Le travail flexible et atypique - Jean-Luc Putz - E-Book

Le travail flexible et atypique E-Book

Jean-Luc Putz

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Beschreibung

Le contrat de travail à temps plein et à durée indéterminée est censé être le contrat « standard » gouvernant les relations entre employeurs et salariés. Protecteur des intérêts du salarié, cette forme d’emploi peut se heurter au souhait des entreprises de disposer d’une main-d’œuvre flexible qui s’adapte aux fluctuations de la demande et aux changements technologiques.

Les statistiques montrent qu’au Luxembourg, les formes flexibles et atypiques de travail restent en-deçà de la moyenne européenne, mais que leur taux est en augmentation.

Le contrat à durée indéterminée en soi offre une certaine flexibilité dite ‘interne’ au niveau de la durée, de l’horaire, du lieu, des fonctions, de la rémunération ou encore de la résiliation pour motif économique. Pour mieux maîtriser les effectifs de l’entreprise (flexibilité externe), l’entreprise peut avoir recours à des formes précaires d’emploi, tels que le contrat à durée déterminée, le travail intérimaire et les diverses formes de contrats d’insertion, qui sont strictement encadrées par le Code du travail. En dehors d’un cadre légal précis se développent par ailleurs d’autres formes de travail flexibles, tels que la fausse indépendance, les contrats dits « zéro heures », le travail intermittent, le portage salarial, les Minijobs ; encore peu présents au Luxembourg, ces contrats connaissant une progression remarquable dans nos pays voisins.

Cette problématique très actuelle n’a pas encore fait l’objet d’analyses juridiques détaillées en droit luxembourgeois. Pour cette raison, l’auteur a décidé de se pencher sur les réponses que notre droit social apporte actuellement et pourrait apporter à l’avenir à l’encadrement des relations d’emploi pour trouver un équilibre entre la sécurité recherchée par les salariés et la flexibilité souhaitée par les employeurs.

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© DBIT s.a. département Promoculture-Larcier 2016 Membre de Larcier Group 7, rue des 3 CantonsL-8399 Windhof

Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN 978-2-87974-991-4ISSN 2305-5642

Conventions collectives citées

CCT-Nettoyage-Bâtiments

Règlement grand-ducal du 3 août 2010 portant déclaration d’obligation générale de la convention collective de travail pour le personnel du secteur « nettoyage de bâtiments » conclue entre la Fédération Luxembourgeoise des Entreprises de Nettoyage de Bâtiments, d’une part, et le syndicat OGB-L, d’autre part

CCT-Electriciens

Règlement grand-ducal du 7 juin 1993 portant déclaration d’obligation générale de la convention collective de travail pour le métier d’électricien conclue entre la Confédération luxembourgeoise des syndicats chrétiens et la Confédération syndicale indépendante d’une part et l’Association des patrons électriciens du Grand-Duché de Luxembourg d’autre part.

CCT-Gardiennage

Règlement grand-ducal du 30 décembre 2010 portant déclaration d’obligation générale de l’avenant à la convention collective de travail du 18 janvier 1990 applicable aux agents des sociétés de service de sécurité et de gardiennage ainsi que de la convention collective du 14 octobre 2010 applicable aux agents des sociétés de service de sécurité et de gardiennage conclus entre les syndicats OGB-L et LCGB, d’une part et la Fedil Security Services, d’autre part.

CCT-Banques

Convention collective de travail des salariés de banque, 2014-2016

CCT-Intérimaires

Règlement grand-ducal du 10 juin 2014 portant déclaration d’obligation générale de la convention collective de travail du 28 mars 2014 applicable aux travailleurs intérimaires des entreprises de travail intérimaire, conclue entre la Fedil Employment Services (FES), d’une part et les syndicats OGB-L et LCGB, d’autre part.

Chapitre I Introduction

1. Notion de travail atypique

2. Point de vue de l’employeur

3. Point de vue du salarié

4. Incidence d’ordre public

5. Facteurs favorisant le recours au travail atypique

1    Les besoins de flexibilité des entreprises se heurtent souvent aux désirs de stabilité des salariés. La pratique invente de nouveaux modes d’organisation du travail, et le droit – souvent avec retards – doit leur fournir un cadre juridique adéquat. Cet ouvrage se penche sur les réponses fournies par le droit luxembourgeois aux nouvelles formes de travail. Si à l’étranger, la doctrine s’intéresse aux formes émergentes de travail, aucune étude juridique ne s’est encore intéressée à notre connaissance à la situation spécifique du Luxembourg. Nous tentons donc une première approche, mais dans bien des cas, nous devons constater l’absence de réponse fournie par notre droit.

La mission du droit du travail est d’établir un juste mais délicat équilibre entre d’un côté les besoins des entreprises et d’un autre côté la protection du statut des salariés. Ce travail est réalisé, pas toujours à perfection, tant par le législateur que par la jurisprudence. Par exemple, le recours aux contrats précaires est clairement encadré par la loi, tandis que l’encadrement du licenciement économique est une œuvre essentiellement jurisprudentielle.

2 Besoin de s’adapter. L’entreprise est une entité vivante. Elle doit sans cesse s’adapter à la demande des clients, aux variations des prix d’approvisionnement, au progrès technologique, à l’apparition de nouveaux concurrents, etc. (réactivité industrielle). Elle est exposée à des fluctuations sur lesquelles elle n’a aucune emprise, tels par exemple la conjoncture économique, des changements de mode ou des variations saisonnières.

Le chef d’entreprise se voit ainsi obligé d’adapter en permanence les facteurs de production. Le « travail » au sens de main-d’œuvre, donc d’effort humain, est un facteur important. Il est d’autant plus important dans une économie qui se tertiarise et dans laquelle les facteurs de production matériels (locaux, machines et installations, etc.) passent au second plan.

Pour l’entrepreneur, s’adapter signifie donc prendre des décisions à l’égard des personnes qui travaillent pour compte de l’entreprise.

Il serait faux d’aborder la question de la flexibilité exclusivement du point de vue de l’employeur. Le salarié peut également légitimement aspirer à une certaine flexibilité, par exemple pour organiser sa vie familiale, intellectuelle, spirituelle ou sportive. Certains mécanismes, tels l’horaire mobile (→ 108), lui garantissent une certaine flexibilité. Mais de manière générale, le droit du travail a pour objectif de protéger le salarié en lui accordant des droits dans l’intérêt de sa vie privée : droit au congé annuel, droit à toute une panoplie de congés spéciaux (p.ex. dans un but sportif, dans un but de formation), droit à un congé parental, limitation de la durée maximale de travail, etc. Au moment de l’embauche, il peut (tenter de) négocier des conditions flexibles et favorables. Mais au-delà, le droit lui offre peu de possibilités pour imposer sa volonté unilatérale à l’employeur. Cela paraît normal dans la mesure qu’il a accepté de se subordonner à l’employeur et de suivre ses ordres et que par ailleurs, ses desiderata personnels doivent souvent céder face aux exigences d’une organisation collective telle une entreprise. Enfin, il dispose d’une prérogative substantielle par rapport à l’employeur : il est libre à tout moment de résilier le contrat de travail avec préavis, sans devoir se justifier et sans devoir fournir le moindre motif.

3 L’intérêt limité des statistiques. Nous ferons état dans notre travail de statistiques diverses. L’objet de notre contribution n’est cependant pas de fournir des chiffres exacts ou les chiffres nécessairement les plus actuels. Si des données statistiques sont présentées, elles le sont de manière sommaire et schématique, dans le but de montrer l’importance d’un phénomène et son évolution sur le long terme. Le juriste doit toujours regarder les statistiques avec un certain recul et il ne saurait être sensible aux variations sur le court terme, puisque ce n’est souvent que des années, parfois des décennies après l’apparition d’un phénomène que la législation sociale est adaptée ou que les juridictions supérieures tranchent. Ainsi par exemple, le projet de loi sur le travail à temps partiel a été déposé en 19831 et n’a abouti qu’en 19932 (« Une genèse longue mais fructueuse »3). Pour le travail intérimaire, 5 ans séparent le dépôt du projet de loi4 et le vote de la loi en 19935. Sans compter qu’avant qu’un projet de loi ne soit déposé, il y a en principe déjà eu d’importantes discussions et tractations avec les acteurs intéressés.

