Le droit d'auteur - Jean-Luc Putz - E-Book

Le droit d'auteur E-Book

Jean-Luc Putz

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Beschreibung

Le droit d’auteur protège les œuvres de l’esprit présentant un certain degré d’originalité, à savoir les œuvres littéraires et artistiques. Il constitue un des piliers de la propriété intellectuelle. Un nombre croissant d’échanges économiques porte, en tout ou en partie, sur des biens immatériels, de sorte qu’un encadrement juridique adéquat est primordial.

En dépit d’une harmonisation intense tant au niveau européen qu’au niveau international, la législation sur les droits d’auteur comporte de nombreuses spécificités nationales. Il a dès lors paru opportun d’analyser le droit luxembourgeois afférent dans un manuel qui s’adresse tant aux juristes qu’aux professionnels du secteur. Le droit d’auteur est soumis à d’incessantes évolutions législatives et jurisprudentielles.

Dans cet ouvrage, le lecteur trouvera une version revue, actualisée et complétée du premier texte, remontant à 2008.

Son objectif est :
- de fournir un aperçu d’ensemble des droits d’auteur,
- d’analyser les règles légales applicables au Luxembourg, tout en les illustrant avec les travaux parlementaires et les jurisprudences existantes,
- de détailler les droits conférés aux auteurs et les limites imposées par la loi.

L’ouvrage enchaîne avec la description des modalités de gestion individuelle et collective des droits et se termine par un descriptif des procédures civiles et pénales permettant aux titulaires de se défendre en justice.

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REGARDS SURLE DROITLUXEMBOURGEOIS

DROIT CIVIL

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www.luxorr.lu

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© DBIT s.a. département Promoculture-Larcier 2013

Membre du Groupe Larcier7, rue des 3 CantonsL-8399 Windhof

Tous droits réservés pour tous pays.Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

EAN 978-2-87974-580-0

ISSN 2305-5642

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

« Nous sommes les travailleurs de la pensée ; notre œuvre est certainement profitable à l’humanité qu’elle tend à instruire, à éclairer, à élever, à civiliser toujours davantage ; nous estimons avoir droit, comme les autres hommes, au fruit de nos labeurs »

Numa Droz, discours d’ouverture de la premièreConférence de Berne, 1884
Table des matières
Couverture
Titre
Copyright
Sommaire
Préface
Avant-propos
Chapitre 1 - Introduction
I – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR
II – LES DROITS D’AUTEUR DANS LE CADRE GÉNÉRAL DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
III –  LA DÉSACRALISATION DES DROITS D’AUTEUR
1 – Des arts purs, en passant par les arts appliqués, jusqu’au simple contenu
2 – D’un droit de la personnalité vers un instrument de politique économique
IV – PLAIDOYER POUR UN DROIT D’AUTEUR EFFICACE
1 – Les droits d’auteur au centre des contestations
2 – Une pondération d’intérêts
a) Incitation à la création et rentabilité économique
b) Reconnaître non la propriété, mais le travail de l’auteur
c) Prise en compte des intérêts du public
V – L’ŒUVRE ET SON SUPPORT – PROPRIÉTÉ MATÉRIELLE ET DROIT D’AUTEUR
VI – SOURCES DE DROIT
1 – Lois et règlements luxembourgeois
2 – Sources internationales
a) Sources communautaires
b) Traités internationaux
3 –  Jurisprudence et doctrine
4 – Codes de conduite
Chapitre 2 - Les œuvres protégées
I – FORME ET ORIGINALITÉ
1 – Une œuvre mise en forme
a) Les idées ne sont pas protégeables
b) Une création humaine
c) Une forme susceptible de perception par l’homme
2 – L’originalité de l’œuvre
a) Une recherche consciente de forme
b) Quel degré d’originalité exiger ?
c) Les critères indifférents
II – ŒUVRES ÉTRANGÈRES
III – CATÉGORIES D’ŒUVRES
Chapitre 3 - La qualité d’auteur
I – LA DÉFINITION DE L’AUTEUR
1 – Critère d’antériorité ?
2 – Absence de formalités légales
II – IDENTIFICATION DE L’AUTEUR
1 – Présomptions et dérogations concernant la qualité d’auteur
2 – Procédure spéciale en cas d’impossibilité d’identifier les héritiers
3 – Les solutions de la pratique
4 –  Registre du droit d’auteur et des droits voisins : un projet mort-né
5 – Les œuvres orphelines
III – L’ŒUVRE CRÉÉE SOUS UN LIEN DE DÉPENDANCE
1 – La création salariale
2 – L’œuvre de commande
Chapitre 4 - Les droits conférés à l’auteur
I – DROITS MORAUX
1 – Les droits moraux post mortem
2 – Les droits moraux sont-ils cessibles et transmissibles ?
3 – Catégories de droits moraux
a) Droit de revendiquer la paternité
(i) Le droit de paternité
(ii) Un droit de non-paternité spécifique aux journalistes
b) Droit de s’opposer à toute déformation
c) Droit de divulgation
(i) Personnes pouvant exercer le droit de divulgation
(ii) Le droit de divulgation en confrontation avec le droit civil
II – DROITS PATRIMONIAUX
1 – Le droit de reproduction
2 – Le droit de communication au public
a) Types de communication au public
b) Le public
3 –  Le droit de location et de prêt
a) Droit de location
b) Droit de prêt public
4 – Le droit de distribution au public
5 – Droits spécifiques en matière d’arts plastiques
a) Le droit de suite
(i) La notion d’œuvre d’art
(ii) Détermination de la créance et du débiteur du droit de suite
b) Le droit d’accès
Chapitre 5 - Les limites aux droits d’auteur
I – LIMITES MATÉRIELLES
1 – La nature des exceptions
a) Diversité des justifications : intérêt public, intérêt privé
b) Le droit à l’exception
2 – Limitation de la limitation : le test des trois étapes
3 – Divers cas d’exception
a) Reproduction privée (copie privée)
(i) Notion de copie privée
(ii) La compensation équitable pour copie privée
b) Le droit de citation
c) Autres exceptions
d) Les exceptions non retenues
II – LIMITES TEMPORELLES
1 – Durée ordinaire
2 – Droit transitoire
3 –  Durées spéciales
Chapitre 6 - Œuvres spécifiques et droits voisins
I – CATÉGORIES D’ŒUVRES SOUMISES À DES RÈGLES SPÉCIFIQUES
1 – Œuvres audiovisuelles
a) Notion d’auteur pour les œuvres audiovisuelles
b) Le sort des autres créatifs ayant participé à l’œuvre audiovisuelle
2 – Œuvres plastiques
3 –  Programmes d’ordinateur
a) Conditions et bénéficiaires de la protection
b) Droits conférés à l’auteur et exceptions
II – LES DROITS VOISINS
1 –  Les artistes-interprètes et exécutants
a) La notion d’artiste-interprète
b) Droits reconnus à l’artiste-interprète
c) Les limites et exceptions des prérogatives de l’artiste-interprète
d) Gestion contractuelle des droits voisins de l’artiste
2 –  En bref : les producteurs de musiques et de films
3 – En bref : les organismes de radiodiffusion
III – LES DROITS SUI GENERIS
1 – Les bases de données
a) Notion et modalités de la protection sui generis
b) Droits et exceptions
2 – Le droit de publication posthume
Chapitre 7 - L’Exercice individuel des droits d’auteur
I – LE DROIT CONTRACTUEL DES CONTRATS D’AUTEUR
1 – Droit commun des contrats d’auteur
a) Recours aux règles du Code Civil
b) La cession des droits d’auteur
(i) Libre cessibilité des droits d’auteur
(ii) Formalités de cession
(iii) Principe d’interprétation restrictive
c) Rémunération convenue en échange de la cession
2 – Droit spécial des contrats d’auteur
a) Contrat d’édition
(i) Obligations à charge des parties
(ii) Un contrat intuitu personae
b) Contrat de représentation
II – DROIT D’AUTEUR ET DROIT DE LA FAMILLE
1 – Gestion au sein du régime matrimonial
2 – Gestion successorale
III – PLURALITÉ D’AUTEURS SUR UNE MÊME ŒUVRE
1 – L’œuvre indivise
a) Notion d’œuvre indivise
b) Régime des œuvres indivises
2 – L’œuvre dirigée
a) Notion d’œuvre dirigée
b) Conséquences pour les droits d’auteur
3 – L’œuvre dérivée
Chapitre 8 - L’exercice collectif de droits
I – LES ORGANISMES DE GESTION COLLECTIVE
1 – Mission des organismes de gestion collective
2 – Structure des organismes de gestion collective
3 – Contrôle des organismes de gestion collective
a) Contrôle lors de la constitution
b) Contrôle en cours d’activité
II – RELATIONS ENTRE LES ORGANISMES DE GESTION, LES TITULAIRES ET LES UTILISATEURS
1 – Relations entre l’organisme et les titulaires de droits
2 – Relations entre l’organisme et les utilisateurs
III – PRINCIPES GÉNÉRAUX DE LA GESTION COLLECTIVE DE DROITS
1 – Fixation des tarifs à payer par les utilisateurs
2 – Fixation des modalités de répartition aux titulaires
Chapitre 9 - Protection contre les violations de droits d’auteur
I – PROTECTION MATÉRIELLE
1 – Mesures techniques de protection
a) Protection juridique des mesures techniques
b) Préservation des accès légitimes
2 – L’information sur le régime des droits
II – PROTECTION JURIDIQUE : ACTIONS ET VOIES DE RECOURS
1 – Observations communes aux procédures civiles et pénales
a) La notion de contrefaçon
b) Demandeur et défendeur à l’action
2 – Actions civiles
a) Action en cessation
(i) Procédure
(ii) Conditions de fond
b) Procédures destinées à assurer le respect des droits
c) Saisie et description de biens contrefaits
d) Mesures provisoires et conservatoires
e) Règles communes
f) Action au fond
3 – Sanctions pénales
a) Le délit de contrefaçon
b) Un délit à part : l’usurpation de nom
c) Recel et blanchiment
Chapitre 10 - Organismes et intervenants
I – ORGANISMES PUBLICS NATIONAUX
1 – Ministère de l’Économie
2 – Commission des droits d’auteur
3 – Commissaire aux droits d’auteur
4 – Administration des douanes et accises
II – LES ORGANISMES DE GESTION COLLECTIVE AU LUXEMBOURG
Bibliographie
1. LIVRES ET ARTICLES DE DOCTRINE PORTANT SUR LE DROIT D’AUTEUR LUXEMBOURGEOIS
2. ARTICLES DE PRESSE
2.1. Contribution au FORUM
2.2. Dossier d’articles paru au journal « d’Land » sous le titre « le droit d’auteur en question »
3. AUTRES ARTICLES
4. DROIT BELGE
5. RECUEILS
Index alphabétique

