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Depuis son invention, le téléphone n’a jamais été en odeur de sainteté auprès des psychanalystes.
Il a cependant connu moult développements, particulièrement depuis les années 2000 et singulièrement en termes de modicité des coûts des appels d’où que l’on soit vers n’importe où.
Et puis, surtout, il y a eu la Covid-19 qui bouleversa les règles du jeu de la présence devenue impossible en raison d’un strict confinement. C’était en 2020 et les trois cliniciennes qui se sont retrouvées pour écrire un livre sur la clinique téléphonique en avaient déjà une longue expérience.
D’une mise à l’index unanime, le téléphone serait-il en passe d’être canonisé ? Sans doute non, tant la présence des corps est un rudiment de la clinique psychanalytique ; toutefois, un travail clinique sérieux se fait par téléphone. Ce livre en est un témoignage. Il propose un éclairage du maniement des techniques, du transfert et de la souplesse du cadre que requiert l’utilisation du téléphone en psychanalyse et en psychothérapie.
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Seitenzahl: 161
Veröffentlichungsjahr: 2024
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Édith de Amorim Magali Meslem Sophie Vitteaut
Le téléphone. Quelle clinique ? Quelle technique ?
Édith de Amorim Psychanalyste
Magali Meslem Psychothérapeute
Sophie Vitteaut Psychothérapeute
Nous remercions Monsieur Fernando de Amorim pour la richesse de son enseignement, ses indications précieuseset son invitation à une clinique vivante, stimulante et joyeuse.
Nous remercions nos collègues psychothérapeutes et membres cliniciens du Réseau pour la Psychanalyse à l’Hôpital : Chloé Blachère, Marine Bontemps, Élodie Chopard, Nazyk Faugeras, Sabrina Merabet, Erwann Gouadon, ainsi que Sara Dangréaux et Julien Faugeras, psychanalystes, pour la finesse de leurs témoignages cliniques.
Nous remercions également chaleureusement Fairouz Nemraoui et Nazyk Faugeras pour leur travail de relecture.
Clinique téléphonique ? Est-ce bien sérieux ? N’est-ce pas là plutôt le signe d’une intelligence avec la facilité, cette brèche que la Covid-19 a ouverte dans l’organisation générale du travail ? Avant cette pandémie, il y avait des facétieux qui proposèrent des cures via l’internet, mais, à cette époque, l’écrasante majorité des « psys » veillait au bon grain de la praxis : pas de distance, ni de distanciel, rien d’autre que la bienséante neutralité du « psy ». L’in absentia ne seyait pas à la pratique qui ne pouvait qu’être syntagmatique, autrement dit : in praesentia. Hors de la présence des corps, le discours tournerait court, car le téléphone lie la séance thérapeutique à l’axe paradigmatique modifiant le rapport entre patient et thérapeute favorisant donc opposition et substituabilité. Ce qui est antinomique avec la séance psychanalytique originale. Le téléphone était – est – une technique transformant radicalement le format de la cure-type.
Cela s’entend et pèse dans cette pratique nouvelle que nous qualifions de « téléphonique » : l’enjeu étant – et plus encore au téléphone – de ne pas laisser la part belle à l’Imaginaire, à l’interprétation égotique du psychothérapeute. Mais aux dessalés, la clinique trouve toujours à s’exprimer que ce soit en présence, au téléphone, à 2.000 mètres d’altitude, peu importe : les pensées parlent, les paroles se font lourdes, pleines, fécondes et les nœuds se dénouent.
Notre démarche est commune à toutes trois et propre toutefois à chacune d’entre nous. Déjà, avant mars 2020, nous étions rompues à cette singulière modernité que les évolutions technologiques du téléphone nous offraient et, en premier lieu, la quasi-gratuité de l’appel lui-même lorsqu’on passait par des services téléphoniques sur l’internet. Il nous a fallu nous adapter aux décalages horaires, car aucun continent n’échappa à nos possibilités d’écoutes thérapeutiques. C’est ainsi qu’au moment inouï du confinement nous étions en mesure d’offrir d’écouter patients et psychanalysants via cet outil. La plupart d’entre eux s’emparèrent de l’offre, seul un petit nombre la déclina, c’est ainsi que nous passâmes les deux mois et demi de réclusion à travailler quandmême.
