La voix du sang - Anne Lejeune - E-Book

La voix du sang E-Book

Anne Lejeune

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Beschreibung

Pour certains, décembre représente la magie de Noël.
Pour d’autres, ça signifie la perte, la vengeance, le chaos.
Une fête comme vous ne l’avez pas rêvée et un couple à vous faire frémir.
La voix de la raison pourrait-elle devenir La voix du sang ?



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La voix du sang

 

 

 

 

 

Lydia Bigot et Anne Lejeune

 

 

 

Thriller

Images : Pixabay

Illustration graphique : Graph’L

Art en Mots éditions

 

 

 

Prologue

 

24 décembre 1983

 

En plein milieu d’une nuit glaciale d’hiver, éclairé par seulement quelques guirlandes colorées sur la toiture de sa maison, un homme est à genoux au bout de son jardin, en train de recouvrir un trou à mains nues. Ses sanglots, accompagnés d’un flot de larmes, sont déchirants. Il se dit que cette femme mérite mieux comme sépulture, que si leur passé n’avait pas été si sombre, elle y aurait eu le droit.

Son hurlement n’atteint que le silence et pourtant, l’homme ne cesse de demander pardon encore et encore.

Déboussolé, le cœur brisé, il s’excuse avec plus de virulence, tandis que la terre est repoussée pour combler peu à peu l’espace. Il peut toujours voir une main fine, mais froide. Dans un élan de panique, sachant qu’elle va disparaître à jamais, il la tire, ramène le corps entier de la jeune femme brune contre lui. Il l’enserre de ses bras, comme pour la retenir près de lui. 

— Je ne peux pas te laisser, pas maintenant…

De ses doigts, aux ongles maculés de terre dure à cause du gel, il dégage les cheveux pour embrasser le front au teint cadavérique.

Sous ses paupières closes et trempées de larmes, il revoit la scène, son pire cauchemar. Elle défile sous ses yeux et, comme un drogué en manque de sa dope, il observe celle qu’il tient fort contre sa poitrine vivre ses derniers instants…

Il se remémore le moment précis où, dans leur propre maison, un jeune qu’ils ne connaissaient même pas, armé d’un long couteau a atteint l’abdomen de sa fiancée. Celle-ci s’était rapidement effondrée et sa bouche se remplissait de sang. L’instant où le visage de sa douce s’était figé à jamais, à peine quelques minutes plus tard, alors que lui, trop choqué par l’action, n’avait pas eu le temps de réagir pour la sauver.

— Pardonne-moi, mon amour. Pardonne-moi de ne pas avoir été à la hauteur…

Son buste secoué de sanglots bascule d’avant en arrière, berçant ainsi la jeune femme dans ses bras, sans cesser de penser à l’assassin. Après celle qu’il aime, son tour était venu. L’agresseur s’était jeté sur lui dans un seul et unique but. Ce n’est qu’au prix d’un immense effort qu’il s’était battu et l’avait assommé. Seulement, le mal était déjà fait…

— Je n’ai pas été à la hauteur, répète-t-il doucement. Mais je vais me rattraper… 

Les lèvres de l’homme parcourent le visage inerte et glacé de la jeune femme, avant de rouvrir les paupières et de fixer les yeux livides. Les paumes encadrent les joues de celle qui aurait dû devenir sa femme. Il lui promet d’une voix empreinte de détermination.

— Je lui prendrai tout ce qu’il a de plus cher au monde. Il souffrira, mon amour. Je te le jure sur mon âme…

Il se lève, rentre dans la maison et s’approche du meurtrier encore étendu sur le sol.

— Tu n’aurais pas dû me prendre ce que j’avais de plus cher…

 

 

Chapitre 1

 

5 décembre 1984

 

Dans la pénombre de la nuit, vêtue d’un costume de Père-Noël, une silhouette scrute avec attention à travers la fenêtre d’une maison, un couple en train de dîner. M. Davis et Melle Fox. Une lueur d’anticipation brille dans ses yeux. On pourrait penser qu’il attend de distribuer des cadeaux, car il transporte sur son dos un sac rouge, qui laisse penser à une hotte légèrement remplie. Seulement, au vu de son expression, le doute n’est pas permis. Il est bel et bien là pour accomplir une tâche précise et il est peu probable que les résidents l’apprécient.

Après une longue observation et afin de ne pas être encombré, il pose sa hotte derrière l’une des haies qui masque le vis-à-vis du quartier.

Un rictus sardonique étire ses lèvres quand il sent que le moment est arrivé.

Ce soir, le début de son souhait va se concrétiser.

Décembre est le mois où tous les rêves se réalisent, pense-t-il alors que son sourire s’agrandit.

