Sombres blessures - Tome 1 - Anne Lejeune - E-Book

Sombres blessures - Tome 1 E-Book

Anne Lejeune

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Beschreibung

Jaze vit dans les ténèbres, sa rencontre avec Noélie pourrait bien changer la vie de celle-ci pour toujours...

Chacun de nous possède une histoire.
Chacun de nous doit vivre avec. Apprendre à s'en accommoder.
Prendre ou donner...
Combattre ou mourir...
Certains ont plus de chances que d'autres. Ce n'est pas mon cas...
J'ai laissé les ténèbres me submerger. Je les ai embrassés. Apprivoisés. Mais je n'avais pas prévu de l'emmener sombrer avec moi...
Je suis comme je suis, dénué d'émotion, d'empathie. Je ne vis que pour la douleur. L'offrir, la ressentir. Peu importe.
Je m'appelle Jaze, et je la veux !
Elle...

Découvrez la toute nouvelle saga d’Anne Lejeune qui vous ferra frissonner jusqu'à la dernière page !

À PROPOS DE L'AUTEURE

Anne Lejeune - Je suis née le 10 juin 1983. J'ai eu une enfance choyée. Ma mère m'a transmis son amour de la lecture. Donc dès que j'ai su lire, je me suis toujours ballader avec un livre, même quand je prenais un bain. Mes parents ont souvent dû rembourser les livres de la bibliothèque de l'école à cause de cela. J'ai grandi et tenté de construire ma vie. J'y suis arrivée seule avec 4 enfants. Mes parents sont aujourd'hui toujours derrière moi, je sais que j'ai de la chance.

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Sombres blessures

Rongé par les ténèbres.

 

 

 

 

 

 

Anne Lejeune

 

 

Romance

Editions « Arts En Mots »Illustration graphique : ©Graph’L

 

— Ça veut dire quoi « je t’aime » ?

— Que tu existes à l’intérieur de moi…

 

John Joos.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Prologue.

 

Jaze.

 

Assis sur une chaise en métal, ma victime retenue par des chaînes, je l’observe tout en cherchant à percer ses secrets.

Ça fait des mois que monsieur Balden, si je peux toujours lui donner ce titre, est sous bonne garde pour ne pas nous avoir remis la « compensation » en attendant de régler sa dette. Son fils de seize ans s’est volatilisé dans la nature, tout comme sa femme, et ses deux autres enfants, bien plus jeunes. L’aîné devait intégrer notre poule de combattants, afin d’être éduqué et remplacer l’un des nôtres.

Nous sommes trois, Ty, n’ayant pas survécu à sa dernière montée sur le ring le weekend dernier. Son corps a été découvert dans l'East River deux jours plus tard. Même s’il a été entraîné par un recommandé et payé par Keith, de la même manière que moi, il n’était pas aussi puissant que son adversaire. Je pourrais dire que ça me fait mal au cœur, car je le connaissais depuis des années, mais il n’en est rien. Le muscle battant dans ma poitrine ne sert qu’à m’insuffler la vie, pomper mon sang pour le ramener dans les artères, et oxygéner mon corps. Juste pour lui permettre de continuer à respirer et irriguer mon sexe afin de baiser des putes.

Les femmes, dites normales, sont bien trop encombrantes et gangrenées par des émotions futiles. Alors qu’une putain, je la baise, je la paie, et je me casse. Si elle espère que je revienne le lendemain, c’est uniquement afin d’avoir plus de tunes, et non des paroles d’amour à la con, qu’on leur a fourrées dans le crâne durant leur enfance.

Du haut de mes vingt-six ans, je suis le plus âgé du staff, suivi par Mills, vingt-quatre ans, entré de son plein gré, et Donovan, dit Don, dix-neuf ans. Lui n’a pas eu le choix. Un peu comme moi…

Je secoue la tête afin de chasser ces pensées dérangeantes et me recentrer sur l’essentiel.

Monsieur Balden. Son visage est déjà en sang. Ses ongles traînent pour la plupart sur le sol humide de la cave du bâtiment. Pourtant ses lèvres restent scellées. Ce n’est pas tant qu’il tient à sa famille, sinon il n’aurait jamais parié de l’argent qu’il n’a pas, sachant qui allait en faire les frais.

Mes poings se serrent devant l’évidence.

Ça se prétend être un père, mais ce n’est en réalité qu’une pourriture de plus !

— Où est-il ?

Alors qu’il garde le silence, je conserve un masque impassible, le même que mon frère porte depuis toujours, et qui lui a permis de survivre, je saisis le pistolet à clous entre mes doigts fébriles et impatients.

Lorsque mon captif aperçoit l’objet entre mes mains, son visage devient livide.

Il n’a pas seulement peur… Non ! Il est terrifié, et c’est incroyable ce que ça me plaît.

Cette ordure n’est pas le premier déchet que je martyrise, que j’entraîne au bord de la folie qui me berce. Mon nom de naissance n’est pas Madness1 sans raison, et si ce n’était pas également celui de mon putain de géniteur, il n’aurait aucune valeur.

À croire que c’est génétique !

Je ricane en approchant lentement, un pas après l’autre, laissant volontairement ma victime imaginer le pire.

En général, les supplications, prières en appelant à une compassion que je ne possède pas, et autres conneries du même genre émotionnel, commencent bien plus tôt. La plupart d’entre eux ne résistent pas à la souffrance, et déballent leurs secrets les plus immondes en un rien de temps. Puis il y a ces hommes, ceux comme monsieur Barden. Ceux-là ont un seuil plus élevé à la douleur. Un seuil me permettant d’exorciser mes démons. D’en profiter pour marquer leur peau. De profiter de leur endurance pour les démolir.

