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Roland, un jeune étudiant de Limoges, voit sa vie bouleversée du jour au lendemain par l’apparition de violents maux de tête. Quand son comportement, d’habitude jovial, change de manière inquiétante, sa mère et sa petite amie Virginie le poussent à consulter. Mais quand les autorités s’affolent devant la possibilité d’une attaque surréaliste, contre le pays, Roland disparaît.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Marié et père de trois enfants,
Yves Roumiguieres est un passionné de cinéma depuis toujours. C'est ainsi qu'il se lance dans la littérature contemporaine et moderne avec l'envie de partager ses histoires propres, riches et atypiques, mêlant différents genres et époques. S'adonnant à tous les styles, sa plume spontanée et légère nous ouvre la porte d'un tout nouveau genre de roman, très imagé et rythmé, rivalisant avec les œuvres cinégraphiques actuelles, dont il est fan.
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Yves ROUMIGUIERES
LIBERTE D’EXISTER
Roman
Du même auteur
Hyrésie
Erétic, l’embrasement d’Hyrésie
Désastre Humain, épisode 1
Un vent de terreur
Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les
Éditions La Grande Vague
Site : www.editions-lagrandevague.fr
3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau
Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.
ISBN numérique : 978-2-38460-009-0
Dépôt légal : Mai 2022
Les Éditions La Grande Vague, 2022
Toute ressemblance avec des personnages fictifs, des personnes ou évènements existants ou ayant existé est purement fortuite.
À ma femme Natali, et à mes amis, présents, passés et futurs.
Note de l’auteur
Liberté d’Exister est le premier roman que j’ai écrit et aussi le plus personnel. Il a été mon premier essai, un enfant qu’on pousse vers la lumière, que je suis enfin fier de vous présenter, abouti et étincelant. Une aventure que ma femme Natali a vue naître et évoluer. Ses critiques et observations pertinentes ont été plus que constructives, et sa participation à l’aboutissement du projet a été d’une incroyable générosité. Pour cela, je ne l’en remercierai jamais assez.
Et comme à chaque roman, beaucoup de personnes ont inspiré certains de mes personnages que je suis aussi fier de nommer avec leur approbation.
Alors, un grand merci à Patrick, Sébastien et Marie d’avoir accepté de paraître dans l’histoire, et j’espère que leurs attentes seront récompensées… (désolé Pat ! lol). Je remercie aussi Christelle que j’embrasse fort, et plusieurs collègues anciens militaires qui m’ont conseillé et m’ont apporté le réalisme dans les parties les plus techniques. Et pour terminer, ma correctrice Élisabeth avec qui je collabore depuis Hyrésie, qui a fait comme d’habitude un travail remarquable.
Sans vous tous, Liberté d’Exister n’aurait jamais vu le jour et n’aurait pas le visage qu’il a aujourd’hui…
Un grand Merci à tous.
Si la guerre est une chose horrible,
le patriotisme ne serait-il pas l’idée mère qui l’entretient ?
Guy de Maupassant
Le patriotisme, c’est aimerson pays.
Charles de Gaulle
Prologue
Limoges, quartier médiéval de la Cité.
Entre deux anciens bâtiments fatigués, une plaque d’égout se souleva en silence. Une main gantée apparut des ténèbres et la fit glisser sur le côté.L’un après l’autre, deux individus cagoulés et vêtus d’ébène s’en extirpèrent sans bruit. Ils étaient équipés de gilets de combat bourrés de munitions, de fusils d’assaut et de pistolets fixés à leurs cuisses.
Le premier, porteur d’un sac à dos, referma l’issue en silence, puis leva les yeux sur la majestueuse cathédrale Saint-Étienne qui se dressait devant eux. Un des édifices les plus remarquables de la ville et le seul monument religieux de la région construit dans un style gothique homogène.
À cette heure tardive, le quartier était désert. Toisés par les sinistres gargouilles, ils se faufilèrent le long des arches, leur fusil devant le nez. En évitant le halo de lumière des réverbères, ils traversèrent le parking de l’édifice religieux, tels deux félins dans la nuit.
Les deux commandos disparurent au coin d’une rue, entre deux pâtés de maisons. La voie sans issue, pas plus grande qu’une ruelle, était plongée dans les ténèbres.
Au bout, ils s’adossèrent de chaque côté d’une grande porte en chêne massif. Elle appartenait à une maison mitoyenne de deux étages qui, comme ses sœurs, penchait bizarrement sur le côté.
Sous la couverture de son binôme, le second ouvrit le sac à dos de son ami rempli d’explosifs et en sortit un chalumeau. Il l’alluma avec un briquet, « clac », et fit face à l’interstice d’environ un centimètre entre le battant de la porte et son encadrement.
Des étincelles jaillirent. Au bout de quelques secondes, la tige rougissante commença à se dilater. Il éteignit le chalumeau, « clac ». Son coéquipier se retourna et avec une petite lampe de poche, examina la porte en bois noirci. Pour terminer, il posa son épaule sur celle-ci et poussa très fort. La barre de fonte s’étira comme de la pâte à modeler et céda, ouvrant ainsi l’accès dans un chuintement.
Ils se retrouvèrent dans un hall obscur, que seule la lueur verte d’une issue de secours éclairait. Derrière un extincteur, ils dissimulèrent la petite bouteille d’acétylène pas plus grande qu’un aérosol ainsi que le chalumeau dont ils n’avaient plus l’utilité.
Leurs M4 calés contre l’épaule, ils se déplacèrent en respectant une certaine distance, tout en gardant un contact visuel permanent l’un sur l’autre. Sous un escalier en colimaçon, une porte blindée équipée d’un digicode numérique leur fit barrage. Le code secret tapé, l’accès se déverrouilla.
Le passage faisait office de jonction entre plusieurs bâtiments. Activée par les détecteurs de mouvements, une lumière blanche les aveugla. La porte claqua dans un écho qui se perdit dans un long sas blanc d’une centaine de mètres. Pas moins de quatre caméras de surveillance, fixées au plafond, quadrillaient le passage secret.
