Les élections présidentielles en France depuis 1848 - Jean-Louis Rizzo - E-Book

Les élections présidentielles en France depuis 1848 E-Book

Jean-Louis Rizzo

0,0

Beschreibung

Zoom sur 170 ans de course à la présidence !

Entre 1848 et 2017, la France a connu vingt-quatre présidents de la République et vingt-neuf élections présidentielles.
L’élection de 1848 se déroule au suffrage universel masculin, mais l’heureux élu, Louis-Napoléon Bonaparte, tire parti de cette légitimité pour justifier le coup d’État du 2 décembre 1851.
Dès lors, le modèle républicain classique consiste sous les Troisième et Quatrième Républiques à faire élire le chef d’État par les parlementaires et à faire de la présidence une simple fonction arbitrale.
En 1958 et 1962, de Gaulle fait du président la clé de voûte des institutions. Sa désignation au suffrage universel direct renforce l’autorité du chef de l’État.
Les élections se succèdent et le système change peu à peu de nature. Aujourd’hui, il semble évident que le système des primaires qui se généralise modifie une nouvelle fois la physionomie de l’élection présidentielle, en confortant la démocratie d’opinion et l’emprise des sondages.

L’ouvrage de Jean-Louis Rizzo nous invite à réfléchir sur l’évolution de la culture politique en France. Il nous permet aussi de redécouvrir les candidats, les enjeux et les moments forts d’un scrutin présidentiel devenu un rite républicain.

EXTRAIT

Les 23 avril et 7 mai 2017, les Français éliront leur président de la République. Alors que sous les IIIe et IVe Républiques, le chef de l’État était choisi par les parlementaires réunis à Versailles, Charles de Gaulle a souhaité que la magistrature suprême résulte du vote populaire. Suite à la réforme constitutionnelle de 1962 adoptée par référendum, neuf élections présidentielles au suffrage universel ont déjà eu lieu entre 1965 et 2012. Il conviendrait d’ajouter l’élection de 1848, au suffrage universel masculin dans le cadre de la IIe République, pour donner un tableau complet de ces scrutins populaires. En comparaison, 16 élections présidentielles avec comme seul corps électoral un millier de parlementaires ont eu lieu entre 1879 (première élection de Jules Grévy) et 1953 (René Coty élu à la suite d’un scrutin complexe et indécis). Trois cas échappent aux deux modes de scrutin précédents, les élections de Thiers (1871) et Mac Mahon (1873) se déroulant hors du cadre constitutionnel et l’élection de Charles de Gaulle en 1958 résultant d’un mode de scrutin particulier expérimenté une seule fois. Au total, cela nous fait 28 élections présidentielles qui vont être rappelées dans le présent ouvrage.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Professeur agrégé d’histoire, Jean Louis Rizzo a enseigné au lycée de Montargis et à l’Institut d’études politiques de Paris. Il a publié sous son nom deux ouvrages sur Pierre Mendès France, ainsi qu’une biographie d’Alexandre Millerand.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 305

Veröffentlichungsjahr: 2017

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



 

Jean-Louis Rizzo

Les élections présidentielles en France depuis 1848

Préface de Jacques Toubon

Histoire et société

Éditions Glyphe

 

Du même auteur, chez d’autres éditeurs

Alexandre Millerand, socialiste discuté, ministre contesté et Président déchu, l’Harmattan, Paris, 2013

Pierre Mendès France, La découverte, collection Repères, Paris, 1994

Pierre Mendès France et la rénovation en politique, Presses nationales de sciences politiques, Paris, 1993

Chez le même éditeur (extrait)

Rémy Bijaoui. Histoires de l’Inquisition

Serge Doessant.Le Désastre de 1940. De l’Union sacrée à Vichy

Alfred Gilder. 101 citations qui ont fait l’Histoire de France

Anaïs Massiot, Natalie Pigeard-Micault. Marie Curie et la Grande Guerre

Virginie Tournay. S’il te plaît, dessine-moi une institution

Illustrations de couverture de gauche à droite et de haut en bas :

Portrait de Napoléon III, Cabanel Alexandre. Photo © RMN-Grand Palais (domaine de Compiègne) / Thierry Le Mage

Le général de Gaulle lors d’une conférence de presse à l’Élysée, 28 octobre 1966. Photo : Bernard Allemane

Francois Mitterrand au Sommet des pays industrialises à Toronto (Canada). © Alexis Duclos / Gamma-Rapho

Raymond Poincaré, Bouchor Joseph-Félix. Photo © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / Gérard Blot

© Éditions Glyphe. Paris, 201785, avenue Ledru-Rollin. 75012 Paris

www.editions-glyphe.com

ISBN 978-2-35285-100-4

 

Préface

La fonction de président de la République est mise pour la première fois en place par les constituants de 1848. Ces derniers font le choix du suffrage universel direct (alors seulement masculin) pour élire le chef de l’État. Mais l’élu de novembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, s’appuie en partie sur la légitimité populaire pour justifier le coup d’État du 2 décembre 1851 qui conduit au second Empire. Dès lors, pour les républicains des Troisième et Quatrième Républiques, il convient de réserver l’élection du Président aux seuls parlementaires, le système électoral de 1848 servant de repoussoir. Du centre droit au centre gauche, le modèle « plébiscitaire » fait peur. Ainsi, seize élections présidentielles se déroulent à Versailles entre 1879 et 1953, avec leurs rites spécifiques.

