Lesly Rock - Yves Roumiguieres - E-Book

Lesly Rock E-Book

Yves Roumiguieres

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Beschreibung

Leslie, une jeune fille brillante et douée au destin plus grand qu’elle-même, se voit proposer un avenir d’artiste par un producteur en recherche d’un nouveau talent. Grâce à sa prédisposition innée pour la chanson, elle embrasse une carrière prometteuse, mais trop vite propulsée au rang de star, elle découvrira les contraintes de la célébrité et la sombre spirale du show-bizness. Jusqu’au jour où elle rencontre Mathieu, jeune et beau paysagiste, qui lui montrera de nouvelles perspectives.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Marié et père de trois enfants, Yves Roumiguieres est un passionné de cinéma depuis toujours. C'est ainsi qu'il se lance dans la littérature contemporaine et moderne avec l'envie de partager ses histoires propres, riches et atypiques, mêlant différents genres et époques. S'adonnant à tous les styles, sa plume spontanée et légère nous ouvre la porte d'un tout nouveau genre de roman, très imagé et rythmé, rivalisant avec les œuvres cinégraphiques actuelles, dont il est fan.

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Yves ROUMIGUIERES

LeslyRock

Roman

Du même auteur

Hyrésie

Erétic, l’embrasement d’Hyrésie

Liberté d’Exister

Désastre Humain, épisode 1

Un vent de Terreur

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Site : https://editions-lagrandevague.fr/

ISBN numérique : 978-2-38460-047-2

Dépôt légal : Novembre 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

Toute ressemblance avec des personnages fictifs, des personnes ou évènements existants ou ayant existé est purement fortuite.

Avant-propos

Comme à mon habitude, j’aime me mettre en danger en variant mes récits. Et « Lesly Rock » en est le bon exemple. J’ai toujours rêvé d’écrire une comédie romantique musicale, mais en tant que romancier, comment relever le défi ?

Alors, après une bonne année de réflexion, de recherches et de tests, j’ai trouvé le moyen d’intégrer des chansons dans une histoire romantique peu ordinaire. Aussi, j’ai créé une liste de lecture que je vous encourage à télécharger sur votre smartphone ou ordinateur avant le début de votre aventure. À mesure que les chansons se présenteront dans le texte, lancez-les pour vivre l’histoire en totale immersion.

Liste par ordre d’apparition

« Dude (Looks Like A Lady) » de Aerosmith

« Jesus He Knows Me » de Genesis

« Nutbush City Limits » chanté par Tina Turner

« Bitch » chanté Meredith Brooks

« Get It Right » chanté par Lea Michele

« You & I » chanté parLady Gaga

« Saints of Los Angeles » deMötley Crüe

« Rock the Night » de Europe

« Every Rose Has Its Thorn » de Poison

« You Raise Me Up » de Secret Garden

« Je te promets » de Johnny Hallyday

« J’ai un problème » chanté Sylvie Vartan et Johnny Hallyday

« L’homme pressé » de Noir Désir

« Kickstart My Heart » de Mötley Crüe

« Zombie » de The Cranberries

« Nothing Else Matters » de Metallica

« The Greatest Show on Earth » de Nightwish

« You Raise Me Up » de Secret Garden

« Ghost Love Score » de Nightwish (à partir de 7min45)

De plus, pour ceux qui ne sont pas à l’aise avec le fait de créer une liste de lecture sur un support, ou application, vous découvrirez des codes QR placés au-dessus des chansons, que vous pourrez scanner et écouter, si vous le souhaitez, durant votre lecture. Vous découvrirez (ou redécouvrirez) des chansons de trois époques différentes, écrites et composées par des artistes considérés aujourd’hui comme des légendes. Ce roman leur est dédié.

J’espère que ce mélange de musique et de littérature vous procurera autant de plaisir que j’ai eu à l’écrire.

Je vous souhaite une excellente lecture !

Yves

Au artistes d’hier et d’aujourd’hui.

Avec tout mon respect.

Yves

Partie

1

« Je serai plus proche de toi les prochains mois qui vont être les premiers de ta toute nouvelle vie. Je paie cher le droit de profiter de ton talent. Comme tes parents ont accompagné tes premiers pas, moi, j’accompagnerai tes prochains, tout au long de ta carrière. Quand tu te produiras devant des milliers d’adulateurs, ton passage se fera au son des applaudissements, des acclamations, et des hurlements hystériques.

À cet instant, là, le trac au ventre, beaucoup pensent qu’ils ne monteront pas sur scène et d’autres qui ne le pourront pas. Tu y songeras aussi, avant d’entrer dans l’arène. Mais tu prendras ton micro, et tu te produiras comme t’auras appris à le faire. Et ils vont t’aimer pour ça. Et il se pourrait même que tu te mettes à les aimer pour ça. En fin de compte, tout le monde aura ce qu’il attend.

Nous ne pouvons pas décider si on aura ou non une carrière remplie d’étoiles et de paillettes, mais nous pouvons aller à sa rencontre, tels des guerriers ! Afin que tout le monde se souvienne de toi.

Artiste chanteuse, Lesly Rock, je te salue. »

Joel Calagane, producteur exécutif.

Aerosmith, Dude(Looks Like A Lady)

« Dude looks like a lady.

Dude looks like a lady.

Dude looks like a lady.

Dude looks like a lady

… »

1

Le soleil flottait dans un ciel bleu azur. Par-ci par-là, des nuages vaporeux s’étiraient tels de longs voiles blancs ondoyant au-dessus de Washington D.C.

Du glam metal aux consonances blues rock, poétisé par la voix criarde de Steven Tyler, égaya cette matinée peu ordinaire.

« What a funky lady.

Oh, she like it, like it, like it, like it.

Oh, he was a lady. »

Un solo de guitare, semblable à une multitude d’éclairs invisibles, s’égara par la fenêtre grande ouverte au plus grand déplaisir des voisins. Une chambre de fille, que les premiers rayons se faisaient une joie d’illuminer. Filtrés par un simple rideau de soie laiteux qui voguait dans la brise matinale.

« Dude looks like a lady.

Dude looks like a lady.

Dude looks like a lady.

Dude looks like a lady… »

Au bout d’un moment, le son des guitares et la voix de Steven s’atténuèrent d’un coup, brisés par la voix criarde de Leslie.

— Maman !

Elle venait de baisser le volume de son smartphone connecté en Bluetooth à sa barre de son. En peignoir de bain, une serviette enroulée autour de sa tête, elle fouillait dans son dressing à la recherche de sa toge bleue et de sa coiffe. Le fameux mortier de forme carrée. Son tassel, un long pompon agrémenté d’un petit pendentif doré indiquant l’année était quant à lui étendu sur son lit.

Elle se rappelait pourtant l’avoir convenablement pendue, la veille, sur un cintre et sans un seul faux pli. Mais où était-elle ? Son cœur tapait fort dans sa poitrine. Elle ne se souvenait pourtant pas l’avoir déplacée… Toutefois, elle n’était plus à sa place. Elle ne pouvait pas se présenter à la cérémonie sans son uniforme !