À l’autre bout se trouvait une seconde issue blindée commandée cette fois-ci par un digicode à lettres. Ilstapèrent le second code.
Ils venaient de traverser un pâté de maisons tout entier, jusqu’à la nouvelle tour de verre qui surplombait la place Jourdan et son monument aux morts. Nos deux soldats se trouvaient maintenant dans une grande salle, ayant pour seul éclairage les faibles lumières des sorties de secours. L’endroit était aménagé de quatre longues rangées métalliques, remplies d’équipements informatiques.
Soudain, un déluge de coups de feu explosa. Ils baissèrent la tête. Ils venaient d’être pris à partie par une dizaine d’individus armés et les balles fusaient de toutes parts. Les deux hommes foncèrent vers l’escalier de secours tête baisséequand ils furent stoppés par deux explosions, les ensevelissant sous une partie des faux plafonds. Une épaisse poussière se souleva. On distinguait les flashs des tirs, tels des stroboscopes.
Oppressés par le déluge d’explosions et de coups de feu, les deux individus s’extirpèrent de la laine de roche et des gaines électriques en rampant. Dans ces conditions, s’ils ne trouvaient pas très vite une solution, ils n’atteindraient jamais l’issue de secours vivants.
Un écran d’ordinateur dégringola de l’une des étagères, le porteur du sac l’écarta de son bras sans aucune difficulté.Seulement, deux autres fortes explosions firent basculer la totalité du rayon dans un fracas assourdissant et ils disparurent sous le contenu du squelette démantibulé de l’étagère.
Puis un long silence. Ceci n’avait pas été une mince affaire, mais les deux intrus avaient finalement été neutralisés. Un des assaillants sortit la tête de derrière un bureau afin de confirmer que toute menace était bel et bien écartée. La pièce était totalement dévastée. C’est à ce moment-là qu’il entendit le cliquetis d’un objet métallique rebondir non loin de lui. Une grenade.
Leur masque à oxygène par-dessus leur cagoule, nos deux acolytes profitèrent de l’explosion pour sortir des décombres en effectuant un tir de barrage, et firent un grand bond vers la sortie. Seulement, le coéquipier du porteur du sac fut frappé par une balle dans le bras droit. Et pour enfoncer le clou, les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur un flot de lumière aveuglante, d’où quatre autres gardes sortirent.
Une fois de plus, les deux soldats se replièrent près d’une table de bureau. Aussitôt, l’un d’eux activa une claymore1, qu’il jeta dans la cabine. Elle explosa presque aussitôt, déchiquetant les quatre hommes enteintant de rouge l’éclairage du compartiment.Puis, plus rien. Le silence était redevenu maître.
Au bout d’un moment, les gardes sortirent de leur tanière, mais les deux hommes s’étaient volatilisés. Ils passèrent les lieux au crible. L’un d’eux poussa la barre antipanique de l’issue de secours, elle était verrouillée.
De l’autre côté de l’issue de secours, le porteur du sac venait de bloquer l’accès en calant une barre de fer en travers de la poignée. Hors de danger, ils ôtèrent leurs masques et poursuivirent leur ascension dans les escaliers de secours. Trois étages au-dessus, ils débouchèrent sur un étage de bureaux. Ils se hâtèrent de rejoindre le fond et bifurquèrent dans un couloir. Ils fracassèrent la poignée d’une des portes d’un coup de crosse et s’y réfugièrent.
La pièce baignait dans l’obscurité. Ils s’abritèrent derrière un bureau, face à une grande baie vitrée. En contrebas, la place Jourdan baignait dans la lumière des lampadaires.
L’équipier du porteur du sac s’adossa lourdement contre la vitre. Le sang coulait abondamment le long de son bras, contraignant son corps à puiser dans ses ressources. Pendant que son ami faisait un rapide inventaire des munitions, il en profita pour retirer sa cagoule et s’en servit de garrot.
Avec ses dents, il serra le plus fort possible le morceau de tissu, trois doigts environ au-dessus de la plaie.
Après une détonation étouffée, le plafond s’écroula dans un panache de fumée.
Ils dégagèrent les débris, tirèrent le bureau sous le trou béant et s’y engouffrèrent. Le porteur du sac aida son ami blessé en le tirant par son gilet de combat, la douleur empêchant tout mouvement du bras.
Au même moment, quatre gardes enfoncèrent la porte, mitraillant tout sur le passage. Mais la pièce était vide. Quand une petite surprise s’échappa du trou, rebondit sur le bureau et roula sur la moquette.
Cette dernière éclata juste sous leurs yeux, s’ensuivit une secousse sismique. Une partie de la façade vitrée de l’immeuble s’effondra en cascade sur la chaussée en un millier de fragments.
C’est donc, à coups d’explosifs, qu’ils se faufilèrent d’étage en étage.Et malgré leur détermination, nos deux braves finirent par se faire épingler par un des gardes armés qui les attendaient plus haut.
Après s’être fait désarmer et menotter, ils se laissèrent embarquer sans résistance. Ils ne furent pas moins de cinq gardes pour les escorter dans l’ascenseur qui les menait au dernier étage de la tour.
Roland fit un clin d’œil appuyé à Tristan et lui glissa d’un air satisfait.
Quelques heures plus tard.
La lueur orangée de l’aube découpa l’horizon et se mit à caresser les courbes délicates des collines. Les toits étincelaient.
Deux énormes explosions retentirent et se dissipèrent dans les rues de la ville, tel un puissant roulement de tonnerre. S’ensuivit un silence. Au sud de la ville, un épais nuage de fumée recouvrait plusieurs pâtés de maisons. Puis, le battement d’air d’un hélicoptère brisa le silence en délivrant la cité des Portes-Ferrées de sa présence ubuesque.
