Manuel de droit européen de l'environnement - Patrick Thieffry - E-Book

Manuel de droit européen de l'environnement E-Book

Patrick Thieffry

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Beschreibung

Ce Manuel, qui propose une initiation au droit de l’environnement de l’Union européenne aux étudiants et aux techniciens de l’environnement, est adossé au Traité de droit européen de l’environnement, également publié dans la collection Droit de l’Union européenne, série Traités, aux Éditions Bruylant (3e éd. 2015), dont il partage l’architecture, ce dernier fournissant des perspectives et un appareil scientifique plus complets aux praticiens et chercheurs du droit.

Le droit européen de l’environnement reste profondément marqué par des sources d’inspiration libre-échangistes en dépit des progrès de la politique commune de l’environnement. Gouvernance et management environnementaux s’insèrent dans un cadre complexe, au sein duquel une conciliation doit s’opérer entre objectifs économiques et environnementaux autour de concepts tels que la recherche d’un niveau élevé de protection et du développement durable.

Un rappel de ce cadre institutionnel déterminant permet une présentation synthétique et dynamique des centaines de mesures qui fournissent les paramètres de l’activité humaine, des grands domaines de l’environnement aux objets ayant un impact sur celui-ci, des moyens d’en assurer la mise en œuvre ou encore des instruments économiques tels que marchés de droit d’émission de gaz à effet de serre ou la responsabilité élargie du producteur à la fin de vie de ses produits. Quant à l’intégration des exigences environnementales dans les autres politiques, elle régule les conflits naissants avec les règles du marché et les politiques sectorielles, en particulier agricole, des transports, de l’énergie ou encore de la santé.

Cette 2e édition du Manuel, outre de nombreuses précisions et mises à jour, comporte une discussion de l’incidence de l’accord de Paris sur les changements climatiques de décembre 2015 sur le droit européen, et en particulier des deux « paquets législatifs » et de la nouvelle « Gouvernance de l’Union de l’énergie » proposés par la Commission européenne en juillet et novembre 2016.

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© ELS Belgium s.a., 2017

Éditions Bruylant

Rue Haute, 139/6 - 1000 Bruxelles

Tous droits réservés pour tous pays.

Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.

ISBN : 9782802759867

Collection Droit de l’Union européenne

Série Manuels

Directeur de la collection : Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux de l’Union européenne, dirige le master 2 Droit et contentieux de l’Union européenne, président honoraire de la Commission pour l’étude des Communautés européennes (CEDECE)

La collection droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.

Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Déjà parus dans la même collection :

1. Manuel de droit de l’environnement de l’Union européenne, Patrick Thieffry, 2014.

2. Régulation bancaire et financière européenne et internationale, 3e édition, Thierry Bonneau, 2016.

3. Droit fiscal de l’Union européenne, Alexandre Maitrot de la Motte, 2013.

4. Droit européen de la concurrence. Ententes et abus de position dominante, David Bosco et Catherine Prieto, 2013.

5. Manuel de droit européen du travail, Sophie Robin-Olivier, 2016.

6. Le droit de la fonction publique de l’Union européenne, Joëlle Pilorge-Vrancken, 2017.

7. Droit européen de la commande publique, Stéphane de La Rosa, 2017.

Avant-propos

Ce manuel propose une initiation au droit de l’environnement de l’Union européenne, et il est ainsi en premier lieu destiné aux étudiants. Les techniciens de l’environnement, qui éprouvent un grand besoin de percevoir le cadre juridique de leur activité, y trouveront également des indications générales utiles à cet égard.

En revanche, étant donné les vastes et multiples dimensions, à tous les sens du terme, de la matière, il ne saurait en rendre une image fidèle pour les besoins de la recherche, qu’elle soit scientifique ou appliquée. Les praticiens du droit comme les chercheurs se réfèreront donc plutôt au Traité de droit européen de l’environnement, dont la 3e édition a été publiée en 2015, également dans la collection Droit de l’Union européenne aux Éditions Bruylant.

Ce manuel et le traité avec lequel il a été conçu se complètent d’autant plus facilement qu’ils partagent la même architecture, c’est-à-dire les mêmes parties, les mêmes chapitres, et dans la mesure du possible les mêmes subdivisions. En d’autres termes, les sujets évoqués dans le présent manuel sont développés de manière plus détaillée dans le traité, avec notamment une perspective historique, politique et jurisprudentielle, et surtout un appareil scientifique plus complet.

Sommaire

Avant-propos

Liste des abréviations

Introduction

Partie préliminaire Les sources de la politique de l’environnement

Chapitre I. – Le domaine du droit de l’environnement

Chapitre II. – L’exercice de la compétence environnementale

Chapitre III. – Les principes de la politique de l’environnement

Partie I La règlementation des domaines de l’environnement

Chapitre IV. – L’air

Chapitre V. – L’eau

Chapitre VI. – Les autres milieux naturels, la faune et la flore

Partie II Les objets ayant un impact sur l’environnement

Chapitre VII. – Les déchets

Chapitre VIII. – Les objets bruyants

Chapitre IX. – Les substances et organismes dangereux

Partie III Les règlementations non sectorielles

Chapitre X. – Les mesures dites intégrées

Chapitre XI. – L’information et la participation du public

Partie IV Les instruments économiques et fiscaux

Chapitre XII. – L’internalisation forcée

Chapitre XIII. – Les engagements volontaires

Chapitre XIV. – La responsabilité environnementale

Partie V La prise en compte des exigences de la protection de l’environnement dans les autres politiques

Chapitre XV. – Le marché intérieur européen

Chapitre XVI. – Les règles de concurrence

Chapitre XVII. – La politique agricole commune

Chapitre XVIII. – Environnement et transports

Chapitre XIX. – La politique de l’énergie

Chapitre XX. – La santé humaine et l’environnement

Table des matières

Liste des abréviations

ADEME

Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie

BCAE

bonnes conditions agricoles et environnementales

BREFs

Best Available Technique Reference Documents

CCN CC

convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques

CECA

Communauté européenne du charbon et de l’acier

CEDH

Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme

CFC

chlorofluorocarbures

COV

composés organiques volatils

CSC

captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone

CUELE

comité de l’Union européenne pour le label écologique

DCE

Directive-cadre sur l’eau

DEEE

déchets d’équipements électriques et électroniques

DSD

Duales System Deutschland

ECHA

European Chemicals Agency

EFSA

Autorité européenne de sécurité des aliments

EINECS

European Inventory of Existing Commercial Substances

EIONET

European Information and Observation Network

EMAS

Environmental Management and Audit System

FEADER

Fonds européen agricole pour le développement rural

FEIS

Forum d’échange d’informations sur les substances

FEOGA

Fonds européen d’orientation et de garantie agricole

GATT

General Agreement on Tariffs and Trade

HCFC

hydrochlorofluorocarbures

MDP

mécanisme de développement propre

MEERQ

mesure d’effet équivalent à des restrictions quantitatives

MOC

mise en œuvre conjointe

MTD

meilleures techniques disponibles

OACI

Organisation de l’aviation civile internationale

PAC

politique agricole commune

PCB

polychlorobiphényle

PCT

polychloroterphényle

PIP

politique intégrée des produits

PNAQ

plan national d’allocation des quotas

POP

polluant organique persistant

PRTR

registre intégré des transferts et rejets de polluants

RDR

Règlement sur le développement rural

REACH

Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals

REP

responsabilité élargie du producteur

SEQE

SIC

système d’échange de quotas d’émission

site d’intérêt communautaire

SIEG

service d’intérêt économique général

UE

Union européenne

UTCATF

utilisation des terres, changement d’affectation des terres et foresterie

VHU

véhicules hors d’usage

Voy.

voir

ZSC

zone spéciale de conservation

ZPS

zone de protection spéciale

Introduction

Les problématiques liées aux phénomènes environnementaux sont d’autant plus complexes qu’ils présentent des particularités marquées. Allant de l’échelon local (bruit, déchets) aux phénomènes planétaires (réchauffement climatique), ils sont évolutifs et sans cesse renouvelés (appauvrissement de la couche d’ozone puis changements climatiques, OGM puis nanotechnologies…), et parfois difficilement imputables (pollutions diffuses, sites orphelins). Ces spécificités ont une incidence directe sur leur appréhension juridique, qui est elle-même réactive, plurielle et très diversifiée.