1 – Notion de travail atypique

4   Le concept de « travail atypique » s’est imposé dans la littérature, tant sur la sociologie du travail que sur le droit du travail. Il ne s’agit cependant pas d’une notion juridique à proprement parler, mais plutôt d’une notion qui regroupe diverses formes de contrat ou mécanismes juridiques sur base du constat empirique d’une déviation de la norme. Notre Code du travail ne la mentionne que dans un seul article6.

Il n’existe pas de définition précise du travail atypique. La définition est plutôt négative, par démarcation d’une forme « typique » de travail à laquelle il est dérogé sur un ou plusieurs aspects. Puisque la structure du marché du travail évolue, la notion de travail atypique évolue de pair. Par exemple jusqu’au milieu du siècle dernier, le travail féminin pouvait être considéré comme étant un travail atypique, dans la mesure où il était peu fréquent7 (du moins dans certains secteurs), peu encouragé, et à de nombreux égards soumis à un régime juridique différent. Dans un mode essentiellement agricole, puis industriel, le travail intellectuel était aussi en quelque sorte atypique et peu répandu, et a ainsi donné naissance au statut dérogatoire – et convoité car favorable – de l’employé privé.

En adoptant une définition large, il s’agit donc de toute forme d’emploi qui remet en cause la façon typique, « normale » ou « traditionnelle » de travailler, notamment au niveau des modalités de travail (durée, horaire, lieu de travail), de la durée du contrat ou encore du statut légal (en particulier intervention d’un tiers). Il faut donc s’intéresser à la genèse d’une forme de travail considéré comme « typique ») (titre 1.1.) avant d’analyser quelles sont les cas dans lesquels il est dérogé à cette norme (titre 1.2.).

1.1 Le chemin vers un travail « typique »

5 Précarité issue de la liberté civile. La liberté contractuelle qui gouvernait initialement la relation de travail était nécessairement synonyme de précarité. Les parties pouvaient librement convenir d’un contrat à durée indéterminée ou à durée fixe. La résiliation unilatérale du contrat pouvait se faire moyennant de brefs préavis, sans devoir indiquer de motifs. La condition ouvrière était par nature instable et non sécurisée ; la plupart des ouvriers vivaient au jour le jour, sans possibilité d’épargner et sans avoir accès à l’emprunt, l’accès à la propriété immobilière étant utopique. Les seuls employés privés, peu nombreux, bénéficiaient depuis 1919 d’un minimum de stabilité.

6 Le CDI comme standard. Après-guerre, les « Trente Glorieuses » ont été marquées par l’acquisition et la consolidation de nombreux acquis sociaux, notamment un début de protection contre le licenciement. Un cadre légal rigide s’est ainsi mis en place. Les entreprises proposaient des emplois souvent à vie et avec des perspectives de carrière, le travail étant cadencé d’après un rythme relativement régulier. Un standard s’est ainsi développé, à savoir celui du CDI à temps plein avec un horaire fixe de jour, sinon du moins un horaire prévisible et planifié d’avance. Avec la tertiarisation, la semaine de 5 jours – du lundi au vendredi – se généralise pour une large partie de la population salariée. Longtemps a prévalu la croyance que cette forme de contrat standard fournirait un cadre adapté aux relations de travail de toute nature.

7 Réglementation du contrat employé dès 1919. La notion d’employé fait son apparition en droit luxembourgeois en 18958 lorsque la loi encadre la saisie de la rémunération des « employés ou commis des sociétés civiles ou commerciales ». Les employés privés bénéficient d’un encadrement légal de leur contrat de travail dès 19199. Cette loi constitue un « texte pionier » fixant la structure de la législation applicable aux employés pour l’avenir, les réformes de 1937, 1962 et 1972 ne faisant qu’étoffer et élargir ce cadre préexistant10. Il faut cependant relever que les idées initiales pour réglementer le contrat d’employé ont été très innovantes pour l’époque11 (convention collective de travail, participation aux bénéfices, etc.), mais n’ont pas été reprises dans la loi finale. L’objectif était de garantir les employés « contre l’arbitraire et l’exploitation du patron ou de l’entrepreneur, et pour donner en même temps plus de stabilité à leur situation »12.

8 Réglementation du contrat ouvrier en 1970. En 1962, Armand Kayser13 observe que pour la grande majorité des travailleurs, seul le droit commun, constitué par le code civil et le code de commerce, est applicable dans leurs relations contractuelles avec leurs employeurs ; il s’agit des ouvriers de l’industrie, des métiers et du commerce, de la plupart des ouvriers de l’agriculture, des gens de maison et des ouvriers de l’État et des communes. Les conventions collectives et les usages devaient suppléer au défaut d’une réglementation légale plus poussée.

Au moment d’encadrer le contrat des employés, le législateur avait estimé qu’il valait mieux s’attaquer à une seule « face du problème » et de ne pas aborder la question ouvrière, afin de ne pas faire échouer l’initiative législative par des ambitions trop grandes. Ainsi, les ouvriers devront attendre jusqu’en 1970 pour voir leur contrat encadré par la loi14. Lorsque le législateur s’est enfin résolu à réglementer le contrat des ouvriers, il était acquis qu’une telle réglementation était indispensable. En particulier, on a constaté que le licenciement individuel était abandonné « à des usages désuets dont ce délai dérisoire de 8 jours de préavis »15.

9 Loi de 1989. La loi du 24 mai 1989 sur le contrat de travail a unifié des aspects importants du régime contractuel des ouvriers et employés. Cette loi a été précédée d’un long travail préparatoire remontant à 1979, lorsque le Conseil Économique et Social avait été saisi d’un avant-projet de loi portant réglementation uniforme du contrat de travail des salariés.

A compter de 1989, ouvriers et employés seront soumis à un régime contractuel identique en ce qui concerne les points centraux de la formation et de la résiliation du contrat de travail. Vingt ans plus tard, en 2009, le Statut Unique balayera les dernières différences.

Le principes énoncés dans la loi de 1989 guident encore notre législation actuelle, notamment en ce qui concerne la protection contre le licenciement des salariés travaillant sous CDI et les cas d’ouverture du CDD.

10 Montée du travail précaire. Durant la crise économique des années 1970, les entreprises se sont mises à recourir à des formes dites atypiques de travail, tel le travail intérimaire, les contrats à durée déterminée et la sous-traitance temporaire de main-d’œuvre16. L’évolution économique étant incertaine, les entreprises ont en effet hésité à embaucher à durée indéterminée.

« Les pratiques de gestion de la main-d’œuvre adoptées par de nombreuses entreprises sous l’impact de la crise économique et se traduisant par le recours accentué aux formes dites atypiques de travail, à savoir le contrat de travail intérimaire, le contrat de travail à durée déterminée et la sous-traitance temporaire de main-d’œuvre »17.

Le chômage qui résultera de cette crise s’avérera structurel et ne sera plus résorbé, ce qui fragilise la position de négociation des salariés ; en outre, l’ouverture des marchés fait passer la compétitivité des entreprises sur le devant de la scène et augmente leur besoin de flexibilité en matière de main-d’œuvre. Pour certains le chômage, donc la concurrence entre les salariés les faisant accepter des conditions de travail moins favorables, a soutenu le développement des formes de travail atypique. Pour d’autres, le chômage est induit par une trop forte réglementation du marché du travail et sa libéralisation, notamment à travers de nouvelles formes d’emploi, permettraient de créer des emplois (voir à ce propos → 318). Le travail précaire gagne en importance, ce d’autant plus qu’il n’existe pas d’encadrement légal.

Un autre facteur important est d’ordre législatif : en 1989, le droit du licenciement est profondément réformé. Si, jusqu’ici, il appartenait au salarié d’établir le cas échéant qu’il y avait eu abus lors du licenciement avec préavis, il appartiendra désormais à l’employeur de motiver tout licenciement et de fournir des preuves à l’appui. Or, un durcissement de la résiliation du CDI peut amener les employeurs à préférer d’autres formes de contrat plus souples.

