Le masochisme dans l'histoire et les traditions - Laurent Tailhade - E-Book

Le masochisme dans l'histoire et les traditions E-Book

Laurent Tailhade

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Beschreibung

Un ouvrage de référence, premier du genre, pour explorer l'origine et les formes du masochisme.

POUR UN PUBLIC AVERTI. Paru en 1902, Le masochisme dans l'histoire et les traditions se présente comme un état de l'art littéraire sur la pratique du masochisme. Le texte était initialement une commande de l'éditeur Carringron pour préfacer Gynécocratie, ou la Domination de la femme.

Richement documenté, cet ouvrage est l'occasion d'explorer avec un regard nouveau cette pratique souvent fantasmée.

EXTRAIT

En un vers trop connu pour le citer avec élégance, mais qui porte au vif de notre sujet, Lucrèce parle de ce quelque chose d’amer qui sourd en la fontaine délicieuse, nous torturant jusque dans les fleurs :
... Medio e fonte leporum, Surgit amari aliquid quod ipsis in floribus angat
Ce trouble inavoué, ces obscures épines, ce dégoût clandestin du partenaire et de soi-même dans l’acte qui passe, chez la plupart des anthropoïdes, pour le cramoisi de la félicité, dominent sur toutes les manifestations de l’intellect humain : légende, histoire, poésie. L’homme n’accepte point sans révolte secrète le joug que lui impose – dédaignant son éphémère individu – la loi inamovible de l’espèce. Vaguement, le plus borné perçoit la mélancolie éternelle du geste qui perpétue et soumet à la douleur immanente le « troupeau raillé des Dieux » (Eschyle). Un dégoût se lève qui dit à l’amour satisfait que le plus grand crime envers les hommes c’est, non de leur prendre, mais bien de leur conférer le jour. Et l’adolescent gonflé de sève, l’époux à son midi, le vieillard que blêmit déjà le crépuscule abominent et provoquent tour à tour cette minute d’épilepsie où « Marc-Aurèle est égal à son palefrenier, Zénobie à sa fille de ferme, » avec des transes voluptueuses. Il aliène son vouloir, son orgueil, sa personnalité au bénéfice de l’énergie obscure, de l’instinct omnipotent qui l’asservit.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Laurent Tailhade (1854-1919) était un polémiste et poète français. Engagé dans la franc-maçonnerie, c'est à travers le mouvement des Parnassiens qu'il exprime ses vers libertaires et satiriques, notamment contre le clergé. Son recueil de vers Poésies érotiques a été publié et distribué sous le manteau en 1924.

À PROPOS DE LA COLLECTION

Retrouvez les plus grands noms de la littérature érotique dans notre collection Grands classiques érotiques.
Autrefois poussés à la clandestinité et relégués dans « l'Enfer des bibliothèques », les auteurs de ces œuvres incontournables du genre sont aujourd'hui reconnus mondialement.
Du Marquis de Sade à Alphonse Momas et ses multiples pseudonymes, en passant par le lyrique Alfred de Musset ou la féministe Renée Dunan, les Grands classiques érotiques proposent un catalogue complet et varié qui contentera tant les novices que les connaisseurs.

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Seitenzahl: 95

Veröffentlichungsjahr: 2018

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Le Masochisme

La fête qu’assaisonne et parfume le sangBAUDELAIRE.

En un vers trop connu pour le citer avec élégance, mais qui porte au vif de notre sujet, Lucrèce parle de ce quelque chose d’amer qui sourd en la fontaine délicieuse, nous torturant jusque dans les fleurs :