Le droit de l’environnement, qui est celui de la relation entre protection de l’environnement et développement économique qui nourrit le concept de développement durable, a une dimension supplémentaire dans le cas de l’Europe occidentale, celle de la création du marché intérieur.

Quatre observations introductives peuvent être faites dans cette double perspective qui est celle du droit de l’environnement de l’Union, l’une à caractère historique (i), la deuxième relative à ses aspects processuels (ii), la troisième plus prospective (iii) et la quatrième portant sur sa remise en cause par la problématique des changements climatiques (iv).

(i) Une histoire tortueuse

Pour le traité de Rome, l’intégration des marchés constituait une œuvre fondamentale à laquelle la protection de l’environnement était largement étrangère. Tel qu’il avait été signé le 25 mars 1957, il ne contenait aucune disposition spécifique à l’environnement. Les premières initiatives du législateur européen intervinrent pourtant très vite, telles que la directive 67/548 du 27 juin 1967, relative à la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances dangereuses (1) – dont la réforme a été l’un des grands débats du début du XXIe siècle (voy. infra, Chapitre IX) –, puis deux directives relatives aux émissions sonores (2) et atmosphériques (3) des véhicules automobiles en 1970. Les bases juridiques choisies ont été qualifiées de « pis-aller » (4). En 1972, année de la conférence des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm, la Commission présenta sa première communication consacrée à ce sujet et les chefs d’État et de gouvernement lancèrent le principe d’une politique européenne.

En 1986, l’Acte Unique européen entérina une action communautaire en matière environnementale aux articles 130 R, S et T du traité CE qui fondèrent en partie les mesures adoptées ensuite. Cette action devait reposer sur les principes d’action préventive, de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et du pollueur-payeur, visant un niveau de protection élevé (art. 130 R, § 2, du traité CE).

En 1992, le traité sur l’Union européenne éleva cette action au rang de politique à part entière (art. 3 (k) du traité CE) et l’agrémenta du principe de précaution. Il précisa que le développement harmonieux des activités économiques, qui constituait l’une des composantes de la mission de la Communauté, devait être « équilibré ». Il devait être accompagné d’une croissance « durable et non-inflationniste respectant l’environnement », ainsi que d’un « haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les États membres » (art. 2 du traité CE). Mieux, les exigences de la protection de l’environnement devaient être « intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques » (art. 130 R, § 2, du traité CE) – c’est le « principe d’intégration ».

En 1997, avec le traité d’Amsterdam, les articles 130 R, S et T du traité CE sont devenus les articles 174, 175 et 176 CE (5). L’article 2 CE dispose alors que le développement des activités économiques auquel la Communauté a notamment pour mission de pourvoir doit non seulement être harmonieux et équilibré, mais encore durable, référence explicite à la protection de l’environnement (6). Une autre composante de cette mission, qui consiste à promouvoir dans l’ensemble de la Communauté « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement », est alors directement et exclusivement consacrée à la protection de l’environnement par ce même article 2 CE. Le principe d’intégration prend une importance remarquable en étant repositionné dans un nouvel article 6 CE.

Enfin, le traité de Lisbonne n’a eu que des incidences relativement peu importantes en ce qui concerne la politique de l’environnement, mais certaines modifications apportées au cadre institutionnel général sont susceptibles d’influer sur sa mise en œuvre et ses applications :

– le traité sur l’Union européenne dispose désormais que « l’Union (…) œuvre pour le développement durable de l’Europe (…) et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement (…) » (art. 3, § 3, UE) ;

– la Charte des droits fondamentaux se voit expressément reconnaître « la même valeur juridique que les traités » (art. 6, § 1, UE) (7) ; l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) est prévue et, de toutes façons, « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux » (art. 6, § 3, UE) ; de telle sorte que ces droits subjectifs qui ont fait l’objet d’une reconnaissance jurisprudentielle significative en matière environnementale se retrouvent dans le champ de compétence de la Cour de justice ;

– les parlements nationaux disposent désormais du moyen de faire valoir les principes de proportionnalité et de subsidiarité en émettant un avis motivé auquel cas, et sous réserve du franchissement de certains seuils permettant d’attester la concordance de leurs points de vue, la proposition doit être réexaminée sous le contrôle de la Cour de justice (8) ; il faut aussi signaler l’introduction d’une potentielle situation de démocratie directe en la forme d’un référendum d’initiative populaire (art. 11, § 4, UE).

Quant au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, les modifications apportées au droit de l’environnement sont marginales :

– l’article 6 CE sur le principe d’intégration devient l’article 11 FUE ;

– les termes du protocole sur la protection et le bien-être des animaux conclu en 1992 sont repris à l’article 13 FUE et imposent d’en tenir compte dans les domaines de la politique agricole commune, des transports, de la recherche et du marché intérieur ;

– l’article 95 CE devient l’article 114 FUE, sans modification de fond ;

– les articles 174, 175 et 176 CE, berceau de la politique de l’environnement, deviennent les articles 191, 192 et 193 FUE mais ne sont pas affectés dans leur substance, à la seule exception, que la composante de la politique de l’environnement consistant en « la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement » vise désormais « en particulier la lutte contre le changement climatique » ;

– de telle sorte que son évolution la plus notable lui est peut-être extérieure sur le plan institutionnel puisqu’il s’agit de l’introduction formelle à l’article 194 FUE d’une politique de l’énergie reposant sur une base juridique autonome dont on ne pourra que constater que l’imbrication est très étroite avec la politique de l’environnement.

(ii) Une mise en œuvre laborieuse

La Commission européenne ne manque pas une occasion de souligner les importantes « faiblesses » de la mise en œuvre du droit européen de l’environnement, parfois attribuées à une série de causes tenant à la complexité des phénomènes environnementaux plus qu’aux réticences des États membres.

La montée en puissance du contentieux de l’application du droit européen de l’environnement date du début des années 2000. La Commission a porté jusqu’à une cinquantaine de manquements aux obligations des États membres dans le domaine de l’environnement devant la Cour de justice par an au début des années 2000, chiffre en augmentation significative par rapport aux années précédentes (9). Alors que la Cour de justice rendait généralement une à deux douzaines d’arrêts par an en matière d’environnement, elle en a prononcé 43 en 2002, 50 en 2003, 62 en 2004 et 51 en 2005, semblant ainsi indiquer une tendance à l’augmentation du contrôle juridictionnel. Le « saut » quantitatif du début des années 2000 a perduré puisqu’en 2009, la Cour rendit 50 décisions, contre 4 seulement pour le Tribunal. De plus, on relevait une nouvelle tendance avec, parmi les sept recours en nullité tranchés par la Cour, six concernant des actes de la Commission contre un seul à valeur législative. Néanmoins, la progression n’est pas constante.

