Un Vent de Terreur - Yves Roumiguieres - E-Book

Un Vent de Terreur E-Book

Yves Roumiguieres

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Beschreibung

Que se passerait-il si des apprentis soldats se trouvaient traqués par quelque chose d’incroyablement agressif durant le raid final de leur stage ? Comment faire face, sans munitions réelles pour se protéger, avec comme seule option, celle de mourir ?

C’est pourtant ce que vont vivre Dylan, Edward, Santa, Spyke, J.M., Carlos, Buck et Justine dans la majestueuse forêt d’Iraty au Pays basque. Ces jeunes soldats se surpasseront et rivaliseront d’ingéniosité, jusqu’à ce que l’inattendu arrive…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Marié et père de trois enfants, Yves Roumiguieres est un passionné de cinéma depuis toujours. C'est ainsi qu'il se lance dans la littérature contemporaine et moderne avec l'envie de partager ses histoires propres, riches et atypiques, mêlant différents genres et époques. S'adonnant à tous les styles, sa plume spontanée et légère nous ouvre la porte d'un tout nouveau genre de roman, très imagé et rythmé, rivalisant avec les œuvres cinégraphiques actuelles, dont il est fan.

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Yves ROUMIGUIERES

UN VENT DE TERREUR

Roman

Du même auteur

Hyrésie

Erétic, l’embrasement d’Hyrésie

Liberté d’Exister

Désastre Humain, épisode 1

Cet ouvrage a été composé et imprimé en France par les

Éditions La Grande Vague

Site : www.editions-lagrandevague.fr

3 Allée des Coteaux, 64340 Boucau

Tous droits de reproduction, d’adaptation et de traduction intégrale ou partielle réservés pour tous pays.

ISBN numérique : 978-2-38460-005-2

Dépôt légal : Mai 2022

Les Éditions La Grande Vague, 2022

Avant-propos

Comme vous avez vu pu le constater à travers mes histoires précédentes, j’aime me mettre en danger et changer de genre, ne pas me cantonner à écrire la même chose à longueur de temps. Et voilà qu’aujourd’hui, je poursuis mon aventure avec ce quatrième roman en m’attaquant à un genre qui m’est totalement inconnu, l’épouvante fantastique, mais pas uniquement.

J’ai voulu faire d’« Un vent de terreur » une histoire hybride, originale et fun, autant dans sa forme que dans le fond. Mais avant tout, j’ai souhaité rendre hommage à différentes œuvres qui ont bercé ma jeunesse, tels que « Prédator » de John McTierman, ou « Ça » de Stephen King, avec un groupe d’apprentis soldats faisant face à l’adversité d’une situation dont ils ne peuvent se dépêtrer.

Aussi, au cours de votre lecture, vous découvrirez des codes QR placés à des endroits stratégiques, que vous pourrez scanner ; ils représentent des musiques à écouter si vous le souhaitez, afin d’agrémenter votre histoire. Comme je vous l’ai dit c’est une histoire hybride ! Un mélange détonnant à la sauce Roumi, qui j’espère vous procurera autant de plaisir à le découvrir que j’en ai eu à l’écrire.

Je vous souhaite une excellente lecture !

« Je dédie ce roman aux artistes cinématographiques des années 80, 90 qui ont su nous faire rêver en totale liberté et originalité, en donnant naissance à des chefs-d’œuvre populaires qui ont bercé notre enfance. »

Cette histoire s’inspire de faits réels.

Il chercha désespérément une échappatoire autour de lui. Soudain, un son lui arriva aux oreilles. Le gargouillis du cours d’eau se trémoussant un peu plus bas sur sa droite lui indiqua succinctement sa position. Il n’était plus qu’à quelques lieues de l’abbaye. Il avait juste à continuer tout droit. Il décampa tambour battant.

Un peu avant le coucher du soleil, alors qu’il revenait de couper du bois, la chose l’avait surpris en lui sautant dessus. Tout s’était passé si vite qu’il ne l’avait pas clairement vue. Elle lui était apparue comme une ombre lourde et agressive. Par réflexe, Joseph lui avait asséné un bon coup de hache dans ce qui lui semblait être sa tête.

Puis, la chose s’était retirée dans la brume, dans un râle strident en emportant l’outil avec elle. C’est là qu’il en avait profité pour s’enfuir à toutes jambes en direction de l’abbaye comme leur avait préconisé le prêtre lors de l’office.

« Des forces ténébreuses marchent dans la nuit mes amis. Je vous en conjure, si par malheur vous les croisez, courez aussi vite que possible vous mettre à l’abri à l’abbaye. Seule la prière vous protégera de cette infamie… » Ce que Joseph avait fait sans réfléchir.

À l’embouchure de la forêt, il sauta au-dessus d’un vieux muret en pierre et tomba dans un trou. (Crac !) Sa cheville se brisa net entre deux racines biscornues qui sortaient du sol, avec un son identique à celui que fait une branche sèche quand on la casse en deux. Il posa ses mains dans l’angle d’une pierre tombale et se hissa.

— Ah !!!

La douleur lui avait fait comme un électrochoc et remonta jusqu’à sa fesse droite dans une sensation d’inflammation.

Le vent balaya les nuages découvrant une des trois lunes. Sa blancheur dévoila les silhouettes fantomatiques des croix et autres vieilles tombes du petit cimetière de l’abbaye. La brume résiduelle stagnait dans les allées de terre et mettait en relief les sépultures attaquées par le temps.

Joseph essaya de se lever et retomba aussitôt. C’en est fini, songea-t-il. Je ne peux plus fuir.

L’ombre se faufila d’arbre en arbre en poussant des grognements gutturaux. Elle était si rapide qu’on ne pouvait la capter du regard.

Joseph s’aida d’un mausolée bancal pour se lever avec sa jambe gauche. Dans cet état-là, il ne pouvait plus courir. La nique l’étreignit comme deux mains qui se refermaient sur son cou, le privant d’oxygène. De petits nuages blancs sortaient de sa bouche à chaque expiration. La température venait soudainement de chuter. Il chercha autour de lui un objet dont il pourrait se servir pour se battre. Appuyée à une croix en pierre à deux pas de lui, il trouva la pelle qu’avait laissée le fossoyeur. Joseph ne se rendrait pas sans combattre.

Au loin, les cimes des arbres bougeaient nerveusement de droite à gauche, il n’avait plus le temps.

Joseph lâcha le mausolée et dans un ultime effort se dirigea à cloche-pied vers l’outil. Il y avait aussi une petite lampe. Heureusement qu’il possédait deux crioxels. Deux petites pierres, qui lorsqu’il les tapait l’une contre l’autre, produisaient une étincelle suffisante pour allumer un feu. La chose n’avait jamais été vue en plein jour, songea-t-il. Peut-être avait-elle peur de la lumière et donc du feu comme la plupart des animaux.

