quittée. La jeune femme avança silencieusement, suivant l’odeur d’encens de jasmin qui s’en échappait. Ne sachant à quoi s’attendre, elle jeta un coup d’œil à l’espace immense qui s’étendait sur des dizaines et des dizaines de mètres. Elle avait passé toutes ces années sans savoir que le temple abritait une pièce aussi majestueuse !

À l’intérieur, des centaines de bougies brûlaient, éclaboussant leur lumière sur les murs écarlates illustrés à la feuille d’or. Au centre se trouvait un autel en pierre où était allongé un corps sans vie.

Soudain, un fracas métallique brisa le silence mortuaire. Aux pieds de Melinn, le thé sucré se répandit sur le parquet, s’infiltrant dans le bois veiné.

Le souffle coupé, la jeune femme observait le cadavre de sa maîtresse et semblait presque voir le sien à ses côtés. Elle savait ce qu’il se produirait par la suite.

Son instinct ne l’avait pas trompée.

5

Melinn était assise dans une salle vide. Sa chambre avait été vidée et ses possessions se limitaient désormais au simple kimono qu’elle portait. Les phalanges blanchies par la colère et l’inquiétude, elle attendait.

Qu’allait-elle devenir ?

En réalité, elle le savait très bien. Comme tant d’autres avant elle, elle allait rejoindre la légion de serviteurs inutiles dans l’au-delà, sans un mot, sans un remerciement. Dans l’indifférence la plus totale.

Pourtant, elle ne parvenait pas à y croire. Treize ans de loyaux services, de docilité, qui ne lui apportaient rien : ni considération ni espoir. C’était une déception que le regret de quitter sa minuscule chambre et son thé noir accentuaient amèrement. Ils venaient de lui rappeler que sa vie ne signifiait rien, qu’elle n’avait aucune valeur.

Soudain, la seule porte coulissante de la pièce s’ouvrit. Sur le pas de cette dernière se tenait un homme entièrement habillé de blanc. Son crâne chauve luisait sous les rayons du soleil et son regard sévère fusillait la domestique. Sa peau bronzée, différente de celle de Melinn, indiquait qu’il n’était pas originaire de la contrée.

— Lève-toi, ordonna-t-il.

Elle s’exécuta, les mains jointes sur son ventre en signe de soumission.

— Avance.

Contrairement à son humeur, le pas de la jeune femme était assuré. Elle devait suivre les indications du maître de son plein gré afin de conserver ce qu’il lui restait de dignité. On ne la forcerait pas tant qu’elle obtempérait.

L’homme lui tourna le dos et se mit en marche vers leur destination : le couloir de l’aile interdite. C’était là-bas que la cérémonie aurait lieu, ou plutôt le sacrifice. Tant de domestiques y étaient entrés sans jamais en ressortir. Tous savaient ce qu’il se tramait là-bas et tous avaient fait le choix de l’ignorer.

Melinn manqua trébucher à plusieurs reprises tant ses jambes tremblaient et sa tête tournait. Elle serra les dents en s’aventurant dans la cour intérieure. Le soleil descendait déjà dans le ciel et la nuit ne tarderait plus à tomber. En temps normal, sa maîtresse se serait couchée au crépuscule après avoir pris un bain aux huiles essentielles d’orchidée et d’aloe vera. Le souvenir de ces senteurs fit grimacer la domestique.

Elle ne remplirait plus jamais la baignoire, ne préparerait plus jamais de thé, ne ferait, en réalité, plus grandchose après ce soir. Elle eut un pincement au cœur et avala difficilement sa salive en approchant du lieu de son exécution.

En entrant dans le couloir écarlate, elle remarqua qu’il ne possédait qu’une seule porte. Toute l’aile ne se résumait qu’à une immense pièce interdite.

Son guide chauve rejoignit deux autres maîtres. Ils souriaient, heureux de voir enfin leur victime arriver.

— Maîtresse Ghenshi sera heureuse de ton sacrifice, dit le premier à Melinn.

Le bonheur qu’elle lut sur ses traits était sincère et lui glaça le sang.

— Ton âme aura l’honneur d’être consumée par l’esprit du dragon ! s’exclama le second en levant les bras au ciel.

Les mots se figèrent dans l’esprit de la jeune femme.

L’esprit du dragon ? Elle connaissait ce nom.

— C’est déjà un grand privilège pour une mortelle comme toi de pouvoir le rencontrer !

Un privilège ? Un honneur ? La mort était donc cela à leurs yeux ?

Melinn, démunie et abattue, retint ses larmes. Elle ne leur donnerait pas la satisfaction de voir son désarroi. Si elle tentait de fuir, on l’arrêterait, on lui ferait vivre un enfer avant qu’elle ne serve d’offrande à un prétendu yōkai immortel.

Elle réussit juste à acquiescer calmement et tenta de se rassurer comme elle le pouvait.

