Le droit de la presse au Luxembourg - Gaston Vogel - E-Book

Le droit de la presse au Luxembourg E-Book

Gaston Vogel

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Beschreibung

Cette nouvelle édition tient compte des derniers apports législatifs, doctrinaux et jurisprudentiels du droit luxembourgeois, européen et comparé en matière de droit de la presse.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi luxembourgeoise du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias telle que modifiée en 2007 et 2010, de nombreuses décisions de justice ont marqué les esprits au Luxembourg. On pense notamment à l’affaire dite des « caricatures de Mahomet », à la question de la protection des sources à travers l’arrêt Ressiot du 28 juin 2012 rendu par la Cour européenne des droits de l’homme ou encore à la question de la notion de « droit à la vie privée » chez les personnes dites « publiques ».

Par ailleurs, au travers de plusieurs arrêts, la Cour européenne des droit de l’homme met plus que jamais l’accent sur la difficile conciliation entre la liberté de la presse et celle de la présomption d’innocence, tout étant encore souvent question de pondération entre les intérêts en présence en matière de presse.

Le présent ouvrage tente de définir le juste équilibre mesuré entre le droit légitime du citoyen à l’information et le droit tout autant, sinon plus, légitime au respect de sa dignité et, plus particulièrement, de sa vie privée. Cette recherche du parfait équilibre animée par des valeurs démocratiques en fait la beauté.

La tâche n’en reste pas moins ardue à une époque où la spectacularisation, la recherche du sensationnel à tout prix conduisent aux fléaux des fake news et du « bidonnage » de l’information.

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Pour toute information sur notre fonds et les nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez notre site web : www.larcier.com

© Lefebvre Sarrut Belgium SA, 2020

Larcier Luxembourg. Une marque éditée par Lefebvre Sarrut Belgium SA c/o DBIT SA7, rue des Trois Cantons - L-8399 Windhof

EAN 978-2-87998-595-4

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour ELS Belgium. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

« L’ouvrage est dédié à Monsieur Guy KAISER,l’un des journalistes les plus talentueux du pays,ancien rédacteur en chef de RTL »

Avant-propos

En une dizaine d’années, la presse a pris un visage nouveau, parfois peu rassurant.

Une nouvelle dimension s’est ajoutée au fil du temps à celle qui faisait jusqu’à ce jour la presse, à savoir les journaux écrits et parlés : quotidiens – hebdomadaires – revues – télévision. – Cette nouvelle donne est celle des réseaux sociaux.

Ces réseaux sont aux mains de quelques milliardaires.

On les connaît sous l’appellation « Patrons des GAFA » et déjà des scandales impossibles, telle que l’affaire « Cambridge Analytica », sont venus ternir leur image.

Les « users » des réseaux sociaux y ont trouvé un exutoire pour toutes sortes d’inepties, d’antipathies, de haines, si bien que très régulièrement les tribunaux correctionnels sont saisis à l’encontre de certains d’entre eux de plaintes pour injures et diffamation.

On y lit régulièrement des fake-news et des réflexions qui sortent du débat ordinaire pour donner libre cours à toutes sortes d’idioties.

« Mais si une différence devait marquer le virtuel du réel, c’est bien l’exacerbation et même la catalyse de la haine et de la menace. Derrière des pseudos, des fausses photos de profil et parfois même plusieurs comptes, il est tellement plus facile de laisser les bas instincts s’exprimer »1.

Ces internautes doivent savoir que la liberté d’expression n’est pas absolue ; qu’elle cesse là où elle se heurte à l’honneur et au respect de l’autre.

En conséquence, ils doivent, comme tout autre média, se soumettre aux règles impératives qui font le droit de la presse.

*

La Cour européenne des droits de l’homme joue dans le domaine de la presse un rôle de plus en plus important.

C’est dans la jurisprudence de cette Haute juridiction qu’on trouve l’outil le plus fiable, le plus élaboré mis en œuvre pour réguler la presse toujours dans le périlleux exercice d’équilibre entre liberté d’expression et abus de cette même liberté.

On pense notamment à l’affaire dite des « caricatures de Mahomet », à la question de la protection des sources à travers l’arrêt « Ressiot » du 28 juin 2012 rendu par la Cour européenne des droits de l’homme ou encore à la question de la notion de « droit à la vie privée » chez les personnes dites « publiques ».

Par ailleurs, au travers de plusieurs arrêts, la Cour européenne des droits de l’homme met plus que jamais l’accent sur la difficile conciliation entre la liberté de la presse et celle de la présomption d’innocence ; en matière de presse, tout étant encore souvent question de pondération entre les intérêts en présence.

Le présent ouvrage tente de définir le juste équilibre mesuré entre le droit légitime du citoyen à l’information et le droit tout autant, sinon plus, légitime au respect de sa dignité et, plus particulièrement, de sa vie privée.

*

Et pour finir, ces réflexions de Guillaume PLAISANCE qui donnent la chair de poule :

« Internet a l’immense défaut de réduire à néant les derniers espaces de sécurité personnelle. Le cyberharcèlement (scolaire ou non) est omniprésent, tant l’incapacité à débattre derrière un écran est forte, et tant le culte de l’image et la jalousie atteignent leur paroxysme. Étant en possession d’une masse impressionnante de données personnelles, chaque faille de sécurité peut être un danger potentiel pour tous les citoyens. La protection de la vie privée, au sens politique, est une priorité. À l’échelle individuelle, elle est sous-estimée, en démontre le comportement des internautes sur les réseaux sociaux. Au sens philosophique, la vie privée est en ruines. Internet a sonné le glas de l’ennui, de la contemplation, et donc de la possibilité laissée à chacun de tendre vers l’introspection. Il est grand temps de tenter de reconstruire une petite forteresse autour des individus. Le droit à la déconnexion comme à l’oubli cherche à y contribuer. Sans être suffisant.

Le pire d’Internet demeure malgré tout la distance prise par rapport à l’action. Incomparables, le fait d’être derrière son écran ou son clavier (même si sa photo et son nom sont accolés aux propos tenus) et le fait d’être en public, en face-à-face. L’auteur (ou l’acteur) prend de la hauteur par rapport à ce qu’il produit. Cette hauteur n’est pas intellectuelle, favorisant alors la conscience. Elle n’a rien de la réflexivité. Au contraire, l’action distante perd en réflexion. Elle favorise l’expression de la haine : après tout, l’« ennemi » n’est plus physique, mais juste un compte sur les réseaux sociaux. C’est le triste retour de l’interruption du jugement définie par Arendt, et que Terestchenko a analysé sous la forme de la banalité du mal. Le titre de son essai, Un si fragile vernis d’humanité, vaut résumé ».

*

Gaston VOGEL

1. Guillaume PLAISANCE, « Internet, dynamite ou ciment du lien social » sur www.la-philosophie.com.

La presse – un quatrième pouvoir

Aux trois Pouvoirs que connaissent nos démocraties, un quatrième est venu s’ajouter au fil des décennies.

Il ne trouve aucune justification particulière dans notre loi fondamentale. – Ne dépend d’aucune élection – et est l’affaire d’une minorité de gens qui possèdent pour se faire entendre des instruments de travail colossaux qui leur permettent d’envoyer leurs nouvelles et commentaires par des dizaines de milliers d’exemplaires aux quatre coins du monde.

C’est ce qu’on appelle le pouvoir de la Presse.

Son rôle essentiel, dans la mesure où il se définit comme quatrième Pouvoir, est d’observer d’un œil critique les trois autres dans l’exercice de leurs pouvoirs respectifs.