Contournant la petite maison, dont quelques décorations ornent déjà la toiture sans aucun éclairage, il se poste devant la porte arrière. De son emplacement, il peut voir le jeune couple d’une vingtaine d’années évoluer dans leur cuisine, se chercher et s’embrasser longuement, heureux en cet instant. Le Père-Noël grimace à cette vue. Ses poings gantés de blanc se ferment dans une tentative de conserver le contrôle, afin de ne pas foncer tête baissée.

Bientôt, nous serons réunis, ma douce…

Lorsque la jeune femme s’éclipse de la pièce, qu’elle laisse son compagnon placer des verres dans le lave-vaisselle, Santa Claus décide de passer à l’action. Ouvrant son manteau, il en extirpe un sucre d’orge d’un bon mètre de hauteur, factice et surtout rigide. L’objet fermement tenu à deux mains, l’homme pousse doucement le battant, avant de s’engouffrer dans la demeure. À pas légers, l’intrus avance au plus près du conjoint toujours occupé à sa tâche. Il l’accomplit avec minutie, si bien qu’il ne perçoit pas les mouvements dans son dos ni le coup qui s’effondre lourdement sur son crâne. Son corps s’affaisse sur le sol, accompagné du bruit d’une assiette se brisant sur le carrelage. Les yeux écarquillés du jeune homme se remplissent d’incompréhension. Sa main masse son cuir chevelu douloureux, M. Davis découvre du sang sur ses doigts et a tout juste le temps de voir le second coup arriver, avant de sombrer dans l’inconscience. La voix de Melle Fox se fait entendre depuis l’autre pièce.

— Chéri ? Tu vas bien ?

Celle-ci a dû être alertée par le bruit de vaisselle brisée. L’homme en costume se positionne en retrait, le bâton relevé, prêt à frapper une nouvelle fois. Son impatience transparaît autant dans son regard diabolique, allant de la porte au sucre d’orge, que dans sa fébrilité apparente, les joues rouges d’excitation.

— Chéri ?

La porte battante laisse entrevoir une jeune femme blonde. Les cheveux noués en une longue natte tombent sur ses formes arrondies. À ce moment précis, ce n’est pas le regard de son compagnon qu’elle croise, mais celui d’un inconnu et ce qu’elle voit lui fait froid dans le dos. Puis ses yeux se posent sur la silhouette étendue sur le sol. Inerte…

Pendant un instant, son regard passe de celle-ci au Père-Noël, avant de se fixer sur la sortie qui se trouve à quelques pas à peine. Son corps est trop menu, elle ne fera pas le poids si elle tente de se battre. Se résoudre à abandonner celui qu’elle aime est impensable. Ses doigts touchent la bague de fiançailles à son annulaire, se remémorant, l’espace d’une seconde, la manière dont il a fait sa demande.

La voix de l’intrus la ramène à la réalité.

— Viens ici de toi-même et je te promets de ne pas te faire de mal…

En signe de bonne foi, le Père-Noël abaisse son sucre d’orge. La jeune femme jette un nouveau coup d’œil à son compagnon, puis malgré sa terreur, esquisse un pas, puis un autre. À chaque centimètre parcouru, l’homme jubile de plus en plus. Sa proie est bientôt là et il a bien l’intention de ne pas la laisser filer.

Lorsqu’elle est suffisamment près, il lève le bras et lui assène un coup sur la tempe. Éva Fox titube, se rattrape au plan de travail, renversant ainsi une partie des objets utile à sa vie quotidienne disposés dessus. Prise de vertiges par la douleur lancinante dans son crâne, Éva chancelle encore un peu avant de s’évanouir non loin de son futur époux.

Le Père-Noël prend quelques instants pour contempler son œuvre, puis ressort afin de récupérer sa hotte remplie de « surprises » pour ses « hôtes ».

 

Environ trente minutes plus tard, le couple est réveillé brutalement par de l’eau froide qu’ils reçoivent en plein visage. Leur souffle se coupe quelques secondes. Si Sam Davis met un petit moment à réaliser ce qui se passe, Éva, elle, tire sur les liens faits de guirlandes électriques de toutes les couleurs et qui l’immobilisent à une chaise. Elle observe chaque recoin, jusqu’à poser les yeux sur son compagnon positionné dans un face-à-face. Si pendant les premières secondes, elle est soulagée de le voir en vie, bien qu’il semble hagard, elle se rend compte ensuite que lui aussi a les mains liées. Sa panique s’accentue et ses larmes se mettent à couler, se mêlant à l’eau qui dégouline sur ses vêtements et le sol. Elle regarde encore chaque recoin de sa salle à manger, devenu l’endroit de sa peur, pour s’assurer d’être seule avec son Sam. L’état apathique de son fiancé l’inquiète terriblement.

Elle essaie de se défaire de la corde. Néanmoins celle-ci est trop serrée.

— Sam ! Regarde-moi !

Sa voix est basse et angoissée. Le concerné lève les yeux à moitié ouverts dans sa direction, mais il garde le silence.

— Sam ! On doit se sortir de là !