Évolution du nombre de décisions de la CJCE et du Tribunal intéressant l’environnement au titre du contentieux de la validité, ainsi que de la CJCE dans le cadre des recours en manquement et en interprétation préjudicielle.

Évolution du nombre de décisions de la CJCE et du Tribunal intéressant l’environnement, et notamment de condamnations en manquement prononcées contre la France.

L’effet dissuasif des sanctions pécuniaires auxquelles les États membres font désormais face en cas de « double manquement » prévues par l’article 260 FUE (ex-art. 228 CE) y contribue sans doute. Dans l’affaire dite des « poissons sous taille », la Cour a jugé qu’en n’assurant pas un contrôle des activités de pêche et en ne poursuivant pas les infractions conformément aux exigences prévues par les dispositions communautaires, la France n’avait pas mis en œuvre toutes les mesures que comporte l’exécution d’un précédent arrêt datant de près de quinze ans, ce qui lui valut d’être condamnée à une astreinte de 57.761.250 euros pour chaque période de six mois et à une amende forfaitaire de 20.000.000 d’euros (10).

Afin d’illustrer la diversité et la complexité des problématiques environnementales, mais aussi institutionnelles et réglementaires, qui nuisent à l’effectivité du droit de l’environnement dans l’Union européenne, il est utile de se référer à un échantillon de quelques affaires choisi à dessein au gré des développements jurisprudentiels en fonction de la diversité des bases juridiques en cause au stade du processus normatif, et des procédures juridictionnelles au stade du contentieux de leur application.

a) Le maïs transgénique de Novartis

Le Conseil d’État français, ayant suspendu la mise en culture d’une variété de semences de maïs génétiquement modifié au motif qu’un moyen soulevé paraissait sérieux et de nature à justifier l’annulation de l’arrêté qui l’avait inscrite au catalogue officiel des espèces et variétés de plantes cultivées (11), a interrogé la Cour de justice à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 90/220, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement (12), qui était fondée sur l’article 100 A du traité CE (devenu article 114 FUE), s’agissant d’une mesure relative à l’établissement et au fonctionnement du marché intérieur.

La Cour a jugé que les autorités françaises étaient en situation de compétence liée parce qu’une décision favorable était intervenue au niveau européen et que la seule alternative pour un État membre qui estime que ces OGM présentent un risque pour la santé humaine ou l’environnement est en ce cas de prendre des mesures de sauvegarde s’il dispose « entretemps de nouveaux éléments d’information qui l’amènent à considérer que le produit qui a fait l’objet de la notification peut présenter un risque pour la santé humaine ou pour l’environnement » et en informant immédiatement la Commission et les autres États membres (13).

Un consensus n’ayant pas été trouvé en matière d’OGM, et l’histoire pouvant ainsi se répéter, la Cour a de nouveau désapprouvé la France sur recours préjudiciel du Conseil d’État lorsque, fin 2007, cédant à la pression médiatique, elle suspendit la cession et l’utilisation des semences de maïs MON 810, puis la mise en culture des variétés de ces semences (14). Plus fort encore, le Tribunal a fini par condamner la Commission en carence pour ne pas avoir pris de décision sur une demande d’autorisation déposée douze ans plus tôt, comme elle aurait dû le faire après que les États membres ne soient pas parvenus à prendre une décision à la majorité qualifiée (15).

b) La teneur en nitrates de l’eau de Suez Lyonnaise

La seconde affaire est tout aussi illustrative de l’importance des questions environnementales aux yeux de l’opinion publique française, attentive aux nitrates autant en raison du phénomène des algues vertes que parce que les mesures destinées à l’endiguer pèsent sur un secteur agricole très audible. Sur le plan institutionnel, cette affaire fait apparaître au grand jour la montée en puissance de la responsabilité de l’État du fait de sa carence dans la mise en œuvre des réglementations environnementales.

Fondée sur l’article 130 S du traité CE (devenu article 192 FUE), la directive 91/676 du 12 décembre 1991, concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles (16), prescrit aux États membres de désigner comme zones vulnérables toutes celles qui alimentent les eaux atteintes par la pollution et qui sont susceptibles de l’être et d’établir des programmes d’action pour ces zones.

L’État a été condamné par le juge administratif à garantir un distributeur d’eau qui avait du indemniser des habitants de la ville de Guingamp de la qualité non-conforme des eaux mises à leur disposition, au motif qu’il ne lui incombait pas de supporter les conséquences de cette non-conformité aux normes européennes imputable aux manquements de l’État (17). La France a ensuite été condamnée plus classiquement par la Cour de justice en manquement d’État pour ne pas avoir procédé de manière appropriée à la désignation des zones vulnérables (18).

Puis la responsabilité de l’État a été engagée à l’égard de quatre associations bretonnes en réparation du préjudice moral que leur a causé la prolifération des algues vertes qui ont frappé les baies de Saint-Brieuc et de Douarnenez et qui provenaient « essentiellement de l’épandage des lisiers issus des exploitations d’élevage ». Le juge administratif s’est alors référé à la transposition tardive de la directive 91/676 et aux différentes procédures y relatives, outre divers autres manquements (19). La Cour administrative d’appel a souligné dans la même affaire que la négociation avec les représentants de la profession agricole pour établir un système d’aide financière à l’adaptation des exploitations constituait une « carence fautive des autorités de l’État dans l’application aux exploitations agricoles d’élevage de la réglementation des installations classées » (20).

c) Le « verdissement » du marché des lignes d’autobus d’Helsinki

D’autres affaires illustrent le rayonnement de la problématique environnementale, en particulier lorsqu’elle ébranle les pratiques bien ancrées du marché.

La Cour de justice, consacrant l’intégration des considérations environnementales dans la mise en œuvre de la réglementation des marchés publics, a jugé que, lorsque le pouvoir adjudicateur décide d’attribuer un marché au soumissionnaire ayant présenté l’offre économiquement la plus avantageuse, il peut prendre en considération des critères relatifs à la protection de l’environnement (21). En l’espèce, la ville d’Helsinki, pouvoir adjudicateur, avait établi un barème sur la base de critères ayant trait notamment au niveau des émissions atmosphériques et sonores des autobus devant desservir une ligne de transports urbains. Visant expressément l’article 6 CE (devenu article 11 FUE), la Cour n’a toutefois pas fait du principe d’intégration une application très remarquable, ce qui ne doit pas surprendre, s’agissant avant tout d’un principe directeur d’action législative (voy. infra, Chapitre III), interprétant la directive applicable dans un sens favorable à l’environnement et donc aux critères contestés.