La presse est le grand bienfait de nos démocraties.

Elle est un organe de contrôle et de dénonciation de tout ce qui ne va pas droit et ne tourne pas rond dans le monde qui nous gouverne.

Aussi doit-elle assurer une information critique et dérangeante – elle dénoncera les excès de pouvoir, ses exactions, ses sottises, ses abus de tous ordres.

Dans son article publié le 14 août 2020 par la Süddeutsche Zeitung, la journaliste Annette Ramelsberger définit le rôle de la presse en général.

Je le cite :

« Die vierte Gewalt ist dazu da, die großen Drei zu beobachten, ihre Arbeit zu kontrollieren und ihre Fehler aufzudecken. Denn die ersten drei Gewalten sind mächtig. Sie greifen direkt ein in das Leben der Bürger. Gerichte nehmen Menschen die Freiheit. Die Regierung öffnet oder schließt Grenzen, treibt die Steuern ein, sie verkündet auch schon mal einen Shutdwon für das ganze Land. Und die Parlamente erlassen Gesetze, nach denen sich die Bürger zu richten haben. Deswegen sind kritische Beobachter außerhalb des eigenen Systems so wichtig. Sie schlagen Alarm, wenn etwas falsch läuft. Sie verhindern Fehler. Man nennt das Pressefreiheit ».

*

La presse proclame la liberté et l’indépendance comme les deux bases essentielles de son activité.

Pour l’indépendance, les choses ne sont pas si claires.

« Comme chacun le sait, l’indépendance d’un journal commence par le tiroir-caisse ».

Rares sont les organes de presse qui vivent à l’instar du Canard Enchaîné du seul produit de leurs ventes et qui, ne voulant pas dépendre de la « pub », se trouvent à l’abri des pressions de ceux qui la payent. (Voir article d’introduction dans « 100 ans – Canard Enchaîné »).

Pour rester dans le langage du Canard, je dirais que peu de journaux n’ont pas de « fil à la patte » pour entraver leur activité.

*

La liberté de la presse est une des grandes conquêtes du monde moderne et on peut s’en féliciter.

Et pourtant elle doit à son tour être soumise à un certain contrôle pour la simple raison que ceux qui manipulent d’aussi puissantes machines (journaux, radio, télévision) doivent savoir qu’ils ont, avant de pouvoir faire valoir des droits, des obligations strictes et rigoureuses à respecter.

Parmi elles, l’une est capitale : celle de se renseigner exactement avant de continuer l’information aux autres.

Tout faux renseignement crée des préjudices souvent irréparables pour la simple raison que le lecteur du journal accepte l’information sans la contrôler, sans même ressentir le besoin de la vérifier et la colporte aussitôt.

Il se formera ainsi un jugement qui restera sans appel – même si l’information sera redressée par la suite, le lecteur, rendu méfiant par une longue suite de préjugés, ne redressera pas son opinion, persuadé qu’il reste, que quelque chose a été manigancé. Semper aliquid hacret.

Dans ce processus de refus interviennent, avec une intensité néfaste, les terribles poisons distillés par les proverbes campagnards tels que :

« Wo et dämpt, do ass Feier ».

Dans la mesure où la presse s’attaque à l’individu qui est sans moyens pour répondre de manière appropriée, elle doit s’attendre de la part de nos juridictions, ultime rempart contre l’arbitraire, à une recherche sans compromis des moyens mis en œuvre par le journaliste, préalablement à toute information du public.

*

Ceci m’amène à examiner le rôle de la presse au niveau du Pouvoir judiciaire.

On a souvent l’impression que les journalistes qui suivent les procès oublient que leur rôle essentiel n’est pas de jeter à la pâture publique la misère d’un individu, mais d’observer le juge dans l’accomplissement de ses devoirs.

La presse néglige trop souvent ce rôle de contrôle.

Est-ce par incompétence ou par souci de scoop ?

On l’a vu à l’époque de la sinistre affaire Kohnen-Bauler.

Au lieu de dénoncer les aberrations judiciaires qui échappaient à tout vocabulaire, une certaine presse se lamentait sur le sort de l’inculpé qui avait réussi à sortir finalement blanchi de l’enfer que la justice lui avait réservé et cela grâce à un Procureur Général qui n’avait pas froid aux yeux.

On aurait tellement aimé faire passer l’inculpé par la guillotine, les erreurs judiciaires restant pour la presse « of the smaller consequence ».

Une presse incompétente et paresseuse qui commet un tel impair n’est pas digne de se prévaloir d’un quatrième Pouvoir.

Il serait intéressant de voir l’Université de Luxembourg prendre, une bonne fois pour toutes, sous son regard investigateur, les relations souvent curieuses entre presse et Pouvoir judiciaire.

Pour finir, il me plaît de reprendre les observations rédigées par Erik Emptaz dans son article « L’horreur judiciaire » publié dans le dossier du scandale d’Outreau :

« La justice des hommes n’est pas rendue par des surhommes. Or, confier à des humains la tâche surhumaine de juger leurs semblables, c’est évidemment s’exposer au risque de rencontrer les mêmes faiblesses chez les juges que chez les jugés.

Il existe ainsi des magistrats voleurs, exhibitionnistes corrompus, obsédés sexuels, des complètement incompétents ou des sérieusement secoués, comme dans toute autre corporation. Le problème est que les représentants de celle-ci se doivent d’être au-dessus de tout soupçon. D’où la difficulté pour l’institution judiciaire de reconnaître ses torts quand elle juge de travers ».

Nul n’est à l’abri de l’erreur… mais l’erreur peut engendrer l’horreur, comme l’a démontré l’exemple qui vient d’être discuté.

*

Il appartient à la presse de dénoncer ces insuffisances dans l’administration de la justice.

L’audience est publique pour permettre ce contrôle.

La presse a tort de ne pas toujours s’en souvenir.

Citons pour finir une fois de plus la journaliste Annette Ramelsberger :

« Die Öffentlichkeit soll geheime Absprachen verhindern, Willkür- oder Gefälligkeitsurteile unmöglich machen. Die Bürger sollen jederzeit sehen können, wie ihre Justiz arbeitet, wie sie in ihrem Namen urteilt : im Namen des Volkes. Da nicht sehr viele Menschen die Zeit haben, über Wochen und Monate in Gerichtsverhandlungen zu sitzen haben diese Aufgabe Justizkorrespondenten und Gerichtsreporterinnen übernommen. Sie sind Auge und Ohr des Volkes ».

*

Introduction

« La liberté d’expression est en passe de devenir le principal argument contre toute critique des médias. Dès lors que les dernières censures morales ou idéologiques qui enserraient la presse ou l’édition sont tombées, n’est-il pas légitime de s’interroger sur les nécessaires contreparties de cette liberté ».1

Le Luxembourg se donnait en 1869 une première loi sur la presse. Elle devait régir le monde des médias pendant presque un siècle et demi. Cette loi faisait, durant la dernière décennie, l’objet de violentes critiques. On lui reprochait d’être devenue anachronique et de se trouver en porte à faux avec la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette loi était pour son époque étonnamment progressiste. Bien que de nature pénale, elle ne contenait l’énoncé d’aucun délit d’opinion ou de tendance. Et pourtant elle allait se heurter de plus en plus souvent aux dispositions impératives de la Convention européenne des droits de l’homme et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Un des points chocs allait se cristalliser autour de la question de la protection des sources d’information. Allait-on continuer à obliger un journaliste à révéler sous la foi du serment la source où il avait puisé son renseignement ? Les journalistes reprochaient à la loi de 1869 d’être non conforme avec l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme – Ils stigmatisaient l’obligation de dépôt préalable auprès de certaines autorités d’un exemplaire d’une publication périodique. Aussi s’attaquaient-ils au régime de la responsabilité civile que la loi de 1869 avait laissé sous l’empire des articles 1382 et 1383 du Code civil. Les journalistes soutenaient qu’ils ne relevaient pas du régime de la responsabilité de droit commun qui lui, serait réservé au commun des mortels.