Affolée par son manque de réaction, Éva craint le pire. Pourtant elle n’abandonne pas et redouble d’efforts en les ponctuant d’encouragements personnels, tels que « Allez » « Vas-y, tu peux le faire ». Ses poignets s’écorchent sur les pointes qui recouvrent les petites ampoules. Ce qui ne l’arrête pas pour autant. Les dents serrées, pour tenter d’atténuer la douleur, elle tire, tourne et retourne ses mains dans tous les sens. Les minutes passent sans pouvoir se déloger. Au bout d’un moment, elle est obligée d’admettre son impuissance. Ses épaules s’affaissent en même temps que son dernier espoir disparaît. La tête basse, elle s’interroge : « qu’est-ce qui les attend ? »

Pourquoi les réveiller pour disparaître ensuite ? D’ailleurs, est-ce que leur agresseur est encore là, dans leur propre maison où est-il parti après avoir pillé leurs affaires ? Trop de questions sans réponse. Éva aimerait pouvoir se détacher, ne serait-ce que pour utiliser son téléphone…

Quand la voix de Sam lui parvient enfin, elle croit avoir rêvé et ose à peine le regarder pour s’en assurer. Finalement, elle cède à ce besoin désespéré et urgent, car son prénom retentit à plusieurs reprises à ses oreilles. Des larmes de joie maculent ses joues, lorsqu’elle s’aperçoit qu’il est vraiment là, que les coups qu’il a reçus ne l’ont pas tué comme elle le craignait.

— Sam !

L’envie de se libérer pour le rejoindre est plus forte.

— Est-ce que ça va ?

— Ça va, juste un bon mal de crâne, lui répond-il, dans une grimace. Et toi, tu n’es pas blessée ?

La jeune femme secoue la tête, tandis que Sam essaie de se libérer à son tour, sans succès. Puis il l’interroge, tout d’abord, pour avoir des informations qui pourraient leur être utiles. En second, parce qu’il a besoin de comprendre comment et pourquoi ils en sont arrivés là. Sam Davis et Éva Fox ne sont pas un couple hors du commun. Ils souhaitent juste remplir leur vie de bonheur, travailler, avoir des enfants. Une vie simple, en soi…

— Il t’a dit ce qu’il voulait ? Pourquoi il nous fait ça ?

— Rien… il m’a assommée… Sam, j’ai peur…

À cette révélation, le cœur de l’intéressé se serre. Il a clairement entendu l’émotion dans la voix de sa fiancée et savoir qu’il ne peut rien y changer lui fait mal. Il essaie donc de la rassurer autant que possible.

— C’était peut-être juste un cambrioleur et il nous a attachés le temps de nous voler.

— En costume de Père-Noël !?

Le ton de la jeune femme est empli de doutes. Elle ne désire rien d’autre que d’y croire, mais elle a croisé le regard de cet homme et ce qu’elle y a vu l’a angoissée au plus haut point.

— Chérie, s’il nous voulait du mal, il avait tout le loisir quand nous étions inconscients. Or, nous sommes toujours en vie.

Les propos de son compagnon se veulent rassurants et sonnent juste. Elle souhaite de tout cœur qu’il ait raison, pourtant, quelque chose cloche. Elle le sent. Sinon pourquoi cet homme aurait-il pris la peine de les réveiller ? Ça ne colle pas. Éva fait part de ses soupçons à Sam.

— Ce n’est peut-être qu’un jeu pour lui…

Après tout, ça doit faire au moins une dizaine de minutes qu’ils ont ouvert les yeux et personne n’est réapparu.

— Ça va bien se passer ma chérie. Si l’on n’arrive pas à se détacher, ta sœur ou ma mère finiront bien par s’inquiéter. Et alors, tout ça ne sera plus qu’un mauvais souvenir.

— J’espère…

Lui-même a du mal à y croire, mais comment expliquer l’absence de celui qui les a agressés, autrement ? Il essaie donc de lui changer les idées, de détourner ses pensées vers un sujet plus heureux.

— Et ensuite, nous préparerons notre mariage.

Les paroles de son futur mari la rassurent quelque peu.

— On pourrait même fixer la date pour Noël de l’année prochaine. Qu’en penses-tu ?

— Je doute que vous soyez encore de ce monde, intervient une voix masculine, les laissant interdits.

Ils espéraient réellement ne plus rien avoir à craindre.

Éva est incapable de contrôler les tremblements de son corps. Elle était certaine qu’il était encore là et pire, son impression lui affirmait que ce n’est pas juste un cambriolage.

— En revanche, je peux t’épouser dès demain. Tu n’as qu’un mot à dire…

En lâchant ces mots, Santa Claus dépose sa hotte à ses pieds avant de l’ouvrir. Une voix féminine, que lui seul entend, retentit dans sa tête.

« Tu penses vraiment qu’elle peut convenir ? »

— Possible…

Sa réponse est à peine audible.