La segmentation du marché du travail (→ 39) a ainsi été amorcée. Les plus chanceux entreront dans le marché primaire et bénéficieront d’emplois stables. Les autres devront se contenter de travail occasionnel ou irrégulier sur le marché secondaire, situation dans laquelle ils risquent de s’enliser ; comme le note Marcelle Stroobants18, cette forme de travail affecte avant tout les plus marginalisés, les plus faibles (femmes, jeunes, immigrés).

11 Mutation du cadre économique. L’ouverture des marchés est double, à savoir tant sur le plan mondial que sur le plan européen (marché unique). L’économie se tertiarise avec le développement du secteur des services, secteur offrant moins d’emplois pour les personnes à faible qualification. Par ailleurs, certains services sont plus faciles à délocaliser ou à externaliser. Combinée avec une mobilité croissante des capitaux, la pression qui s’exerce sur les entreprise augmente, pression qui se répercuté sur leurs salariés. Les salariés sont autant exposés à la concurrence que les entrepreneurs.

12 Nouveaux défis technologiques. Le développement des moyens technologiques modifie profondément l’organisation du travail. Pour les travailleurs intellectuels, les moyens de télécommunication réduisent la nécessité d’être présent à l’entreprise pour travailler. Pour certains, la technologie représente donc un gain de liberté et d’indépendance, au point même de poser défi au concept de « subordination » qui non seulement caractérise le contrat de travail, mais est aussi considéré comme critère justifiant l’existence d’une législation sociale protectrice. Pour d’autres par contre, les nouvelles possibilités techniques conduisent à un contrôle patronal omniprésent, créant ainsi une forme de « super-subordination » dans laquelle chaque geste est enregistré, analysé, contrôlé et le cas échéant sanctionné. Au-delà des possibilités classiques de suivre l’activité des salariés sur leurs ordinateurs ou de tracer le déplacement des véhicules de l’entreprise, l’Internet des objets (Internet of things) fait en sorte que chaque outil de travail générera en permanence des données. Avec les wearables (technologie portable) apparaissent des outils que le salarié porte sur lui, voire même des vêtements intelligents (gants, chaussures) ; le patron est toujours présent au bout du poignet. Par ailleurs, ce n’est plus le supérieur hiérarchique qui détecte les fautes et problèmes, mais de nouveaux algorithmes permettent d’analyser l’état du salarié en se basant par exemple sur son style de frappe, son rythme cardiaque ou sa courbe thermique.

L’automatisation croissante de la production dans des « usines intelligentes » (dite « industrie 4.0 ») change aussi les besoins en main-d’œuvre. Le salarié ne doit plus être présent en permanence pour travailler, mais l’employeur a besoin d’une disponibilité sans faille pour intervenir lorsque l’automatisation atteint ses limites. Le concept de durée de travail, souvent vue comme une obligation d’être présent à l’entreprise 8 heures par jour, est ainsi mis à l’épreuve. L’informatisation du travail permet aussi de le scinder en petites portions qui peuvent être exécutées les unes indépendamment des autres et n’exigeant ainsi plus des heures de travail fixes pour tous les salariés ; cette séparation du travail en « micro-jobs » peut être organisée autour d’une plateforme en ligne (→ 254). Cette évolution n’est pas sans rappeler l’introduction du travail à la chaîne, dont l’objectif était également de scinder le travail en petits gestes répétitifs, rendant le salarié échangeable à tout moment, que ce soit par un autre salarié ou – en cas d’évolution technologique – par une machine ou un algorithme.

13 Besoin d’encadrement. Le droit peut parfois façonner la réalité, mais très souvent il se voit obligé d’accompagner les changements économiques afin d’en contrer les abus. Notre législation sociale devra ainsi tenir comptes des nouvelles formes d’organisation du travail, tout en fixant un cadre protégeant les intérêts des salariés. De nouvelles formes de travail verront le jour, et plutôt que de tenter de vainement les interdire, le législateur serait bien conseillé de les accompagner au plus tôt, afin de garder une part de contrôle.

Les nouvelles technologies offrent d’ailleurs également de nouvelles perspectives pour assurer le respect de la législation. Une conformité légale « by design » permet de rendre une infraction à la loi tout simplement impossible, par exemple en empêchant le salarié d’accéder de nuit à son courrier électronique, en imposant des pauses en cas de travail continu devant écran ou encore en déviant l’appel si le salarié se trouve être en mouvement à plus de 10 km/h.

14 Formes ‘nouvelles’ d’emploi ? Les formes atypiques de travail sont souvent qualifiées de « nouvelles », mais il est possible de trouver dans notre histoire sociale des formes de travail qui y ont ressemblé. Pour les contrats à durée déterminée, il suffit de rappeler que jusqu’en 1989, l’employeur pouvait librement recourir à cette forme de contrat, qui n’avait donc rien d’atypique. Le télétravail actuel n’est pas sans rappeler le « domestic system » dans lequel les industriels et négociants – notamment dans le domaine du textile – fournissaient aux agriculteurs et ouvriers des matières premières pour confectionner les commandes à leur domicile. Les problèmes de l’époque refont surface : isolation du salarié, salaires à la pièce dérisoires, horaires de travail incontrôlables, etc. A lire le discours du député Brasseur, une forme ancienne de travail intérimaire (resp. de job-sharing) avait également fait son apparition à la fin du 19e siècle et est venue concurrencer les ouvriers :

« il y a une plaie qui existe et qui a été introduite dans note pays par des étrangers, par des Belges. Ce sont des entrepreneurs qui s’établissent dans un centre industriel et qui font des entreprises avec les grands établissements industriels soit pour faire les déblais à un prix convenu, soit pour extraire les mines ; ils ont autant par waggon. L’entrepreneur alors attire les ouvriers, et le plus souvent on se demande comment il est possible que le tâcheron ait pu faire la besogne à ce prix là, car le patron ne pourrait pas le faire à ce prix … les cheminots, comme on les appelle, qui sont embauchés par ces entrepreneurs et qui forment, dans le canton d’Esch, une véritable plaie pour la classe ouvrière »19.

1.2 Les caractères atypiques

15   Le tableau ci-après reprend les critères qui définissent le travail « typique » (ou « souhaitable » ou « optimal »), ainsi que les cas dans lesquels il y est dérogé et qui peuvent donc être considérés comme atypiques.

On peut distinguer deux catégories de travaux atypiques, à savoir :

– Ceux qui déplacent le risque économique. Le problème de toute forme de durée de travail flexible réside dans le fait que le risque économique (risque de fluctuation de la demande) qui habituellement réside sur le patron, sera supporté par le salarié.

– Ceux qui bousculent la vie privée des salariés (lieu de travail, horaire).

Une autre possibilité de classification consiste à distinguer entre flexibilité interne et flexibilité externe.

– Par flexibilité interne, nous entendons la possibilité de modifier les conditions de travail des salariés existants.

– Par flexibilité externe, nous entendons les formes de contrat qui permettent à l’entreprise de faire varier ses effectifs.

Le choix entre ces deux formes de flexibilité incombe avant tout à l’employeur qui est – dans les limites de la loi – maître de la gestion de ses ressources humaines. Ce choix peut cependant aussi poser une question de solidarité, à chacun des salariés et également à leurs délégués et aux syndicats. Faut-il préférer garder ses avantages, quitte à ne pas renouveler les salariés précaires, voire à accepter que certains des salariés en CDI soient licenciés ? Ou est-il préférable de mutualiser l’effort, chacun faisant un effort pour maintenir l’emploi ?

Il n’est pas rare de voir que plusieurs de ces critères se cumulent. Ainsi par exemple, les CDD sont plus fréquents à être à temps partiel que les CDI20.

