Le Faiseur de folles - Paul Féval fils - E-Book

Le Faiseur de folles E-Book

Paul Féval fils

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Beschreibung

Dans le laboratoire du savant Oronius, un haut-parleur vibra et retentit. Une voix de stentor jeta ces mots :
— Nous sommes sur la piste… Mais en quel étrange pays !…
Et brusquement la voix s’interrompit ; un bruit de friture suivit, décevant Oronius qui haletait.
Le savant ne venait-il pas de reconnaître la voix de son fidèle serviteur Laridon, parti depuis des semaines, en compagnie de son noir acolyte, Julep, le nègre pommelé, à la recherche de Jean et de Cyprienne Chapuis, le gendre et la fille du savant, disparus au cours d’un voyage aérien.
Le son de cette voix familière avait donné un instant de joie et d’espoir au père angoissé. Enfin ! il allait savoir !…

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LE FAISEUR DE FOLLES

Paul Féval fils, H. J. Magog

LES MYSTÈRES DE DEMAIN

(volume 5)

1922-1924

© 2022 Librorium Editions

ISBN : 9782383833994

CHAPITRE PREMIERL’ÉNIGMATIQUE INCONNUE

Dans le laboratoire du savant Oronius, un haut-parleur vibra et retentit. Une voix de stentor jeta ces mots :

— Nous sommes sur la piste… Mais en quel étrange pays !…

Et brusquement la voix s’interrompit ; un bruit de friture suivit, décevant Oronius qui haletait.

Le savant ne venait-il pas de reconnaître la voix de son fidèle serviteur Laridon, parti depuis des semaines, en compagnie de son noir acolyte, Julep, le nègre pommelé, à la recherche de Jean et de Cyprienne Chapuis, le gendre et la fille du savant, disparus au cours d’un voyage aérien.

Le son de cette voix familière avait donné un instant de joie et d’espoir au père angoissé. Enfin ! il allait savoir !…

Et voici que la communication s’interrompait, manifestement coupée ou « brouillée » sur cette exclamation énigmatique et bien faite pour aiguillonner l’angoisse du père :

— En quel pays étrange !…

De là à conclure que Jean Chapuis et Cyprienne se trouvaient engagés dans une aventure terrifiante et qu’ils couraient des dangers, il n’y avait qu’un pas, déjà franchi par l’imagination du savant.

Ce qui l’affolait et l’inquiétait surtout, depuis qu’il était sans nouvelles de ses enfants, c’était l’impuissance inexplicable de ses ordinaires moyens d’investigation psychique. Aidé de ses merveilleuses découvertes, son puissant esprit rayonnait ordinairement dans l’espace, s’y promenant au gré de sa volonté et suffisant à toutes les investigations.

Mais, cette fois, il ne découvrait rien… il ne voyait rien…

Jean Chapuis et Cyprienne semblaient avoir disparu du monde terrestre et être entrés dans une zone située hors de l’atteinte du pouvoir d’Oronius.

Or, au moment même où il se dépitait d’avoir failli obtenir le mot de l’énigme et où il s’efforçait, par un effort de concentration de sa volonté d’entrer, au moins, en communication cérébrale avec Victor Laridon, le haut-parleur, actionné par les ondes hertziennes, retentit de nouveau apportant cette fois l’écho amplifié de la voix chérie de Cyprienne :

— Père bien-aimé, s’écriait la jeune femme, je profite d’une occasion unique pour vous crier mon désespoir. Prisonnière, séparée de mon Jean que j’ai de sérieuses raisons de croire mort, je subis un supplice atroce… Je suis en proie à une épouvantable menace… Au secours, père !…

Comme celle de Laridon, la voix angoissée se tut et le même bruit bizarre lui succéda. Une seconde fois, la communication était troublée et sans doute par le mystérieux ennemi de la jeune femme – par ceux qui la retenaient prisonnière, en l’étrange pays.

Oronius poussa un gémissement douloureux. Phénomène stupéfiant, il se sentait soudain sans force, désarmé par un destin qui ne l’avait fait supérieur au reste des mortels que pour le mieux accabler à son heure.

Ce coup le brisait…

Son gendre mort !… Sa fille au pouvoir d’êtres hostiles et dont le père ignorait tout ! N’était-ce pas trop de malheurs à la fois ?

Il s’affaissa ; ses épaules se voûtèrent.