Collé contre la vitre de la cabine, le cameraman malmené par les vibrations de l’appareil luttait pour conserver un semblant de stabilité. Derrière lui, un second reporter commentait les images : un sinistre champ de bataille, témoignera-t-il au JT, en désignant l’ancienne cité.
Les premiers rayons du soleil irradièrent complètement la région, offrant aux deux journalistes un tableau fort évocateur de la violence des combats. Un voile gris résiduel enveloppait le quartier. À travers, on apercevait les deux plus hauts immeubles de la cité, le 32 et le 34, totalement effondrés sur ce qui était, quelques heures plus tôt, le parking. Parmi les ruines fumantes, une puissante machine de guerre (un char) y était ensevelie.
Le cadreur zooma afin de mieux distinguer l’étendue des dégâts. C’est là qu’il le vit, au milieu des débris. Une forme humaine en position assise sur le rebord d’un trottoir se détacha du reste du décor. Quand celle-ci se leva, le cameraman orienta l’objectif et zooma. L’autofocus se réajusta, passant de flou à net. Bien que le contre-jour l’empêchait d’apercevoir son visage, le reporter distingua clairement ses formes.
L’homme cala son fusil contre sa nuque pour effectuer un long étirement, comme ceux que l’on accomplit après une longue et profonde nuit de labeur. On pouvait imaginer le bruit de chacune de ses vertèbres craquer en se repositionnant une à une, et il lâcha son arme au sol. Un nuage de poussière se souleva. Puis il fit front à l’objectif. Le soldat se dessinait dans un horizon orange.
Au bout d’un moment, il se délestait de son gilet de combat et de ses équipements, en décomposant ses mouvements comme si chacun d’eux lui était douloureux. Il laissa tomber son gilet sur son fusil et dégrafa le holster de sa cuisse droite. Ensuite, il se tourna vers l’appareil en se créant un passage à travers les décombres.
Le reporter effectua un plan large afin de mieux filmer le décor de désolation, en offrant un caractère plus dramatique à la scène, qui lui vaudrait le prix Pulitzer l’année suivante.
Le soldat releva la tête, donnant enfin aux journalistes la possibilité d’entrevoir une partie de son visage, encrassé de poussière et de poudre à canon. Sa peau et ses cheveux luisaient, mettant en relief sa cicatrice. Celle-ci débutait au coin de son œil et creusait sa joue jusqu’à la naissance de son cou.
Le cameraman essaya de zoomer afin d’atténuer le contre-jour, mais comme si la lumière n’osait l’éclairer, son visage resta dans l’ombre. Lorsqu’il leva ses yeux vers lui, l’autofocus flou se réajusta, révélant avec une netteté la noirceur du regard de Roland.
Deux ans et demi avant.
Les flammes battaient l’air et tel un animal affamé, dévoraient tout sur leur passage, les murs, les plafonds et les sols noyés d’hydrocarbure. Perdu dans cet enfer, un jeune garçon, âgé de dix ans, était pétrifié, le visage crispé, la respiration coupée. Même si tout s’embrasait autour de lui, ce n’était pas l’incendie qui le tétanisait, mais les yeux injectés de sang de ce géant qui le surplombait de toute sa stature.
L’homme le regardait fixement, le terrorisant à tel point qu’il n’arrivait plus à faire un seul geste. La cicatrice sur sa joue droite, aussi profonde que le Grand Canyon, lui donnait les airs d’un guerrier sanguinaire.
Une puissante déflagration fit trembler le décor, sortant l’enfant de sa torpeur. Une boule de feu suivie d’une colonne de fumée s’éleva dans le ciel étoilé. Le toit venait de s’effondrer. Paniqué, le garçon chercha de l’aide. Les murs, les meubles et le sol se consumaient. Il était pris au piège. La chaleur lui brûlait la peau et le manque d’oxygène le faisait suffoquer. Il se protégea le visage avec son avant-bras.
En dessous du coude, il jeta un œil au corps du pompier, son seul sauveur, qui gisait dans une flaque d’eau. Son casque d’argent réfléchissait la lueur incandescente des flammes. Ses jambes étaient coincées par une tonne de gravats. Il peina à lever la tête, et dans un ultime effort, il referma sa main sur le manche de sa hache.
Mais l’homme à la cicatrice s’avança vers eux, comme insensible aux flammes, tel un démon dans son propre royaume. Arrivé à sa hauteur, il se baissa et arracha la hache des mains du pompier, puis se tourna vers le garçon. L’enfant fut pris d’une terreur extatique.
L’homme à la cicatrice brandit la hache dans les airs avec un rire machiavélique et l’abattit sur le pompier. Le jeune garçon hurla de terreur.
Cité des Portes-Ferrées
La chaîne hi-fi se déclencha en guise de réveil matin. Le son des guitares électriques de la chanson « Into the fire » du groupe métal Dokken, sortit Roland de son cauchemar.
Dressé sur ses coudes, son cœur battait à tout rompre. Roland se laissa retomber sur le drap moite et se mit un bras sur les yeux. Son corps était trempé de sueur. Cette fois-ci, le rêve l’avait vraiment beaucoup secoué. Il avait subi cette vision un nombre incalculable de fois (celle de l’homme à la cicatrice), mais il n’avait toujours pas trouvé le moyen de s’y préparer ou d’atténuer son impact. Tous ses sens étaient en haleine, nourris par une frayeur épouvantable. Il jeta un œil à sa fenêtre entrouverte et huma l’air doux. C’était l’une de ces parfaites journées de printemps, les toits de la ville scintillaient sous le ciel bleu azur. Un rayon de soleil irradia sa chambre d’adolescent.
N’importe quelle mère aurait eu un léger mal de tête en l’examinant : les murs étaient tapissés de posters de groupes de heavy métal des années ‘80, ‘90, ainsi que de jaquettes de CD. Au-dessus de son lit, un poster, celui d’un catcheur bodybuildé qui levait les bras au ciel, les yeux révulsés, la langue pendante, les muscles congestionnés dégoulinants de sueur, le fameux « Undertacker ».