Aspect

Condition

Cas dans lesquels ce critère n’est pas respecté

stabilité dans l’emploi

Un travail offrant une grande stabilité dans l’emploi, donc en principe une relation à durée indéterminée avec un certain degré de protection contre le licenciement

contrats précaires (CDD et intérim) fausse indépendance

durée de travail

Un travail à temps plein (40 heures par semaine)

travail à temps partiel

durée de travail variable

travail intermittent

horaire de travail

Un horaire stable conciliable avec la vie familiale et citoyenne

horaires variables et flexibles

travail de nuit

identité de l’employeur

Un travail pour un seul et même employeur

travail intérimaire

prêt temporaire de main-d’œuvre

employee sharing

labour-pooling

lieu de travail

Un travail intégré dans la structure de l’employeur

travail à domicile et télétravail

travail nomade

rémunération

Un travail procurant un revenu stable et suffisant pour subvenir à ses besoins, et n’obligeant pas le travailleur à cumuler des emplois ou occupations rémunérées

travail à temps partiel non choisi

fausse indépendance

travail déguisé et travail noir

cumul d’emplois ; « second job »

assurances sociales

Un travail offrant une intégration complète dans les systèmes de sécurité sociale

petits travaux

travail non déclaré

relations juridiques claires

Une identité entre la relation contractuelle et le lien de subordination, en ce sens que le salarié travaille également pour celui qui est son partenaire contractuel

travail intérimaire

portage salarial

groupements d’employeurs

prêt de main-d’œuvre

16 Travail frontalier. Le travail frontalier présente certaines spécificités au Luxembourg. Il est cependant difficile de le considérer comme étant un travail atypique, puisqu’il représente près de la moitié des salariés du secteur privé. Les règles du droit du travail ne changent par ailleurs pas en fonction du lieu de résidence du salarié. Au Luxembourg, les travailleurs frontaliers ne peuvent donc être considérés comme travailleurs atypiques, ni par leur nombre, ni par leur statut juridique. Néanmoins, dans les faits, cette catégorie de salariés se démarque sur certains points. Les frontaliers étaient plus affectés par la baisse des recrutements survenus depuis la crise économique (2009/2010)21. Par contre, « de 2003 à 2010, les catégories socioprofessionnelles ont largement changé, avec une part de frontaliers occupant un poste de directeur ou de cadre supérieur en forte hausse »22.

17 Situation au Luxembourg. Il n’existe que peu de publications qui s’intéressent au travail atypique au Luxembourg. En ce qui concerne les formes « classiques » de travaux atypiques, le Luxembourg reste en bonne position dans la moyenne européenne. Le taux de CDI est élevé au Luxembourg. De même, le travail à temps partiel est moins développé que dans d’autres pays – ce qui avait d’ailleurs incité le législateur à revoir la législation afin que l’offre de postes à temps partiel s’agrandisse.

Paul Zahlen retient que :

« d’une manière générale, le travail ‘atypique’ est moins développé au Luxembourg que dans l’EU-15 en moyenne. Le temps partiel et les contrats à durée déterminée sont moins fréquents dans notre pays que dans les pays voisins. Quant aux horaires de travail atypiques, ils sont également moins fréquents au Luxembourg que dans l’EU-15 en moyenne et que dans les pays voisins, à l’exception de la Belgique. Néanmoins, des formes de travail ‘atypique’ semblent se développer au Luxembourg. Le temps partiel progresse, de même que le travail temporaire. La part des contrats à durée déterminée (CDD) augmente fortement, plus particulièrement chez les jeunes »23.

Luxembourg

Allemagne

France

Belgique

Moyenne EU (28)

Travail à temps partiel24

18,9 %

27,6 %

18,9 %

24,1 %

20,4 %

Contrats à durée limitée25

8,2 %

13 %

15,8 %

8,7 %

14 %

18   Selon son étude sur les nouvelles formes d’emploi publiée en 2015 par Eurofound26, le Luxembourg se démarque de la plupart des autres pays par le fait qu’une seule forme « nouvelle » a été trouvée (le prêt temporaire de main-d’œuvre), tandis que dans certains pays de nombreuses formes nouvelles ont fait leur apparition. Le Luxembourg se montre dès lors assez peu innovateur et préfère une approche classique.

2 – Point de vue de l’employeur

Le principal but recherché par l’employeur en recourant au travail atypique est de gagner en flexibilité dans la gestion des ressources humaines et donc de faire des économies pour augmenter sa rentabilité. Le travail atypique fait aujourd’hui partie de toute gestion des ressources humaines dans les entreprises.

19 Flexibilité interne. La flexibilité interne (heures supplémentaires, chômage partiel, comptes d’épargne-temps, rémunérations variables) permet de réaliser des économies sans modifier les effectifs. Mais la flexibilité interne a nécessairement des limites ; ainsi, les heures de travail et de repos ne peuvent pas indéfiniment être reportées, les salariés ne peuvent sans cesse être changés de poste. La flexibilité interne peut également engendrer certains coûts. Un investissement administratif et organisationnel est nécessaire, par exemple pour dresser les POT ou pour gérer un compte épargne-temps. Le cas échéant elle peut emporter l’obligation de payer des majorations, en particulier en cas de prestation d’heures supplémentaires.

20 Flexibilité externe. La flexibilité externe permet à l’entreprise de s’adapter en modifiant les effectifs (flexibilité numérique), tout en évitant les rigidités liées au CDI classique, notamment quant à la procédure de licenciement.

Elle peut présenter le désavantage d’emporter des coûts relativement élevés pour l’entreprise, à savoir : les coûts liés au recrutement ; les coûts liés à l’intervention d’un intermédiaire (agence d’intérim, entreprise de portage, etc.) ; les coûts relatifs à la formation initiale (et perte de cet investissement en cas de départ du salarié). Un emploi durable évite les coûts de formation et d’embauche et peut à ce titre être préféré par l’employeur.

Lors de l’encadrement législatif du travail intérimaire, le législateur a estimé qu’« il appartient aux grandes entreprises luxembourgeoises, dans leur propre intérêt, non point d’utiliser des moyens de flexibilité externe, mais de développer davantage des formules de flexibilité interne, telle que la gestion prévisionnelle de l’emploi »27.

21 Coût du turn-over. Selon une étude réalisée par Kristell Leduc, la rotation de la main-d’œuvre dans les entreprises (turn-over) est relativement élevée. Ainsi, environ la moitié des entreprises de plus de 50 salariés affichaient entre 2004 et 2006 un taux de rotation de 5 à 10 % ; 6,6 % des entreprises remplaçaient même sur cette période de deux ans 40 postes sur 100. Le turn-over est le plus élevé dans le secteur de l’horesca et le moins élevé dans l’industrie et la construction. Les entreprises seraient plus enclines aujourd’hui à retenir leur personnel afin de réduire leur « turn-over », coûteux (difficultés et frais de recrutement, de formation) et pouvant jeter une image négative sur l’entreprise28. Il s’agit aussi de valoriser les formations, compétences et expériences acquises en interne. Selon cette même analyse, deux critères joueraient un rôle essentiel, à savoir la satisfaction des salariés vis-à-vis du mode de gestion de la main-d’œuvre ainsi que les conditions salariales. Cette étude ne surprend pas lorsqu’elle arrive à la conclusion qu’un salarié sera plus enclin à rester dans son entreprise si celle-ci offre un salaire et des primes plus attractifs que ses concurrents. Mais elle souligne également l’importance des pratiques de gestion de ressources humaines ; elle relève un taux de rotation plus faible de la main-d’œuvre dans les entreprises ayant pris des mesures en faveur des salariés au niveau des horaires et de la pénibilité du poste.

22 Démotivation et rentabilité. Les salariés précaires développent logiquement un lien moins fort avec leur entreprise. Il s’agit d’une main-d’œuvre volatile, toujours à la recherche de conditions de travail plus favorables. Cette moindre identification à l’entreprise peut se traduire par une moindre motivation au travail et une moindre qualité de la prestation. La cohabitation, sur le même lieu de travail, entre des salariés permanents et des salariés externes au statut moins favorable peut aussi être à l’origine de tensions et de dissensions et peser sur le climat social dans l’entreprise.

23 Insécurité juridique. Si l’employeur se montre trop innovateur en recourant à de nouvelles formes de travail ou en imposant des clauses contractuelles peu usuelles, il s’expose à un risque juridique non négligeable. Si la légalité de sa démarche est remise en cause et que les clauses sont annulées ou les contrats requalifiés, il risquera de devoir rétroactivement débourser davantage que dans ses prévisions. Ce constat est particulièrement vrai au Luxembourg, où il n’y a que peu de jurisprudence en la matière. Citons l’exemple de l’entrepreneur qui voulait copier au Luxembourg le modèle français du « portage salarial » et qui au final a été condamné à une amende de 3 500 euros et a été obligé d’abandonner son projet.