Au sortir de la période qui s’étendit encore un peu sous des formes de plus en plus assouplies, nous nous retrouvâmes avec ce désir tout entier contenu dans cette question : où en est notre clinique ? Ce livre se veut le contenu de nos réponses à cette question. Nous ne voulons pas cacher que pour nous trois le téléphone fait partie intégrante de notre pratique quoiqu’on ait pu en penser ou en dire. Nécessité fait loi. Pour nous, la nécessité de s’emparer de cet outil n’a pas attendu l’intervention inopinée d’un virus, mais plus simplement le désir des uns et des autres qui – du moins à l’origine – venaient nous rencontrer dans nos cabinets et qui se sont retrouvés à des milliers de kilomètres de là et proposant eux-mêmes de poursuivre avec nous par internet interposé. Notre désir à toutes les trois a été de les accompagner dans leurs désirs de poursuivre, de continuer à nourrir ce transfert avec la voix pour seul support.
Notre désir commun est de faire part de nos aménagements dans la pratique pour éviter les chausse-trapes de la demande et aussi attester de l’efficace de la démarche. Toutes trois pensons que le progrès ne pourra jamais être une entrave à la psychanalyse à condition de s’en saisir avec la prudence qui sied à toutes nouveautés.
Bonne lecture.
Graham Bell dès 1876 réalise son rêve de transmettre la voix, juste elle. Le téléphone dès avant la Première Guerre mondiale connaît son plein essor grâce à des physiciens qui ont réglé le problème de la distance en créant l’affaiblissement du signal ; des bobines et des lignes souterraines et la voix se transporte d’un pays à un autre.
Ensuite, tout le monde connaît la bakélite noire et puis la couleur fit son apparition et puis adieu le téléphone à cadran mobile, il est à touches, il est sans fil, il est partout avec nous et transmet de nos jours pas que desvoix.
Sigmund Freud n’aimait pas particulièrement la nouvelle invention ; Jacques Lacan laissait son téléphone par terre et en faisait un usage résolument moderne en bousculant les règles élémentaires du bon usage en appelant, par exemple, les psychanalysants à 5 h du matin.
Durant ce XXe siècle, le téléphone n’eut guère bonne presse auprès des psychanalystes, même lorsque les moyens de communication – dans les années 90 – mutèrent et permirent de transmettre les voix à moindre coût notamment via l’internet. Car pour la majeure partie des psychanalystes des écoles de tout bord, la cure ne peut se faire qu’in preasentia ; Denis Vasse à l’automne 1977 avertit quant à son usage, quitte à s’aider de la prosopopée : « Le téléphone ne tient pas compte des limites : ni de celles de l’espace, ni de celles du temps, ni de celles du corps par conséquent. » ; c’est bien de l’usage qu’en fait l’être parlant et animé d’un désir qui est ici épinglé. Il intervenait pour SOS Amitiés.
On connaît les limites que rencontrent les associations qui mettent en place un service d’écoute sept jours sur sept : l’ouvrage de Julie Gonzalez et Aurélie Capobianco « La clinique au bout du fil »1 nous décrit les impasses de ces aides psychologiques au téléphone en s’appuyant sur leurs expériences en tant qu’écoutantes.
Mais il n’en demeure pas moins que ce moyen, qui n’a de cesse d’évoluer, de se transformer, de se démocratiser, offre de plus en plus d’opportunités d’écouter la personne en souffrance qui, pour de nombreuses raisons pratiques (éloignement, infirmités...), demande à commencer ou à poursuivre la cure par le biais du téléphone.
L’épidémie de Covid-19 qui, au début de mars 2020, imposa un confinement sévère d’un peu plus de deux mois et demi eut raison des réticences des psychanalystes. Les cures se poursuivirent et se firent bel et bien au téléphone durant cette période. Ce fut heureux qu’un tel moyen existât, empêchant qu’un lien de plus ne fût rompu à cette période.
Depuis, plus ou moins immunisés contre ce nouveau virus, les allées et venues reprirent et le téléphone reste toujours ce moyen d’écouter la souffrance et d’opérer cliniquement avec ce voile que l’épidémie leva sur le fait que le confinement ne fut pas qu’un emprisonnement, mais bien une délivrance : il est des êtres qui préfèrent rester en retrait, in absentia, charge au clinicien de les faire revenir jusqu’à son cabinet.