— Maman !

Après avoir tassé tous ses cintres du même côté, elle grimpa sur son petit marchepied et se mit à fouiller dans les cartons au-dessus de l’étagère. La toge devait bien être quelque part !

— Je l’avais posée là… dit-elle d’une voix tremblante, à deux doigts de pleurer. Maman !

Dans l’empressement, elle perdit l’équilibre et tomba à la renverse.

— Ah !

Ses fesses s’enfoncèrent dans son gros pouf rose, amortissant sa chute dans une position grotesque.

— Arrête de crier, dit sa mère d’un ton calme en franchissant la porte de sa chambre. Merci d’avoir baissé le son, j’ai eu peur que les voisins viennent frapper à la porte de si bon matin. Que se passe-t-il, enfin ?
— Je ne trouve plus ma tenue, dit-elle paniquée, de son dressing.

À sa voix cassée, Edith devina qu’elle était au bord des larmes

— Viens voir au lieu de gémir.

La jeune fille jaillit de sa penderie, les yeux chargés d’eau. Sa mère l’attendait au milieu de sa chambre avec, à la main, sa tenue suspendue sur le cintre.

— Pourquoi l’as-tu bougée ?! s’offusqua-t-elle en la lui arrachant des mains.

Elle ne savait plus si elle devait rire ou éclater en sanglots.

— Elle avait besoin d’un coup de fer.
— Je l’avais fait, hier…
— C’est ce que je te dis, soupira sa mère en levant les yeux au ciel.

Mais Leslie ne le voyait pas de cet œil. Elle posa délicatement sa tenue sur son lit à côté de ses attributs. Sa mère lui prit les mains et planta ses yeux dans les siens. Elle la fixa avec douceur.

— Calme-toi, lui dit-elle. Souffle, maintenant. Je comprends que tu sois agitée. On n’est pas en retard. Ton père est allé laver la voiture et il fait un temps magnifique. Ne te mets pas la pression pour rien.
— Je vais essayer, fit-elle en expirant profondément.
— C’est ton jour ma chérie. Alors, expire un bon coup, détends-toi, et profites-en. Et pour cette occasion, tiens.

Elle lui tendit une petite croix en or avec sa chaînette.

— C’est celle de ton baptême. Porte-la pour la cérémonie.

Le petit crucifix brilla dans la paume de sa main, et elle lui attacha autour de son cou.

— Merci, maman, fit-elle en se blottissant dans ses bras.

Comme seule une mère sait le faire, Edith trouvait les mots pour réconforter sa fille. Leslie était une adolescente impulsive au caractère bien trempé. Or, elle s’angoissait fréquemment, pour rien, ce qui arrivait plus souvent qu’elle ne le reconnaissait. Comme le jour de son premier rendez-vous, où elle avait vomi sur les mocassins de Shawn, son petit ami de l’époque, ou le jour du bal du lycée quand elle avait failli se faire pipi dessus après avoir été nommée reine du bal au côté de Steve, le receveur de l’équipe de football.

Leslie écouta les conseils de sa mère en inspirant profondément, mais en relâchant sa respiration son peignoir se dénoua, dévoilant son corps nu et gracile.

— Oh ! fit-elle embarrassée en remontant sa serviette au-dessus de sa poitrine, puis en repartant pour filer dans la salle de bain.

Edith pouffa.

— Je vais t’attendre en bas.

Elle laissa Leslie finir de se préparer et descendit dans la cuisine. Elle ne pouvait pas en vouloir à sa fille d’être dans un pareil état, elle-même n’avait pu se calmer le jour de sa remise de diplôme. Une cérémonie traditionnelle au cours de laquelle sont décernés un ou plusieurs titres universitaires, faisant passer les participants du statut d’étudiant à celui d’ancien élève. C’est le jour le plus important de la vie de tout étudiant américain, du moins pour ceux qui avaient la chance de faire des études. Mais surtout, le jour le plus craint des parents, du fait que cette cérémonie marquait le plus souvent le départ de leurs chers et tendres bambins. Une fois leur diplôme en poche, ces derniers quittaient le cocon familial pour voler de leurs propres ailes, dans la vie active ou dans la vie universitaire, éloignés à plusieurs milliers de kilomètres à travers tout le pays. Tout comme Leslie qui, deux semaines auparavant, avait reçu une réponse positive pour intégrer l’université d’Harvard, à la rentrée prochaine.

Edith était à la fois triste et contente pour sa fille. Triste de la voir partir, mais heureuse de la voir réussir. Leslie avait cette faculté de prendre à bras le corps les buts qu’elle se fixait, tout comme son père. C’est donc avec un poids sur le cœur qu’elle lui prépara le petit déjeuner. Elle s’essuya une larme du revers de la main et renifla. Dans sa poêle, crépitaient du bacon et des œufs. Les pancakes et le jus d’orange étaient déjà prêts sur la table. Et le café attendait bien au chaud dans la cafetière.

Par la fenêtre, elle vit le pick-up bleu marine, une Ford, entrer dans la cour et s’arrêter devant le garage. La carrosserie luisait de mille feux. Stéphane en sortit et claqua la portière avant de rentrer dans la maison. Grand et bien bâti, les cheveux soigneusement coupés, il possédait un certain charisme et en intimidait plus d’un. Sauf Leslie.

— Chérie, la voiture est propre. Hum, ça sent bon, ici !

Il déposa les clés sur le buffet du salon où ses anciennes décorations militaires trônaient. Il arriva derrière sa femme et l’embrassa dans le cou.

— Ça tombe bien, j’ai une faim de loup. Où est ta fille ?
— Elle finit de se préparer, dit-elle avec une drôle de voix.

Stéphane la regarda retourner les tranches de bacon. Il connaissait le tourment d’Edith, ils en avaient maintes fois parlé. Mais rien ne vous prépare vraiment à affronter ce grand jour. Il se montra compréhensif.

— Elle ne va pas partir ce soir, tu sais, dit-il en s’attablant. Elle va passer toutes les vacances ici.

Elle retira la poêle du feu et déposa son contenu dans les assiettes.

— Je sais, mais le temps passe si vite…

Leslie arriva en trombe et s’installa derrière la table. Edith se tourna et déposa l’ustensile dans l’évier avant de les rejoindre.

— Bon, c’est le grand jour, déclara Stéphane.
— Je suis nerveuse, tu n’as pas idée.
— Prends le temps de manger, lui conseilla sa mère en la regardant engloutir la moitié de son assiette.
— En France, on ne fait pas de cérémonie pour ça. On affiche la liste des noms des admis ayant réussi l’examen sur le mur de l’école. Pas de chichi… Et tu vas chercher ton diplôme cinq à six mois plus tard à la Vie Scolaire. Tu le plies dans ta poche, et tu t’en vas !
— Je comprends mieux l’état de tes diplômes, nota Edith avec une pointe de sarcasme. Vous, les français, ne savez pas apprécier les bonnes choses de la vie à part la gastronomie. Chez nous, cette cérémonie permet de féliciter nos enfants pour le travail qu’ils ont accompli et marque l’achèvement de leur adolescence. C’est un des jours les plus importants de leur vie.
— Pour être honnête, j’aurais préféré voir mon nom affiché sur un mur, lâcha Leslie.

