M@ ch@nson d’@mour - Florence de Neuville - E-Book

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Florence de Neuville

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Beschreibung

Vivant pleinement de ses désirs, Claire, cinquantenaire, est un médecin-dermatologue, mariée et mère de deux enfants. Elle a accompli une partie de ses rêves et a tout pour être heureuse, ayant élevé sa progéniture à l’image de sa vie, en suivant les préceptes de la pensée positive. Pourtant, ceux-ci ayant grandi, ses passions d’autrefois resurgissent : le chant et la comédie. Cependant, sa vie bascule encore une fois car au-delà de tous les concepts et de tous les jugements sociétaires, elle va vivre à nouveau une grande histoire d’amour secrète, passionnée et torturée qui l’amènera dans le plus profond de ses retranchements. Comment réussira-t-elle à achever ce cycle infernal qui la rapproche à chaque fois de ses démons ? Quels différents outils de développement personnel l’aideront cette fois-ci ? Au fil des lignes, Claire Laguet nous invite à découvrir son nouveau parcours initiatique.


À PROPOS DE L'AUTEURE


Docteur en pharmacie, Florence de Neuville cherche à vulgariser tout ce qu’elle a pu lire, apprendre et expérimenter sur le développement personnel afin que chacun puisse y puiser des outils pour avancer et grandir plus facilement, à l’orée de cette nouvelle ère spirituelle.

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Florence de Neuville

M@ ch@nson d’@mour

Roman

© Lys Bleu Éditions – Florence de Neuville

ISBN :979-10-377-5271-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À Clio, Euterpe, Thalia, Melpome, Terpsichore, Calliope,

Érato, Polyhymnia et Urania.

À toi, ma muse…

Avertissement

L’amour est capricieux, il est difficile

Il passe et il se casse, il est si fragile

Est-ce que tu sais quand il est là

Tu sais quelle chance tu as

Aime-la.

Mais, aime là, France Gall

Tu viendras longtemps marcher dans mes rêves

Tu viendras toujours du côté

Où le soleil se lève

Et si malgré ça, j’arrive à t’oublier

J’aimerais quand même te dire

Tout ce que j’ai pu écrire

Je l’ai puisé à l’encre de tes yeux.

L’encre de tes yeux, Francis Cabrel

Le mystère d’une larme

Le bémol des erreurs

Non, je ne changerais rien

Si c’était à refaire

Si c’était à refaire, Céline Dion

Prologue

Met you by surprise, I didn’t realize

That my life would change forever

Saw you standing there, I didn’t know I cared

There was something special in the air.

Reality, la boum1, Richard Sanderson

Du haut de ses I8 ans, Claire n’en menait pas large dans le couloir du lycée Montesquieu. Encore deux personnes devant elle et ce serait à son tour de passer devant cet examinateur qu’elle avait aperçu chaque fois que la porte s’entrouvrait pour laisser entrer et sortir un élève qui, comme elle, passait l’option musique du baccalauréat.

« Mon Dieu », pensait-elle. « Qu’est-ce que je ne ferais pas pour récupérer quelques points pour ce foutu examen ? »

De ses grands yeux bleus, Claire observait ses partenaires d’épreuve qui semblaient tout aussi stressés qu’elle et arpentaient de long en large le long et lugubre couloir dont la peinture des murs aurait bien mérité d’être refaite.

« Mademoiselle Brachet, c’est à vous », vint clamer le professeur tout droit sorti de sa salle et qui l’arracha à ses rêveries.

D’un bond, elle se leva de sa chaise, ramassa ses partitions posées à côté d’elle et d’un sourire timide salua le professeur austère qui se tenait devant elle. Claire alla s’installer sur le tabouret placé devant un vieux piano droit qui semblait avoir toujours été là, tant il paraissait usé par les années et les doigts d’élèves qui n’avaient jamais vraiment dû le ménager.

« Pourvu qu’il soit bien accordé… c’est tout ce que je demande, pensa Claire en son for intérieur ! »

« Vous interprétez quel morceau mademoiselle ? »

« La sonate au clair de lune de Beethoven, monsieur. »

« Bien, vous pouvez y aller, je vous écoute. »

Et alors que tout son corps tremblait et que ses pensées lui faisaient mal à force de se demander si elle allait y arriver, elle plaça la partition devant elle, sachant qu’elle n’était là que pour la rassurer tant elle connaissait par cœur le morceau à force de l’avoir répété et répété. Même les murs de sa chambre n’en pouvaient plus de renvoyer l’écho de la mélodie !

Elle posa ses longs doigts fins sur les touches jaunies du piano et se laissa porter par son propre rythme intérieur. Elle ne contrôlait plus rien, ses doigts glissant tout seul le long du clavier, ses pieds appuyant sur les pédales à un rythme bien calculé afin de nuancer la musique… plus rien ne comptait, la mélodie l’emportait, comme à chaque fois, dans un monde magique de légèreté et d’intemporalité. C’était tout juste si elle n’était pas déçue que la partition soit si courte, tant elle aurait voulu laisser ses mains s’envoler encore et encore avec une grâce et une volupté incontrôlée.

« Je connais autre chose », pensait-elle. « Je pourrais lui jouer tant d’autres morceaux. »

Mais le professeur la ramena à nouveau à la réalité quand il lui proposa de se lever et de reprendre ses partitions inutiles.

« Merci mademoiselle, vous pouvez y aller. »

« Quoi, c’est tout ? » pensa-t-elle. « Juste un petit sourire, même pas un “c’est bien ou un c’est nul ?” »

La jeune fille ramena une mèche de cheveux bruns derrière son oreille et d’un sourire timide remercia son examinateur en sortant de la salle, les yeux humides à la fois de frustration et de soulagement.

« Ouf, c’est terminé. Je ne me suis pas trompée et c’est fini. »

Alors qu’elle sortait du bâtiment presque en courant et soulagée d’en avoir terminé avec cette première épreuve facultative, elle poussa la grande porte d’entrée et se retrouva dans la cour ensoleillée d’un mois de juin très chaud pour la saison.

Alors qu’elle respirait profondément et reprenait ses esprits, elle croisa le regard vert profond d’un athlétique grand et beau garçon qui lui faisait face et qu’elle n’avait pas remarqué jusque-là.

« Bonjour, lui dit-il tu as terminé ? »

« Bonjour, oui, tout juste. Et toi, tu as fini aussi ? Tu as présenté quoi ? »

« Un morceau de Chopin, j’adore ce musicien. Tu t’appelles comment ? »

« Claire. Je m’appelle Claire. »

La jeune fille ne pouvait détacher son regard des yeux du jeune homme qui lui faisait face tant ils étaient beaux et fascinants. Elle n’avait encore jamais rencontré un aussi séduisant garçon qui en plus, venait lui parler spontanément sans qu’elle ait le moindre effort à faire.

« Euh, excuse-moi, tu t’appelles comment ? »

« Frédéric. Tu veux venir prendre un verre avec moi, maintenant qu’on a terminé ? »

« Oh ce serait avec plaisir mais je crois que ma mère doit être là à m’attendre. »

« Ah, bien sûr. Alors est-ce que je peux te demander ton numéro de téléphone ? Tu es en quelle section ? On se reverra peut-être pour les autres épreuves ? »

Claire se mit à sourire timidement et tout en baissant la tête afin qu’il ne s’aperçoive pas qu’elle était en train de rougir, elle sortit un petit bout de papier où elle écrivit son numéro de téléphone et son prénom.