Invité par le Gouvernement à préciser les insuffisances et lacunes de la loi et à mettre en évidence les questions qui devraient être abordées par une réglementation moderne, le Conseil de Presse, créé par la loi du 20 décembre 1979, rendit son avis le 18 décembre 1997.

À la suite de cet avis, un groupe interministériel fut chargé d’étudier les revendications formulées par le Conseil de Presse et d’arrêter les grandes lignes de la future loi.

Après les échanges de vues avec le milieu professionnel, un avant-projet de loi fut élaboré et soumis pour commentaire aux diverses unions et associations de journalistes.

Le projet de loi sur la liberté d’expression dans les médias fut déposé par le Gouvernement le 5 février 2002.

Les autorités judiciaires ont remis leurs avis aux dates respectives des 14 mars 2002, 4 juin 2002, 10 mai 2002 et 19 septembre 2002. Elles avaient été consultées pour la forme. Leurs commentaires, marqués au coin de l’intelligence et de la subtilité juridique, n’ont guère eu d’impact sur les auteurs de la loi nouvelle.

Le Conseil d’État avisa le projet aux dates respectives des 3 juin 2003, 27 janvier 2004 et 30 mars 2004.2

*

Le 27 janvier 2004 fut modifié l’article 24 de la Constitution. On y reviendra aux numéros 4 – 21.

Une loi du 18 mars 2003 a consacré les droits d’auteur des journalistes.

*

Certains domaines trop spécifiques et de moindre importance de la loi nouvelle ne seront pas traités dans ce livre.

On se contentera de renvoyer au texte publié in fine du présent volume. Il en est ainsi pour les dispositions relatives au Conseil de Presse3 et des illusoires sanctions prévues à l’article 35 ainsi que pour celles en rapport avec le régime des publications4 (voir pourtant quant à ce régime le no 386).

Le projet déposé par le Gouvernement faisait la part belle aux médias5. Ainsi, on n’est pas étonné de retrouver dans la nouvelle loi l’écho de presque toutes les fantaisies et de tous les privilèges dont rêvaient depuis des années les gens de la presse. Ce n’est que grâce à l’avis éclairé du Conseil d’État, suivi des commentaires critiques de la Commission des Média et des Communications que le projet de loi sur la presse a pu être libéré de ses plus voyantes grossièretés et iniquités. Et néanmoins les changements apportés au projet initial, loin de bouleverser les visées du Gouvernement, n’ont fait qu’atténuer les faux principes sur lesquels celui-ci avait l’intention de faire pivoter la loi nouvelle.

Ainsi, on ne voit, nonobstant modifications, toujours pas en quoi les causes d’exonération de responsabilité telles qu’adoptées dans le cadre des dispositions relatives aux devoirs des journalistes, seraient devenues compatibles avec le régime de droit commun de la responsabilité aquilienne.

L’accent mis sur toutes les diligences et toutes les précautions par la Commission des Média et des Communications n’apporte pas l’effet désiré. La compatibilité de ces nouvelles dispositions avec les articles 1382 et 1383 restera l’un des points les plus contestés de la législation. L’adjectif « toutes » ne fait qu’accentuer le malaise juridique. C’est le propre des superlatifs générés par le malaise que d’aggraver les équivoques.

Mêmes observations pour les modifications apportées à l’article 443 du Code pénal. Dans le Code pénal, c’est-à-dire le Code applicable erga omnes, la diffamation est retenue au titre d’infraction si la preuve du fait est interdite par la loi.

Voilà ce qui n’est plus le cas pour les seuls journalistes. L’article 443 nouveau crée ainsi, quand il y va de la charge de la preuve, deux catégories de citoyens. Les diffamateurs ordinaires – Les diffamateurs privilégiés.

*

Le projet du Gouvernement ne voulait plus du droit de réponse, tel que ce droit fut pratiqué depuis plus d’un siècle. Les auteurs de la loi de 1869 étaient autrement respectueux du citoyen. Ils lui donnaient le droit de répondre à une presse qui faisait état de sa personne, soit directement, soit indirectement sans qu’il ait eu à prouver au préalable qu’il avait un intérêt à le faire. Dans le projet, le citoyen se voyait gratifier d’un droit de réponse taillé à l’aune de la presse. Si ce projet avait été adopté, le « cité » aurait dû démontrer que les faits invoqués étaient soit inexacts, soit attentatoires à son honneur. Cette anomalie a disparu à la suite des critiques tant du Conseil d’État que de la Commission. Nous revoilà heureusement dans l’ancien droit sous quelques réserves dont il sera question plus tard.

*

Le projet, en organisant le Conseil de Presse, prévoyait dans un article 37 la mise en place d’une Commission de plaintes, Commission qui serait appelée à instruire les doléances des citoyens blessés dans leur honneur, sans pour autant leur réserver une suite un tant soit peu tangible. Une farce ! Cette farce devait connaître une pointe particulièrement cynique. En effet, tant que la plainte serait pendante devant cette Commission sui generis, le citoyen concerné ne pourrait saisir aucun Tribunal – Cette suspension aurait pu durer une éternité, c’est ce qu’on escomptait. Il a fallu, une fois de plus, l’avis du Conseil d’État pour ramener la raison et l’équité dans les textes.

*

Le travail jurisprudentiel sera enfin rendu plus difficile par le fait que la loi a pris ses racines dans une législation étrangère que personne ne connaît et qui est de toute façon sans relation aucune avec notre philosophie du droit. Au lieu de s’inspirer des législations en vigueur chez nos voisins, le Gouvernement est allé glaner plusieurs articles dans la législation autrichienne. C’est de ces horizons lointains que nous viennent ces curieuses causes d’exonération appelées à vider la responsabilité aquilienne de sa substance. Les faux amendements apportés par la Commission des Média et des Communications ont de ce fait un caractère particulièrement sournois.

La nouvelle loi sur la presse votée à l’unanimité le 13 mai 2004 est une loi qui, sur des points essentiels, ne résistera pas à un examen critique de la Cour constitutionnelle.

*

Dans cet opuscule sont reproduites les décisions de nos Cour et tribunaux ainsi que les jurisprudences française et belge, antérieures et postérieures à la loi nouvelle, mais qui restent de haute actualité, comme parfaitement compatibles avec les dispositions nouvellement adoptées. Il en est ainsi par exemple pour les principales obligations des journalistes ainsi que pour les principes qui régissent la responsabilité aquilienne.

Pour des simplicités de rédaction, nous désignerons la loi qui régit dorénavant les médias comme « nouvelle loi sur la presse ».

1. J. RAVANAS, note sub- arrêt Cass. fr., 5 mars 1997, D. 1998, Jur. 474.

2. Travaux parlementaires, doc. no 4910-12.

3. Art. 23 – 35.

4. Art. 63 – 70.

5. Le titre donné à la loi est en lui-même déjà symptomatique. Il s’agit en tout premier lieu de protéger la liberté d’expression. Les devoirs des gens de la presse semblent relégués à un ordre subalterne.