Ce serait presque jouissif. Je réfléchis déjà dans quel quartier je vais me rendre ensuite afin de me vider les couilles…

— Donnez-moi un peu de temps, commence-t-il pendant que l’objet entre mes doigts plane dans l’espace en direction de ses yeux écarquillés de terreur, avant de planter le premier dans sa cuisse, tandis qu’un cri strident s’échappe de sa gorge.

Avec le temps, j’ai découvert que le plus douloureux dans le corps humain, après les nerfs bien entendu, c’est quand on touche un os, le percute, le brise, l’extrait. Exactement comme maintenant. La pointe s’est fichée dans le fémur, suffisamment pour le faire pleurer comme une fillette.

— S’il vous plaît… je vous paierais…

Avec mon frère, nous ne connaissons que trop bien ces vaines promesses. Keith m’a bien appris à ne pas me laisser berner, détester leur humiliation, et ce n’est pas une nouvelle raclure qui changera ce que je suis…

Le second clou se logeant directement dans l’os de son bassin, lui fait presque tourner de l’œil. Je jubile, remplaçant ses traits par ceux de quelqu’un d’autre. Des traits n’ayant jamais réussi à s’effacer totalement, et revenant me hanter dès que mes paupières sont closes.

Les nerfs à fleur de peau, j’exulte en pressant plusieurs fois la gâchette devant le regard narquois me descendant plus bas que terre.

— Espèce de grosse merde !!!

Je l’insulte sans cesser mes mouvements.

Jusqu’à ce qu’une giclée de sang plus importante macule mon nez, mes joues, même mon œil, et traverse les méandres de ma folie vengeresse. D’un geste brusque, j’essuie rapidement le liquide masquant ma vue pour tomber dans l’horreur.

J’ai recommencé ! Encore !

L’image devant mes yeux est insoutenable, et je rends le contenu de mon estomac sur le sol.

Il ne reste plus rien de reconnaissable, de l’homme assis sur la chaise. Sa mâchoire est si disloquée qu’elle pend d’un côté, comme celle d’un pantin de bois qu’on aurait arrachée à mains nues. Des morceaux de métal brillent à divers endroits sur ses membres, et même son abdomen. C’est devenu une loque humaine…

J’oublie toujours la culpabilité qui vient inéluctablement me ronger après coup, et me rappeler que mon muscle cardiaque n’est finalement pas tout à fait mort. J’évacue encore une fois, sans cesser de regarder celui qui ne pourra plus échanger la vie de son fils contre la sienne, si tant est que ce fût réellement son but. Étrangement, après chaque « recouvrement de dettes », un léger doute subsiste sur les véritables intentions de mon frère. Ce comportement de glace qu’il adopte peu importe la situation, je l’envie, autant qu’il m’effraie…

Enfin…

C’est dans ces moment-là, lorsque la souffrance infligée est si violente, si galvanisante dans l’instant, qu’elle obscurcit mon jugement, laisse échapper la bête, que j’agis sans penser à mon âme. Celle-ci semble s’être morcelée depuis si longtemps, qu’elle me paraît impossible à réassembler, du moins, si j’en éprouvais le désir…

Un gémissement attire mon attention. Déchirant. Me heurtant à sa manière.

L’enfoiré est vivant !

Malgré tout ce que je lui ai fait endurer, il s’accroche !

Le dernier morceau d’humanité, me raccrochant à celui que j’aurais pu être, m’ordonne de ne pas le laisser baigner dans son sang, souffrir le martyre. Je sors mon flingue, positionne le silencieux, et plaque le canon contre sa tempe sanguinolente, avant d’appuyer sur la détente afin de le délivrer comme si j’étais un héros.

Cette dernière pensée m’arrache un ricanement, renforcé par ce qu’une personne étrangère en penserait en pénétrant dans cette pièce, et me trouvant dans cette position. Riant face à un cadavre déchiqueté.

Nul doute qu’on essaierait de m’enfermer.

Ce type n’aurait jamais dû croiser le chemin des frères Madness…

 

 

1

 

Noélie.

 

Wahou ! Encore une nuit de passée ! 

Je me réjouis de cette petite victoire en décalant, sur le côté, le carton servant à me tenir chaud à cause du froid.

Aujourd’hui est censé être un jour spécial. C’est celui de mon anniversaire, je devrais fêter mes dix-sept ans. Sauf qu’il n’y a absolument rien à célébrer. Enfin rien, mis à part le fait de me rapprocher de ma majorité, celle qui me permettra de trouver un emploi. Un vrai. Et un appartement. Sans l’autorisation d’un représentant légal…

Du moins, si je suis capable de me nettoyer un peu, améliorer mon apparence, ma présentation.

Un simple coup d’œil aux vêtements usés qui me recouvrent me rappelle que ce ne sera pas facile. Bien au contraire…

Comment faire une bonne première impression dans de telles conditions ? En étant à la rue ?

Même si lui vient me chercher pour quelques heures…

Vivant à Brooklyn depuis ma naissance, j’en connais à présent chaque ruelle, chaque recoin, chaque lieu où dormir la nuit pour me sentir un peu plus en sécurité que d’autres. Cette ville n’a plus aucun secret pour moi, depuis, un peu plus d'un an lorsque j’ai commencé à en squatter les bas-fonds et à les désigner comme ma nouvelle résidence.

La vue de l’extérieur est simple, trop facilement jugée sur la pauvreté apparente de certains quartiers, autant que les crimes apparaissant dans les journaux, le matin de bonne heure. Des actualités, que des personnes, se pensant largement une ou plusieurs classes au-dessus, s’empressent de dévorer, croyant en être épargnées grâce à leur train de vie.

C’est ridicule !

Comme si avoir un toit, un salaire, et une assurance maladie, étaient capables de les préserver de toutes les atrocités du monde.