Sa cheville le lançait. Il avait l’impression qu’elle enflait au rythme des battements de son cœur qu’il sentait jusqu’à l’aine. Il souleva la petite lampe par l’anse et la posa contre une pierre tombale dans un petit grincement métallique. Il devait faire vite… Il sortit ses deux crioxels de sa poche, s’approcha de la mèche imbibée de graisse animale et frappa les deux pierres l’une contre l’autre.

Du premier coup, une pincée d’étincelles jaillit et enflamma la mèche. Mais du vent balaya la petite flamme qui mourut. Plus loin, le sol trembla quand un objet lourd tomba sur la terre meuble en fracassant plusieurs sépultures, dans un craquement de pierre.

Pris d’effroi, Joseph pâlit comme un linge. Elle était là ! Il regarda en l’air. La créature venait de sauter des arbres en passant au-dessus de sa tête pour retomber entre lui et l’abbaye. Le silence était maître. Un silence pesant et menaçant. Joseph ne respirait plus. Il savait la chose tapie dans la brume, derrière un arbuste, une tombe, le muret… ou autre chose encore. En tout cas, elle était là !

Il n’y avait aucun bruit, pas même un souffle, et la forêt s’était tue. La chose l’observait probablement dans la pénombre et elle pouvait attaquer à chaque instant.

Son cœur battait à tout rompre. La peur lui serrait tellement la poitrine qu’il ne ressentait plus la douleur de sa cheville. Il la sentait juste battre dans sa botte.

Dos contre la stèle, la pelle à la main, il tourna et se retourna. Sa jambe le rappela à l’ordre. Il serra les dents. Soudain, un énorme bruit sourd fit trembler la terre sous ses pieds.

Joseph se statufia. La douleur finit par lui tirer les larmes. Ou était-ce la peur ? Il se baissa. Il n’avait plus de salive et n’arrivait pas à se rappeler les prières qu’il récitait quand il était enfant quand quelque chose n’allait pas.

— Mon Dieu, mon Dieu, mon Dieu, ne cessait-il de prononcer.

Le vent se leva, les branches bruissèrent comme si la forêt elle-même emmenait un râle de protestation envers la créature. Elle pouvait être n’importe où. Qu’attendait-elle pour attaquer ?

— Eh ! Psst ! l’appela une voix.

Quoi ? On l’interpellait. Il inclina la tête sur sa droite. Dans l’interstice de la porte d’un caveau familial, il aperçut la veste blanche brodée d’or d’un prêtre. Son visage ne s’illumina pas pour autant. L’homme d’Église lui faisait signe. Il lui demandait de venir.

Comment pouvait-il lui faire comprendre qu’il ne pouvait pas ? Joseph essaya de lui expliquer par des gestes que sa jambe était brisée…

Un bruit de frottement. À plusieurs mètres derrière son épaule gauche, un éclatement de pierre se fit entendre. Une croix en fer forgé tomba de son emplacement avec fracas en se plantant dans la terre. La bête se déplaçait. Elle était si lourde que les caveaux ne résistaient pas sous son poids et se brisaient.

Joseph risqua un coup d’œil. Aucune ombre, aucun mouvement, le monstre savait se dissimuler. Mais où est-il bon sang !?

Le prêtre lui fit signe de jeter la lampe loin sur le côté. Quoi !? s’exclama-t-il dans son for intérieur. Sur le moment, il dut lui faire signe de répéter. Jeter la lampe, il est fou ? Il se ferait tuer en moins de deux. Mais l’ecclésiastique réitéra sa demande en ajoutant de venir vers lui une fois qu'il l’aurait lancée. Une diversion !

Bon, de toute façon il ne pouvait pas rester dans son coin à attendre la mort. Donc, il décida d’écouter les conseils de l’ecclésiastique. Chose plus facile à dire qu’à faire ! Mais sa vie en dépendait.

Il souleva délicatement la lampe, en prenant soin de ne pas la faire grincer. Malgré la fraîcheur de la nuit, il se vit suinter à grosses gouttes. Une autre tombe céda sous le poids de la bête (Bronk !).

Joseph sursauta et sans plus attendre jeta la lampe le plus loin possible sur sa gauche, dans un cercle de lumière. Celle-ci se brisa sur un caveau en produisant une étincelle qui embrasa la graisse étalée. Une gerbe de feu se dessina dans la brume. Il entendit la bête détaler aussitôt.

Là-dessus, il fut surpris par quatre bras qui le soulevèrent, ceux de deux prêtres. À leur visage, ils étaient autant effrayés que lui. Puis, ils le portèrent vers le caveau dans une course effrénée et chaotique.

Quand Joseph tourna la tête, tout ce qu’il vit fut une ombre s’abattre sur les flammes avant que la grille ne se referme derrière lui, puis la porte. Ouf ! Il était sain et sauf.

— Où sommes-nous ? demanda-t-il le souffle court, aux deux prêtres.
— Dans un passage secret, répondit l’un d’eux d’un air sombre.

En effet, Joseph semblait avoir été traîné dans un tunnel conduisant dans les entrailles de la Terre dont il ne voyait pas la fin.

— On vous emmène à la chapelle, monsieur, lui dit une prêtresse vêtue d’une houppelande blanche brodée d’or, identique à celles des deux prêtres.

Quoi ? Que faisait ici une des prêtresses de la garde de l’autorité ?

Sur le trajet, l’intense douleur fit apparaître des papillons devant ses yeux. Au bout d’un moment, sa vision se voila d’un coup avant qu’il ne s’évanouisse.

Quand il reprit connaissance, il fit un tour d’horizon. Sa jambe le lançait toujours autant. Il était allongé au centre de la chapelle. Ladite chapelle se trouvait dans l’abbaye et s’élevait majestueusement telle une cathédrale romaine. Son adrénaline monta en flèche en une fraction de seconde. Le monstre ! Il essaya de se lever, mais la douleur le colla de nouveau au sol.

Il n’avait jamais mis les pieds dans l’abbaye et découvrit des couloirs et des balcons d’où des prêtresses le regardaient d’un œil noir, un livre à la main. L’endroit était sombre et humide, éclairé par la seule lumière blafarde de la lune, au travers d’une rosace sans teinte.