Sommaire

Préface

Avant-propos

CHAPITRE 1

Introduction

CHAPITRE 2

Les œuvres protégées

CHAPITRE 3

La qualité d’auteur

CHAPITRE 4

Les droits conférés à l’auteur

CHAPITRE 5

Les limites aux droits d’auteur

CHAPITRE 6

Œuvres spécifiques et droits voisins

CHAPITRE 7

L’exercice individuel des droits d’auteur

CHAPITRE 8

L’exercice collectif de droits

CHAPITRE 9

Protection contre les violations de droits d’auteur

CHAPITRE 10

Organismes et intervenants

Bibliographie

Index alphabétique

Préface

Le sujet de la propriété intellectuelle a de nombreuses facettes. Celles-ci se composent, d’un côté, de la propriété industrielle (brevet, marques, dessins et modèles) et, de l’autre côté, de la propriété littéraire et artistique. Ces biens immatériels ont fait émerger une nouvelle forme d’économie. Cette économie du savoir devient de plus en plus importante dans notre société où la connaissance représente un avantage considérable. C’est dans ce contexte que les droits d’auteur, qui protègent les œuvres littéraires et artistiques, sont un sujet de priorité au niveau législatif.

Le perfectionnement des systèmes encadrant les droits de la propriété intellectuelle est important tant au niveau national qu’européen. Dans ce cadre, la Commission Européenne a publié récemment une communication dédiée à la création d’un marché unique des droits de la propriété intellectuelle : « Vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle – Doper la créativité et l’innovation pour permettre à l’Europe de créer de la croissance économique, des emplois et des produits et services de premiers choix1 ». Cette communication s’inscrit dans la ligne directe de la stratégie Europe 2020 et démontre l’évolution de la place des droits de propriété intellectuelle dans notre société. L’objectif de l’Union européenne est d’accorder une protection proportionnée aux titulaires de droit et d’uniformiser autant que possible les systèmes nationaux pour favoriser la diffusion du savoir.

Les droits de propriété intellectuelle nécessitent une attention particulière au niveau politique, économique, social et culturel. Cet ouvrage permet d’illustrer l’importance croissante du droit d’auteur. Ce manuel est à la portée de tous, il s’adresse aussi bien aux praticiens qu’au public novice intéressé par la matière.

Dans le domaine des droits d’auteurs, le rôle économique et le rôle culturel attachés à ces droits sont souvent décrits comme antagonistes. Cependant, cela n’est pas forcément le cas. En effet, les droits d’auteur visent à rémunérer équitablement l’auteur afin que ce dernier puisse vivre de ses créations. Cela permet donc à l’auteur de continuer à créer tout en vivant de ses créations. Les droits de propriété intellectuelle visent à trouver un juste équilibre entre les intérêts en jeu.

La législation luxembourgeoise cherche à garantir cet équilibre pour satisfaire les différents acteurs. Cette stratégie à long terme pourra permettre au Luxembourg de s’imposer comme une place de premier choix pour les activités liées à la propriété intellectuelle. Il s’agit dès lors de savoir valoriser les avantages qu’un territoire tel que le Luxembourg peut offrir tout en s’adaptant aux besoins de l’économie actuelle.

Il revient au ministère de l’Économie et du Commerce extérieur, en charge des droits de propriété intellectuelle, de poursuivre un programme cohérent ayant pour but une amélioration constante du cadre juridique pour la propriété intellectuelle.

Je tiens à féliciter l’auteur pour son initiative d’analyse de la législation luxembourgeoise et de ses spécificités en matière de droit d’auteur. La deuxième édition de ce manuel permet de donner une vue d’ensemble de la situation luxembourgeoise et de continuer le débat sur la propriété intellectuelle tout en sensibilisant le public à l’importance de la propriété intellectuelle.

Étienne Schneider Ministre de l’Économie et du Commerce Extérieur

1. Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité Économique et Social et au Comité des Régions – Vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle, Doper la créativité et l’innovation pour permettre à l’Europe de créer de la croissance économique, des emplois de qualité et des produits et services de premier choix – COM (2011) 287 final du 24 mai 2011.

Avant-propos

Les échanges commerciaux s’emparent du domaine immatériel ; parmi les objets de convoitise et de consommation, les idées, créations et données volent la vedette aux marchandises matérielles et tangibles. Que ce soit un article de journal, une photo publicitaire, un jeu vidéo, une sonnerie de portable, une aquarelle ou l’architecture recherchée d’un immeuble, les œuvres protégées sont présentes au quotidien, et les règles du droit d’auteur dictent la façon d’interagir avec elles.

Au premier rang, il faut souligner la valeur culturelle des œuvres littéraires et artistiques, qui transcende les concepts de propriété et de valorisation. Cet aspect prévaut pour les œuvres « d’art pur ». Mais, de l’aquarelle du maître au personnage d’un jeu vidéo, de la symphonie à la sonnerie de portable, de la sculpture de bronze à la forme originale d’un saladier, toute œuvre qui présente un caractère d’originalité tombe sous le régime des droits d’auteur, indépendamment de sa valeur artistique qui échappe à toute mesure.