Ridicule… Vraiment…

 

Rester en vie n'est plus aussi compliqué qu’au début. J'ai appris à me protéger de l'hiver quand il se présente. Trouver de la nourriture quand mon estomac crie famine. M’en priver quand c’est nécessaire. Et ne pas me faire remarquer par qui que ce soit avant la tombée de la nuit, pour me camoufler dans les ruelles sombres et désertes.

Il est vrai que je me suis parfois prostituée lorsque je ne pouvais tenir un jour de plus, toujours protéger d’un préservatif fournit par le client, bien évidemment, ce qui est en totale contradiction avec mon mode de vie, j’en suis consciente. Il est certainement plus facile d'attraper des maladies quand on est sans domicile, dormant non loin des détritus, pourtant, je m'en soucis énormément.

C'est d’ailleurs de cette manière que j'ai perdu ma virginité…

Une première fois gravée dans ma mémoire. Le client était tellement ravi de se taper une jeune pucelle qu’il n’y était pas allé de main morte. Les larmes aux yeux, l’estomac retourné, j’en avais gerbé le peu que j’avais avalé en deux jours, juste après son départ.

Le seul détail qui me réconfortait, c’était que même si j’avais trouvé l’acte douloureux, répugnant, on ne m’avait rien volé. Je l’avais décidé. C’était mon choix.

Et lorsque les souvenirs de tous ces moments où je me suis donnée à des hommes sans scrupules reviennent me hanter, je me remémore comment et pourquoi. Et si c’est ce que je dois faire pour survivre, qu’il en soit ainsi…

 

Comment en suis-je arrivée là ? Ce n’est pas compliqué. La vie à la maison était réellement difficile. Mon père buvait pour compenser ce qu’il n’avait pas, et dépensait le peu qu’il ramenait pour le foyer dans des paris illégaux. Ma mère, elle, c’était une dépressive accroc aux antidépresseurs. J'aurais pu rester chez eux, enfin au moins jusqu'à mes dix-huit ans, si une nuit, mon paternel, bien plus bourré que d’habitude, n’avait pas pénétré dans ma chambre, ne m’avait pas réveillé de ses mains dégueulasses sur mes seins, à les palper, les malaxer, les mordre au travers de mon tee-shirt léger.

Mes yeux grands ouverts de terreur, face à ce que mon père voulait me voler, je me débattais comme une furie. Je m’étais mise à hurler, appeler ma mère, afin qu’elle vienne me secourir. Celle-ci, alertée par mes cris, était apparue dans l’encadrement, observant la scène d’un regard désolé, sans pour autant me venir en aide.

C’est à ce moment précis que j’ai assimilé combien j’étais seule sur cette terre. Que s’il m’arrivait quoique ce soit, personne ne viendrait me soutenir…

Prise dans une rage incontrôlable, emportée par la fureur de vaincre l’enfoiré qui m’avait conçu, et qui ne se gênait pas, en cet instant, de vouloir me déposséder de moi-même, ses doigts s’engouffrant dans mon intimité, mes coups s’étaient faits plus violents, plus puissants. J’avais réussi à l’envoyer valser sur le sol.

Les larmes au bord des yeux, les retenant du mieux qu’il m’était possible, enfilant un jean, un pull, et des baskets sans chaussettes, je m’étais emparé d’un sac plastique, et y avais fourré quelques affaires. Puis je m’étais emparé de ma pièce d’identité, de quelques dollars mis de côté et m’apprêtais à franchir la porte sans un regard en arrière lorsqu’un grognement écœurant me retenait.

— Si tu t’en vas, ne reviens plus jamais, sinon je te tuerais de mes mains !

Même dans un état presque comateux à cause de l’alcool, mon paternel pouvait encore ouvrir la bouche pour me menacer. Et voyant que je restais immobile, il en profitait pour proférer des insultes. Des mots que j’avais déjà entendus, et qui m’avaient déjà blessé par le passé, bien que je n’étais guère plus âgée. Je détestais cet homme et m'interrogeais sur les gènes que nous avions en commun, en même temps que je quittais ceux qui étaient censés s’occuper de moi, et me protéger…

Tout le monde ne bénéficie pas d’un bon départ dans la vie. C’est certain. Mais j’avais la rage de vivre. Le désir de partir. De choisir quel serait mon destin. Et celui-ci n’était pas d’être enchaînée à un pervers pouvant me violer, et une mère incapable de me défendre.

À cette époque-là, j’aspirais à la liberté, à la vie. Au bonheur tout simplement.

Et si j’étais restée, mon âme se serait déchirée, enfin, plus qu’elle ne l’est actuellement…

Mourir engloutie dans les ténèbres, ou apprendre à vivre avec eux, même dans la rue, le choix était vite fait. Malheureusement, je n'ai pas encore réussi à en sortir…

 

Donc mes journées se résument à mendier devant les magasins. Je change régulièrement de rue pour ne pas tomber toujours sur les mêmes, et surtout si des personnes me semblent suspectes. Ce n'est pas toujours rose, c’est même parfois très noir, et pourtant je m’y sens plus en sécurité qu’à la maison.

Malgré le monde marchant sur les trottoirs, peuplant la ville, j’avais et ai souvent le sentiment d’être invisible. Seule parmi les humains. Être des leurs sans l’être réellement. Rares sont ceux qui s’arrêtent, me voient…

Ensuite, je me cherche un coin où dormir le soir, si je n’ai pas besoin d’argent. Et si c’est le cas, il y a régulièrement des hommes arpentant les rues, cherchant une femme pour satisfaire le moindre de leur désir pour seulement quelques dollars. Baissée à même le mur, sauf quand c’est lui, le plus étrange de tous. Celui qui me prend plus que je n’admets vouloir offrir. Celui qui me donne suffisamment pour ne pas avoir à passer dans d’autres mains…

C’est avec ces quelques pensées en tête que je sors de ma torpeur et me dis qu'il est temps que je me trouve à manger afin d’avancer et de tenir le coup jusqu’à demain. La veille, je n'ai récolté que de quoi me prendre un morceau de pain grâce à un gentil couple.