— Qui combattre ? Sur quoi m’élancer ? murmura-t-il avec désespoir. Je ne vois rien… rien…

Et les mains étendues, tâtonnantes, il tournait sur lui-même, comme un aveugle perdu en sa nuit éternelle…

Un frémissement précurseur du haut-parleur l’arrêta net.

Pour la troisième fois, une voix lui parvint.

— Courage ! Rien n’est perdu… Si vous voulez nous secourir, partez pour pays des typhons. Vous y trouverez nos traces… Là, vous attendrez dans le silence… dans le silence de votre pensée !…

À ces paroles, que lui seul sans doute pouvait comprendre, les yeux d’Oronius jetèrent un éclair de joie.

Ranimé, il murmura :

— Turlurette !… Turlurette veille !…

*** ***

Préciser le cadre de cette effarante aventure, c’est peut-être fournir à la police de l’étrange pays dont nous allons parler un précieux renseignement qui lui permettra de comprendre enfin certains événements, jusqu’à ce jour demeurés inexpliqués.

Mais les personnages que ces révélations pourraient compromettre n’ont aucun droit à la pitié ; d’autre part, il n’est plus au pouvoir de personne d’arrêter le bras vengeur de la fatalité.

Disons donc qu’en une certaine demeure, qu’à certains détails les habitants d’un point particulier de l’espace pourraient aisément identifier, il y avait, un beau soir, une jeune fille fortement émue.

Elle gravissait, sur la pointe des pieds, les marches d’un escalier interminable ; car ladite maison comportait un nombre respectable d’étages.

C’était une jolie fille de vingt à vingt-deux ans, souple et vive, aux yeux rieurs et à la bouche mutine. Dans l’escalier silencieux et sombre, les boucles rousses de sa chevelure faisaient une tache de lumière.

À voir les précautions qu’elle prenait pour éviter tout bruit, à voir aussi ses joues légèrement empourprées et la palpitation de sa jeune poitrine, on devinait qu’elle enfreignait une interdiction et trompait une surveillance gênante.

Elle était sortie ; ou plutôt elle s’était glissée, avec des allures tout à fait mystérieuses, hors d’un appartement du second étage. Après avoir, penchée au-dessus de la rampe, écouté un instant, elle s’était, gracieuse et légère, envolée vers les étages supérieurs.

Le silence était tellement complet qu’il impressionnait. Il pesait lourdement sur les épaules de la jeune fille ; il serrait sa gorge, parce qu’il ne semblait pas naturel.

C’était le silence qui règne aux abords des pièges, le silence de l’ombre qui a des yeux ; on aurait dit que, dans cette maison, quelqu’un, perpétuellement, guettait, en retenant son souffle pour mieux entendre.

Mais le pas de la jeune fille était si léger !…

Elle parvint au septième palier, celui des mansardes, sans que le moindre craquement l’eût dénoncée.

Aux dernières marches, par exemple, elle faillit pousser un cri et s’immobilisa, toute tremblante, et portant machinalement sa main mignonne à son cœur qui battait trop fort.

Elle avait cru voir – c’était peut-être pure imagination ! – elle avait cru voir une forme humaine, courbée devant une des portes, se redresser brusquement et se rejeter en arrière, dans un coin sombre, où, pendant une seconde, la jeune fille, terrifiée, distingua deux points phosphorescents, qui s’éteignirent aussitôt.

Alors, après une courte hésitation, la courageuse petite personne gravit les cinq dernières marches et s’avança directement vers le coin sombre.

Mais en vain scruta-t-elle ses ténèbres, promenant même ses doigts sur le mur : elle ne trouva rien.

— Je suis folle ! murmura-t-elle. Je le vois partout. Cela tourne l’obsession. En dépit de ces paroles – prononcées dans une langue que nous préciserons plus tard, – l’expression de méfiance qui s’était peinte sur sa physionomie ne s’effaça point.

Promenant ses regards, maintenant habitués à la demi-obscurité du palier, sur les différentes portes, la jolie rousse les examina successivement. Puis, hochant la tête, elle revint à celle près de laquelle son imagination suggestionnée lui avait montré la silhouette suspecte.

Sur cette porte, une carte épinglée indiquait le nom du locataire.

Nous en traduisons les indications, figurées en hiéroglyphes qui ne rappelaient en rien notre écriture ; et nous-donnons l’équivalent français de leur signification :

« AZUR CŒUR-EXALTÉ »

« Incarnateur »

Expliquons tout de suite que cette dernière épithète, caractérisant la profession du sieur Azur, équivalait à ce que nous appellerions un acteur. Le lyrique Azur Cœur-Exalté était tout bonnement un histrion.