Ainsi, mis à part l’aspect culturel et artistique, une œuvre est également une marchandise. En effet, les droits d’auteur établissent une relation entre l’œuvre et son auteur et limitent le libre accès des tiers à cette œuvre, ce qui la fait entrer dans le circuit des échanges commerciaux. L’auteur détient un droit de propriété immatériel, son œuvre lui appartient.

Il existe certes de nombreuses initiatives qui cherchent à imposer une vision différente des droits d’auteur, épurée de toute notion de propriété individuelle et d’aspects commerciaux. Or, s’il est vrai qu’il découle de nos valeurs de démocratie et de liberté que l’accès à l’information est libre, cela n’implique cependant pas qu’il soit gratuit. Il faut souligner que les pouvoirs publics, à travers les institutions culturelles, telles les bibliothèques, garantissent que des barrières sociales ou financières ne privent personne de l’accès à la culture, à la littérature et à l’art. Au-delà toutefois, les œuvres et créations constituent des produits nés de l’effort de l’auteur et de l’investissement de l’éditeur, qui n’ont pas davantage vocation à appartenir à tout le monde que n’importe quel autre bien.

Le droit d’auteur sous sa forme actuelle est nécessaire pour permettre la valorisation des contenus ; il permet aux auteurs et artistes de se professionnaliser en percevant une rémunération et donne aux éditeurs la sécurité juridique requise pour se lancer dans l’édition et la distribution du savoir et de la culture.

L’existence d’une législation efficace en matière de droits d’auteur est donc créatrice d’emplois, d’innovation et de croissance, et elle participe au développement économique, social et culturel du Grand-Duché.

Eu égard au rôle économique grandissant de la propriété intellectuelle en général et des droits d’auteur en particulier, il a paru opportun de regrouper dans un manuel l’essentiel des règles régissant les œuvres de l’esprit originales.

L’objectif du présent manuel est de fournir un aperçu d’ensemble des règles applicables au Luxembourg en matière de droits d’auteur. Il se concentre sur le noyau des droits d’auteur et n’aborde qu’accessoirement les questions intéressant les droits voisins aux droits d’auteur.

Il a paru inopportun de recourir à des sources de droit étrangères, aussi riches et pertinentes qu’elles puissent être. Il n’en serait résulté qu’un ouvrage inspiré du droit français, belge ou allemand ; or, pour ces ordres juridiques, il existe de nombreux et excellents traités, ouvrages et commentaires, que le présent ouvrage n’a pas la prétention de concurrencer. Son objectif est de fournir un condensé des spécificités luxembourgeoises du droit d’auteur. Mis à part les références indispensables aux sources internationales et communautaires, l’ouvrage se limite donc à se référer aux ressources nationales.

Toutefois, les ressources luxembourgeoises sur les droits d’auteur sont rares. Les jurisprudences, dont la publication reste sommaire au Luxembourg, sont peu nombreuses. Mis à part quelques articles traitant des aspects spécifiques, la doctrine est inexistante. Bien souvent, les travaux parlementaires constituent la seule référence, raison pour laquelle ils ont été fortement sollicités.

« Le droit d’auteur et les droits voisins sont en train de subir, principalement à la suite du développement des nouvelles technologies de la communication multimédia, une véritable mutation, qui se reflète dans la codification de nouvelles règles de droit au niveau communautaire et international » (Projet de loi no 4226, Exposé des motifs, page 2).

Le droit d’auteur est ainsi un droit en perpétuelle évolution. Il bat au rythme des innovations technologiques qui donnent sans cesse naissance à de nouveaux supports et médias et à de nouvelles façons de créer, communiquer et consommer l’information. Il doit donc constamment s’adapter et se réinventer, les initiatives normatives provenant tant du législateur national que des institutions communautaires et internationales. Le présent manuel ne fournit donc qu’un cliché instantané du droit d’auteur.

Chapitre 1

Introduction

I La nature du droit d’auteur

II Les droits d’auteur dans le cadre général de la propriété intellectuelle

III La désacralisation des droits d’auteur

1. Des arts purs, en passant par les arts appliqués, jusqu’au simple contenu

2. D’un droit de la personnalité vers un instrument de politique économique

IV Plaidoyer pour un droit d’auteur efficace

1. Les droits d’auteur au centre des contestations

2. Une pondération d’intérêts

V L’œuvre et son support – propriété matérielle et droit d’auteur

VI Sources de droit

1 Les droits d’auteur protègent les œuvres de l’esprit. En tant que biens immatériels, ils doivent leur existence à la loi qui confère à l’auteur d’une œuvre un droit d’exclusivité sur celle-ci.12

2 En effet, à défaut d’attaches dans le monde matériel, dès qu’une création intellectuelle est divulguée au public, il est difficile de la protéger matériellement ; tout un chacun la « détient » et peut se l’approprier simplement en en prenant connaissance. Les droits d’auteur requièrent un système juridique avancé et ayant atteint un degré d’abstraction élevé pour qu’il soit capable d’imposer aux acteurs économiques de reconnaître à l’auteur un privilège temporaire pour exploiter sa création, et pour faire respecter cette « propriété » qui n’est qu’un artifice juridique.

3 Les œuvres littéraires et artistiques forment l’objet du droit d’auteur, sa vocation étant de les protéger contre les atteintes par des tiers. Il enveloppe ainsi les œuvres de l’esprit d’un carcan protecteur, mais ne s’intéresse pas à leur contenu. Le contenu est réglementé par de nombreuses autres dispositions, dont le principe de base est la liberté de création (qui se décline notamment en liberté d’opinion, liberté d’expression et liberté de la presse), et qui se voit mise en équilibre par les règles relatives au droit à l’image, au droit au respect de sa personne, par les règles de sauvegarde de l’ordre public et des bonnes mœurs, de la protection de la jeunesse, etc.

4 La présente introduction s’intéressera dans un premier temps à la nature du droit d’auteur (titre I) et à son rôle dans la sphère de la propriété intellectuelle (titre II). Sans aborder en détail les origines et l’historique des droits d’auteur, une appréciation critique est faite de la mutation que les droits d’auteur ont subie au contact avec l’économie et la politique modernes (titre III), tout en soulignant l’importance à maintenir une législation efficace en matière d’œuvres de l’esprit (titre IV). Avant d’inventorier les sources de droit nationales et internationales intéressant les droits d’auteur (titre VI), la subtile interaction entre l’œuvre abstraite et le support matériel mérite une digression (titre V).

I – LA NATURE DU DROIT D’AUTEUR

5 La question de la nature du droit d’auteur présente de multiples facettes, autant nombreuses sont les catégories dont il peut se réclamer :

6 • Droit civil ordinaire ou droit fondamental ? « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur »3 énonce la déclaration universelle des droits de l’homme. Les droits d’auteur se voient ainsi élevés au rang de droit fondamental. Mais ce statut est frêle, vu que cette disposition est loin d’avoir son pendant dans toutes les autres conventions et déclarations relatives aux droits de l’homme et aux droits fondamentaux4. Une importante étape a été franchie avec la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne, dont la valeur juridique est désormais clarifiée5, et qui énonce que « La propriété intellectuelle est protégée »6. Une interprétation moderne du droit de propriété permettrait également de faire accéder les droits d’auteur à un rang supérieur. Sur le plan national, la Constitution luxembourgeoise garantit certes le droit de propriété7, mais ce dernier est considéré comme visant essentiellement, sinon exclusivement la propriété immobilière8 et ne paraît pas pouvoir être étendu aux biens immatériels. La Cour Européenne des Droits de l’Homme par contre admet que des droits de propriété intellectuelle peuvent être protégés à titre de propriété9. Il faut enfin observer que l’article 11 (1) de la Constitution luxembourgeoise garantit les « droits naturels de la personne humaine » et que l’article 24 garantit la liberté de manifester ses opinions. Or, une partie de la doctrine voit dans les droits d’auteur un droit naturel, ou alors une composante nécessaire des libertés d’expression et de création.