Roland tâtonna le lino et mit la main sur la petite télécommande, puis monta le son de sa chaîne jusqu’à ce que les guitares retentissent dans tout l’appartement. Ça, c’est du rock ! Par la même occasion, il trouva son caleçon posé sur le manche de sa guitare, et l’enfila. Après un long bâillement, il ouvrit la fenêtre en grand.
Pour un jeune de dix-neuf ans, avoisinant un bon mètre quatre-vingts, Roland était plutôt massif. Ses tendons, les veines de ses bras et de ses jambes, saillaient comme chez un athlète. À cette époque, il avait le visage aussi lisse qu’un enfant, sans défaut apparent, ni acné, ni cicatrice !
Il se leva en s’étirant longuement. Sur le rythme effréné de la chanson, Roland débuta ses exercices physiques matinaux. Depuis quelque temps, pour ne pas dire depuis l’arrivée de ses cauchemars, chaque matin il se soumettait à des séances de renforcement musculaire : pompes, tractions à l’aide d’une barre fixée dans l’encadrement de la porte, et abdominaux, les pieds coincés sous son lit. Une façon comme une autre de digérer ses cauchemars. Cauchemars qui avaient les traits de l’homme le plus effrayant du monde.
Une fois douché et rasé, il enfila un débardeur noir, une simple chemisette et un jean. Il lui manquait juste un habile coup de gel dans les cheveux et le tour était joué. Il pouvait maintenant commencer une bonne journée, quand la voix de sa mère passa par-dessus la musique.
Toute chétive, le dos voûté, Brigitte traîna son caddie lourdement chargé jusqu’à la cuisine. Elle ne mesurait pas plus d’un mètre cinquante. En raison de son caractère particulièrement trempé et de son humeur souvent maussade, les voisins de l’immeuble gardaient une attitude distante à son égard. Par ailleurs, son visage asséché par le tabac n’aidait pas à lui donner un air avenant. Ajoutez à cela son franc parler atypique, vous comprendrez que seuls ses amis proches et les plus anciens voisins la côtoyaient. Malgré tout, Roland l’aimait énormément, comme un fils peut aimer sa mère, et il aurait tout fait pour elle, tout donné.
C’est avec un sourire d’ange qu’il l’accueillit.
Il stoppa le raffut, retourna dans la salle de bains éteindre la lumière, laissant derrière lui les effluves de son parfum, puis lui vola une bise avant d’épauler son sac de cours.
Sur le parking de l’école maternelle, en face du bâtiment numéro 34 (l’immeuble qui dans quelques mois serait éventré sur son parking), Jonas attendait à l’abri des regards dans un 4x4 noir aux vitres teintées.
Avachi dans son siège, il regarda sa montre.
Soudain, il jeta son paquet de gâteaux sur le siège passager par-dessus des magazines et son Beretta neuf millimètres. Puis il se redressa à toute vitesse en se cognant les deux genoux contre le volant. Roland venait de sortir de l’immeuble.
Calé entre ses jambes, le thermos de café glissa, l’arrosant du breuvage froid. Merde ! Son séant dans le café, il se rapprocha de la vitre pour confirmer sa vision. Le gamin leva les yeux vers la fenêtre où sa mère l’attendait.
Après lui avoir offert un dernier signe de la main, Roland prit la direction de l’arrêt de bus, la chanson de Bryan Adams « Run to you » dans ses oreilles.
Roland était assis dans le fond du trolleybus de la ligne 4, sa tête posée contre la vitre, le regard perdu dans le vague. Les images de son cauchemar s’entrechoquaient dans son cerveau. Elles étaient constamment présentes, du matin quand il se réveillait, au soir où il tirait sa couverture. Et ce monstre, l’homme à la cicatrice, lui semblait si réel qu’il commençait à mettre en doute son existence.
Le trolley le déposa dans la rue Jean Jaurès, devant le salon de thé « Le Tilleul ». Roland y entra et s’assit à sa table habituelle.
Le style moderne et feutré du salon, ses sièges en cuir noir, les tables blanches incrustées de paillettes et ses écrans accrochés aux murs passant les clips du moment, faisaient du « Tilleul » un endroit idéal pour les jeunes étudiants. Comme Roland qui y venait chaque matin depuis environ deux ans. Enfin, depuis que sa mère avait daigné lui donner un peu d’argent de poche.
Sur la table, son téléphone vibra. Il enleva ses écouteurs d’un coup sec en tirant sur le fil et répondit.
Après quelques instants, il reprit.
Il approuva de la tête.
Il raccrocha quand la serveuse s’approcha avec un grand sourire. Céline lui avait été présentée par son meilleur ami Tristan. Sa chevelure blonde était mêlée de mèches foncées. Ses joues roses aux pommettes constellées de taches de rousseur contrastaient avec des yeux limpides, bleu vert. Des couleurs qui dégageaient un charme unique, auquel Roland n’était pas insensible. Si seulement ce n’était pas la sœur de son meilleur ami et que son cœur n’était pas déjà pris…
À vrai dire, depuis le premier jour, elle avait eu le coup de foudre pour lui. Et quand bien même son sourire lumineux et le charme de son regard la faisaient fondre, ce matin,cela la rendait folle de rage de constater qu’il lui prêtait si peu d’intérêt.
Céline se figea, ses joues devinrent cramoisies. Oh non ! Elle se hâta de rectifier le lapsus.
Pris au dépourvu, Roland devint de la même couleur.
Sans mot dire, et pour cause, elle tourna les talons et rejoignit son comptoir.
Il ne l’avait jamais remarqué, mais quand elle était énervée, son teint, ses mèches et ses yeux verts lui donnaient une certaine fraîcheur qui la rendait encore plus agréable à regarder. Si agréable qu’il n’arrivait plus à décoller ses yeux d’elle.