Le dispositif du SÉTU ?, Service d’Écoute Téléphonique d’Urgence, a été mis en place il y a une vingtaine d’années. Il est mené depuis par des psychothérapeutes et psychanalystes qui assurent des permanences téléphoniques 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. Il répond aux appels d’urgence de personnes dans le plus grand dénuement et jette tout de suite le clinicien dans le bain d’une clinique bouillonnante, crue, brutale, vive et à vif ! La proposition qui est faite, dès le premier appel, est celle de l’apaisement via un rendez-vous préliminaire en psychothérapie par téléphone ou en présence. L’écoute proposée n’est pas celle d’un substitut maternel, mais est l’occasion de tirer l’appel vers le haut, dès les premiers instants d’échanges téléphoniques, en engageant l’être avec sa responsabilité vis-à-vis de sa souffrance.
Évoquer le SÉTU ? nous paraissait essentiel au vu de la question de la clinique téléphonique. Le téléphone est impliqué dans cette affaire. Le SÉTU ? est le médium, après la crise de la Covid-19, qui a engendré le plus de séances via l’outil du téléphone en consultation.
Cette mise en place d’une permanence a été créée pour que la détresse puisse aller au-delà de la simple décharge émotionnelle à un inconnu à l’autre bout du fil, pour qu’elle trouve un autre chemin.
Chaque personne qui appelle ce numéro et dit souffrir, se voit proposer une consultation rapidement. Cela ouvre un débouché, celui de ne pas rester en état d’urgence et d’occuper la position de patient avec, par la suite, la possibilité d’entrer en psychanalyse. Cette responsabilité envers soi-même, envers son appel et son mal-être, est tout de suite interpellée et mise à contribution. Le dispositif porte ses fruits, un apaisement apparaît bientôt en séance, des symptômes se calment, l’angoisse se fait moins aiguë.
Le numéro se trouve sur internet, toute personne, peu importe où elle se trouve, peut appeler. Si elle est loin, la mise en place de séances par téléphone est proposée, le clinicien s’adapte.
Justement, du côté du clinicien de permanence, il est prêt à recevoir des appels à toute heure du jour et de la nuit, parfois plusieurs fois de suite par la même personne sans promesse que cela aboutisse à un rendez-vous. Les insultes ne sont pas rares. D’ailleurs, il est difficile de se repérer et de savoir comment opérer cliniquement pour que cet appel soit constructif. Le SÉTU ?, outre le fait d’être une bouée pour l’appelant, est un formidable outil deformation qui plonge le clinicien dans l’océan de la clinique !
La demande d’écoute revêt une teinte infantile et l’agressivité est rarement loin, en voici quelques exemples : « Nan, mais vous êtes là pour m’écouter et vous voulez que je me déplace ? », « Je croyais que c’était un service téléphonique gratuit pour les urgences et vous voulez que je paye ? », « Vous êtes censés m’écouter là », « C’est mensonger, vous deviez être là pour moi, c’est d’la merde vot’truc ». Le SÉTU ? oriente vers une possible voie de castration. Ça passe, ou ça casse. Parfois, c’est tout simplement remis à plus tard, car quelques appelants ont leurs habitudes, celles de téléphoner régulièrement sans donner suite pour s’engager avec eux-mêmes, leur parole, leur désir et leur castration. Un jour peut-être. La réalité du SÉTU ?, c’est que le chemin d’une psychothérapie est souvent refusé. Peu importe, de temps en temps, ça fonctionne et cela conduit vers une cure qui avance ! Nous ne pouvons travailler qu’avec des êtres dont le désir entre dans la danse, car « le désir s’ébauche dans la marge ou la demande se déchire du besoin »2.
Une ronde s’opère, si le clinicien de permanence ne peut pas recevoir, le réseau avec les collègues s’anime. Qu’il s’agisse du transfert de l’appel à un confrère qui peut recevoir rapidement ou de la prise de rendez-vous avec le clinicien de permanence, ces deux démarches sont constructives, des balises se forment.
En tant que cliniciens, c’est une expérience unique. Bien loin d’autres plateformes d’écoutes téléphoniques, l’engagement n’est pas le même tout comme diffère foncièrement la démarche des personnes qui appellent le SÉTU ? d’avec celles qui appellent pour prendre rendez-vous ; ces dernières savent davantage qu’elles ont à entreprendre par elles-mêmes ; les personnes qui appellent le SÉTU ? sont parfois convaincues d’être, comme des nouveau-nés, privées d’une quelconque autonomie. D’où leur étonnement, voire leur dépit, lorsque le clinicien leur propose de se déplacer jusqu’à leur cabinet.