— Que nous voulez-vous ?

L’homme ignore la question posée par le plus jeune et fouille dans son sac en sifflant l’air de la chanson « Merry Christmas », montrant clairement qu’il n’a pas l’intention de dévoiler ses plans.

— Si c’est de l’argent, nous ne sommes pas riches, mais nous avons quelques économies…

Plus aucun bruit ne leur parvient, pas même l’air de Noël. Celui qui les retient, depuis un moment maintenant, semble figé, dos à eux. Voyant qu’il a capté son attention, Sam poursuit même si son intonation n’est pas assurée.

— Nous vous donnerons tout ce que nous avons…

Le sifflement reprend, juste avant que l’inconnu ne se tourne vers eux. À la main, il tient une boule de Noël, dont une guirlande est glissée dans le crochet, pour servir d’attache. Son regard intéressé reste braqué sur Éva à chaque mouvement qu’il effectue. Puis il se dirige vers Sam.

— Je vais te poser une question et quand j’aurai…

— Laissez-la !

Tandis qu’il prononce ces paroles, Sam se débat autant que ses liens le lui permettent, pour éviter que ce tordu n’aille plus loin dans son jeu malsain.

Cependant, le bonhomme de Noël, avantagé par la situation, ne tarde pas à le réduire au silence.

Au moins partiellement…

Le bâillon sur la bouche empêche les paroles de Sam d’être cohérentes.

— C’est plus festif, vous ne trouvez pas ?

En lâchant ces mots, l’agresseur s’avance vers la jeune femme, si effrayée que ses lèvres restent scellées. Un rictus déforme la bouche de l’inconnu, ce qui le rend d’autant plus terrifiant. Il laisse glisser un bâillon identique aux pieds de la jeune femme.

— À présent que le calme est revenu, où en étions-nous ? Tu peux me le dire ?

Éva baisse le menton, espérant trouver un moyen de fuir loin d’ici, mais l’inconnu s’en saisit entre son pouce et son index, puis il l’oblige à croiser son regard.

— Où en étions-nous ?

Il insiste, une expression froide sur le visage.

— Vous… vous avez… vous avez parlé… d’une question… murmure-t-elle, comme si prononcer ces mots plus forts rendrait tout ça bien réel.

Son bégaiement efface le sourire de l’homme. Il tient à ce qu’elle prenne la bonne décision, c’est sûr, néanmoins, il ne veut pas qu’elle ait peur de lui.

Enfin, pas complètement…

Santa Claus fait glisser ses doigts sur la joue de sa prisonnière, comme pour la récompenser, puis ils descendent jusqu’à ses lèvres légèrement entrouvertes, qu’elle referme aussitôt.

Le geste déplacé met Sam hors de lui. Il tente une nouvelle fois de se libérer, dans un effort désespéré et vain. Des insultes sortent de sa bouche, mais sont incompréhensibles. Il culpabilise d’être impuissant, incapable de secourir sa compagne.

— Donc, je disais que j’allais te poser une question et que la suite dépendrait de ta réponse. Est-ce que tu comprends ?

Toujours maintenue par le menton, la jeune femme ne peut acquiescer, alors elle répond juste par un « oui » si faible qu’il en est quasiment inaudible.

— Très bien.

Ces deux mots paraissent satisfaire l’inconnu, car un véritable sourire vient illuminer ses traits. Il se détourne et recommence à fouiller dans son sac.

— Tu ne le sais pas encore, mais je pourrais prendre soin de toi.

Durant quelques secondes, il la fixe droit dans les yeux pour jauger sa réaction. Voyant que la jeune femme l’observe avec incompréhension, il enchaîne.

— Une femme comme toi a besoin d’un homme, un vrai.

À nouveau devant elle, il lui montre ce qu’il tient à la main. Une perruque brune. Éva a du mal à assimiler où il veut en venir, alors elle prend son courage à deux mains et ose prendre la parole.

— Pourquoi ? elle déglutit. Pourquoi moi ?

L’inconnu dans son costume gratte sa fausse barbe un court instant.

— Pourquoi pas ? finit-il enfin par dire, tandis que la jeune femme pensait qu’il ne répondrait plus.

Une paume rugueuse englobe avec douceur une partie de son visage, d’un geste tendre, presque affectueux, plutôt étrange au vu du contexte.

— Tu lui ressembles. Même morphologie, la forme et la couleur de tes yeux. Kate avait également les yeux marron.

Son regard se perd dans le vide l’espace d’un instant. D’un geste brutal, il empoigne la chevelure blonde d’Éva, ce qui lui laisse présager le pire.

— Il n’y a que ça. Sa couleur était bien plus foncée que la tienne, mais rassure-toi, ça peut s’arranger…

L’inconnu lève la perruque plus haut, avant de la tenir correctement à deux mains et de la déposer sur le crâne de la jeune femme, dont les larmes se remettent à couler. Il ignore son désarroi et lisse les cheveux de ses mains, avec adoration.