Il nota que le sol était glacé et regarda sur quoi on l’avait déposé. Il se trouvait sur une dalle en fer, scellée, sur laquelle étaient inscrits des symboles et des dessins qui ne lui disaient rien. Et derrière lui, ce qui ressemblait à une flamme transparente planait en une petite vague. Il se recula de frayeur. Quelle était donc cette magie ? Pourquoi ne nous ont-ils pas retranchés dans la sacristie le temps que le monstre parte ? Et où sont les prêtres ? Pour lui, la vision de ces prêtresses ne voulait dire qu’une seule chose puisqu’on ne les voyait jamais seules : elles accompagnaient toujours l’autorité.

Il le chercha du regard, mais le clair-obscur ne lui permettait pas de voir au fond de la chapelle. Il sursauta quand une prêtresse commença un psaume dans une langue qui lui était étrangère. Sa voix faisait le tour de la pièce en écho. Le premier couplet terminé, le second fut suivi à l’unisson par le ton grave de ses sœurs.

Soudain, le plafond s’écroula devant ses yeux et une masse noire tomba dans un fracas de tous les diables avec les débris. Quand Joseph vit cette ombre se déplier de sa stature monstrueuse, il pensa d’abord à un homme. Un homme gigantesque. Son grognement résonnait dans sa poitrine comme celui d’un lion. Mais ce n’était pas un lion. Il ne voyait que deux globes oculaires noirs briller. Ils se fixèrent sur lui.

Joseph s’était figé. Toutes ses pensées s’étaient envolées comme la souffrance de sa jambe quand la terreur l’envahit pour de bon. La chose se tenait là, à quelques mètres de lui. Il n’y survivrait pas. Et personne n’allait empêcher cela. Son heure était venue. Il essaya de crier. Mais aucun son ne sortit de sa bouche.

Dans un premier temps, le monstre avait l’air calme et restait en retrait dans les ténèbres, comme s’il sentait un danger imminent. Comme s’il avait compris qu’il venait de tomber dans un piège où ce petit être servait d’appât.

Joseph eut soudainement cette même sensation. Les psaumes tournaient dans la chapelle en un seul écho, et aussi dans sa tête.

Le monstre abaissa son centre de gravité, comme s’il se tenait accroupi. Ensuite, ce qui s’apparentait à un bras apparut. Il se déplia lentement. Filiforme, aiguisé comme un rasoir, il était recouvert d’une membrane noire et fine qui épousait les rondeurs de sa chair et de sa carapace, comparable à une épaisse toile d’araignée.

Joseph, statufié, fixa le bras de la créature s’avancer vers lui puis s’immobiliser à quelques centimètres de son visage. Manifestement méfiant, on aurait dit que le monstre hésitait à s’avancer davantage.

Joseph se recula sur la courbe de la dalle scellée et passa sous la vague ondoyante. Il sentit une source d’une extrême fraîcheur en sortir, comme si un congélateur était resté ouvert. S’il dépassait de la dalle qu’adviendrait-il de lui ? La créature ferait le tour et le prendrait ? Sur ses interrogations, et face à son hésitation, Joseph décida de ne plus bouger. Il comprit que celle-ci avait peur du phénomène et tant qu’il serait en dessous, il serait protégé.

Jusqu’au moment où le bras du monstre franchit le scellement de la dalle. Brusquement, la chapelle se mit à trembler de toute part. Les murs s’effritèrent, le sol se fissura. Mais derrière ce grondement impétueux, les prêtres n’arrêtèrent pas leur psaume, au contraire, leurs voix s’intensifièrent.

La créature s’avança dans l’étrange lame. Perdu dans une extase de terreur, Joseph s’urina dessus en se reculant et en hurlant.

L’ombre de la bête se mit à grossir. Il la voyait maintenant comme à travers le rideau d’une cascade, floue et mouvante. L’atmosphère se fit soudainement oppressante.

La bête se mit à pousser des cris stridents, des cris de douleur, comme prise dans un filet dont elle n’arrivait pas à se dépêtrer.

Joseph s’arrêta un moment en la regardant se débattre. Il avait l’impression que cette singularité qui s’apparentait à une vague, était un puits invisible et sans fond dans lequel elle s’enfonçait.

Toute la salle tremblait, comme avant une éruption volcanique. Si bien que certaines colonnes de la chapelle s’écroulèrent, accompagnées d’une partie du toit et de son mur. Une explosion semblable à un coup de tonnerre ébranla la forêt tout entière.

1

Pays basque, forêt d’Iraty.

Le ciel commençait à virer au bleu marine, le soleil n’allait pas tarder à se lever. Mais pour l’instant, en l’absence de lune, la forêt baignait dans les ténèbres. Seuls les faisceaux des phares des véhicules éclairaient les lieux.

Le capitaine Durant, commandant d’unité de la compagnie d’instruction, étala la carte d’État-major de la région sur le capot de sa P4 (véhicule léger, 4x4 tout terrain). La mine dépitée, il se pencha sur le plan avec sa petite lampe de poche et l’étudia. Le bout du cigare qu’il tenait entre les dents rougit, et en pleine réflexion il cracha la fumée sur la carte. Il venait de raccrocher son téléphone avec le commandant en second du régiment. Et à son arrivée sur zone, il exigerait des réponses. Seulement, en l’absence d’éléments, il ne savait pas par où commencer les recherches. Si ce n’est de ratisser entièrement la forêt d’Iraty mètre par mètre.

Au milieu de la nuit, un appel du lieutenant Bernier l’avait sorti du lit. Le jeune lieutenant et chef de stage de la section lui rendit compte qu’une partie de ses stagiaires n’avait plus donné signe de vie depuis 22h00. Dare-dare, il avait revêtu son uniforme et s’était rendu au régiment. Là, l’officier de sécurité, le jeune lieutenant, le commandant en second et le chef de corps l’attendaient à l’état-major. Durant la réunion, on l’informa que huit de ses stagiaires et trois de leurs cadres étaient bel et bien comptés manquants depuis le début du raid final de leur stage. Les donneurs d’alerte furent les jeunes engagés du second groupe de stagiaires à 3h06 du matin.

Les premiers rayons de soleil pointaient le bout de leur nez. La ligne d’horizon scintilla d’un mélange d’or et de rose.

Le jeune caporal, chef de groupe de la seconde équipe, et l’élève de jour, s’approchèrent dans le faisceau des phares de la P4. Ils étaient accompagnés d’un lieutenant. Ce dernier portait son fusil, son pantalon était recouvert de terre séchée, et son visage était noir de camouflage. Il se présenta au garde-à-vous, le menton relevé devant son commandant d’unité. L’homme inclina sa tête vers lui, sans décoller ses mains du capot et s’adressa au jeune chef de groupe.