CHAPITRE Ier

De l’objet de la loi votée le 8 juin 2004

Section I 

TEXTES

Article 1

1. « La présente loi vise à assurer la liberté d’expression dans le domaine des médias ».

Article 2

2. « Conformément à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par la loi du 29 août 1953, toute restriction ou ingérence en la matière doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique, c’est-à-dire répondre à un besoin social impérieux et être proportionnée au but légitime poursuivi ».

*

L’article 1 définit l’objet en précisant que la loi vise à assurer la liberté d’expression dans le domaine des médias.

La loi de 1869 avait été faite pour la seule presse écrite. La jurisprudence n’hésitait pourtant jamais à l’appliquer aux autres médias.1

Aux termes des travaux parlementaires, la définition des médias se veut très large et englobe tous les moyens techniques. Elle est conçue en termes généraux, sans référence à un moyen technique déterminé afin de pouvoir évoluer avec le progrès technique et couvrir des moyens dont l’invention est encore à réaliser.2

Dans la mesure où l’expression médiatique implique la publication, sont concernés concrètement la presse, l’affichage, le livre, le cinéma, la radio diffusion et la télévision – Il en est de même pour les nouvelles technologies de diffusion (Internet p. ex.).3

La prescription en matière d’infraction commise par la voie d’un média

3. « Par “média” il faut entendre toutes les infractions qui sont commises par l’abus de la liberté d’expression dans les médias, y compris les infractions de droit commun, du moment que les médias ont servi à les commettre et qu’elles renferment un abus de la publication de la pensée.

Le média est en effet défini à l’article 3° 8 de la loi sur la liberté d’expression dans les médias comme étant tout moyen technique, corporel ou incorporel utilisé en vue d’une publication.

L’article 70 de la loi du 8 juin 2004 sur la liberté d’expression dans les médias n’est ainsi que l’application d’un principe fondamental, qui a une portée générale et régit tous les délits commis par la voie d’un média, de manière que notamment les dispositions des articles 70 et 21 relatives au délai de prescription abrégé et à la responsabilité pénale de l’éditeur trouvent application.

Ainsi l’action publique est prescrite si elle n’est pas engagée trois mois à partir du moment où l’infraction a été commise, le délit étant censé être commis au moment de la première diffusion au public. Au cas où l’interruption de la prescription a eu lieu endéans ce délai, le nouveau délai de prescription est d’un an (cf. Arrêt no 484/07, Ch. C., 16 octobre 2007) ».

(Trib. d’arr. de Luxembourg, XIIe chambre, 12 mai 2016, jugt. no 1464/2016, not. 10157/11/CD)

4. Les auteurs de la loi nouvelle soulignent clairement l’intention de réformer la législation sur les médias dans l’optique de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme signée à Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi nationale du 29 août 1953 et entrée en vigueur le 3 septembre 1953.

Aussi n’est-il pas surprenant que la loi nouvelle s’insère essentiellement dans un contexte constitutionnel et international. L’article 2 est le pilier porteur du nouvel édifice législatif.

*

Nous allons passer en revue les normes impérieuses qui régissent dorénavant la matière et en particulier l’article 24 de la Constitution et l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Soulignons aussitôt que le point névralgique restera toujours centré sur l’épineuse question de savoir concilier la liberté d’expression dans les médias avec la nécessaire protection des droits et libertés individuelles d’autrui.

Section II 

LE COMPLEXE DES NORMES SUPÉRIEURES RÉGISSANT LE DROIT DES MÉDIAS

2.1 LEDROITCONSTITUTIONNEL : ARTICLE 24 DELA CONSTITUTION (VERSIONMODIFIÉEDU 27 JANVIER 2004)

5. Aux termes de l’article 24 modifié de la Constitution, « la liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse sont garanties, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés. – La censure ne pourra jamais être établie ».

Le droit constitutionnel à la liberté d’expression est destiné « à écarter les limitations par l’État de l’espace de la discussion publique, en remettant largement le pouvoir de décider quelles sont les vues qui s’exprimeront entre les mains de chacun d’entre nous, dans l’espoir que l’utilisation de cette liberté produira en fin de compte des citoyens plus compétents et de meilleures institutions ».4

Nous lisons dans les travaux parlementaires5, à propos de la censure, que « la Commission a toutefois voulu garder la disposition relative à l’interdiction de la censure dans le texte de la Constitution. Sous l’Ancien régime, la censure consistait dans le droit des autorités publiques d’examiner préalablement ce qui était destiné à être publié, afin de pouvoir éventuellement en interdire la diffusion, en tout ou en partie. L’abolition de la censure a donc été le résultat d’une longue lutte historique en faveur de la liberté d’opinion et de la liberté de la presse ».

Certes, la censure officielle, étatique est abolie. Mais elle a été remplacée par une nouvelle censure autrement dangereuse. Il existe en effet une censure quotidienne, sournoise et tolérée, bien plus pernicieuse que la censure officielle, qui elle, au moins, prêtait le flanc à la critique et au combat politique, alors que celle que nous dénonçons semble bénéficier de l’immunité. La presse s’en est fait le domaine réservé. Les chiens de garde s’arrogent la liberté de charcuter l’événement en n’en retenant que ce qui les arrange et en en omettant ce qui leur déplaît. Et bizarre, personne ne s’en émeut. C’est un aspect peu glorieux de la liberté d’expression qui échappe à la censure de la Cour de Strasbourg. Et pourtant il est réel et quotidien6

Comme l’article 24 version modifiée est resté substantiellement ce qu’il était avant le 27 janvier 2004, la jurisprudence de la Cour de cassation luxembourgeoise rendue sous l’empire de l’ancien texte garde toute son actualité.

« L’article 24 de la Constitution, en garantissant la liberté de manifester ses opinions par la parole en toutes matières, et la liberté de la presse, sauf la répression des délits commis à l’occasion de l’exercice de ces libertés, n’a pas restreint les obligations consacrées antérieurement par le Code civil en ses articles 1382 et 1383 (…). La portée des articles 1382 et 1383 du Code civil n’est pas limitée en matière de presse (…) ».7

2.2 LECONTEXTEINTERNATIONAL

2.2.1 Article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme

6. La Convention européenne des droits de l’homme dispose en son article 10 que :

« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n’empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d’autorisations.

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions, prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

La Cour de Strasbourg exclut du bénéfice de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme tout propos dirigé contre les valeurs qui sous-entendent la Convention – ainsi la justification d’une politique pro-nazie ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10 et il existe une catégorie de faits historiques clairement établis – tel que l’Holocauste – dont la négation ou la révision se verrait soustraite par l’article 17 à la protection de l’article 10.8

2.2.2 Article 8 de la Déclaration sur la liberté d’expression du 29 avril 1982

7. Sous le point 8 de la déclaration sur la liberté d’expression adoptée par le Comité des Ministres le 29 avril 1982, les États membres du Conseil de l’Europe ont réaffirmé en ces termes leur fidélité aux fondements d’une démocratie véritable :

« Conscients que la libre circulation et la large diffusion d’informations de toute nature à travers les frontières constituent un facteur important pour la compréhension internationale, le rapprochement des peuples et l’enrichissement mutuel des cultures,

I. rappellent leur ferme attachement aux principes de la liberté d’expression et d’information en tant qu’élément fondamental d’une société démocratique et pluraliste ;

II. déclarent que dans le domaine de l’information et des moyens de communication de masse, ils poursuivent les objectifs suivants :

a) la sauvegarde du droit pour toute personne, sans considération de frontières, de s’exprimer, de rechercher et de recevoir des informations et des idées quelle que soit leur source, et de les répandre dans les conditions prévues par l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme ;

b) l’absence de censure et de tout contrôle ou contrainte arbitraires à l’encontre des participants au processus de la communication, du contenu de la communication ou de la transmission ou diffusion de l’information ;

c) la poursuite d’une politique ouverte de l’information dans le secteur public, y compris l’accès à l’information, permettant d’accroître pour chaque individu sa capacité de comprendre et de discuter librement les questions politiques, sociales, économiques et culturelles ;

d) l’existence d’un large éventail de moyens de communication indépendants et autonomes, permettant de refléter la diversité des idées et des opinions ;

e) l’établissement de facilités adéquates pour la transmission et la diffusion, nationales et internationales, des informations et des idées, et l’accès à ces facilités dans des conditions raisonnables ;

f) l’intensification de la coopération et de l’assistance internationales par des canaux publics et privés, en vue de favoriser la libre circulation de l’information et d’améliorer les infrastructures et les compétences en matière de communication ».