7 • Droits matériels et droits immatériels. Les droits d’auteur font sans nul doute partie des « droits immatériels », plus précisément des droits portant sur des biens incorporels. Ils présentent la spécificité de ne pas avoir d’attache dans le monde matériel. Ils n’existent que par l’effet du droit. En d’autres termes, les droits d’auteur n’existent que parce que la loi postule leur existence et qu’en cas de non-respect, les tribunaux et exécutants du pouvoir public prêtent main forte pour les imposer par la contrainte. Il s’agit d’une création humaine ; la reconnaissance et la réglementation de telles valeurs immatérielles suppose un degré de développement et d’abstraction juridique et économique élevé.

8 • Droit de propriété ? Droits réels ou droits personnels ? Au sens large, les droits d’auteur relèvent de la catégorie dénommée « propriété intellectuelle ». Or, peut-on considérer que le droit d’auteur confère à son titulaire un véritable droit de propriété10 ? Au sens technique, il s’agirait d’un droit réel opposable à tous. Le droit luxembourgeoise ne prend plus position à ce sujet ; en effet, tandis que l’ancienne loi précisait que le droit d’auteur était un « droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous », prenant ainsi position pour une conception intellectualiste11, la loi actuelle reste muette quant à la nature du droit d’auteur.

9 Les droits d’auteur sont en effet difficiles à rattacher à une catégorie juridique préexistante : sont-ils des droits réels ou des droits personnels ? Ils frôlent la nature du droit réel en ce qu’ils sont opposables à tous (opposabilité erga omnes). Plus concrètement, le rapprochement avec le droit réel de base qu’est le droit de propriété s’impose ; le droit de propriété confère à une personne, tout comme le droit d’auteur, un droit d’exclusivité et des prérogatives étendues sur un bien. En effet, les droits d’auteur sont un droit exclusif en ce qu’ils confèrent à l’auteur le droit d’interdire la plupart des utilisations de son œuvre, et donc également de les autoriser. Leur caractère temporaire et non éternel ainsi que leur grande modulabilité et malléabilité contractuelle les rapprochent cependant du camp des droits personnels.

10 Le droit d’auteur paraît ainsi être de nature hybride12. Dans son aspect patrimonial et matériel, le droit d’auteur peut être considéré comme un droit réel, alors qu’il décrit les prérogatives que l’auteur « a » et non seulement « a le droit d’obtenir » sur ses œuvres. Dans son aspect moral, le droit d’auteur s’intègre dans la catégorie des droits de la personnalité et confère à l’auteur le droit d’exiger de la part des tiers le respect de ses intérêts moraux. Ainsi la situation se clarifie-t-elle lorsqu’on n’appréhende pas le droit d’auteur comme une institution monolithique, mais lorsqu’on parle – comme le législateur luxembourgeois le fait – de droits d’auteur au pluriel13.

11 • Droit meuble ou sui generis ? La loi luxembourgeoise avait précisé initialement que les droits d’auteur étaient des droits de nature mobilière14, en référence à la distinction fondamentale opérée par le Code Civil entre les biens meubles et les biens immeubles15. Le législateur a préféré abandonner cette précision au motif que les droits d’auteur constitueraient un droit de « nature sui generis »16. Cette solution qui semble connaître les faveurs de la doctrine moderne n’en est pas moins discutable en ce que le Code Civil opère une summa divisio entre droits mobiliers et immobiliers censée englober tout type de biens matériels et immatériels, et ne laissant pas de place pour une troisième catégorie. De même, stigmatiser un droit de « sui generis » le plonge en terre inconnue et le prive d’un acquis normatif et jurisprudentiel pluriséculaire.

II – LES DROITS D’AUTEUR DANS LE CADRE GÉNÉRAL DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

12 Tel que développé ci-avant, les droits d’auteur peuvent être classés parmi les « droits immatériels » ou la « propriété incorporelle », catégories vastes aux contours flous, de sorte que pareille classification théorique ne présente qu’un intérêt limité.

13 Plus pertinente est la classification des droits d’auteur dans la famille des droits de « propriété intellectuelle ». Cette catégorie réunit tous les droits subjectifs par lesquels la loi confère à une personne des prérogatives sur un bien immatériel né d’une création intellectuelle.

Depuis 200917, la loi luxembourgeoise énumère explicitement les différents types de droits de propriété intellectuelle18, qui sont :

– le droit d’auteur,

– les droits voisins,

– le droit sui generis d’un fabricant de bases de données,

– les droits du créateur de topographies d’un produit semi-conducteur,

– les droits des marques,

– les droits des dessins et modèles,

– les droits des brevets, y compris les droits dérivés de certificats complémentaires de protection,

– les indications géographiques,

– les appellations d’origine, la protection des obtentions végétales,

– les dénominations commerciales dans la mesure où elles sont protégées en tant que droits de propriété exclusifs par le droit national concerné.

14 La propriété intellectuelle peut de son côté être subdivisée en « propriété industrielle » et « propriété littéraire et artistique ». La première catégorie comprend notamment les brevets, les marques, ainsi que les dessins et modèles. La seconde catégorie se dessine autour du noyau des droits d’auteur, auxquels viennent s’ajouter les « droits voisins aux droits d’auteur », ainsi que quelques autres types de droits spécifiques.

Un résumé en quelque lignes des divers droits de propriété industrielle permet d’accéder à une vue d’ensemble :

15 • Brevets. Les brevets protègent les inventions. Pour être brevetable, l’invention doit être nouvelle, impliquer une activité inventive et être susceptible d’une application industrielle. La nouveauté implique que l’invention ne fasse pas encore partie de l’état de la technique accessible au public, c’est-à-dire qu’elle n’a pas encore été divulguée d’une quelconque façon, non seulement dans les pays à protéger, mais au niveau mondial. L’invention à breveter peut produire un effet technique ou une amélioration d’un produit ou d’un procédé ou alors apporter une solution nouvelle à un problème technique. Les découvertes et théories scientifiques ne sont pas brevetables.

Le monopole conféré à l’inventeur peut durer jusqu’à 20 ans, mais doit être renouvelé annuellement moyennant paiement d’une taxe qui augmente progressivement. L’invention peut rester secrète pendant 18 mois, et fera ensuite l’objet d’une publication.

Le dépôt d’un brevet peut se faire au niveau luxembourgeois auprès de la Direction de la Propriété Intellectuelle du Ministère de l’Économie et du Commerce Extérieur, au niveau européen auprès de l’Office Européen des Brevets, ou alors au niveau international par voie d’extension d’après les mécanismes du PCT (Patent Cooperation Treaty) géré par l’OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle).

16 • Marques. Sont considérés comme marquee tous les signes susceptibles de distinguer les produits ou services d’une entreprise de ceux des concurrents. La marque peut être verbale, semi-figurative, figurative, voire même sonore ou olfactive. Ne peuvent être enregistrées que les marques qui sont encore disponibles ; de même, une marque ne doit pas être à ce point similaire à une marque préexistante qu’elle génère un risque de confusion aux yeux du public.

L’enregistrement d’une marque confère au titulaire un droit d’exclusivité sur une période de 10 ans renouvelable indéfiniment. La protection est en principe limitée à une ou plusieurs classes de produits ou services déclarées lors de l’enregistrement.

L’enregistrement d’une marque se fait au niveau Benelux auprès de l’OBPI (Office Benelux de la Propriété Intellectuelle), au niveau européen auprès le l’OHMI (Office de l’Harmonisation dans le Marché Intérieur) et au niveau international grâce à l’Arrangement et au Protocole de Madrid, mis en application par l’OMPI.

17 • Dessins et modèles. Les dessins et modèles protègent l’apparence et l’esthétique de tout ou partie d’un produit manufacturé, à l’exclusion des objets purement décoratifs. Les dessins visent les représentations en deux dimensions (ornementation, motifs, lignes, couleurs, …), les modèles les représentations en trois dimensions (forme du produit, texture). Ne sont pas protégeables les formes fonctionnelles, c’est-à-dire celles qui sont dues aux besoins techniques.

La durée de la protection est de 25 ans. Un même produit peut être protégé tant par des dessins que par des modèles.

L’enregistrement d’un dessin ou modèle se fait au niveau Benelux auprès de l’OBPI et au niveau européen auprès de l’OHMI. Au niveau international, le Système de la Haye permet l’enregistrement de dessins et modèles industriels.