— Caporal, racontez-moi en détail votre soirée, lui demanda le capitaine, le barreau de chaise à la bouche, provenant d’une boîte de cigares cubains que lui avait offerte un officier américain durant l’une de ses missions, et qu’il adorait fumer essentiellement sur le terrain ou pour les grandes occasions.
— Nous avons été lâchés à trente kilomètres au nord-est de notre position actuelle, mon capitaine. Notre mission était de rejoindre notre contact, le caporal-chef Alves. Il devait nous informer sur la mission.

Le lieutenant prit la parole.

— Nous leur avions préparé une prise d’otages. Leur mission devait être le renseignement et l’action.
— Nous avons donc marché toute la nuit, continua le soldat. Nous n’avons pas trouvé le caporal-chef. Alors, vers trois heures environ, persuadés que nous nous étions perdus, nous avons pris la décision de rejoindre la lisière de la forêt. C’est là que nous avons remarqué que nous étions sur le bon l’itinéraire. Ce n’était pas normal, nous aurions dû rencontrer le caporal-chef. J’ai donc envoyé un trinôme à sa recherche. Ils sont rentrés bredouilles. À leur retour, nous avons suivi la lisière jusqu’à la nationale et nous avons rejoint notre point de rencontre.

Le capitaine posa une fesse sur le capot et croisa les bras, songeur.

— Puisqu’il n’y avait personne et que personne ne répondait sur le canal d’urgence, poursuivit le jeune soldat, nous n’avions pas d’autre choix que d’appeler l’officier de permanence au régiment.
— Pourquoi ne pas m’avoir appelé ? le questionna le lieutenant les sourcils froncés.

La réponse fut aussi directe.

— Sur les deux portables que nous avions, aucun n’avait le numéro des cadres.

Le lieutenant jura. Ce n’était pas la première fois qu’il leur avait dit d’enregistrer leur numéro.

— J’en prends l’entière responsabilité mon capitaine, fit le caporal d’un air désolé. J’aurais dû les vérifier avant de partir.

Le commandant d’unité retira son cigare et cracha la fumée qui dessina une clé de sol dans les airs.

— Pendant votre ascension, vous n’avez pas entendu de bruit bizarre, comme des coups de feu, des cris ?

Le jeune engagé réfléchit un moment.

— Vers les deux heures trente du matin, on a entendu des coups de fusil, confirma le jeune caporal. Mais ça a été bref. On a tout d’abord pensé que l’autre groupe avait été attaqué et qu’il ripostait. Ça a duré peut-être une minute, pas plus.
— Rien d’autre d’anormal ?

Le jeune caporal se pinça les lèvres, et finalement dit d’une voix hésitante.

— Si, une chose. Max a cru reconnaître le bruit des B.O. (Balles Ordinaires).

Le lieutenant se figea.

— Ils auraient tiré avec de vraies munitions ? s’esclaffa-t-il.
— Sur le moment on ne l’a pas cru. On ne voyait pas pourquoi ils auraient tiré leurs munitions de sécurité. Aucun appel n’avait été lancé sur le canal. Alors nous n’y avons pas prêté attention plus que ça.
— Ne connaissant pas la distance qui vous séparait, je peux comprendre le doute, ajouta le capitane.
— En dehors de ça, nous n’avons rien vu et rien entendu.
— Bon, conclut le commandant d’unité en pleine réflexion. Retournez au VLRA (Véhicule Léger de Reconnaissance et d’Appui) on vous ramène au régiment. Réintégrez vos armes, remettez-vous en condition, reposez-vous, et que chacun de vous me prépare un compte rendu détaillé de votre nuit. On les remettra à la gendarmerie pour l’enquête. Ils vous auditionneront dans la matinée.
— Reçu mon capitaine !
— Vous avez fait ce qu’il fallait caporal.
— Merci mon capitaine.

Pendant que le jeune soldat rejoignait le petit groupe en attente devant le camion, le sergent Lambert se planta devant le capitaine. Il était essoufflé et pâle comme un linge.

— Mon capitaine !
— Oui, répondit-il en écrasant son cigare sous sa Rangers et en évacuant la fumée par ses narines.
— Nous les avons retrouvés !
— Ah ! fit-il dans un grognement.

Le lieutenant était lui aussi soulagé.

— Ils sont où ? demanda-t-il.

Le soldat ne répondit pas tout de suite.

— Parlez voyons !
— Je ne sais pas, bredouilla-t-il.
— Mais vous avez dit…
— Il y a du sang partout ! Pour l’instant, on dénombre trois corps répartis sur une longue distance. Il semble qu’ils aient été attaqués par quelqu’un ou quelque chose.

Un silence pesant s’installa.

— Comment ça ? demanda le capitane en s’avançant vers le sergent.
— On note plusieurs zones de combat.
— Où ça ? questionna le commandant d’unité dont le visage avait changé d’expression.
— Vers l’ouest, à quelques kilomètres d’ici...

Le sergent expira profondément et reprit ses mots.

— Mike, fit-il en s’adressant au capitaine sur un ton plus personnel, celui qu’on prend quand on s’adresse à un ami, on a fait d’innombrables missions ensemble…

Le regard du capitaine resta inébranlable.

— Là, franchement… Je n’ai jamais vu une telle sauvagerie.

Le soleil termina de se lever, embrasant l’horizon vert de ses rayons dorés dans la plénitude de la matinée.

2

Stage CME, (certificat Militaire Élémentaire) contingent 2022/04, groupe B.

La veille au soir. 22h30.

D Y L A N

Assis derrière la ridelle du camion, il ajusta ses écouteurs. Le bruit de la batterie et des guitares étouffait le vrombissement du camion. Il observait le chemin de terre qui défilait devant ses yeux, absorbé par l’air de The Call Of The Wild, une des chansons de son groupe favori, Slash.

«… In a world sold out. I can't shout it out. No, I can't shout it out. Well, the time is now. Turn up the silence and burn out the fire… »

Son sac était posé à ses pieds, le canon de son fusil vers le haut, coincé entre ses genoux. À chaque sortie terrain, il avait pris pour habitude de dissimuler ses écouteurs dans son casque et de les sortir durant le trajet. Et quoi de mieux que Slash et son rock endiablé pour se plonger dans le feu de l’action.

Assise à côté de lui, la tête de sa coéquipière cogna son épaule…

J U S T I N E

Laissant deux mèches blondes serpenter sur son épaule et la bouche ouverte, elle dormait comme la plupart des membres de son groupe, bercée par le roulis chaotique du camion.

Vous allez me dire, comment est-ce possible pendant une sortie terrain ? Mais après deux mois de stage intensif basé en partie sur la privation de sommeil, croyez-moi, vos yeux ont tendance à se fermer à la moindre occasion, si bien que même un bombardement ne pourrait vous réveiller. Quoique ?