« Je suis en C et je passe le reste des épreuves du Bac au lycée de Mérignac et toi ? »

« Oh bien ça alors, moi aussi c’est incroyable, non ? Bien, alors on se reverra bientôt. Révise bien Claire ! »

« Merci, toi aussi et à bientôt donc ! »

C’est d’un pas léger, en volant presque, que Claire sortit du lycée, un large sourire sur les lèvres et le cœur tambourinant encore plus que lorsqu’elle était arrivée, quelques heures plus tôt. La différence, c’est que ce qu’elle ressentait la faisait littéralement défaillir, elle avait envie d’embrasser tous les gens qu’elle croisait, elle avait envie de chanter, de crier à tue-tête. Elle ne voulait pas en croire ses yeux.

Elle était tombée amoureuse le premier jour du baccalauréat, un coup de foudre qui semblait réciproque, un coup de tonnerre qui allait l’aider à passer son bac avec une envie irrésistible de se présenter à chaque épreuve afin de revoir ce mystérieux inconnu qui venait de transformer un cauchemar à venir en doux instants voluptueux.

Sa mère l’attendait, garée en double file, et lui ouvrit la portière d’un geste vif, connaissant sa fille qui s’angoissait très vite et qui manquait terriblement de confiance en elle.

« Comment cela s’est-il passé ? » demanda-t-elle inquiète.

« Oh, merveilleusement bien, maman, merveilleusement bien. »

« Ah bon, tant que ça ? » répondit sa mère un peu surprise de la réponse et de l’air enthousiaste de sa fille.

« Bien, tant mieux, ma fille, tant mieux. »

La mère démarra et ramena sa fille à la maison, dans une banlieue proche de Bordeaux.

On était le 6 juin I988, la musique et l’amour venaient de se nouer intimement et pour toujours dans la vie de Claire Brachet future épouse Laguet.

Claire ne savait pas encore qu’elle vivrait d’autres histoires d’amour par la suite parfois simples, parfois plus compliquées et qu’elle tomberait tout aussi follement amoureuse de garçons qui lui feraient perdre la tête et qui par manque de réciprocité dans les sentiments lui ouvriraient les portes de la spiritualité.

Elle était alors encore persuadée que sa vie serait un long fleuve tranquille.

Mais c’était sans compter sur l’univers, toujours prêt à la faire évoluer à travers les épreuves et les grands bonheurs qu’il sèmerait sur sa route.

Partie I

Chanter pour oublier ses peines

Pour bercer un enfant, chanter

Pour pouvoir dire « je t’aime »

Mais chanter tout le temps.

Chanter, Florent Pagny

Chapitre 1

Ce serait la maison du bonheur

Même à fort loyer j’suis preneur

Il n’y aurait que toi contre moi

Et l’amour contre notre amour.

La maison du bonheur, Francis Lalanne

« Les enfants ! Dépêchez-vous de descendre prendre votre petit déjeuner, on part dans quinze minutes ! »

C’était pratiquement la même chose tous les matins. Claire était obligée de les appeler pour qu’ils se hâtent un peu, comme lorsqu’ils étaient petits. À croire qu’il n’y avait qu’elle qui avait la notion du temps dans cette maison. Elle, et la petite chienne, Westy qui lui faisait la fête en s’accrochant à sa jambe.

Seul son mari, qu’elle aimait encore tendrement malgré leurs vingt ans de mariage et un accrochage au contrat qu’il avait su pardonner, avait cette rigueur de l’organisation et cette patience qui lui faisaient tant défaut.

« Heureusement que je l’ai, pensait-elle souvent et heureusement que j’ai retrouvé toute ma raison… »

Il était à la maison la « petite bonne femme » qu’elle n’arrivait pas toujours à être et il la secondait parfaitement. Après tout, se rappela-t-elle, c’est le deal qu’on a passé quand on était encore là-bas !

Par là-bas, elle sous-entendait la période qui pour certains n’existe pas ou ne se conçoit même pas mais qui pour elle était une évidence : ils se connaissaient bien avant de se rencontrer physiquement et avaient même passé un pacte : lui serait le guide maternel et elle apprendrait à ses côtés n’ayant encore jamais eu de famille à charge.

Ils en parlaient souvent en riant quand, face à son incompétence à cuisiner ou à ranger, elle lui disait : « Rappelle-toi, je suis ici pour apprendre la vie de mère de famille et tu es mon professeur ! »

Face à ce genre d’argument, Laurent ne pouvait plus rien dire du tout et souriait invariablement. Que faire ? Sa femme avait des idées bien reçues sur certaines questions et rien ni personne ne pouvait la faire changer d’avis. Le pire, c’est qu’elle avait réussi à le convaincre de pas mal de choses, depuis toutes ces années de haut et de bas qu’ils partageaient. Il avait eu si peur de la perdre, quelques années auparavant, qu’il lui pardonnait tout, même sa distance. Mais il mettait toujours ses idées étranges sur le compte de l’accident qu’elle avait eu et qui l’avait plongée dans le coma.1

« Tiens, ma chérie, ton thé est prêt. »

« Oh, merci mon cœur, c’est gentil, je ne suis pas en avance aujourd’hui ! »

« Bonjour maman, bonjour papa ! » dit Ethan, le fils aîné en embrassant sur une joue ses parents.

« Bonjour mon trésor, tu as bien dormi ? » s’inquiéta Claire en voyant son fils les yeux encore à moitié fermés malgré le fait qu’il soit déjà tout habillé et rasé de prêt.

« Mouais ça va », mentit ce dernier en s’asseyant à sa place à la table de la cuisine. Et alors qu’il se servait un verre de jus de fruits, sa sœur Emma déboulait la tête enfarinée murmurant un « salut » à peine audible à l’assemblée tout en s’avachissant sur sa chaise, à la gauche de sa mère.

« Eh bien, je vois que tout le monde est en forme ce matin ! » dit Claire. « Avez-vous au moins prononcé votre phrase ce matin au réveil ? »

« Oh maman, ça va, laisse-nous tranquilles avec ça » bougonna Emma visiblement mal réveillée elle aussi.

Laurent vint les rejoindre, sa tasse de café à la main, un sourire sur les lèvres et les toasts fraîchement grillés dans une assiette qu’il posa au centre de la table, finissant tout juste de presser des oranges pour en extraire un jus de fruits frais dont toute la famille se délectait.

« Moi, je n’ai pas oublié ce matin ! » dit-il en souriant à sa femme.

« C’est bien ça ! » se moqua Claire qui avait eu plus de mal à éduquer Laurent à la pensée positive que leurs enfants qui certes avaient baigné dedans depuis maintenant plusieurs années, et plus particulièrement depuis ce fameux accident.

Claire était, en effet, une fervente adepte de cet état de pensée, et avait depuis ces cinq années maintenant pour habitude de prononcer une phrase positive dès lors qu’elle ouvrait les yeux et avant même de poser un pied par terre… « l’ordre divin prend soin de moi aujourd’hui et tous les jours. C’est un jour merveilleux pour moi et tout ce que je ferai prospérera… etc., etc. » ensuite elle s’étirait, assise sur son lit et les bras ouverts vers le ciel infini, elle prononçait des vœux plus personnels et toujours identiques tout en demandant de l’aide à l’univers, sans oublier de le remercier. Parfois, elle ouvrait un petit livre et en fonction du jour, elle lisait ce qui s’y rapportait et méditait sur cette pensée pendant quelques heures, sans qu’elle s’en rende vraiment compte.

Ce rituel effectué, elle pouvait aller se doucher et se préparer à passer une bonne journée.

Elle s’était fait un point d’honneur à transmettre ces rituels à sa petite famille à qui elle devait bien ça.

Car cette famille avait d’ailleurs été longtemps sa priorité, son objectif, son rêve et avait pourtant failli voler en éclat lorsqu’elle s’était amourachée de son partenaire de cours de théâtre, Quentin, cinq ans auparavant. Mais ça, c’était avant et elle ne voulait plus en parler.