2.2.3 Pacte de New York 19 décembre 1966 (article 19)

8. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, signé à New York, le 19 décembre 19669, prévoit en son article 19 que :

1. Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.

2. Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix.

3. L’exercice des libertés prévues au paragraphe 2 du présent article comporte des devoirs spéciaux et des responsabilités spéciales. Il peut en conséquence être soumis à certaines restrictions qui doivent toutefois être expressément fixées par la loi et qui sont nécessaires :

a) au respect des droits ou de la réputation d’autrui ;

b) à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l’ordre public, de la santé ou de la moralité publiques.

2.2.4 Traité sur l’Union européenne (article 6)

9. L’article 6 du Traité sur l’Union européenne rappelle dans ses deux premiers paragraphes que :

1. L’Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie, du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l’État de droit, principes qui sont communs aux États membres.

2. L’Union respecte les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, en tant que principes généraux du droit communautaire.

2.2.5 Charte de Nice du 7 décembre 2000 (article 11)

10. L’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, adoptée à Nice le 7 décembre 2000, garantit en ces termes la liberté d’expression et d’information :

1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontières.

2.La liberté des médias et leur pluralisme sont respectés.

L’article 52, paragraphe 3 ajoute que :

« Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite Convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue ».

L’article 53 conclut enfin que :

« Aucune disposition de la présente Charte ne doit être interprétée comme limitant ou portant atteinte aux droits de l’homme et libertés fondamentales reconnus, dans leur champ d’application respectif, par le droit de l’Union, le droit international et les conventions internationales auxquelles sont parties l’Union, la Communauté et tous les États membres, et notamment la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que par les constitutions des États membres ».

2.2.6 Déclaration du 12 février 2004 adoptée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur la liberté du discours politique dans les médias

11. « Considérant que plus de cinquante ans se sont écoulés depuis l’ouverture de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée la Convention, à la signature par les États membres, la Convention étant l’instrument suprême à travers l’Europe de la protection des droits et libertés qui y sont consacrés ;

Considérant que le but du Conseil de l’Europe est de réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun ;

Rappelant l’engagement de tous les États membres à l’égard des principes fondamentaux de la démocratie pluraliste, du respect des droits de l’homme et de l’État de droit, qui a été réaffirmé par les chefs d’État et de gouvernement lors de leur deuxième Sommet, le 11 octobre 1997 à Strasbourg ;

Réaffirmant que le droit fondamental à la liberté d’expression et d’information garanti par l’article 10 de la Convention constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et l’une des conditions de base du progrès et de l’épanouissement de toute personne, ainsi qu’indiqué dans sa Déclaration sur la liberté d’expression et d’information de 1982 ;

Eu égard à la Déclaration relative à une politique de la communication pour demain, adoptée lors de la 6e Conférence ministérielle européenne sur la politique des communications de masse à Cracovie les 15 et 16 juin 2000 ;

Rappelant sa Résolution (74) 26 sur le droit de réponse – situation de l’individu à l’égard de la presse et sa Recommandation no R (99) 15 relative à des mesures concernant la couverture des campagnes électorales par les médias ;

Rappelant également sa Recommandation no R(97) 20 sur le “discours de haine” et soulignant que la liberté du discours politique n’inclut pas la liberté d’exprimer des opinions racistes ou des opinions qui incitent à la haine, à la xénophobie, à l’antisémitisme et à toutes formes d’intolérance ;

Conscient de la Résolution 1165(1998) de l’Assemblée parlementaire sur le droit au respect de la vie privée ;

Réaffirmant l’importance majeure de la liberté d’expression et d’information, en particulier à travers des médias libres et indépendants, pour garantir le droit du public d’être informé sur des questions d’intérêt public et d’exercer un contrôle sur les affaires publiques et politiques, ainsi que pour assurer la responsabilité et la transparence des organes politiques et des pouvoirs publics, qui sont nécessaires dans une société démocratique, sans préjudice quant aux règles internes des États membres concernant le statut et la responsabilité des fonctionnaires ;

Rappelant que l’exercice de la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités que les professionnels des médias doivent garder à l’esprit et qu’il peut être légitimement soumis à des restrictions visant à maintenir un équilibre entre l’exercice de cette liberté et le respect d’autres droits, libertés et intérêts fondamentaux protégés par la Convention ;

Conscient que toute personne physique qui est candidate, a été élue à ou a quitté un poste politique, qui occupe une fonction politique au niveau local, régional, national ou international ou qui exerce une influence politique, ci-après dénommée “personnalité politique”, ainsi que toute personne physique qui occupe une fonction publique ou exerce une autorité publique à ces niveaux, ci-après dénommée “fonctionnaire”, jouit de droits fondamentaux qui pourraient être compromis par la diffusion d’informations et d’opinions les concernant dans les médias ;

Conscient que certains systèmes juridiques internes accordent encore des privilèges juridiques aux personnalités politiques et aux fonctionnaires contre la diffusion d’informations et d’opinions les concernant dans les médias, ce qui n’est pas compatible avec le droit à la liberté d’expression et d’information garanti par l’article 10 de la Convention ;

Conscient que le droit d’exercer un contrôle public sur les affaires publiques peut inclure la diffusion d’informations et d’opinions sur des personnes autres que les personnalités politiques et les fonctionnaires ;

Appelle les États membres à diffuser largement la présente Déclaration, le cas échéant accompagnée d’une traduction, et à la porter à l’attention, en particulier, des instances politiques, des pouvoirs publics et des instances judiciaires, ainsi qu’à la mettre à la disposition des journalistes, des médias et de leurs organisations professionnelles ;

Attire particulièrement l’attention sur les principes suivants concernant la diffusion d’informations et d’opinions dans les médias sur les personnalités politiques et les fonctionnaires ;

I. Liberté d’expression et d’information à travers les médias

La démocratie pluraliste et la liberté du discours politique exigent que le public soit informé sur les questions d’intérêt public, ce qui inclut le droit des médias de diffuser des informations négatives et des opinions critiques sur les personnalités politiques et les fonctionnaires, ainsi que le droit du public d’en recevoir.