Excepté peut-être ce gars, là-bas en fond de caisse. Les jambes croisées et allongées sur son sac. Celui avec un bandana noir estampillé de têtes de mort blanches, qui grignotait une barre protéinée…

C A R L O S

Le jeune garçon à la peau hâlée était le seul réunionnais du groupe et l’un des trois vrais combattants du stage, les autres étant des logisticiens. Comme Dylan qui était en réalité serveur au mess des officiers, et Justine secrétaire à l’état-major. Bien entendu, même s’il y avait rivalité entre ces corps de métiers, tous faisaient partie du même régiment, et tous étaient soumis aux mêmes règles, aux mêmes tests, même si cela ne faisait pas l’unanimité parmi les commandos, surtout les jeunes. « Seuls les meilleurs d’entre vous iront en compagnie de combat, pour les autres ronds de cuir on les enverra faire la cuisine à l’ordinaire ! » Leur disaient les cadres durant les classes. Seulement, quand on est jeune dans l’institution, on y croit vraiment. C’est bien plus tard qu’on s’aperçoit que sans ces logisticiens, finalement, les missions ne seraient pas ce qu’elles sont et que tout le monde y a sa place.

Contre le bras droit de Carlos était collé un grand gaillard, son treillis moulait ses muscles démesurés. Ce mécano de métier avait été désigné comme le tireur minimi (Mini-Mitrailleuse) du groupe, du fait du poids de l’arme…

B U C K

En face de lui se trouvaient deux autres de ses équipiers, dont la seule corse du groupe, qui n’hésitait pas à le revendiquer avec son accent chantant et son caractère bien trempé…

S A N T A

Elle était comptable et ravie de gravir les échelons dans l’espoir d’une longue carrière. Même si pour cela elle devait revêtir une carapace de guerrière le temps d’un stage, elle l’acceptait avec détermination. Les pieds allongés sur son sac, le menton posé sur son gilet de combat et son casque devant ses yeux, elle dormait avec son FAMAS (Fusil d’Assaut de la Manufacture d’Arme de St-Etienne) sur les genoux. À côté d’elle…

E D W A R D

Ce fils de Général était le second commando, promu à une belle carrière de combattant dans la plus grande tradition familiale, à part que celui-ci avait eu l’originalité de commencer sa carrière simple soldat, au plus grand désarroi de sa famille et encore plus de son père. Quant à l’autre gars, il dormait, la joue écrasée par la crosse de son fusil, le casque sur les yeux…

J.M.

Mis à part son job et les filles, rien d’autre ne l’intéressait. Un jeune militaire en début de carrière quoi ! Et en face de Dylan, aussi en bout de ridelle, il somnolait sur son meilleur ami…

S P Y K E

Lui par contre travaillait au bureau du sport, et malgré ses vingt et un ans il donnait des cours de combat rapproché dont il avait été médaillé un ou deux ans avant de s’engager, désireux d’intégrer les gardes du corps du régiment.

Cela faisait huit semaines que le stage avait commencé, et le grand final arrivait enfin. Ils venaient de passer la journée à faire leurs évaluations écrites. Et vers 17h30, ils avaient juste eu le temps de manger, de retour dans la salle de cours, leur chef de stage leur annonça la mission de la soirée. La section fut partagée en deux groupes de huit, en désignant lui-même les attributions au sein de ces derniers, comme Justine en charge des transmissions, Buck de l’arme d’appui et Dylan en qualité de chef de groupe.

Et à l’issue de cette nuit, leur raid final, ils seraient diplômés et retourneraient dans leur compagnie respective dans l’attente de devenir caporaux, ou pour ceux qui l’étaient déjà, caporaux-chefs. Mais seulement, c’était sans savoir ce qui allait véritablement arriver.

« …Turn up the silence and burn out the fire. It's screaming in silence, the call of the wild. The call of the wild… »

La chanson s’arrêta brutalement quand le camion, un VLRA, s’immobilisa en plein milieu de la forêt. Le chauffeur écrasa sa pédale de frein sans ménagement et tout le monde fut projeté à l’avant de la caisse, arrachant les écouteurs des oreilles de Dylan.

Pour certains le réveil fut dur. Puis la ridelle tomba d’un coup, dans un fracas métallique.

— Débarquez ! aboya le chef de bord.

Dylan replia ses écouteurs et les fourra dans sa poche. Le petit groupe débarqua au milieu de nulle part. Une fois à terre, tous réajustèrent leurs équipements et endossèrent leurs sacs à dos.

— Dylan, c’est bon pour toi ? demanda le chef de bord, le sergent-chef Armand.
— Oui, affirma-t-il en se contorsionnant afin d’ajuster son sac correctement. Nous avons deux téléphones portables et trois B.O. chacun.
— Bon, les lopettes, adressa le cadre à tout le monde. N’oubliez pas, les B.O. qu’on vous a fournies sont faites uniquement pour votre protection en cas d’agression avérée. Je me répète peut-être, mais si vous devez les utiliser, que votre riposte soit proportionnelle à celle de votre agression. Chaque perte de munition sera automatiquement suivie d’un compte rendu et d’un bulletin de punition.
—  Bien pris ! répondit Dylan.

Accoudé à la portière, Dick le chauffeur alluma une clope, pendant que le moniteur finissait de leur donner les dernières consignes.

— Ça te fait chier ce que je dis ! envoya Stix à J.M. qu’il avait surpris en train de regarder les fesses bien fermes de Justine au lieu de l’écouter. Ma tronche ne te revient pas, peut-être !?
— Euh... Non, sergent, se reprit J.M. en se redressant fièrement avec son sourire idiot et son chewing-gum dans la bouche.
— Crache-moi ça tout de suite !

Il obéit et reprit d’un ton sarcastique.

— Même si vous avez le plus beau cul de tout le régiment, là, j’ai qu’une seule envie…
— Ferme-là, lui glissa tout bas Dylan en voyant la punition tomber.
— Ah oui, laquelle, soldat ? demanda Stix.
— Vu les lopettes dont vous m’avez affublé, j’ai qu’une envie, c’est de tailler la route, sergent !

Tous pouffèrent, à part Justine et Santa qui se retournèrent.

— Pauvre con ! lui jeta Santa avec son accent, qui sur le moment n’avait rien de chantant.
— Merci petite corse chérie, lui adressa J.M. ponctué d’un clin d’œil appuyé.
— Vi farà vede ! Tu sais ce qu’elle va te faire la Corse, une fois notre petite balade terminée ?
— Non, dis-moi des gentillesses…
— Testa di cazzu !
— Ferme ton claque-merde, J.M. ! envoya Stix. Maintenant, écoutez-moi ! Quand vous aurez trouvé la ferme, rendez-moi compte, je vous indiquerai la conduite à tenir. Vous avez bien pris la fréquence ?
— Sur le canal 5, confirma Dylan en dépliant sa carte sous plastique.