Tant que le pouvoir du Président restait limité, le système pouvait perdurer. Mais Charles de Gaulle, dans le droit fil du discours de Bayeux, fait du chef de l’État la clef de voûte des institutions de la Cinquième République. C’est pourquoi, après le mode d’élection transitoire inscrit dans la Constitution de 1958, de Gaulle fait ratifier par référendum en 1962 le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

Très vite, comme le montre Jean-Louis Rizzo, l’élection présidentielle devient le moment décisif de la vie politique : la participation électorale est forte, les carrières se font et se défont, les reclassements s’opèrent. Jusqu’aux années 1980, les partis dits de gouvernement drainent la quasi-totalité des suffrages, alors que l’électeur se trouve confronté à des choix décisifs : le choix du modèle politique (1965 et 1969), l’orientation économique et sociale (1974 et 1981). La bipolarisation semble en marche. Puis, peu à peu, le système change de nature. Les partis de gouvernement se trouvent presque en accord sur les grandes questions (institutions, défense, politique étrangère, Europe et économie libérale), les formations extrémistes et populistes progressent fortement, le paroxysme étant atteint en 2002 avec 30 % des voix pour les extrêmes conjuguées et la présence de Jean-Marie le Pen au second tour.

La médiatisation croissante privilégie la forme sur le contenu. Alors que de Gaulle avait imaginé l’élection présidentielle comme un contrat passé directement entre un homme et le pays, les partis politiques ont repris la main sur le scrutin et le système actuel des primaires ne fait que renouveler.

Il n’est pas certain non plus que le quinquennat ait abouti à la « respiration démocratique » vantée par ses thuriféraires.

Désormais, de présidentielle en législatives, précédées un an avant des primaires présidentielles, le mandat de président de la République semble réduit à quatre ans et étroitement lié au comportement de la majorité parlementaire. Retournement des institutions ?

Néanmoins, les Français restent profondément attachés à l’élection directe d’un président de la République responsable de la définition des grandes orientations de la politique pour cinq années et considéré par eux comme le véritable chef de l’exécutif.

L’historien Jean-Louis Rizzo – spectateur et acteur de notre vie politique – dresse, avec rigueur et lucidité, l’histoire bien française de cette « présidentielle ».

Jacques ToubonDéfenseur des Droits, ancien ministre

 

Introduction

Les 23 avril et 7 mai 2017, les Français éliront leur président de la République. Alors que sous les IIIe et IVe Républiques, le chef de l’État était choisi par les parlementaires réunis à Versailles, Charles de Gaulle a souhaité que la magistrature suprême résulte du vote populaire. Suite à la réforme constitutionnelle de 1962 adoptée par référendum, neuf élections présidentielles au suffrage universel ont déjà eu lieu entre 1965 et 2012. Il conviendrait d’ajouter l’élection de 1848, au suffrage universel masculin dans le cadre de la IIe République, pour donner un tableau complet de ces scrutins populaires. En comparaison, 16 élections présidentielles avec comme seul corps électoral un millier de parlementaires ont eu lieu entre 1879 (première élection de Jules Grévy) et 1953 (René Coty élu à la suite d’un scrutin complexe et indécis). Trois cas échappent aux deux modes de scrutin précédents, les élections de Thiers (1871) et Mac Mahon (1873) se déroulant hors du cadre constitutionnel et l’élection de Charles de Gaulle en 1958 résultant d’un mode de scrutin particulier expérimenté une seule fois. Au total, cela nous fait 28 élections présidentielles qui vont être rappelées dans le présent ouvrage.

En octobre 1962, le général de Gaulle propose par référendum que le prochain président de la République soit élu au suffrage universel direct. Dans leur immense majorité les juristes, comme d’ailleurs le Conseil d’État, condamnent l’usage de l’article 11 (le peuple se trouve directement saisi), l’article 89 (De la Révision) s’imposant. Mais l’article 89 supposait qu’avant le référendum, les deux assemblées se prononçassent à la majorité simple et en termes identiques en faveur du texte gouvernemental. Étant donné la rupture croissante entre Charles de Gaulle et les partis du « système », compte tenu également du poids de la tradition républicaine qui assimilait l’élection directe du chef de l’État à des tentations bonapartistes, le texte n’avait aucune chance de passer le cap de l’Assemblée nationale et du Sénat. De Gaulle a forcé le destin et a triomphé sur tous les tableaux. En premier lieu, le référendum a été gagné contre tous les partis avec 62 % de Oui. Un mois après le référendum du 28 octobre 1962, les Français confortent le pouvoir en place en donnant au chef de l’État une très confortable majorité à l’Assemblée nationale. Dès 1963, une partie de ceux qui avaient appelé à voter Non l’année précédente, entament leur ralliement à la nouvelle procédure, à l’image du socialiste Gaston Defferre. François Mitterrand, en acceptant de concourir au scrutin de 1965, accepte sans le dire ouvertement que le chef de L’État bénéficie de l’onction populaire. Il saura s’en souvenir en 1981. Certes, un Mendès France, un Antoine Pinay ou encore quelques radicaux incompatibles avec la Ve République, restent attachés à l’élection par le Congrès, mais ils apparaissent très vite comme des survivants d’une époque surannée. L’élection au suffrage universel de décembre 1965, la première du genre, car les femmes ne votaient pas en 1848, attire un très important taux de participation. Régulièrement, on découvre au fil des scrutins que les élections présidentielles demeurent, avec les élections municipales, les scrutins les plus prisés par les électeurs. Ces derniers choisissent leur maire responsable de leur vie quotidienne et ils optent pour un Président qui fixe pour sept d’abord, puis cinq ensuite, les lignes directrices pour le gouvernement du pays.

