Erétic - Tome 2 - Yves Roumiguieres - E-Book

Erétic - Tome 2 E-Book

Yves Roumiguieres

0,0

Beschreibung

Après les événements cataclysmiques qui ont secoué la ville de New York, Nicolas se voit irrésistiblement attiré dans une caverne. Ses soupçons se confirment, quand il y trouve Ève. À sa demande, il se lance alors dans le récit de sa vie ponctuée, de batailles, de trahison, d’honneur et de passion. Mais quand il découvre les véritables raisons de sa présence, il est déjà trop tard. Un commando de l’Ordre, lourdement armé, surgit de nulle part et Ève disparaît.

Nicolas s’engage alors dans une traque dévastatrice et mortelle. Poursuivi par ses frères et toutes les forces de police, il tentera de retrouver Ève afin de l’empêcher de mettre un terme à toute l’humanité. Parviendra-t-il à vaincre son côté obscur, sachant qu’il est le seul rempart pour sauver le monde ?


À PROPOS DE L'AUTEUR


Marié et père de trois enfants, Yves Roumiguieres est un passionné de cinéma depuis toujours. C'est ainsi qu'il se lance dans la littérature contemporaine et moderne avec l'envie de partager ses histoires propres, riches et atypiques, mêlant différents genres et époques. S'adonnant à tous les styles, sa plume spontanée et légère nous ouvre la porte d'un tout nouveau genre de roman, très imagé et rythmé, rivalisant avec les œuvres cinégraphiques actuelles, dont il est fan.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 493

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Yves ROUMIGUIERES

ERETIC

Vol. 2

L’embrasement d’hyrésie

Roman

Du même auteur

Hyrésie

Liberté d’Exister

Désastre Humain, épisode 1

Un vent de terreur

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

Site : www.editions-lagrandevague.fr

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-38460-003-8

Dépôt légal : Mai 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

Remerciements

Le plus difficile dans une suite, c’est de ne pas se répéter, de constammentinnover,toutenrespectantlescodesdéjàétablis par l’original. Par conséquent, Erétic devait être une suite directed’Hyrésie,etenmêmetempsraconterunetoutautrehistoire.

Celan’auraitpasétépossiblesansleconcoursetlesoutien de certaines personnes, comme Elisabeth Daidone, collaboratrice hors pair dont les observations pertinentes ont été fructueuses.

Je remercie aussi ma famille de me soutenir à travers mes histoires et mes aventures. Sans oublier les nombreux Fans d’Hyrésie qui m’ont poussé à me surpasser avec Erétic.

À tous un grand merci !

À mes enfants, Chloé, Mathéo et Rémi.

L

es cumulus s’étendaient à perte de vue, voilant l’horizon de leur présence ubuesque. Une tempête menaçait. Un éclairillumina le ciel anthracite et le tonnerre gronda faiblement, par-delà la chaîne de montagnesescarpées.

Le vent gémissait à travers les branches nues et saillantes d’un immense chêne. Son tronc noueux était d’un noir profond comme l’ébène,etrenfermaitlavie.Pourtant,sonfeuillages’étalaittoutautour de lui, tel un matelasbruni.

Une rafale souleva une poignée de feuilles mortes, libérant une épaule et un visage d’une pâleur de craie. C’est là, qu’au milieu des racinesentrelacées,enpositionfœtale,cequisemblaitêtreunjeune garçon d’une dizaine d’années, aux cheveux clairs comme les blés, dormaitprofondément…

*

État de New York, aujourd’hui.

Danslagrotte,ilfaisaitchaud.Ilyrégnaituneatmosphèremoite et l’humidité suintait le long de la roche et des parois. L’écho de leurs voix donnait la sensation de les enrober. À l’extérieur, la mer frappait sans relâche les rochers et grondait dans les couloirs de la cavitécalleuse.

La vision du passé qui se dessinait dans l’esprit de Nicolas provoqua en lui une sensation inédite, un mélange d’excitation et de tristesse.Lesportesdutempss’ouvraientàlui.Ilpritalorsuneprofonde inspiration et s’y engouffra denouveau.

— Commepourtoi,lejourdemanaissanceaététrèssignificatifde la vie que j’ai menée. Confusion, effroi, violence… amour…, sa voix mourut.

Tapiesurdesblocsdepierreressemblantétrangementàun trône, la silhouette d’Eve se découpait dans l’obscurité, tel un spectre figé. Silencieuse, elle écoutait attentivement sonrécit.

Elle, mieux que quiconque, savait que prononcer ces mots était de loin un exercice difficile. Avant d’en parler à Thomas, elle s’y était préparée pendant des années.

— À mon sens, poursuivit-il, une existence mérite d’être vécue, mêmesiongranditdanslesang.C’estdanscemêmesangquenaissent la sagesse et toute sa poésie. La beauté du geste, celle d’un homme profondément meurtri, s’évertuant àsurvivre.
— Tu prétends avoir souffertplusquemoi ! dit-elle sévèrement.
— Absolumentpas.
— Que ce soit clair entre nous, si je te laisse vivre, templier, c’est uniquement parce que je souhaite connaître ton histoire, avant de t’achever.

L’argument fit sourire Nicolas. Comment pouvait-elle prétendrecela ?Forceétantdereconnaîtrequelecombatseraiteffectivement féroce. Après m’avoir entendu, elle rectifiera elle-même sa position,songea-t-il.

Il poursuivit.

— Jemesouvienstrèsbiendel’endroitoùjesuisapparu,carj’aieu la chance d’y retourner par lepassé.

Eve resta stoïque, après de nombreuses années de recherche, elle-même n’avait pas eu cette chance.

— Je me souviens de cette souffrance, comme si mes muscles se déchiraient à chaque mouvement que j’esquissais. À chaque inspiration, une intense brûlure m’embrasait lapoitrine.

À ce souvenir, Nicolas frissonna.

— Quand j’ouvris mes yeux, la toute première image qu’il me fut donné de voir fut cet arbre, avec ses immenses branches nues qui pointaient vers le ciel comme si elles le défiaient. Bien des siècles plus tard, il m’arrive encore de ressentir cette douleur paralysant chaque partie de mon corps. En m’aidant du tronc, je me hissais le plus haut possible à la force des bras, quand brusquement, le sol trembla sous mes pieds. La foudre avait frappé la montagne dans uneterrifianteexplosion.Àcemoment-là,toutsemélangeadans ma tête, douleur, peur, désir de fuir. J’étais l’otage de mon incapacité à me tenir debout. J’étais pris de panique.

Il serra son poing devant son visage.

— Un second éclair me figea sur place, suivi d’un roulement de tonnerredetouslesdiables.Jenesavaispasquoifaire.Moninstinct me disait que je devais rester où j’étais, que cet arbre m’apporterait protection. Mais un troisième éclair, plus puissant, s’abattit dessus, me projetant à plusieurs mètres.

Il se tourna vers Eve.

— Cequej’aivécuestdifférentdecequetoituaspuvivre,lui adressa-t-il. Mais sache que moi aussi, j’ai mes démons.

*

Quandilrelevalatête,unautreéclairdéchiraleciel,illuminant l’arbre,unefractiondeseconde.Sontroncsemitàscintiller,mettant en relief les crevasses de son écorce. Il perdait toute sa sève, son fluide vital. Mais quand un rayon de lune trouva son chemin à travers la voûte nuageuse, il éclaira ce fluide vermeil qui s’écoulait lentement.Enréalité,cen’étaitpasdelasève,maisdusang.L’arbre blessésaignait !

Àsonpied,uneépaisserivièred’hémoglobineseforma,enemportant les feuilles sur son chemin. Le flot se fraya un passage sur le sol pentu, décrivant un virage sur la gauche et se jeta en cascade hors de lafalaise.

Craintif, le jeune garçon recula, tremblant, les coudes collés au corps. Le vent le poussait, l’écartait de cet arbre qui lui avait donné vie. L’enfant se mit péniblement debout, et alors, sans le savoir, il s’enfonça timidement dans l’épais brouillard et disparut dans les plaines arides des montagnes.