Tout ce dispositif différencie le SÉTU ? des services d’appels d’urgence habituels où les écoutants se laissent happer par la détresse, parce qu’ils n’ont rien à proposer sauf, justement, d’être le lieu de cette décharge. Cela peut faire effet un instant, mais ça ne trouve jamais à se symboliser ou à s’apaiser durablement, puisque sans structure et sans limites proposées : pas d’horaires, pas d’adresse à un clinicien, pas de mise en place d’un travail sur lequel la personne peut prendre appui pour se sortir de cette position et avancer.
Appel urgent lancé au départ sans véritable adresse dans une visée d’épandage, le SÉTU ? est une bouée à laquelle s’accrocher si le clinicien et la personne en souffrance engagent leur désir de concert.
Avant le surgissement de la Covid-19 en 2020, rares étaient les psychanalystes enclins à proposer des séances téléphoniques à leurs patients et psychanalysants, ou à accéder à la demande de ces derniers de poursuivre leur cure par téléphone. Chez les tenants de la pureté psychanalytique, les séances par téléphone constituaient un bouleversement susceptible de produire son lot de polémiques ou de transformations des techniques.
Les séances par téléphone se limitaient à des circonstances bien précises : la maladie, l’hospitalisation ou un séjour à l’étranger du patient. Mais la plupart du temps, il lui était demandé soit de trouver un autre psychanalyste, soit de faire un tombereau de séances à son retour. Quant à la question de l’angoisse du patient, elle était mise en suspens.
Quelles sont les raisons d’un tel positionnement ?
La question de la présence du patient dans le cadre psychanalytique et des modulations transféro/contre-transférentielles est fréquemment évoquée par les psychanalystes. Comment un dispositif téléphonique peut-il permettre à la subjectivité du patient d’émerger, dans une relation transférentielle ? Dans quelle mesure l’adaptation de certains éléments fondateurs du cadre de la rencontre clinique est-elle envisageable par téléphone ?
L’absence de rencontre des corps sexués des acteurs impliqués limiterait le déploiement libidinal, notamment du fait de l’absence d’étayage sur le visuel3. Selon Lise Haddouk et Sylvain Missonnier, elle introduit un écart comportemental, émotionnel, affectif et fantasmatique entre le champ relationnel présentiel et distanciel. Cependant les psychothérapeutes rodés au dispositif fauteuil/divan ont l’habitude de cette absence d’étayage sur le visuel. Les règles du cadre sont certes bouleversées, l’interlocuteur n’est pas « de chair et d’os » et cette idée que la rencontre des corps ne se fait pas reste prépondérante. La distance corporelle et la séparation des interlocuteurs sont effectives. Mais le cadre de la psychothérapie n’est-il pas aussi d’établir une séparation, une limite entre soi et l’autre ? Pour François Richard et Delphine Miermont-Schilton, les séances par téléphone sont susceptibles de provoquer « un trauma, à la fois par dénutrition sensorielle et par séduction afférente à la perturbation des règles habituelles »4. Mais pour eux l’important n’est pas la privation de tel ou tel canal sensoriel et de la distorsion corollaire entre perception et représentation. Ce sont les effets que cette rencontre produit in situ, telle l’émergence d’affects et d’associations de pensées qui ne peuvent exister autrement, du fait de l’absence de rencontre entre les deux protagonistes de la cure. Le risque d’une dés-implication réciproque est soulevé, mais également l’irruption « de phénomènes d’allure transgressive, favorisés par la distorsion du cadre, mais au fond révélateurs de fonctionnements psychiques habituellement clivés »5. Une désinhibition peut survenir, ainsi ce patient dit qu’il parle au téléphone allongé dans sa chambre sur le lit où, à d’autres moments, il a des relations sexuelles. Une autre patiente fait une séance en boîte de nuit6. Les auteurs mettent aussi en avant, des difficultés du côté des cliniciens, la question « d’une fatigue à écouter au téléphone » surgit, voire des malentendus qui créent des difficultés d’associativité, de plasticité dans la pensée. Au téléphone, la rencontre se soutient de la voix et de l’audition. « L’écoute de la seule parole réduit drastiquement l’ensemble sensoriel au profit d’une perception accrue du rythme, du souffle, des hésitations et trébuchements de la voix, des semi-lapsus et répétitions de mots »7.