Edith leva les yeux au ciel. Même esprit de contradiction que son père, songea-t-elle.

— En plus, c’est moi qui clôture la cérémonie avec le discours.
— Et je sais que tu en es très fière, souleva sa mère.
— Bon, c’est vrai, je le reconnais, répondit Leslie au bout d’un quelques secondes.
— Et où a été accepté Steve ? demanda Stéphane. Il a sans doute reçu une bourse. Un éclair ce gamin, je n’ai jamais vu un receveur aller aussi vite… Une flèche !
— Princeton… répondit Leslie d’un ton sans expression, les yeux rivés sur son assiette.
— Princeton ? Je croyais qu’il avait été repéré par un recruteur.
— Je sais. Autant vous le dire tout de suite, nous ne sommes plus ensemble.

Son cœur se resserra, mais elle feignit ne rien ressentir. Pourtant la douleur était bel et bien présente, une douleur qu’elle ravala. Son père la regarda avec de grands yeux étonnés.

— Oh, je suis désolée, compatit Edith.
— Ne le sois pas, c’est moi qui l’ai largué, déclara-t-elle d’un ton direct.

Ses parents la dévisagèrent d’un air circonspect. Elle qui était si éprise de Steve il y a encore deux semaines de ça, venait de rompre sans explication. Et ça ne semblait pas la déranger outre mesure.

— C’est dommage, reconnut Stéphane, c’était un super gars, promis à une grande carrière.
— Oui, il l’est toujours. Mais nos avenirs allaient dans deux directions différentes, on en était conscients. Alors j’ai pris les devants au lieu d’attendre le dernier moment qui aurait été encore plus difficile à vivre.

Edith et Stéphane se regardèrent étonnés. Cela ne ressemblait pas à leur fille de réagir avec autant d’aplomb et de responsabilité. Toutefois, il ne faisait aucun doute que Leslie savait ce qu’elle voulait. Elle releva la tête.

— Je sais ce que vous vous dites, tous les deux. Il n’y a rien à regretter, on savait qu’il y aurait une fin à notre histoire. Seulement, il fallait que l’un de nous deux se décide. Et il n’aurait jamais pris cette décision.

Elle se servit un verre de jus d’orange pour avaler ce qu’elle avait dans la bouche.

— C’est une sage décision, ma chérie, formula Edith.
— Et puis, quand tu seras avocate, et si Steve connaît une grande carrière, vous pourrez toujours vous remettre ensemble. Un footballer pro et une avocate dans la famille...
— Oublie ça, Pa ! rétorqua-t-elle d’un ton direct.
— Tu es sûre ? Non, mais parce que…
— Certaine, le coupa-t-elle.
— Ok, ok… Dommage.
— Ma fille est devenue une femme responsable, dit sa mère en posant sa main sur la sienne. Je suis fière de toi.

Stéphane était au volant, Edith sur le siège passager et Leslie à l’arrière. La voiture recula dans l’allée, leur fille s’exclama.

— Mon discours !

Elle sauta précipitamment de son assise. Stéphane pila. Elle entra dans la maison en trombe, monta les marches de l’escalier quatre à quatre et gagna sa chambre. Sa feuille attendait sur son bureau. Elle la prit à la volée et fit le chemin inverse au risque de se casser une cheville. Puis elle claqua la portière, essoufflée.

— Tu n’as rien oublié d’autre, cette fois-ci ? demanda sa mère.
— Non, on peut y aller !

Stéphane démarra.

Le paysage défila devant ses yeux. Au bout d’un moment, l’absence de bruit accentua son anxiété. Une boule se forma dans sa poitrine. Avant de se retrouver à court d’air, elle se pencha de tout son long et alluma la radio.

— Attention chérie, railla Stéphane quand elle le bouscula.

Elle augmenta le son pendant que le présentateur était en train d’annoncer :

— En cette radieuse journée, nous continuons notre tour des inoubliables des années quatre-vingt-dix avec Genesis, Jesus He Knows Me !

Les premières notes entraînantes de clavierremplirent l’habitacle. Puis arrivèrent la guitare et la batterie. Leslie s’agita sur la banquette comme prise par une crise de folie ; elle balança sa tête de droite à gauche au rythme de la chanson, sa chevelure virevoltant dans les airs.

Ma fille est folle, pensa Edith avec un air inquiet.

Quand Phil Collins prononça les premières paroles, elle se mit à chanter par-dessus, avec la même justesse, mais avec une intonation légèrement plus rock, dirait-on.

[Leslie]

You see the face on the TV screen.

Coming at you every Sunday.

See that face on the billboard.

That man is me.

Les deux parents se regardèrent, stupéfaits par la prestation improvisée.

[Leslie]

On the cover of the magazine.

There's no question why I'm smiling.

You buy a piece of paradise.

You buy a piece of me.

I’ll get you everything you wanted.

I'll get you everything you need.

Don’t need to believe in hereafter.

Just believe in me.

— Chérie, doucement, souffla Stéphane d’un air gêné en remontant les vitres arrière.

Conseil qu’elle n’écouta pas.

Un peu plus loin, un voisin qui promenait son teckel fit volte-face. Comme si de rien n'était, Stéphane lui sourit en lui adressant un petit signe de la main.

À travers le pare-brise, on pouvait voir Leslie gesticuler. Ses bras dans tous les sens, tels des tentacules incontrôlables.

Quand elle prononça le refrain, ils passèrent devant un panneau d’affichage où le visage de la chanteuse Lady Star, flamboyante, et celui du célèbre agent des stars et producteur Joel Calagane étaient placardés. Avec le slogan «I want you ! You are the new star ! »

[Leslie]

And Jesus he knows me.

And he knows I'm right.

I’ve been talking to Jesus all my life.

Oh yes he knows me.

And he knows I’m right.

Well he’s been telling me.

Everything's gonna be alright.

Ils traversèrent plusieurs lotissements. À leur passage des habitants se retournèrent, les joggeurs eux, les écouteurs vissés dans les oreilles, tracèrent comme si de rien n'était.

Une traînée blanche découpa le ciel, au bout de laquelle un avion entama son approche au-dessus de Washington D.C. La capitale des États-Unis était une ville dense située sur deux rives du Potomac à la frontière du Maryland et de la Virginie. Elle se distinguait par de sublimes monuments et bâtiments néoclassiques, imposants, d’un blanc étincelant, tels que le Capitole, la Maison-Blanche, ainsi que la Cour suprême et son immense dôme. Sans oublier le fameux point d’exclamation qui ponctue la capitale, le Washington Monument (une tour en forme d’obélisque) qui s’élevait sous la bienveillance de la statue d’Abraham Lincoln. Le seizième président, trônant sur son fauteuil de marbre blanc, lui-même à l’abri dans son édifice en style dorique grec. Selon Stéphane, la plus belle ville du monde.