Des fils de sang dégoulinant s’étiraient des branches jusqu’au sol. L’hémorragie semblait ne jamais vouloir cesser de s’écouler.

Lalumièredelalunesetarit,laissantplaceauxténèbresdévastatrices. Un éclair zébra le ciel, suivi du tonnerre. Puis un autre,qui éclaira l’écorce. Gravée à l’intérieur, scintillait une inscription en lettres de sang…

Première Partie

Ange ou démon

« On ne peut dire ce qui s’est passé entre ce que nous étions et ce que nous sommes devenus. Les siècles s’écoulent, les horizons changent, mais l’amour véritable est, et restera éternel. »

Eretic

1

Vue du ciel, la forêt de pins donnait l’impression d’un champ de coton. Lestempératuress’étaientadouciesetlaneigequienveloppaitla végétation fondait en pluie verglaçante. De l’autre côté, le bruissement de l’océan gris léchant tranquillement la plage tapissée de galets brisa lesilence.

Avec son talon, il abaissa la béquille et posa la Harley dessus. Ildescenditdelamotoetretirasoncasquequ’ilposasurlesiègeen cuir. Puis il ôta son gant et déposa sa main nue sur le capot de la voiture que Nicolas avait garée sur le bas-côté, quelques minutes auparavant.

L’homme était affublé d’un jean et d’un perfecto en cuir noir. Enfaisantletour,ileffleuraduboutdesdoigtslacarrosserie,l’aile, la portière, puis le coffre. Derrière ses lunettes de soleil, on ne pouvait distinguer sesyeux.

— Tunemelaissespaslechoix,murmura-t-ilàl’adressedeson propriétaire. Non, tu ne me le laisses vraiment pas, répéta-t-il.

Non loin de là, dans une grotte dont la bouche rétrécie donnait sur l’océan, Nicolas, dans la pénombre et assis sur une pierre, leva les yeux vers Eve. Son regard était dur et profond.

— Tu t’es longtemps demandé si tu étais la seule, lui dit-il. Je viens t’apporter la réponse.
— Sa voix ricochait contre la paroi rocheuse et fit le tour de la caverne.

Eve était de marbre, le visage inexpressif. Elle avait longtemps sillonné le monde à la recherche d’un être comme lui, et n’avait eu vent d’aucune rumeur, ni d’aucune preuve tangible de l’existence d’une autre âme immortelle que la sienne.

Nicolas, tranquillement assis, poursuivit.

— Ainsi, mon histoire a commencé sur les hauteurs du mont Olympe en Grèce. Comme tu t’en doutes, j’ai vécu dans ces montagnes très longtemps, comme un animal. Si longtemps que je ne peux dater cettepériode.

Eveneréponditpas.Jusque-là,ilneluiavaitrienapprisqu’elle nesachedéjà.Bref ! C’estlasuitequil’intéressait,surtoutlesévénements qui l’avaient poussé à faire partie de l’Ordre, et par cette occasion à devenir son ennemi. À première vue, son pouvoir était moins développé que le sien, presque inexistant d’ailleurs. Au mieux, il devait résulter des capacités physiques qu’il s’était forgé durant tous ces siècles. Mais ce qui l’intriguait par-dessus tout, c’étaitsonexcèsdeconfiance.Quecachait-il ?Etpourquoiavait-il mis tout ce temps à sedévoiler ?

— Je fus élevé par une femme dont le mari était mort pendant la guerre. Et crois-moi, cette époque ne fut pas de toutrepos…

*

Le domaine de Dieu.

Danaé déambulait seule à plus de deux mille neuf cents mètres d’altitude,danslesneigeséternellesdumontOlympe.Emmitouflée dansunesimpleétoffe,laneigejusqu’auxgenoux,elleavançaitsans but précis dans la forêt, attendant que les dieux la rappellent. Une forêt de pins et de sapins, où les chênes tendaient vers le ciel leurs branches tentaculaires, enrobées de neige. Leurs racines noires entremêlées sortaient dusol.

Soudain, Danaé fut surprise par un lapin. Effarouché par son apparition, il bondit derrière un arbousier et décampa.

Dans le paysage immaculé, quelque chose attira soudain son regard. À deux pas d’elle, la neige s’affaissait, formant un trou. À première vue, ça ressemblait à un terrier, trop gros pour un animal, mais suffisamment pour une personne de petite taille. Piquée par la curiosité,elles’enapprocha,s’accroupitetpassalatêtededans.Elle resta un moment, silencieuse, àl’observer.

Le souffle court, un nuage blanc et vaporeux s’échappant de sa bouche, elle n’en croyait pas ses yeux. Que faisait cet enfant, seul, au sommet du mont Olympe ? Où étaient ses parents ?

Lejeunebambin,touttremblant,étaitfagotéd’unepeaugrossièrement coupée, pour ne pas dire déchirée. Il était prostré au fond, assis sur une épaisse couche de feuilles dont il avait manifestement lui-même tapissé la cavité. Il avait l’air dedormir.

Elle s’assit à l’entrée du trou. L’enfant sentit sa présence et se réveillasoudainement.Terrifié,ilremontasesgenouxcontresapoitrine, jetant vers elle un regard fébrile et apeuré. Il ne pouvait s’échapper.

— Çavamonpetit,dit-elled’unevoixdouceetrassurante.Quefais- tu ici, seul, dans lefroid ?

Voyant qu’il tremblait de peur et de froid, et qu’il n’arrivait pas à lui répondre, elle approcha sa main, comme elle le ferait avec un jeune poulain afin qu’il sente sa chaleur humaine et s’imprègne de la confiance qu’elle voulait lui apporter. Avec méfiance, il se rapprocha et doucement caressa le dos de sa main. Sa peau était douce sous ses doigts. Le jeune garçon la laissa caresser sa joue en retour. Et sans vouloir totalement s’abandonner à elle, il se blottit dans ses bras.Danaévenaitdegagnersaconfiance,elleleserrachaleureusement contre elle, comme seule une mère sait lefaire.

*

— Elle m’éleva comme son propre fils, dit Nicolas avec un sourire affectueux.Jeteparledeça,bienavantlaGrèceantique.LesGrecs n’avaient pas encore pris pied en Asie Mineure, dans les îles égéennes, à Chypre, en Crète, en Sicile, bref… Et d’ailleurs, il y a toujours très peu d’informations sur cette époque, mis à part ce qu’Homère a raconté dans l’Iliade.
— Donc, tu es grec ? Vu ton nom, Nicolas, j’émettais desdoutes. Surtout, je ne savais pas que c’était aussi ancien !
— C’est pourtant la stricte vérité, et je te l’avais déjà dit, rappelle- toi.
— Juste que tu venais de Sparte. Ensuite, le roi t’a faitarrêter.
— Je m’en souviens,oui.

Il se racla la gorge et reprit son histoire.

— Danaéfutunemèrepourmoi,commeMariusavectoi.Dansmon village, certains habitants étaient persuadés que j’étais un demi-dieu, du fait qu’on m’a trouvé seul sur le mont Olympe. Alors, dès mon plus jeune âge, la première chose que l’on m’a enseignée fut de me battre, épée et bouclier à la main. Et le fait d’avoir été un survivant durant tous ces siècles, avait éveillé en moi l’âme d’un combattant. À ce moment-là, nous n’étions pas en guerre, mais il y avait des jeux. Et je devins vite la figure emblématique de mon village. C’est ainsi que j’ai grandi. Jusqu’au jour où le chef du petit village se présenta à notreporte…

*

La lune planait dans sa robe blanche, tel un spectre, gardée par des milliers de constellations ou des dieux, disait-on dans larégion.

Nérée arriva enfin en haut de la colline et se présenta à laporte.

Il frappa deux fois. Le jeune garçon lui ouvrit.

— Ah ! Nicolas, je techerchais !
— Bonjour, Nérée,entre.