II. Liberté de critique à l’égard de l’État ou des institutions publiques

L’État, le gouvernement ou tout autre organe des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire peuvent faire l’objet de critiques dans les médias. En raison de leur position dominante, ces institutions ne devraient pas être protégées en tant que telles par le droit pénal contre les déclarations diffamatoires ou insultantes. Lorsque ces institutions bénéficient toutefois d’une telle protection, cette protection devrait être appliquée de façon très restrictive en évitant, dans tous les cas, qu’elle puisse être utilisée pour restreindre la liberté de critique. Les personnes représentant ces institutions restent par ailleurs protégées en tant qu’individus.10

III. Débat public et contrôle du public sur les personnalités politiques

Les personnalités politiques ont décidé d’en appeler à la confiance du public et ont accepté d’être l’objet d’un débat politique public et sont par conséquent soumises à un contrôle public attentif et à une critique publique potentiellement vigoureuse et forte à travers les médias quant à la façon dont elles ont exercé ou exercent leurs fonctions.

IV. Contrôle du public sur les fonctionnaires

Les fonctionnaires doivent accepter d’être soumis au contrôle et à la critique publics, particulièrement par le biais des médias, en ce qui concerne la façon dont ils ont exercé ou exercent leurs fonctions, dans la mesure où cela est nécessaire pour assurer la transparence et l’exercice responsable de leurs fonctions.

V. Liberté satirique

Le genre humoristique et satirique, tel que protégé par l’article 10 de la Convention, autorise un plus grand degré d’exagération et même de provocation, pour autant qu’il n’induise pas le public en erreur sur les faits.

VI. Réputation des personnalités politiques et des fonctionnaires

Les personnalités politiques ne devraient pas bénéficier d’une plus grande protection de leur réputation et de leurs autres droits que les autres personnes, et des sanctions plus sévères ne devraient donc pas être prononcées en droit interne à l’encontre des médias lorsque ces derniers critiquent des personnalités politiques. Ce principe s’applique aussi aux fonctionnaires ; des dérogations ne devraient être admises que lorsqu’elles sont strictement nécessaires pour permettre aux fonctionnaires d’assurer le bon exercice de leur fonction.

VII. Vie privée des personnalités politiques et des fonctionnaires

La vie privée et la vie familiale des personnalités politiques et des fonctionnaires devraient être protégées à l’encontre de reportages par les médias en application de l’article 8 de la Convention. Toutefois, des informations sur leur vie privée peuvent être divulguées si cela constitue un sujet d’intérêt public directement lié à la façon dont ils ont exercé ou exercent leurs fonctions, tout en tenant compte de la nécessité de ne pas porter inutilement préjudice à un tiers. Lorsque des personnalités politiques et des fonctionnaires attirent eux-mêmes l’attention sur des éléments de leur vie privée, les médias sont habilités à exercer un droit de regard sur ces éléments.

VIII. Voies de recours contre les violations par les médias

Les personnalités politiques et les fonctionnaires ne devraient avoir accès qu’aux voies de recours juridiques dont disposent les particuliers en cas de violation de leurs droits par les médias. Les dommages-intérêts et amendes imposés en cas de diffamation ou d’insulte doivent présenter un rapport raisonnable de proportionnalité avec la violation des droits ou de la réputation d’autrui, en prenant en considération les éventuels remèdes volontaires effectifs et adéquats qui ont été accordés par les médias et acceptés par les personnes concernées. La diffamation ou l’insulte par les médias ne devrait pas entraîner de peine de prison, sauf si cette peine est strictement nécessaire et proportionnée au regard de la gravité de la violation des droits ou de la réputation d’autrui, en particulier si d’autres droits fondamentaux ont été sérieusement violés à travers des déclarations diffamatoires ou insultantes dans les médias, comme le discours de haine ».

2.3 LAJURISPRUDENCEDELA COUREUROPÉENNEDESDROITSDEL’HOMME11

2.3.1 En général

12. En approuvant par la loi du 29 août 1953, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le Grand-Duché de Luxembourg a, tout comme les 43 autres États y liés, accepté d’attribuer compétence à la Cour européenne des droits de l’homme « d’assurer le respect des engagements résultant pour les Hautes Parties contractantes de la (présente) Convention et de ses protocoles » (article 19 Convention européenne des droits de l’homme) et cette compétence « s’étend à toutes les questions concernant l’interprétation et l’application de la Convention et de ses protocoles » (article 32 Convention européenne des droits de l’homme).

13. Il est vrai qu’il appartient d’abord aux États contractants de respecter et de faire respecter les droits de l’homme (cf. article 1er Convention européenne des droits de l’homme) et que la Cour « ne peut être saisie qu’après l’épuisement des voies de recours internes » (article 35 Convention européenne des droits de l’homme). Mais si la Convention confie effectivement en premier lieu à chacune de ses parties le soin d’assurer la jouissance des droits et libertés qu’elle consacre, les institutions créées par elle – telles que la Commission et la Cour – y contribuent également.12

Il convient partant d’attacher une attention particulière à l’interprétation que donne la Cour de Strasbourg de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

14. Le droit de la presse connaît ainsi, depuis 1952, un organisme régulateur pour l’ensemble des pays qui ont signé la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour européenne de Strasbourg contrôle, en effet, l’application, par les États membres, du droit à la liberté d’expression, qui est, aux termes de la Convention européenne des droits de l’homme, un droit de l’Homme. C’est elle qui examinera en définitive si la condamnation d’un journaliste représentait ou non un moyen raisonnablement proportionné à la poursuite des buts légitimes visés, compte tenu de l’intérêt de la société démocratique à assurer et à maintenir la liberté de la presse.

La Cour européenne des droits de l’homme, saisie de nombreux recours dans le cadre de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme, a élaboré au fil des ans une jurisprudence souvent manichéenne et toujours en faveur de la presse.

La Cour européenne des droits de l’homme, en ne cessant d’insister sur le rôle éminent qui revient à la presse dans une société démocratique, marginalise trop souvent les droits et intérêts de l’individu, exposé aux abus et excès de ce qu’on est convenu d’appeler le quatrième pouvoir ou les chiens de garde.

Le Professeur Marguenaud, commentant ces réflexions, a pu écrire : « Il est incontestable que la Cour a élevé la presse à la dignité de “chien de garde” de la société démocratique et ne manque pratiquement jamais une occasion de la caresser dans le “sens du poil” ».13

S’exprimant à propos de l’arrêt France c/ Plon et Dr Gubler, Maître Kiejman en sa qualité de conseil de Danièle Mitterrand a eu ces mots : « La Cour de Strasbourg finit par dire qu’il n’y a plus aucun abus de la liberté de s’exprimer. Ce qui était la liberté des idées et des opinions devient la liberté d’exprimer des ragots ».14

15. Ainsi, dans son arrêt du 26 mars 1992 dans l’affaire Castells /Espagne, a-t-elle encore rappelé qu’ « il ne faut pas oublier le rôle éminent de la presse dans un État de droit. Si elle ne doit pas franchir certaines bornes fixées en vue, notamment, de la défense de l’ordre et de la protection de la réputation d’autrui, il lui incombe néanmoins de communiquer des informations sur les questions politiques ainsi que sur les autres thèmes d’intérêt général… La liberté de la presse fournit aux citoyens l’un des meilleurs moyens de connaître et juger les idées et attitudes de leurs dirigeants. Elle donne en particulier aux hommes politiques l’occasion de refléter et commenter les soucis de l’opinion publique. Elle permet à chacun de participer au libre jeu du débat politique qui se trouve au cœur même de la notion de société démocratique ».15

16. Dans son arrêt du 22 août 1994 dans l’affaire Jersild / Danemark, la Cour a souligné une fois de plus le double aspect que revêt inévitablement la liberté de la presse à laquelle il incombe « de communiquer des informations et des idées sur des questions d’intérêt public. À sa fonction qui consiste à en diffuser, s’ajoute le droit, pour le public d’en recevoir. S’il en était autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de “chien de garde” public… ».