[Leslie]

I’m counting my blessings.

I’ve found true happiness.

’Cause I’m getting richer, day by day.

You can find me in the phone book.

Just call my toll free number.

You can do it anyway you want.

Just do it right away…

Il arrêta le véhicule au feu de Old Georgetown Road. Dans la voiture voisine, deux collégiennes, amusées de voir Leslie s’agiter, tendirent le cou. Sa fille était déchaînée. Elle chantait à tue-tête. Puis elle leur adressa le refrain avec son doigt. Elles se mirent à rire.

[Leslie]

Cause Jesus he knows me.

And he knows I’m right.

I’ve been talking to Jesus all my life.

Oh, yes he knows me.

And he knows I’m right.

Well he’s been telling me.

Everything’s gonna be alright...

Les parents la regardèrent à leur tour d’un air soupçonneux et toisèrent Stéphane qui essayait de cacher sa gêne derrière le pare-soleil, sans grand résultat. Il leur fit alors un sourire idiot. La femme fronça les sourcils, comme pour dire un peu de tenue, enfin, s’il vous plaît !

Leslie répéta le dernier refrain. Dès que le feu passa au vert, son père s’empressa de s’engouffrer sur Forest Road. Edith pouffa devant l’attitude de son époux.

Le lycée n’était plus qu’à trois cents mètres. Finalement, Leslie retrouva son état normal et Stéphane éteignit la radio.

— Merci pour l’affiche, fit-il. Ça y est, on arrive…

La mère et la fille éclatèrent de rire.

Ses parents s’étaient rencontrés lors du séjour aux États-Unis de Stéphane. Trois ans à l’ambassade de France en tant qu’officier de communication, où entre-temps, la petite Leslie était née. À son retour en France, il décida alors de mettre un terme à sa carrière militaire et de prendre sa retraite de Colonel avant de revenir s’installer avec sa petite famille, restée aux États-Unis.

De ce fait, Leslie avait deux nationalités différentes, française par son père et américaine du côté de sa mère. On pouvait dire que la France lui était inconnue, même si plus petite elle y avait passé des vacances à plusieurs reprises, dont elle n’avait que de vagues souvenirs. Ainsi, elle avait la chance de parler les deux langues couramment.

Il n'était que 9 h 30, mais l'effervescence dans la cour du Lycée Rochambeau, The International School of Washington DC, ce matin-là, indiquait qu'une grande fête se préparait : un gala, un cocktail mondain, un mariage ? Non, mais la remise des diplômes des étudiants.

Le lycée Rochambeau était un établissement français international de droit privé américain, situé à Bethesda dans la banlieue résidentielle de Washington. Chaque année à la même période, à l'intérieur, une ruche préparait avec soin le rituel essaim depuis plusieurs siècles.

Le cloître de l’école était bondé de monde, les parents cherchaient leur place parmi la marée de sièges en face de la scène, dans l’attente des festivités qui n’allaient pas tarder à débuter. Mais à chacun ses coulisses : près d’une quarantaine de professeurs se rassemblaient d'un côté, et à l’opposé deux cent cinquante élèves fraîchement diplômés de nationalités diverses. Ayant décroché leur bac à lauréat, comme Leslie, ils étaient répartis en deux groupes.

Dans les loges, les portants s'entraidaient à revêtir leurs toges convenablement, leur mortarboard, (le fameux mortier bleu de forme carrée) et à accrocher leur tassel, (un pendentif indiquant l’année).

Excités comme des puces, ils prenaient place chacun leur tour sur les rangées de sièges blancs.

Edith envoya un coup de coude à Stéphane. Il discutait estimations avec un autre parent d’élève, sur la possible victoire, des Patriots contre les Indians au prochain Superball, si la rencontre avait lieu.

— Regarde-la, fit-elle au bord des larmes en lui faisant signe. Elle est magnifique !
— Oui, chérie, se redressa-t-il en dégainant son téléphone portable.

Leslie prit la pause avec un sourire radieux qui illumina son visage, sourire dont elle avait le secret. Et la photo était dans la boîte. Puis, la cérémonie débuta.

Après un long discours du directeur, sur les inégalités sociales, la persévérance et la liberté de chacun de se créer son propre avenir, il commença enfin à nommer les élèves un par un en leur remettant leur diplôme en main propre. Celui-ci ressemblait à un parchemin enroulé, attaché avec une cordelette. Chacun y allait de son exaltation, sous les applaudissements des familles : soit en serrant la directrice adjointe dans leurs bras, soit en posant avec les enseignants pendant que leurs parents filmaient. Deux d’entre eux arrivèrent en dansant sur la scène sous les ovations et les rires de l’assemblée. Le directeur gagna même une bise surprise de la part d’une élève, le pauvre devint cramoisi et eut du mal à prononcer le nom suivant, sous l’hilarité du public. Une élève, avec des lunettes à double foyer, imita un aveugle et trébucha sur la dernière marche, s’étalant devant tout le monde.

— Relevez-vous ma chère ! la pria l’adjointe en lui tendant une main.

Leslie, elle, était nerveuse à l’idée que son nom soit prononcé et ne tenait plus en place. Mais son tour arriva comme une deadline qu’elle n’était pas prête à franchir. Le trac s’emparait d’elle tel un prédateur sur sa proie. Pourquoi avait-elle accepté cette responsabilité ?

Un autre de ses camarades se la joua zombie, en arrivant les bras tendus et en bavant au plus grand dégoût de l’équipe pédagogique qui lui fit de gros yeux, ce qui provoqua un éclat de rire chez tous ses camarades. Les rangs se vidèrent au fur et à mesure, jusqu’à ce que le nom du dernier élève résonne dans les enceintes et soit appelé à se rendre sur l’estrade.

— Et enfin, Leslie Granger, fit le directeur dans le micro.

Leslie, toute tremblante, expira un grand coup, s’arma de courage, et se leva sous les acclamations de ses camarades.

— Filme, Stéphane, filme !! s’exclama Edith.
— Oui, je filme ! répliqua-t-il en tendant le téléphone le plus haut possible afin d’avoir le plan le plus large.

Leslie monta les trois marches et se dirigea vers le directeur sous les acclamations du public. À ce moment-là, tout le stress qui lui pressait la poitrine s’envola pour laisser place à une sensation enivrante et douce, celle du plaisir d’être sous le feu des projecteurs et des regards. Elle prit son diplôme, fit une accolade amicale au directeur et à son adjointe, enchantés. Puis elle resta sur place.

— La remise des diplômes étant terminée, annonça le directeur. Nous donnons la parole à mademoiselle Granger pour le traditionnel discours. D’habitude, c’est le major de promotion qui le prononce, mais un groupe d’élèves délégués est venu me proposer une approche toute nouvelle : celle, d’élire un élève démocratiquement en charge de cette honorable responsabilité. Initiative que j’ai approuvée. Leslie, c’est à vous.
— Merci, Monsieur le Directeur.