Pour les Français, l’élection présidentielle demeure le scrutin qui structure la vie politique, qui permet les recompositions et les ralliements, qui vaut engagement pour le pays. En 2000, le référendum sur le quinquennat voulu par le Premier ministre socialiste Lionel Jospin, avec la bénédiction du Président Jacques Chirac, est vendu aux Français sur le thème de la « respiration démocratique », à savoir qu’il est plus sain dans une démocratie de choisir les grandes options tous les cinq ans que tous les sept ans. En fait, le souci des dirigeants est de conforter l’élection présidentielle comme scrutin décisif, de renforcer la présidentialisation du régime avec un chef de l’État qui devra agir plus vite, de réduire le risque de cohabitation puisque, par un hasard du calendrier, les élections législatives et présidentielles doivent intervenir la même année en 2002. Pour compléter le nouveau dispositif, Lionel Jospin fait adopter une décision lourde de conséquences. Alors qu’en principe les législatives sont prévues pour mars 2002 et les présidentielles pour avril-mai, une inversion du calendrier est mise en place, tuant définitivement le peu de parlementarisme qui restait dans nos institutions. En élisant un Président au mois de mai, puis une Assemblée nationale en juin, les dirigeants politiques considèrent qu’à un mois d’intervalle, les citoyens confieront une majorité parlementaire au Président en raison de l’état de grâce dont celui-ci bénéficie dans l’opinion. Jusqu’à présent, cela s’est révélé exact : réélection de Jacques Chirac en 2002 et majorité de droite à l’Assemblée, élection de Nicolas Sarkozy en 2007 et nouvelle Assemblée à droite, victoire de François Hollande en 2012, suivie de celle de la gauche lors du scrutin législatif. L’élection présidentielle renforce ainsi son rôle de catalyseur de la vie politique, de seul catalyseur pourrait-on dire.

C’est pourquoi prédomine le sentiment de campagne électorale permanente en ce qui concerne le scrutin présidentiel. En outre, la quasi-généralisation des élections primaires à droite comme à gauche oblige encore à prévoir l’échéance plus tôt car le candidat issu des primaires doit avoir le temps de faire campagne. En vue du scrutin de 2017, c’est Europe – Écologie – Les Verts (EELV) qui débute le cycle des primaires en octobre et novembre 2016. Pour voter, il convient de s’inscrire au préalable et de verser une participation de 5 €. Yannick Jadot s’impose au deuxième tour face à Michèle Rivasi. Les 20 et 27 novembre 2016 se déroule l’élection primaire de la droite et du centre, marqué par l’élimination au premier tour de Nicolas Sarkozy et la victoire au second de François Fillon sur Alain Juppé. Pour participer à cette élection primaire, il suffisait de figurer sur les listes électorales, de signer une déclaration d’­adhésion aux valeurs de la droite et du centre, enfin de verser une contribution de 2 €. Plus de quatre millions d’électeurs ont participé à ce scrutin. Le calendrier des élections primaires se termine les 22 et 29 janvier avec le choix du candidat qui représentera la gauche de gouvernement, sans le Président sortant François Hollande qui a déclaré forfait le 1er décembre. Benoît Hamon, situé à la gauche du PS, triomphe aisément de l’ancien Premier ministre Manuel Valls. Avec des millions de citoyens votant aux primaires, le Président élu au mois de mai 2017 pourra arguer d’une forte légitimité démocratique.