Au même moment, devant les fenêtres du salon, Tristan descendait du bus 8. Il était grand et charpenté, comme ceux qui font la couverture du numéro spécial d’un magazine de sport (de foot américain ou de fitness), et ses yeux bleu turquoise étaient semblables à ceux de sa sœur.
Toujours courtois, il s’écarta pour laisser passer une charmante demoiselle devant lui. Ses manières dégageaient une assurance naturelle.
Il déposa son sac de sport à côté de Roland, sur l’un des sièges vacants volé à la table voisine où deux hommes en costume noir prenaient leur petit déjeuner.
Le fait qu’enfin il s’en soit rendu compte fit sourire Tristan.
Roland avait le regard fuyant.
Roland n’était pas du style à étaler ses émotions au grand jour, ça, tout le monde le savait. Mais Tristan était la seule personne à qui il se confiait, tel le grand frère qu’il n’avait jamais eu.
Roland n’avait jamais parlé de son père à quiconque, d’ailleurs il n’en avait jamais ressenti le besoin. Et ses amis avaient toujours respecté le fait qu’il veuille garder sous silence cette partie de sa vie. Mais il devait reconnaître que depuis l’arrivée de ses cauchemars, cette question n’était pas dénuée de sens. Y aurait-il finalement un lien entre le décès de mon père et mes cauchemars ?
Roland inspira.
Tristan eut comme un blanc et son visage se ferma. Cela faisait quelques années que sa mère était décédée d’un cancer et il ne passait pas un seul jour sans penser à elle. L’odeur de son parfum, sa voix douce, mais surtout son odeur sucrée quand tous les soirs, elle déposait un baiser sur son front avant de se coucher.
Roland se frotta le visage comme pour se réveiller.
Tristan fit un signe de la main à la serveuse.
Derrière son comptoir, Céline aperçut son frère. Aussitôt, elle leva les yeux au ciel. Ce n’est pas vrai !
Même si ça ne se voyait pas, Tristan et sa sœur étaient très proches. Mis à part qu’il passait son temps à la taquiner à grand renfort de remarques suggestives.
Sous l’œil réprobateur de son patron, à contrecœur, Céline griffonna la commande sur son calepin et tourna les talons.
À la table voisine, sous les yeux inquisiteurs de Jonas et de Wallas, binôme depuis plus de cinq ans, les deux jeunes s’esclaffèrent. De taille moyenne, les cheveux courts et à la même mâchoire carrée, comme si toutes deux sortaient du même moule, les deux hommes étaient affublés du même costume sombre. On se trouverait aux États-Unis, cela aurait été évident qu’ils faisaient partie du FBI, mais en France…
En tout cas, depuis son arrivée, Roland les avait remarqués. Cela faisait au moins un quart d’heure que la serveuse avait déposé deux cafés et deux verres d’eau sur leur table et aucun des deux n’y avait encore touché.
Derrière eux, les portes du salon s’ouvrirent sur une jeune fille. Roland la détailla de la tête aux pieds. Pas plus d’un mètre soixante-sept, ses cheveux étaient lisses et noirs et ses oreilles constellées de piercings. Quand enfin elle croisa son regard, Virginie traversa la salle. Par inadvertance, son sac heurta Wallas qui resta de marbre.
Elle se baissa et embrassa Roland en lui appliquant ses deux mains sur les joues.
Elle salua Tristan en lui faisant une bise.
Roland se leva et rapprocha une chaise, volée à une table voisine.
Virginie leva son pouce en l’air.
Au bout de deux minutes, elle apparut et lui déposa la tasse.
Furieuse, elle se ravisa et retourna derrière son comptoir.
Les garçons marquèrent un silence gêné.
Le sourire aux lèvres, Tristan se leva et épaula son sac. Il salua Virginie et tapa sur l’épaule de son ami avant de se diriger vers la sortie.
Au même moment, Wallas et Jonas lâchèrent sur la table de quoi régler la note et lui emboîtèrent le pas. Une fois à l’extérieur, il fit glisser son doigt sur l’écran tactile de son téléphone portable et le colla à son oreille.
Après avoir rangé son téléphone dans la poche intérieure de sa veste, il obliqua. À travers la vitrine, Roland et Virginie s’embrassaient langoureusement. N’importe qui, en voyant ce cliché d’adolescents, aurait reconnu le visage de ce sentiment universel, l’amour. Mais Jonas, lui, y voyait tout autre chose, une cible prioritaire.
La fin de la journée approchait et le soleil déclinait doucement derrière les collines de Limoges.
Son sac de sport en bandoulière, Tristan claqua la porte de chez lui. Céline, tranquillement allongée sur le canapé, un oreiller entre ses cuisses, regardait la télévision. Il passa derrière elle et lui caressa les cheveux d’un geste souple.
Bien qu’elle soit son aînée de deux ans, Tristan l’appelait petite sœur en raison de sa taille.
Après sa douche, comme promis, Tristan dressa la table pour le dîner. Bizarrement essoufflé, il prit une courte pause en s’appuyant contre l’évier, une menthe à l’eau glacée à la main.
Soudain, une bouffée de chaleur le submergea, suivie de sueurs froides. Il prit une profonde inspiration. Mais sa vision se troubla et un mal de tête se déclencha. C’était comme si un courant électrique lui brûlait le cerveau. La douleur, si intense, l’obligea à fermer les yeux et il se frotta frénétiquement la nuque.
Sans qu’il s’en aperçoive, sa tête partit sur le côté une première fois. Tristan se reprit juste à temps et posa son verre dans l’évier. Mais la douleur était telle qu’elle le força à mettre un genou à terre et à s’adosser contre la porte du placard.
Au bout d’un moment, la douleur s’estompa comme par magie. Désorienté, Tristan resta appuyé. Il s’essuya le visage avec sa main.
Il n’avait pas remarqué, mais Céline était arrivée en courant.
Tristan se releva. Elle l’aida à se hisser.C’était totalement incompréhensible, à part quelques gouttes de sueur qui traînaient sur son front, il se sentait curieusement mieux.