… Medio e fonte leporum,Surgit amari aliquid quod ipsis in floribus angat

Ce trouble inavoué, ces obscures épines, ce dégoût clandestin du partenaire et de soi-même dans l’acte qui passe, chez la plupart des anthropoïdes, pour le cramoisi de la félicité, dominent sur toutes les manifestations de l’intellect humain : légende, histoire, poésie. L’homme n’accepte point sans révolte secrète le joug que lui impose – dédaignant son éphémère individu – la loi inamovible de l’espèce. Vaguement, le plus borné perçoit la mélancolie éternelle du geste qui perpétue et soumet à la douleur immanente le « troupeau raillé des Dieux » (Eschyle). Un dégoût se lève qui dit à l’amour satisfait que le plus grand crime envers les hommes c’est, non de leur prendre, mais bien de leur conférer le jour. Et l’adolescent gonflé de sève, l’époux à son midi, le vieillard que blêmit déjà le crépuscule abominent et provoquent tour à tour cette minute d’épilepsie où « Marc-Aurèle est égal à son palefrenier, Zénobie à sa fille de ferme, » avec des transes voluptueuses. Il aliène son vouloir, son orgueil, sa personnalité au bénéfice de l’énergie obscure, de l’instinct omnipotent qui l’asservit.

« Eros, maître des hommes et des dieux ! » répétaient avec Euripide les spectateurs d’Athènes. Eros, Himéros, Cupido, personnification mythologique de l’attrait sexuel, de l’inéluctable désir : c’est, d’après la coutume du polythéisme, le nom individualisé, le phénomène organique promu à l’existence divine. Et caro factus est. Rien de moins folâtre que cette incarnation. Les conteurs du Moyen Âge, de la Renaissance et du XVIIIe siècle, les prosateurs grivois nous scandalisent et nous rebutent. La façon joviale dont ils traitent de l’amour offusque les modernes bienséances. Époux bernés, moines paillards, matrones luxurieuses et pécores impudentes, ces propos de cuisine ou d’antichambre nous font tourner le cœur. De Boccace à Voisenon, c’est un déchaînement d’ordures en goguettes, qui, pour des imaginations délicates, recule un peu les bornes du dégoût. Au lieu du tragique adolescent, né de l’Aphrodite marine, portant dans ses yeux farouches la tristesse immuable du ciel et de la mer, le culte polisson de la « gaieté française » taquine et glorifie le « petit dieu malin » galvaudé, cul-nu, parmi les roses de Boucher. L’étreinte des amants paraît aux Gaudissarts, qui rédigent les histoires de femmes, un passe-temps léger congruent à divertir les heures inoccupées. Voilà pourquoi, sans doute, leurs opuscules nous donnent l’impression la plus forte d’inintelligence et de vulgarité.

Caduques et précaires sont les ivresses de la chair. Une rancœur de nausée accompagne, dès qu’il est obéi, le plus tyrannique de nos instincts. Après le duel amoureux, l’homme et la femme se désenlacent avec plus de rancune que de lassitude ; l’antagonisme des sexes imprègne d’amertume latente la joie et l’ardeur bestiale des combattants.

C’est que le plaisir physique est borné par sa durée, par le siège unique des sensations voluptueuses : goût, odorat, toucher. Quand Nature a fait son œuvre, quand l’individu a transmis le principium individuationis (Schopenhauer, Métaphysique de l’amour) qu’il détient pour un moment, son angoisse importe peu à l’indifférente mère. Que le reproducteur, ayant semé les races à venir, tombe dans le néant ! Pourquoi l’homme prétendrait-il à plus de délices ou d’immortalité que les êtres aussi forts et non moins beaux que lui ? Pourquoi donc un destin meilleur que les animaux ses frères qui naissent, provignent et meurent sans plainte, dans une concordance équanime avec le plan de l’Univers ?

Mais l’obstiné « roseau pensant », le maître d’un jour, n’abdique pas ainsi le domaine de ses voluptés. Si le plaisir transitoire ne satisfait point l’énorme concupiscence de bonheur qui le tourmente, il jettera dans le maelström de la luxure les instincts, les préjugés acquis, les fictions de l’honneur et les billevesées de la morale ; puis, s’embarquant sur laMer-des-ténèbres, il y jettera, dans ce maelström, la vie encore elle-même, et le sang de ses veines, et les crispations de ses nerfs, et le pantèlement de ses organes déchirés.