Il avait déjà tracé en rouge l’itinéraire qu’ils allaient emprunter jusqu’aux coordonnées de ladite ferme.

— Patron ! s’exclama J.M.
— Quoi encore ! fit Stix exaspéré.
— Vous serez l’ennemi, sergent ?
— Ça te ferait plaisir, hein ?!
— Oh oui patron, dit-il un sourire narquois sur son visage.
— Tu devrais commencer à prier Dieu de ne pas tomber sur moi, tout à l’heure ! Car c’est passible d’un coup de pompe dans le cul, et tu rentreras au régiment, illico !
— Houuu !
— À partir de maintenant vous êtes en zone de guerre. À tout moment vous pouvez vous faire attaquer. Mettez en application ce que vous avez appris durant ces huit semaines. Il est 21h30 à ma montre, c’est quand vous voulez. À vous de jouer !
— Allez les gars ! leur envoya Dylan. C’est parti, progression tactique en ligne, deux mètres entre chaque pax. (Pax : terme désignant un personnel). Je me trouverai au milieu. Carlos, tu ouvres la marche avec J.M. et Buck. Justine, tu as la trans’ (abréviation du mot transmission), reste avec moi. Ensuite Santa, Spyke, et Edward tu fermes la marche.
— Si ton groupe est prêt, c’est parti ! déclara Stix.
— Casque sur la tête les gars, et en avant.
— Ouais !!! ajouta J.M. visiblement ravi de partir à l’aventure en jetant un petit regard au sergent-chef. On botte le cul de l’ennemi et on gagne la partie, les mecs !

Stix ne releva pas et lui fit un clin d’œil appuyé avec un petit sourire de défi. Il aimait cette arrogance chez un soldat et savait J.M. comme le meilleur combattant du stage, mais il ne lui dirait jamais.

C’est ainsi que le petit groupe s’enfonça par un sentier sinueux dans les abîmes de la forêt à 21h32. Le fusil à la main, le casque sur la tête, les visages stickés de noir.

Le grognement métallique du camion s’éloigna jusqu’à disparaître au fin fond des bois.

La forêt était mixte et constituée principalement de hêtres, de chênes, de pins et de châtaigniers, culminant pour la plupart à une dizaine de mètres de hauteur. Leur feuillage serré dissimulait la voûte étoilée, accentuant la profondeur ténébreuse dans laquelle ils s’enfonçaient.

Au bout d’un moment, tous stoppèrent et se regroupèrent. Carlos s’approcha de Dylan en ôtant son casque.

— Tu parles qu’ils vont nous suivre, lui dit-il.
— On va se taper quinze bornes de marche aller-retour. Et je parie qu’ils ne vont pas courir après nous, rajouta J.M.
— Tu crois que je ne le sais pas, rétorqua Dylan en rangeant lui aussi son casque dans son sac. Tout va se passer durant l’intervention.
— Ils nous réservent quoi, à votre avis ? demanda Justine.
— Ils nous auront prévu un truc bien vachard, crois-moi.
— Comme quoi ?
— Je ne sais pas, la capture d’un mec, une exécution, un otage… Peut-être même qu’on va dans un guet-apens.
— Non, on voit plus ça au stage commando, intervint Edward. Ça va être plus basique.
— Quoi qu’il en soit, on y va, on fait le taf et on revient au chaud à la maison. Ça convient à tout le monde ?

Ils opinèrent de la tête.

— Ça me va, porte-assiette ! dit Carlos en nouant son bandana sur la tête.

Dylan lui jeta un regard suffisant.

— Alors, si tout le monde est ok, on taille la route sans plus tarder. J’en ai ma claque de ce stage !
— Ça roule porte-assiette, rajouta J.M.

Dylan ne répliqua toujours pas. Porte-assiette était le surnom qu’on lui donnait depuis le début du stage, car il assumait clairement être maître d’hôtel au mess des officiers.

Un peu plus loin, Edward aidait Santa à refermer son sac.

— Tiens, ton sac te sera confortable maintenant.
— Merci, Edward.
— Eh ! Il vous faut une perm’ ! leur envoya Dylan.
— On est bon, répondit Edward avec sa voix grave.

C’est ainsi que le petit groupe commença sa progression dans l’inconnu des massifs ténébreux des Pyrénées.

3

22h51. Pour Dylan, la marche s’avéra plus difficile qu’il ne se l’était imaginé. La carte d’état-major lui indiquant des pistes qui n’existaient plus, à cause de l’érosion ou au changement de saison, il se vit alors obligé de se diriger à la boussole. Fallait le dire, la topographie était loin d’être son fort. Heureusement que dans le groupe des commandos de métier étaient là pour prendre le relais. Sans compter la frontière espagnole qui ne suivait pas tout à fait la ligne de partage des eaux. La franchir armés jusqu’aux dents pourrait leur coûter cher, comme de se faire appréhender par la Guardia.

Les hêtres, l’essence dominante de la forêt d’Iraty, abondaient, et leurs énormes racines ressortaient de la terre en formant des petits ponts, pour les plus grosses. Il était facile de s’y prendre les pieds dedans. Le terrain était irrégulier, ça montait, ça descendait, les feuilles mortes qui tapissaient le sol étaient glissantes, et les branches des arbres leur griffaient le visage. En quelques mots, c’était une marche épouvantable.

— Eh, mec ! interpella Dylan.

Carlos se retourna. Dylan lui présenta la carte qu’il éclaira avec sa petite lampe masquée d’un adessif.

— Sérieux, je lis que dalle sur cette carte, toi qui es de la région, montre-nous où on se trouve. Ce serait con qu’on se perde.
— Montre-moi ça.

Un trait de lumière éclaira le plan.

— Tu vois la D301 tout au sud d’Estérençuby, on a été déposés ici.

Dylan plissa les yeux pour voir la départementale sinueuse.

— Jusqu’à présent ça va, oui.
— Depuis le temps qu’on marche et vu l’orientation que tu nous fais prendre, on doit être par là.

Il lui désigna du doigt un massif parmi tant d’autres.

— On est déjà perdus, porte-assiette ? demanda J.M. en mastiquant son chewing-gum.
— Non, on est bon, affirma Dylan en roulant le plan.

Au bout d’une bonne heure et demie, les muscles de leurs cuisses commençaient à tirer et l’humidité de la forêt s’infiltrait sous leurs vêtements. La buée s’échappait maintenant de leur bouche.