Elle s’était pourtant mariée tardivement à trente-quatre ans et ne regrettait rien car elle avait pu pendant tout son chemin de célibat entrecoupé de merveilleuses petites histoires d’amour, vivre de quelques passions qu’elle s’était découvertes alors : le yoga tout d’abord qui par la maîtrise de la respiration lui avait prouvé que l’on pouvait faire tomber des croyances bien ancrées comme « oh, Claire ne sait pas bien nager » dont sa mère l’avait abrogée toute son enfance et dont elle en avait fait une certitude infondée car elle était aujourd’hui une nageuse émérite.

Le théâtre ensuite qui avait fait d’une jeune fille timide une jeune femme bien dans sa peau et épanouie. Passion qu’elle avait reprise plus tard mais qu’elle avait dû abandonner par sagesse car elle l’avait amenée trop loin sur des chemins interdits.

« Tu sais, lui avait dit une amie à l’époque, quand je t’ai vue sur scène, tu n’étais pas la même, tu étais quelqu’un d’autre de plus gaie, de plus épanouie, tu étais rayonnante ! »

Elle avait enchaîné avec des tournages cinématographiques, d’abord réalisés par des élèves de l’ESRA (école supérieure d’audiovisuel), ce qui lui avait permis de faire ses premiers pas timides devant une caméra puis avait enchaîné avec des publicités, des silhouettes, des tout petits rôles certes mais qui l’avait rendue si fière et si heureuse.

Elle avait côtoyé les plus grands sur des tournages : Alain Delon, Belmondo, Vanessa Paradis…

Puis vint la période chant. Un besoin impérieux de chanter s’était fait sentir. Alors, dans une petite banlieue proche de Bordeaux elle trouva un cours qui lui permit d’apprendre les balbutiements et surtout de se faire de nouvelles amies.

Après les cours elles allaient chanter dans un piano-bar tenu par de jeunes artistes qui n’allaient pas tarder d’ailleurs à devenir célèbres pour la plupart d’entre eux.

Mais elle arrêta rapidement le chant car elle le vivait comme une compétition. C’était à celle qui chantait le mieux sur scène avec le pianiste qui interprétait tout ce qu’elles voulaient. Mais elle était persuadée qu’elle chantait mal, vraisemblablement parce que personne ne lui disait le contraire, preuve que son ego la menait par le bout du nez à cette époque-là.

Alors l’année qui suivit, elle se réfugia dans une chorale qui lui permettrait de chanter du gospel et des airs sacrés tout en se mélangeant aux autres. Plus personne ne pouvait dire si elle chantait bien ou non, ce qui rassura cette partie d’elle, qu’elle croyait être « Elle ».

Elle avait adoré cette sensation de donner et recevoir, la chair de poule qui faisait se soulever les poils quand tous ensemble ils laissaient sortir leur voix, vibrer leurs cordes vocales, vider leur souffle. Et puis, le couple de professeurs avait déménagé, ils étaient partis laissant orphelins une trentaine d’adultes dépités qui n’avaient plus qu’à se chercher une autre famille vocale, une autre famille de chœur.

C’est à ce moment-là que Claire avait arrêté le chant, arrêté le théâtre, arrêté le yoga et la natation.

C’est à ce moment-là que Claire avait rencontré l’amour de sa vie et, comme une évidence, elle l’avait épousé et eu ses deux merveilleux enfants.

Tel un souhait qui se réalisait enfin (elle en avait si souvent rêvé) l’homme de sa vie était apparu au moment où elle s’y attendait le moins mais correspondait trait pour trait à la description globale qu’elle en avait fait.

Preuve en était, qu’elle avait gardé le papier où elle avait couché par écrit tout ce qu’elle espérait trouver chez cet homme qui partagerait le reste de sa vie et qui l’aiderait à fonder une famille harmonieuse et heureuse, rêve de toute une vie.

Chaque fois qu’elle le regardait avec tendresse, elle ne pouvait s’empêcher de sourire intérieurement en pensant qu’il était aussi beau que ce qu’elle avait désiré, plus parfait encore que ce qu’elle avait demandé.

« Demandez et vous recevrez », se rappela-t-elle. C’était tellement vrai. Si seulement tout le monde pouvait s’en rendre compte, pensait-elle.

Perdue dans ses pensées, elle n’entendait pas ce que lui disaient ses enfants.

« Maman, tu as dit qu’on devait partir dans quinze minutes. Alors je crois qu’il est temps d’aller se laver les dents » lui dit en souriant son fils aîné.

« Oh oui bien entendu, mon chéri, on y va. »

Claire avala d’une traite son thé qui avait eu le temps de refroidir, plaça la vaisselle dans le lave-vaisselle, finit de ranger au réfrigérateur ce que sa petite famille avait laissé sur la table, et en passant un coup d’éponge sur cette dernière, envoya un baiser à Laurent qui partait déjà de son côté.

« Bonne journée chérie ! » lui cria-t-il.

« Bonne journée, à ce soir. »

Claire monta se laver les dents au côté d’Emma qui lui adressa un sourire forcé, prit sa veste de tailleur sous le bras, arracha son sac à main en passant près du porte-manteau, devenu arbre à sacs, appela Ethan et Emma, claqua la porte tout en la verrouillant, fit une papouille à Westy, magnifique West Highland blanc qui remuait la queue et aboyait pour leur dire « au revoir » à sa façon, et monta dans sa voiture.

« En route les enfants, je dépose qui en premier ? »

« Moi ! » répondirent-ils à l’unisson.

Un sourire au coin des lèvres, Claire mit le contact, démarra la voiture et déposa, comme d’habitude ce jour-là de la semaine, Ethan devant le lycée puis Emma près du gymnase.

Elle arriva tout juste à l’heure pour recevoir son premier patient.

Claire avait choisi la dermatologie comme spécialité à la faculté de médecine, sans trop savoir pourquoi, mais ne le regrettait jamais car elle adorait son métier surtout depuis qu’elle appliquait sa méthode post-traumatique, à savoir toujours trouver la raison psychosomatique à chaque symptôme, approche holistique qui lui faisait exercer sa profession d’une façon plus ludique.

« Bonjour Sonia », dit-elle à sa secrétaire, « on a quoi aujourd’hui ? »

« Vous commencez par une exérèse de mélanome docteur », lui répondit Sonia.

« OK, je me prépare et vous pouvez me l’envoyer. »

« Bien docteur. »

« Monsieur Trombi, c’est à vous dans une minute, vous pouvez me donner votre carte vitale, le docteur va vous recevoir. »

Chapitre 2

Et c’est le temps qui court, court

Qui nous rend sérieux

La vie nous a rendus plus orgueilleux

Parce que le temps qui court, court change les destins

Et que le manque d’amour nous fait vieillir

Le temps qui court, Alain Chamfort

Le temps n’avait pas de prise sur Claire. Peut-être que cela venait du fait qu’elle était du signe zodiacal du capricorne, signe qui voyait naître ses natifs vieux et qui les voyait rajeunir avec le temps…

Ou peut-être était-ce le fait que Claire vivait sans aucune montre à son poignet et qu’elle ne savait jamais réellement ni quelle heure il était ni quel âge elle avait. Il fallait, effectivement presque toujours qu’elle réfléchisse ou qu’elle calcule mentalement avant de l’annoncer.

Ou encore, cela venait-il du fait qu’elle disait à qui voulait bien l’entendre qu’elle avait décidé d’inverser la courbe du temps.

À moins que ce ne fût les trois à la fois.

Elle utilisait certes, quelques artifices comme le maquillage et des soins du visage appropriés à son âge, elle faisait très attention à la façon dont elle se coiffait et s’habillait avec goût dans un style chic, moderne et élégant.