Pour marquer à son empreinte les froides mamelles de l’implacable Isis, il lui mordra le sein. Il greffera sur la délectation animale tout ce qu’il pourra imaginer de crimes, de vice ou de douleur. Il aimera des monstres, et, devenu monstre à son tour, il goûtera dans la mort les suprêmes délires que la vie est impuissante à fomenter. Car, si le plaisir physique a des bornes, la douleur, au contraire, est sans limites : c’est afin d’agrandir et de magnifier les extases charnelles que l’homme implore la douleur et demande à ses tenailles un spasme inattendu. Il n’est pas un seul point du corps humain qui ne puisse devenir le centre d’une torture sans limite. Une poussière dans l’œil, une tare imperceptible dans le plus menu des os, et le supplice rayonne, s’agrandit, enveloppe d’effluves térébrants la victime tout entière.

Au surplus, la cloison n’est guère étanche. Où débute la morsure ? Où finit le baiser ? À quel point exact de la sensation commence la géhenne ? À quel point cesse la volupté ? Râle d’agonie ou râle de jouissance, torture ou pâmoison, la luxure et la mort ont les mêmes épouvantes et les mêmes hoquets.

Ma colère vaut la tienne. Je hurle, je mords, j’ai des sueurs d’agonisant et des aspects de cadavre. Mon gouffre est plus profond ; des marbres ont inspiré d’obscènes amours. On se précipite à des rencontres qui effrayent. On rive des chaînes que l’on maudit1.

Baudelaire atteste que :

L’amoureux, pantelant, incliné sur sa belle,À l’air d’un moribond caressant son tombeau.

Il dit encore 

Les glaives sont brisés, comme notre jeunesseMa chère ! mais les dents, les ongles acérésVengent bientôt l’épée et la dague traîtresse.O fureur des cœurs mûrs par l’amour ulcérés !

Et ailleurs :

Je te hais autant que je t’aime :… Aussi je voudrais, une nuit,Quand l’heure des voluptés sonne,Vers les trésors de ta personne,Comme un lâche, ramper sans bruit

Pour châtier ta chair joyeuse,Pour punir ton corps pardonnéEt faire à ton flanc étonnéUne blessure large et creuse,

Et, vertigineuse douceur,À travers ces lèvres nouvelles,Plus éclatantes et plus belles,T’infuser mon venin, ma sœur !

Algernon-Charles Swinburne tient, dans Anactoria, un langage pareil. Au surplus, et ne voulant pas qu’on en ignore, l’ami de Swinburne, M. Powel (cf. Guy de Maupassant, Notice, Albert Savine, édit., 1891), propriétaire d’un petit chalet à Étretat, l’avait baptisé « Chaumière Dolmancé ». Dolmancé, le misogyne inverti et luxurieux, mène la bacchanale et sert de protagoniste à La Philosophie dans le boudoir.

Je voudrais que mon amour pût te tuer ; je suis rassasie de te voir vivre et je voudrais bien t’avoir morte. Je voudrais trouver de douloureuses façons de te tuer, des inventions intenses et des superflus de douleurs ; te torturer d’une agonie amoureuse et secouer la vie sur tes lèvres et la laisser là pour te peiner ; étreindre ton âme avec des battements trop doux pour te tuer, d’intolérables répits et un mal infini ; rechute et répugnance de ton souffle, tons muets et demi-tons tressaillant de la douleur…

Ah ! que mes lèvres fussent tes lèvres muettes, mais pressées sur la fleur meurtrie de ta blanche poitrine flagellée. Ah ! que ma bouche fût nourrie, au lieu du lait des Muses, du doux sang que tes suaves petites blessures ont saigné ! qu’avec ma langue je les pusse sentir, et goûter es faibles gouttes de ton sein jusqu’à ta ceinture ! que je pusse boire tes veines comme du vin et manger tes seins comme du miel…

Ne te blesserais-je pas parfaitement ? Ne toucherais-je pas les pores de tes sens avec la torture, et ne voudrais-je pas brillants tes yeux des larmes sanglantes et d’une lumière blessante, et ne tirerais-je pas un spasme d’un spasme comme une note est tirée d’une note ; ne saisirais-je pas la musique cachée du sanglot dans ta gorge ; ne prendrais-je pas tes membres en vie et n’y moulerais-je pas nouveau une lyre aux agonies impeccables et diverses ? Ne te nourrirais-je pas de fièvre et de faim, et de subtile sécheresse ; ne tordrais-je pas ta bouche parfaite de spasmes parfaits ; ne ferais-je pas tenailler ta vie en toi et brûler encore, et ne hisserais-je pas ton esprit à travers ta chair ? Cruelle ! mais l’amour rend bus ceux qu’il aime bien aussi sages que le ciel et plus cruels que l’enfer.