18 Tant la « propriété industrielle » que la « propriété littéraire et artistique / droits d’auteur » protègent des œuvres de l’esprit. Mais les droits d’auteur ont essentiellement vocation à protéger leur valeur artistique, littéraire ou scientifique, tandis que la propriété industrielle repose essentiellement sur des considérations économiques. L’opposition entre ces deux finalités traduit les objets différents que ces droits sont censés protéger. Les droits d’auteur protègent la personne de l’auteur qui met une part de sa personnalité dans son œuvre, tandis que les droits de propriété intellectuelle protègent l’investissement et la rentabilisation.

19 Tandis que les droits de propriété littéraire et artistique ont un volet idéal en ce qu’ils confèrent des droits moraux (→ 192) à leurs titulaires, la propriété industrielle se limite au volet patrimonial. Une autre différence fondamentale réside dans le fait que les droits d’auteur existent sans aucune formalité d’enregistrement ou de dépôt (→ 149), tandis que les droits de propriété industrielle n’existent qu’après l’accomplissement de formalités, qui sont généralement liées au paiement de taxes ou redevances.

20 Néanmoins, comme il sera détaillé ci-après, cette distinction entre les nobles droits d’auteur et les mercantiles droits de propriété intellectuelle s’est largement estompée. Forme et fonction, technique et art se mêlent souvent au point de devenir inextricables. L’extension du domaine des arts appliqués et de l’industrie du divertissement a désacralisé les droits d’auteur. De même, les « droits voisins » que les droits d’auteur se sont vu adjoindre se rapprochent plus d’un droit patrimonial que d’un droit de la personnalité.

Cet estompage des frontières a pour conséquence d’accentuer les points de contact et donc les potentiels conflits, les deux catégories de propriété intellectuelle étant loin d’être étanches. Les possibles interactions sont nombreuses :

21 • Dessins et modèles. Rappelons qu’un dessin et modèle protège l’aspect donné à un produit. La loi précise à cet égard que « l’aspect d’un produit lui est conféré, en particulier, par les caractéristiques des lignes, des contours, des couleurs, de la forme, de la texture ou des matériaux du produit lui-même ou de son ornementation »19. La proximité avec les droits d’auteur se fait sentir, alors que ceux-ci protègent également la forme et l’esthétique que l’auteur confère à une œuvre de l’esprit. Les droits d’auteur protègent la mise en forme d’une idée, les dessins et modèles protègent la mise en forme d’un produit. Or, la forme d’un produit n’est-elle pas souvent le fruit d’une idée originale ?

Ainsi, grand nombre des dessins et modèles déposés peuvent être considérés comme œuvres de l’esprit originales et tomber de la sorte dans le champ d’application des droits d’auteur. Un même « produit-œuvre » peut dès lors être protégé tant par la législation sur les droits d’auteur que par la législation sur les dessins et modèles20, chaque droit étant régi par ses propres règles et procédures. Au niveau communautaire, cette possibilité de cumul a été justifiée par l’absence d’harmonisation suffisante des droits d’auteur21.

La jurisprudence a confirmé que « toute création est susceptible d’être protégée pourvu qu’elle ressorte du domaine artistique et littéraire. Il est ainsi admis que les œuvres d’art appliqué ou dessins et modèles peuvent tomber sous la protection des droits d’auteurs si elles sont originales. En effet, seuls échappent au droit d’auteur les dessins et les modèles qui, tout en ayant un aspect nouveau, ne présenteraient pas l’originalité requise »22.

La loi considère que la proximité entre droits d’auteur et dessins et modèles est telle qu’elle dispose que la cession de l’un emporte automatiquement cession de l’autre23 ; d’un point de vue économique, ils ne forment donc plus qu’un seul bien.

22 • Brevets. La séparation entre droit d’auteur et brevet est relativement étanche, alors que les brevets ne peuvent en principe porter sur des créations esthétiques24. Il n’empêche qu’un brevet et des droits d’auteur peuvent coexister sur un même objet, mais en protégeront chacun des aspects différents. Un tire-bouchon peut être breveté en raison de son mode de fonctionnement innovateur, et bénéficier de la protection des droits d’auteur en raison du travail créatif lui ayant donné une forme originale.

23 • Marques. Pour pouvoir être enregistrée, une marque doit être distinctive, originale ; par rapport au critère de l’« originalité » exigé pour les droits d’auteur (→ 95) la différence semble plus quantitative que qualitative. On distingue d’abord les marques « verbales », qui protègent simplement un ou plusieurs termes ; une telle marque se limitant nécessairement à quelques mots, ce ne peut être que dans des cas exceptionnels que ces mots peuvent bénéficier d’une protection au titre des droits d’auteur, alors que ces quelques mots devraient constituer une « œuvre » en soi. En ce qui concerne les marques « figuratives », qui se limitent à un visuel ou les marques « semi-figuratives » qui associent des termes écrits avec une mise en forme graphique, la situation est autre alors que les modes de représentation imaginables sont décuplés. La créativité pouvant ainsi tout autrement s’exprimer, une marque comportant un élément figuratif tombe souvent en même temps sous le régime de la protection des droits d’auteur.

24 Au regard de ce qui précède, un cumul de droits de propriété intellectuelle sur une même « création » est donc loin d’être une hypothèse d’école. Chacun des droits suit ses propres règles et protège un aspect de la création intellectuelle. Cette paisible coexistence est cependant perturbée lorsque les deux droits n’ont pas le même titulaire. Si l’on résout ce conflit par le critère de l’antériorité, les droits d’auteur devront l’emporter puisqu’ils existent dès la création de l’œuvre (→ 149) et sont donc toujours antérieurs au dépôt ou à l’enregistrement d’une marque, d’un brevet ou de dessins et modèles.

25 Ainsi par exemple, lorsqu’un dessin et modèle repose sur une œuvre littéraire ou artistique, l’accord de l’auteur de celle-ci est nécessaire pour l’enregistrement25 ; il faut toutefois préciser que des règles spécifiques jouent pour les créations salariales (→ 183). De même, les marques doivent respecter des droits d’auteur préexistants26.

III –  LA DÉSACRALISATION DES DROITS D’AUTEUR

1 – Des arts purs, en passant par les arts appliqués, jusqu’au simple contenu

26 Les droits d’auteur sont nés de la volonté d’émancipation des auteurs et artistes du mécénat et des monopoles régaliens, et ont été élaborés au regard des « arts purs ». Ainsi, l’auteur était initialement au centre des préoccupations du droit d’auteur. Il s’agissait de protéger la part de personnalité que l’auteur exprime à travers son œuvre, de sorte que le volet moral du droit d’auteur a été dominant.

27 Mais les éditeurs et producteurs n’ont pas manqué de se manifester pour souligner leur rôle dans le processus de la création et de la distribution culturelle, et ont revendiqué une protection équivalente de leurs intérêts financiers. Le volet économique des droits d’auteur s’est ainsi vu affirmé. Le droit d’auteur a fini par reconnaître la relation triangulaire auteur-éditeur/producteur-utilisateur, et rejoint de la sorte le droit civil commun qui se dessine autour de la relation fabricant-vendeur-consommateur.

Il ne faut pas non plus sous-estimer l’influence du copyright dans la conception anglo-saxonne. Ce dernier était depuis le début orienté davantage vers l’aspect économique du droit d’auteur et ignorait largement le volet moral. L’influence du copyright anglo-saxon sur notre droit d’auteur n’est pas dû seulement au poids économique de ces pays, mais également à l’harmonisation très poussé ayant lieu tant au niveau européen qu’au niveau international.

28 Aujourd’hui, la culture est devenue un secteur économique à part entière. Cette « industrie culturelle » fait vivre non seulement un grand nombre d’auteurs et d’artistes, mais également d’employés, d’intermédiaires et de commerçants. Il est dès lors indispensable de poser sur de solides bases les revenus des personnes vivant de leurs propres créations ou de celles des autres. Or, « seule une protection juridique appropriée des titulaires de droits … permet de garantir efficacement la possibilité de percevoir ce revenu et d’amortir ces investissements »27. La viabilité de tout un secteur économique en dépend. Le droit d’auteur doit assumer la responsabilité que l’évolution lui a fait porter et ne saurait se cloîtrer dans la conception humaniste et individualiste de ses origines.