Claire était très esthète et aimait l’élégance et la beauté chez les autres et donc chez elle-même. Aussi, quand un jour, à la salle de sport qu’elle fréquentait une fois par semaine, un inconnu s’était approché d’elle en lui demandant si elle avait déjà fait quelque chose pour ses « rides du lion » elle eut d’abord une réaction de surprise et de fierté en se disant qu’un homme l’abordait pour la féliciter de son aspect, avant de réaliser qu’en fait, il lui proposait une séance d’injection de botox pour réduire ses rides frontales… ce qui lui fit nettement avoir la réaction inverse.

Elle faillit l’envoyer « voir ailleurs si elle y était » quand sa petite voix intérieure la fit taire en lui suggérant de mieux écouter ce que cet inconnu avait à proposer.

« Alors si je comprends bien, reformula Claire, vous me dites qu’une amie à vous cherche des volontaires pour un protocole botox dès samedi, et vous me proposez de me présenter à cette étude gratuite ? »

« Oui, c’est exactement cela », répondit l’homme en question. « Je vous donne ses coordonnées et je vous laisse y réfléchir. »

Claire resta dubitative, ne sachant s’il fallait être vexée ou ravie de l’opportunité.

Elle se rappela soudain qu’elle invoquait tous les matins dans ses petites phrases de pensées positives le fait d’être jeune, belle et ferme.

Dans un sourire entendu, elle remercia le ciel de ce cadeau providentiel et décida qu’elle appellerait une copine, en rentrant car elle savait qu’elle avait déjà testé ce genre d’injection qu’on lui réclamait assez souvent au cabinet, mais qu’elle avait toujours refusé, estimant que ce n’était pas sa spécialité, bien qu’elle soit légalement autorisée à le faire.

Quant à elle, elle se dit qu’on pouvait très bien être médecin et peureuse quand il s’agissait de tester des produits sur soi-même !

Elle ne revit plus jamais l’homme à la proposition botulique, proposition qu’elle accepta et qu’elle ne regretta pas car l’effet fut fulgurant. Tout le monde la trouva encore rajeunie, et l’effet sur son moral fut énorme. Elle envisagea, ce jour-là, de se former afin de pouvoir l’injecter à d’autres femmes.

Assise sur son vélo, Claire pédalait, pédalait, sa serviette dans une main, la bouteille d’eau dans l’autre. Elle adorait venir dans cette salle de sport tous les mercredis matin y laisser toutes les calories qu’elle avait pu emmagasiner en trop la semaine durant, malgré le fait de manger plus sainement depuis cinq ans maintenant.

Après le vélo, elle s’installait à des machines barbares qui faisaient travailler soit les muscles des bras, soit ceux des cuisses et tout en transpirant elle sentait indispensables ces exercices qui entretenaient son corps tout doucement vieillissant. Elle s’en rendait compte par un relâchement çà et là des biceps, des triceps, mais avait mis un point d’honneur à ne pas laisser le temps gagner la partie et avoir raison d’elle, bien qu’elle sache qu’il n’en était pas le seul responsable. Elle avait longuement travaillé sur son syndrome d’abandon, apparemment responsable de son manque de fermeté et bien qu’elle eût aperçu quelques petits résultats, il restait du travail à faire.

C’est pourquoi elle avait décidé de changer le cours du temps, solution qui lui paraissait la plus simple à mettre en place.

« Ça veut dire quoi inverser la courbe du temps, maman ? » lui avait demandé sa fille, un jour qu’elle en parlait à une amie.

« Eh bien cela veut dire que même si le temps passe, inexorablement, maman fera en sorte qu’il y ait le moins de traces possible sur son corps. »

« Ah bon, et comment arrive-t-on à faire une telle chose ? » rétorqua Emma un rien moqueuse.

« En le décidant tout simplement. »

« Comment ça, en le décidant, je ne comprends rien. »

« Il suffit que tu te le suggères avec force et détermination et donc que tu demandes à ton subconscient de rester jeune. »

« Oui, enfin de ne pas vieillir, quoi ! »

« Non, non, rester jeune est un terme positif alors que vieillir en est un plus péjoratif, plus négatif. Tu comprends la différence ? Je te l’ai déjà expliqué il me semble. »

« Oui, je crois. Et ça marche vraiment ça ? »

« Eh bien j’aurais préféré que tu en fasses une affirmation en me regardant, mais ce n’est pas grave ! » dit Claire en éclatant de rire en écho avec sa fille.

Il était vrai que Claire ne faisait pas du tout son âge. Ses patients et collègues n’avaient de cesse de le lui faire remarquer et lorsqu’elle avait fêté ses cinquante ans récemment, personne ne voulait le croire.

Seule, la vue de ses photos la rendait nostalgique. Seigneur comme j’étais belle quand j’avais trente ans ! Et dire que je ne m’en rendais pas compte ! Elle avait donc pris la décision d’être plus forte que le temps et cela avait l’air de fonctionner.

Donc Claire avait compris que la force de persuasion était primordiale quand on voulait quelque chose.

D’ailleurs elle avait tout ce qu’une femme pouvait désirer : un mari aimant, généreux et attentionné. Des enfants tendres, bons élèves, attachants, encore très câlins malgré leur âge et les portes qui claquaient de temps en temps, la faute à une période d’adolescence dont elle se serait bien passée. Un métier dont elle avait eu vaguement la vocation très tôt et qu’elle adorait pratiquer, une maison confortable, au calme des tumultes de la ville. Des beaux-parents peu envahissants et gentils qui l’avaient tout de suite accueillie comme leur propre fille. Sa propre famille étant pratiquement inexistante, ce qui l’arrangeait certes beaucoup.

« Bientôt onze heures, zut il faut que je me dépêche pour aller chercher Emma au lycée. »

Elle ramassa ses affaires, salua les sportifs de la salle d’un « au revoir tout le monde » collégial et regagna sa voiture.

Comme d’habitude, elle enclencha le CD qui était dans l’auto radio et commença à chanter sur la voix de Desireless :

Voyage, voyage, plus loin que la nuit et le jour (voyage, voyage) voyage (voyage), dans l’espace inouï de l’amour, voyage, voyage… Le volume assez fort.

Elle en profitait car elle savait que dès qu’Emma serait dans la voiture, cette dernière baisserait le son, fermerait les fenêtres pour que personne ne puisse entendre la musique « rétro » qu’écoutait sa mère et qu’elle serait obligée d’arrêter de chanter, chose qu’elle détestait faire alors que la chanson n’était pas terminée.

Puis, arrivées à la maison, Emma montait directement dans sa chambre en prenant soin de ne surtout pas ranger ses affaires tandis que Claire s’affairait à la cuisine avant d’aller prendre une bonne douche salvatrice.

« Le mercredi c’est pâtes ! Ça l’a toujours été et cela m’arrange, pensait-elle en fredonnant une chanson avortée dans la voiture, je n’ai pas à réfléchir à ce que je dois faire. Bon aujourd’hui ce sera spaghetti aux courgettes. »

Tandis qu’elle terminait de se préparer dans la salle de bain, elle entendit ses hommes rentrer ensemble et l’appeler d’une voix commune :

« Coucou… Il y a quelqu’un ? On est rentrés ! On mange quand ? »

« Coucou mes amours, je suis là et on mange dans cinq minutes, le temps que tu nous mettes la table mon trésor, c’est ta semaine », s’écria Claire tout en descendant les escaliers, une serviette de toilette sur ses cheveux mouillés. Elle embrassa ses hommes, appela Emma afin qu’elle les rejoigne pour déjeuner et alla vérifier que tout se passait bien dans ses marmites.

« Tu peux t’occuper des enfants cet après-midi ? » demanda Laurent.

« Oui, pas de problème, je ne travaille pas. Je peux les amener au tennis, quoique maintenant ils sont grands et peuvent y aller tout seuls ! Ta matinée s’est bien passée ? »

« Oh tu sais, toujours pareil. Des gastros, des petits vieux toujours pressés, des séropositifs qui ne veulent plus de leur traitement, tiens une patiente qu’il faut que je t’adresse pour que tu me confirmes le diagnostic. Pas sûr que ce soit un psoriasis. »

« Ah non, vous n’allez pas encore parler travail ? » s’exclama Ethan légèrement agacé.