Elle se présenta devant le micro et sortit la lettre de sa poche. Elle stoppa quelques secondes en balayant la foule des yeux. Le silence régnait en maître dans l’école. Plus de cinq cents personnes la regardaient dans l’attente du fameux discours.

— Désolée, c’est la première fois que je me retrouve devant autant de monde.

Des rires s’élevèrent de la foule. Stéphane ne perdait rien de la première scène de sa fille. Il la trouva magnifique et très à l’aise, elle qui d’habitude n’aimait pas attirer l’attention, mis à part en famille.

— À vrai dire, j’adore ça ! déclara-t-elle avec une expression espiègle.

Il laissa échapper un rire nerveux, Edith pleurait. Ses camarades pouffèrent. Puis, elle se racla gorge, leva le menton et se mit à lire.

— Je suis honorée d'avoir été invitée à prendre la parole à l'occasion de la remise des diplômes. Comme l’a dit le directeur Milox, initialement c’était le major de promotion qui prononçait le traditionnel discours, mais un vote démocratique entre élèves a décidé que je prendrai la parole.

Portés par le vent, des bruits d’approbation et de surprise volèrent à ses oreilles.

— Je note que ce discours a été écrit par le groupe de délégués, dont je fais partie.

Des sourires s’affichèrent sur les visages de l’assemblée, mais pas sur ceux de leurs professeurs sur lesquels on pouvait lire une certaine méfiance, « qu’est-ce qui nous attend ? » ou « My God ! ». Or, les parents ne semblaient savoir de quoi étaient capables leurs progénitures, et souriaient.

— Alors, merci à tous d’être venus ! (Rire). On aimerait pour notre part, profiter de cette occasion pour revenir sur ces années passées au lycée Rochambeau. Avant toute chose, je crois que tout le monde s’accordera pour dire qu’être passé par Rochambeau fut une chance, une réelle opportunité et un honneur. On réalise davantage que cette école, par sa pluralité, est un véritable atout au moment d’en sortir, quand elle nous ouvre les portes vers un monde incertain où les gens ont besoin de se rassembler. Rochambeau nous aura permis de découvrir un dynamisme caché en chacun de nous, et des valeurs qu’on a pu acquérir à l’issue de ces années et qui aujourd’hui nous apparaissent claires. L’école nous aura appris, outre le fait de rester éveillés des heures à la lumière de nos ordinateurs sans craindre la crise d’épilepsie, à travailler en équipe sur des projets, et pour certains d’entre nous à trouver notre propre voix.

Applaudissements.

— Si on m’avait dit qu’un jour je parlerais pendant si longtemps devant tant de personnes, je n’y aurais pas cru, et notre prof d’anglais, madame Buzzare, encore moins… (Rire). Tout cela, on doit l’admettre, on le doit à la formation solide que dispense le Lycée Rochambeau, et donc je tiens, au nom de toute la promo, à remercier les différents acteurs qui ont contribué de près ou de loin à valoriser ces compétences. Merci au corps enseignant de nous avoir supportés toutes ces dernières années, de nous avoir vu grandir, d’avoir contribué à notre éducation et de n’avoir pas failli à sa tâche… (Rire). On est tous conscients que ça n’a pas été une mince affaire, votre engagement nous va droit au cœur.

Acclamations et larmes de la part de certains professeurs.

— Grâce à vous, notre promotion a été celle de l’espoir, celle de la réussite, celle des toutes premières fois, celle de l’amitié, et celle de la cohésion. On ne peut pas dire que tout a été rose, ça va de soi, mais nous avons su faire face et nous ressouder. Car nous avons compris que c’étaient nos meilleures années et qu’on ne voulait pas les gâcher. Mais comme les bonnes choses ont une fin, on compte faire le maximum de bruit, et croyez-moi quand je vous dis qu’on se souviendra de ce discours.

Le directeur se recula d’un pas, le regard inquiet, et ravala sa salive. L’assemblée était impatiente d’entendre la suite, surtout les élèves.

— Car oui, c'est un grand jour pour nous, un tournant important dans nos vies. Car le lycée Rochambeau ce ne sont pas seulement les heures passées à étudier, c’est aussi une belle aventure humaine. On se souvient tous du premier jour de rentrée, nous avons été accueillis dans l’amphi, où monsieur Milox nous expliquait à quelle sauce nous allions être dégustés. Pour ma part, je me rappelle qu’à mon arrivée, je ne connaissais personne, comme la plupart d’entre nous d’ailleurs, et j’étais seule au pied de l’amphi, isolée du fait de ne pas pouvoir m’asseoir dans les rangs noirs de monde. Alors que le directeur prononçait son discours de bienvenue, une fille qui se reconnaîtra… oui Lynda, c’est toi… traversa la salle. Avec ton flegme légendaire, tu as fait décaler tout un rang, pour nous permettre de nous asseoir. Je me souviens aussi d’un autre étudiant, qui est maintenant un ami, qui s’est proposé de me recopier tous ses cours, Steve.

Les élèves se retournèrent vers une fille rousse aux yeux verts, et lui tapotèrent l’épaule, quand un jeune homme imposant, brun, fut secoué par ses compères et leva les poings de vainqueur au ciel.

— Je me rappelle d’un soir, où vous veniez travailler chez moi sur un TP de maths, au pied de mon lit. Steve, lui adressa-t-elle. Ce soir-là…

Elle laissa traîner quelques secondes à deux doigts de rire.

— Tu m’as dit que tu m’aimais…

À cette révélation, une salve de sifflements s’éleva. Tous étaient bouche bée, figés sur place. Comment avait-elle osé ?!

—  Je t’ai répondu : « tu t’occuperas des tests invalides, tu t’y connais mieux que nous en termes d’invalidité… »

Elle pouffa.

— C’est bien ma fille, déclara Edith en reniflant, les deux mains devant la bouche.

L’assistance s’arrêta un instant de rire.

— Depuis, nous ne nous sommes jamais quittés. Bien entendu, y a eu des hauts et y a eu des bas, mais nous sommes restés liés. Je pense que chacun d’entre nous témoignera de ses propres rencontres et soirées qui resteront à jamais gravées dans nos mémoires et qui ont contribué à faire de nous ce que nous sommes aujourd’hui. Des jeunes diplômés !

Une clameur s’éleva comme une vague.

— Puis… Puis… Il a fallu que ce jour arrive. Le jour des aurevoirs. Toutefois, nous le refusons, en bloc ! s’exclama-t-elle avec opiniâtreté. Nous disons, stop ! Tous autant que nous sommes. Pourquoi tout cela se terminerait ?

Les élèves buvaient ses paroles en attendant avec impatience la chute.

— Ce qu’on ne pourra pas nier, est que ce jour restera un moment marquant dans nos existences. Notre promotion représente pour nous la reconnaissance et la concrétisation d’un travail, ainsi que celui de nos professeurs, et on peut être fiers de ça ! (Acclamations). On aura vu naître, j’en suis sûre, de futurs grands avocats, (acclamations), même si être avocat n’est pas une fin en soi non plus, ajouta-t-elle avec un clin d’œil appuyé.