3 – Point de vue du salarié

24   Le travail atypique est généralement vécu par le salarié comme étant une contrainte supplémentaire, détériorant la qualité des conditions de travail. Il est plus exceptionnel que la flexibilité et l’atypicité rencontrent les désirs des salariés. Ainsi, le type de contrat de travail est un élément clé de la satisfaction au travail et de la qualité des conditions de vie et de travail des salariés. D’autres facteurs influent cependant également, telle la qualité des relations sur le lieu de travail (p.ex. problèmes de harcèlement) ou le contenu du travail (p.ex. travail monotone, charge de travail excessive engendrant du stress).

3.1 Avantages

25   Un des arguments classiques avancés pour présenter le travail atypique comme étant également dans l’intérêt du salarié consiste à dire qu’il permettrait de mieux associer vie privée et vie familiale. Ce constat peut s’avérer exact pour certaines formes de travail, tels l’horaire mobile, le télétravail ou le travail à temps partiel. Ce dernier permet notamment aux femmes qui donnent naissance à un enfant et aux parents qui veulent s’occuper de l’éducation de leur enfant un moyen de rester partiellement dans le monde du travail, ce qui maintient leur employabilité. Il peut ainsi y avoir un impact favorable sur l’égalité entre sexes.

Le télétravail présente encore l’avantage d’éviter les coûts et pertes de temps liés au déplacement professionnel, ainsi que les risques d’accident de trajet (→ 92).

Enfin, le travail atypique peut être un moyen pour le salarié pour augmenter ses revenus, par exemple grâce à des majorations pour travail de nuit, travail dominical ou heures supplémentaires, ou encore en cumulant plusieurs emplois.

3.2 Désavantages

26 Précarité du statut. Le premier reproche fait aux formes atypiques de travail est de favoriser la précarité des salariés. S’il faut constater qu’un travail atypique n’est pas nécessairement un travail précaire, ces deux aspects vont cependant souvent de pair. La précarité peut affecter le salarié dans l’immédiat, dans le sens qu’il perçoit un bas salaire, que son crédit est faible en raison de l’absence de stabilité des revenus ou que ses horaires entravent sa vie extra-professionnelle. La précarité peut cependant également être future. Ainsi par exemple, l’absence d’accès à des formations compromet la future évolution de carrière ; de même, des cotisations irrégulières ou absentes ne permettent pas au salarié de se construire des droits pour une future pension de retraite décente.

27 Instabilité financière. Du revenu touché dépend non seulement la survie du salarié, mais souvent également celle d’une famille entière. La précarité de l’emploi rend impossible une planification financière à long terme. L’accès au crédit est barré, sinon du moins les banques et institutions financières différencieront dans les conditions de crédit (taux tenant compte du risque). Or, l’accès au crédit conditionne largement l’accès au logement. Il peut s’agir de l’achat d’un bien par un prêt bancaire, mais aussi en cas de location, de bailleurs sélectionnant les candidats dont la situation financière paraît la plus stable.

Selon la Chambre des Salariés, « le développement des formes atypiques d’emploi ne reste pas sans effet en termes de pauvreté des personnes actives. Les travailleurs luxembourgeois comptent parmi les plus exposés au risque de pauvreté au sein de l’Europe des Quinze »29.

Le travail, même à temps plein, ne permet pas toujours d’échapper à la pauvreté, sachant toutefois que le seuil de pauvreté est défini en fonction du niveau de vie des autres résidents30. En 2005, pour un taux de pauvreté de l’ensemble de la population de 13 %, celui des travailleurs atteint 9 %31 ; les ouvriers (22 %) sont plus touchés que les employés (3 %). Pourtant, la majorité des travailleurs pauvres ont travaillé 12 mois et à temps plein. Le taux le plus élevé est constaté pour les familles monoparentales. Une différence qui a frappé le STATEC est le fait que les bas salaires sont un phénomène très largement féminin, le pourcentage de travailleurs pauvres est par contre légèrement plus élevé chez les hommes32. Le travail à temps partiel, surtout lorsqu’il n’est pas choisi mais subi, peut également induire la précarité financière33.

28 Accès à la sécurité sociale. La sécurité sociale a pour objectif de protéger le salarié contre les aléas de la vie (maladie, chômage, grossesse, invalidité, etc.). Un accès incertain ou partiel seulement aux régimes de sécurité sociale fait tomber le salarié en dehors des mailles du filet social. Le droit aux prestations sociales, et surtout le montant des prestations sociales (notamment la retraite) est historiquement lié à la relation de travail ; la couverture sociale dépend ainsi de l’existence d’un travail rémunéré, de sa durée et du montant de la rémunération touchée. Le système de sécurité sociale a été conçu au regard du contrat de travail « standard », autrement dit du travailleur (masculin) s’adonnant à une activité permanente et à plein temps. En cas de carrière professionnelle irrégulière, atypique ou intermittente, la couverture sociale risque de ne plus être continue. De nombreuses règles visent cependant à assurer une transition et à éviter la sortie du régime de la sécurité sociale (indemnités de chômage, continuation des prestations de maladie même après la fin de la relation de travail, possibilité de conclure une assurance volontaire, etc.). Le risque de pauvreté à l’âge de la vieillesse est plus important, en raison de cotisations irrégulières et faibles, les formes de travail atypiques étant souvent moins bien rémunérées.

Toutes les situations atypiques ne sont cependant pas concernées par ce problème. Certaines personnes travaillant dans une relation atypique bénéficient en raison d’une autre qualité d’une couverture sociale suffisante ; il en est notamment ainsi des étudiants travaillant à côté de leurs études, resp. des retraités complétant leur pension par une activité complémentaire.

29 Accès à la formation. Les salariés sous contrat atypique ou précaireont en général moins d’accès à la formation. L’employeur n’est pas incité à investir dans leur formation, problème qui pourrait trouver une solution en mutualisant le coût des formations (→ 333).

Cette situation est d’autant plus handicapante pour ces salariés que les changements dans le monde du travail s’accélèrent et que la durée pendant laquelle une formation garde son ‘actualité’ se réduit (« abnehmende Halbwertzeit des erworbenen Wissens »). Autrement dit, une formation continue et régulière devient de plus en plus importante. L’exclusion de certains salariés, qui ne peuvent développer leur compétence, a un impact direct sur leur employabilité et aggrave ainsi leur situation précaire.

30 Victimes d’accidents. La littérature étrangère confirme que les salariés sous contrat atypique et précaire sont plus fréquemment victimes d’un accident de travail que les salariés ordinaires. Ce risque d’accident accru peut s’expliquer par de nombreux facteurs :

– certaines formes de travail conduisent à une plus grande fatigue physique et psychique (cumul d’emplois, travail de nuit, etc.), ce qui diminue la vigilance et augmente le risque d’erreurs,

– le lieu de travail des salariés précaires, notamment des intérimaires, change régulièrement ; ils sont dès lors confrontés à des environnements moins familiers et exposés à des risques plus variés,

– bien que la loi prévoie des mesures spécifiques en leur faveur, ils sont néanmoins en pratique exposés au risque d’être moins bien informés et formés sur les risques de sécurité et les comportements à adopter,

– ils sont moins biens intégrés dans l’équipe permanente et donc dans les procédés de travail quotidiens.

Au Luxembourg, il ne semble pas exister de statistiques précises à ce sujet34. Nous donnons ici quelques exemples, dont nous ignorons s’ils sont statistiquement déterminants, mais qui n’en illustrent pas moins certaines situations tragiques :

– Un intérimaire adolescent de 17 ans se blesse au doigt en voulant débloquer une emballeuse automatique35. Il avait été formé le 1er jour, a travaillé sous supervision le deuxième jour et a travaillé de manière autonome dès le troisième jour. Le Tribunal a jugé que sa formation n’était pas suffisante.

– Des poutres métalliques tombent sur un salarié intérimaire en train de nettoyer au fond d’une fosse36. Dans cette affaire, les poursuites ont été déclarées irrecevables pour violation des droits de la défense.