29 Il est incontestable que l’évolution actuelle souligne de plus en plus les aspects et intérêts économiques. Ainsi, l’harmonisation au niveau européen est intervenue notamment pour « encourager des investissements importants dans des activités créatrices et novatrices, notamment dans les infrastructures de réseaux » et favoriser ainsi « la croissance et une compétitivité accrue de l’industrie européenne, et cela aussi bien dans le secteur de la fourniture de contenus que dans celui des technologies de l’information et, de façon plus générale, dans de nombreux secteurs industriels et culturels »28. L’harmonisation a même eu pour objectif une rationalisation économique de la distribution de l’art, alors que les initiateurs de la directive centrale constatent que « des disparités et une insécurité juridiques importantes en matière de protection sont susceptibles d’entraver la réalisation d’économies d’échelle pour les nouveaux produits et services protégés par le droit d’auteur »29.

30 Parallèlement au retrait de l’auteur et au développement de la société de l’information, l’objet du droit d’auteur, c’est-à-dire les types de biens qui se réclament de sa protection, a également profondément changé. Cette évolution est intimement liée à la nature des créations et à leur mode de distribution. Initialement, la création artistique se limitait aux « arts purs » qui étaient insusceptibles de reproduction en grande quantité. L’évolution de l’art et l’industrialisation ont fait émerger les « arts appliqués » dont la reconnaissance par les droits d’auteur s’est instaurée progressivement. Aujourd’hui, on ne parle plus d’« art », mais de « contenu », reproduit et distribué à grande échelle à un public illimité. À en croire les visionnaires du tout numérique, la prochaine étape pourrait consister dans la fusion entre auteurs et utilisateurs, une création de chacun pour chacun faisant fi des intermédiaires traditionnels.

Les droits d’auteur dérivant de plus en plus dans le domaine de l’art appliqué, donc dans le domaine industriel et commercial, la protection des créations se voit souvent utilement complétée par les règles sur la concurrence déloyale et le parasitisme. D’un autre côté, le contact avec le droit commercial affaiblit également le droit d’auteur, alors que les prérogatives reconnues à l’auteur se voient rongées par les mêmes règles de la concurrence déloyale et celles sur l’abus de position dominante.

31 La création artistique est devenue industrie de l’information, l’œuvre est devenue produit culturel, destiné à être vendu à des « consommateurs ». L’« œuvre » que le droit d’auteur est censé protéger a perdu de son éclat et de sa préexcellence, et la vigueur du droit d’auteur en entier en pâtit.

32 Il est vrai que cette évolution risque de conduire à un nivellement vers le bas, à vider le droit d’auteur de son essence, étant donné qu’il protège majoritairement des œuvres d’une certaine banalité. Mais exclure ces œuvres du régime des droits d’auteur obligerait de créer un nouveau régime juridique pour assurer la protection légitime des investissements opérés pour leur création. La tendance actuelle est plutôt inverse vu qu’elle tend à greffer sur l’acquis en matière de droits d’auteur des créations qui n’ont trouvé refuge ailleurs, tels les programmes d’ordinateur (→ 418) ou les bases de données (→ 479).

33 De même, un « droit d’auteur » à plusieurs niveaux se conçoit mal, alors qu’il incomberait au législateur ou au juge d’opérer une épineuse et dangereuse distinction entre plusieurs catégories d’œuvres et d’art, entre beaux-arts et « bas-arts ».

34 Le droit d’auteur tend inexorablement à appréhender l’œuvre comme marchandise et à protéger l’investissement de celui qui investit dans la production ou finance la distribution. L’auteur, jadis au centre des intérêts, est réduit dans ce processus au rôle de la « personne économiquement faible » (→ 530) du marché de la culture qui mérite pitié et protection légale contre l’exploitation.

2 – D’un droit de la personnalité vers un instrument de politique économique

35 Le droit d’auteur était initialement conçu comme un droit de la personnalité, un droit subjectif à l’adresse de l’auteur. Or, le marché culturel étant devenu un des piliers de l’économie actuelle, un droit d’auteur efficace est vu par les décideurs comme étant un atout économique majeur (« Standortvorteil ») pour un pays ou une région.

36 Tout comme le négoce ne pourrait pas fonctionner si le vol n’était pas sanctionné, le marché de la culture ne peut se développer si les copies illicites ne sont pas poursuivies. Il s’agit de sécuriser des transactions. Mais la vigilance est de mise, vu qu’une protection « efficace » n’est dans ce contexte pas nécessairement synonyme de protectrice des intérêts de l’auteur.

37 Sur le plan politique, il faut rappeler que l’Union européenne a arrêté en 2000 la « stratégie de Lisbonne » et s’est ainsi fixé comme un des principaux objectifs politiques de devenir « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». En reprenant les termes de la Directive européenne, les auteurs de la loi de transposition soulignent que « la protection intellectuelle est importante non seulement pour la promotion de l’innovation et de la création mais également pour le développement de l’emploi et l’amélioration de la compétitivité. Cependant, sans moyens efficaces [pour] faire respecter les droits de propriété intellectuelle, l’innovation et la création sont découragées et les investissements réduits »30.

38 Au niveau communautaire, il est ainsi acquis que « la protection de la propriété intellectuelle est un élément essentiel pour le succès du marché intérieur. La protection de la propriété intellectuelle est importante non seulement pour la promotion de l’innovation et de la création, mais également pour le développement de l’emploi et l’amélioration de la compétitivité »31.

39 Le gouvernement luxembourgeois ne cesse de souligner son attachement à la stratégie de Lisbonne et œuvre en direction du développement de la société de l’information. Les auteurs de l’actuelle loi sur les droits d’auteur ont considéré que « le développement vertigineux de la Société de l’Information (SDI) et des nouvelles technologies de la communication (informatique, télématique, multimédia) a donné naissance à d’innombrables nouveaux produits et services. Ces produits et services contiennent et utilisent très fréquemment des œuvres et autres prestations protégées par le droit d’auteur ou les droits voisins … La problématique du droit d’auteur et des droits voisins revêt donc une importance capitale alors que ces droits assurent la protection des produits et services nécessaires à l’essor de la SDI »32.

40 Encore faut-il se mettre d’accord sur ce qu’il faut entendre par « société de l’information » ou « économie de la connaissance ». Souvent, elle est envisagée sous l’angle fonctionnel et vise le développement des nouvelles techniques de l’information ; il s’agit dans ce cas de soutenir le développement de nouveaux moyens de communication et de promouvoir l’accessibilité de ces moyens pour tous les citoyens (telle l’initiative eLuxembourg). C’est cependant du contenu que vit la société de l’information. Ce dernier peut être appréhendé dans son volet technico-scientifique, notamment sous l’aspect des brevets, dessins et modèles ; l’objectif est ainsi de promouvoir le potentiel d’innovation et d’inventivité des entreprises au moyens de subventions, aides et institutions de recherche et de formation. Le contenu peut également être appréhendé dans son volet esthétique et créatif ; dans ce cas, les règles sur les droits d’auteur viennent à jouer. Le développement et le soutien des arts créatifs, qui intéresse les droits d’auteur, n’est ainsi qu’un volet de la société de l’information.

41 Le Luxembourg n’ignore pas les potentiels de ce volet de la propriété intellectuelle et reconnaît le secteur créatif comme un des piliers sur lequel il fait reposer ses efforts de diversification économique. Les moyens d’action sont axés notamment en direction de la production audiovisuelle et cinématographique33. Le service ministériel des médias et de l’audiovisuel a pour objectif la « promotion du Grand-Duché comme un centre européen pour les activités de l’audiovisuel et de la communication »34. Cet objectif est poursuivi notamment au moyen d’aides et subsides accordés par le Fonds national de soutien à la production audiovisuelle, mais également par d’autres institutions, telle l’initiative MEDIAPORT Luxembourg qui cherche à promouvoir le Grand-Duché de Luxembourg comme site privilégié pour les activités dans les secteurs des médias et des technologies de l’information.