La Cour de Strasbourg joue ainsi un rôle essentiel en matière de définition et de protection de la liberté d’expression.

2.3.2 Limite des décisions de Strasbourg

17. Il ne résulte d’aucune disposition de la Convention européenne des droits de l’homme que la décision par laquelle la Cour de Strasbourg a condamné un pays signataire puisse avoir pour effet de rouvrir la procédure juridictionnelle qui a été close par une décision coulée en force de chose jugée.16

2.3.3 Décisions importantes qui ont marqué le droit à la liberté d’expression

18. Sans prétendre à un examen exhaustif de la jurisprudence foisonnante de la Cour de Strasbourg en matière de liberté d’expression – dans la presse en particulier – le Conseil d’État a estimé utile de rappeler dans son avis du 3 juin 2003 les principes essentiels développés à travers quelques arrêts marquants.

19. Pour la Cour de Strasbourg, « la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et les garanties à accorder à la presse revêtent donc une importance particulière ». N’est pas seulement visée dans ce contexte la presse écrite, mais l’ensemble des moyens audiovisuels.17 En fait, toutes les formes d’expression sont visées, y compris l’expression artistique.18

20. L’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de cette liberté d’expression n’est compatible avec l’article 10, paragraphe 2, que si elle obéit à trois conditions cumulatives. Elle doit être prévue par la loi, poursuivre un but légitime et être nécessaire dans une société démocratique.19

21. Le terme « loi » englobe à la fois le droit écrit et le droit non écrit.20 Deux conditions se dégagent des mots « prévues par la loi ». Il faut d’abord que la « loi » soit suffisamment accessible : le citoyen doit pouvoir disposer de renseignements suffisants, dans les circonstances de la cause, sur les normes juridiques applicables à un cas donné. En second lieu, on ne peut considérer comme une « loi » qu’une norme énoncée avec assez de précision pour permettre au citoyen de régler sa conduite. En s’entourant au besoin de conseils éclairés, il doit être à même de prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences de nature à dériver d’un acte déterminé. Elles n’ont pas besoin d’être prévisibles avec une certitude absolue : l’expérience la révèle hors atteinte. En outre, la certitude, bien que hautement souhaitable, s’accompagne parfois d’une rigidité excessive ; or le droit doit savoir s’adapter aux changements de situation. Aussi beaucoup de lois se servent-elles, par la force des choses, de formules plus ou moins vagues dont l’interprétation et l’application dépendent de la pratique.21

22. Les ingérences dans la liberté d’expression garantie par la Convention ne sont acceptables que pour autant qu’elles se justifient par un but légitime. Ces mesures (« formalités, conditions, restrictions ou sanctions » selon les termes employés au paragraphe 2 de l’article 10 Convention européenne des droits de l’homme) sont légitimes lorsqu’elles sont dictées par des motifs inhérents « à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime22, à la protection de la santé ou de la morale23, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui »24, ou encore ont été mises en œuvre « pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles25 ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».26 La réputation et les droits d’une personne morale sont dignes de protection au même titre que ceux d’un particulier.27

23. L’énonciation des motifs justifiant une restriction à la liberté d’expression qui figure à l’article 10, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme n’est pas restrictivement interprétée par la Cour de Strasbourg. Pour être admissible, l’ingérence doit obéir à des motifs légitimes plus ou moins liés à un des objets y repris. Ainsi, la prévention et le combat d’idéologies et de pratiques racistes sont interprétés comme rentrant dans « la protection de la réputation ou des droits d’autrui ».28 De même, le souci de protéger la présomption d’innocence correspond à un but légitime au sens du paragraphe 2 de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.29

24. La troisième condition devant être remplie pour fonder la légitimité d’une ingérence dans la liberté d’expression consiste dans la nécessité d’y procéder dans une société démocratique. La Cour note à ce sujet que « si l’adjectif “nécessaire”, au sens de l’article 10 par. 2, n’est pas synonyme d’“indispensable” (comp. aux articles 2 par. 2 et 6 par. 1, les mots “absolument nécessaire” et “strictement nécessaire” et, à l’article 15 par. 1, le membre de phrase “dans la stricte mesure où la situation l’exige”), il n’a pas non plus la souplesse de termes tels qu’“admissible”, “normal” (comp. l’article 4 par. 3), “utile” (comp. le premier alinéa de l’article 1 du Protocole no 1), “raisonnable” (comp. les articles 5 par. 3 et 6 par. 1) ou “opportun”30, toute “formalité”, “condition”, “restriction”, ou “sanction” imposée en la matière doit être proportionnée au but légitime poursuivi31. La nécessité d’une quelconque restriction à l’exercice de la liberté d’expression doit être établie “de manière convaincante” et répondre à un “besoin social impérieux” ».32

Dans un arrêt rendu le 30 mars 200433, la Cour de Strasbourg définit l’adjectif « nécessaire » comme suit :

« L’adjectif “nécessaire”, au sens de l’article 10 § 2, implique un “besoin social impérieux”. Les États contractants jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais elle se double d’un contrôle européen portant à la fois sur la loi et sur les décisions qui l’appliquent, même quand elles émanent d’une juridiction indépendante. La Cour a donc compétence pour statuer en dernier lieu sur le point de savoir si une “restriction” se concilie avec la liberté d’expression que protège l’article 10.

La Cour n’a point pour tâche, lorsqu’elle exerce son contrôle, de se substituer aux juridictions internes compétentes, mais de vérifier sous l’angle de l’article 10 les décisions qu’elles ont rendues en vertu de leur pouvoir d’appréciation. Il ne s’ensuit pas qu’elle doive se borner à rechercher si l’État défendeur a usé de ce pouvoir de bonne foi, avec soin et de façon raisonnable : il lui faut considérer l’ingérence litigieuse à la lumière de l’ensemble de l’affaire pour déterminer si elle était “proportionnée au but légitime poursuivi” et si les motifs invoqués par les autorités nationales pour la justifier apparaissent “pertinents et suffisants”. Ce faisant, la Cour doit se convaincre que les autorités nationales ont appliqué des règles conformes aux principes consacrés à l’article 10 et ce, de surcroît, en se fondant sur une appréciation acceptable des faits pertinents ».

25. L’exercice de la liberté d’expression comporte « des devoirs et des responsabilités », comme le rappelle expressément l’article 10, paragraphe 2 de la Convention européenne des droits de l’homme. « Parmi eux – dans le contexte des opinions et croyances religieuses – peut légitimement être comprise une obligation d’éviter, autant que faire se peut, des expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent à aucune forme de débat public capable de favoriser le progrès dans les affaires du genre humain ».34 Ledit article 10 protège en effet « le droit des journalistes de communiquer des informations sur des questions d’intérêt général, dès lors qu’ils s’expriment de bonne foi, sur la base de faits exacts et fournissent des informations “fiables et précises” dans le respect de l’éthique journalistique.35 Il “ne garantit pas une liberté d’expression sans aucune restriction, même en ce qui concerne la couverture médiatique des questions présentant un intérêt public sérieux”. Aux termes du paragraphe 2 de l’article 10, l’exercice de cette liberté comporte des “devoirs et responsabilités” qui s’appliquent aussi à la presse…(qui) peuvent revêtir de l’importance lorsque… L’on risque de porter atteinte à la réputation de particuliers et de mettre en péril les “droits d’autrui”. En raison des “devoirs et responsabilités” inhérents à l’exercice de la liberté d’expression, la garantie que l’article 10 offre aux journalistes en ce qui concerne les comptes rendus sur les questions d’intérêt général, est subordonnée à la condition que les intéressés agissent de bonne foi, de manière à fournir des informations exactes et dignes de crédit dans le respect de la déontologie journalistique… ».36 La Cour souligne que les devoirs et responsabilités qui accompagnent l’exercice du droit à la liberté d’expression de la part des professionnels des médias revêtent une importance spéciale en cas de conflit et de tension. Il convient d’examiner avec une vigilance particulière la publication des opinions de représentants d’organisations qui recourent à la violence contre l’État, faute de quoi les médias risquent de devenir un support de diffusion de discours de haine et d’incitation à la violence.