L’accélération du temps politique et notre forte capacité d’oubli rejettent les élections présidentielles précédentes dans un passé qui apparaît très vite lointain. Le présent ouvrage cherche à remettre en perspective tous les scrutins précédents en les inscrivant à la fois dans la continuité historique et dans leur contexte particulier. Ne faut-il pas donner tort à Adolphe d’Houdetot qui écrivait au milieu du xixe siècle :

« La mémoire est une ingrate, quand elle nous apprend un nom, elle nous en fait très vite oublier un autre. »

 

La première élection présidentielle au suffrage universel direct (10-11 décembre 1848)

De 1792à 1804, la Première République ne connaît pas de Président. Les souvenirs funestes laissés par la monarchie absolue poussent les conventionnels à envisager la mise en place d’un exécutif collégial. Ainsi, la Constitution du 24 septembre 1793 prévoit-elle un comité exécutif de 24 membres, comité renouvelable par moitié tous les ans. Puis, la Constitution du 22 août 1795 instaure le régime connu sous le nom de Directoire, car le pouvoir exécutif appartient à cinq directeurs, élus par les 750 membres du corps législatif. La faiblesse de l’exécutif à l’époque du Directoire demeure dans les mémoires. Ballotté par les différents coups d’État, le Directoire finit par s’effondrer au mois de brumaire an VIII (novembre 1799) face à l’épée de Bonaparte. C’est ce dernier qui fait rédiger la troisième Constitution de la Première République, celle de l’an VIII, le 13 décembre 1799. La fiction de l’exécutif collégial est maintenue puisque ce pouvoir relève de trois consuls, même si la réalité du pouvoir appartient au Premier consul (« la décision du Premier Consul suffit » dit le texte). Cinq années plus tard, la République disparaît et Bonaparte devient Napoléon I.

Le 25 février 1848, la révolution parisienne chasse le roi Louis-Philippe et la République revient après un demi-siècle d’éclipse. Une assemblée constituante est élue en avril de la même année. Dès le 17 mai, une commission de 18 membres, désignée par l’assemblée constituante commence à travailler sur le projet de Constitution de la IIe République. Alors que la période révolutionnaire constitue un contre-modèle, la nouvelle démocratie américaine offre un modèle de stabilité et d’équilibre, avec un Président doté de réels pouvoirs, mais pouvoirs tempérés à la fois par le Congrès et par les États de la fédération. Le livre de Tocqueville De la démocratie en Amérique est encore en 1848 une référence pour la connaissance de la société et des mentalités du nouveau monde. C’est Tocqueville, membre des 18, qui fait admettre par ses 17 collègues l’idée d’un mandat de quatre ans et la nécessité d’avoir un Président élu par une majorité absolue résultant d’un collège électoral large. Les débats relatifs au président de la République se déroulent en séance plénière les 5 et 6 octobre. On ne peut les dissocier du contexte politique. En effet, le mois précédent, le prince Louis-Napoléon a été élu député et ses amis ne cachent pas leur intention d’en faire un candidat à la présidence. Certains républicains se montrent hostiles à l’existence d’un Président, a fortiori élu au suffrage universel direct masculin. Le 5 octobre, Félix Pyat, élu dans le Cher, parle de l’élection du chef de l’État au suffrage universel comme d’un « sacre ». Mais nombre de républicains modérés acceptent ce possible sacre électoral. Ils sont d’ailleurs persuadés que l’un des leurs, en l’occurrence le général Cavaignac, chef de l’exécutif en place, qui incarne l’ordre et la stabilité, triomphera lors d’un tel scrutin. Sans être favorable à Cavaignac car il se verrait bien lui-même Président, Lamartine intervient le 6 octobre en faveur d’un Président élu au suffrage universel direct pour donner au peuple « son droit tout entier ». Comment dessaisir le peuple du droit de vote après lui avoir accordé le suffrage universel au mois de février ? Lamartine pense encore que le peuple est incorruptible, qu’il saura faire le bon choix en écartant les candidats monarchistes et plébiscitaires car « la République a rallié tous les cœurs ». Les interventions de Tocqueville le 5 octobre et de Lamartine le 6 sont décisives pour l’adoption des articles relatifs à la fonction présidentielle. C’est par 643 voix contre 148 que les députés valident l’élection directe par le peuple du président de la République.

La Constitution du 4 novembre 1848 traite du pouvoir exécutif de l’article 43 à l’article 70. Cela constitue le titre V de la Constitution, alors que le pouvoir législatif, jugé prééminent, en forme le titre IV. En 1848, les constituants ont souhaité tenir compte des opinions hostiles à l’élection directe par le peuple. Si au premier tour, aucun candidat n’obtient la majorité absolue et avec au moins deux millions de suffrages, le deuxième tour se déroulera à l’Assemblée où les parlementaires devront choisir entre les cinq candidats placés en tête par le suffrage universel. En tant que chef de l’exécutif, le président de la République nomme et révoque les ministres qui ne sont pas responsables devant les députés. C’est encore la séparation des pouvoirs calquée sur la Constitution des États-Unis. Il nomme à tous les hauts emplois de l’État, il négocie et ratifie les traités et dispose de la force armée. Par rapport aux lois, il peut faire présenter un projet par un ministre, ne dispose pas de droit de veto, mais peut exiger une deuxième délibération, avant de promulguer et de faire exécuter lesdites lois. Ce président de la République est loin d’être tout-puissant. La durée du mandat n’est que de quatre années et surtout il n’est pas immédiatement renouvelable. Il dispose bien de la force armée, mais il ne peut la commander en personne. Il ne peut déclarer la guerre sans l’assentiment de l’Assemblée. Il nomme bien les ministres, mais leurs attributions sont fixées par le pouvoir législatif. Il négocie et ratifie les traités, mais l’approbation des textes par l’Assemblée nationale est obligatoire. En outre, le Président doit, une fois par an, adresser un message aux députés pour exposer l’état général des affaires de la République. En ajoutant le serment de fidélité à la République que le Président doit prêter dans l’enceinte de l’Assemblée, il n’est pas faux d’évoquer en 1848 un pouvoir exécutif subordonné au législatif. On notera enfin que le texte constitutionnel institue un vice-président de la République qui supplée le chef de l’État en cas d’empêchement. Ce vice-Président n’émane pas du suffrage universel. Il est désigné par l’Assemblée­ nationale sur une liste de trois noms transmise par le président de la République.