Or, une telle profession ne parle-t-elle pas à une imagination féminine ? Cela sans doute expliquait le visible émoi de la jolie fille, tandis qu’elle effleurait, de ses doigts fuselés, le bois de la porte.

— Toc… toc…

C’était tellement timide et discret qu’il fallait, pour entendre, l’oreille d’un amoureux.

Et, comme pour prouver qu’un amoureux était réellement derrière, guettant sans doute la visiteuse, la porte s’ouvrit aussitôt, doucement… doucement…

— Bonne soirée, gentille demoiselle ! murmura, en une langue bizarre, une voix masculine.

— Pareille faveur du Destin, seigneur Azur ! répondit la jeune fille, en la même langue, d’un ton moins bas, mais tout aussi caressant.

La porte silencieuse avait achevé de s’ouvrir, démasquant l’intérieur d’une pièce mansardée, fort chichement meublés, bien qu’elle dût avoir la prétention de servir de salon.

Où la vanité va-t-elle se nicher !

Celle de l’« incarnateur » Azur Cœur-Exalté habitait sous les combles et n’était manifestement pas très fortunée. Le costume, pittoresque, peut-être, mais davantage râpé, qui le recouvrait, donnait à penser que cet artiste ne connaissait pas les fabuleux appointements des ténors.

Par exemple, il n’était pas vilain garçon.

Loin de là ! De taille moyenne, mais large d’épaules et fortement découplé, il avait dû pratiquer, par distraction, à peu près tous les sports, tant ses mouvements témoignaient de souplesse entrainée et de solide énergie. Deux petits yeux actifs, malins, éclairaient un visage qui, sans être ordinaire ou vulgaire, portait, stéréotypée dans tous ses traits, cette expression de « gouaille » et d’impertinente assurance dont le titi parisien avait toujours eu le monopole. Mais, dans la physionomie éveillée de notre « incarnateur », cette note, provenant sans doute d’un atavisme éloigné, se corrigeait d’une lueur d’intelligence supérieure qu’il avait acquise, ou qu’il s’était adaptée à la fréquentation de quelque génie.

La jeune fille entra, rose et souriante, moitié intimidée, moitié ravie par le regard très tendre de l’amoureux.

Celui-ci, ayant refermé la porte avec sollicitude, prit dans les siennes l’une des menottes de sa visiteuse et la porta à ses lèvres en demandant :

— Quelles nouvelles, ma petite gazelle ?

— Vous intéressez-vous vraiment aux nouvelles du pays, seigneur Azur ?

Étrange couple ! Singuliers amoureux ! Chacun d’eux semblait observer l’autre et s’efforcer de surprendre un secret.

Lequel ?

Certes, ni l’un ni l’autre ne pouvaient douter de l’intérêt très tendre qu’ils se portaient réciproquement. Subtile émanation de l’âme, l’amour les enveloppait et c’était sa flamme qui donnait à leurs yeux cet éclat caressant.

Mais, s’ils n’en étaient plus à guetter, chez l’un ou chez l’autre, l’apparition de ce délicieux émoi, précurseur de l’aveu, que n’osaient leurs lèvres et que s’étaient confié leurs cœurs, pourquoi s’épiaient-ils ainsi ? Quel autre motif de gêne et peut-être de défiance existait donc entre eux ?

Après l’échange de ces deux phrases, bien insignifiantes et surtout bien éloignées de l’unique sujet qui leur tenait à cœur, ils demeuraient muets, en face l’un de l’autre, se souriant et, en même temps, s’interrogeant du regard.

Ce silence leur pesait-il ?

Ils le rompirent ensemble.

— J’étais venue…, commença la jeune fille.

— Je voulais vous demander…, dit Azur.

Ils s’arrêtèrent et partirent, en même temps, d’un léger éclat de rire, aussitôt étouffé.

Puis, la jeune rousse continua seule :

— J’étais venue voir si… si vous n’aviez besoin de rien… parce qu’en somme, il serait naturel que… que je vous propose de faire vos commissions, puisque vous êtes notre locataire… Seulement, je ne suis pas très libre…

Elle devait vouloir dire encore autre chose, et ne savait comment s’exprimer.

Azur Cœur-Exalté n’y prit pas garde ; ses pensées personnelles suivaient un autre cours.