« Eh bien vous nous parlez bien de ce que vous faites à l’école, vous, non ? »

Et ils partirent tous d’un rire entendu, ponctué de grimaces.

Alors que le repas était terminé, Claire serait bien allée se reposer un peu mais il fallait amener les enfants et faire les courses pour la semaine. Elle ne supportait plus de manger des aliments qu’elle classait dans la catégorie « morts » et qui la rendaient somnolente mais quelquefois elle devait s’avouer que c’était bien pratique.

Elle prit donc son courage à deux mains et déposa Emma et Ethan devant le gymnase puis se dirigea vers le centre commercial, lorsque son regard fut attiré par une publicité municipale qui défilait sur un panneau électronique. Il était question de chorale, mais elle n’avait pas eu le temps d’en voir plus.

« Tiens, maintenant que les enfants ont grandi, et puisque j’ai arrêté le théâtre, je retrouverais bien une chorale moi », pensa-t-elle.

Mais n’était-ce pas dangereux de retourner à l’extérieur de chez elle ? Elle avait failli tout perdre déjà une fois et avait stoppé toute sortie « extra conjugale » après avoir longuement travaillé sur elle et après avoir recouvré de justesse la raison.

Cependant l’envie de chanter reprenait peu à peu de la place dans ses pensées. Mais avant de reprendre des cours et de s’exposer à nouveau seule, face aux autres et à sa propre peur de trouver sa voix inintéressante et de se mettre en danger à nouveau, le fait de s’immerger au sein d’un groupe lui paraissait être une idée judicieuse.

Alors qu’elle passait devant l’office de tourisme de sa petite commune, elle décida de s’y arrêter pour demander de l’aide.

« Bonjour », dit-elle, en s’adressant à une jeune femme qui leva à peine la tête en la voyant entrer. « Je cherche des renseignements sur la chorale dont vous parlez sur les panneaux publicitaires… »

« Bonjour, madame, euh quelle chorale, quels panneaux ? »

« Eh bien ceux qui défilent en ce moment, en ville », dit Claire en ayant l’impression de s’adresser à une extra-terrestre.

« Ah, ceux-là, alors il faut demander à la mairie, ce n’est pas nous. »

« Oui peut-être mais en tant que syndicat d’initiative vous avez peut-être des renseignements, non ? » commençait à s’agacer Claire.

« Alors… Chorale. Chorale… Non, désolée mais je ne vois rien ! »

« Bon, c’est bon, je vais me débrouiller toute seule, au revoir mademoiselle », répondit Claire d’un ton sec et cette fois-ci très agacé.

Et c’est ainsi que germa dans son esprit l’envie de chanter à nouveau, si bien que le soir même, alors que toute la petite famille était assise dans le canapé devant la télévision, Claire annonça qu’elle se cherchait une chorale pour la prochaine rentrée scolaire mais qu’en attendant s’ils avaient un cadeau à lui faire, ils pouvaient lui offrir un set de karaoké, car elle avait envie de chanter.

À la suite de quoi ses enfants avaient pouffé de rire en lui expliquant qu’elle pouvait aller sur internet et chanter sur « YouTube » mais surtout qu’il fallait qu’elle le fasse quand ils ne seraient pas là.

« Et puis tant qu’on n’a pas de textes à te faire répéter, tout va bien ! »

« Charmant ! » pensa-t-elle. « Mais, néanmoins, excellente idée ce YouTube. »

Elle se leva et monta dans sa chambre, son téléphone portable à la main.

Elle ouvrit le petit appareil qu’elle n’utilisait désormais que pour téléphoner et commença à aller sur le fameux moteur de recherche dont il était question. Elle tapa le titre d’une chanson qu’elle aimait bien, suivi du mot « karaoké » et fut subjuguée d’y trouver exactement ce qu’elle cherchait.

« Mon Dieu, c’est beau le progrès ! » pensa-t-elle en son for intérieur et imaginant les enfants se moquer d’elle.

Elle écouta ainsi plusieurs chansons en repérage et elle ne sélectionna que les titres mélancoliques qui parlaient d’amour.

« Dieu que mon âme aime ce genre de douceur » pensa-t-elle tout en se rappelant qu’elle avait lu dans un des nombreux livres qui jonchaient sa table de nuit que l’amour était la nourriture de l’âme.

Comme c’était beau, et comme c’était vrai.

Mais comme cela pouvait être douloureux parfois, se dit-elle en repensant à cet amour auquel elle avait dû renoncer et qui lui avait coûté des mois de tourments.

Chapitre 3

Jamais mon cœur ne se brisera

Équilibre, équilibre dans ma vie j’ai cherché l’équilibre

C’est fini, c’est fini, dans ma vie je cherche à équilibrer

Les ailleurs, DJ Kayz

Alors que Claire rentrait un peu plus tôt du travail, ce vendredi après-midi-là, elle trouva sa fille Emma en larmes, recroquevillée sur son lit. Son visage si fin, qui ressemblait tant à son père, était défiguré par la souffrance qu’elle semblait ressentir. À l’approche de sa mère et alors que cette dernière vint s’asseoir sur le bord de son lit, Emma éclata en sanglot.

Des larmes saccadées coulaient le long de ses jolies joues à peine rebondies et son corps était secoué de spasmes douloureux. Westy sauta sur le lit et vint lui lécher le visage.

Claire poussa doucement mais fermement le chien et prit sa fille dans ses bras avec une infinie tendresse, un peu dépitée devant tant de chagrin mais malheureusement bien consciente de ce qui pouvait mettre sa fille dans un tel état : seule la perte d’un être cher pouvait faire cet effet-là. Étant donné qu’il n’y avait eu aucun décès proche, étant donné qu’Emma était une adolescente de seize ans… Claire opta pour un chagrin d’amour.

Naturellement, cela la replongea dans ses propres souffrances jamais complètement effacées et elle se trouva démunie face au chagrin de sa fille. Elle se rappela à quel point on pouvait avoir mal dans ces moments-là mais aussi, avec le recul comment on s’en sortait toujours et comment le soleil revenait toujours après la pluie battante.

Mais là, il ne s’agissait pas d’elle mais de gérer l’orage dans lequel était plongé Emma, de faire dévier les éclairs qui atteignaient sa fille en plein cœur, de faire cesser la foudre qui la frappait.

« Oh, ma chérie, dis-moi ce qui ne va pas. »

Mais les sanglots empêchaient Emma de s’exprimer.

« C’est encore ce Romain qui te fait pleurer ou tu t’es disputée avec tes amies ? »

« … »

« C’est Romain, c’est ça ? »

Emma fit un signe de la tête et éclata encore plus fort en sanglots.

« Oh, ma chérie, tu sais quand ça ne va pas avec quelqu’un, c’est douloureux mais il vaut tellement mieux se séparer. Tu es si jeune, tu trouveras quelqu’un d’autre », lui dit une Claire qui savait très bien que c’était plus facile à dire qu’à faire.

Mais à l’énoncé de ces faits Emma redoubla de spasmes et un ruisseau coulait désormais de ses yeux. Rien qu’à l’idée d’avoir à oublier son Romain, Emma crut mourir. C’était au-dessus de ses forces. Mais, au fond d’elle-même elle savait que sa mère avait raison car elle ne cessait de se disputer avec son petit copain. Son histoire était compliquée, entremêlée d’embrouilles avec ses copines qui étaient certainement jalouses, mais comptait tout de même de moments si tendres dont elle n’avait parlé à personne, à personne.