— Si tu savais comme tu m’as manqué…

Ses caresses et sa force ne lui autorisent aucune échappatoire. Le sang d’Éva se glace. Elle voudrait plonger dans les prunelles de son homme, qu’il lui dise que ce n’est qu’un cauchemar, qu’elle va bientôt se réveiller, dans son lit, dans ses bras…

Peu importe combien il étouffe sous son bâillon, Sam met tout ce qui lui reste d’énergie pour attirer l’attention sur lui. Il ne supporte pas de voir Éva subir des attouchements. Il craint tellement qu’elle ne soit violée par ce type visiblement fou. Il préfère donc qu’on s’en prenne à lui. Contre toute attente, son stratagème fonctionne. L’homme s’écarte de la jeune femme, les traits déformés par le mécontentement. Ses paumes englobent toujours le visage de sa prisonnière, puis il dépose un baiser sur ses lèvres et annonce d’un ton se voulant rassurant.

— Ne t’inquiète pas, ma belle, je reviens très vite.

Alors qu’il pivote en direction de Sam, le Père-Noël affiche une expression glaciale. Il se dirige vers sa hotte. En à peine quelques secondes, son ombre est penchée au-dessus du jeune homme. Un métal brillant dépasse d’entre ses doigts. Sam reconnaît avec certitude l’objet. À ce moment précis, il réalise combien il était à côté de la plaque. Ce mec est un taré. Quoiqu’ils fassent, jamais ils ne sortiront vivants de cette nuit cauchemardesque…

Éva s’est également rendu compte que la situation s’aggrave et ne sait comment empêcher le malheur de s’abattre sur eux.

Elle trouve le courage de crier.

— Non !

La jeune femme souhaiterait arrêter leur agresseur, lui promettre tout ce qu’il veut. Seulement, les mots restent coincés dans sa gorge, lorsque la lame pénètre le thorax de son compagnon, les laissant abasourdis. Seul un hurlement déchirant réussit à franchir cette barrière psychologique, aussitôt assourdi par une paume rugueuse. Elle ne peut que regarder les yeux écarquillés de Sam, surpris par le geste rapide du criminel, avant que le menton ne vienne s’effondrer sur son torse dénué de vie.

Les sanglots de la jeune femme emplissent la pièce.

Ce n’est pas possible…Faites que ce ne soit rien d’autre qu’une image sortie tout droit de mon esprit. Horrible… effroyable… mais que ça reste une hallucination…

Malgré ses pensées, la jeune femme reste un minimum lucide. Elle sait que tout ce qui vient de se dérouler n’est pas issu de son imagination. Sam est bel et bien mort. Il ne sera plus jamais auprès d’elle, ne la serrera plus jamais dans ses bras pour la réconforter. Ils ne se diront jamais « oui » et « je t’aime » ne sortira plus que de sa propre bouche…

Éva est si désespérément perdue dans sa souffrance, dans son cœur qui se brise un peu plus à chaque seconde, qu’elle en a oublié, un instant, l’étrange Santa Claus.

Avec horreur, elle se dit que celui-ci, au lieu de distribuer des cadeaux, n’est qu’une ombre dérangée dont le rôle est de semer la mort sur son passage.

Au bout d’un moment, elle sent qu’on la secoue par les épaules, qu’on tente de la ramener à la réalité. Son regard trempé de larmes se relève pour rencontrer celui du monstre, dont le sourire a disparu. Il semble mécontent de sa réaction et pourtant ses paroles sont douces.

— Il n’est plus rien pour toi. Cet homme se dressait entre nous et notre amour.

Éva réussit à tourner la tête sur le côté. Cet homme lui a pris ce qu’elle avait de plus cher, sans aucune once de compassion, par pure folie. Rien n’ira jamais plus dans sa vie.

— Kate, mon amour…

L’intonation abattue ne l’atteint pas, au contraire, elle la dégoute.

— Je ne suis pas Kate…

Ces paroles sont prononcées dans un chuchotement.

— Que dis-tu ?

Durant plusieurs secondes, elle paraît hagarde, puis elle répète plus fort, plus distinctement.

— Je ne suis pas Kate et je ne le serai jamais.

Ses larmes se remettent à couler de plus belle, lui masquant la vue, cependant dans le contexte actuel, c’est le cadet de ses soucis.

— Sam…

Aussitôt ces mots lâchés, une rage incontrôlable et dévastatrice envahit le Père-Noël. Alors il serre les poings et, sans pouvoir se maîtriser, saisit la jeune femme sans défense par la gorge.

— Puisqu’il te manque tant que ça, tu vas aller le rejoindre ! Steven sera certainement heureux de l’apprendre…

L’homme sait quel effet aura la mention de ce prénom sur sa proie. Il regrette juste de ne pas l’avoir prononcé plus tôt, pour voir l’expression de Sam avant que son corps ne se change en cadavre.