— Je suis votre locataire, répéta-t-il. Je me réjouis, en ce cas, d’avoir une aussi gentille propriétaire, bien que j’ignore le lien du parenté qui vous lie à monsieur… ou à madame… enfin à la personne qui m’a loué cet appartement… Ne souriez pas. Ce n’est pas moi qui ai conclu le bail et je veux être pendu si je sais qui est mon ou ma propriétaire.

Tout cela était dit en cette langue bizarre dont nous avons parlé ; mais les sons paraissaient sortir très difficilement du gosier du seigneur Azur. Quelle prononciation défectueuse avait cet « incarnateur » !

La jeune fille devait l’avoir remarqué. Pour supposer le contraire, il aurait fallu admettre que le légendaire bandeau de l’amour bouchait en partie ses mignonnettes oreilles.

Ou bien, chose tout aussi admirable, ses sentiments secrets triomphaient de sa susceptibilité nationale et l’empêchaient de se scandaliser de la façon dont Azur Cœur-Exalté écorchait sa langue maternelle.

Elle répondit gravement :

— Vous voulez parler de « done » Astaroth ?

— C’est notre propriétaire ?… Votre… mère ?

— Oh ! non ! se récria la jeune fille, avec une moue involontaire…

— Une parente, pourtant ?

— Une parente… éloignée… tout ce qu’il y a de plus éloignée, riposta d’un ton singulier la visiteuse du seigneur Azur.

— Ah ! bah ! mais non, pas éloignée, puisque vous vivez avec elle ?

Elle fit entendre un petit rire moqueur.

Ce rire et cette réponse ne paraissaient pas indiquer une grande sympathie pour la parente en question.

Azur Cœur-Exalté devait en juger ainsi ; il murmura :

— C’est bizarre.

— Tout est bizarre, ici, répondit la jeune fille.

— N’est-ce pas ? insista l’« incarnateur ». Ma présence, par exemple…

— Et tant d’autres choses !

— Tant d’autres !… Si je vous faisais certaines confidences, vous seriez émerveillée de ce qui m’arrive… Je puis me croire dans une demeure ensorcelée ; tout y est extraordinaire : la façon dont nous avons fait connaissance… la conduite à mon égard de… « done » Astaroth et des autres habitants de ce logis : tout !… tout !…

La jeune fille approuvait de la tête et sa physionomie devenait grave et soucieuse.

Quant à l’acteur, sa mimique était singulière. Il devait être exubérant de sa nature ; on sentait chez lui un impulsif et un sincère, emporté par des élans d’enthousiasme. Mais, il devait avoir abordé un sujet dangereux, car ses phrases, lâchées en désordre, impétueusement, s’arrêtaient tout à coup, comme s’il avait peur d’en trop dire.

Bref, il était partagé entre l’attirance sympathique qu’exerçait sur lui la jeune fille et une méfiance. Celle-ci ne pouvait résulter que du voisinage d’un danger.

Il poursuivit, en prenant un ton enjoué :

— Par exemple, il est des mystères qui me semblent très explicables… Ainsi, je soupçonne une certaine demoiselle, qui vient de s’excuser de ne pouvoir faire mes commissions, d’avoir cependant, en cachette, assumé le rôle de petite providence.

En prononçant ces mots, la voix de l’acteur tremblait un peu, décelant un attendrissement, une émotion que ses paroles ne justifiaient pas.

La jeune fille parut étonnée, presque anxieuse.

— Je ne comprends dis, dit-elle.

— Hum ! vous ne voulez pas comprendre… Mais mon petit doigt m’a confié bien des choses… Il prétend qu’il existe sous ce toit une bonne, une adorable petite fée. Elle vient, je ne sais quand ni comment, probablement pendant notre sommeil, déposer ici, en cachette, des provisions… j’ai été touché, sachez-le, à cause de l’intention… de la clairvoyance de deux jolis yeux… de leur pitié… de leur…

Il bafouillait en cherchant des mots tendres, pour exprimer les sentiments qui gonflaient son cœur.

Les roses des joues de la jeune fille devenaient des lys : Tout à fait inquiète, elle s’exclama :

— Mais ce n’est pas moi… Ce ne peut être moi, seigneur Azur ! Vous n’y songez pas. Comment ferais-je ? Je ne sors pas… jamais !…

— Alors, cela devient encore plus incompréhensible… J’ai donc fait erreur… Je suis excusable… Je croyais avoir deviné, senti une sollicitude, une sympathie douce et tendre… On s’imagine volontiers cela quand un est dans une certaine situation et quand, soi-même, on ressent…

En l’écoutant, la jolie fille redevenait rose, rose comme les fleurs parfumées des jardins ensoleillés.