Et puis comment se résoudre à laisser s’échapper quelqu’un qu’on aime si fort au fond de soi, quelqu’un sans qui la vie perd tout son sens ? Comment faire le matin pour se lever et ne plus pouvoir se dire : « Chouette, quelle belle journée ! Je vais voir Romain. Il va me regarder, me sourire, me prendre la main et m’embrasser. »

Alors quand sa mère lui expliquait qu’elle retrouverait quelqu’un d’autre, cela ne l’intéressait pas et elle ne pouvait même pas l’envisager.

Après quelques minutes de câlins et de bercements, comme quand elle était bébé, Emma finit par s’endormir dans les bras de sa mère qui lui chuchotait la chanson de Marie Laforêt tout en lui imposant les mains sur le plexus solaire en lui envoyant de l’énergie reiki :

C’est vrai, tout finit jour après jour, mais combien de temps dure un chagrin d’amour, oui, combien de temps dure un chagrin d’amour ?

Celle-ci reposa délicatement sa tête sur son oreiller, remonta le drap sur son jeune et long corps si fragile et descendit dans la cuisine les yeux humides devant tant de tristesse et de souvenirs douloureux.

Seigneur comme elle était contente d’être enfin sortie de cette tourmente qu’était le désir amoureux, la passion et le vertige du frisson.

« Je suis à l’abri désormais de toutes ces souffrances-là, moi au moins, merci, merci, merci… c’est vrai que c’est merveilleusement bon quand cela arrive mais c’est aussi tellement douloureux quand cela ne fonctionne pas ou plus », se remémora-t-elle en remerciant le ciel d’avoir été aidée en voyant Quentin déménager l’année qui avait suivi son accident. Par la force des choses, le silence s’était installé entre eux même si elle avait toujours conservé son adresse mail « au cas où » comme elle avait eu besoin de se dire.

Claire aimait souvent remercier le ciel de tout ce qu’il lui arrivait de bon car elle pensait que ne pas le faire la mettait en dette constante avec l’univers et elle était si reconnaissante de tout ce qu’elle avait, que ce serait un péché que de s’y soustraire.

Tout médecin qu’elle était, elle n’avait pas le réflexe de donner beaucoup de médicaments à sa famille, mais elle alla se servir un antalgique qu’elle avala d’un trait, tant sa tête lui faisait mal et prépara quelques tubes de granules d’homéopathie qu’elle donnerait à Emma quand elle se réveillerait.

« Rien de mieux qu’un peu d’Ignatia contre les chagrins d’amour », se remémora-t-elle à nouveau.

Ensuite, en bonne mère de famille, elle commença à ouvrir le réfrigérateur pour y attraper quelques légumes qu’elle s’apprêtait à cuisiner avec du poisson surgelé qu’elle avait sorti le matin du congélateur et qui était désormais fraîchement dégelé, quand elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir, laissant passer un Ethan en pleine forme.

Son sourire lui fit du bien et avec beaucoup de tendresse elle l’enveloppa de ses bras et lui fit de gros baisers qui claquèrent sur ses joues fraîches.

« Ça va, maman ? Ça n’a pas l’air ? »

Ethan était quelqu’un de très doux qui ressemblait beaucoup à sa mère tant physiquement, que par ses expressions en passant par sa grande sensibilité. II ne pouvait rien cacher à sa mère et réciproquement elle était surprise que chaque fois qu’elle ne se sentait pas bien, il le ressentait aussi.

« Non, ne t’inquiète pas mon chéri, c’est juste que ta sœur n’est pas très bien et que ça me perturbe toujours un peu. Rien de grave. »

« Ah encore, elle a toujours quelque chose qui ne va pas, de toute façon ! »

« Ça, ce sont les filles. Tu verras, tu apprendras à les connaître toi aussi », dit Claire dans un sourire, devant la moue moqueuse de son fils qui avait depuis quelques années toujours une jolie fille accrochée à son bras.

« Bon, je prends un goûter et je vais bosser, à tout à l’heure Maman. »

« À tout à l’heure, mon cœur. »

Claire avait pris l’habitude de ne plus trop voir ses enfants quand elle était à la maison.

Soit, ils étaient enfermés dans leur chambre la tête penchée sur leur ordinateur, soit ils étaient physiquement avec elle mais réellement sur leur téléphone portable à tchater avec, elle ne savait qui, ou à jouer à, elle ne savait quel jeu.

« Mais qu’est-ce qu’ils peuvent bien trouver à ces ordinateurs et à ces téléphones portables ? » se demandait Claire dépitée, oubliant la période où elle guettait avidement les messages de Quentin.

Elle était de la génération papier. Les pages de livres qu’on tournait, qu’on écorchait pour se souvenir où on en était. Les phrases qu’on surlignait quand on les trouvait particulièrement importantes, ces livres qu’on gardait précieusement dans sa bibliothèque parce qu’on les avait particulièrement aimés et qu’on pouvait ouvrir à nouveau, en cas de besoin urgent…

Les rendez-vous qu’on marquait dans son agenda, ces longues lettres d’amour ou autres qu’on écrivait et qui résonnaient différemment…

« Mais comment font-ils sans papier ? » se demandait-elle nostalgique.

Le repas étant prêt, Emma toujours endormie, Ethan devant son ordinateur et Laurent pas encore rentré, Claire s’installa sur le canapé dans un grand soupir. Elle alluma la télévision et zappa avec la télécommande de chaîne en chaîne, car n’étant que très peu à la maison à cette heure, certes peu tardive du début de soirée, elle ignorait complètement les programmes qu’il pouvait bien y avoir.

Son intérêt fut capté par un jeu télévisé où des candidats devaient chanter des chansons dont les paroles étaient cachées.

« Ah super, pensa-t-elle, je vais pouvoir chanter un peu tranquillement ! »

Et alors qu’elle prenait goût à l’émission et qu’elle se demandait comment on pouvait avoir le courage d’aller chanter à la télé devant des milliers de téléspectateurs, elle se rappela qu’elle devait faire des recherches pour trouver une chorale.

Elle attrapa la tablette familiale qui traînait toujours quelque part dans la salle à manger, l’ouvrit sans trop de difficulté et tapa sur le moteur de recherche « chorale bordeaux et banlieue » puis tapa « entrée ».

L’attente lui parut interminable et elle en profita pour chanter la chanson de Joe Dassin qui passait à l’émission et qu’elle aimait bien, le chien assis à ses côtés :

On ira, où tu voudras quand tu voudras, et l’on s’aimera encore, lorsque l’amour sera mort, toute la vie sera pareille à ce matin, aux couleurs de l’été indien.

Elle n’entendit pas son téléphone portable, resté comme à l’habitude dans son sac à main, et jetait un œil distrait à l’écran de l’ordinateur qui moulinait, qui moulinait…

Rien, elle ne trouva rien. Elle tapa « chorale Bordeaux » rien.

Ce n’est pas possible, il existe quand même bien au moins une chorale dans cette ville, se dit-elle à elle-même.

C’est à ce moment précis qu’elle entendit une petite voix dans sa tête qui lui suggéra « va voir au conservatoire. »

Mieux qu’internet, la petite voix était son Google à elle, plus simple, plus rapide et surtout plus fiable. Elle l’avait ramenée de son accident et elle était devenue sa meilleure amie.

« OK, j’irai au conservatoire. Elle lança alors le moteur de recherche en entrant les mots : chorale/ conservatoire/33. »

Au même moment, elle entendit son fils dévaler les escaliers en lui criant :

« Maman, papa a essayé de t’appeler pour te dire qu’il arrivait dans cinq minutes. Alors, on mange bientôt ? »

« Oui, mon chéri, dès que ton père arrive ! » répondit Claire dans un sourire face à son fils éternellement affamé.