C’était une petite maison sans prétention, lumineuse et accueillante.Autourdelasallederéception,deuxchambresétaientdélimitéespardesrideauxd’épaiscotonbleumarine.Danaésortitducoin dédié à la cuisine, le front plissé. Inquiète, aurait ditNicolas.

— Nérée ? Quefais-tu ici?
— Je suis là pour te demander une faveur. À vrai dire, ça concerne Nicolas.

Son cœur s’arrêta. Une boule se forma immédiatement dans sa poitrine, si oppressante qu’elle ne parvenait plus à respirer. Ses jambes se dérobèrent.

Elle se retint à la table et s’assit.

— Mère !s’exclama Nicolas en seprécipitant auprèsd’elle.

Ça va aller, lerassura-t-elle.

— Je vois bien que ce n’est pas lecas…
— Si, si, jet’assure. Nérée avait l’airpeiné.
— Je sais pourquoi tu es là, Nérée.
— Oui,ehbien…Danaé,jesuisdésoléd’insister,maisleshommes ne partiront que s’il accepte de se joindre ànous.
— Tum’asdéjàprismonmarietmonpremierfils !Tun’auraspas celui-là !
— C’est le meilleur combattant que nous ayons et certains d’entre nous y voient un signe de la providence. Un demi-dieu dans nos rangs guiderait notre armée vers lavictoire.
— Ce n’est pas undemi-dieu…
— Maman… l’interrompitNicolas.
— Stop ! fit-elle fermement en fixant lesol.
— Maman… réitéra-t-il. Je veux y aller.

Dépitée, elle posa ses yeux tristes surlui.

— Qu’est-ce que tu as ditNicolas ?
— Je désire me joindre àeux.
— Tu sais, mon chéri, il n’y a aucune gloire à mourir au combatau profit d’un autre ! tenta-t-elledele raisonner.

Les larmes roulaient sur ses joues.

— Je sais. Mais pour moi, c’est la chance de trouver maplace.
— Tu es mon fils ! Ta place est ici, avec moi. Cela ne te suffit-il pas ?
— Bien sûr que si, fit-il gêné. Tu m’as recueilli et tu m’as tout appris. Maintenant, il est temps que je trouve ma voie, que j’apporte ma pierre à cetédifice.
— Oui mon chéri, je comprends bien tout cela, mais tu n’es pas obligé d’aller à la guerre pourcela.
— C’est la seule chose que je puisse leur apporter. La seule chose que j’aimefaire.
— Tunesaispascequetudis.Là-bas,ilsnejouentpas.Ilssebattent pourtuer ! supplia-t-elleen larmes.

Danaé comprit tout de suite qu’elle ne parviendrait pas à retenir son fils, et elle ne pouvait se résoudre à le laisser aller à la mort.

Nérée posa sa main sur l’épaule de Nicolas.

— Je prendrai soin de lui, Danaé. Tu as mapromesse.
— N’en fais pas un héros. Nérée, tu m’asbien comprise !

Nicolas s’assit face à sa mère et lui prit les mains dans les siennes.

— Maman,tuasledondeprédireleschoses.Ici,tousrespectenttes prédictions. Dis-nous ce que tu vois.

Elle le fixa, puis posa le plat de sa main sur sa joue, avant de se lever et de se diriger vers l’encadrement en bois de la fenêtre. La nuit était douce et la lueur de la lune était si vive qu’elle éclairait l’horizon.

— Je vois la victoire, monfils.
— Alors, ne t’inquiète pasmaman.
— Je vois aussi que si tu restes, tu vivras en paix. Tu trouveras une femme merveilleuse et tu auras des fils à ton tour, qui auront à leur tourdesenfantsettuserasunexemplepourtafamille.Sidemaintu te rends sur les champs de bataille, tu connaîtras la gloire, et on écrira l’exploit de ton histoire pendant des milliers et des milliers d’années. Mais sache que si tu te rends demain sur ce champ debataille, tu ne reviendrasjamais.

Un courant d’air souleva ses longs cheveux bouclés et bruns. Elle se tourna vers lui, le visage figé, sans expression. Elle ne pleurait plus.

— Tagloiren’aurad’autreprixqueceluidemarcheraucôtédes dieux.
— Mère, es-tu certaine dedétenirla vérité ?
— J’en suis certaine, monfils.

Nérée se dirigea vers la sortie.

— Nicolas, par respect pour ta mère, je ne peux t’imposer de nous suivre à la guerre. Mais sache que nous partirons demain aux premiers rayons du soleil. Il t’appartient désormais de sceller ton avenir.

2

De son trône, Eve le toisait. Nicolas se frotta la joue et continua, comme s’il cherchait à se souvenir.

— À cette époque, je débordais d’ambition, je rêvais de batailles glorieuses,dehéros.Maispasmamère.Elledésiraitjusteéleverson enfant le mieux possible, en faire un hommed’honneur.

Il fixait une petite flaque d’eau. Son reflet ondoyait à la surface.

— Encore aujourd’hui, je me pose cette question. Si ce soir-là j’avaisécoutélesconseilsjudicieuxdeDanaé,monavenirenaurait-ilétédifférent ?Serai-jedifférent ?ajouta-t-iltoutbas.

*

Portéparlevent,lebruitlourddeleurspas,mélangéàceluidu métal de leur équipement, arriva à ses oreilles. Danaé se précipita à la fenêtre, le visage triste. La troupe était en marche, le soleil mordant se réfléchissait sur l’émail de leurs casques. Elle les regarda franchir la dernière colline et se confondre dans l’horizon lointain, là où le ciel bleu azur rencontrait les verts pâturages. Une larme roula sur sajoue.

Nicolas avait fait son choix, il était parti tôt le matin et maintenant il marchait vers son propre destin. Ce n’était encore qu’un enfant, même si elle avait toujours su qu’il était différent des autres. Mais comme tous les enfants de cet âge, ses rêves de bataille et de gloire l’avaient poussé à accepter la proposition de Nérée.

*

— Comme l’avait prédit Danaé, ce fut une grande victoire. Une bataillequeNéréeretranscrivitsurunparchemin.Biendessièclesplus tard, ce document disparaîtra dans les flammes pendant l’insurrection de Ménélas dans la grande bibliothèque de Troie durant la Grande Guerre. Nérée y parlait des exploits d’un valeureux héros, qu’il comparait à un dieuvivant.

*

La troupe avait marché des centaines de kilomètres trois jours durant, passant d’un décor verdoyant à un panorama aride et désertique.Ilsavaientétablileurcampementàlafrontièredeleurrégion, afin de contrer l’envahisseur, dans un talweg où deux collines se rencontraient autour d’un cours d’eau sinueux.

Le lendemain, aux prémices de l’aurore, les soldats étaient deboutdansladoucechaleurmatinale,casqués,armesetboucliersaux poings. Séparés par la frontière, une étendue désertique, leurs ennemis les toisaient au loin, avec la mêmeferveur.

Les parlementaires étaient revenus des négociations avec de mauvaises nouvelles. La bataille était désormais inéluctable. Nérée exhorta Nicolas, bouillant d’impatience, de rester en retrait. Du moins, durant le début des festivités, lui avait-il dit.

Le choc, à la rencontre des deux camps, provoqua une explosion de métal et de hurlements qui transit Nicolas. Jamais, dans ses rêves les plus fous, il ne s’était attendu à une telle sauvagerie.

Puis,trèsvite,l’ennemigagnaduterrain.Nicolasentrevoyaitla défaite,samèreavaiteutort !Or,ilnepouvaitl’accepter.Ladéfaite n’avait jamais fait partie de sonvocabulaire.

Défiant les ordres de Nérée qui peinait à se faire entendre dans la cohue du combat, Nicolas sauta de cheval, tira son épée de son fourreau dans un sifflement et fondit dans la mêlée.

Undessoldatsennemisvitlegarçonluiarriverdessus.Ilpiétina et se prépara à le recevoir, mais Nicolas passa en trombe à côté de lui avant qu’il n’ait eu le temps d’abaisser son glaive. Il sentit un coup violent dans l’abdomen, puis tomba à genoux. Pour finir, Nicolas lui asséna un coup derrière la tête, le soldat s’écroula. Dans l’excitation, il cria à tue-tête en appelant à resserrer lesrangs.