Sentant mon estomac remuer, se contacter par la faim tenace, je me lève, range mon carton derrière une poubelle, afin que personne ne vienne me le voler et cherche un endroit où me poser. C'est le jour du marché dans ces certains quartiers et je compte bien en profiter pour récolter quelques pièces de plus. Les étals sont comme d’habitude, remplis de nourritures où affaires en tous genres. L’image des fruits, des légumes, de la viande fraîche, me fait ressentir des gargouillis autant que l’odeur de poulet en train de rôtir à la broche me fait saliver.

Ce ne sera pas encore pour aujourd’hui…

Je m'installe en tailleur à point stratégique, là où l'affluence est la plus élevée, même si la plupart du temps, les gens passent en m'ignorant superbement. 

Je ne leur en veux pas, des SDF, il y en a à chaque coin de rue, et pas que. Il y en a qui se font passer pour « sans le sou » afin d'éviter d'aller travailler, pourtant ça ne rapporte pas. À moins que je n’aie la bonne méthode... 

 

Au bout de quelques heures, je me redresse pour me dégourdir les jambes, et me rends vers l'un des marchands afin de me prendre une boisson chaude pour me réchauffer.

En ce mois de novembre, les températures ont bien diminué, et les 6° matinal sont difficiles à encaisser. Surtout sans les vêtements adaptés.

— Bonjour. Pourrais-je avoir un café s'il vous plaît ? demandé-je à l'homme de dos derrière son stand.

— Bien sûr, acquiesce-t-il en se retournant.

Lorsque son regard se porte sur moi, qu'il remarque mes cheveux sales et emmêlés, mes fringues crasseuses, depuis le temps que je les porte, et certainement sentir l'odeur qui émane de ma peau, le dégoût s'inscrit sur son visage. C'est malheureusement ce qui produit la plupart du temps. Le monde ne supporte pas de voir des personnes comme moi, qui quémandent pour survivre et sans aucune hygiène. Des personnes qui dépendent des autres pour gagner ne serait-ce qu'un seul jour de vie supplémentaire. Mais la vie est ainsi faite, une femme agressée dépend des forces de l'ordre pour coincer son agresseur. Un enfant a besoin de ses parents pour grandir correctement. Un malade compte sur son médecin pour aller mieux où même être sauvée. Et dans mon cas, les autres me sont nécessaires afin de pouvoir me nourrir…

— Avec ou sans sucre ? m’interroge-t-il, malgré son dégoût évident.

Car il faut le reconnaître. Pour la plupart d’entre eux, de l’argent reste de l’argent. Peu importe d’où ou de qui il provient.

— Sans...

Je lui tends les quelques pièces qu’il saisit en évitant de me toucher, comme si je pouvais lui refourguer une maladie impossible à guérir. Puis je le remercie avant de porter le verre de mes doigts froids contre mes lèvres. Le liquide chaud, presque brûlant, coule le long de ma gorge, me réchauffant tout entière. Je savoure tant la saveur, que la chaleur dégagée.

Qui sait quand je pourrai m'en offrir un autre ?

En repartant rejoindre ma place, je suis bousculée par un homme. Même si ce n'est pas de ma faute, je lui présente des excuses sans lever les yeux. Vivre dans la rue, c'est savoir se faire tout petit…

— Pardonnez-moi, mademoiselle, retentit une voix grave.

Je porte mon regard sur l'inconnu et m'aperçois que non seulement il est accompagné d'une femme, mais qu'en plus c'est le couple de la veille. Ceux grâce à qui j’ai pu avaler cette gorgée, avant que le reste ne se répande sur mon pull.

— Je suis désolée. Je ne vous ai pas vu et...

— Mais non, c'est mon mari qui est tête en l'air, n'est-ce pas chéri ? annonce la femme, arborant une expression compatissante.

Les gens comme eux sont des denrées rares. Non seulement ils me voient, mais en plus ils me considèrent comme quelqu’un d’humain…

— Tout à fait, approuve le concerné. Laissez-nous vous offrir un bon repas pour nous faire pardonner.

Cette demande me prend de court, et peu importe combien je meurs d’envie d’accepter, d’engloutir un vrai repas chaud, je refuse.

— Oh non ! Ne vous en faites pas…

— S'il vous plaît, je me sentirai moins coupable de vous être rentré dedans. J'ai dû vous faire mal en plus... s'inquiète-t-il la mine contrite.

J'ai bien compris que ce couple a pitié de ma condition, et que c'est uniquement pour cette raison qu'ils insistent, néanmoins, je leur en suis reconnaissante.

— D'accord, accepté-je faiblement.

À peine le mot est-il sorti de ma bouche que la femme glisse son bras sous le mien, ignorant volontairement la crasse qui me recouvre, autant que l’odeur que je dégage, et me conduit, suivi de son mari, vers une pizzéria. Lorsque nous entrons, j'ai l'impression d'être le centre de l'attention, des clients, des employés, tous. Il faut dire que vu la couleur de ma peau, qui autrefois était si pâle, maintenant noire de tout ce qui se passe dehors, et l'état de mes vêtements, ce n'est pas étonnant. Pourtant mes « bienfaiteurs » ne semblent aucunement dérangés et m'entraînent à une table libre.

En attendant la serveuse, les deux personnes assises, sur la banquette de cuir rouge face à moi, se présentent.