La réglementation des marchés publics s’est ensuite adaptée à la recherche de compromis entre les objectifs poursuivis par les règles du marché et la protection de l’environnement (voy. infra, Chapitre XV).

d) Le logo et le cahier des charges d’Eco-Emballages

Les règles du marché ont contribué à la jurisprudence environnementale en France aussi, par exemple lorsque la Cour de cassation a interrogé la Cour de justice pour savoir si un décret relatif à l’identification des emballages à l’élimination desquels contribuent les producteurs constituait une règle technique devant être notifiée à la Commission et/ou une entrave à la libre circulation des marchandises. La Cour de justice a considéré que la notification de l’obligation d’identification « s’imposerait si elle entraînait (…) eu égard à l’ensemble des éléments de fait et de droit (…) une obligation de marquage ou d’étiquetage » bien que le décret ne précise pas quel signe doit être apposé (22).

En l’occurrence, la Cour de cassation a décidé que l’obligation particulière de marquage provenait des seuls contrats conclus entre les producteurs et les éco-organismes auxquels ils confiaient la mission d’exécuter leurs obligations, et ne constituait de ce fait pas une spécification technique (23).

e) Des fuites des stations services Texaco, du pétrolier Erika et des réseaux d’eaux usées

Un autre exemple encore révèle le potentiel de questionnement du droit européen de l’environnement jusqu’aux catégories même du droit civil interne des États membres et surtout jusqu’aux confins des terrains de jeux politiques et industriels.

La Cour de justice a jugé qu’une compagnie pétrolière approvisionnant une station-service pouvait, dans certaines circonstances, être tenue des coûts de décontamination du sol et du sous-sol de celle-ci (24), interprétant la directive 75/442 du 15 juillet 1975, relative aux déchets (voy. infra, Chapitre VII) (25), qui était alors en vigueur. Le coût de l’élimination des déchets devait être supporté par leur détenteur et/ou détenteurs antérieurs ou par le producteur du produit générateur de déchets « conformément au principe du pollueur-payeur ». De même, la terre contaminée par des substances qui se déversent accidentellement lui a paru pouvoir être qualifiée de déchet, et ce qu’elle soit excavée ou non, car l’exploitant « s’en défait », ce qui en est caractéristique.

La jurisprudence Van de Walle, du nom de l’ancien exploitant de cette station-service, a ensuite été étendue par la Cour de justice aux eaux usées fuitant des canalisations du distributeur d’eau anglais Thames Water, puis aux hydrocarbures qui s’étaient engouffrés par la brèche de la coque du pétrolier échoué Erika. C’est alors que le législateur y porta un coup sérieux, en excluant les sols et sous-sols du champ d’application de la réglementation générale des déchets (voy. infra, Chapitre VIII).

f) Le détournement des eaux du fleuve Achéloos vers le fleuve Pineios

Un projet de détournement des eaux d’un fleuve vers un autre permet d’illustrer certains phénomènes liés à l’évolution, sinon du droit européen de l’environnement, au moins de sa pratique. Vingt ans de contentieux, cinq arrêts du Conseil d’État grec annulant des décisions administratives aboutirent à la saisine de la Cour de justice à titre préjudiciel sur pas moins de quatorze questions impliquant quatre des directives environnementales les plus notoires, et on se limitera ici à souligner la diversité des thèmes abordés dans cette affaire (26).

On lit à cette occasion que, dès la période transitoire prévue par une directive fondamentale de la politique de l’eau (voy. infra, Chapitre V) pour la mise en œuvre progressive de son dispositif complexe, les États membres doivent s’abstenir de prendre des dispositions de nature à compromettre sérieusement la réalisation de ses objectifs. Ledit détournement, dans la mesure où il est susceptible d’entraîner des effets négatifs pour l’eau, peut être autorisé si ces modifications ou ces altérations « répondent à un intérêt général majeur », ou si les bénéfices pour l’environnement et la société de leur maintien sont « inférieurs aux bénéfices pour la santé humaine, le maintien de la sécurité pour les personnes ou le développement durable qui résultent des nouvelles modifications ou altérations », par exemple si le bassin récepteur est dans l’impossibilité de satisfaire par ses propres ressources aquatiques à ses besoins en eau potable, en production d’électricité ou en irrigation.

Quant à la préservation de la biodiversité (voy. infra, Chapitre VI), elle peut, dans certains cas, « requérir le maintien, voire l’encouragement, d’activités humaines ». Dès lors, toute mesure compensatoire rendue nécessaire par la transformation d’un écosystème fluvial naturel en un écosystème fluvial et lacustre fortement anthropique « doit s’appliquer à la lumière de l’objectif du développement durable ».

La Cour a encore précisé qu’une loi qui approuve un tel projet, en se fondant sur une évaluation des incidences environnementales qui avait servi de base à une décision administrative adoptée au terme d’une procédure conforme aux obligations d’information et de participation du public (voy. infra, Chapitre V), peut s’appuyer sur des informations recueillies dans le cadre de la procédure administrative antérieure, la circonstance que la décision administrative a finalement été annulée étant, en tant que telle, sans pertinence.

(iii) Une recherche d’efficience structurante

Jusqu’au début des années 1990, le droit européen de l’environnement était composé de mesures s’attachant aux différents domaines de l’environnement (air, eau, milieux naturels) et aux objets ayant un impact sur celui-ci (déchets, objets bruyants, substances dangereuses). Il posait des paramètres tendant à assurer la satisfaction d’objectifs de qualité ou le respect de valeurs limites d’émission, et même de normes de procédé. Les activités les plus sensibles étaient interdites, comme la capture et le commerce de certaines espèces d’oiseaux sauvages menacées d’extinction, l’exploitation des avions les plus bruyants ou les opérations portant sur des gaz nocifs pour la couche d’ozone, alors que d’autres étaient soumises à autorisation préalable, telles l’élimination des déchets ou les opérations concernant les OGM.

La mise en œuvre de ce corps de réglementation était loin d’être assurée de manière cohérente dans les différents États membres. L’ensemble était d’autant plus critiqué qu’outre sa technique purement réglementaire, il s’agissait d’une juxtaposition de mesures éparses, visant à empêcher que les dispositions nationales de protection de l’environnement fassent obstacle à la libre circulation des produits dans le marché commun alors en pleine construction ou à réagir à des phénomènes ou à des événements particuliers, comme la catastrophe environnementale de Seveso.

Le cinquième programme d’action pour l’environnement (27) esquissa en 1993 une gamme plus large d’instruments juridiques : la réglementation avait d’abord été sectorielle, omettant ainsi de prendre en considération les nombreuses interdépendances propres à la matière, mais le besoin d’autres instruments, plus efficients s’est manifesté. De nombreux dispositifs, notamment ceux sur la qualité de l’air ou les ressources en eau, consolident ainsi les réglementations existantes, « intégrant » l’ensemble des mesures relatives à tout ou partie d’un secteur de l’environnement en tenant compte de leurs répercussions sur les autres secteurs. Une autre approche, dite transversale, doit aussi permettre de mieux tenir compte de leur interdépendance et de couvrir les divers aspects de l’environnement touchés par un phénomène, par exemple une activité économique, approche parfois qualifiée d’« intégrée ». Des instruments économiques et fiscaux s’appuient sur les phénomènes micro-économiques, même s’ils ne parviennent pas à prospérer dans une mesure telle qu’ils puissent un jour faire pièce aux réglementations sectorielles.