Le champ de bataille grouillait de monde qui s’entretuait dans un bruit d’enfer. Des nuages de poussière et des clameurs s’élevaient. Nicolas accéléra le pas. Son allure, d’une fluidité et d’une souplesse étonnantes, se mua en pas de course.

Nérée ne l’avait jamais dit à Danaé, mais il pressentait que la valeur et la bravoure du jeune garçon le mèneraient un jour au rang dechef.Peut-êtrel’avait-elleaussiremarqué ?Peut-êtrepas,entout casellen’enavaitjamaisfaitétat.Pourtant,ilnefaisaitaucundoute que Nicolas ne serait jamais fermier, contrairement à la plupart des combattants sous ses ordres. Nérée en était convaincu, Nicolasétait et restera un soldat toute sa vie. Un meneur d’hommes. Un valeureux guerrier !

Au combat, Nicolas faisait preuve d’une incroyable confiance en lui. Agile dans ses mouvements, il était si rapide que les lames de ses adversaires n’arrivaient pas à le toucher. Vif comme l’éclair, à coup de pied ou à coup de coude, il déstabilisait ses ennemispour ensuite les achever de la pointe de sa lame. Chacun de ses gestes était précis et d’une assurancemeurtrière.

— Derrièremoi !cria-t-ilàtroiscombattantsquisetenaientdans sonsillage.

Voyant que le jeune homme s’enfonçait dans la mêlée, tête baissée et décidé, ils le suivirent.

Un ennemi se retourna rapidement et retira sa lameensanglantée du corps d’un de ses adversaires. Nicolas déboula sur lui, para une estocade et lui enfonça sa lame dans l’abdomen. Puis, il la retira et lui donna un second coup avec le plat de la lame, sous l’oreille. L’homme se raidit, ets’effondra.

Nicolas continua son chemin en marchant à travers les corps massacrés de ses compatriotes et ennemis.

Malgré l’épaisse fumée qui voilait sa vision, Nérée ne le quitta pas des yeux. Comme il l’avait prédit, la témérité et la vaillance du jeunegarçonenfaisaientunadversaireredoutable.Etsasimpleprésence sur le champ de bataille suffisait à donner un regain de confiance et de motivation aux troupes.

L’ennemi commença à reculer. Sous les ordres de Nérée, une partie des troupes se resserra et constitua un cercle autour de leur champion.

Nicolasétaitnoyédanscettemaréehumaine,beuglanteetgrouillante, pourfendant à tout va, repeignant de rouge le sable de la vallée. Mais son exaltation et sa ferveur furent de courtedurée.

Tout bascula quand un soldat ennemi vint percer les défenses. Il se détacha subitement de sa formation, sauta par-dessus trois hommesquitombaientets’infiltradanslecercle.Ilenfonçasalame dans le trapèze du jeunegarçon.

Dans l’euphorie, Nicolas n’avait pas vu le coup venir. Son adversaire l’avait frappé dans le dos. La douleur le paralysa immédiatement, une douleur déchirante. La lame était enfoncée de haut en bas, à côté du cou. Son énergie vitale s’envola subitement, comme l’airfuyantd’unballon.Lorsqu’iltentadeseservird’unefeinte,ses jambes se dérobèrent. Nicolas tomba à genoux,terrassé.

Pour Nérée, tout se passa au ralenti. Il resta sans voix devantla promesse faite à une mère et à son fils qui venait de s’envoler d’un seul coupd’épée.

Nicolas tenta d’attraper sa lame, mais n’y parvint pas. La douleurdéchirantel’empêchaitdeleverlebrasau-dessusdesonépaule. Ilsecoualatête.Maintenantilbaignaitdanssonsang,quis’élargissait autour de lui. Une immense fatigue l’envahit. Deux soldats de son camp arrivèrent sur lui. Ils tentèrent de le tirer hors du champ de bataille tandis que d’autres les couvraient des assauts des ennemis qui en profitaient pour gagner du terrain et finir letravail.

Ce n’était pas possible ! Leur héros venait d’être grièvement blessé.Commentundemi-dieupouvait-ildisparaîtreainsi ?Ilallait sereleveretdéclencherlafoudre ! Mais aulieudeça,Nicolass’éteignitsurlecheminetsavies’envola.Soncorpstomba,mort !

Décontenancé, Nérée tourna le dos et s’apprêta à sonner la retraite, quand quelque chose se produisit. Il n’y eut ni éclairni tonnerre, seulement du sang. Inférieurs en nombre, les survivants, blessés et assommés lors de la précédente attaque, commencèrent à reculer.

Le corps du jeune garçon fut pris de convulsions, comme possédé par un esprit. Des convulsions si violentes que les hommes le lâchèrent au milieu des cadavres. Le petit était mort ! Mais son corps, saignant de toute part, bougeait encore. Comment était-ce possible ?

Cependant, l’intuition de Nérée lui intima de rester sur place, il avait la sensation que le combat n’était pas terminé. Il tourna son cheval et se rapprocha, balayant une dernière fois le champ de bataille jonché de cadavres. Tout n’était que corps empilés les unssur les autres dans le sang. Seulement, en y regardant de plus près, il constata une chose étrange. Le sang répandu sur la terre ne s’étendaitpasdemanièrelogiqueautourdescadavres.Non,ilsemblaitse mouvoir, ruisselant dans une mêmedirection.

L’hémorragieredoublad’intensitéenformantdescrevassesirrégulières et incandescentes dans le sol. Devant le phénomène, personne, absolument personne ne proféra le moindre son, ni même leurs ennemis. Tout le monde arrêta de se battre et ils se mirent à contempler cette effrayante manifestation, tout droit sortie des enfers, se créer un passage entre leurs pieds et les corps étendus. Un sinistre pouvoir envahissait le champ debataille.

3

Les rivières de sang s’étaient transformées en torrents bouillonnants, qui confluaient pour former une immense toile d’araignée à travers la zone de combat. Ils s’écoulaient par-dessus et en dessous des morts démantibulés et rejoignaient, en son centre, le corps du jeune garçon. Des geysers de sang. Le spectacle était horrible.

Le combattant ayant porté le coup fatal à Nicolas, sûrement le champion du camp adverse, réagit au quart de tour et bondit sur lui enletransperçantdesonépée.Lui-mêmeavait-ilconstatélephénomène ?Ilarrachalalamedesachair,etàchevalsurlui,luiinfligea ensuite un autre coup dans l’omoplate, en la retirant aussitôt pour que la plaie resteouverte.

Le cri aigu d’un aigle survolant majestueusement la vallée attira l’attentiondeNérée.D’abord,Nicolasserelevabrusquementenrepoussant son assaillant. Une boule de sang éclata dans sa bouche, lui provoquant une quinte de toux. Ce goût ferrugineux remplissait sa bouche et restera à jamais imprimé dans son esprit. Son souffle s’accéléra soudainement, il devint rauque. Nicolas sentit la fureur monter en lui. Ses yeux brillaient d’un rougevermeil.

Quandilseretourna,Néréenereconnutpaslejeunehommequ’il avait invité à se joindre à eux. Il avait l’air plus âgé, les muscles saillantsetruisselantsdesang.Sonvisageétaitdéfiguréparlahaine. Ses yeux sombres étaient empourprés et coulaient sur ses joues creuses en longues traînées rouges.

Nicolas posa la main droite sur le pommeau de son épée, mais la relâcha, à la place, il la tendit devant lui. Comme attirée par un aimant, la gorge de son adversaire s’écrasa contre la paume de sa main, et d’un coup poing au visage, il lui explosa littéralement la tête, aussi facilement qu’on écrase une tomate. Nérée ne parvenait pasàycroire.ÇanepouvaitêtrelejeuneNicolas,lefilsdeDanaé !

Ce dernier s’avança au milieu des corps, sans armes. Au début, personne n’osa l’approcher. Puis certains tentèrent.