— La sympathie est réelle, murmura-t-elle, en observant en dessous son compagnon.

— Petite amie !… Chère petite amie !…

La main de l’acteur emprisonna une des menottes, pour attirer doucement la jeune fille ; preste, elle lui échappa.

— Laissez-moi finir, seigneur Azur, continua-telle fermement. La sympathie vient vite, quand une voix douce, qu’on croit avoir déjà entendue, la sollicite. Je m’imagine que nous nous sommes déjà rencontrés dans une autre existence, dans un autre monde… Mais je ne veux pas répondre légèrement à une grave question : car il m’en couterait trop de refermer mon cœur après l’avoir ouvert. C’est pourquoi je vous supplie de me répondre franchement… et sans réticences. Êtes-vous bien réellement un homme de cette ville, seigneur Azur ? Êtes-vous né dans ce pays ?

Azur Cœur-Exalté tressaillit, comme s’il se fût senti touché à l’improviste. Une courte hésitation suspendit sa réponse et ses yeux fixèrent les yeux clairs et francs de la jeune fille.

— Moi aussi, murmura-t-il, j’éprouve la même impression mystérieuse : celle de vous avoir connu… et aimée… ailleurs, dans une autre vie… C’est ce qui m’attire vers vous et m’incite à vous confesser que je ne suis pas tout à fait un habitant de cette ville, ni ce que « done » Astaroth pourrait appeler un compatriote. Mais auriez-vous beaucoup de sympathie pour un véritable compatriote de « done » Astaroth ?

Anxieux, il attendit la réponse.

— Non ! répondit nettement la jeune rousse.

— Non ?…

Azur Cœur-Exalté semblait ne plus pouvoir respirer. Quelque chose l’étouffait, une question qu’il voulait poser et que la prudence retenait sur ses lèvres.

— Dites-moi votre nom ! supplia-t-il enfin.

Ce fut au tour de la jeune fille d’hésiter. Puis, elle répondit d’un ton ambigu :

— Ici, on me nomme Fleur-Sauvage…

— N’en auriez-vous pas un autre ?

— Ce n’est pas la coutume du pays.

— En êtes-vous vraiment ?

Fleur-Sauvage regarda bien en face l’amoureux Azur.

— Vous n’avez pas nettement répondu à ma question, dit-elle. Pourquoi répondrais-je à la vôtre ?… Au vrai, vous avez raison d’hésiter et d’être prudent : nous sommes dans la maison, non de « done », mais du seigneur Astaroth… du professeur Astaroth !… Ce nom ne vous dit rien ?

— Rien du tout, avoua Azur.

— Évidemment, il faudrait pouvoir le prononcer autrement… Mais ce serait tout le secret dévoilé, et vous et moi pourrions risquer gros… Alors, laissez-moi vous donner conseil et vous faire entendre ce que je puis : quand on habite une maison étrange… la propre maison du professeur Astaroth, le rival de Satan, il faut être prudent, plus que prudent… Si on ne sait pas bien où on est… ni ce qu’on y vient faire… si on n’est venu que par hasard, il faut partir, partir bien vite, sans s’inquiéter de savoir qui peut être une certaine « Fleur-Sauvages » et si elle est vraiment sujette du démon noir.

— Partir !... Pourquoi me conseillez-vous de partir, petite amie ? Pourquoi voulez-vous me voir quitter le pays en dehors du monde, avant d’en avoir déchiffré le plus joli secret ?

Et, attirant irrésistiblement sa visiteuse, Azur s’exclama avec feu :

— Non ! je ne partirai pas ! J’ai maintenant un double motif de demeurer dans ce pays en dehors du monde, moi qui suis de l’autre… du vrai monde des vivants… de Paris !… de Pantruche, pour vous servir, ma mignonnette, aux yeux que je crois reconnaître !

CHAPITRE IILE PAYS EN DEHORS DU MONDE

Fleur-Sauvage ne parut pas aussi surprise qu’elle aurait dû l’être ; on aurait dit qu’elle s’attendait à cette révélation.

Elle demanda, en baissant la voix :

— Pourquoi êtes-vous venu ?… Que cherchez-vous ?

Azur Cœur-Exalté était lancé ; il répondit :

— Celles et ceux qui ont été victimes de la MAIN FUGITIVE(1)… Peut-être me comprenez-vous, si, comme moi, vous avez changé de visage. Et peut-être alors savez-vous au service de qui elle a passé ?