— Alors, moi c’est Sienna et je te présente mon mari, Keith, poursuit la femme en désignant l’homme à ses côtés. Et toi tu es ?

— Noélie Reynolds... réponds-je heureuse d'être au chaud.

Cependant, je frotte mes mains l’une contre l’autre afin d’en effacer le froid bien installé.

— Quel âge as-tu Noélie ? 

Cette fois, c'est Keith qui prend la parole, et j’hésite quelques secondes sur la réponse à apporter. Étant mineur, cela mènera forcément à des questions dérangeantes, alors je mens.

— Dix-huit ans...

La serveuse interrompt ce moment et nous demande si nous avons choisi, étant donné que les sets de table font également office de carte. Je regarde ce qui est le moins cher, et annonce mon plat, le couple en face de moi commande et la jeune serveuse repart.

Keith pose sa main sur la mienne, placée sur le côté de mes couverts, et saisit celle de Sienna de l’autre, dont l’expression enjouée s’affaisse. Je les observe, confuse.

— Nous n'allons pas y aller par quatre chemins, commence Keith. Ma femme est stérile, et nous recherchons une mère porteuse. Une femme qui lui ressemble un tant soit peu…

Ma tête se tourne à droite et à gauche, cherchant une caméra cachée. C’est forcément une blague !

Ne prêtant aucune attention à ma gestuelle, il poursuit.

— Bien sûr, si tu acceptes, tu seras nourrie, logée, habillée, enfin nous prendrons soin de toi, et tu auras une rémunération...

Mon regard passe de l’un à l’autre, tandis que mon esprit tente d’assimiler cette requête, pour le moins bizarre.

Keith attend que la serveuse venant de réapparaître reparte pour poursuivre. La pauvre à l'air de débuter, et se confond en excuse pour ne pas nous avoir proposé à boire avant.

Pendant ce temps, je ressasse les paroles du mari qui ne le lâche pas des yeux. Serais-je capable de porter un enfant pour d'autres que moi ?

Non... serais-je plutôt capable de porter un enfant tout court !

Dans l’immédiat, je n'ai pas le rêve de construire quelque chose, d'avoir un avenir, une famille à moi. J’essaie juste de m’en sortir et d'avancer. Soyons honnête, qui voudrait d'une femme dans ma situation ?

Personne...

Ça fait bien longtemps que j'ai arrêté d'y croire, et ce bien avant de quitter le logement parental. J'aimerais leur donner cet aide, leur apporter ce qu'ils désirent... Puis ce ne serait pas vraiment mon enfant, je ne serai que le réceptacle, le four en quelque sorte, donc il n'y aurait pas d'abandon...

— Noélie ? m'appelle Sienna, visiblement inquiète de mon silence.

Je redresse la tête pour constater que la jeune serveuse attend de connaître ma consommation.

— De l'eau, s'il vous plaît. Juste de l'eau…

La petite jeune repart et cette fois Sienna prend la parole sur ce sujet de la plus haute importance pour les deux parties.

— Je me doute que ce n'est pas courant comme proposition, mais si tu pouvais y réfléchir, de plus, nous te ferons examiner par un médecin afin de nous assurer de ta bonne santé.

Je hoche la tête et replonge dans mes réflexions. Tant que ce n'est pas mon bébé que je laisse entre leurs mains, cela devrait être possible. Puis je pourrai repartir sur de bonnes bases, être propre, habillée, trouver un travail, et avoir un appartement. La seule chose qui m'en empêcherait serait que ce soit le mien, mais ça ne sera pas le cas, assurément.

Alors pourquoi cela me semble étrange, déroutant, et inquiétant ?

Puis-je leur faire confiance ?

Ils ne peuvent rien me prendre, je n'ai rien, et ce bébé ne serait pas de moi, il n'aurait pas mes gènes, ce ne serait pas une adoption…

Pas d'abandon… Pas d'abandon…

Juste un service pour un couple adorable.

Voilà ce que ça pourrait être.

La serveuse revient avec nos pizzas, alors que le couple me laisse réfléchir. Ils ne me pressent pas, ne me poussent d'aucune manière, ils attendent patiemment, du moins, Keith m'a quand même annoncé que j'avais le droit de refuser, que ça ne changerait rien au repas qui va arriver.

— Ça serait une insémination, n'est-ce pas ? les interrogé-je pour en avoir la certitude.

Sienna jette un coup d'œil à son mari avant de me répondre.

— Bien sûr. 

— Et si je ne peux pas... Enfin, me reprends-je. Si je ne corresponds pas à ce que vous attendez, que le médecin pense que ce n'est pas possible pour x raisons. Que ferez-vous de moi ?

— Nous t'aiderons quand même à retomber sur tes pieds, tu me sembles intelligente, on pourrait t'aider à trouver un job, puis un logement. 

 

Je prends le temps de réfléchir encore à cette proposition plus qu'improbable, toutefois, c’est difficile face à leur regard qui me scrute en permanence.

J’abaisse la tête, et en profite pour manger cette appétissante margherita qui me fait de l’œil. Mon estomac qui s'était tu à l’entente autant que la tournure de cette conversation, reprend du service. 

Arrivée à la moitié, je suis repu. Gardant le silence, je prends tout mon temps pour réfléchir,

Pourquoi ne font-ils pas appel à une agence ? Ce serait plus sérieux, sans compter que les chances de réussite seraient plus élevées.

Sienna semble s’apercevoir que mon esprit carbure, et m’interroge sur ce qui me tracasse.

— Et bien… débuté-je mal à l’aise. Ça ne serait plus simple et… sécuritaire pour vous de…

Je déteste perdre mes mots, mais ça fait trop de mois que je n’ai pas partagé autant de phrases sans être déshabillée.

— Enfin de… payer un centre de GPA spécialisé ?