« Ah ces ados ! » pensa-t-elle, bien qu’Ethan fût plus un jeune adulte qu’un adolescent, « je vais réveiller ta sœur et tu peux commencer à mettre la table. »

« Ok » répondit Ethan en se précipitant à la cuisine, ravi, non pas de poser le couvert, mais de pouvoir envisager de manger rapidement.

Ce qui, en l’occurrence, se fit rapidement car Laurent fit tourner sa clé dans la serrure au même moment et entra dans la maison, exténué par une longue journée harassante mais ravi de retrouver la petite famille qu’il chérissait tant.

Alors que Claire réveillait sa fille avec douceur et qu’elle descendait avec elle la tenant par le bras, elle fit un discret clin d’œil à son mari et tout en l’embrassant elle lui glissa un « je t’expliquerai plus tard » dans l’oreille.

« Tout le monde à table ! »

« Chouette ! s’écria Ethan. Qu’est-ce qu’on mange et quelle note tu mets à ce plat ? »

« Hum, je dirais, pour toi cinq sur dix et pour nous huit », répondit Claire qui avait connaissance du système de numérotation de son fils.

« Moi je n’ai pas faim », murmura Emma à moitié défigurée par ses larmes.

« Ouais, ben comme d’habitude », rétorqua Ethan.

« Hé hé, Ethan. Ça suffit. Tu laisses ta sœur tranquille et on mange. »

Fervents croyants mais tout juste pratiquants Laurent et Claire avaient inculqué aux enfants le respect de l’autre, le sens de la gratitude et la politesse.

« Qu’est-ce qu’on regarde après ? »

« Grey’s anatomy », répondit Claire qui essayait de sélectionner ses programmes télé.

« Bon, eh bien pour moi, ce ne sera rien », dit Ethan.

« Tu regardes avec nous ? » suggéra Laurent en regardant sa fille avec pitié.

Emma fit un signe affirmatif de la tête et c’est ainsi qu’après le repas et alors qu’Ethan débarrassait la table en râlant, qu’ils s’installèrent tous les trois devant l’écran plasma qui recouvrait une bonne partie du mur du salon.

« Bon, ben bonne nuit ! » dit Ethan une fois qu’il eut terminé son rangement obligatoire.

« Bonne, nuit chéri », répondirent d’une seule voix Claire et Laurent.

Chapitre 4

J’ai demandé à la lune

Et le soleil ne le sait pas

Je lui ai montré mes brûlures

Et la lune s’est moquée de moi

J’ai demandé à la lune, Indochine

Latélévision était une chose que Claire pratiquait de moins en moins.

Elle s’était rendu compte que plus elle la regardait et plus elle avait envie de la regarder, le plus souvent bêtement sans en avoir forcément besoin, sans en ressentir le désir mais juste une impérieuse nécessité. Depuis qu’elle s’était aperçue qu’elle lisait de moins en moins, elle, l’ancienne lectrice assidue qui dévorait les livres comme on peut dévorer un bon gâteau au chocolat, elle commençait à culpabiliser. Elle se sentait de plus en plus dépendante de ce petit écran mais elle s’en défendait sans avoir pour autant plus de volonté que cela à s’en détacher.

Elle avait l’envie profonde de ne plus perdre son temps inutilement, mais elle ne savait pas comment faire.

Alors, elle prit quelques décisions importantes : tout d’abord, elle ne regarderait plus les informations car elle se sentait manipulée par la sémantique des journalistes qui n’annonçaient que des mauvaises nouvelles et qui faisaient gorges chaudes des malheurs arrivés à autrui, alors qu’il y avait sûrement des milliers de belles choses qui arrivaient dans le monde, dont on ne parlait jamais… D’ailleurs, elle s’était rapidement aperçue que son moral restait plus facilement au beau fixe, depuis qu’elle appliquait cette règle de vie à la lettre.

Cependant, et afin de ne pas paraître complètement désinformée, son rang social ne le permettant pas, elle écoutait les bribes d’information certes très formatées, à la radio, quand elle était dans sa voiture. Cela lui suffisait amplement. (D’ailleurs, elle ne pouvait pas les louper car toutes les radios ou presque diffusaient la même chose.)

Ensuite, elle décida de ne regarder que des programmes de son choix, enregistrés préalablement, ainsi elle pouvait les regarder à l’heure qui lui convenait, c’est-à-dire rapidement après le repas du soir, et surtout, cela lui permettait de passer allègrement sur les tonnes de publicité que le système voulait lui faire avaler de gré ou de force.

Aussi, regardait-elle le petit écran à son rythme, à l’heure qu’elle voulait et avait encore un peu de temps pour lire un chapitre ou deux dans le lit avant de s’endormir vers vingt-deux heures trente, grand maximum.

Parce qu’il était tout de même difficile de passer du repas au lit directement, elle appréciait de passer quelques longues minutes assises confortablement dans le canapé auprès de sa petite famille qu’elle ne voyait pour ainsi dire pas beaucoup.

Pour énormément de gens et notamment pour son mari qui aimait se retrouver de longues heures durant devant la télévision, le soir, cette activité représentait une dilettante alors que, elle, savait pertinemment pour l’avoir testé et comparé, que la télévision fatiguait plus qu’elle ne reposait. Il suffisait de comparer l’état dans lequel elle se trouvait le matin, quand la veille elle avait simplement lu un bon livre ou si elle avait regardé un bon, voire inutile programme à la télé.

Mais bon, regarder un épisode d’une bonne série médicale américaine lui plaisait beaucoup, c’est pour cela qu’elle s’installa dans le salon, avec sa fille qui n’avait pas cours le lendemain et son mari qui lui proposait son épaule pour se reposer.

Claire se délectait de la vie compliquée des héros de série, lui rappelant à quel point la sienne était d’une simplicité absolue : plus de problème majeur, pas de dispute avec son mari, des enfants qui travaillent bien à l’école, un travail sans agression ni stress… que du bonheur.

La vie des autres avait l’air moins facile et mettait en valeur la sienne.

« Je ne m’y ferai jamais à voir deux hommes ou deux femmes s’embrasser », disait de temps à autre Laurent. Eh bien qu’elle fût parfaitement tolérante à bien des égards, il était vrai que cela la gênait toujours de regarder les ébats de deux personnes de même sexe.

« Que ferais-je si un de mes enfants m’annonçait son homosexualité, pensait-elle parfois ? Rien, je suppose. Je les aime suffisamment pour accepter leur différence et tant qu’ils sont heureux, je serais heureuse. »

Mais bon, heureusement, ce n’était pas le cas, car Ethan avait déjà eu plusieurs petites copines et Emma était amoureuse de son Romain…

« Maman, tu me raconteras comment tu as su que papa était l’homme de ta vie ? Comment on arrive à savoir qui est l’homme de sa vie ? » demanda Emma alors qu’elle regardait les deux beaux et jeunes héros du feuilleton s’embrasser à pleine bouche.

« Mais je te l’ai déjà raconté », répondit Claire d’un air agacé car elle ne supportait pas qu’on parlât pendant le déroulement de l’épisode.

« Oui, mais j’aimerais tellement que tu me le racontes encore. »

« OK, tout de suite après, on monte et je te raconte. »

« Je pourrai venir dans ton lit ? »

Claire fit un oui de la tête et sourit intérieurement. Malgré ses seize ans, Emma restait toujours son petit bébé qui aimait se réfugier dans son lit dès qu’elle le pouvait, comme si cet endroit lui apportait la sérénité que son cerveau agité d’adolescente tourmentée ne pouvait lui apporter.

« Eh bien, justement c’est terminé, on monte ? »

« On regarde un deuxième épisode ? » tenta Laurent sans trop avoir d’espoir devant le sourire grimacé de son épouse.