De son cheval, Nérée n’avait jamais vu autant de bestialité. Sa manière de se battre était si brutale. Chaque coup porté transperçait ses ennemis de part en part, projetant des gerbes de sang dans tous les sens. Son bras était son épée, sa main la pointe. Et chaquegerbe verséeseréunissaitautourdeluienuneflammerougeamarante,tel un bouclierprotecteur.

Soudain, une onde de choc aussi puissante qu’une déferlante repoussa tous les combattants à plusieurs mètres de lui dans un effet domino. L’échine de Nérée se hérissa, la peur l’envahit.

Nicolasécartaalorslesbrasetlesrivièresdesangsesoulevèrent au-dessus des têtes pour venir former plusieurs anneaux virevoltant danstouslessens.Quelétaitcepouvoir ?Venait-ild’Arès,dieu de la guerre ? Desenfers ?

Enéeordonnaleretraittotaldeseshommes,maisNicolass’exprima d’une voix grave etpercutante.

— Àmonsignal,couchez-vous,tous !cria-t-ilàsescompagnons.

L’ordre se répercuta aussi vite que le vent.

Les quatre anneaux qui tournaient se fondirent en un seul, plus large, scarifiant le sol, taillant la pierre.

À l’autre bout du champ de bataille, le chef de l’armée adverse exhortasestroupesàtuerledémon.LaréactiondeNicolasàcemoment-làfuttrèsrapide.Sirapide,qu’ellesurprittouslescombattants.

— Maintenant ! hurla-t-il à pleinspoumons.

Savoixtranscendalechampdebataille.Tousceuxdesoncamp obéirent et se couchèrent. Il écarta alors les bras et une explosion balaya toute la vallée, vaporisant l’intégralité des combattants adverses. L’anneau s’était déployé sur toute la surface, frappant les soldats à hauteur de poitrine. Une lame sanglante avait alors jailli, transformant la vallée en une mer d’un rouge profond etténébreux.

*

État de New York.

Eve écoutait Nicolas attentivement et ne put s’empêcher de repenser à la fois où ses pouvoirs s’étaient déclarés.

— Après cette démonstration de force, termina-t-il, là où d’autres m’auraient relégué au rang de monstre et m’auraient banni, eux m’ont adulé pour ce que j’avaisfait.
— L’humanitéserésumeàça.Tantqueçasertleursintérêts,peu importe le nombre de morts, déclara Eve.
— Ils ont fêté cette victoire pendant deux jours, après quoi Nérée a décidé d’envahir la province voisine. Il n’eut aucun mal à le faire, j’avais réduit en poussière toute leurarmée.
— Aprèscedonttuasététémoin,jen’arrivetoujourspasàcomprendre pourquoi tu protèges les hommes ! fit-elle avec dégoût.
— Laisse-moi finir, tucomprendras.

*

Nérée avait retrouvé Nicolas inconscient au milieu du sang et des tripes. Il avait donné l’ordre de ramener le gamin, en scandant ses louanges et le pouvoir des dieux.

Nicolasseréveillasoussatente,confus.Queluiétait-ilarrivé ? Il avait perdu connaissance. Il inspecta son corps. À première vue, il ne souffrait d’aucune blessure. Il avait sûrement reçu un coup sur latête.Nonpourtant,aucunebosse !Ilparvintàs’asseoirsurson lit et regarda autour delui.

À l’extérieur, la nuit était tombée et la fête battait son plein. Cela laissait présager qu’ils avaient gagné la bataille. Une corbeille de fruits,ainsiqu’unpotremplid’eautièdeaccompagnédebandelettes detissus,étaientplacésàcôtédelui.Iltentadeposerunpiedàterre. Soudain, il fut assailli d’images, des corps transpercés et saignants luirevenaientenflash,noyésdansunbrouillardrouge ; labataille, le coup porté dans son cou et lesang !

Quand il rouvrit les yeux, ce fut comme s’il voyait clair pour la première fois, comme si une réalité qu’il avait toujours sue s’était enfin dévoilée à lui. Mais quelle vérité ?

— Quem’arrive-t-il ?murmura-t-ilensetenantlatêtedepeur qu’elle n’explose sous la violence des visions.

Le vacarme incommodant de la fête entravait ses pensées, et l’empêchait de remettre les choses en place. Il ressentit le besoin d’être seul, et de silence. Puisqu’il n’avait pas été abandonné sur le champ de bataille et qu’il n’avait pas fini enchaîné à l’arbre le plus grosdesenvirons.Or,dèsqu’ilmettraitlepiedhorsdelatente, il serait assailli d’acclamations et de questions en tout genre. Ses habits, nettoyés, étaient posés sur une chaise. Il se leva, se vêtit et passa discrètement sous le battant de satente.

Derrière,unepentemontaitsurleshauteursd’unecolline.Lebesoin de solitude le poussa à s’y aventurer. Discrètement, il gravit sa pente en s’aidant de ses mains.

Il jeta un coup d’œil en bas, personne ne l’avait vu. Un mélange depeuretdehontelesubmergea.Nedevrait-ilpasplutôtembrasser savictoire avec ses compagnons ?Aprèsunebrèveréflexion,ilcontinua de grimper. Il avait besoin de se remettre de ses émotions et de comprendre ce qui lui était arrivé. Et pour ça, il devait se retrouver face àlui-même.

Au sommet de la colline, une immense étendue désertique s’ouvritàlui.Ellebaignaitdanslalumièreblafardedelalune.Ils’adossa contre un large tronc et fixa l’horizonétincelant.

Il avait peur. Un changement s’était opéré en lui, il le sentait, mais il n’aurait pas su expliquer lequel. Son esprit était embrumé, comme après un lendemain de beuverie, et des flashs de la bataille continuaientàaffluerdanssatête.Desjetsdesang,descorpslaissés à l’abandon, des cris, des supplices, des pleurs, et au milieu de tout ça, lui. Il se voyait fondre dans la meute, pourfendant à tout va, jusqu’aumomentoù,foudroyé,ils’effondra.Leresteétaitencore très flou, il y discernait une mer rouge submergeant le champ de bataille. Après quoi, il s’était réveillé sous sa tente, sans aucune blessure,etépuisé.Qu’avait-ilbienpusepasserdurantcettebataille pour le chamboulerainsi ?

Soudain, une main sur son épaule le fit sursauter.

— Non,restetranquille,luiditDanaéd’unedoucevoixens’asseyant à ses côtés.
— Maman,s’exclama-t-ilenlaserrantdanssesbrascommeunpetit garçon. Mais que fais-tuici ?!

Elle sentait son corps trembler.

— Après la bataille, Nérée a envoyé quelqu’un mechercher.
— Commentça ?!Jesuisrestéinconscientdepuisunesemaine ?! fit-il estomaqué.

Elle s’installa à côté de lui.

— Pas tout à fait… Quand je suis arrivée, tu étais toujours couvert des traces de la bataille, alors je t’ai nettoyé. J’ai bien cru que tu ne te réveillerais jamais. Alors j’ai prié les Dieux pour que tu me reviennes.

Elle posa sa main sur la sienne et lui serra.

— Commentsefait-ilquenousnesoyonspasrentrésàlamaison ?
— Après sa victoire, poursuivit Danaé, Nérée a envoyé des émissaires aux quatre coins du pays pour former une grande armée, car il compte envahir la province. Et tout ça grâce àtoi.
— Pourquoi grâce àmoi ?

Elle le regarda l’air étonné.

— Tu ne te souviens vraiment derien ?
— De quoi au juste, devrai-je mesouvenir ?
— Que terappelles-tu ?
— Desimagess’entrechoquentdansmatête.Desimagesdebatailles, avec du sang, beaucoup de sang.

Danaé fixa l’horizon. Le ciel était orné de diamants bruts étincelants, qui disparaissaient derrière la ligne d’horizon. Une étoile filante s’étira devant leurs yeux.