Toute l’assistance rigola.

— Aussides futurs médecins (acclamations), des futures stars de football, des futurs acteurs ou même chanteurs, (acclamations). Et pourquoi pas un futur président des États-Unis !!! (Sifflets et acclamations décuplés).

Elle laissa les gens se calmer et reprit.

— Grâce au lycée Rochambeau, on aura lié connaissance avec des âmes extraordinaires, de tous les horizons, un enrichissement personnel qui n’a pas de prix. Un endroit où des mots comme « racisme » ont été bannis, et d’ailleurs, excusez-moi de le prononcer aujourd’hui. Comme quoi, bannir certaines expressions négatives peut élever nos consciences et notre humanité vers la lumière, celle de l’espérance.

Un profond silence s’en suivit.

— Enfin, une dernière pensée à vous, chers parents, qui nous avez toujours soutenus et à qui on aimerait tout simplement dire, merci. Merci pour tout. Si on en est là aujourd’hui, c’est aussi grâce à vous, et je pense qu’on peut tous vous applaudir.

Le moment fatidique était arrivé.

— Toutefois…

La foule se calma.

— Toutefois…

Leslie prit un ton directif et vindicatif.

— … notre aventure n’est pas arrivée à son terme et va perdurer autant de temps que nous le souhaiterons. Même si la plupart d’entre nous vont être obligés de voguer vers d’autres horizons pour leurs études, on pourra se dire : nous y étions ! Nous faisons partie de la promotion 2024 de Rochambeau. Et quand on regardera notre diplôme encadré dans notre chambre, devant ce morceau de papier, on se dira que ce n’est pas ça qui fait de nous des gens respectables, mais ce que nous avons appris ici, le respect et l’amour. Alors, je vous invite tous, chers amis, à mettre votre intelligence et votre énergie au service de la plus grande entreprise qui soit : l’humanité. Et dire à tous ces détracteurs et négationnistes qui essayeront de nous pourrir la vie, de nous barrer la route, de nous corrompre en nous embrumant l’esprit avec de belles promesses, essayant de nous faire douter, en nous rabâchant qu’on n’y arrivera jamais, que ce n’est pas possible ! Leur dire qu’ils perdent leur temps ! Car nous sortons de Rochambeau et que rien n’est impossible ! Et on leur répondra autre chose…

Elle ravala sa salive et lâcha la bombe.

— Allez tous vous faire foutre ! cria-t-elle.

Une salve d’acclamations arriva des jeunes diplômés.

— Je vous remercie.

Certains parents ne surent comment régir face à cette conclusion quelque peu originale, dira-t-on plus tard, et mirent du temps à applaudir, rejoints par l’équipe pédagogique, tout aussi gênée.

De leur côté, les jeunes promus crièrent leur satisfaction et jetèrent leur couvre-chef le plus haut possible en s’étreignant. Lynda et Steve accueillirent Leslie en bas de la scène et la congratulèrent à leur tour.

Quand elle aussi lança son mortier, Stéphane captura le moment avec son téléphone. Le dernier moment d’insouciance de sa fille et sa première scène.

2

Aéroport national Ronald Reagan, Washington, D.C.

Joel Calagane, le célèbre producteur et agent des stars, connu pour avoir mis sur le devant de la scène de nombreuses vedettes de la chanson, traînait derrière lui son seul bagage. On pouvait observer une certaine nervosité dans sa démarche. Il était imposant, du haut de son mètre quatre-vingt-cinq. Ajouté à ça, son costume gris de bonne facture et ses Rayban qui ne laissaient même pas entrevoir ses petits yeux. Il en était même intimidant, et aujourd’hui plus que d’habitude. Mis à part son allure, son visage était aussi tendu que celui d’un gangster arrivant en terrain conquis.

Son téléphone sonna. Sans prendre le temps de s’arrêter, il le sortit de la poche intérieure de sa veste et décrocha.

— Calagane ! fit-il avec froideur.

Son interlocuteur entama une discussion par une mauvaise nouvelle.

— Pourquoi à ton avis ?! Figure-toi que l’avion a eu du retard, et comme si ce n’était pas assez, je suis resté coincé à la douane.

Soudain, il se figea et se redressa.

— Quoi ! s’exclama-t-il. Comment ça, elle ne veut pas me rencontrer ?! C’est quoi ce délire… Et quel centre de repos !? Des clous ! Je me suis tapé L.A. Washington uniquement pour lui faire signer son nouveau contrat ?!

Les gens et les familles qui passaient autour de lui, hasardaient des coups d’œil dans sa direction. Après l’avoir remarqué, il baissa d’un ton et tourna le dos. S’ils le reconnaissaient, ce ne serait pas bon pour son business.

— Patron, chuinta la voix masculine dans son téléphone, son nouveau manager nous a appris qu’elle ne voulait pas renouveler. Elle souhaite signer chez Smart.
— C’est insensé ?! Quel nouveau manager ??? C’est moi qui ai fait Lady Star, elle ne peut pas partir, elle m’appartient !
— En tout cas, on ne peut l’obliger à rester.
— Fait chier ! J’ai investi des millions sur son prochain album et sa prochaine tournée.

C’était la douche froide, non seulement il avait perdu sa chanteuse phare, son égérie, mais de plus, il n’était pas à son bureau pour gérer le problème en personne.

— Patron ?

Son cerveau se mit à réfléchir à une vitesse exponentielle, il fallait trouver une parade et vite.

— Écoute, il nous faut une nouvelle chanteuse, une nouvelle muse. Je serai de retour dans…

Il regarda le panneau d’affichage des prochains vols.

— Chier ! jura-t-il. Pas avant demain, et s’il y a d’la place. En attendant mon retour, tu gèles les transactions financières concernant la tournée, elles ne sont pas toutes passées, ça nous laissera un peu de temps pour se retourner et sauver les meubles. Et si tu connais un chanteur ou une chanteuse qui sait réciter un couplet sans faire de fausses notes, tu me le retiens. Je ne bousculerai pas mon emploi du temps pour ce petit contretemps, tu m’entends !
— Tu appelles ça un petit contretemps, on vient de perdre notre seule source de revenus.
— Non, crois-moi. Il y a des tas de jeunes filles qui veulent devenir une star ! Il suffit juste de trouver la plus prometteuse.

La nuit était tombée sur Washington et la soirée battait son plein au centre-ville. La plupart des élèves de la promo s’étaient réunis dans un Pub de la 17e rue, face à Farragut Square à l’angle de la 1re. Une dizaine de jeunes, verres à la main, débordait sur les trottoirs pour fumer ou juste prendre l’air. À l’intérieur, la cohue ; la chaleur y était étouffante. La sono passait par-dessus les conversations. La voix, à la fois suave et au fort grain blues jazz de Clarence Carter, retentissait jusque dans la rue. Les tables étaient bondées, presque autant de gens dansaient au centre. Et les deux barmaids et serveuses débordées, s’activaient à contenter sans relâche ce beau monde. C’est ainsi que les élèves de la promotion 2024 du lycée de Rochambeau célébraient leur dernière soirée ensemble, dans une humeur festive et conviviale.