Sienna secoue la tête négativement.

— Nous avons essayé, mais la personne s’est rétractée peu avant l’intervention, avoue Keith.

— Si près du but… lâche Sienna avec amertume et une pointe de regrets.

Je mentirais si je disais que ça ne me touchait pas, cependant, je dois aller au fond des choses. Être certaine de faire le bon choix.

— Rien ne vous prouve que ça n’arrivera pas avec quelqu’un comme moi…

— Rien, en effet… mais sans vouloir être condescendant, une personne dans le besoin à moins de chance de laisser tomber, sous peine de perdre ce qu’elle a à gagner, me répond Keith avec une mine contrite.

Sur ce point-là, il n’a pas tort…

— Est-ce que vous me laissez quelques jours avant de vous donner ma réponse ?

Je croise les doigts afin que le couple accepte. Car si je suis incapable de prendre cette décision à chaud, dire oui sur l’instant, je n’ai pas non plus envie de refuser une telle opportunité.

Seulement, il y a lui, cet homme sombre que malgré tous les signaux, annonçant le danger, que me renvoient mon cerveau, j’ai envie d’approcher…

 

2

 

Jaze.

 

Des heures que je frotte ce putain de béton afin d’en retirer toutes traces de sang, sous l’œil froid, et figé du cadavre enroulé dans un morceau de plastique.

Pas que ce soit obligatoire. Le bâtiment m’appartient entièrement. Les trois étages plus les caves sont à moi, et quasiment personne n’y met les pieds. En fait, personne à part mon frère…

Je pourrais louer des appartements, ça me rapporterait un peu plus de fric, mais j’en ai déjà tellement que je ne sais plus quoi en faire. Et même si les rénovations m’ont permis d’isoler chaque pièce, afin de ne laisser filtrer aucun son, je ne tiens pas à ce que des étrangers foutent leur nez dans mes affaires.

Mon frère a été très clair sur le sujet, « aucune preuve ne doit jamais subsister ! » 

Obéissant à chacun de ses ordres, je m’applique à tout faire disparaître. Ma reconnaissance envers lui est éternelle. Il m’a secouru quand j’en avais besoin et que j’étais incapable de me défendre seul. M’a appris à devenir le bourreau au lieu de la victime. A pris la place de nos parents du haut de ses treize ans, tandis que moi je n’en avais que sept.

Mon géniteur venait de rendre l’âme dans une agression violente, lorsqu’on nous a envoyés vivre chez notre mère. Celle-ci n’était pas ce qu’on peut cataloguer de parent aimant. Elle bossait tout le temps, obnubilée par le fait de devenir associée dans le cabinet d’avocats où elle travaillait à cette époque. Ne l’ayant pas obtenu, devancée par l’un de ses collègues, elle avait donné sa démission pour ouvrir le sien. Celui-ci lui prenait davantage d’heures, et elle restait souvent dormir à son bureau.

En bref, je dois tout à mon frère. Ma vie, tout comme ma loyauté…

 

Essuyant mon front couvert de sueur, du revers de ma manche, et ce malgré la fraîcheur de la pièce, je jette un regard aux alentours, et suis satisfait de remarquer que le sol est plus propre qu’en y entrant.

À présent que la nuit est tombée, il est temps de me débarrasser de l’encombrant. Je le saisis et le pousse sur mon épaule solide puis quitte la cave sans craindre de croiser qui que ce soit.

Passant par l’arrière, j’avance dans la pénombre pour rejoindre mon véhicule garé sur les graviers. Balançant mon paquet inerte sur le sol, j’extirpe mes clés de ma poche et presse le bouton de l’ouverture centralisée. Le battant du coffre se relève pour laisser place au fond impeccable.

Malgré tous les comportements malsains que je peux avoir, ou que je démontre sans ambiguïté auprès de ceux qui m’entourent, ou sont de passage dans ma vie, je ne supporte pas le désordre et la saleté. Sans arrêt, le besoin compulsif de ranger et nettoyer me dévore. Comme si ça pouvait faire disparaître les horreurs, dont le monstre, tapi dans mon ombre, se repaît en toute quiétude.

Secouant la tête pour échapper à mes pensées sordides, j’arrange la bâche déjà étalée sur la moquette noire, balance le corps au-dessus, avant de l’envelopper comme dans un sac mortuaire, et resserrer des cordes aux extrémités.

Il ne faudrait pas qu’il vienne tacher l’intérieur de ma Lexus IS. Ce n’est pas tant que je tiens à cette voiture, mais plutôt que ça m’aide à garder la tête froide, et m’empêche de dégueuler encore une fois. Ensuite, je m’installe au volant, et roule sur plusieurs kilomètres, traversant Williamsburg, quartiers de bourges et de bobos en tous genres, afin d’atteindre East River.

Monsieur Balden désirait gagner de l’argent pour avoir de quoi emménager en ce lieu, et avoir la vue sur Manhattan de l’autre côté du détroit.

De par la mort, son souhait est exaucé…

Après m’être débarrassé de mon « chargement plastifié », je reprends la direction de mon immeuble. Ma peau me démange tant la crasse y est incrustée. J’ai besoin de prendre une douche, et ce, rapidement !

Avec précipitation, je m’engouffre entre les deux portes de l’allée, en rangeant le badge dans ma poche, dégaine mon trousseau, et déverrouille le premier appartement du troisième. Le seul ressemblant à un véritable logement. 65m carrés de surface, répartie en deux chambres, une cuisine ouverte sur le salon, des toilettes, et une salle de bain avec douche. Le tout carrelé de noir ou blanc, du sol au plafond. Les meubles récents ne servent qu’à donner l’illusion que mon être n’est pas détraqué, tout comme le téléviseur 4K de 65 pouces. Celui-ci n’est jamais en route, je n’ai pas de temps à perdre, à m’emmerder avec des séries, des films, ou des émissions à la con.