(Traduction GABRIEL MOUREY.)

Henrick von Kleist, cité par von Krafft-Ebing (Psychopathia sexualis, p. 121), se complaît à décrire dans sa Penthésilée un cas analogue de cannibalisme luxurieux :

En lui arrachant son armure, elle enfonce ses dents dans la poitrine blanche du héros (Achille), ainsi que ses chiens ‘qui veulent surpasser leur maîtresse.

(Cf. Barbey d’Aurevilly, La Vengeance d’une femme, la duchesse de Turrecremata disputant aux chiens le cœur de son amant, dans une de ces grotesques historiettes dont le ridicule auteur des Diaboliques était coutumier.)

Les dents d’Oxus et de Sphinx pénètrent à droite et à gauche. Quand je suis arrivé, elle avait la bouche et les mains ruisselantes de sang. Plus loin, quand Penthésilée est dégrisée, elle s’écrie : « Est-ce que je l’ai baisé à mort ? Non, je ne l’ai pas baisé ? L’ai-je mis en morceaux ? Alors, c’est un leurre. Baisers et morsures sont la même chose et celui qui aime de tout son cœur peut les confondre. »

De même Autonoé reconnaît, au dénouement des Bacchantes, le chef sanglant de Penthée à la place du lionceau qu’elle croit avoir intercis.

Cette corrélation intime de la douleur et des caravanes sexuelles que, même les couples fortunés, dans leurs nuits souriantes, perçoivent au plus caché de leurs entrailles parmi ces « idoles de caverne » qui hurlent aux tréfonds du « moi », cette union de la souffrance et du libido vénérien sert de point de départ à la cruauté mystérieuse qui, pour ses adeptes, entérine et condimente le vulgaire déduit. Le sens de la beauté, en dehors de l’attrait spécifique et du vouloir (conscient ou non) de perpétuer le genus homo, a créé le saphisme et l’amour grec. Le goût paradoxal des tortures engendra ces deux formes de la cruauté passionnelle ou, pour employer un vocable teuton et suffisamment pédantesque de « l’Algolagnie2 » : le sadisme et le masochisme, le besoin de subir ou d’infliger des tourments.

Ce fut un homme docte qu’Henri Meibom, fils de Jean qui latinisa son nom en Meibomius et, nourri des sucs de la plus bombinante rhétorique, dédia respectueusement au clarissime évêque de Lubeçk, Christian Cassius, une oraison ou, pour mieux dire, un traité plein d’élégance et de pompe cicéronienne : L’Usage du fouet dans la chose de Vénus. En tête de l’opuscule, une épître de Thomas Bartold, autre savantasse qui aurait pu endosser le lyripipion de Jeanotus, pleine de louanges emphatiques où sont, d’après le bon usage, recordés les pères de l’Eglise et les auteurs profanes, les théologiens et les maîtres mires, et les poètes et les souffleurs d’athanors : Platon, Avicenne, Tertullien, Catulle, Juvénal, Prudence, Jérôme Cardan, Oribase et quelques autres, le tout, afin de démontrer l’influence apéritive de la flagellation dans le congrès d’amour et de conseiller les étrivières aux personnes immodestes qui ne craignent pas d’aiguiser d’un peu de cruauté le véhément de leurs plaisirs. Un distique latin à la manière de Naso engage ces prolégomènes et dispense de lire plus avant. C’est la philosophie intégrale de Meibom, touchant la bastonnade :

Delicias pariunt Veneri crudetia fiagra :Dum nocet, illa juvat, dam juval ecce nocet.

Depuis trois siècles et demi, l’opuscule de Meibomius est en possession d’alimenter les recueils d’anas. Il a servi de type ne varietur