Pour Luis Solano, l’inconscient ne se réalise que dans un dispositif où la présence du psychanalyste est le support essentiel. Il met en relief la tendance à la jouissance de la société contemporaine que l’utilisation du téléphone ou d’internet viendrait alimenter. Il souligne le risque à éluder la confrontation des corps en présence, de celui qui ne se donne pas la peine de se déplacer. « La parole dans l’analyse, sans le corps, sans la confrontation des corps, ça ne vaut rien. C’est seulement la confrontation des corps qui permet à la parole de risquer une quantité de jouissance. C’est que le sujet ne veut jamais rien perdre », dit-il en 2005. Il ajoute que la demande d’analyse par internet, donc par écrit, « est une sorte de transformation, justement, une sorte de maîtrise de cette jouissance… C’est une autre façon d’échapper à la castration »8.
La question du cadre externe de la cure et du cadre interne du thérapeute est également mise en exergue par certains cliniciens. Ainsi Alain Delourme9 souligne dès 2003que l’aménagement concret de la situation thérapeutique par téléphone a des effets sur le réel, mais aussi une portée symbolique des différents constituants de cette réalité : le lieu d’exercice, la place des protagonistes, la durée des séances, leur fréquence, le coût des séances, le paiement, le décor, le silence ou le bruit, la ponctualité ou non, le fait de répondre ou non au téléphone. Nombre de caractéristiques du cadre externe dépendent du cadre interne du psychothérapeute c’est-à-dire de sa propre organisation psychique, de son mode de vie et de son système de croyances, de sa formation, de ses techniques et méthodes. Delourme donne l’exemple d’un analyste lacanien qui fait toujours patienter longuement les patients selon l’enseignement de ses maîtres afin de créer un écart entre le désir et sa satisfaction. La rigidité ou la souplesse du cadre n’est donc pas un effet de la présence ou non des deux protagonistes au cabinet, mais dépend du cadre interne. Le clinicien n’a pas à chercher à être à disposition du patient ni à être gentil. Le téléphone favorise l’emballement imaginaire tout autant du côté du patient que du clinicien et c’est certainement l’élément fondamental auquel le clinicien doit porter attention. Le cadre psychanalytique doit être une « présence en retrait qui ne soit pas retrait de présence »10, il en va de même au téléphone. La neutralité du psychanalyste, la dissymétrie analyste/patient et la « censure » du psychanalyste11 sont des composantes essentielles de la cure-type qui doivent être conservées. L’important est que les règles fondatrices de la psychanalyse soient maintenues : libre association, non-omission.
Ce dispositif téléphonique a été dit sans corps ou désincarné car tombé hors des paramètres du cadre classique, un dispositif sans lieu, atopique. L’absence de déplacement du corps produit certes, moins d’effet de castration et plus de risque d’un emballement imaginaire. Et face aux jouissances, il en va de la responsabilité du clinicien d’amener la possibilité d’un effet de castration symbolique du côté du patient, de la même façon qu’il le ferait en cabinet avec ses ressources techniques.
En outre, le cadre ne concerne-t-il pas avant tout la parole et les effets du dire ? L’appel téléphonique occupe d’ailleurs une dimension fondamentale de la cure et participe de fait à la naissance du transfert. C’est sur un appel que tout travail commence, il faut appeler le psychanalyste, même s’il arrive aussi qu’un patient veuille prendre un premier rendez-vous par SMS, sans appeler donc. Est-il possible d’engager un travail psychothérapique sans la présence corporelle du patient et notamment sans la touche de cette résistance qui est relative à la mise en place de tout transfert ? Autrement dit : peut-il y avoir transfert dans une cure par téléphone ?
Le travail sous transfert fait la spécificité de la psychanalyse, l’appel implique de travailler dans un champ transférentiel que le clinicien doit faire naître, installer, puis nourrir12. C’est ce transfert qui va permettre la réactualisation des désirs et conflits infantiles dans le cadre de la cure. Effectivement cette voie de communication recèle des pièges cliniques dont le clinicien doit être alerté.
Didier Lauru et Brigitte Cadeac13 qualifient l’écoute dans la relation téléphonique de ponctuelle et