Dylan vérifia la direction sur sa boussole. La végétation l’empêchait toujours de profiter de la lumière de la lune maintenant découverte. Il mit un genou à terre et alluma sa petite lampe en cachant l’éclat blanc avec sa main.

— C’est bon pour toi ? demandèrent Spyke et Carlos.
— Oui. À deux cents mètres on devrait franchir notre première colline.

Il se releva.

— Où est Justine ? demanda-t-il après avoir fait le compte de ses compagnons.
— Derrière, elle arrive, lui indiqua Spyke.

En effet, la petite secrétaire était derrière et commençait à creuser l’écart avec le groupe. Son sac, plus le poids des transmissions lui tiraient sur les épaules et le trapèze, et avec ses petites jambes, elle n’avançait pas aussi vite que ses camarades.

— Je suis secrétaire et je le resterai, râla-t-elle. Qu’est-ce que je fous ici ! Et à me trimballer cette satanée radio, putain !

Soudain, un bruit comparable à une petite bourrasque secoua les branches sur sa gauche. L’une d’elles produisit un « clac » en se brisant.

Justine s’arrêta net et balaya les lieux de ses yeux noisette. Autour d’elle, les ronces, les genévriers, les branches desséchées tombées des arbres et des troncs noirs pourris étaient en surnombre. Une pointe d’inquiétude monta et lui resserra le cœur. Ne voyant rien, elle toisa les hauteurs.

La forêt était pourvue d’une aura sinistre qui planait au-dessus d’elle. Elle était terriblement sauvage, et ça, Justine le savait. Le clair de lune ne filtrait pas, mais rien de plus ordinaire pour les profondeurs de cette forêt à la végétation dense. Un silence de mauvais augure l’engloba, s’insinuant jusque dans les pores de sa peau et lui flanqua la chair de poule. Par réflexe, elle épaula son fusil et le braqua devant ses yeux.

Un bruissement cette fois-ci plus léger remua la broussaille sur sa droite. Elle lui fit face dans un sursaut. Si ce sont les cadres, ils jouent à un drôle de jeu, se dit-elle. Sur le moment, elle eut la sensation d’être observée. Ils seraient bien capables de jouer de la sorte.Mais est-ce vraiment eux ? Prise d’un doute,le regard dans sa ligne de mire, elle fouilla les environs avec la peur que le phénomène se reproduise. Elle déglutit.

— Toujours identifier sa cible avant de tirer, toujours identifier sa cible avant de tirer, murmura-t-elle au bord de la panique. Mais s’il n’y a rien à identifier ?! Putain, si c’est vous, montrez-vous…

(Crac !) Elle se retourna brusquement. Pendant un instant, elle crut percevoir le bruit d’une respiration saccadée et caverneuse de quelqu’un ou quelque chose en mouvement. Elle se tourna et se retourna. Mais impossible de voir sa provenance.

— Y a quelqu’un ? bredouilla-t-elle.

Soudain, elle eut l’horrible sensation que cela s’étalait tout autour d’elle, comme un vent tourbillonnant. Elle leva de nouveau les yeux vers le feuillage des arbres. Rien non plus. Une peur panique, répugnante, une terreur à tordre ses entrailles, s’éveilla en elle. Elle se mit à trembler et n’arrivait plus à bouger.

Ça doit être un animal, se rassura-t-elle en son for intérieur, des oiseux peut-être. Des chauves-souris! À cette idée, la frayeur lui donna la chair de poule et ses yeux s’écarquillèrent dans le viseur.

— Non ! souffla-t-elle d’une voix tremblante.

Un soir d’été dans la maison de vacances de ses grands-parents, alors qu’elle était enfant, une petite chauve-souris s’était malencontreusement engouffrée dans les volets entrouverts de sa chambre. Cette hideuse petite chose noire, n’arrivant pas à retrouver le chemin de la sortie, se cogna dans les coins et les recoins, les murs et les meubles, lui flanquant une peur effroyable. Dans un premier temps, la petite fille s’était recroquevillée sous son drap. Mais l’animal vint s’agripper à sa tête à travers l’étoffe. Elle sentit ses petites griffes se cramponner à ses cheveux. Affolée, Justine arracha son drap et se réfugia sous son lit. C’est à l’issue de cinq longues minutes de terreur que son grand-père ouvrit la porte de sa chambre et retrouva la petite fille en position fœtale, tremblante comme une feuille et pâle comme un linge. Depuis cette nuit-là, la phobie des chauves-souris s’était emparée de Justine, à tel point qu’elle pouvait perdre le contrôle d’elle-même en la présence d’une d’entre elles.

Cette même sensation de panique lui serra la poitrine à l’idée que cela puisse être l’une de ces immondes bestioles. D’un coup, elle se mit à courir comme si sa vie en dépendait, oubliant la douleur qui saturait ses épaules. Elle finit par rattraper le reste du groupe qui l’attendait.

Mais pour une fois cette phobie qui lui avait valu si souvent des railleries de la part de ses amis ou de ses équipiers, venait de lui sauver la vie. Du moins, elle venait de lui laisser un répit de quelques heures. Cachée derrière le feuillage, une ombre dans la pénombre se profila, une forme humaine la regardait déguerpir. De là où il était, il pouvait entendre sa respiration saccadée, et huma son odeur dans l’air. Une odeur douce et sucrée qui lui électrisa l’échine.

23h37. Dylan stoppa tout le monde au sommet de la colline pour faire une pause et se désaltérer.

Justine les avait rejoints, livide. Elle resta collée à Spyke sans lui avouer la raison de son état. Mais ce n’était pas la peine, il devina d’un coup d’œil qu’elle s’était fait une frayeur, et il s’était détourné en pouffant.

Pendant que tout le monde prenait sa pause, assis à même le sol sur les racines ou des souches, Dylan en profita pour vérifier son itinéraire. Et puisqu’il n’y voyait toujours rien sur la carte, il posa son sac au pied d’un arbre et y grimpa.

Il s’installa à califourchon sur la plus haute et robuste branche qu’il trouva, et observa la forêt s’étendre à perte de vue. La lune déversait sa pâle lueur sur les cimes comme une douce caresse. Il jeta un œil à sa boussole.

— Ça va aller ? demanda J.M. à Justine en croquant dans une barre protéinée.

Elle était adossée à un tronc, son coude appuyé sur son sac. Son arme entre ses jambes. Elles faisaient un angle à quarante-cinq degrés sur le sol.