Plus bas encore, la jeune fille murmura :

— Pour vous répondre, il faudrait prononcer l’autre nom du professeur Astaroth. Ne me demandez pas encore cela… Dites-moi seulement le vôtre… celui de votre vrai visage.

— Oui, je vous le dirai ! riposta l’« incarnateur » avec un enthousiasme soudain. À une payse, on ne doit rien cacher… Or, un doux pressentiment me le dit : vous êtes ma payse ! Donnant, donnant : contez-moi vos aventures et je vous conterai les miennes…

Ce disant, il s’efforçait d’entrainer son interlocutrice vers le canapé boiteux qui formait la pièce capitale du maigre mobilier.

— Si vous ne l’avez pas déjà deviné en z’yeutant mon faciès dont le fond est indéformable, lança-t-il joyeusement, apprenez donc que je suis Parigot et que je me nomme Victor Laridon. Allons, petite masque, avouez-le donc, vous sons en doutiez déjà ?…

Une nouvelle fois, la jeune fille se déroba, en laissant apparaître un trouble voisin de la terreur.

— Chut ! murmura-t-elle en prêtant l’oreille. Je vous conterai cela plus tard. Demeurer plus longtemps auprès de vous serait imprudent. Je puis vous être plus utile ailleurs… à vous et à celles que vous cherchez. Je sais désormais ce que je voulais savoir ; c’est assez pour le moment.

Tout en parlant, elle avait reculé jusqu’à la porte ; elle étendit la main pour l’ouvrir.

— Vous allez me quitter comme cela ? s’exclama Laridon, tout déconfit.

— Ayez confiance ! Nous sommes amis et alliés… À bientôt ! Ne tentez rien avant de m’avoir revue.

Elle s’esquiva sur la pointe des pieds et, de la porte, lui envoya un baiser espiègle.

Il demeurait sous le charme, grisé, ravi.

— La jolie petite ! La douce mignonne !… Elle a les yeux de Turlurette !

Mais, brusquement, le bruit d’une porte qui s’ouvrait en grinçant, derrière lui, l’arracha à son extase. Indignée, une voix furibonde jeta cette apostrophe :

— Ça pas beau, massa Laridon !… Vous trop parler !… Vous avoir la langue trop longue ! Julep pas satisfait !…

Et le nègre pommelé du savant Oronius vint se planter devant le trop galant mécano, tel la vivante statue du reproche.

 

*** ***

 

Laridon et Julep !… Pour ceux qui ont lu le récit de leurs précédentes aventures(2), ces noms se passent de présentation. Ce joyeux et ingénieux mécano, brave, dévoué, débrouillard, et le nègre exubérant et candide, compagnons habituels et serviteurs éprouvés de l’illustre et génial savant Oronius, constituaient un couple inénarrable qui n’eût point hésité à se lancer de compagnie sur la voie jadis suivie, aux temps mythologiques, par Orphée et Proserpine, et à descendre explorer le séjour infernal.

Jamais peut-être ils ne s’étaient davantage trouvés enveloppés des ténèbres du mystère qu’au sein de cette aventure qui commençait pour eux… Elle était commencée depuis quelques jours seulement, sans qu’ils eussent compris vers quoi ils se trouvaient entraînés.

Le début en avait été simple et naturel – naturel pour ces cœurs dévoués et intrépides, s’entend ! Car bien d’autres eussent reculé dès les premiers pas.

Lorsque, dans des circonstances demeurées inconnues du savant (dont la puissance psychique, maîtresse et génératrice du forces cérébrales qui lui valait ordinairement une clairvoyance presque miraculeuse, mais n’avait pu, cette fois, percer le troublant mystère), sa fille, Cyprienne, et le mari celle-ci, Jean Chapuis, accompagnés de la servante Turlurette, avaient tout à coup disparu au cours d’une promenade en avion, et sans qu’on put retrouver leurs traces, le désespoir d’Oronius avait ému le fidèle Laridon et le brave Julep.

— Faut retrouver la petite patronne, mon copain ! avait dit le premier au second.

Et tous deux étaient partis, assez vite mis sur une piste par un racontar de paysans, recueilli par hasard, au cours de leurs recherches. En effet, en cette région, à une époque qui coïncidait avec celle de la disparition de Jean Chapuis et de Cyprienne, un phénomène mystérieux et bizarre avait bouleversé les habitants. Une main se promenait dans l’air, une main vivante, dont le corps demeurait invisible.