Avec rapidité, je vire les fringues avant de les foutre dans la machine à laver, et me glisser sous l’eau froide.

Étrangement, c’est à cette température glaciale que mon corps s’apaise, et que mon esprit catalogue les derniers instants, afin de les ranger dans un compartiment. Puis il les ressort plus tard pour en révéler chaque détail à mon frère dans un état de nerfs contre moi-même. Celui-ci écoute toujours jusqu’au bout avant de porter un jugement, et en général, même quand je merde, comme aujourd’hui, il reste impassible face à ma folie.

Car je dois bien admettre que je suis le plus fou de nous deux.

Lui est froid, calme. Il s’énerve rarement, ne pleure jamais. Ne s’embarrasse d’aucune émotion d’aucune sorte. C’est même surprenant qu’il soit marié, et plus encore que sa femme soit identique à lui. Alors que pour ma part, s’il y a presque deux décennies que j’ai asséché mes glandes lacrymales, ça ne retient jamais quelques débordements, dont des personnes comme ma victime de tout à l’heure en ont fait les frais.

Enfin, ça fait bien des années que j’ai arrêté d’essayer de le décrypter. Il ordonne, et j’exécute sans me poser de questions.

Sortant de la douche, le corps frissonnant et se couvrant de chair de poule, je me rends dans ma chambre enfiler une tenue propre.

Mes fringues étant quasiment presque identique, des jeans sombres, tee-shirts, sweats, jusqu’aux sous-vêtements dans le même ton, je n’hésite jamais sur quoi porter. Une main, dans mes cheveux humides, me permet de les remettre en place, sans fioritures. Le reste, des shorts en tissu souple, spécialement pour les combats.

Des images dérangeantes de la mâchoire en vrac s’impriment derrière les rétines.

Je dois évacuer ! C’est le seul moyen pour oublier jusqu’au compte rendu !

J’attrape les clés de la Lexus, et de l’appartement, et sors en quatrième vitesse de mon logement. Ma conduite sportive me permet d’être rapidement à destination et de tourner dans les rues à la recherche d’une seule et unique chose.

Une pute…

Mais pas n’importe laquelle. Je veux celle que j’ai utilisée les trois ou quatre dernières fois, je ne sais plus. Dans mon esprit tordu, j’ai perdu le compte. Celle-ci dégage une lumière que personne n’a réussi à briser, et c’est ce qui m’attire chez elle. Le fait qu’elle soit entière, alors que son corps sert d’exutoire à des types comme moi.

Et dont je suis le pire…

Ma queue frétille d’avance en pensant à ce que je vais lui mettre…

 

Seulement après avoir tourné durant plusieurs minutes dans les ghettos de Bushwick, elle reste introuvable.

La colère et la frustration me submergent.

J’ai besoin d’elle, de sa bouche pulpeuse serrée autour de mon membre pénétrant sa gorge ! De sa petite chatte plus utilisée qu’un quai de gare ! De son cul ouvert pour mon plaisir !

Incapable de me rabattre sur les femmes installées à divers endroits stratégiques sur les trottoirs. Recouvertes de mini-jupe ne couvrant que le strict minimum. Fardées comme le recommande leur métier, et peut-être également leur maquereau. Je me gare sur la première place vide, et entreprends des recherches plus approfondies…

 

Ça me prend un temps fou pour la débusquer dans une ruelle encadrée par les ténèbres. Aucun lampadaire n’éclaire cette partie, et j’aurais pu passer à côté si je n’avais pas détecté une masse, trop menue pour être un homme, trop grande pour être un animal.

À peine ai-je pénétré l’endroit, que ses yeux se sont ouverts, qu’elle s’est ratatinée sous un vieux morceau de cartons éclaté pour la recouvrir presque complètement. L’éclairage ne lui permettant pas de distinguer l’intrus, elle semble prête à me sauter dessus, histoire d’avoir le temps de déguerpir.

Mais même si elle le voulait, je ne la laisserais pas faire. En aucun cas, elle ne peut m’échapper !

Contrairement aux autres nuits, je tends la main dans sa direction.

— Viens !

Elle semble reconnaître ma voix, car imperceptiblement, elle se détend.

Mon ton ne souffre aucun refus, pourtant elle décline de la tête, sans même desserrer les lèvres, rendant ma frustration plus importante.

— Qu’est-ce qu’il y a ? Tu fais la fine bouche aujourd’hui ?

Lentement, elle secoue la tête.

Non, mais sérieusement, je ne vais quand même pas devoir me battre afin de mettre une pute dans mon lit ! Je ne suis certainement pas quelqu’un de recommandable, mais ma plastic est bien faite. Attrayante. 1m90, pour 95 kg de muscles. Des cheveux bruns et en batailles. Un visage carré et pas trop mal à regarder, même si une cicatrice, de la longueur de mon pied le traverse de haut en bas. Des biceps épais, tatoués de long en large, et dont l’encre descend jusqu’aux poignets.

Je pourrais sans mal me tourner vers une autre, seulement c’est celle-ci que je veux. Son visage fin. Son regard se contractant sous le plaisir qu’elle refuse d’accepter. Rendant mes efforts dignes d’un challenge de haut rang. Sa chevelure blonde tombant sous ses épaules, et facile à agripper en levrette.

D’une main habile, je replace mon sexe se sentant à l’étroit et ne demandant qu’à servir.

Elle ne va quand même pas m’obliger à la supplier ! Ce n’est pas mon genre, je ne m'abaisserai plus jamais à me mettre à genoux devant qui que ce soit !