Le sixième programme d’action pour l’environnement de 2002 (28) définit des priorités principales dans les secteurs de l’environnement les plus cruciaux : le changement climatique, la nature et la diversité biologique, la santé et la qualité de la vie, les ressources naturelles et les déchets. Sur le plan juridique, il participait d’un classicisme plus marqué que son prédécesseur, et même d’une certaine réaction, en posant que « la réglementation demeure un outil essentiel (…) ». Les autorités européennes ne pouvaient au demeurant se montrer plus satisfaites de sa transposition dans les ordres juridiques des États membres, ni de son application, ce qui ne laissait d’autre possibilité que de décider, dans un élan qui n’était pas sans comporter une certaine dose d’autocritique, que « la mise en œuvre intégrale et correcte de la législation en vigueur constituera une priorité ».

Le septième programme (29), qui couvre la période 2014-2020, constate des lacunes dans les quatre domaines prioritaires définis par son prédécesseur. Or, l’Union « s’est fixé pour objectif de devenir une économie intelligente, durable et inclusive d’ici à 2020, forte d’un ensemble de politiques et de mesures visant à faire d’elle une économie à faibles émissions de carbone et efficace dans l’utilisation des ressources ». Dès lors, « un engagement absolu » des États membres et des institutions compétentes de l’Union est nécessaire : « la prospérité à long terme de l’Union est subordonnée à l’adoption de nouvelles mesures » permettant de relever les défis environnementaux, et des objectifs prioritaires sont fixés pour 2020 « sur la base d’une vision claire à long terme pour 2050 », permettant également de « créer un environnement stable favorable à des investissements et à une croissance durables ».

(iv) Le grand chambardement climatique et la transition énergétique

À peine le droit de l’environnement avait-il pu paraître avoir accédé à un cadre institutionnel et à une structure juridique matures, s’étant vu doter d’une base juridique autonome par l’Acte unique européen en 1986 et d’une stratégie et d’une instrumentation conceptualisées par le Cinquième programme pour l’environnement en 1992, il fût ébranlé par le fracas universel des problématiques climatiques. Les secousses n’ont pas fini de s’en faire sentir, loin de là, tant en droit européen qu’en droit international. Un subtil équilibre paraît se faire jour entre des engagements substantiels moins fermes, voire moins ambitieux, qu’ils n’ont pu l’être aux premiers temps des accords multilatéraux et un régime de « sanction » juridique moins stigmatisant pour les États, reposant sur des processus de « facilitation » et de contrôle infra-juridictionnels, ce qui a constitué une condition sine qua non d’adoption de l’accord de Paris de décembre 2015 sur les changements climatiques dans lequel il revêt la forme d’un apparemment anodin « cadre de transparence renforcé ». Or, il semble qu’il ne doive pas en être ainsi qu’à l’échelon international, mais aussi dans le cadre européen, et ce pour des raisons probablement comparables, toutes choses égales par ailleurs.

a) La négociation climatique multilatérale et ses répercussions dans l’ordre européen

La Communauté a été aux avant-postes de la lutte contre les changements climatiques, approuvant la convention-cadre des Nations Unies du 9 mai 1992 sur les changements climatiques (CCNUCC) et le protocole de Kyoto, et elle avait adopté sans attendre leur entrée en vigueur de premières mesures esquissées par un programme européen sur le changement climatique (30). Cette « politique d’exemplarité » pour décevante qu’elle fût quant à l’effet d’entraînement qu’elle visait à produire, n’en a pas moins laissé aux Européens une importante production normative.

Une politique d’exemplarité décevante

Mais les parties à la CCNUCC ont échoué à Copenhague en décembre 2009 à souscrire des engagements pour l’« après 2012 ». La Communauté s’était fixé un objectif de réduction de ses émissions de 20 % à l’horizon 2020 par rapport à 1990, voire 30 % en cas d’accord international. Elle avait adopté le 23 avril 2009 un « paquet de mesures » ambitieux (31). Las, elle dut faire face à deux évidences : l’insuffisance de ces objectifs et l’incapacité de la communauté internationale à souscrire des engagements de réduction.

En vue, cette fois-ci, de la fameuse COP 21 de décembre 2015 (32), le Conseil Européen esquissa un « cadre pour la politique 2030 du climat et de l’énergie » à peine consensuel : l’adoption de toutes mesures concrètes fût renvoyée « après la conférence de Paris », pour laquelle il appelait les autres pays à proposer des objectifs et des politiques ambitieux (33). L’Union et ses États membres devraient, quant à eux, relever leur objectif conjoint de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 20 % pour 2020 à 40 % en 2030, toujours par rapport au niveau de 1990 (34), le Conseil appelant de ses vœux un ensemble complet de décisions substantielles (35). La réduction des émissions serait 43 % par rapport au niveau de 2005 pour les secteurs soumis au système d’échanges de quotas d’émission de gaz à effet de serre (« SEQE ») et de 30 %pour les autres secteurs ; la part des énergies renouvelables dans la consommation dans l’Union devrait être relevé à 27 % ; un autre objectif de 27 % d’amélioration de l’efficacité énergétique, ne serait qu’indicatif. En l’absence de contraintes pesant sur les États membres, la Commission concevrait un « nouveau processus de gouvernance ».

Contrairement à ce qui peut paraître, l’accord de Paris (36) qui a alors été adopté par 195 États n’est pas sans incidences sur le droit européen (37), même en l’absence d’engagements chiffrés de réduction des émissions. Le cœur du dispositif réside dans les contributions des parties « déterminées nationalement » (les fameuses Nationally Determined Contributions) qui « doivent » constituer des « efforts ambitieux (…) en vue d’atteindre » ces objectifs. Chaque partie doit communiquer ses contributions tous les cinq ans, chacune représentant une progression par rapport à la précédente et « reflétant sa plus haute ambition possible ». Surtout, plus dans le « cadre de transparence renforcée » mis en place par l’article 13 de l’accord de Paris que par application de l’idée dissuasive de « name and shame », les parties « doivent » rendre compte de leurs contributions et l’information ainsi rapportée sera soumise à une « revue » d’expertise technique, même si le « cadre de transparence améliorée pour l’action et le soutien » sera mis en œuvre d’une « manière facilitative, non intrusive, non punitive, dans le respect de la souveraineté nationale et en évitant d’imposer des fardeaux indus aux parties ».

Au demeurant, la politique d’exemplarité qui avait conduit à anticiper sur la mise en œuvre du protocole de Kyoto, puis sur la conférence de Copenhague, a fait place à Paris à une discrétion teintée de circonspection, l’Union y cédant le devant de la scène aux États-Unis et à la Chine.

Un droit matériel foisonnant

Les mesures adoptées ont été diverses et variées, relevant tantôt d’une classique réglementation sectorielle des émissions de certaines activités, tantôt de l’incitation financière, tantôt des instruments de marché, avec bien d’autres variations et nuances, et parfois précoces (38). La pièce maîtresse du dispositif, le SEQE, un mécanisme de marché (39), a été étendue et renforcée par une des directives du paquet législatif de 2009, lesquelles diffèrent beaucoup les unes des autres : une décision relative à l’effort à fournir par les États membres pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (40), trois autres directives relatives à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (41) ; aux spécifications relatives aux carburants (42) ; et au stockage géologique du dioxyde de carbone (43) ; un règlement sur les émissions des voitures particulières (44).