Ajoutons à ces considérations que la nécessité d’ingérence dans la liberté d’expression peut exister dans une première période, puis disparaître dans une seconde période.37 Ce principe a été appliqué dans l’affaire dite du Grand Secret. Le 23 octobre 1996 lorsque le Tribunal de grande instance de Paris a rendu son jugement, le décès de François Mitterrand remontait à neuf mois et demi. Manifestement l’on ne se trouvait plus dans le même contexte que celui qui prévalait lorsque, le 18 janvier 1996, le juge des référés avait ordonné l’interruption provisoire de la diffusion du Grand Secret. Ledit juge statuait alors au lendemain de la sortie de l’ouvrage, laquelle intervenait dix jours à peine après le décès du Président Mitterrand… Selon la Cour, plus la date du décès s’éloignait, plus cet élément perdait de son poids. Parallèlement, plus le temps passait, plus l’intérêt public du débat lié à l’histoire des deux septennats accomplis par le Président l’emportait sur les impératifs de la protection des droits de celui-ci au regard du secret médical. On ne peut que rester bouche bée devant tant d’insensibilité et d’indélicatesse de la part d’une des plus hautes juridictions d’Europe.

Section III

LE DIFFICILE ÉQUILIBREENTRE LA LIBERTÉ D’EXPRESSION ET LE RESPECT DES DROITS INDIVIDUELS EN CONCOURS AVEC L’ARTICLE 10 DE LA MÊME CONVENTION

3.1 L’ARTICLE 8 DELA CONVENTIONEUROPÉENNEDESDROITSDEL’HOMME

26. La Cour de Strasbourg donne une interprétation dénaturante des articles 8 et 10 de la Convention lorsqu’elle énonce que le premier n’est qu’une exception du second.

Les deux principes, repris par deux dispositions indépendantes de la même Convention européenne des droits de l’homme, ne jouissent-ils pas de la même portée normative et le juge ne doit-il pas plutôt rechercher une conciliation tirée de la légitimité et de l’intensité comparées des intérêts en présence, au lieu d’une hiérarchisation dogmatique.

La question est longuement examinée par le Professeur Ravanas dans une note consacrée à l’arrêt de la Cour de cassation française du 23 avril 2003 reproduit à La Semaine Juridique du 28 mai 2003, p. 999.

Le professeur affirme clairement que la hiérarchie des normes en conflit est illusoire. Le juge ne pourra arbitrer le conflit qu’en ayant recours à la technique de la pondération des intérêts en présence.

27. À côté de la liberté d’expression, il existe des droits individuels tout aussi fondamentaux et dignes de respect et de protection.

28. Un des droits individuels les plus essentiels est consacré par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme libellé comme suit :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

29. Ces normes sont susceptibles d’entrer en conflit. L’arbitrage se fait selon la technique de la « pondération » des intérêts en présence. Nul ne doit prévaloir dans l’absolu. En effet, « suivant les cas, suivant les circonstances, les intérêts en conflit s’opposent avec une intensité respective différente ».38 Ce sont les principes de finalité et de proportionnalité qui régissent les restrictions aux droits et libertés protégés, entre autres, par la Convention européenne des droits de l’homme.

Cette problématique a itérativement retenu l’attention de l’Assemblée du Conseil de l’Europe.

30. Ainsi, dans la résolution 428 (1970) portant déclaration sur les moyens de communication de masse et des droits de l’homme, l’Assemblée consultative a souligné sous le point C.7 que « le droit au respect de la vie privée39 garanti par l’article 8 de la Convention des droits de l’homme doit protéger l’individu non seulement contre l’ingérence des pouvoirs publics, mais aussi celle des particuliers et des institutions privées, y compris les moyens de communication de masse. La législation doit comporter des dispositions garantissant cette protection ».

31. Dans sa résolution 1165 (1998), l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a réaffirmé sous le point 11 « l’importance du droit au respect de la vie privée de toute personne, et du droit à la liberté d’expression, en tant que fondements d’une société démocratique. Ces droits ne sont ni absolus ni hiérarchisés entre eux, étant d’égale valeur ».

32. Ce dernier principe a pu être considéré comme étant remis en cause par la jurisprudence strasbourgeoise. Il est vrai que par son arrêt dans l’affaire Goodwin du 22 février 1996, la Cour a rappelé que « les considérations dont les institutions de la Convention doivent tenir compte pour exercer leur contrôle sur le terrain du paragraphe 2 de l’article 10 (art. 10-2) font pencher la balance des intérêts en présence en faveur de celui de la défense de la liberté de la presse dans une société démocratique ». Mais il est tout aussi certain que la Cour tranche à chaque fois in concreto au vu des circonstances de l’ensemble de la cause qui lui est soumise. De l’avis du Conseil d’État, « il est donc quelque peu hâtif d’en déduire une précellence de la liberté d’expression en jurisprudence strasbourgeoise », comme semble le suggérer Jean-Pierre Gridel, cosignataire avec Alain Lacabarats d’un article fort intéressant publié dans la Gazette du Palais en 200240. C’est d’ailleurs à bon escient que l’auteur précité fait remarquer que « si l’on considère le texte de la Convention, non seulement la protection des droits et libertés d’autrui, au sein desquels il faut inclure le droit au respect de la vie privée, figure parmi les réserves du § 2 de l’article 10, mais surtout, ce même droit au respect de la vie privée y est d’autant plus présent qu’il est l’objet d’un article antérieur autonome, l’article 8 », avant de poser de façon rhétorique la question suivante : « En l’absence d’indications contraires, deux dispositions d’un même document juridique ne sont-elles pas alors d’égale valeur, appelant donc une conciliation et non une hiérarchisation ? ».41

3.2 LECONCEPTDEDIGNITÉ

33. De plus en plus souvent, la doctrine se penchant sur les droits de l’homme fait appel au concept de dignité de la personne humaine.

Yaël Attal-Galy, dans son traité « Droit de l’homme et catégorie d’individus »42 souligne avec force que « l’affirmation de la dignité de la personne humaine et de sa transcendance représente l’essence même de l’idéologie des droits de l’homme. Citant Pierre-Henri Imbert, il parle de notion centrale des droits de l’homme. Elle est la raison d’être de l’ensemble des droits de l’homme – le principe matriciel par excellence – le socle sur lequel est construite la philosophie des droits de l’homme et, partant, le droit des droits de l’homme ».43

« Cette dignité est consubstantielle aux droits de l’homme. Elle fait de l’être humain une fin en soi, une valeur absolue ». La notion de dignité renvoie à deux exigences fondamentales : celle du respect, de soi et de l’autre en soi, et celle de solidarité ou générosité, selon le mot de Decaux.