Leslie émergea de la foule et rejoignit Lynda et Steve assis devant une table basse, avec deux bières fraîches, dessus. Son visage était trempé de sueur. Avant de s’asseoir, elle chopa le premier verre, en avala son contenu et se laissa tomber sur la banquette en soupirant.

— Eh ! Bon, ok, c’était ma bière… fit Steve l’air blasé.
— Je sais…

Il la toisa d’un regard voulant dire « tu abuses ! »

— Sinon, ça va ? demanda Lynda.
— À vrai dire, je suis triste que tout ça se termine.
— C’est vrai qu’on n’a pas vu les années passer, ajouta-t-elle en tournant son verre dans les mains.
— J’ai l’impression qu’on s’est rencontrés hier…
— Mais c’est le cas, releva Steve. Sur l’échelle de toute une vie, ces trois ans ne sont rien. On a encore beaucoup de chemins à parcourir.
— Arrête ton char ! rétorqua Leslie en se redressant. J’ai compris depuis longtemps que ces trois ans représentent juste une étape. Mais je n’aurais pas pensé que j’y trouverai un frère et une sœur, déclara-t-elle en les pointant du doigt, avec le verre à la main. À défaut de ne pas en avoir, je vous considère comme tels. Et j’aime à croire que ce n’est pas parce que nos années lycée sont terminées, que je devrais accepter de ne plus vous revoir. Comme je l’ai dit tout à l’heure dans le discours, je ne l’admets pas !

En une gorgée, elle termina la bière de Steve.

— Pfff ! Non, t’es chiante là ! protesta-t-il.

Elle claqua le verre sur la table.

— C’est pour ça que je te sentais aussi nerveuse depuis un certain temps, dit Lynda.

Leslie ne répondit pas.

— Qui parle de se séparer de toute façon ? exprima son amie. On restera toujours en contact. Et je compte veiller sur chacun de vous, même à distance.

Elle les regarda tous les deux. Attendaient-ils une réponse de sa part ? Derrière ses yeux embués, un petit pincement lui serra le cœur.

— Je vous aime tous les deux, fit-elle. J’avais peur qu’on finisse par se perdre de vue. Je ne vous en aurais pas voulu. Mais surtout, j’ai craint de me retrouver seule.
— Eh, tu ne seras jamais seule, lui retourna Lynda en posant sa main sur la sienne. Peu importe la distance, nous serons toujours avec toi.

Steve, à son tour, posa sa main sur les leurs et plongea son regard dans celui de Leslie.

— Ça n’arrivera jamais. Nous sommes une famille. Faisons un serment. Jurons-nous que si l’un de nous ne prend pas la bonne route ou est dans le besoin, on viendra à son aide, peu importe ce que nous faisons et quel que soit l’endroit où nous nous trouvons.
— Je promets d’être toujours présente, déclara Lynda.

Émue, Leslie les dévisagea sans trop savoir quoi dire. La sincérité qu'elle lisait dans leurs yeux la soulagea d’un coup d’un énorme poids, comme si elle reprenait son souffle en émergeant la tête de l’eau après un certain temps en apnée.Une larme s’échappa et roula sur sa joue. Elle l’essuya aussitôt d’un revers de main. Puis, elle expira.

— Moi aussi, je promets que je serai toujours là pour vous.

Ils brisèrent le lien. Quand Steve empoigna son verre pour avaler une gorgée, il grimaça. Il était vide. Leslie ne put s’empêcher de sourire.

— Tu mérites que j’aille t’en chercher un nouveau.
— Je veux, oui…

Elle se leva et disparut dans la foule en direction du bar.

— L’alcool ne lui réussit pas, dit-il en rigolant. Ça la rend nostalgique. Et encore, elle n’est pas tout à fait saoule.
— Je ne pensais pas que ça l’atteindrait autant, dit Lynda d’un air sérieux.

Steve resta silencieux.

— Tu l’aimes toujours, remarqua-t-elle.

Il la regarda avec l’air coupable d’un enfant qui aurait commis une bêtise.

— Ça se voit tant que ça ?
— À chaque fois que tu poses les yeux sur elle, pauvre idiot. Et de son côté, elle essaye aussi de se convaincre du contraire.
— Pourtant, c’est elle qui est partie.
— Elle a fait ça parce qu’elle sait que tu ne l’aurais jamais fait.
— Je crois qu’elle a raison, admit-il en fixant la table. Elle n’en est pas consciente, mais elle est plus forte que nous deux réunis.
— Il faut juste qu’elle arrête l’alcool.

Ils pouffèrent.

Au bout d’un moment, Leslie revint et déposa le verre plein devant lui.

— Eh, j’ai parlé avec le gars de la sono, s’empressa-t-elle de dire. Il est ok pour que je chante une ou deux chansons. Tu viens avec moi ? demanda-t-elle à Lynda.
— Je ne sais pas, y a du monde… On n’a jamais chanté autrement qu’entre nous.
— Ce sera une première. On va s’éclater, viens !
— Vas-y, rajouta Steve. Moi, je vous regarde vous couvrir de ridicule d’ici, les filles.
— Je ne…
— Sérieux… Allez, suis-moi ! lui dit Leslie en la tirant par le bras.

Lynda finit par la suivre.

— Je crois qu’on va bien rire, déclara Steve en sirotant sa bière.

Elles grimpèrent sur le comptoir du bar sous les sifflets, quand la musique commença par une distorsion de guitare blues rock, accompagnée d’un second riff plus entraînant, celui de Nutbush City Limits de Tina Turner, dans une reprise plus rock’n’roll que l’original. Leslie prit la foule en main avec un déhanchement sexy dont elle avait le secret. L’assistance, électrisée, cria. Et elle leur adressa ces quelques mots, en les toisant de son piédestal.

[Leslie]

A church house gin house.

[Lynda]

A school house outhouse.

[Leslie]

On highway number nineteen…

Leslie pointa du doigt son auditoire, le regard aguicheur, en laissant traîner les paroles.

[Leslie et Lynda]

…The people keep the city clean.

They call it Nutbush, oh Nutbush.

[Publicen chœur.]

They call it Nutbush city limits,

Twenty-five was the speed limit.

Lynda attaqua le second couplet d’une manière moins précise, plus karaoké, mais tout aussi entraînante. Elle baissa son centre de gravité, jusqu’à écarter ses genoux et fit un clin d’œil explicite au public en délire. Steve pouffa.

[Leslie]

Motorcycle not allowed in it…

[Lynda]

You go to store on Friday.

[Leslie]

You go to church on Sunday.

[Leslie et Lynda]

They call it Nutbush, little old town, oh Nutbush.

[Public]

They call it Nutbush city limits ! Nutbushcity limits !