Céline l’abandonna quelques secondes et fourra le nez dans le réfrigérateur.
En effet, il semblait totalement remis de ses émotions et avait repris des couleurs.
Céline réapparut, les bras remplis de charcuterie et de crudités, qu’elle déposa sur la table. Mais Tristan tituba une seconde fois en se tenant fermement le crâne, le visage crispé par la douleur. Céline se précipita et l’accompagna au sol avant qu’il ne s’écroule.
Il rouvrit les yeux, releva la tête en expirant calmement, puis se redressa sur ses jambes. Comme tout à l’heure, la douleur s’était envolée.
Il s’apprêta à protester quand elle leva la main en l’interrompant.
Il l’embrassa sur le front avant de traverser la cuisine en s’aidant du mur.
Lorsque les ombres des toits et des clochers s’étiraient, Virginie gara sa voiture derrière le tribunal.
De son côté, Roland se rendait à son rendez-vous tout en flânant dans les rues du centre. Il affectionnait tout particulièrement la capitale de la porcelaine, connue jadis dans le monde entier. Mais à ce jour, sa place stratégique au centre du pays en faisait une plaque tournante de l’immigration, de la prostitution et du grand banditisme. Puis, il fallait bien le dire, sa gare internationale n’arrangeait pas les choses. Il suffisait de se balader du côté du Champ de Juillet, l’un des parcs publics les plus populaires de la ville, pour voir se pavaner dans l’ombre de ses sentiers une vague de « débauches » venant des pays de l’Est et d’Afrique…
Roland passa à l’angle de l’ancienne poste, où deux hommes bigarrés échangèrent en sous-main leur sachet d’or blanc. Il détourna le regard devant ce piteux tableau et poursuivit son chemin. Il sortit de la rue Saint-Michel et tomba sur la place d’Aine, face au tribunal. Là, assise sur les marches du palais de justice, Virginie l’attendait patiemment, les mains enfouies dans les poches de son blouson en cuir.
La nuit était tombée.Comme tous les samedis soir, au-dessus de la mairie, la fête battait son plein dans la rue de la Loi. Surnommée aussi la rue de la Soif, il en émanait une odeur d’urine et d’alcool, aussi étrange qu’agressive, devenue l’empreinte olfactive et indélébile de cet endroit toutefois si populaire. N’empêchant pas la pizzeria, le petit restaurant et les trois autres bars, d’étaler les terrasses au beau milieu de la rue et d’accueillir les étudiants et les gens qui comptaient faire la fête. Chaque week-end le bar, « Le Gothiqua » accueillait des groupes rock, dont l’écho des guitares résonnait dans la rue.
La scène avait été montée en surplomb du bar où la foule en effervescence s’amassait.Dans un coin de la salle, Sébastien, Marie et Patrick étaient attablés autour de leur verre. Patrick était vêtu d’un jean, d’un t-shirt noir, et coiffé de mèches violettes. Tandis que Sébastien portait un jean délavé et un t-shirt avec l’inscription « ACDC » en rouge sur la poitrine, révélant les tatouages de ses avant-bras. Comme à son habitude, plus en beauté, Marie avait un ravissant jean serré et un simple chemisier.
Main dans la main, Roland et Virginie se frayèrent un chemin dans la foule, au moment où Patrick se leva précipitamment. Les traits du visage tirés, il les salua vite fait et disparut vers la sortie.
Marie souffla déçue. C’était la troisième fois que Virginie et Roland organisaient une soirée afin de présenter Marie à Tristan et à chaque fois, au dernier moment, soit l’un, soit l’autre avaient un empêchement.
Dans la pénombre de la rue voisine, assis sur le pare-chocs d’un 4x4 noir, Patrick raccrocha son téléphone, désappointé. Pour lui, la soirée venait de se terminer, son père lui avait demandé de rentrer. Combien de temps encore devrait-il subir ses humeurs ? Depuis qu’il avait passé ses dix-huit ans, celui-ci ne cessait pas de le tester. « Si tu veux reprendre les affaires familiales, tu devras être disponible n’importe quand, à n’importe quelle heure, lui avait-il dit un jour. Ceci est l’investissement de toute une vie, mon fils. » Néanmoins, Patrick n’y voyait que contrainte. Il resta un moment à observer ses amis boire leur verre à travers la devanture.
Jonas avait la tête baissée sous le volant. De toutes les bagnoles, faut qu’il pose son cul sur la mienne celui-là !
Pour Sébastien, le moment fatidique était arrivé, celui des slows. Il n’avait jamais été à l’aise en matière de danse ni de drague. Il décida donc de se caler dans son fauteuil et fit mine d’attendre que cela se passe.
Mais c’était sans compter sur Marie, qui même si Tristan n’avait pas pu venir, n’avait pas envie de jouer la carte des célibataires, terrée dans son coin. Sans lui demander son avis, elle lui agrippala main et le tira sur la piste de danse.
Roland et Virginie étaient déjà sur la piste, bercés par la chanson « Send me Angel » du groupe Scorpions. La voix mélodieuse de Klaus Meine, à elle seule, avait suffi à hypnotiser la foule.
Virginie avait l’impression de ne plus toucher terre. Roland resserra son étreinte. Elle s’abandonna totalement dans ses bras.
De son côté, Marie observait ce magnifique tableau, la tête posée sur l’épaule de Sébastien, qui par contre était tendu comme une barre de fer.
Sébastien détourna le regard, un point de tristesse dans les yeux. Depuis tout jeune, il avait toujours ressenti cette petite pointe dans son cœur, qui faisait qu’il était à la fois mal à l’aise devant elle, et secrètement amoureux d’elle.
Sébastien avait fait référence à la vierge de fer, qui avait inspiré son nom au célèbre groupe de heavy métal. Surpris de ce qu’elle venait de dire, il eut un mouvement de recul.