La Constitution est définitivement adoptée le 4 novembre 1848 et l’élection présidentielle est fixée aux 10 et 11 décembre. Mais la campagne électorale avait déjà commencé car les principaux candidats s’étaient fait connaître. Le général Cavaignac, chef du ­gouvernement en exercice, entend disposer de quatre années de stabilité pour poursuivre le rétablissement de l’ordre. Les républicains modérés se regroupent derrière sa candidature, à l’exception de Lamartine qui entend tenter sa chance. À gauche, il n’est pas question de soutenir Cavaignac, le « fusilleur » du peuple au mois de juin. Ledru-Rollin, souvent présenté comme l’ancêtre du courant radical-socialiste en France, annonce sa candidature au nom du courant démocrate et socialiste. Mais les socialistes révolutionnaires préfèrent se tourner vers Raspail. Enfin et surtout, c’est le 26 octobre que le prince Louis-Napoléon officialise une candidature qui depuis quelques semaines était un secret de polichinelle. Âgé de 40 ans à peine, il incarne le courant bonapartiste et plébiscitaire. Mais le résultat de l’élection présidentielle dépend aussi du choix des royalistes, légitimistes ou orléanistes. Certains, à l’image du comte Molé, sont tentés par Cavaignac au nom de l’ordre qui règne dans le pays après la tourmente révolutionnaire du printemps. D’autres se désintéressent de l’élection car c’est un roi qu’ils veulent le plus vite possible. En tout état de cause, tout sépare les monarchistes du prince Louis-Napoléon. Ce dernier incarne pour les royalistes une dynastie usurpatrice et des choix politiques dangereux. Mais aucun candidat monarchiste ne peut l’emporter le 10 décembre 1848, neuf mois à peine après la révolution qui a chassé le dernier monarque. Thiers, ancien chef du gouvernement de Louis Philippe, sait qu’il n’a aucune chance de se faire élire. Il plaide donc pour un soutien à la candidature de Louis-Napoléon, cet apparent médiocre dont les premières interventions à la Chambre n’ont pas marqué les esprits et qui apparaît comme le « crétin qu’on mènera ». Le chef royaliste mesure aussi la popularité montante de Louis-Napoléon dans le pays. Mieux vaut faire élire ce candidat par le peuple au premier tour ; il gardera la place au chaud pour le futur roi pendant quatre années, le temps que la faveur du peuple revienne vers la monarchie.

Il n’y a pas eu en 1848 de campagne électorale au sens où on l’entend de nos jours. Les candidats ne se déplacent pas en province et ils se montrent à peine dans la capitale. Pour ceux qui savent lire, la campagne se déroule par journaux interposés. Des lectures publiques de journaux sont également organisées, mais elles sont plus faciles à mettre en place dans les régions à habitat groupé. À part les journaux, c’est le poids des notables, des fonctionnaires et du clergé qui va être déterminant. Les maires organisent des réunions publiques en faveur de tel ou tel candidat. Les évêques et curés font également part de leur préférence. Louis-Napoléon n’a pas besoin de conduire une campagne électorale car tout se présente au mieux. Il se repose entièrement sur son comité électoral qui se réunit trois fois par semaine et qui cherche à gagner le maximum de journaux à la cause du candidat. Les paysans, majoritaires dans la France du milieu du xixe siècle, ont eu peur de la République au mois de juin et ils gardent un bon souvenir de leur prospérité au temps du Premier Empire. Les soutiens du prince Louis-Napoléon peuvent rappeler aux ouvriers que Louis-Napoléon n’est pas Cavaignac : alors que ce dernier a fait tirer sur eux au mois de juin, le premier a écrit en 1844 un petit opuscule De l’extinction du paupérisme dans lequel il manifeste sa volonté d’« initier les masses à tous les bienfaits de la civilisation » et où il clame : « La classe ouvrière ne possède rien. Il faut la rendre propriétaire. » Les journaux royalistes, à l’exception d’un petit nombre qui ne choisit pas, se rallient à la candidature de Louis-Napoléon. Le clergé oublie les espérances de février et joue un rôle majeur dans le soutien au prince impérial. Louis-Napoléon ne se hâte donc pas et il ne présente son programme que le 27 novembre, treize jours avant l’élection. Au parti de l’Ordre groupé derrière Thiers, le prince garantit la paix, l’assure de son opposition aux théories subversives (le socialisme), comme de sa volonté de défendre la propriété et les grandes libertés telles celles de l’enseignement et du culte. Aux plus modestes, le candidat bonapartiste promet la mise en place de réformes sociales autour de l’amélioration des conditions de travail et du renforcement des institutions de prévoyance. À tous, il affirme sa volonté de respecter les institutions et de ne pas chercher à rétablir l’Empire. Son seul nom suffit à raviver la légende napoléonienne qui avait retrouvé une deuxième jeunesse au moment du retour des cendres en 1840. Pendant ce temps, le général Cavaignac, qui dispose pourtant du soutien d’autant de journaux que son adversaire, constate que sa candidature ne prend pas dans le pays. Il apparaît comme le candidat du système, un système que l’électorat commence à rejeter compte tenu de l’instabilité de l’année 1848.