— Tusais,Nicolas…savoixétaitdouce.Dessouvenirsdecegenre peuvent changer un homme, le rendre fou, mieux vaut que tu n’en saches pas trop. En tout cas, pas ce soir. Ne brusque pas les choses, tout va te revenir petit àpetit.
— Tu asraison.

Un sourire s’étira sur son visage.

— J’aidûrecevoirunsacrécoupderrièrelatêtepourdormirautant.

Elle sourit. Nérée lui avait tout raconté, ainsi que les inquiétudesdelatroupefaceauxpouvoirsdeNicolas.Etenbonpoliticien, il avait réussi à retourner cette inquiétude en bienfait. Ainsi, il avait apaisé leurs craintes en galvanisant ses hommes, leur proclamant que les Dieux leur avaient envoyé Nicolas pour vaincre l’envahisseurAgamemnon.

— Je pense que nous avons passé trop de temps ici, tous les deux, dit Danaé. Nous pourrions aller chez ma cousine, dans les plaines de la Laconie, qu’en dis-tu ? Elle habite dans un petit village. Le climat y est meilleur et nous serons loin de toutes cesguerres.

Les yeux du jeune garçon s’agrandirent.

— Jeconnaislaréputationdesguerriersdecetterégion !s’extasia-t-il. Il paraît que, très jeunes, les enfants sont envoyés loin de leur famille, dans les montagnes, pour se confronter à la dureté de lanature et des Dieux, et que seuls les plus braves et les plus courageux qui y survivent deviennent des guerriers. Et que personne n’est arrivé à les défaire sur leurterre.

Craignant que Nicolas ne conteste cette décision qui intervenait alors que sa notoriété ne cessait de grandir, elle fut surprise de son enthousiasme. Danaé se sentit alors rassurée et son visage s’illumina. Elle exprima unsourire.

— Cenesontquedeslégendes,mongarçon.Enréalité,pourlaplupart, ce ne sont que des fermiers, de simples fermiers. Il n’y a pas d’endroit plus paisible. Mais il y a aussi de très bonsguerriers.

Une pensée lui traversa l’esprit. Il se tourna vers sa mère.

— Viens-tu delà-bas ?
— Oui, acquiesça-t-elle en contemplant les magnifiques plaines, blanches et pâles, que la lune leuroffrait.
— Mais le voyage sera long,Nicolas.
— Maman, depuis quelque temps je me pose unequestion.
— Jet’écoute.
— Quefaisais-tusurlemontOlympe,quandtum’yastrouvé ?

Le visage de Danaé se rembrunit. Elle avait longtemps redouté cemoment,celuioùsonfilsluiposeraitlaquestion.Ellecommença à lui conter sonhistoire.

— J’étaisencorepetitequandmonpèrenousfitquitternotrerégion natale, ma mère, mon frère et moi. Mon père rêvait de voir la mer Égée etd’ybâtirunemaison.C’étaitleprojetdetouteunevie.Alors nous avons pris la mer et nous sommes partis. La traversée fut longue, mais nous y sommes parvenus. Après avoir accosté, nous avons marché pendant plusieurslunes.

Le souvenir lui tira les larmes des yeux.

— Une nuit, je me suis levée pour me désaltérer dans la rivière, quand des cris me parvinrent. Cachée derrière un buisson, j’ai vu ma mère se faire capturer et toutes nos richesses être volées. De là où j’étais, je la revois me faire signe de rester cachée. Ils tuèrent mon père et mon frère à coups d’épée, sous mes yeux.Impuissante, jenepouvaisrienfaire.J’entendsencoreleshurlementsdemamère déchirerlanuit,avantqu’ilsnel’emmènent.Jenel’aijamaisrevue. Le lendemain, un fermier me découvrit près du corps de mon père et de mon frère. C’est là que Nérée me recueillit. Il m’éleva et me maria à un homme plus âgé, Éros. Il était gentil et généreux. Nous eûmesunenfant,Antoine.MaisquandleroiAtrée,avecsafoliedes grandeurs, a commencé à tout conquérir pour devenir roi, mon mari et mon fils moururent dans la première bataille. Alors un soir, épuisée de cette vie, je suis montée seule au sommet du mont Olympe, pour y mourir. Une fois de plus, ma famille m’avait été enlevée. Je pensais que si j’étais proche des dieux, ils accepteraient de tous nous réunir dans la mort. Au lieu de ça, ils m’ont redonné un but et une autre chance de vivre tandis que je te découvrais dans ce trou. Alors je t’ai pris avec moi et je t’ai élevé comme un fils.

Nicolasaussipleurait,commes’ilavaitabsorbétouteslesémotions que sa mère avait fait rejaillir. Jamais il n’aurait imaginé qu’elle avait eu une vie aussi triste, lui qui l’avait toujours connue clémente, gentille etsouriante.

— Quandas-tudécouvertquetuavaisledondevoirl’avenir ?
— La veille du départ d’Éros et d’Antoine à la guerre. J’ai fait un horrible cauchemar, où j’y ai vu mon fils et mon mari étendus dans une mare rutilante. Sur le moment, je ne savais pas que c’était ma première vision. Je l’ai compris plustard.
— Tu n’as pas essayé de lesretenir ?
— Biensûrquesi,maisilsnem’ontpascrue.Etcommetoi,ilssont partis… Sa voixmourut.

Nicolas ne savait pas quoi dire. Dans le silence qui s’installait, il prit sa mère par les épaules.

— Tu sais, Nicolas, j’ai longuement réfléchi. Je suis persuadée que toutcequej’aivécun’estpasdûauhasard.Lesdieuxm’ontchoisie pouréleverundemi-dieu,ilsonttracélecheminquim’aconduiteà toi.

*

— Dans la Grèce antique, je n’ai jamais entendu parler d’une telle légende. Celle d’un enfant décimant une armée à lui seul, objecta Eve.
— Pasétonnant.Aujourd’huiencoreleshistoriensonttrèspeud’informations sur ce qui s’est passé avant la période antique et même après.Quelques jours après notre départ, alors qu’Enée traversait ses terres, au même moment Agamemnon assiégeait Troie. Nous avons entendu dire que lorsque la ville est tombée, tout avait été anéanti et que les rescapés avaient été donnés en sacrifice aux Dieux.

Eve émit un rire sordide.

— Les dieux ! Ce n’est pas d’aujourd’hui que les hommes s’entretuent en leur nom.
— À vrai dire, en Grèce, on ne tuait pas en leur nom, on leur offrait parfois nos ennemis en sacrifice afin d’avoir bénédiction et protection.
— C’est du pareil au même, lâcha-t-elle avec dégoût.

Nicolas fit mine de ne pas avoir entendu et ne releva pas la réflexion. Il poursuivit calmement.

— Danaéétaitpartieavectoutesseséconomies.EtEnéenousdonna de quoi nous nourrir pour plusieurs jours ainsi que deux chevaux. Ma mère me cacha la vérité sur ce qui m’était arrivé au cours de la bataille. Jusqu’à ce jour où je le découvris parmoi-même.

4

LeurbateauaccostasurlescôtesduPéloponnèse.Undécoridyllique : la pierre était blanche, la mer bleu azur scintillait comme du cristal.

Pour payer la traversée, Danaé avait travaillé en cale à faire la cuisinetandisqueNicolas,surlepont,suaitaveclesquaranteautres rameurs. Une fois sur la terre ferme, ils achetèrent deux chevaux et continuèrent leur traversée dans lesterres.

— On va mettre quelques jours pour franchir lesmonts.

Dans ses souvenirs, un chemin creusé à flanc de montagne leur permettrait de gagner au moins deux jours de marche, seulement, depuis bien des années, un éboulement l’avait rendu inaccessible. Ils furent alors contraints de prendre un second itinéraire qui les fit dévier plus au sud.

Le jeune garçon se laissa guider sans rien dire. Depuis leur départ,iln’avaitjamaiscachésoncontentement.Etplusilsserapprochaient,plusilsesentaitnerveux.Impatientderencontrercepeuple dont il avait tant entenduparler.