– Un ouvrier intérimaire décède, écrasé par une plaque métallique destinée à stabiliser les parois d’une tranchée, suite à un éboulement de terre derrière la plaque37. Les juges ont retenu que le matériel de sécurité nécessaire n’avait pas été mis à disposition et que les instructions nécessaires n’avaient pas été données.

– Dans un étudiant, un étudiant intérimaire fait une chute mortelle de 14 mètres en tombant d’une échelle qui n’était pas installée de façon réglementaire38. En première instance, il avait été retenu que les intérimaires n’avaient pas été formés et informés à suffisance. En appel, l’action publique a été déclarée prescrite39.

31 Dilution du concept d’« employeur ». Certaines formes atypiques de travail ont pour effet que l’identité de l’employeur et ses responsabilités deviennent floues. Un éclatement des responsabilités patronales s’observe notamment pour le travail intérimaire et le prêt temporaire de main-d’œuvre. Quelques dispositions légales essayent de délimiter ces responsabilités, mais elles restent vagues.

De manière générale, la jurisprudence se montre protectrice des salariés qui se trouvent dans une situation dans laquelle ils ont du mal à identifier leur employeur : quelle société citer en justice ? à qui réclamer les salaires ou des indemnités de licenciement ? Dans un cas dans lequel une certaine confusion régnait en raison de la présence de deux sociétés établies dans les mêmes locaux, la Cour a retenu qu’il « serait inadmissible que la confusion créée, à dessein ou non, entre différentes sociétés occupant les mêmes locaux et exerçant la même activité, se fasse au détriment des salariés qui pourraient finir par ignorer qui est leur véritable employeur, et contre qui faire valoir leurs droits légitimes »40.

Si le fait que plusieurs sociétés forment une entité économique et sociale fait en sorte qu’ils sont considérés comme un employeur unique dans certaines hypothèses (p.ex. pour déterminer les effectifs ou pour calculer l’ancienneté du salarié), ce fait n’est cependant pas suffisant pour créer une responsabilité solidaire entre ces structures. Tel ne serait le cas que si une des structures ne forme en réalité qu’une coquille vide (théorie du co-emploi ; → 224). Il a été jugé notamment que le fait que trois sociétés présentent des liens au niveau du capital et des dirigeants et qu’il y ait eu des mutations de personnel ne fait pas en sorte qu’il y a une confusion de patrimoine au point de les considérer comme un seul et même employeur41.

32 Apparition de nouveaux risques pour la sécurité et la santé. Le travail atypique peut également exposer le salarié à de nouveaux risques, qui sont d’autant plus préjudiciables qu’ils sont encore mal identifiés et que l’arsenal protecteur est moins connu et développé que pour les risques industriels historiques (chutes, accidents avec des machines, exposition aux agents chimiques, etc.), même si dans le domaine industriel de nouveaux risques font également leur apparition (p.ex. les nanotechnologies).

Le travail intellectuel peut engendrer de nouvelles pathologies, tels le burn-out, stress, phénomènes auxquels de nombreuses études et ouvrages sont dédiés ; la position assise peut engendrer des troubles musculo-squelettiques.

Le travail connecté peut être préjudiciable du fait de la dilution des frontières entre vie privée et vie professionnelle. Certains s’interrogent aussi sur l’exposition permanente du travailleur mobile aux ondes électromagnétiques. En France, la doctrine s’intéresse même à la responsabilité de l’employeur par les risques importants créés lorsque le salarié reçoit des appels ou rédige des messages en conduisant.

Le télétravail pose en outre la question de savoir comment l’employeur peut analyser les risques spécifiques au domicile du salarié et surtout, comment il peut le surveiller et intervenir. Il faut rappeler que l’employeur est responsable d’assurer la sécurité et la santé de son salarié, les juges luxembourgeois tendant à suivre leurs pairs français pour décider qu’il s’agit d’une obligation de résultat. La Convention sur le télétravail ne fournit qu’une réponse très vague dans son article 12 :

L’employeur doit informer le télétravailleur de la politique de l’entreprise en matière de sécurité et de santé au travail, notamment des exigences relatives aux écrans de visualisation.

Le télétravailleur applique correctement ces politiques de sécurité.

Afin de pouvoir contrôler le respect des règles relatives à la sécurité et santé au travail, l’employeur, le délégué à la sécurité et/ou les autorités luxembourgeoises compétentes ont accès au lieu du télétravail, dans la limite des législations et conventions collectives et dans le respect des dispositions de l’article 11 du présent texte relatives au respect de la vie privée.

Le télétravailleur est autorisé à demander une visite d’inspection.

Si le télétravailleur descend dans la cuisine pour prendre un verre d’eau et tombe dans l’escalier, il s’agit probablement d’un accident du travail. La situation serait-elle différente s’il était descendu pour changer le linge ? Et qui déterminera pour quelle raison le salarié est descendu les escaliers ?

33 Déficience d’intégration dans l’entreprise. De nombreuses catégories de travailleurs atypiques ne font pas partie des effectifs centraux de l’entreprise (Randbelegschaft), comme par exemple les intérimaires. Les salariés à temps partiel sont moins présents dans l’entreprise ; leurs contraintes horaires peuvent faire en sorte qu’ils participent moins aux activités para-professionnelles entre collègues42, dans l’heure de midi ou après le travail. Il en est de même pour le travailleur de nuit. Les télétravailleurs à leur tour ne sont que très peu, voire jamais présents dans l’entreprise ; leur contact avec les collègues se limite souvent à un échange électronique.

Travailler sous statut atypique comporte donc le risque d’une marginalisation au sein de l’entreprise. Le travailleur peine aussi à trouver sa place, ce qui peut induire un problème d’identification (flou identitaire) pouvant conduire à l’isolement. L’isolement à son tour affaiblit les salariés par un moindre degré de solidarité de la part des collègues de travail et par la difficulté pour les syndicats à s’adresser à ces salariés. Cette isolation peut aussi engendrer du stress et de l’insatisfaction. La collectivité de travail éclate ; or c’est elle qui forme le contrepoids historique au pouvoir patronal. La défense des intérêts collectifs en pâtit, ce qui se traduit dans les statistiques par un taux d’affiliation syndicale plus faible des travailleurs sous statut atypique.

34 Responsabilité civile. Actuellement, en vertu de la théorie du risque industriel, la responsabilité civile du salarié est limitée. L’employeur tire le bénéfice économique du travail du salarié ; il doit en contrepartie assumer les risques normaux inhérents à l’activité de son entreprise. Le salarié ne peut dès lors être tenu responsable de toute erreur qu’il commet43. C’est cette idée qui est exprimée à l’article L. 121-9 C.T. qui énonce : « L’employeur supporte les risques engendrés par l’activité de l’entreprise. Le salarié supporte les dégâts causés par ses actes volontaires ou par sa négligence grave ». Envers l’employeur, le salarié n’est dès lors responsable qu’en cas de faute volontaire ou de négligence grave. La question de l’extension de cette immunité envers les tiers a été discutée.

L’article L. 121-9 C.T. ne vise que les « salariés ». Devraient donc être exclus des personnes tels que les stagiaires, personnes sous contrat d’intégration, etc. Les personnes travaillant sous un régime d’indépendant, même s’ils sont économiquement dépendants et soumis à de fortes contraintes, sont également exclues de ce régime protecteur. Ils sont responsables selon le droit commun, c’est-à-dire que la moindre négligence, la faute la plus légère, oblige à réparer l’entièreté du dommage causé. Or, la responsabilité doit toujours aller de pair avec la liberté d’action.

Une problématique particulière se pose pour les salariés intérimaires. Ils sont salariés dans leur relation avec l’entreprise de travail intérimaire, de sorte que la limitation de responsabilité joue. Mais à l’égard de l’entreprise utilisatrice, ils sont des tiers ; aucun lien contractuel ne lie l’intérimaire à l’entreprise dans laquelle il travaille au quotidien. La responsabilité du salarié envers les tiers suit le droit commun. La jurisprudence luxembourgeoise ne s’est en effet pas ralliée à la jurisprudence française selon laquelle le salarié qui agit sans excéder les limites de sa mission n’est pas responsable face aux tiers44, de sorte que face à ces derniers la responsabilité du salarié reste entière.