« Toi si tu veux, mais moi, même pas en rêve. »

Claire embrassa les lèvres de son mari plus par habitude que par volupté et monta avec Emma qui traînait toujours un peu, essayant de gagner quelques minutes supplémentaires de sursis avant d’aller se coucher. Mais se souvenant de la promesse de sa mère, elle grimpa les marches quatre à quatre, se déshabilla en un tour de main et après avoir été rappelée à l’ordre par sa mère quant au lavage de ses dents, elle se jeta sur le lit de ses parents, se glissa entre le drap et la couette et attendit avec une impatience à peine dissimulée que sa mère vint la rejoindre. Claire se demandait parfois à partir de quel âge sa fille se comporterait en jeune adulte, tout en se disant qu’elle avait bien de la chance de la garder le plus longtemps possible pour elle.

Quand Claire arriva enfin, Emma vint se blottir contre elle et lui chuchota :

« Vas-y, maman, raconte. Comment on sait ? »

Claire avala sa salive car elle aurait voulu lui raconter comment elle était tombée follement amoureuse d’un homme qui avait définitivement quitté sa vie, par la force des choses, et à qui elle s’efforçait de ne plus penser. Mais au lieu de cela, elle se reprit et commença à parler de son histoire plus ancienne :

« Tout d’abord, ma chérie, cela doit être très simple. Cela doit te paraître comme une évidence, tu ne dois ressentir aucune peur, cela doit te paraître naturel. Si c’est compliqué, si cela te fait pleurer c’est que ce n’est pas le bon, ce n’est pas ton âme sœur. Mais tu sais, avant de trouver LA bonne personne, tu dois prendre le temps de t’amuser, de faire des essais, de te tromper, car après c’est pour la vie que tu t’engages », dit-elle dans un soupir.

Et l’avantage, pensa Claire en son for intérieur, c’est que tu ne connais plus les souffrances de l’abandon, l’angoisse de rester seule, les longues nuits à pleurer sur son oreiller, les copines qui n’en peuvent plus de te réconforter…

« Oui, mais concrètement, papa tu l’as reconnu comment ? » demanda Emma qui sortit Claire de sa rêverie.

« C’était un moment magique, comme dans un rêve. J’avais oublié qu’on devait me présenter quelqu’un, ce soir-là, et alors que ma voiture gênait, je suis allée, seule la déplacer et je me suis retrouvée dans l’allée face à un inconnu tout de blanc vêtu qui semblait avoir un halo de lumière autour de lui. Instantanément je me suis demandé si ce n’était pas lui le mystérieux inconnu dont j’étais censée faire la connaissance ce soir-là. Et devine quoi ? »

« Ben, c’était lui ! »

« Eh oui, c’était lui. Mais à l’époque j’étais amoureuse de quelqu’un d’autre qui ne m’aimait plus, et j’avais beaucoup souffert, un peu comme toi aujourd’hui, alors je n’avais pas envie de retomber amoureuse tout de suite, car des fois cela fait mal, n’est-ce pas ? »

Emma fit un signe de la tête empreint de tristesse.

« Alors dans la soirée, bien que je ne pusse m’empêcher de le regarder en coin, discrètement parce que je le trouvais beau, je me laissais draguer par un autre garçon qui ne me plaisait pas mais qui ne représentait aucun danger pour moi. »

« Pourquoi, papa était dangereux ? »

« En mon for intérieur, je sentais que oui et tu ne vas pas me croire. »

« Si, vas-y, raconte. »

« Donc je me suis dit que je ne voulais plus jamais tomber amoureuse parce que cela faisait trop mal. »

« Ça c’est vrai », ponctua Emma

« Alors, une petite voix claire et limpide s’est mise à me parler dans ma tête. »

« Oh, ça alors, c’est la même qui te parle aujourd’hui ? Et qu’est-ce qu’elle t’a dit ? »

« Elle m’a dit : et dire que tu es peut-être assise à côté de l’homme de ta vie ! » fit Claire d’un signe de tête qui voulait dire oui.

« Ouah ! Et qu’est-ce que tu as fait ? »

« Je lui ai répondu : tais-toi, je ne veux plus tomber amoureuse. »

« T’as répondu ça fort ? »

« Non, dans ma tête »

« Et après, qu’est-ce qui s’est passé ? »

« Eh bien, la vie est bien faite. Figure-toi que tout d’abord on s’est retrouvé quinze jours plus tard à la même soirée sans se voir. »

« C’est trop nul ça ! »

« Non, c’était bien fait, car je devais mettre un terme final à mon ancienne histoire d’amour et lui de son côté en a fait autant. Et quand nous étions enfin définitivement libres… »

« Vous vous êtes mis ensemble ! »

« Hé pas si vite ! Oh, c’était beaucoup plus romantique que ça. On s’est d’abord revu au cours de soirée avec plein d’amis puis il se trouve qu’un jour, ton père m’a appelée pour m’inviter à prendre un verre en tête à tête, chose que j’ai acceptée, mais ensuite j’ai fait comme s’il ne m’intéressait pas trop. »

« Oh, mais ce n’est pas gentil ça ! »

« Mais c’était vrai ! je le trouvais beau, gentil, tout ce que tu veux mais j’avais tellement peur de souffrir encore. »

« Ça fait toujours souffrir d’aimer ? » s’inquiéta Emma

« Non, heureusement, la plupart du temps, tu n’as que du bonheur et de toute façon une rupture te fend toujours un peu le cœur mais avec le recul tu ne gardes que les bons souvenirs. Et je ne sais pas comment cela sera pour toi, mais moi j’ai toujours gardé une petite place dans mon cœur pour ceux que j’ai vraiment aimés. »

« Y’en a eu beaucoup ? »

« Ça ne te regarde pas », répondit promptement Claire qui se rendit compte qu’elle s’égarait et que la conversation devenait trop intime pour sa fille.

« Bon, et alors, après », s’impatienta Emma qui voyait bien que sa mère ne continuerait pas sur l’autre sujet qui l’intéressait pourtant tout autant.

« Après, j’ai lu un livre qui expliquait qu’il fallait garder de la distance, se rendre mystérieuse, ne pas se livrer tout de suite si on voulait “attraper” un mari… »

« Mais c’est quoi ça ? C’est nul ! »

« Non, c’était judicieux. Ton père m’a annoncé qu’il partait une semaine en stage à Paris et pendant tout ce temps, je ne répondais qu’avec parcimonie au téléphone, et jamais à la première sonnerie, même si j’en crevais d’envie. J’étais un peu distante. »

« Mais c’est méchant. »

« Non, c’était bien fait car durant cette semaine-là, je me suis rendu compte que chaque jour qui passait me rapprochait de lui. »

« Je ne comprends rien. »

« Eh bien, cela m’a permis de me rendre compte que mon autre amoureux ne me manquait plus et que ton père commençait à prendre, chaque jour un peu plus de place dans mes pensées, dans mon cœur. »

« Oh, c’est beau ça ! »

« Je crois qu’il me fallait du temps et l’univers m’en a donné. »

« Qu’est-ce qu’il vient faire là l’univers ? »

« C’est lui qui régit tout, tu sais. Tu lui demandes avec ferveur quelque chose et il te l’envoie. »

« Comme un catalogue par correspondance ? »

« En quelque sorte oui, mais il y a des règles et on en reparlera une autre fois. »

« Oui, alors finalement comment s’est terminée ton histoire, ou plutôt comment ça a commencé ? »

« Eh bien, le jour où il est rentré de Paris il m’a téléphoné pour savoir ce que je faisais, et comme dans ma tête je savais ce que je voulais. »

« Qu’est-ce que tu voulais ? »

« Lui ! Je le voulais lui et je le savais enfin. Je lui ai dit qu’il pouvait venir chez moi. Figure-toi qu’il était justement en bas de l’immeuble avec un magnifique bouquet de fleurs rouges et blanches, et tu sais quoi ? »

« Non, quoi ? »