Un peu plus tard dans la soirée, Roland entraîna Virginie aux jardins de l’Évêché. Ce grand jardin botanique à la française était accolé à la cathédrale, surplombant la Vienne et la coulée verte de ses abords.
À l’abri des regards, Virginie et Roland escaladèrent les grilles et se faufilèrent dans la pénombre des peupliers. Main dans la main, ils traversèrent discrètement les parterres de fleurs pour aller s’installer à califourchon sur les hauts remparts. Un coin paisible et romantique qui offrait un magnifique point de vue sur la rivière.
Virginie était assise entre les jambes de Roland, bien calée dans ses bras. Il dégagea ses cheveux vers l’arrière et lui posa délicatement un baiser dans le cou.
Ils rigolèrent. Une brise tiède leur caressa le visage.
Si seulement lui-même le savait. Roland cala sa tête en arrière et regarda pensivement les étoiles.
Pendant qu’il réfléchissait, avec son pouce il lui caressait délicatement la main. Au bout de quelques instants, il se décida à briser le silence.
Il emprunta une voix féminine.
Puis, il lui confia autre chose.
Roland noua ses bras autour d’elle.
Roland esquissa un petit sourire. Silencieux, ils restèrent blottis l’un contre l’autre. Les lumières de la ville se réfléchissaient à la surface de la Vienne, semblables à des milliers de lucioles incandescentes.
Vingt mètres plus bas, à travers les vitres teintées de son 4x4, Jonas avait les yeux rivés sur eux. En même temps, il était en ligne avec son équipier Wallas.
Le dimanche soir arriva très vite. Toutes les lumières étaient éteintes, seul l’écran bleu remplissait la pièce. Sur son lit, Roland s’assoupissait sur le doux rythme des guitares de « Fear of the dark » d’Iron Maiden. Puis la musique ne devint qu’un bruit de fond, où se mélangeait le crépitement des flammes.
Une fois encore, l’immense brasier dévorait l’entrepôt. Dans sa gorge, la fumée s’accrochait âprement. Il toussa. Cette fois-ci, le rêve était différent. L’homme à la cicatrice tenait en respect le pompier à genoux, son arme braquée sur sa tête. Le secouriste était droit comme un I et agrippait fermement sa hache. Même si la visière de son casque était baissée, on pouvait imaginer son regard résigné. Après quoi, un craquement se fit entendre et le toit s’effondra, les ensevelissant sous une cascade de poutres, de gravats et de tôle.
Tout un côté de l’entrepôt s’était écroulé. Derrière un buisson, le jeune garçon était agenouillé dans une mare d’eau boueuse, créée par les lances à incendie. Figé, telle une statue de cire, il contemplait la scène qui se déroulait sous ses yeux.
L’homme à la cicatrice, immortel dans son esprit, s’extirpa des décombres en se relevant de toute sa stature. Son regard était noir et mauvais. Il s’avança au-dessus du pompier à demi enseveli et le fixa un moment. Sans ciller, il tendit le bras et l’exécuta froidement d’une balle dans la tête. Après quoi, il tourna le dos et disparut dans un mur de flammes.
Subitement, Roland s’arrêta de respirer. Son subconscient était resté bloqué sur l’image de ce petit garçon, apeuré et triste. Quand il réalisa une chose. Comme si une vérité soudaine venait de se dévoiler, une vérité qu’il avait toujours sue. Ce jeune garçon qui cherchait une aide qu’il ne trouva pas, n’était autre que lui.
Roland se réveilla brutalement en prenant une profonde inspiration, comme s’il sortait la tête hors de l’eau. En sueur, le teint blanc comme de la craie, il n’arriva plus à s’arrêter de tousser. Au terme d’une longue minute de récupération, il s’assit sur son lit moite. Sa chambre baignait dans le calme, il jeta un coup d’œil au réveil de son bureau.
Le cauchemar l’avait plus saisi que les autres fois, si bien qu’il eut du mal à revenir à la réalité.
Il se leva, chancelant, et prit la direction de la cuisine pour se servir un verre d’eau. Au lieu de ça, il s’arrêta dans le salon où il se laissa tomber sur le canapé en position assise. Les gouttes de sueur ruisselaient sur son torse nu et lisse. Il avait toujours très chaud, sa température n’avait pas baissé. Et là, il fit quelque chose d’anormal.
Il resta immobile, dans le noir, devant l’écran éteint. Son visage sans expression et son regard perdu dans le néant faisaient penser à une coquille vide, comme si son esprit avait quitté son corps.
À son réveil, un flot de lumière l’aveugla. Instinctivement, il enfouit sa tête sous l’oreiller. La texture lui agressa le visage, alors que d’habitude la douceur et la chaleur du tissu l’incitaient à prolonger sa nuit en grasse matinée. Roland se trouva à l’étroit. Les yeux plissés, il releva la tête, sentant l’empreinte que le velours du canapé lui avait laissée sur la joue. Qu’est-ce que je fais ici ! songea-t-il en regardant autour de lui.
Il se leva en douceur. Mais qu’est-ce que c’est que ces salades !? C’était évident qu’il avait passé le reste de la nuit dans le salon. Désorienté, Roland essaya de se remémorer la soirée de la veille. Il se revit fermer la porte de sa chambre et se rappela nettement s’être allongé après avoir mis en marche sa chaîne hi-fi.
Sa tête lui faisait un mal de chien. La douleur était si aiguë qu’il ne pouvait ouvrir complètement ses yeux. Il se mit debout et prit un verre d’eau avec deux aspirines. Au-dessus de la porte, la pendule en forme de piment indiquait… neuf heures trente !
Ni une, ni deux, Roland fila dans sa chambre et s’habilla fissa, sans vraiment regarder ce qu’il enfilait. Il prit son sac à dos sans vérifier son matériel pour la journée et claqua la porte derrière lui. Il remonta d’un pas rapide la rue Domnolet Lafarge en direction de l’arrêt de bus tout en gardant la tête baissée. La douleur de la migraine qui lui martelait le cerveau, combinée à la luminosité, était encore supportable.