Les résultats du scrutin des 10 et 11 décembre sont sans appel. Trois quarts des électeurs inscrits se sont déplacés, ce qui apparaît fort honorable malgré un recul par rapport aux élections d’avril pour la Constituante. Sur 7 426 252 suffrages exprimés en métropole, Louis-Napoléon en obtient 5 534 520, soit près de 74,5 %. C’est un triomphe. Cavaignac avec ses 1 448 302 voix n’arrive même pas à 20 %. Ledru-Rollin parvient à atteindre les 5 % avec ses 371 431 suffrages. Les autres candidats obtiennent tous moins de 1 %. Il n’y aura donc pas besoin d’un second tour opéré par les parlementaires. La France a voté bonapartiste, malgré des poches relatives de résistance en Bretagne, dans les villes du Nord, dans le sud-est et dans le nord-est. Le nouveau Président n’atteint pas les 50 % des exprimés uniquement dans six départements. De manière générale, c’est dans les villes que les résultats du candidat bonapartiste apparaissent les plus faibles. À Marseille (14,7 %) et à Lille (25 %), il est même dépassé par le candidat Ledru-Rollin. Les 58 % obtenus à Paris sont loin d’être négligeables, compte tenu de la tradition révolutionnaire de la capitale, mais ce résultat se situe bien en deçà de la moyenne nationale. C’est la France rurale, majoritaire en nombre, qui plébiscite Louis-Napoléon. La paysannerie lui accorde sans retenue sa confiance. Les résultats dans les départements les plus ruraux vont jusqu’à dépasser les 80 % dans 40 d’entre eux. De nombreux électeurs n’ont pas suivi les consignes des notables ou des journaux locaux qui les mettaient en garde contre le risque d’un vote en faveur de Louis-Napoléon. À J Tudesq évoque « l’irruption du vote paysan dans la vie politique française », alors que Karl Marx parle de « l’insurrection des paysans ». Le suffrage universel a secoué la France des notables. Ce phénomène se reproduira en 1962 lors du référendum relatif à l’élection du président de la République au suffrage universel direct.

Le 20 décembre, Louis-Napoléon est officiellement proclamé président de la République par l’Assemblée­ Constituante et il prend ses fonctions après avoir juré fidélité à la République. Il lui reste à proposer le nom d’un vice-Président aux pouvoirs très limités. Conformément à la Constitution, il dresse une liste de trois noms en tête de laquelle il place son candidat préféré, Henri Boulay de la Meurthe, député des Vosges, qui avait beaucoup œuvré pour faire abolir la loi d’exil concernant les Bonaparte. Les députés ne s’opposent pas au désir du chef de l’État et ils élisent le 20 janvier 1849 Boulay de la Meurthe comme le premier et le seul vice-Président qu’ait connu la République en France. Les conservateurs monarchistes, alliés de circonstance du prince-Président, remportent les élections législatives du 13 mai 1849. La difficile cohabitation entre un Président bonapartiste et une chambre monarchiste n’est pas de bon augure pour l’avenir de la République. Louis-Napoléon tranche le conflit entre les deux pouvoirs par le coup d’État du 2 décembre 1851, puis par la proclamation de l’Empire l’année suivante. Ces événements sont lourds de conséquences pour l’histoire de l’élection présidentielle en France. Les républicains vont considérer pendant plus d’un siècle qu’élire le chef de l’État au suffrage universel constitue un danger parce qu’un ambitieux ou un aventurier pourra toujours se faire élire et se targuer de la légitimité populaire pour gouverner à sa guise et même violer les règles de droit. Le référendum gaulliste de 1962 mettra douloureusement fin à cette conception républicaine.

 

Le Président élu par le parlement

De la chute du Second Empire (1870) à l’avènement de la Ve République (1958), les présidents des IIIe et IVe Républiques ont été désignés par moins de 1 000 électeurs, en l’occurrence les parlementaires, députés et sénateurs sous la Troisième, députés et conseillers de la République sous la IVe République. La dernière élection de ce type se déroule en 1953. Il faut six jours et 13 tours de scrutin pour élire René Coty. La France renforce sur le plan institutionnel son caractère d’« homme malade de l’Europe » et de Gaulle aura beau jeu quelques années plus tard de proposer aux Français de renoncer à un tel mode de désignation. Mais cet événement ne doit pas faire oublier que toutes les autres élections, quinze au total en dehors de Thiers et Mac Mahon qui restent juridiquement des cas particuliers, n’ont eu besoin que d’un ou de deux tours. Les failles du système ne sont pas vraiment à chercher du côté de la durée de l’élection, mais davantage dans le choix des hommes ou dans la nature du pouvoir présidentiel.