Dans le prolongement de l’accord de Paris (45), et en complément de la proposition d’une nouvelle révision du SEQE faite le 15 juillet 2015 (46), la Commission a présenté deux nouvelles propositions de « paquets législatifs ». Un premier ensemble de mesures est destiné à accélérer la transition « vers une économie à faible intensité de carbone dans tous les secteurs » (47). Un nouveau règlement – et non plus une décision – répartirait entre les États membres l’effort nécessaire des installations ne relevant pas du SEQE des secteurs énergie, processus industriels et utilisation des produits, agriculture et déchets (48). Un autre poursuivrait un équilibre entre les émissions anthropiques et les absorptions par les puits de gaz à effet de serre en matière d’utilisation des terres, de changement d’affectation des terres et de foresterie (« UTCATF ») (49).

Dans le deuxième « paquet législatif » intitulé « Une énergie propre pour tous les Européens » (50), le texte qui serait le plus sensiblement affecté est la directive précitée relative à la promotion de l’énergie de sources renouvelables, dont la refonte est proposée (51) : l’Union adopterait l’objectif contraignant d’une part de 27 % au moins d’énergie renouvelable à l’horizon 2030, mais les États membres ne seraient plus tenus à des objectifs individuels, et les régimes de soutien aux énergies renouvelables devraient être ouverts progressivement et partiellement à des projets localisés dans d’autres États membres. Les dispositifs en faveur de l’efficacité énergétique, jusqu’alors répartis entre une directive sur la performance énergétique des bâtiments (52) et une directive sur l’efficacité énergétique (53) – très importante – seraient révisés, la stratégie de rénovation à long terme des bâtiments étant transférée de la seconde à la première (54).

b) Le déploiement normatif tous azimuts de la transition énergétique

Aux traditionnelles interventions chères à l’économie politique, « au niveau de l’offre » de produits énergétiques, d’une part, et agissant « au niveau de la demande » de ces mêmes produits énergétiques, d’autre part, il faut ici ajouter, au-delà de toute considération de politique économique, des mesures agissant « au niveau du citoyen ».

L’intervention publique « au niveau de l’offre »

Les mesures « au niveau de l’offre » prêtent le plus à controverse car il est souvent considéré que le marché et ses règles ne sont pas favorables aux intérêts environnementaux. Or, les dispositions prises en faveur de la transition énergétique s’y rattachent souvent.

Ainsi en est-il de l’actuelle décision précitée « sur l’effort à répartir » entre les États membres, ceux-ci disposant d’une large marge de manœuvre pour déterminer comment obtenir les réductions attendues des secteurs économiques qui en relèvent par « des politiques et des mesures supplémentaires pour limiter encore davantage les émissions de gaz à effet de serre ». La directive précitée sur le captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone, « technologie de transition » et non substitut aux actions visant à la réduction des émissions (55), établit un cadre juridique autour de trois phases principales : l’exploration et la sélection des sites de stockage, leur exploitation et leur fermeture. Le règlement n° 443/2009, également précité, plafonne les émissions moyennes des véhicules automobiles, sous peine d’une « prime sur les émissions excédentaires » imposée au constructeur contrevenant de 95 euros par gramme de CO2/km (56).

L’importance des mesures « au niveau de l’offre » se mesure encore sur le terrain, essentiel, du soutien public aux énergies renouvelables. À l’échelle micro-économique, l’incitation financière figure traditionnellement au premier rang des mesures que les États membres mettent en œuvre pour créer les conditions propres à leur permettre d’atteindre leurs objectifs en termes de bouquet énergétique. Ces incitations, toutes déployées en faveur des producteurs, ont des formes diverses : aides à l’investissement, exonérations ou réductions fiscales, obligations d’utiliser de l’énergie produite à partir de sources renouvelables, régimes de soutien direct des prix, y compris tarifs et primes de rachat… Mais, depuis quelques années, la Commission insiste sur la nécessité de « réduire au minimum l’incidence de l’intervention publique sur les systèmes électriques et la concurrence, et (de) mettre fin aux subventions déguisées », les États membres étant tenus de veiller à ce que les règles nationales qui ne sont pas harmonisées ne privilégient pas une technologie plutôt qu’une autre et ne dispensent aucun producteur d’électricité d’assumer les conséquences financières de ses actes (57).

De la même façon, il était traditionnellement admis que les États membres « ont le droit de décider (…) dans quelle mesure ils soutiennent l’énergie provenant de sources renouvelables qui est produite dans un autre État membre » (58), ce qu’a bien illustré la jurisprudence de la Cour de justice dans les affaires Ålands Vindkraft (59)et Essent Belgium (60). Mais seulement jusqu’à ce que la Commission s’avise de « définir le rôle, le degré et la nature de l’intervention publique, dans le respect du principe de subsidiarité, au niveau européen, régional, national ou local ». C’est ainsi en contradiction ouverte avec cette jurisprudence de la Cour de justice, qu’elle propose dans le projet de révision de la directive 2009/28 qu’elle a présenté le 30 novembre 2016 (voy. supra) que les régimes nationaux de soutien doivent être ouverts progressivement et partiellement à des projets localisés aussi bien sur le territoire de l’État membre financeur que dans d’autres États membres d’une manière ouverte, transparente, concurrentielle, non discriminatoire et efficiente. Pour ces derniers, l’ouverture serait progressive, à hauteur d’au moins 10 % des capacités nouvellement soutenues au cours de chaque année entre 2021 et 2025 et d’au moins 15 % entre 2026 et 2030. Plus généralement, c’est à une sorte de « neutralité technologique » que devraient tendre les soutiens nationaux en laissant le marché déterminer les sources d’énergie utilisées.

Cependant, si le fonctionnement du marché suffisait à assurer que toutes les décisions des acheteurs d’énergie soient économiquement et écologiquement rationnelles, les autorités publiques feraient en sorte que les prix des produits énergétiques intègrent correctement les externalités correspondantes et la transition énergétique s’opèrerait alors d’elle-même. Or, la multitude des dispositifs de toutes sortes mis en œuvre montre que, soit cette évidence n’est pas vraie, soit les externalités ne sont pas aussi importantes qu’on le dit, soit encore elles ne sont pas effectivement reflétées dans les prix sur le marché. D’où la nécessité pour l’intervention publique de se situer aussi « au niveau de la demande ».

L’intervention publique « au niveau de la demande »

Ainsi, la directive relative à la performance énergétique des bâtiments vise à « parvenir à des niveaux optimaux en fonction des coûts » en favorisant l’utilisation de procédés techniques idoines dans les bâtiments neufs qui devraient être à « consommation d’énergie quasi nulle » dès le 31 décembre 2020, et même dans ceux, existants, qui font l’objet de travaux de rénovation importants dans la mesure où cela est techniquement, fonctionnellement et économiquement réalisable. De la même façon, la directive relative à l’efficacité énergétique prévoit des plans nationaux d’action en matière d’efficacité énergétique appréhendant non seulement la fourniture, mais aussi le transport, la distribution et l’utilisation finale de l’énergie.

Une nouvelle accélération du « verdissement des marchés publics » est survenue en 2014 à l’occasion de la dernière réforme du droit européen de la commande publique (61) : les pouvoirs adjudicateurs y sont invités à prendre en compte « tous les coûts supportés durant le cycle de vie des travaux, fournitures ou services », y compris « les coûts imputés aux externalités environnementales » en particulier celui des émissions de gaz à effet de serre et « d’autres coûts d’atténuation du changement climatique », et ce « y compris les facteurs intervenant dans le processus spécifique de production, de fourniture ou de commercialisation et ses conditions ».