— Eh oui ! Vous pensiez que votre ami était parti vivre la belle vie, mais non ! Et si vous en êtes là, c’est à cause de lui. Tout ça parce qu’il pensait pouvoir être plus fort que nous !

En parlant, ses doigts se crispent sur la partie fragile de son cou, coupant lentement mais sûrement le souffle de la jeune femme.

— Je t’aurais rendue heureuse si tu n’étais pas si ingrate…

Il serre davantage la gorge.

La respiration devient difficile, voire impossible. Le blanc des yeux se macule de pétéchies. Un craquement sec retentit et indique ainsi la rupture de l’os hyoïde, juste avant que la masse ne perde en tonicité. Le regard devient vitreux. Définitivement ouvert sur la mort…

Pour la dernière fois de la soirée, Santa Claus plonge les mains dans son sac et en sort un polaroïd. Il se positionne face au jeune homme, puis place son œil droit devant le viseur.

Plusieurs légers déclics retentissent. Ensuite, il pivote pour agir de la même manière avec Éva, avant de lui arracher la perruque, à présent de travers.

— Tu n’aurais pas fait une bonne Kate… prononce-t-il en secouant la tête de droite à gauche. N’est-ce pas, mon amour ?

L’homme pose sa question dans le vide et pourtant, après quelques secondes, un léger sourire se forme sur ses lèvres.

— Non. Ça n’aurait pas fonctionné. Tu as raison…

Toujours dans la demeure de Sam Davis et d’Éva Fox, l’homme en costume prend le temps de contempler son œuvre, fier de lui.

Les chaises ont été rapprochées jusqu’à ce que les genoux des deux victimes se touchent. Leurs mains ont été libérées. Les doigts entrelacés, l’un avec l’autre, et la tempe de chacun repose sur l’épaule de l’autre. Ainsi disposés, ils donnent l’impression d’être unis par-delà la mort. Comme un symbole d’amour éternel. Cependant, ce n’est pas l’intention de Santa Claus. Pour lui, c’est comme une punition, car la jeune Éva n’était pas digne de sa fiancée. Elle ne lui arrivait pas à la cheville. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il n’a pas fermé ses yeux, contrairement à ceux de Sam. Elle le regardera pour toujours sans jamais pouvoir l’atteindre.

— Es-tu satisfaite, mon amour ?

Sa question est destinée à l’espace vide à ses côtés, mais cela ne semble pas le perturber, pas plus que le silence ambiant, qui paraît se rompre par une voix que lui seul peut entendre.

« C’était magnifique, Stan… »

— Tu as raison. Nous trouverons bientôt la bonne et tu seras à nouveau avec moi…

Le dénommé Stan fixe le regard de la jeune femme, devenant de plus en plus opaque. Toute colère envolée, il pousse délicatement une mèche de cheveux derrière son oreille, dont le corps commence déjà à se rigidifier.

— Si tu avais pu accepter ton côté sombre, tu aurais pu avoir une vie merveilleuse et devenir ma Kate…

 

 

Chapitre 2

 

6 décembre 1984

 

Au cœur de la nuit, un vieux pick-up roule sur une route peu fréquentée, surtout à cette heure tardive. Il dévie sur un petit chemin cahoteux, entouré d’arbres, situé sur la droite, le suit durant plusieurs minutes avant de débouler sur un vaste terrain encadré de barrières blanches. Le véhicule s’arrête devant un grand portail de la même couleur et l’homme en costume de Père-Noël en sort. Il l’ouvre avant de se réinstaller au volant. Il agit sans réfléchir, sans craindre non plus qu’on ne le voie dans cette étrange tenue, car sa maison est la seule à plus de deux kilomètres à la ronde. C’était le choix de celle qu’il aimait. Elle rêvait de tranquillité, d’isolement et Stan avait tout fait pour le lui offrir, quitte à construire la maison de ses propres mains, afin qu’elle soit conforme à ses désirs.

C’est aussi elle qui avait souhaité cette treille qui décore la façade gauche de lierre grimpant. Encore elle qui avait voulu cette grande serre, où poussent des cyclamens et des perce-neiges, ses fleurs préférées.

Oui, tout était pour Kate et c’est pour cette raison qu’il continue de les entretenir. Pour lui, c’est une manière d’honorer la mémoire de cette femme, qui après sa disparition est toujours dans sa tête et dans son cœur. Depuis son décès survenu l’année précédente, il l’entend, elle le conseille, le guide afin qu’ils se retrouvent.

C’est une maigre consolation pour le moment, mais c’est aussi son plus grand espoir.