Pour Laridon, ce fut un trait du lumière : il se rappela une récente aventure à laquelle il avait été mêlé, la disparition d’une mystérieuse pièce anatomique, préparée et conservée par le savant Oronius, une main qui continuait à vivre, après sa séparation d’avec le corps auquel elle appartenait. Sans doute (telle avait été l’hypothèse formulée, à son propos, par le savant), les forces psychiques de l’invisible animaient cette main coupée et la faisaient agir. Bref, c’était une extrémité humaine visible mise au service de l’invisible, pour le mal et pour le bien.

Le mécano ne douta plus qu’elle n’eût été le mauvais guide ; entraînant et peut-être séparant les époux, attirés par cette mystérieuse apparition, ceux-ci ayant peut-être commis l’imprudence de lui donner la chasse.

Comme les feux follets légendaires, se plaisait-elle à égarer les voyageurs ?

— Il n’y a qu’à essayer ! déclara audacieusement Laridon, aussitôt décidé à courir l’aventure.

Et le soir, à l’heure indiquée par les paysans, il erra dans la campagne, avec le candide Julep, tout à fait inconscient du danger qu’il bravait. Ils virent la MAIN, ils la suivirent, au sein d’une bourrasque aveuglante, telle qu’ils ne surent point s’ils ne quittaient pas la terre et s’ils n’étaient point transportés dans une autre région de l’espace.

Le résultat fut leur chute et leur réveil en cet étrange pays, dont parlait le dernier radio-cérébral que Laridon avait pu lancer jusqu’aux méninges d’Oronius.

Un étrange pays, certes… parce qu’à nos deux aventuriers du vingt et unième siècle, il apparut comme une résurrection du passé, ou plutôt comme un pays qui avait vécu moins vite que le reste du globe et qui était en retard d’un siècle ou deux. C’était comme si Laridon et Julep, expérimentant à leur détriment les fameuses théories d’Einstein, avaient pris pied sur un morceau d’univers, détaché de la Terre et la suivant avec une vitesse différente, de sorte que le temps y retardait de la durée susdite.

Ayant quitté le dernier point connu en l’an 2021, nos aventuriers atteignaient ce nouveau monde en l’an 1921, c’est-à-dire cent ans avant.

L’ignorant Julep ne s’en aperçut point ; il se contenta de s’étonner de l’apparence de cette civilisation retardataire ; mais Laridon retrouva avec ébahissement la vie terrestre, dont lui avaient parlé ses grands-parents : les autos, les chemins de fer, tout ce qui caractérisait la vie des humains avant qu’ils eussent conquis l’espace et déchiffré le grand secret des forces magnétiques et radio-actives, qui avaient transformé la physionomie de l’existence.

Laridon eut donc devant les yeux un pays, une ville et des hommes tels qu’ils eussent pu être un siècle auparavant : ces hommes ne volaient pas : ils marchaient ou roulaient sur le sol, participant sans trop de hâte au tran-tran d’une existence dont la naïveté ébahit le mécano.

Ces mœurs, en apparence patriarcales, ne le rassurèrent point et il demeura plein de délimite parce qu’il se sentait dans le pays où l’avait conduit la MAIN.

Obligeant Julep à se cacher, il écouta, observa et réfléchit.

— Qu’est-ce qu’on va faire, pour retrouver la trace de Mme Cyprienne et de m’sieu Chapuis, sans parler de Turlurette ?… C’est comme si on était chez les Zoulous. À supposer qu’ils soient prisonniers, nous ne pourrons les délivrer qu’en gardant la liberté de nos mouvements. Il faut d’abord y voir clair. Prudence et méfiance ! Ça ne serait pas à faire que les citoyens de ce pays aillent prévenir de notre arrivée celui qui se sert de la main.

Pour cette raison, il mena pendant plusieurs semaines, avec son insouciant compagnon, une existence bizarre et misérable, à peu près celle de deux civilisés jetés par un naufrage au milieu des périls d’une terre sauvage, se cachant le jour et rôdant la nuit, en quête d’un peu de nourriture. L’oreille constamment ouverte, Laridon apprit ainsi à comprendre et à baragouiner suffisamment le langage des naturels.

— À présent, on peut se risquer, déclara-t-il un beau jour. Il faut nous remettre en route et gagner une résidence où nous ayons chance de retrouver ceux que nous cherchons. On « barbottera » des « pelures » à concitoyens, pour qu’on nous croie du patelin et on verra venir. Toi, tu tiendras ta babillarde, puisque tu n’entraves rien à ce qu’ils disent.