Thiers et Mac Mahon ont été désignés par une assemblée unique, à savoir l’Assemblée nationale élue en février 1871 sur les décombres de l’Empire et de la défaite contre la Prusse. Le 17 février 1871, Thiers est élu par acclamation « chef du pouvoir exécutif de la République française ». Le terme de président n’est pas employé à dessein, mais Thiers, de plus en plus convaincu du caractère inévitable de la République, souhaite obtenir ce titre. Le décret du 31 août 1871 qui traduit la loi Rivet du 12 août lui donne satisfaction. Le texte précise que « le chef du pouvoir exécutif prend le titre de président de la République ». Thiers reste néanmoins responsable devant l’Assemblée nationale et il est donc révocable à tout moment. C’est d’ailleurs ce qui se passe le 24 mai 1873. Comme rien n’a encore été prévu pour rétablir un roi, la majorité conservatrice décide de prolonger le système précédent avec un autre homme à sa tête. Le maréchal Patrice de Mac Mahon, vieux soldat partisan d’une restauration monarchique, est élu avec le titre de président de la République par 390 voix sur 392 votants, les républicains ne participant pas au vote. En théorie, il n’est là que pour quelques mois, le temps de préparer la restauration monarchique. Comme les monarchistes demeurent divisés, la loi du 20 novembre 1873 confère à Mac Mahon un mandat de sept ans, laissant ainsi le temps aux royalistes de se mettre d’accord entre eux. En fait, c’est la République qui l’emporte, ce qui aboutit au vote des trois lois constitutionnelles de 1875 qui fondent la IIIe République. Ces lois restent le fruit d’un compromis. Les orléanistes ont accepté le régime parlementaire à condition que le chef de l’État dispose de pouvoirs importants. Le président de la République partage l’initiative des lois avec les parlementaires, dispose de la force armée, nomme à tous les emplois civils et militaires, peut dissoudre la Chambre des députés (avec avis conforme du Sénat néanmoins), peut aussi convoquer et ajourner les Chambres, a le droit de demander une nouvelle délibération d’une loi, peut proposer une modification constitutionnelle, négocie et ratifie les traités enfin. L’article 2 de la loi constitutionnelle du 25 février 1875 reconduit le célèbre amendement Wallon du 30 janvier :

« Le président de la République est élu à la majorité absolue des suffrages par le Sénat et la Chambre des députés réunis en Assemblée nationale. Il est nommé pour sept ans. Il est rééligible. »

Mac Mahon semble accepter le nouveau cours, surtout après la victoire des républicains aux élections générales de 1876. On voit alors apparaître le 9 mars 1876 le président du Conseil, non prévu par les textes, mais qui coordonne l’action des ministres et qui peu à peu devient le véritable chef de l’exécutif. Après avoir vainement tenté de réinstaurer une politique conservatrice en 1877 (crise du 16 mai), Mac Mahon, désavoué par le suffrage universel se soumet et va progressivement laisser gouverner un gouvernement républicain. Il s’efface avant de démissionner le 30 janvier 1879. Son successeur Jules Grévy décide que l’Élysée ne sera plus le siège d’une politique personnelle. Désormais, le chef de l’État n’est certes pas sans influence, mais ce n’est plus lui qui dirige la politique française. Ce modèle de président arbitre et en retrait va durer trois quarts de siècle.

Caractéristiques générales de l’élection présidentielle sous la Troisième

Lorsque Grévy est élu le 30 janvier 1879 président de la République, les Chambres siègent encore à Versailles. La loi constitutionnelle du 21 juin 1879 supprime l’article 9 de la loi du 25 février 1875 qui fixait à Versailles le siège du pouvoir législatif. Mais l’Assemblée nationale, c’est-à-dire la réunion conjointe des députés et des sénateurs, demeure pour des raisons de commodité (rassembler près de 1 000 personnes dans la même enceinte) localisée à Versailles. C’est donc dans cette ville que seront élus les présidents des IIIe et IVe Républiques. Dans les jours qui précèdent le scrutin, les groupes parlementaires se réunissent pour prendre position. Certes, il n’existe pas une stricte discipline de vote au sein des groupes se réclamant du radicalisme et du centre-droit, mais le choix du groupe fournit toujours aux observateurs d’importantes indications sur le futur élu. Une innovation apparaît en 1887 : les groupes parlementaires républicains du Sénat et de la Chambre décident de se retrouver en réunion plénière pour se mettre d’accord sur le nom d’un candidat commun afin d’éviter que les groupes conservateurs puissent décider de l’élection en apportant leur appui à tel ou tel candidat républicain. La réunion plénière correspond en fait à une élection primaire au sein du camp républicain. Évidemment, la réunion plénière n’a pas de valeur juridique et des candidats peuvent ne pas se sentir liés par le vote.