Le droit d’auteur devient ainsi un instrument de politique économique.

42 Toutefois, le secteur créatif n’est pas considéré comme le moteur principal de la diversification et du développement économique. Si le législateur luxembourgeois, en vue de diversifier l’activité économique, a décidé d’exonérer à partir de 2008 à 80 % d’impôts les revenus tirés de l’usage ou de la concession, ainsi que les plus-values réalisées en matière de brevets, marques de fabriques ou de commerce, dessins ou modèles35, il n’a cependant – mis à part les logiciels informatiques – pas jugé opportun d’étendre cet avantage fiscal aux droits d’auteur classiques, alors qu’il a souhaité « se focaliser sur les aspects de la propriété intellectuelle à caractère plus technologique ou industriel »36.

Il faut toutefois souligner que le gouvernement luxembourgeois défend, contre les critiques insistantes de la Commission européenne, l’application du taux de TVA réduit de 3 % aux livres numériques.

IV – PLAIDOYER POUR UN DROIT D’AUTEUR EFFICACE

43 Le droit de la propriété littéraire et artistique est un droit comparativement jeune et en constante évolution. Il n’a rien d’absolu, ni d’éternel.

Manifestations anti-A.C.T.A., anonymous, creative commons, Piratenpartei, copyleft, open access …. les initiatives ne manquent pas pour critiquer le régime actuel de la propriété littéraire et artistique. Il faut croire qu’il est presque devenu de bon ton de remettre en question les droits d’auteur. Chaque mouvement a ses propres revendications. Il y a ceux qui souhaiteraient bannir toute forme de droit d’auteur et rendre les créations entièrement libres. Il y a ceux qui reconnaissent les mérites créatifs des auteurs et artistes, mais qui souhaiteraient largement limiter les prérogatives et monopoles que la loi y attache actuellement. Il y a enfin les plus modérés, qui ne contestent pas la légitimité des droits privatifs sur les propriétés intellectuelles en soi, mais qui s’inquiètent de la manière dont leur respect est assuré en pratique. La critique porte notamment sur les poursuites dirigées contre les consommateurs finaux et les moyens disproportionnés qui seraient mis en œuvre à cet effet.

Le premier constat qui s’impose est que l’évolution des droits d’auteur va dans le sens contraire de celui revendiqué par ces initiatives, à savoir dans le sens d’une extension et d’un renforcement :

– Le cercle des œuvres incluses est étendu, d’un côté par une certaine banalisation de la création et une interprétation extensive du critère de l’originalité, mais également par l’inclusion explicite de certains types d’œuvres, tels les œuvres d’art appliqué ou les logiciels informatiques.

– La durée de protection, dans une perspective historique (→ 381), n’a cessé d’augmenter.

– Les moyens de lutte contre la contrefaçon ont été peaufinés par des accords internationaux et des interventions du législateur européen, dans un objectif avoué de dissuasion de la contrefaçon.

– La propriété intellectuelle, comme nous venons de le voir, a été élevée au rang de droit fondamental, notamment par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

1 – Les droits d’auteur au centre des contestations

44 Il faut constater tout d’abord que parmi tous les droits de propriété intellectuelle, ce sont les droits d’auteur qui se trouvent au centre de la tempête contestataire.

Pour les droits des marques, modèles et dessins, qui n’ont que peu de valeur intrinsèque et servent de signe distinctif pour distinguer des produits par rapport à d’autres, cela n’étonne pas, étant donné que le droit privatif y attaché ne prive pas la société d’un certain type de biens ; la plus-value sociale ou culturelle de la marque est faible, sinon nulle.

Pour les brevets, la justification et la nécessité de leur protection est peut-être plus aisée à saisir. Le brevet n’est en effet rien d’autre qu’un compromis entre intérêt public et intérêt privé : l’inventeur obtient une exclusivité temporaire, mais doit en échange rendre publique son invention ; il contribue ainsi à la progression des connaissances techniques et scientifiques de tous. Si cette protection n’existait pas, de nombreux fabricants choisiraient en effet de garder le secret. Les inventions techniques ne sont en cela pas comparables aux créations esthétiques vu qu’il est possible de mettre sur le marché un produit en gardant secret son mécanisme interne ou son procédé de fabrication, alors qu’un produit culturel ne peut être mis en circulation qu’en le dévoilant.

À cela s’ajoute que la matière des brevets est extrêmement technique et peu accessible au commun des non-scientifiques et que l’objet de la protection affecte souvent soit un produit hautement spécialisé (p.ex. en matière maritime, militaire, spatiale, etc.) ou un détail paraissant anodin (p.ex. la manière dont un four à micro-ondes répartit au mieux le rayonnement), questions peu susceptibles de susciter un vif émoi collectif.

Mais lorsque ces conditions ne sont pas réunies, à savoir lorsque l’exclusivité des brevets affecte directement des intérêts importants, ils sont tout autant exposés à la critique que les droits d’auteur. C’est surtout en matière de médicaments et de substances pharmaceutiques que les critiques sont les plus intenses, puisque l’exclusivité des brevets et le droit en découlant pour fixer le prix des produits mis sur le marché peut priver les populations les plus démunies de soins qui leur seraient accessibles au vu du seul coût de fabrication.

Les droits d’auteur par contre sont au centre de nos loisirs et de nos activités culturelles ; ils sont par ailleurs accessibles à tous et ne nécessitent, pour la plupart, qu’un niveau de connaissance et de compétence moyen. Ils s’adressent directement aux « consommateurs finaux » et non simplement à des producteurs intermédiaires. Il n’étonne donc pas qu’ils soient au centre de l’intérêt du grand public.

Il s’y ajoute que grâce à l’évolution technique, la question de l’accès libre ne se heurte plus à aucun obstacle pratique. La contrefaçon d’une marque est difficile à réaliser à titre individuel. La mise en œuvre d’un brevet nécessite le plus souvent une installation technique complexe. Longtemps, la reproduction d’une œuvre littéraire et artistique supposait également que le contrefacteur dispose d’une installation conséquente pour pouvoir imprimer des livres ou graver des disques vinyle. Or, dans un premier temps sont apparues les techniques permettant de réaliser facilement et à moindre frais des copies, mais avec une perte de qualité : photocopieuse, cassette audio et vidéo, etc. La digitalisation a permis la confection de copies à l’identique, sans perte de qualité, telle la gravure de CD’s et de DVD’s. Enfin, avec l’Internet, il ne faut plus disposer ni d’un support d’origine, ni d’un support vierge pour confectionner la copie, mais des milliers de fichiers peuvent être rendus mondialement accessibles et être téléchargés en un clin d’œil. L’entrée du livre dans le numérique l’expose également à un risque accru de contrefaçon. Les imprimantes 3D, de plus en plus performantes et accessibles, posent de nouveaux défis aux droits d’auteur (et, à terme du moins, aux brevets), puisqu’il devient possible de contrefaire des objets d’art appliqué dont la confection nécessitait jusqu’ici une installation industrielle.

Mais le fait qu’il soit possible d’effectuer des copies à coût zéro ne permet pas d’induire que cette démarche soit à considérer comme justifiée ; ce qui est possible n’est pas automatiquement légitime. Or, la pratique montre que les utilisateurs finals ne se contentent pas de revendiquer un changement de la loi, mais qu’ils ignorent tout simplement la loi et ont recours aux produits piratés. La plupart de ces infractions, il nous semble, sont commises non pas à la suite d’un raisonnement approfondi sur le marché de la culture et après avoir pesé le pour et contre d’un monopole réservé à l’auteur, mais simplement par insouciance ou en raison d’un vague sentiment de gratuité et d’impunité, la contrefaçon étant ressentie comme une peccadille.