— Si vous regardiez derrière vous, bande d’idiots ! lança-t-elle furieuse. J’ai eu la peur de ma vie.
— Tu veux que je prenne les trans’ ? lui proposa Edward.
— On peut les faire tourner, suggéra Spyke.
— Non, je suis capable de les porter, c’est bon !
— Alors pourquoi tu te plains, lui envoya Carlos. Ici c’est marche ou crève ! Et si c’est trop dur, tu es libre de t’en aller !
— C’est fin, glissa Spyke à l’encontre de Carlos, très fin. Tu n’as rien de plus encourageant à dire ?
— Nous sommes une équipe ! les recadra Dylan en sautant de l’arbre. Et en tant que telle, on reste solidaires, quel que soit notre domaine de prédilection, et je ne veux personne à la traîne. Plus vite on termine, plus vite on rentre. Justine, si tu veux garder les trans’, ça me va. Mais tu assumes sans te plaindre.
— C’est bon je vous dis, rechigna-t-elle en lui jetant un regard noir.
— Alors, ça dit quoi ? questionna Carlos en se tournant vers Dylan.
— Écoute, la lumière est faible, et on s’apprête à descendre dans une cuvette sans un seul découvert avant dix bornes au moins, donc je vais m’en remettre à toi. Tu sais comment te repérer en forêt ?
— Oui, en jungle, précisa-t-il. En Guyane, on marquait les arbres au coupe-coupe tous les dix, vingt mètres environ, cela nous permettait de ne pas dévier de notre chemin et de ne pas nous perdre. Mais là, c’est une forêt protégée, si je plante un seul putain d’arbre, demain on va avoir l’office des forêts au régiment.
— Mais tu peux t’en charger ?
— Ça roule, confirma-t-il en croquant dans sa pomme.
— Super mec… fit Dylan en prenant sa gourde. Dans cinq minutes on plie, envoya-t-il à tout le monde.

J.M s’accroupit devant Justine et lui tendit une de ses barres chocolatées bourrées de protéines. Son sourire narquois l’avait quitté.

— Tiens, ça te fera du bien.
— J’ai ce qu’il faut, prononça-t-elle effrontément.
— Écoute, ton côté sainte nitouche à deux balles ne marche pas avec moi. On a tous besoin des uns et des autres. Si tu ne l’as pas compris depuis, alors c’est peut-être que ce métier n’est pas fait pour toi.

Le regard de Justine se radoucit.

— Désolée J.M., se confia-t-elle en s’assurant que personne d’autre ne l’entende. Mais tout à l’heure vous avez creusé l’écart et vous m’avez laissée seule. Là-bas dans le noir, j’ai eu la peur de ma vie.
— Comment ça ?
— Je te jure. Je me suis arrêtée pour reprendre mon souffle et j’ai eu l’impression que quelqu’un m’observait.

J.M. s’assit, sceptique.

— Un des cadres, tu penses ?
— Non. Je pense qu’ils se seraient montrés. Franchement, c’était super flippant, j’ai eu la sensation d’être encerclée.
— Tu as dû rêver. Puis, encerclée par quoi ?
— Je te jure… sa voix se brisa.

Celle de J.M. était douce et rassurante. Encore un de ses numéros de charme, songea-t-elle. Mais cela avait suffi à lui faire du bien.

— Tu ne me crois pas, c’est ça ?
— Accorde-moi le bénéfice du doute. Tu t’es entendue une seconde ?

Justine capitula et se renfrogna. J.M. n’avait pas tort. Cette histoire était sordide.

— Bon, à partir de maintenant tu restes avec nous, lui dit-il. On adaptera la marche, et si tu sens que quelque chose ne va pas, tu m’appelles.

Justine lui sourit. Il lui rendit son sourire.

— Ok. Merci.

Il lui fit un clin d’œil et se releva.

— Moi qui pensais que tu étais contre les filles dans l’armée…
— Non, répondit-il avec une pointe d’ironie. Elles ont leur utilité…
— Tu es dégoûtant ! s’exclama-t-elle en pouffant. Dégage !

Il s’éclipsa tout sourire.

Dylan, qui avait la responsabilité du groupe sur les épaules, avala une dernière goulée d’eau au goût de métal, plus pour se détendre que pour se désaltérer. En voyant Justine grignoter sa barre, il prit la sage décision d’adapter l’allure, sur le conseil de ses camarades.

Dylan se leva, tous le suivirent en se rééquipant. Ils avaient parcouru une bonne partie du chemin et allaient maintenant s’attaquer au plus dur.

Une ombre, de forme humaine, bondit sur un tronc et inséra des griffes dans l’écorce. Collée au tronc, elle monta sur quelques mètres comme si elle adhérait lentement à sa paroi. Elle huma les odeurs acidulées et salées des jeunes soldats qui reprenaient leur chemin ainsi que celles de Justine. L’ombre se lâcha et atterrit sur le sol avec souplesse en faisant voler les feuilles mortes.

Le groupe avançait plus lentement que tout à l’heure, mais toujours à une bonne cadence. Carlos, qui avait pris la tête du groupe, taillait dans la végétation à l’aide de son coupe-coupe. Ils empruntèrent des sentiers naturels sinueux et camouflés de feuilles en décomposition, traversèrent des ravines avec agilité sur les hêtres abattus, et plus ils descendaient, plus la flore s’épaississait.

Le talon de Dylan glissa sur un matelas végétal de feuilles mortes. Il s’étala sur le dos contre un rocher dans un bruit sourd. Sans son sac pour amortir sa chute, il se serait sûrement brisé des côtes, voire pire.

— Ça va ? s’enquit Spyke en lui apportant son aide.
— Oui, oui… le rassura son ami en serrant les dents.

Il le prit par les aisselles et l’aida à se relever. Dylan se retint à un tronc pour ne pas renouveler son exploit.

— Je comprends mieux pourquoi le chef s’est marré quand il a vu notre itinéraire, dit-il. Les autres ont été moins cons, ils sont passés en périphérie. Merci Carlos, pour ton bon conseil !
— Tu as écouté Carlos ! s’exclama Santa. Bougre d’andouille. S’il fallait consulter quelqu’un, ce n’était surtout pas lui. Regarde dans quelle mélasse nous sommes maintenant.
— Sur le moment, il avait l’air de savoir ce qu’il disait, il est de la région.

J.M. fit un écart sur l’étroit sentier et passa devant eux en rigolant.

— Quoi, qu’est-ce qu’il y a les copains ?! Les cadres vont s’attendre à ce qu’on passe par en haut. En coupant court, on passera inaperçus. On se faufilera jusqu’à la ferme, on se terrera pour les observer jusqu’au moment où on passera à l’action. Et là, boom !
— On va mettre des plombes à arriver sur notre objectif à ce train-là, se plaignit Santa.
— Elle n’a pas tort, la rejoignit Dylan.