D’un pas assuré, je m’avance, puis m’abaisse pour me mettre à sa hauteur. Ses yeux se détournent pour éviter de croiser les miens.

Hors de question qu’elle se dérobe !

De mon index, je soulève son menton et l’oblige à croiser mon regard chargé de démons, tous plus sanglants et effrayants les uns que les autres. Puis, la paume toujours tendue, je réitère ma demande, ou plutôt, mon ordre.

— Viens !

Cette fois, elle ne résiste pas, comprenant qu’il est dans son intérêt d’obéir. Je n’ai jamais battu, ou violé une femme, mais je sais parfaitement les diriger, leur faire croire que je suis capable du pire. Et peut-être le suis-je finalement, vu que je suis prêt à tout pour obtenir ce que je suis venu chercher.

D’un geste sûr, je la relève, et comme chaque fois qu’elle m’a suivi, je la laisse récupérer un sac contenant le peu d’affaires lui appartenant, pendant que de mon côté, je verse un peu de gel sur mes mains.

Je ne peux pas la toucher dans cet état !

Mon souffle est court lorsque je la regarde s’asseoir sur une nouvelle bâche, placée sur le siège. Si je poursuis dans cette voie, il faudra bientôt que je prenne des actions chez le fabricant…

Tout le long du trajet, elle reste silencieuse. C’est aussi l’une des raisons pour laquelle je la choisis. Elle ne s’embarrasse pas de paroles superflues, ne partage pas ses journées merdiques, et je conserve les miennes pour moi.

Néanmoins, ce soir, c’est différent.

Si je ne lui avais pas forcé la main, elle serait restée sur sa couche, sans bouger, à attendre le lendemain. Ça m’impressionne. Je croyais, dur comme fer, qu’elle se faisait baiser et payer toutes les nuits.

Visiblement non…

Et ça m’intrigue. Généralement, je décrypte parfaitement les gens. Leurs défauts, souvent en surnombre. Leurs qualités, rarement égales au premier. Mais pas chez elle…

Comme un imbécile, je secoue la tête de droite à gauche. Je ne l’ai pas embarqué pour autre chose que pour me défouler. Je n’ai pas l’utilité de découvrir qui elle est…

Mon regard glisse pour la énième fois sur son corps, et je sais que je vais passer un agréable moment, autant que combler toutes mes attentes. Même les plus perverses…

 

3

 

Noélie.

 

En reprenant la direction de mon emplacement, un petit paquet renfermant les restes de ma pizza à la main, je repense à la proposition du couple. M’interroge sur ce que je vais faire. Ils m’ont accordé trois jours pour réfléchir, et je compte bien l’utiliser comme il se doit.

Ce n’est pas une décision à prendre à la légère, alors dans mon esprit, je pèse le pour et le contre.

Premièrement, ça me permettrait de quitter la rue. Un détail, mais pas des moindres. Celui qui risque de peser le plus dans la balance.

Deuxièmement, un salaire me sera versé, et je pourrais le mettre de côté pour le jour où je reprendrais le cours de ma vie.

Troisièmement, je n’aurais plus à craindre de m’endormir, effrayée à l’idée qu’on s’en prenne à moi durant mon sommeil.

Quatrièmement, le bébé ne m’appartiendrait pas. Il ne serait pas de moi.

Cinquièmement, je rendrais un couple heureux…

Le problème étant : est-ce que je suis apte à tomber enceinte ? Porter un enfant ? Il y a tellement de femmes qui n’ont malheureusement pas cette chance, que je peux me poser la question. Et puis, le couple me semble généreux, adorable, mais je ne les connais pas réellement. Ce pourrait parfaitement être des tueurs en séries adeptes de jeunes femmes pour pimenter leur vie…

Je ricane toute seule à cette idée. Je regardais trop les différentes émissions de crimes lorsque j’étais encore chez mes parents, et depuis ce sont les gros titres qui attirent mon attention.

De plus, même si le comportement répréhensible de mon père me dérangeait, pas une seconde je ne l’aurais imaginé vouloir abuser de moi.

Cette théorie me confirme que connaître les gens ne signifie rien. Qu’on ne peut pas réellement leur faire confiance…

Ce n’est que lorsque je vois des agents en uniforme contrôler les marchands, que je prends mes jambes à mon cou. Étant mineur, ils pourraient parfaitement me ramener chez moi, ou me faire entrer dans le système, encadrée par les services sociaux, même si cette seconde option me semble peu probable.

 

Mes dix-sept ans paraissent me porter bonheur. Tout d’abord, on m’offre à manger, ainsi qu’une meilleure condition. Et à présent, je découvre un magazine féminin oublié sur un banc.

J’aurais largement préféré un roman, avec une fin à la « pretty woman 2», mon film préféré, mais c’est déjà pas mal. Ça va m’occuper pour le reste de la journée.

 

En refermant la dernière page, la nuit est déjà présente depuis un moment, et il me fallait à tout pris la lueur des réverbères pour continuer à découvrir les nouveaux amours de Miley Cyrus 3avec Cody Simpson 4qui font beaucoup parler d’eux. Habituellement, je me fiche de ces torchons à scandale, seulement, aujourd’hui, ça a eu le mérite de me distraire. Ma tête est trop pleine et je n’arrive pas à réfléchir.

Par moment j’ai envie de dire oui à Keith et Sienna, qui sont les premiers à me porter un réel intérêt depuis des mois. Même si eux aussi s’attendent à ce que j’écarte les jambes. Leur raison est plus noble, et non avilissante. Puis la seconde suivante, je ne pense plus qu’à refuser, craignant surtout de ne pas être à la hauteur de ce qu’on me propose. Je sais bien que je n’aurais rien à faire, juste à me laisser porter par le mouvement. Néanmoins, ça m’angoisse…