Un coup de klaxon retentit, puis un second. Une Mini blanche et noire se gara à quelques pas de lui. Roland s’inclina lentement pour examiner le conducteur, ou plutôt la conductrice. Puisque le décor autour de lui avait tendance à vaciller, il s’appuya sur le toit de la voiture.
Roland avait des difficultés à articuler et s’appliquait à prononcer correctement chaque syllabe.
Il s’affala sur le siège de la voiture. Son teint était pâle et ses mains tremblaient.
Durant le trajet, Roland essaya de garder les yeux ouverts. Le paysage sautait et descendait en piqué, lui donnant la nausée. Il cacha ses yeux avec ses mains, espérant que ce semblant d’obscurité le soulage.
Virginie prit la direction du lycée par l’avenue George Pompidou. Elle le jaugea du coin de l’œil et s’aperçut qu’il clignait très fréquemment les paupières.
Roland avait chaud et se concentrait pour ne pas vomir. Il frissonnait.
Ils traversèrent le pont de la République, Virginie s’arrêta aux feux du croisement entre l’avenue Georges Pompidou et le quai Saint-Martial.
Le feu passa au vert.
Interclasse de onze heures,
La porte de l’infirmerie s’ouvrit et claqua contre le mur. Sébastien et Patrick soutenant Roland pâle comme un linge entrèrent. Son état s’était considérablement aggravé et il n’arrivait plus à se tenir debout. Des sueurs froides lui coulaient le long du corps au point d’avoir détrempé son t-shirt. Ses yeux roulaient dans leurs orbites et ses jambes tremblantes refusaient de le porter.
Jusqu’alors, il avait pu gérer la douleur, mais en fin de cours sa migraine s’était intensifiée et il n’avait pas pu se lever sans l’aide de ses amis. Sébastien avait immédiatement prévenu Virginie de l’état de Roland.
À l’instant où elle entra, Roland tourna de l’œil. Dans sa chute, sa tête percuta le carrelage de la salle d’attente dans un bruit sourd.
Sébastien appliqua immédiatement trois doigts sur le poignet de son ami afin de vérifier son pouls. Virginie s’agenouilla près de lui et essuya son visage avec la manche de son chemisier.
L’infirmière ne se présenta pas tout de suite. Au bout d’une interminable minute, une femme en blouse blanche d’une cinquantaine d’années, de bonne taille, les cheveux bruns mi-longs, émergea de son bureau son portable à la main.
Roland était allongé sur le dos, Virginie et Sébastien agenouillés à ses côtés. Patrick, lui, se tenait à l’écart scotché au mur et regardait la scène, pétrifié des pieds à la tête. C’était la première fois qu’il assistait à un malaise.
La porte s’ouvrit et deux élèves entrèrent. Surpris, eux aussi s’immobilisèrent.
Brusquement, Roland fut pris de petites convulsions qui surprirent Virginie et lui firent échapper un sanglot. Elle empoigna les mains de Roland.
Sébastien réagit au quart de tour et positionna, comme il put, un petit carnet dans la bouche de Roland afin qu’il n’avale pas sa langue.
Pendant ce temps, Sébastien mit Roland en position latérale de sécurité.
C’en était assez, Virginie se releva promptement et captura d’un geste vif le téléphone que l’infirmière avait dans sa main.
L’infirmière empoigna fermement le coude de Virginie et protesta avec vigueur.
Un de ses talons fins se brisa et l’infirmière tomba sur les fesses.
Virginie devint écarlate. À ce moment-là, le Directeur ouvrit la porte. Monsieur Pouillot était un homme aux allures de rugbyman avec son mètre quatre-vingt-dix et ses cheveux gras et courts. Il balaya la salle d’attente avec ses petits yeux bleus perçants. Durant un moment, il se demanda où il était tombé.
Il remarqua l’infirmière sur les fesses, et à côté, Virginie qui se tenait debout le téléphone dans les mains. Quant à Sébastien, lui, était au chevet de son ami. Les spasmes devenaient si violents que Roland se libéra du carnet. L’instant d’après, il rouvrit les yeux. Puis il s’évanouit de nouveau.
Sébastien leva la tête vers le Directeur.
Monsieur Pouillot hocha la tête, dérouté, en regardant Virginie essuyer une nouvelle fois le visage de Roland.
Les grilles du lycée s’ouvrirent pour laisser entrer l’ambulance. Quand les secours sortirent du bâtiment, Roland était sanglé sur un brancard. Les élèves s’attroupèrent dans la cour pour assister à l’événement.
Sébastien s’apprêta à suivre son ami dans l’ambulance, mais Jonas lui barra la route.
Jonas lui claqua la porte au nez. Le véhicule démarra et disparut au coin de la rue.
Sébastien était resté sur le trottoir, comme un idiot. Il n’en revenait pas. L’ambulancier avait refusé qu’il accompagne son ami.Heureusement pour lui, Virginie s’arrêta à son niveau et abaissa la vitre côté passager.
Lieu : Pakistan.
L’envoyée spéciale Marie Mastourie, affublée d’un casque lourd et d’un gilet pare-balle, était en premier plan d’un direct, devant une foule en effervescence amassée dans le centre deTéhéran.
Cette journaliste très controversée avait couvert les théâtres de guerre les plus importants de ces dix dernières années. De la Côte d’Ivoire au Mali, en passant par l’Orient, l’Afghanistan et la Corée, elle avait fait le tour du globe, n’hésitant pas à mettre sa vie en danger pour obtenir les images les plus percutantes et parlantes possible.
Armées de boucliers et de matraques, les forces de l’ordre essayaient de contenir la foule en attendant l’ordre de dispersion.
Bousculé, parfois malmené, le cameraman rapportait des images imprécises et floues de la manifestation. Des bus flambaient, des fenêtres et des devantures se brisaient sous les jets de pierres et de cocktails Molotov.