Le législateur luxembourgeois a estimé qu’«il est apparu très clairement que les titulaires de droits éprouvent de grandes difficultés à tirer profit des droits qui leur sont accordés et de faire valoir ceux-ci dans la pratique »37. De même, il a jugé insuffisante l’information du grand public en ce qui concerne les règles de droits d’auteur : « beaucoup de conflits et de litiges, dont certains aboutissent devant les cours et tribunaux, pourraient être évités si des actions d’information, voire de formation, sérieuses et soutenues pouvaient être organisées »38.

2 – Une pondération d’intérêts

45 Le temps des droits absolus est certainement révolu. Que ce soit par le biais de la théorie de l’abus de droit ou par d’autres mécanismes, les intérêts en cause doivent être pondérés et mis en balance.

Il y a tout d’abord l’intérêt que tout un chacun peut avoir de jouir d’une création esthétique en la lisant, la contemplant ou en l’écoutant. D’un autre côté, il n’y a de quoi lire, contempler ou écouter que si une autre personne s’est investie dans la création d’une œuvre de l’esprit. Il nous semble difficile de faire entièrement abstraction du fait qu’à la base de chaque œuvre, il y a un auteur et de ne lui concéder aucun droit, c’est-à-dire ni un droit de (co)décision quant à l’usage qui est fait de son travail ni un droit à rémunération.

C’est précisément cet antagonisme que doit résoudre toute société qui se veut humaniste. L’humaniste met en effet ses espoirs dans les capacités intellectuelles de l’Homme et prône la quête du savoir notamment par le biais d’une large diffusion du patrimoine culturel. D’un autre côté, il met également au centre de ses préoccupations l’Homme, dont la liberté et l’indépendance doivent être protégées. On y trouve donc également une part d’individualisme, tendant à reconnaître, voire même à privilégier les droits, les intérêts et la valeur d’un individu par rapport à ceux du groupe.

a) Incitation à la création et rentabilité économique

46 Il faut souligner tout d’abord le caractère personnaliste de notre droit d’auteur, né de l’idée qu’il faut protéger la part de personnalité que l’auteur exprime dans son œuvre. Cette argumentation permet en tout cas de justifier les droits moraux de l’auteur, tel le droit de paternité ou encore le droit de s’opposer à des déformations de son œuvre. De telles prérogatives ne sont en effet pas de nature à empêcher quiconque de jouir de la création d’autrui ; il s’agit tout simplement du respect de l’autre. La plupart des mouvements contestataires ne remettent pas en cause ces droits de la personnalité dont bénéficient les auteurs.

C’est du côté des droits patrimoniaux, c’est-à-dire du pouvoir de l’auteur d’interdire ou de limiter la reproduction et la représentation – donc la « consommation » de son œuvre, tout comme le fait qu’il puisse en fixer librement le prix, que les critiques sont les plus intenses.

Il est vrai que les créations de l’esprit sont a priori, et d’un point de vue économique, un bien non exclusif, dans la mesure où leur consommation n’empêche pas la consommation par autrui. Souvent, la doctrine trace un parallèle avec l’éclairage public, qui bénéficie à tous et dont le coût ne varie pas en fonction du nombre de passants. De même, un nombre potentiellement illimité de personnes peuvent écouter une émission radio, capter un signal satellitaire ou télécharger un fichier. Avec l’Internet en effet, le coût est pratiquement réduit à zéro, tandis que les transmissions successives se font sans perte de qualité. Le coût marginal, c’est-à-dire le coût d’une consommation supplémentaire est nul.

Le droit d’auteur, en instaurant des barrières et exclusivités artificielles (i.e. créées par l’homme) sur les œuvres de l’esprit, fait de certaines créations esthétiques des biens exclusifs. Il impose donc une raréfaction d’un bien, qui à la base est disponible en quantité infinie.

Cette raréfaction peut toutefois trouver une justification économique. Il ne faut pas oublier en effet que la plupart des créations ont un coût de base, incompressible. S’il est vrai que dans le cadre d’une “création par tous et pour tous”, certaines œuvres peuvent aisément être créées et distribuées presque à coût zéro, tel n’est pas le cas pour tous les types d’œuvres (par exemples les œuvres cinématographiques dont le budget se compte en millions d’euros) ni pour tous les auteurs (ceux qui en vivent et n’ont pas d’autres moyens de subsistance). Il faut donc créer des mécanismes rendant possible, et même incitant, la création culturelle pour éviter tout risque de « sous-production ».

Les pouvoirs publics peuvent certes soutenir et dynamiser la création culturelle par des moyens très divers tels des subsides, des institutions publiques (théâtres, bibliothèques, etc.) ou des avantages fiscaux. Mais n’est-il pas préférable de faire passer l’incitation culturelle par une valorisation économique efficace des droits d’auteur ? Pareille valorisation « privée » des droits d’auteur met la création artistique à l’abri des risques de favoritisme, dirigisme et dépendance des pouvoirs publics en la faisant voler de ses propres ailes. Il serait dangereux et contreproductif à notre sens que de vouloir assurer la rentabilité de la création artistique exclusivement par le biais de récompenses ou de financement publics. Le mécénat privé, qui a vécu ses meilleurs jours, n’est pas non plus de nature à garantir à l’artiste une grande liberté de création.

Le détour par des droits d’auteur et la raréfaction artificielle qu’il crée, nous semble ainsi, parmi toutes les options envisageables pour inciter à la production culturelle, le plus efficace et le plus souhaitable. Il a encore le mérite de donner les pleins pouvoirs aux consommateurs finals, en ce que ce sont eux – et non quelque vague commission étatique – qui décide quels auteurs méritent d’être diffusés et rémunérés.

Parmi tous les mécanismes disponibles, le droit d’auteur nous semble être le moyen le plus adapté et le plus efficace pour donner un fondement économique suffisant à la création culturelle.

Ceci illustre les rapports ambivalents entre droits d’auteur et culture : à la fois, la propriété intellectuelle est une entrave, mais il s’agit également d’une nécessité pour assurer le financement de la production culturelle.

Le besoin de garantir la rentabilité d’une œuvre est particulièrement marqué au Luxembourg. Ainsi, les œuvres territorialement délimitées, tels des films en langue luxembourgeoise ou des textes sur le droit luxembourgeois sont difficiles à rentabiliser en raison du public limité auquel elles s’adressent. Faut-il pour autant se contenter d’un amateurisme ?

Il peut cependant y avoir des cas particuliers dans lesquels la rentabilité est assurée d’office. Il en est notamment ainsi dans le domaine de la recherche financée par l’État : les résultats de recherche et les publications de nombreux chercheurs sont financés par l’État au sein des Universités et autres instituts. Les auteurs dont les contributions sont publiées ne perçoivent dans de nombreux cas pas de droits d’auteur de la part de l’éditeur mais, au contraire, doivent souvent payer une certaine somme pour que leur travail soit publié ; ici encore, des fonds publics interviennent pour assumer ce coût. On peut légitimement s’interroger pour quelle raison non seulement l’auteur, mais surtout l’éditeur cessionnaire, détiendront ensuite des monopoles d’exploitation sur ces travaux et qu’à nouveau, les institutions publiques doivent payer des abonnements pour pouvoir y accéder. De nombreux acteurs considèrent que ces travaux financés par l’État devraient être librement accessibles par la suite à toute la communauté des chercheurs. C’est dans ce sens qu’œuvre notamment l’initiative open access. Il faut admettre que dans ce contexte, les droits d’auteur n’ont pas une finalité d’incitation à la création, et ne garantissent pas non plus la rentabilité, ces deux aspects étant couverts en amont. Ceci étant, l’accès libre aux recherches financées par les deniers publics ne requiert pas un changement de la législation sur les droits d’auteur, mais peut être mis en œuvre par un changement des pratiques, contrats de travail et conventions de collaboration au sein des Universités.

b) Reconnaître non la propriété, mais le travail de l’auteur

Il n’est pas rare de voir la piraterie, le plagiat et la contrefaçon assimilés au vol. L’idée paraît séduisante dans un premier temps, ce d’autant plus que dans son étymologie, le mot « plagiat » peut être rattaché au vol39