Quand ils sortirent des montagnes, le ciel était bleu limpide et la caressechaudedusoleilsursonvisageluiétaitagréable.Lalavande embaumait lesplaines.

Très vite, ils arrivèrent dans les plateaux et mirent pied à terre sur les berges d’une rivière, afin de se désaltérer.

— Nous ne sommes plus très loin, lui dit Danaé, avant la fin de la journée nous serons arrivés à laferme.
— Comment s’appelle tacousine ?
— Sparta, et son mari Lacédémone. Ils ont une grande demeure un peu plus aunord.

Quandildécrochasabesacedelacale,unaigleroyal,brunfoncé à tête blanche, émit un miaulement aigu au-dessus de leurs têtes. Il l’aperçut planer, porté par levent.

Puis,ilsefitlaréflexionqueladernièrefoisoùilenavaitaperçu un… entendu un, devrait-on dire, c’était le jour de la bataille, juste avant de perdre connaissance. De voir Nicolas aussi pantois, la tête levée vers le ciel, fit rireDanaé.

Lerapacedessinauncercledanslesairs,ildevaitvenirdesmontagnes qu’on apercevait au loin. Puis il piqua vers lui. Surpris, Nicolas recula d’un pas en surveillant sa trajectoire. Il passa près de lui, son souffle lui fouetta le visage et il reprit de la hauteur. Après un dernier petit cercle, il se posa sur un rocher en face de Nicolas. Un autre miaulement. Son plumage brun étincelait. L’aigle le regarda en clignant rapidement des yeux. On aurait dit qu’il essayait de communiquer, de lui dire quelquechose.

Nicolas resta immobile à le regarder. L’oiseau trônait sur cette pierretelunempereur,droitetmajestueux.Melaisserait-ill’approcher ? se demanda-t-il. À pas de loup, Nicolas prit le risque de s’avancer, sans faire de geste brusque. Le rapace cligna des yeux deux fois, mais ne bougeapas.

De sa place, sa mère le regarda faire, avec une certaine curiosité.

Il s’approcha avec prudence afin de ne pas l’apeurer. Arrivé à deux mètres de lui, il ne prit pas plus de risques et le fixa dans les yeux. Le rapace le fixa à son tour.

Son regard plongé dans celui de l’oiseau, Nicolas avança d’un pas, puis d’un autre et tendit lentement la main. L’aigle semblait ne pas avoir peur de lui. Ils étaient face à face. Toujours droit, on aurait dit qu’il bombait le torse, dans ses petites bottes marron et noir. L’oiseau fit un petit pas vers lui.

Le voyant réceptif, Nicolas s’abaissa à sa hauteur. Dans son esprit, il essayait sûrement de l’hypnotiser, en croyant que cela fonctionnait, il approcha sa petite tête blanche.

Danaéleregardaitfaire,incrédule.Desaposition,ellenepouvait ni bouger, ni parler trop fort de peur que le rapace ne défigure Nicolas avec ses griffes acérées, durant sa fuite. Toutefois, le danger n’allait pasvenir delà !

Contretourattente,l’aigleposasatêtedanslecreuxdelapaume de Nicolas qui ne respirait plus, essayant tant bien que mal de contrôler son excitation arrivée à son paroxysme. C’était incroyable ! Un lien s’était comme créé entre eux. Il savait que l’animal ne lui ferait aucun mal, il en était persuadé, comme si une confiance réciproque était mystérieusement née entreeux.

Soudain, le rapace redressa sa tête, et émit un miaulement d’avertissement en dépliant ses ailes, comme pour le protéger. L’instantd’après,uneflèchepassaautraversduplumagedesonaile et sous le bras droit deNicolas.

D’une impulsion, l’oiseau reprit son envol. Nicolas tomba à la renverseetrepritsonsouffle.Ques’était-ilpassé ?L’aiglevenait dedisparaître.Ilavaitvuunetraînéemarronpassersoussonbras.Une flèche ! sedit-il.Il seretourna.

Danaé se tenait le ventre et perdait beaucoup de sang. La flèche gisaitausol.Ellelevadesyeuxdesupplicationverssonfilsettomba àgenoux.

Nicolas se précipita vers sa mère et la rattrapa avant qu’elle ne s’écroule. La douleur défigurait son visage.

— Maman !

Lasouffrancel’empêchaitdes’exprimer,sarespirationétaitsaccadée. Nicolas pleurait, poussé par un mélange de colère, de tristesse et d’incompréhension. Danaé lui agrippait la main comme si elle essayait de s’agripper à la vie. Sa lumière était en train de s’éteindre et Nicolas se savait impuissant. Il était paniqué, il cherchait du regard une réponse, une solution pour repousser l’inévitable.

— Reste avec moimaman !

Elle cracha, se libérant du sang qui obstruait sa gorge et qui roula le long de sa joue.

— Zeus me rappelle auprès de lui, réussit-elle à dire entre deux râles.
— Non, je ne le permettraipas !
— C’est ton destin,Nicolas…

Sa respiration se fit sifflante.

— Non ! gémitNicolas.

Il tapa du poing dans la flaque. Sans réellement les maîtriser, des ficelles de sang se lovèrent autour de son avant-bras et remontèrentjusqu’àsoncoude.Sesveinesdevinrentviolettes.Quandille remarqua, Nicolas prit peur et releva les mains. Le sang collant s’étira de ses mains en filaments jusqu’au sol, comme s’il était pris dansletissagevivantd’unetoile.Quesepasse-t-il ?Avait-ilhérité du pouvoird’Hadès ?

La tête de sa mère tomba en arrière. Elle était morte. Il secoua le corps.

— Maman, non ! hurla-t-il dedésespoir.

Tout à coup, sous ses genoux, il ressentit comme un frémissement.Lasaignées’étaitmiseàbouillir,sonremousfaisantpenserà une source d’eau chaude, des bulles éclatèrent à sa surface. Qu’est-ce qui sepasse ?!

Face à l’incompréhension, Nicolas serra le corps mou dans ses bras, avec la désagréable sensation qu’il fondait entre ses doigts.

Pendant qu’il pleurait à chaudes larmes, le corps inerte s’imprégnait tout doucement du fluide qui l’entourait et qui pénétrait par tous ses pores.

Miraculeusement, le pouls de sa mère repartit. La veine de son front se gonfla, et Danaé reprit connaissance.

— Maman ! s’exclama-t-il les yeux larmoyants.

Finalement, deux personnes accoururent à leur rescousse, une femme et un enfant. Quand ils arrivèrent, toute trace de sang avait disparu.

La femme écarta Nicolas et allongea Danaé, dont le visagerestait toujours crispé par la douleur. Elle releva le haut de sa tunique. Onpouvaitvoiruneprofondeentaillesanguinolentesurlecôtédroit de son abdomen. Elle y appliqua un morceau d’étoffe en boule et l’enfonça dans le trou. Danaé cria de douleur. La femme roula son châle et le glissa sous latête.

Elle vivra, annonça-t-elle à Nicolas, démuni, qui ne pouvait qu’observer. La flèche ne semble pas avoir atteint d’organe. On va vous ramener cheznous.

— Qui êtes-vous,madame ?
— Je me nomme Sparta, et voici mon fils,Amyclas.

Ilshabitaientunegrandedemeure,bâtieenpierre etenbois. Elle s’articulaitautourd’unlargepassagelelongdela bâtisseetelleétaitouverted’uncôtésurlacour.Autourdupéristyle, de grandes chambres semblaient être réservées aux invités, tandis que l’étage était destiné aux membres de lafamille.

Nicolasn’avaitrienvud’aussibeauetn’auraitjamaissoupçonné que Danaé fasse partie d’une famille aussi fortunée. Mais qui disait fortunée, disait aussi suivre toutes sortes de règles, celles probablement dont son père avait voulu s’affranchir en migrant vers lenord. Nicolascomprenaitparfaitementcechoix,carlui-mêmepréféraitla liberté etl’aventure.

Danaé était allongée sur la grande table du salon. Un homme de médecine, habillé d’une tunique blanche, s’occupait d’elle, il lui avaitdonnéuncalmantettoutetracededouleuravaitdisparudeson visage.