Le pick-up se gare devant le garage. Les feux s’éteignent et l’homme en sort dans un état second. Exactement comme le 1er décembre, lorsqu’il a vécu cette même expérience : son premier meurtre en solitaire…

Lorsqu’il exerçait sa domination, son excitation était partie prenante. Pendant ces deux soirées, où il avait voulu emmener chaque jeune femme de son plein gré, il imaginait déjà ce qu’ils feraient ensuite. Il se faisait une joie d’observer de nouveau sa Kate prendre soin de lui et de ses fleurs. Il se préparait déjà à partager leur passe-temps favori dans la pièce la plus sombre de la maison. Il jubilait à l’idée de voir son ventre s’arrondir. Puis est venu le moment où les deux femmes se sont refusées à lui, comme s’il n’était qu’un moins que rien. Ça l’avait mis en colère. À tel point qu’il était incapable de se contrôler, surtout que la douce voix d’outre-tombe de Kate ne cessait de répéter « Tue-la ! Elle n’est pas moi ! »

Concernant les hommes, c’était plus facile ou plutôt, plus logique. Il leur a simplement rendu service. Car comme il l’a appris à ses dépens, qui voudrait d’une vie sans sa bien-aimée ? Même Kate est de cet avis, puisque c’est elle qui le lui a suggéré.

La déception s’est abattue sur lui comme une chape de plomb. Savoir qu’il va devoir encore patienter est compliqué à gérer. Il ne peut concevoir sa vie sans elle. Sa manière d’avancer d’un jour à l’autre depuis l’année dernière en est la preuve. Il s’est presque entièrement coupé du monde et vit comme un reclus. Même ses collègues ont arrêté de l’inviter, car ils n’essuient que des refus.

Enfin, le sentiment d’accomplissement l’avait saisi, alors qu’il plaçait les corps ensemble. Réunis par-delà la mort, sans pouvoir réellement se rejoindre.

Après tout, s’il n’a pas droit au bonheur, pourquoi les autres auraient le plaisir d’en profiter ? De rire ? Et même de sourire ?

La vie est injuste. Il se permet seulement de l’équilibrer…

Rentrant chez lui, l’homme retire ses chaussures dans le hall et les positionne aux côtés d’une paire plus féminine, plus petite. Il n’a pas pu se résigner à se débarrasser des affaires de Kate, même ses chaussons noirs ornés d’un petit nœud rose sont toujours au même endroit. Sans allumer les lumières, il enfile les siens et se rend dans la salle de bain. Il presse l’interrupteur, s’engouffre dans la pièce. Là encore, rien ne témoigne de l’absence de la jeune femme. Ses produits de beauté reposent sur une planche fixée au mur, sans un grain de poussière. Pareil dans le gobelet, il y a toujours deux brosses à dents…

Stan entame des mouvements qui commencent à devenir un rituel.

Après avoir bouché le lavabo, il tourne le robinet pour le remplir d’eau, puis retire ses gants ensanglantés avant de les placer dedans, les imbibant pour les faire tremper.

— Je sais, ne t’inquiète pas, j’ai mis de l’eau froide…

Son regard scrute le miroir sans que ses iris ne se croisent, avant de poursuivre ses explications. Il en profite pour se déshabiller.

— Ne jamais mettre de l’eau bouillante quand la tâche est du sang, car elle le cuit et ensuite c’est impossible à nettoyer. Tu as vu, je n’oublie aucun de tes conseils…

Fier de sa mémoire, l’individu, maintenant nu, entre dans la douche. La fraîcheur ne le fait même pas trembler malgré les températures hivernales, atteignant les -6 degrés. La chaleur prend peu à peu place dans la pièce. Elle emplit la paroi vitrée de buée. L’homme se savonne, le regard dans le vague.

— Tu te souviens, Kate, quand nous la prenions tous les deux ?

Seul le silence lui répond, mais dans son esprit, il perçoit des mots que d’autres ne sont pas aptes à entendre. On pourrait penser qu’il est fou et peut-être est-ce le cas, mais l’amour n’a-t-il pas déjà conduit des hommes sains au bord de la folie ?

— J’aimais ces instants où tu prenais le gant pour me le passer sur les épaules, le dos…

Alors qu’il énumère, Stan tente de reproduire les mêmes sensations, sans pour autant y parvenir. Il gémit de frustration, avant de tendre l’oreille pour écouter. Chaque mot qu’il y perçoit est autant un déchirement, qu’un baume sur son cœur meurtri. Depuis plusieurs mois, il doit sans cesse la rassurer, puis se réconforter. Ils ont monté ce projet ensemble et il n’a pas l’intention d’abandonner…

La première fois où il l’a entendue, il s’en souvient comme si c’était hier. C’était à peine audible, presque comme un murmure. Il se demandait s’il n’avait pas rêvé, si son foie n’était pas encore imbibé de toutes ces doses d’alcool, consommées quelques heures plus tôt. Il faut dire que depuis sa mort, survenue deux semaines auparavant, il buvait plus que de raison. Même s’il tentait de poursuivre seul leur passe-temps, afin de sentir sa présence, en seulement quinze jours, il n’avait plus rien de l’homme soigné qu’il avait été. Son état s’était dégradé rapidement, le faisant ressembler à un sans-abri. Il n’était plus capable de mettre autant de cœur à l’ouvrage, tout était bâclé, trop rapide et sans saveur…

Le lendemain, il avait espéré l’entendre à nouveau. Il avait patienté plusieurs heures sans une goutte de scotch, mais rien. Aucun son. Ayant l’impression de subir une seconde fois sa perte, il s’était donc remis à picoler davantage. Jusqu’au jour où une unique phrase avait tout changé.