35 Morale. D’un point de vue subjectif, les habitants du Luxembourg sont assez optimistes de pouvoir garder leur emploi ; ils le sont beaucoup moins si on leur demande s’ils estiment pouvoir retrouver rapidement un emploi en cas de licenciement45.

Dans une étude sur le bien-être au travail, Frédéric Berger note que la sécurité de l’emploi et le type de contrat sont fortement associés à la satisfaction au travail : les moins fréquemment satisfaits sont les titulaires de contrats à durée déterminée, suivis des titulaires d’un contrat permanent du secteur privé et enfin les fonctionnaires46. Charles Fleury note toutefois que la sécurité d’emploi a été déclassée dans les critères qui importent le plus aux salariés, les caractéristiques liées au contenu du travail (travail intéressant et responsabilisant) gagnant en importance47.

L’absence de perspectives de carrière, l’impossibilité de se projeter dans l’avenir peuvent retarder des choix importants, comme celui de fonder une famille. Ils peuvent être à l’origine non seulement d’un sentiment d’insatisfaction, d’anxiété et de stress, mais aussi d’un manque de confiance et d’estime de soi. Tous ces éléments peuvent à leur tour conduire à des problèmes psychiques (dépressions, burnout) et/ou à des conduites addictives (médicaments, alcool, drogues illicites, etc.).

3.3 Choisi ou subi ?

36 Défaut de choix. C’est seulement de manière limitée que les formes atypiques du travail correspondent aux préférences des travailleurs concernés. Souvent, ils considèrent leur situation d’emploi comme insatisfaisante et ne l’ont choisie que faute d’alternatives. Sauf pour le travail à temps partiel, il n’y a pas de données disponibles. Pour 2006, il a été évalué que 73 % des salariés travaillent à temps partiel de manière délibérée, tandis que 27 % subissent cette forme de travail48. Pour le surplus, on peut supposer qu’un contrat à durée déterminée ou un horaire imprévisible répondent rarement à une demande du salarié.

37 Emploi approprié à accepter par les chômeurs. Réfléchir sur l’atypicité des contrats de travail pose aussi la question de savoir quels emplois peuvent sérieusement être imposés aux travailleurs et quelles formes ils peuvent légitimement refuser. Cette question se pose avant tout pour les demandeurs d’emploi ; le refus d’un « emploi approprié » ou d’une « mesure active en faveur de l’emploi » peut conduire au retrait des indemnités de chômage49. La définition actuelle de l’emploi approprié, remontant à 198350, n’est pas très explicite ; toute forme de travail légale est admise et le salarié n’est en principe pas en droit de refuser les offres sous régime « atypique ». Un projet de modification de ce règlement grand-ducal est actuellement en cours, et davantage de flexibilité sera demandée aux chômeurs :

– Au niveau de la rémunération, le demandeur d’emploi devra se contenter d’une rémunération d’un niveau au moins égal à celui de l’indemnité de chômage complet (soit quelque 80 % / 85 % de son ancien salaire). Puisqu’il existe un plafond dégressif débutant à 250 % du SSM, ce seront les salariés les mieux rémunérés qui devront accepter une réduction substantielle de leurs revenus.

– Au niveau du « régime de travail », sera réputé approprié l’emploi comportant un régime de travail différent de celui sous lequel le demandeur d’emploi a travaillé antérieurement. L’idée est notamment que « le demandeur d’emploi (…) ne peut, sans motif valable et convaincant, refuser un emploi posté ou comportant régulièrement des prestations de travail les jours de fin de semaine »51. De même, « le demandeur d’emploi ayant perdu son emploi volontaire à temps partiel doit devenir flexible et accepter le poste offert même s’il comporte un nombre d’heures supplémentaires à travailler que par rapport à son travail d’avant »52. La notion de « régime de travail » étant cependant très large, elle pourrait couvrir beaucoup de formes atypiques de travail, notamment les contrats précaires, le travail de nuit, etc.

– Au niveau du lieu de travail, le critère de référence était celui de la durée du trajet. La limite actuelle autorisant le chômeur à refuser un emploi comportant une durée de trajet supérieure à deux heures et demie est abolie53.

4 – Incidence d’ordre public

4.1 Répartition des risques

38 Répartition des risques. Le droit du travail est un droit asymétrique. Il réglemente les relations entre deux parties entre lesquelles le rapport est supposé être déséquilibré. La liberté contractuelle est ainsi mise à l’écart afin de protéger la partie faible, le salarié. La relation de travail procède également à une répartition asymétrique des risques. Les risques de l’activité économique sont essentiellement à charge de l’employeur. Au niveau de la responsabilité civile, ce dernier endosse la responsabilité pour les faits et gestes de ses salariés. Au niveau de la rémunération, il est obligé de payer les salariés même si leur travail n’a pas pu être rentabilisé. Au niveau de la durée de travail, il est obligé de garder les salariés à son service, même s’il n’a pas de travail à leur confier. Le salarié ordinaire, sous CDI, est en principe à l’abri de ces risques organisationnels et financiers et il n’en fait les frais que dans les situations extrêmes dans lesquelles un licenciement économique est prononcé. En échange, évidemment, l’employeur est également celui qui tire les premiers fruits des chances et opportunités offertes par l’activité économique. Il ne doit aux salariés que leur rémunération, même s’il arrive à valoriser leur travail au multiple de ce salaire.

Le rôle du droit du travail est d’encadrer ce fragile équilibre. Pour les travailleurs flexibles et précaires par contre, cet équilibre risque d’être rompu. Du fait que leur horaire de travail est variable, que leur durée de travail peut être augmentée ou baissée, que leur contrat peut être résilié ou non-renouvellé au moindre incident, etc., ils participent davantage aux risques de l’activité économique que les autres salariés. Par contre, en général, ils ne participent pas davantage aux gains, puisque leur salaire est – au mieux – celui d’un salarié ordinaire.

4.2 Segmentation du marché du travail

39 Notion. Des études montrent qu’il existe plusieurs segments sur le marché du travail qui sont relativement cloisonnés. Le marché primaire offre des emplois stables et rémunérateurs, tandis que le marché secondaire se caractérise par la précarité, l’instabilité et de faibles salaires. En légiférant sur le travail intérimaire, les auteurs du projet de loi l’ont formulé comme suit54 :

Habituellement, l’employeur est un entrepreneur qui embauche du personnel pour le faire travailler dans son entreprise avec son équipement. Tout le personnel employé dans une même unité de production a alors le même employeur. Soumis à la même autorité, ce personnel forme une collectivité de travail ayant une solidarité d’intérêts.

L’organisation contemporaine de la production a souvent fait éclater cette collectivité de travail. Autour d’un noyau de travailleurs, formant le personnel stable et intégré de l’entreprise, gravitent des salariés qui ont été embauchés par des tiers et qui ne bénéficient pas du même statut que le personnel permanent de l’entreprise.

Ces pratiques présentent des inconvénients sociaux parce qu’elles accroissent la précarité de l’emploi en libérant l’entreprise principale des obligations liées à la protection du salarié contre le licenciement. Par ailleurs, elles créent des inégalités entre des travailleurs qui sont rattachés à des employeurs différents avec des statuts différents bien qu’ils fournissent le même travail au sein des différentes entreprises.

Les contrats précaires « créent dans le monde du travail une fracture entre les salariés permanents bénéficiant d’une certaine garantie de l’emploi et les salariés intérimaires privés de stabilité et d’espoir de progression professionnelle. L’éclatement de la collectivité de travail dans l’entreprise en constitue la conséquence »55.

L’existence même de formes atypiques de travail crée ainsi un problème de cloisonnement, rendant très difficile de passer de l’un à l’autre (Prekaritätsfalle). Les contrats à durée déterminée et le travail intérimaire ne sont pas nécessairement une porte d’entrée au marché primaire, mais peuvent s’avérer être un cul-de-sac (→ 185).

L’accès aux marchés du travail primaire n’est pas assuré de manière égale entre tous. Une nouvelle classe sociale voit ainsi le jour, se caractérisant par la discontinuité de la carrière et des revenus.