Mais, quelle que soit l’importance des interventions publiques « au niveau de l’offre » et « au niveau de la demande », l’arsenal classique s’inspirant de l’économie politique n’est pas suffisant, en grande partie parce que la volonté politique se détermine dans un horizon temporel qui est beaucoup plus court et opportuniste que la transition énergétique.

L’intervention publique « au niveau du citoyen »

C’est pourquoi un des aiguillons de la transition énergétique réside dans le rôle moteur du public, c’est-à-dire qu’elle requiert une action « au niveau du citoyen », par opposition à l’agent économique, fournisseur ou consommateur. Les compromis inhérents à la recherche d’un développement durable, objectif aujourd’hui largement accepté, sont en effet tellement délicats à opérer que les pouvoirs traditionnels peinent à trouver les moyens pour atteindre les objectifs qu’ils se fixent à eux-mêmes. Ils doivent s’accommoder d’une dose de démocratie directe, de l’influence du citoyen sur les actions prises dans le cadre politiques de l’environnement et de l’énergie. Ce qui interroge l’existence d’un droit à la transition énergétique (en marge d’un droit à un environnement sain ?). Les obligations de « soft law » conviennent particulièrement en droit international public aux situations dans lesquelles il est impossible ou prématuré pour les États de souscrire des engagements forts. L’accord de Paris, sur le fond sinon dans sa forme, en est un exemple, et sa mise en œuvre dans l’Union appelle de nouvelles approches.

Les 195 pays participant à la COP 21 y ont reconnu formellement le besoin « d’une réponse effective et progressive à la menace urgente du changement climatique ». Toute carence, abstention ou action insuffisante, deviendra de ce fait un enjeu juridique, que ce soit au regard du droit international, régional ou national, des juridictions pouvant en tirer les conséquences à l’instigation de la société civile et en fonction de la place qui lui est donnée par leurs systèmes juridiques respectifs.

Les principes d’information et de participation du public à la prise de décision en matière environnementale ont vocation à s’appliquer à la transition énergétique, et peut-être même les droits fondamentaux. L’Union est apparue en défaut par rapport aux obligations qu’elle avait souscrite à l’égard de certains de ces engagements selon le Comité d’examen du respect des dispositionsde la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, des ressortissants ayant fait valoir que les autorités publiques nationales et l’Union avaient manqué à leur obligation de diffuser en temps opportun des informations exactes et suffisantes concernant leur action en matière d’énergies renouvelables (62). Les textes de droit conventionnel relatifs aux droits de l’Homme sont un vecteur potentiel de progrès puisqu’ils comportent des systèmes contentieux effectifs et ouverts aux individus et que le changement climatique peut mettre en cause des droits tels que le droit à la vie, à l’autodétermination, à l’eau, à la nourriture, à la santé, ou à une qualité de vie adéquate (63). Et la responsabilité de l’État peut être engagée en raison non seulement de son interférence « active » dans l’exercice d’un droit, mais aussi de la non-adoption de mesures positives que l’application concrète du droit requiert, c’est-à-dire d’une ingérence passive (64). Une juridiction hollandaise a ordonné aux Pays-Bas de limiter le volume total d’émissions nationales de gaz à effet de serre (65) en citant les objectifs et principes posés dans la CCNUCC et le traité FUE qui, s’ils n’ont pas d’effet direct, « constituent un point de vue important pour apprécier si l’État a agi de manière fautive ou non » au regard des principes de la responsabilité civile.

Jusqu’où le citoyen peut-il « forcer » la transition énergétique sans porter atteinte à ceux d’un autre citoyen ? Les droits des investisseurs sont sous les feux de l’actualité depuis de récentes affaires d’autant moins probantes que non encore jugées (66) et les négociations du projet de traité transatlantique de commerce et d’investissement. Un parallèle ironique peut être esquissé avec la décision du Conseil constitutionnel sur la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (67), et plus particulièrement l’article L. 311-5-5 nouveau du Code de l’énergie qui plafonne la capacité totale autorisée de production d’électricité d’origine nucléaire à un niveau inférieur à la somme des puissances résultant des autorisations accordées, contraignant ainsi EDF à renoncer à certaines d’entre elles. En effet, selon le juge constitutionnel français, ces dispositions « ne font pas obstacle » à ce que les exploitants « puissent prétendre à une indemnisation du préjudice subi » (68).

c) L’ambigüité institutionnelle de l’action en matière énergétique et la tentation d’une « gouvernance de l’Union de l’énergie »

Si le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, a institué une politique européenne de l’énergie à l’article 194 FUE, elle est assujettie à des contraintes telles que les engagements souscrits au niveau multilatéral imposeront de recourir à des palliatifs.

Un cadre institutionnel contraint

Lorsque les États membres sont convenus de se concerter « sur les grandes décisions prises au niveau national dans le domaine énergétique qui sont susceptibles d’avoir une incidence sur d’autres États membres », c’est à la condition que les choix nationaux en matière de bouquet énergétique soient « pleinement respectés » (69). C’est alors que la Commission s’avisa de « définir le rôle, le degré et la nature de l’intervention publique, dans le respect du principe de subsidiarité, au niveau européen, régional, national ou local », on l’a vu, tout en invitant les États membres « à garantir des approches cohérentes dans l’ensemble de l’Union ». Elle insista sur la nécessité de « réduire au minimum l’incidence de l’intervention publique sur les systèmes électriques et la concurrence », sans privilégier une technologie plutôt qu’une autre ni dispenser un producteur d’électricité d’assumer les conséquences financières de ses actes (70). Un bras de fer est engagé : les États membres veulent que l’Union respecte ses engagements internationaux sans que cela entraîne de contrainte pour eux, et la Commission, qui en est la garante, cherche à s’en donner les moyens.

Sur le plan institutionnel, la commonalité de préoccupations des politiques de l’environnement et de l’énergie ressort de leurs objectifs respectifs. La politique de l’environnement doit, entre autres, viser une « utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles » dont font évidemment partie les ressources énergétiques. La politique de l’énergie doit, notamment, « promouvoir l’efficacité énergétique et les économies d’énergie ainsi que le développement des énergies nouvelles et renouvelables ». La confusion est grande puisque les principaux textes de droit dérivé préexistants à la politique de l’énergie, ceux sur la promotion de l’énergie de sources renouvelables, à la performance énergétique des bâtiments et à l’efficacité énergétique, furent fondés sur l’ex-article 175, § 1, CE (devenu article 192, § 1, FUE), de telle sorte qu’un des principaux objectifs de la politique de l’énergie était, ab initio, porté par la politique de l’environnement. D’ailleurs, les deux derniers ont été abrogées et remplacés depuis par des mesures prises au visa de l’article 194, § 2, FUE : la directive 2010/31 et la directive 2012/27 susmentionnées. De tels changements de base juridique, pour des dispositifs dont l’objet et l’esprit sont pourtant substantiellement identiques, illustrent bien cette proximité entre les deux fondements. Le traité de Lisbonne a donc ici opéré une translation du pouvoir principal des institutions européennes depuis les domaines d’action environnementaux vers la politique de l’énergie.