L’histoire des élections présidentielles sous la IIIe République nous permet de constater deux règles. D’abord, détenir la présidence d’une des deux assemblées constitue un avantage important dans la course à la présidence. De Jules Grévy à Albert Lebrun, huit Présidents de la République (sur un total de douze) président une Assemblée lors de leur élection : trois sont à la tête de la Chambre des députés (Grévy, Casimir-Périer, Deschanel) et cinq dirigent les travaux du Sénat (Loubet, Fallières, Doumergue, Doumer, Lebrun). Sur les quatre présidents restants, Poincaré et Millerand bénéficient de leur situation de présidents du Conseil en exercice. Finalement, seuls Sadi Carnot et Félix Faure avaient eu une simple carrière de ministre modeste au moment de leur élection. La deuxième observation nous renvoie à la crainte du pouvoir personnel : les dirigeants politiques de premier plan ont du mal à se faire élire parce que les parlementaires préfèrent avoir à l’Élysée un arbitre plutôt qu’une forte personnalité. C’est ainsi que Jules Ferry échoue en 1887, que Clemenceau doit se retirer en janvier 1920 et qu’Aristide Briand mord la poussière en 1931. Évidemment, on pourrait objecter à cette analyse que Casimir-Périer a été élu en 1894, que Raymond Poincaré entre à l’Élysée en 1913 et qu’Alexandre Millerand triomphe en septembre 1920. Certes, mais sur ces trois fortes personnalités, deux ont dû démissionner avant la fin de leur mandat pour excès de pouvoir personnel, Casimir-Périer en janvier 1895 et Millerand en juin 1924. Ces deux règles resteront partiellement valables sous la IVe République.

On notera enfin que si le clivage gauche-droite constitue une réalité lors de ces élections présidentielles, il n’est pas le seul élément déterminant du résultat du scrutin. Sous la IIIe République, le risque de voir élire à l’Élysée un socialiste à gauche ou un conservateur à droite reste nul. L’élection se joue donc au sein des partis de gouvernement, c’est-à-dire les groupes radicaux et modérés. Il est évident que les affrontements Doumer-Fallières en 1906, Poincaré-Pams en 1913, Doumergue et Painlevé en 1924 et Doumer-Briand en 1931 recoupent en partie le combat entre les républicains modérés et les républicains plus colorés. Mais les ambitions personnelles et l’absence de discipline de vote chez les modérés et les radicaux assurent toujours des résultats pas forcément calqués sur les orientations politiques des parlementaires. L’élection reste toujours sous la Troisième le choix d’un homme. C’est d’ailleurs un reproche que les adversaires du mode de scrutin présidentiel feront au régime. En 1924 et 1932, les Français votent à gauche aux élections législatives. Quelques jours plus tard, l’Assemblée nationale (qui, ne l’oublions pas, comprend aussi les sénateurs non élus en même temps que les députés) élit un Président modéré, Doumergue en 1924 et Lebrun en 1932.

Des élections présidentielles jouées d’avance (1879, 1885, 1894, 1899, 1920, 1932, 1939)

« Qui entre pape au conclave en ressort cardinal » dit l’adage. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les élections présidentielles sous la IIIe République ne répondent pas vraiment à cette règle. À six reprises, le candidat annoncé comme élu s’est en effet retrouvé président de la République après avoir été désigné pratiquement sans opposition. C’est d’abord le cas avec les deux élections de Jules Grévy les 30 janvier 1879 et 28 décembre 1885. En 1879, la démission de Mac Mahon oblige les républicains de toute tendance à ne soutenir qu’un seul candidat. Par son passé et par sa fonction de président de la Chambre des députés, Grévy s’impose. Lors de l’unique tour de scrutin, il obtient 563 suffrages contre 99 au général Chanzy, soutenu par les conservateurs, mais non candidat. Sept années plus tard, le Président Grévy, âgé de 78 ans, n’est plus aussi populaire dans le camp républicain. Mais à partir du moment où il décide de se représenter, aucune candidature dissidente ne voit le jour chez les républicains. Grévy est donc reconduit dès le premier tour avec 457 voix contre 68 au président du Conseil Brisson et 14 à l’ancien chef de gouvernement Freycinet, tous deux non-candidats. Grévy ne pourra pas terminer ce deuxième mandat ; il doit démissionner le 2 décembre 1887 suite au scandale des décorations dans lequel se trouvait compromis son propre gendre Wilson.

Suite à l’assassinat du Président Sadi Carnot le 27 juin 1894, le camp progressiste (les modérés) se cherche un homme fort et le trouve en la personne de Jean Casimir-Périer, président de la Chambre et ancien président du Conseil. À gauche, les radicaux présentent la candidature d’un de leurs personnages consulaires, Henri Brisson. Les conservateurs décident de voter au premier tour pour le général Victor-Louis Février, mais ils annoncent qu’ils se tourneront au deuxième tour vers le candidat républicain qui leur offrira le plus de garanties. En fait, tout est réglé lors du premier tour. Sur 845 suffrages exprimés, Casimir-Périer en obtient 451, devançant nettement Brisson (195), le président du Conseil non-candidat Dupuy (97), Février (53) et 49 divers.