Cette segmentation peut faire partie de la gestion des ressources humaines (la carotte ou le bâton). Pour les salariés précaires, la promesse d’un éventuel futur CDI les maintient motivés. Pour les salariés permanents, le risque de perdre ce statut peut modérer leurs prétentions quant aux autres conditions de travail.

La segmentation risque d’être croissante. En effet, la dérégulation affecte avant tout les plus fragiles, ceux qui savent le moins défendre leur droit, i.e. qui ont le moins de débouchés et le moins de poids dans la négociation individuelle. Par ailleurs, on note une surreprésentation syndicale des emplois stables. Une solution pourrait consister à abandonner la différenciation entre les CDI et les autres formes de contrat en rendant le premier plus flexible (→ 316), le cas échéant avec un régime protecteur progressif évoluant avec l’ancienneté ou l’expérience professionnelle. D’autres concepts, tels que celui de la « flexicurité » (→ 332) veulent également s’attaquer à ce problème.

40 Situation au Luxembourg. Pour le Luxembourg, il existe peu d’études empiriques concernant la segmentation du marché du travail dans son ensemble ; Kristell Leduc et Anne-Sophie Genevois s’y sont aventurées en 2012. Leurs conclusions se lisent notamment comme suit : « Au Luxembourg, puisque la majeure partie des emplois sont en CDI, la segmentation du marché du travail se fait essentiellement en termes de rémunération et de qualification ».

41 Le CDD, un cul de sac ? Une étude sur le premier contrat de travail montre que parmi les jeunes qui se sont fait offrir comme premier emploi un CDD (46 %) ou un travail intérimaire (12 %), moins d’un quart (23 %) ont vu au bout de 2,5 ans leur situation progresser dans le sens d’avoir réussi à obtenir des contrats de travail plus stables56. Ceux recrutés sous CDD étaient un peu plus nombreux à gagner en stabilité que ceux initialement recrutés comme intérimaires.

42 Premier recrutement en CDI, une garantie de stabilité pour l’avenir ? Cette même étude sur les jeunes arrive à un constat étonnant, à savoir que parmi les nombreux jeunes qui se sont fait immédiatement offrir un CDI, seuls 18 % restent dans cette même entreprise au bout de 32 mois57. Mais faut-il en conclure que le CDI n’offre pas la stabilité souhaitée (période d’essai) ou alors qu’il offre une stabilité dont les jeunes n’ont pas besoin parce qu’ils sont professionnellement mobiles ? L’étude permet en tout cas ainsi de constater que la nature du premier contrat de travail est un indicateur imparfait des trajectoires professionnelles ; « en conclusion, l’insertion des jeunes sur le marché du travail ne se limite pas au fait de décrocher son premier emploi car encore faut-il parvenir à se maintenir en emploi et qui plus est dans des emplois de qualité ».

Une autre étude, qui se penchait sur la question de savoir si le travail intérimaire était un moyen pour les seniors de se maintenir dans l’emploi, constate que l « l’intérim peut être considéré comme un tremplin pour seulement un sixième des intérimaires seniors mais pour un peu plus d’un tiers des intérimaires plus jeunes »58.

5 – Facteurs favorisant le recours au travail atypique

Les analyses statistiques permettent de constater que la présence des formes atypiques de travail dépend d’un certain nombre de facteurs dont deux méritent un regard plus détaillé, à savoir les catégories des salariés concernés et les catégories d’entreprises recourant à cette forme de travail.

5.1 Catégories de personnes concernées

43 Inégalités. Le travail atypique concerne souvent des groupes de personnes d’ores et déjà socialement fragilisées, comme par exemple :

– Les étrangers ou migrants. Par exemple, près de deux tiers des intérimaires sont des frontaliers59.

– Les salariés avec une formation faible, qui ont un moindre accès aux emplois stables. Philippe Liégeois a relevé (pour 2004) que 84 % des salariés dont la formation ne dépasse pas le secondaire inférieur travaille sous CDI, contre 92 % pour ceux qui sont au moins diplômés du secondaire supérieur60.

– Les jeunes. Jacques Brosius note que ce sont surtout les jeunes salariés de moins de 35 ans qui sont concernés par la baisse des recrutements due à la crise économique (2009/2010)61. Faisant leur entrée dans le marché du travail, ils sont aussi les plus nombreux à ne trouver qu’un engagement précaire (voir ci-après).

– Les seniors. Le vieillissement actif est une des priorités, notamment de la politique européenne, afin d’assurer la viabilité des systèmes de sécurité sociale. Le taux d’occupation des seniors au Luxembourg est cependant un des plus faibles d’Europe. Certains dénotent une culture de départ précoce. Roland Maas note, dans son étude remontant aux conventions collectives de 2005 et 2006, que les partenaires sociaux négocient peu de mesures spécifiques pour les salariés âgés, hormis d’éventuels congés supplémentaires62. Deux projets de réforme actuellement en cours cherchent à remédier à cette situation : le projet de réforme des régimes de préretraite et le projet visant à instituer des plans de gestion des âges. Un des moyens parfois proposés pour favoriser l’embauche des seniors consiste à permettre le recours au CDD (voir le CDD-Senior en France pour certaines personnes en fin de carrière), ou de créer un contrat atypique avec une moindre protection contre le licenciement.

44 Inégalités entre sexes. En matière de travail intérimaire, les hommes sont largement surreprésentés (79 %), ce qui s’explique notamment par leur prédominance dans les secteurs ayant le plus recours à cette forme de travail (construction, industrie)63. Le travail à temps partiel par contre est un phénomène essentiellement féminin. 38 % des femmes sont employées à temps partiel contre seulement 2 % des hommes64. Dans l’Union, le Luxembourg est le pays où l’écart de genre en matière de travail à temps partiel est le plus important, ce qui peut s’expliquer en partie du fait que le taux d’hommes travaillant à temps partiel est le plus bas de l’Europe65.

En outre, la proportion de femmes travaillant à temps partiel augment avec l’âge66.

Concernant le travail temporaire (CDD et intérim), Paul Zahlen note que, même s’il augmente pour les deux sexes, il est structurellement plus fréquent chez les femmes que chez les hommes67. Le travail posté à son tour est plus fréquent chez les hommes que chez les femmes. Le travail de nuit des femmes et également moins fréquent que celui des hommes68.

5.2 Catégories d’employeurs recourant au travail atypique

45   Le recours au travail atypique est très variable en fonction des entreprises. Il dépend en particulier de leur taille : plus une entreprise est grande, plus elle tend à recourir au travail intérimaire, mais plus les chances des intérimaires augmentent de se voir proposer par la suite un autre contrat de travail69.

Le secteur d’activité se reflète également dans certaines statistiques. Pour le CDD et le travail intérimaire, il faut relever que la législation elle-même a une influence puisque, dans certains secteurs, elle autorise plus largement le recours aux contrats précaires que dans d’autres ; tel est le cas notamment dans le domaine de l’enseignement, de la recherche, dans le secteur du spectacle et de l’audiovisuel. Le travail intérimaire est avant tout présent dans le secteur de la construction et celui des industries manufacturières et extractives70.

46 à 49 Réservés.

1 Projet de loi n° 2671 déposé le 18 janvier 1983.

2 Loi du 26 février 1993 concernant le travail volontaire à temps partiel.

3 Projet de loi n° 2671 concernant le travail volontaire à temps partiel, Rapport de la Commission du travail et de l’emploi, 26 janvier 1993, p. 1.

4 Projet de loi n° 3346 déposé le 30 mai 1989.

5 Loi du 19 mai 1994 portant réglementation du travail intérimaire et du prêt temporaire de main-d’œuvre.

6 Art. L. 165-1 (1), 3e tiret C.T.

7 L’auteur ne vise évidemment que le travail rémunéré sous contrat de travail.

8 Loi du 19 juillet 1895 concernant la cessibilité et la saisissabilité des salaires et petits traitements des ouvriers et employés.

9 Loi du 31 octobre 1919 portant règlement légal du louage de service des employés privés.

10 Projet de loi n° 3222, Rapport de la Commission du Travail, de la Sécurité Sociale, de la Santé et de la Famille du 20 avril 1989, p. 1.

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