« Arrête de te détruire mon amour. Je suis toujours là… »

Il avait du mal à le croire. Celle qu’il aimait se souciait de lui au-delà du possible et franchissait des barrières invisibles, normalement insurmontables pour le commun des mortels. Ce jour-là, il avait eu l’impression de sentir son cœur relancer ses battements, la sensation de pouvoir enfin respirer. C’était si intense, qu’il avait peur qu’on ne la lui retire encore une fois. Si ça devait arriver, il était certain de ne jamais pouvoir s’en remettre.

Cependant, aujourd’hui ça ne lui suffit plus et, au vu les mots qui lui parviennent, à Kate non plus.

« Tu me manques tellement… Je n’en peux plus d’attendre pour te retrouver… Il fait si froid sans toi… »

Il grimace.

— Je sais que ça fait longtemps, mais je te promets que d’ici quelques jours, voire semaines, nous nous retrouverons… assure-t-il avec conviction.

En cette soirée, il n’a aucun doute quant à sa réussite. Il lui reste encore cinq couples à voir et l’une des jeunes femmes sera forcément la bonne. Même si ce n’est pas une partie de plaisir, il mettra en œuvre tous les moyens nécessaires pour servir leur cause et la rendre heureuse. Comme il a toujours su le faire.

— Tu sais que je t’aime plus que tout, plus que la vie elle-même…

 

Lorsque le réveil sonne à 7 h du matin, l’homme émerge doucement et se tourne pour faire face au côté vide du lit. Sa paume caresse le drap une poignée de secondes.

— Bonjour à toi aussi, mon amour…

Stan se lève, frais, dispo et le sourire aux lèvres, malgré son faible quota de sommeil. Sa journée est bien remplie. Il doit aller travailler et nourrir « l’animal de compagnie » que Kate avait choisi.

Comme s’il n’avait pas ôté la vie de deux personnes la veille, il se rend dans la cuisine se servir un café. Installé sur son canapé, Stan allume la télé et laisse défiler les derniers titres à la mode cette année, entrecoupés par les tubes des années 60 et 70. Il fredonne même sur celui de Whitney Houston,I will always love you. La chanson a beau dater de 1974, il l’écoute toujours avec plaisir et chantonne d’ailleurs en écho avec celle qui le hante. Il faut dire que Kate adorait ce titre. Même si la tonalité n’était pas juste, elle la chantait souvent au début de leur relation et quasiment à chaque fois qu’elle en avait l’occasion. Puis, la jeune femme avait recommencé peu de temps avant son accident. D’ailleurs, il n’a jamais compris pourquoi. Il s’interroge alors que les paroles s’élèvent à ses tympans, ponctuées de fausses notes.

Peut-être est-elle simplement heureuse, car elle sait qu’ils seront bientôt réunis…

Quelques minutes plus tard, l’homme est debout, devant l’évier de la cuisine. Il lave la tasse, l’essuie, puis la range avant de passer un chiffon sur l’égouttoir. Ses mouvements sont fluides, effectués comme une machine. Kate était quelqu’un de très ordonné, maniaque même, et il aimerait sincèrement qu’elle retrouve la maison telle qu’elle l’a laissée. Il se dirige ensuite dans sa chambre, enfin celle qui était réservée pour leur futur enfant, avant le drame, pour le jour où elle tomberait enceinte. Depuis, il n’a plus eu le courage de dormir dans celle qu’ils partageaient tous les deux et aussi parce qu’à présent, elle lui sert à autre chose. Attrapant de quoi s’habiller dans son armoire, il retire son pyjama, celui qu’elle lui avait offert quand ils avaient peu de moyens et qu’il n’avait pas su apprécier à sa juste valeur. Après l’avoir plié correctement, il le dépose sur son lit, le remplace par un costume trois-pièces sombre.

Le nœud de cravate ne lui donne plus de fil à retordre, depuis qu’il a appris à le faire seul ou presque. La voix de Kate est rarement loin pour lui prodiguer ses conseils.

Une personne lambda se souviendrait d’avoir dû en faire plusieurs lorsqu’il était bien plus jeune, à l’époque où son père était banquier ou lors de son bal de promo, mais pas lui. Dans son esprit, le miracle dépasse la logique et Kate est ce miracle…