L’esprit du dragon était un mythe, une légende contée aux enfants afin de les effrayer.

À la tombée de la nuit, un démon rôde dans les rues d’une ville. Il en choisit une nouvelle chaque soir qu’il terrorise jusqu’à l’aube de sa surnaturelle puissance. Son corps, recouvert d’écailles tranchantes couleur émeraude, scintille alors sous la lumière de la lune et, sur son dos, se trouve une suite de points lumineux pareille à une traînée d’étoiles. Ses quatre pattes courtes possèdent chacune trois griffes en or massif plus tranchantes que n’importe quelle lame et ses yeux verts voient les âmes, tremblantes et sans défense, piégées dans les enveloppes charnelles de chaque créature vivante. On nomme ce spectre cruel et dangereux l’esprit du dragon.

Doté du cœur le plus froid et antipathique qui ait jamais existé, il vagabonde à travers les allées les plus obscures et y assassine ses proies en leur ôtant leur essence de vie dont il se nourrit pour survivre. Ainsi, à chaque fois que le crépuscule pose son voile sur le pays, les habitants ferment leurs volets pour échapper à la cruauté du monstre.

La lumière lunaire donne la force nécessaire à son corps longiligne, similaire à celui d’un serpent, pour se mouvoir dans l’air telle une douce brise. Ce n ’est donc que lors des nuits de nouvelle lune que le yōkai laisse le monde vivre en paix. Chaque mois, lorsque la nouvelle lune arrive, les villages organisent des fêtes nocturnes éblouissantes afin de fêter l'absence de l'esprit du dragon. L’espace d’une soirée, ils s’autorisent à vivre en paix.

Melinn ne put alors s’empêcher de se demander si la légende contenait, en réalité, une part de vérité, et si un tel démon existait vraiment dans l’enceinte du sanctuaire.

— L’heure du sacrifice approche, lui chuchota-t-on.

La jeune femme fut conduite dans une salle encore plus majestueuse que celle dans laquelle elle avait découvert le corps de sa maîtresse. De l’encens de vanille parfumait l’air et deux immenses piliers dorés, dans lesquels avaient été gravées des scènes surprenantes, représentant une femme, un dragon et des fleurs de lys, reliaient le sol et le plafond.

Deux lignes de bougies formaient un chemin vers un bassin d’eau. Une série de grenouilles en argent reposait sur le bord en céramique et des peintures rouges et noires recouvraient les murs en bambou. Au loin, dans un des coins, se trouvait une table basse de cérémonie sur laquelle trônaient une théière et des tasses. Ce n’était pas exactement l’idée que la jeune femme s’était faite de la demeure d’un monstre. Tout était bien trop raffiné et délicat pour pouvoir l’être.

— L’esprit du dragon viendra bientôt vous saluer, murmura l’homme chauve avant de quitter la salle à une allure folle.

Il ne souhaitait visiblement pas se retrouver face à la puissance du yōkai qu’il vénérait tant. Un empressement qui ne fit qu’accroître l’angoisse déjà palpable de Melinn. D’un bruit sec, la porte coulissante fut refermée derrière elle, la piégeant dans l’antre de la bête, là où son existence prendrait fin.

Elle resta immobile pendant ce qui lui parut être une éternité. En silence, les mains poliment jointes sur son ventre, elle attendait que son destin vienne la chercher.

Tout à coup, une forme s’éleva du bassin d’eau. La silhouette s’immobilisa dans l’air, comme suspendue. Melinn se retint de reculer face à ce phénomène qu’elle savait de l’ordre du surnaturel. Ce qu’elle voyait était de la magie, de la sorcellerie, du divin ! Elle savait que de telles choses étaient possibles, que le monde spirituel côtoyait celui des mortels, mais elle n’y avait encore jamais été confrontée de la sorte.

La suivante eut envie de hurler de terreur, mais la panique la pétrifia.

Face à la mort, elle n’eut qu’une pensée : l’esprit du dragon était bel et bien réel.

6

Aïko venait à peine de se réveiller lorsqu’on déposa la victime dans sa chambre. L’odeur sucrée de cette dernière le faisait déjà saliver. Il détestait ces pensées meurtrières et cruelles, mais ne pouvait en nier ou repousser l’existence. Elles se pressaient continuellement contre son crâne. Après tout, il avait été conçu pour tuer.

En échange du sacrifice qu’on lui offrait, il ramènerait maîtresse Ghenshi à la vie. C’était un procédé simple et tout aussi déshumanisant. Une âme contre une âme, une vie contre une vie.

Il ne lui fallut que quelques secondes pour léviter jusqu’à la surface de l’eau et sortir de son bassin. La créature n’avait pas besoin de futon pour dormir et préférait se plonger dans un liquide insonore afin de se couper du monde extérieur. Voilà des années, des décennies, ou peut-être étaient-ce des siècles qu’il était retenu ici. L’eau était son seul havre de paix.