Calagane sortit de l’hôtel et arpenta la 17e rue. Il ne pouvait plus tenir en place dans sa chambre et avait besoin de réfléchir à l’air libre. Notamment de calmer ses nerfs. Et puis la nuit était si douce que ça aurait été dommage de s’en priver.

Il enfouit ses mains dans les poches et laissa son esprit divaguer. Il était opportuniste et détestait ne pas avoir le contrôle des choses. Comme sa muse qui venait de quitter le navire sans préavis ni consultation. Elle ne lui a même pas laissé la chance de la convaincre de rester. Comme lui avait dit son assistant, sa seule source de revenus venait de s’envoler. Mais le plus difficile était l’acceptation de la trahison, de se sentir trompé. Mais alors qu’il s’évertuait à organiser l’enregistrement de son prochain album et de sa future tournée, elle se faisait débaucher par une autre production, sous la coupe d’un autre agent qui, à coup sûr, ne lui compterait pas ses honoraires.

Son orgueil avait été égratigné, plus que son porte-monnaie, et il ne l’acceptait pas. Plus encore, cette idée lui était insupportable. Pour qui s’était-elle prise pour cracher sur le grand producteur Calagane, faiseur de stars ? C’est lui qui l’avait fabriquée, et c’est aussi grâce à lui qu’elle était devenue la star qu’elle est aujourd’hui. Une célébrité de la chanson connue dans le monde entier et pesant aujourd’hui des millions de dollars. Elle lui devait tout et l’avait traité comme un paria.

Prêt à exploser, il serra les dents pour contenir sa fureur. Mais quoi qu’il fasse, maintenant c’était du passé et il devait rebondir comme il l’avait toujours fait. Se tourner vers autre chose. Il évacua la pression en expirant profondément par le nez. Son cerveau était en ébullition. Une fois qu’il fut un peu plus calme, il fit preuve d’honnêteté envers lui-même en admettant que le moment le plus exaltant de sa profession, était bien la recherche d’un nouveau talent. Retourner dans l’arène de la rue, sillonner les bars, les scènes et les festivals, organiser différents castings à la recherche d’un talent rare, ça, c’était vibrant !

Et ensuite, tel un sculpteur, façonner ce bloc jusqu’à voir apparaître l’artiste, le diamant brut caché qu’il ne soupçonnait même pas. Après cet acte de mise en forme, il le mettrait en évidence et l’élèverait au rang de célébrité, brillant de mille feux parmi les stars. Et ça, il savait le faire mieux que quiconque. Déceler et produire !

Il bifurqua sur la 1re rue. À sa droite le Farragut Square était plongé dans le noir. Au coin de la rue, un groupe de jeunes bruyants traversa et disparut au croisement. À mesure qu’il avançait, de la musique l’interpella. Une fête se déroulait de l’autre côté. Il lui fallut un moment pour comprendre que la voix féminine qui lui arrivait ne venait pas d’un disque ou autre support, mais d’une personne bien réelle. Il s’arrêta un instant et écouta avec attention. Il y nota un charisme absolu ; de celles qui te prennent par le col et te disent : écoute mec !! De là où il était, il remarqua que cette chanteuse inconnue avait une maîtrise parfaite de la chanson. Il devait absolument voir ça de ses yeux ! Il commença à imaginer une femme d’une trentaine d’années.

Piqué par la curiosité, il tourna à gauche au bout de la rue. À une vingtaine de mètres, il découvrit un Pub bondé d’où la musique provenait. Il entra.

Sidéré, il en resta bouche bée. C’était l’effervescence. Deux jeunes filles se trémoussaient debout sur le comptoir, le micro à la main. Même si l’une d’entre elles ne proposait rien d’intéressant, la seconde au contraire, attirait l’attention de son côté chasseur.

Elle balançait sa tête de droite à gauche en faisant virevolter ses cheveux. Et quand elle la releva, Calagane s’immobilisa. La fille était jolie, lumineuse, et attirait malgré elle, les regards. Et surtout, elle avait à tout casser dix-huit ans.

— Effarant ! murmura-t-il.
— YEAH!!!

Elle garda la note quelques secondes. La chair de poule se leva sur la main de Calagane et se propagea le long de son échine.

[Leslie et Lynda]

…They call it Nutbush, oh Nutbush.

They call it Nutbush city limits.

Nutbush city limits… YEAH !

Il s’approcha comme hypnotisé et fut stoppé par le mur de jeunes. Jamais il n’avait entendu une telle voix, et le public réceptif en redemandait dans une salve d’acclamations.

À la fin de la chanson, la seconde fille quitta le comptoir sous les applaudissements, quand une seconde chanson embraya sans temps mort. Celle de Bitch dans une version plus pop rock que celle de Meredith Brooks. Tout excité,Calagane tendit son téléphone, l’objectif en direction de la jeune star qui se balançait en rythme. Elle entreprit le premier couplet, avec le naturel déconcertant de raconter sa propre histoire.

[Leslie]

I hate the world today.

You're so good to me,

I know but I can’t change.

Tried to tell you but you look at me like maybe

I’m an angelunderneath.

Innocent and sweet.

La jeune fille s’appropriait la chanson sans même s’en rendre compte.

[Leslie]

Yesterday I cried.

You must have been relieved to see the softer side.

I can understand how you’d be so confused.

I don’t envy you.

I'm a little bit of everything.

All rolled into one

Leslie tendit le micro vers le public qui scanda le refrain avec elle, verre à la main.

[Leslie et le public]

I’m a bitch, I’m a lover.

I’m a child, I’m a mother.

I’m a sinner, I’m a saint.

I do not feel ashamed.

I’m your hell, I’m your dream.

I’m nothing in between.

You know you wouldn’t want it any other way !!!

Calagane était dérouté de voir ce petit brin de fille saisir naturellement la foule entre ses mains. Comme si elle l’avait agrippée et transformée en une marée de zombies qu’elle contrôlait le temps de sa chanson.

[Leslie]

So take me as I am.

This may mean you’ll have to be a stronger man.

Rest assured that when

I start to make you nervous

And I’m going to extremes

Tomorrow I will change.

And today won’t mean a thing.

D’une seule et même voix, l’auditoire reprit le refrain à l’unisson.

De la voir se tortiller sur la chanson, comme habitée, le réconforta dans l’idée qu’elle avait du rythme et savait aussi danser. La chanson arriva à son terme.

[Leslie et public]

I’m a bitch, I’m a lover.

I’m a child, I’m a mother.

I’m a sinner, I’m a saint.

I do not feel ashamed.

I’m your hell, I’m your dream.

I’m nothing in between.

You know you wouldn’t want it any other way.

Hou, hou, hou, hou, houuuu !

Leslie leva les bras à bout de souffle et remercia son assistance.

— C’est elle ! s’exclama Calagane tout bas en la voyant congratuler son auditoire.

Ses futurs fans, songea-t-il.

D’une main, Steve l’aida à descendre de sa première scène, scène qui venait, sans le savoir, de sceller son destin. Elle se jeta dans ses bras et il la reposa délicatement par terre.

— Merci à tous !
— Merci à toi… fit Calagane.