Il importait en effet de se procurer des vêtements susceptibles de me point trancher sur l’accoutrement rococo des habitants. Comment voyager sous leur apparence actuelle, alors surtout qu’ils ne possédaient pas un centime en monnaie du pays et qu’ils ignoraient même de quelle nature elle était ? Prétendre, dans de pareilles conditions, parcourir une contrée, dont ils ignoraient la topographie, équivalait à se jeter à l’eau sans savoir nager.

Mais Laridon avait décidé qu’il possédait au moins un précieux atout, un atout maître : la veine, tout simplement – la veine dont le sourire rare ne se refuse jamais aux audacieux qui réclament ses faveurs avec une suffisante confiance.

Le plan du mécano était simple : il avait, de la cachette où ils se tenaient, aperçu une voie ferrée sur laquelle circulaient prudemment ces lourds véhicules antiques qu’en France et au siècle précédent on appelait des chemins de fer ; à une petite distance s’apercevait une bonne vieille gare, à la mode d’autrefois. Il n’y avait qu’à s’en approcher nuitamment, à la faveur de l’obscurité, et à se glisser dans un fourgon de bagages en instance de départ.

Toute cette partie du plan s’exécuta facilement. En deux confortables malles d’osier, pleines de linge et de vêtements, qui facilitèrent leur transformation, ils s’installèrent, bien décidés à n’en sortir qu’une fois arrivés au point de destination de ces colis.

Douze heures plus tard, après maints chocs et transbordements qui plus d’une fois les alertèrent et firent battre leurs cœurs, ils reposèrent enfin en un séjour paisible et silencieux.

Il fallait profiter de cette accalmie pour sortir. Résolument, Laridon souleva le couvercle de sa prison.

CHAPITRE IIICOMÉDIEN MALGRÉ LUI

Alors une légère stupeur se peignit sur ses traits.

Jusqu’à ce moment, il avait supposé que les paniers séjourneraient à l’arrivée, au moins quelques instants, dans les salles encombrées d’un dépôt de bagages. Tout son plan d’évasion reposait là-dessus.

Et voilà qu’il revoyait la lumière, non du jour, mais de l’électricité au milieu d’une pièce bizarre, tenant du salon et du cabinet de toilette.

Elle était ornée de glaces et tendue d’étoffes claires ; une odeur de parfums et de fards flottait dans l’air.

Les yeux écarquillés de Laridon inventorièrent le mobilier.

Il se composait d’une psyché, surmontant une table chargée de brosses, de pinceaux et de pots de maquillage. Il y avait en outre un divan, des fauteuils et un paravent. Des photographies et des dessins ornaient les murs ; des costumes et des perruques étaient accrochés aux porte-manteaux ou jetés sur les sièges.

La situation devenait claire : Laridon se trouvait dans une loge d’artiste. Le destinataire des paniers devait être un acteur, à moins que ce ne fût une actrice.

Mais Julep ?

Parbleu ! il était là aussi, ronflant dans son panier, près de celui qui contenait Laridon. Ce dernier se décida à sortir tout à fait de sa coquille de vannerie.

Était-ce l’influence du milieu ? Il se mit à exécuter la série presque classique des gestes au moyen desquels les mimes expriment qu’ils craignent les oreilles indiscrètes. Il courut écouter à une porte que masquait le paravent et sa physionomie satisfaite indiqua qu’il n’avait entendu aucun bruit suspect.

Pirouettant alors sur lui-même, il appela, à voix basse :

— Julep !… Ohé, Julep ! Tu peux débarquer, vieux. On est au port.

— Aie ! aie ! gémit une voix lugubre, sortant des profondeurs du panier. Tire-moi de là, massa Victor ! Je suis moulu, fracassé…

Le couvercle se souleva et le noir montra sa bonne face bigarrée, au milieu de laquelle roulaient ses yeux effarés.

— Bono parfum ! renifla-t-il, en s’extrayant, avec mille grimaces, de son inconfortable prison.

Laridon lui expliqua en quelle sorte d’endroit le hasard les amenait.

La figure du nègre s’illumina.

— Bono !… Julep aimer jolies actrices !

— Pas de bêtises ! eh ! pochetée !… D’ailleurs, nous sommes peut-être chez un acteur… En attendant, profitons-en pour nous faire des têtes et nous rendre méconnaissables. Nous ne savons pas qui nous pourrons rencontrer.

Ce conseil fut aussitôt suivi. Après quoi, le Parisien partit à la découverte, en intimant à Julep :

— Ne bouge pas ! Je reviens de suite.