Nicolas attendait patiemment à côté, en la regardant dormir. Sparta s’approcha de lui. Elle s’était changée et avait enfilé une longue robe droite et soyeuse. Avec ses longs cheveux bouclés, elle était une femmemagnifique.

— Donc, tu esNicolas ?

Il releva la tête, l’inquiétude se lisait dans ses yeux.

— Oui, fit-il d’une petite voix.
— Nous ne savions pas que Danaé avait eu des enfants. D’ailleurs, pour être tout à fait franche avec toi, nous la croyions morte.
— Elle a étémariéeetaeuunautrefils,mortàlaguerrecommeson mari, soulignaNicolas.

Nicolaslasentitseraidir.Iln’avaitpasvouluêtreoutrageux.Elle s’assit à côté de lui.

— Petite, elle était ma meilleure amie. Quand son père est parti, nous étions jeunes. Mon père l’incita à rester ici, mais sa soif d’aventure était trop grande. On a su plus tard qu’il avait été retrouvé mort avec son fils, et on n’a jamais retrouvé Danaé ni sa mère. Les années passèrent et nos recherches nous ont conduits à croire qu’elles étaientmortes.

Nicolas fixait le carrelage du sol, son visage n’exprimait aucune émotion.

— Jusqu’à il y a quelques mois, où un message de Danaé nous est parvenu. Au début nous n’y avons pas cru et Lacédémone a fait jouersesrelationspourenapprendredavantage.Imaginemastupeur quand on nous a confirmé qu’il s’agissait bien de notre cousine.On nousaégalementapprisquetuétaisunchampion !Tuestrèsconnu.

Ellelefixa,ilétaitcommeabsent.Insistantduregard,elleréussit toutdemêmeàdécrocherun« oui »desapart.Unmincesourire viendraaprès.

— Vousêtesicichezvous.Vouspourrezyresterletempsquevous voulez. Tu pourrais même aider Lacédémone. Il a comme projet de bâtir une ville, ici même. Un projet de toute une vie, comme on dit dans larégion.

Nicolas repoussa ses cheveux longs derrière son oreille et releva la tête.

— Merci beaucoup, Sparta, pour tout ce que vous faites pournous.
— Vous êtes de la famille, c’estnormal.

Il se mordit la lèvre et ajouta d’un ton peiné.

— Tout à l’heure, je n’ai pas compris ce qu’il se passait. Je m’approchais de cet aigle quand une flèche est passée au travers d’une de ses ailes. Je n’ai rien vuvenir.

Deux larmes roulaient sur ses joues lisses.

— Quandje me suis retourné, Danaé était allongée, elle venait de retirer la flèche de son ventre. Et puis après…

Il se montra hésitant.

— Vous êtesarrivée.

Il renifla et s’essuya le visage. Sparta posa un bras réconfortant sur ses épaules.

— Depuistoutàl’heure…Jen’arrivepas à…Maisd’oùvenaitcette flèche?
— Sur le marché, un aigle vaut beaucoup d’argent. Il est rare d’en chasserun.Alorsj’imaginequelorsqu’ilsvousontvus,ilsonttenté leurchance.

Danaé émit un gémissement et bougea. Nicolas alla à son chevet.

— Maman !
— Nicolas ! fit-elle en seréveillant.

Elle se sentait nauséeuse, mais essaya de se lever quand même. Une sensation déchirante, au niveau de son flanc droit, la rappela à l’ordre, l’obligeant à rester allongée.

— Ne te lèvepas !
— Que s’est-ilpassé ?
— Tu as été frappée par uneflèche.

Danaé posa sa main sur sa blessure. Puis son visage s’illumina.

— Sparta !fit-elle en apercevant lafemmequi setenait derrièrelui.
— Toi aussi tu as bien changé, lui répondit son ancienne meilleure amie en lui serrant lamain.

Les yeux de Danaé se remplirent d’eau.

— Si tusavais…
— Nous savons, ne t’en fais pas. Mais ce n’est pas le moment de ressasser de mauvais souvenirs, c’est l’heure des retrouvailles ma chérie. Pour l’instant, repose-toi ici, nous aurons tout le temps de refaireconnaissance.
— Dès que vous vous sentirez mieux, ajouta le praticien qui pliait bagage au coin de la pièce. Allez vous étendre etreposez-vous.

Il se tourna vers Sparta.

— Il faudra désinfecter la plaie plusieurs fois parjour.
— Je vais vous raccompagner, merci pour vos soins, lui adressa Sparta.

Ils s’éloignèrent, laissant la mère et son fils seuls. Avant qu’il ne commence, Danaé le stoppa en levant une main fébrile.

— Ne dis rien mon garçon. Je me souviens de tout.

Il se ravisa, gêné, le regardfuyant.

— Non,nefaispasça,monfils, assume-le. C’est un pouvoir que les dieux t’ont donné, ne le renie pas.
— Quandjemesuisréveillé,aprèslabataille,lesmontagnesétaient rougescommedusang.Jemesuislongtempsdemandécequis’était passé, et je viens de comprendre. C’est moi qui ai fait ça. J’ai tué tous cesgens…
— Jesais.
— Quoi ? fit-il estomaqué.
— Nérée m’a toutraconté.

Nicolasrestalà,laboucheentrouverte,l’airidiot.Samèresavait depuis tout ce temps et n’avait riendit.

— J’ai tué deshommes…
— Tu es parti à la guerre, c’était inévitable. Quand on est un jeune héros comme tu l’étais, on t’apprend à combattre, mais pas à vivre avec un poids aussi lourd. Enlever la vie d’un homme n’a rien de glorieux et tu l’as compris par toi-même.

Il resta silencieux.

— Tusaurasquoifairedecepouvoirquelesdieuxt’ontdonné.J’ai confiance en toi, mon fils.

Elle lui caressa la joue de sa main chaude pleine de vie.

Sparta rentra, accompagnée d’un homme grand, bien bâti et barbu.

— Je vous présente Lacédémone, monmari.

*

État de New York.

Àtraverssescheveuxblondsetcrépus,EvenequittaitpasNicolasduregard.Elleessayaitdelejauger,maisn’yparvenaitpas.Son regard, terne et sans expression, fixait le sol. Elle se surprit, même, à ressentir un sentiment à son égard. Son cœur se réchauffa et un petit pincementl’alerta.

Nicolas voyait son reflet onduler à la surface de la petite flaque d’eau, lui rappelant ce fameux jour, aux abords de l’Eurotas.

*

Cela faisait plusieurs mois que Nicolas et Danaé logeaient chez Sparta et sa famille.

Ce jour-là il faisait beau, les couleurs du printemps resplendissaient. Lacédémone en avait profité pour montrer à Nicolas l’étenduedesonprojet,etpourcela,ilss’étaientabsentésunepartiedela journée. Enfin, ils arrivèrent aux abords de ladite rivière. Lacédémone posa les rouleaux de papier dans l’herbe et s’assit, en sueur.

— Voilà ce que je vais soumettre dans dix lunes à Lélex. Et dans quelques années, tu verras, cette cité deviendra la plus importante deGrèce.

Nicolas s’accroupit aux abords de l’eau pour s’abreuver.

— Je me pose une question,dit-il.
— Vas-y mon garçon. Tout avis est bon à prendre.
— Je n’y ai vu aucun rempart. Si la ville est attaquée, commentallez-vous la défendre ? Sans remparts elle est vulnérable.
— Je retrouve en toi le côté soldat. Mais tu sais, les gens d’icisont les plus vaillants de Grèce. Sparte te plaira.
— Sparte ?
— Oui, je vais lui donner le nom de ma femme. Elle sera connue dans le monde entier comme un bastion. On organisera des camps. Dèsqu’ilsaurontseptans,lesjeunesgarçonssuivrontuneéducation etunentraînementmilitairerigoureux,afindegagnerledroitd’être uncitoyendeSparte.Sonarméeseraseshabitants,lescitoyens