Or, l’article 194, § 2, FUE prévoit que les mesures nécessaires pour atteindre ces objectifs « n’affectent pas le droit d’un État membre de déterminer les conditions d’exploitation de ses ressources énergétiques, son choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique, sans préjudice de l’article 192, § 2, point c) ». Ainsi, la politique de l’énergie ne permet pas de mesures affectant, d’une manière quelconque, « les choix d’un État membre entre différentes sources d’énergie et la structure générale de son approvisionnement énergétique » (art. 194, § 2, FUE), mais les mesures affectant « sensiblement » ces mêmes choix peuvent être adoptées dans le cadre de la politique de l’environnement même si ce n’est que selon la procédure législative spéciale, donc à l’unanimité des États membres (art. 192, § 2, (c), FUE).

Une nouvelle « gouvernance » aux mains de la Commission ?

Confrontée à ces contraintes et aux obligations collectives dépourvues de relais nationaux envisagés des deux propositions de paquets législatifs de 2016 évoqués plus haut, la Commission a imaginé une nouvelle « gouvernance de l’Union de l’énergie » devant lui permettre de faire en sorte, dans son rôle de gardienne des traités, que l’Union atteigne ses objectifs (71). À cette fin serait mis en place un processus « itératif » entre la Commission et les États membres en vue de la préparation et de la mise en œuvre de « plans nationaux intégrés énergie et climat » touchant aussi bien au SEQE qu’aux dispositifs relatifs aux énergies renouvelables, à l’efficacité énergétique, à la performance énergétique des bâtiments, etc. La Commission pourrait émettre des recommandations en ce qui concerne le niveau d’ambition de leurs objectifs, cibles et contributions dont les États membres devraient tenir le plus grand compte. Elle ferait ensuite rapport des progrès réalisés pour atteindre les objectifs communs et elle pourrait prendre certaines mesures à cette fin.

Si ce subtil équilibre venait à être entériné par le législateur de l’Union, l’heure viendrait sans doute un jour de tenter un parallèle entre la revue d’expert du « cadre de transparence renforcée » de l’accord de Paris et la nouvelle « gouvernance de l’Union de l’énergie » européenne, entre les rapports nationaux fournis au secrétariat de l’accord de Paris et à la Commission européenne, et entre leurs traitements et les publicités qui y seraient données. On serait alors aussi conduits à sonder la portée juridique des recommandations susmentionnées de la Commission, peut-être à l’aune du principe de coopération loyale de l’article 4, § 3, TUE.

Il paraît d’ores et déjà acquis, tant au niveau international qu’européen, que la souplesse normative exigée par les États pour souscrire quelque engagement se répercute désormais jusqu’au droit processuel où ils privilégient facilitation et revue d’experts peu stigmatisants, bref un droit processuel « mou » répliquant en quelque sorte le caractère de soft-law desdits engagements substantiels. Ce qui ouvre tout grand la voie aux acteurs non étatiques, acteurs économiques autant que société civile, et peut-être surtout aux juridictions de tout poil, pour s’emparer de leurs carences, loin du bel ordonnancement juridictionnel à l’abri duquel ils étaient jusqu’alors accoutumés. L’impératif planétaire de lutte contre les changements climatiques aboutit ainsi à une sorte de déconstruction du droit européen qui évoque un grand chambardement climatique. D’une part, la négociation multilatérale aussi bien que les divergences entre États membres de l’Union provoquent un recul de la norme substantielle au profit d’engagements plus proches de la soft-law. D’autre part, l’universalité du phénomène climatique requiert des actions multiples, d’une diversité et d’une modularité inédites, et s’adressant à des activités et à des acteurs de toutes natures, transcendant de ce fait toutes les structures et catégories juridiques établies. Il faut alors inventer de nouvelles démarches qui, faisant fi des cadres et intérêts en présence, et donc des moyens de solliciter les uns en ménageant les autres, s’attachent à un résultat, en fixant des objectifs communs et en observant leur réalisation. Le droit processuel l’emporte de ce fait inexorablement sur le droit substantiel et la porte est ouverte à de nouveaux mécanismes dont flexibilité et souplesse sont les maîtres-mots. L’accord de Paris est à considérer, de ce point de vue, comme un précurseur du droit européen.

(v) Plan

La spécificité du droit européen de l’environnement tient pour une large part à son cadre institutionnel, qui fera pour cette raison l’objet d’une Partie préliminaire, faisant apparaître que la nature des instruments juridiques mis en œuvre permet d’analyser utilement les mesures de droit matériel qui nourrissent la matière.

Ces mesures sont, dans une première phase, l’expression d’une politique réglementaire traditionnelle, et qui plus est sectorielle, consistant essentiellement à poser des paramètres. Selon une démarche fort classique, on évoquera dans une Partie I les grands domaines de l’environnement : le milieu atmosphérique, le milieu aquatique et les milieux dits naturels, c’est-à-dire essentiellement la faune et la flore. Puis, dans une Partie II, les principaux objets ayant un impact sur l’environnement, ou susceptibles d’avoir un tel impact, à savoir les déchets, bien sûr, mais aussi les objets bruyants et les substances dangereuses ou réputées telles.

Les années 1990 ont vu l’apparition progressive, puis le développement, de nouveaux types d’instruments qui ont une fonction de mise en œuvre et de sanction des paramètres environnementaux. Il s’agit en premier lieu des instruments dits non-sectoriels ou « transversaux », voire « horizontaux », parce que, tout en conservant une nature réglementaire, ils s’affranchissent des carcans sectoriels ; ils feront l’objet de la Partie III. Il s’agit, ensuite, d’autres nouveaux instruments encore, plus radicalement novateurs, les fameux instruments économiques et fiscaux dont les manifestations occuperont la Partie IV.

Une Partie V, enfin, sera consacrée à une démarche particulièrement efficace pour la protection de l’environnement : la prise en compte de ses exigences dans les autres politiques.

Un dernier mot encore d’introduction : à la lecture de ce plan, on constate qu’en définitive la déconstruction du droit européen de l’environnement par le grand chambardement climatique et la transition énergétique a failli, ou tout au moins qu’elle n’a pas abouti à une renaissance ou une refondation de la matière. La raison en est simple : les phénomènes climatiques et/ou transitionnels en question sollicitent toutes les branches du droit de l’environnement, ils n’en remettent en cause aucune.

(1)JOCE, L 196 du 16 août 1967.

(2) Directive 70/157 du 6 février 1970, relative au niveau sonore admissible et au dispositif d’échappement des véhicules à moteur, JOCE, L 42 du 23 février 1970.

(3) Directive 70/220 du 20 mars 1970, concernant les mesures à prendre contre la pollution de l’air par les gaz provenant des moteurs à allumage commandé équipant les véhicules à moteur, JOCE, L 76 du 6 avril 1970.

(4) C. Blumann, « Compétence communautaire et compétence nationale », in La Communauté européenne et l’environnement, Travaux du colloque d’Angers de la CEDECE, 1997, pp. 93 et s.

(5) La notation officiellement adoptée par la Cour de Justice, et ici retenue, a alors changé pour manifester cette évolution. Par exemple, l’« article 85 du Traité CE », qui interdit les ententes anti-concurrentielles, est devenu l’« article 81 CE ».

(6) Le concept de développement durable avait alors été largement consacré par la Déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement de Rio de Janeiro.

(7) S. Van Der Jeught, « Le Traité de Lisbonne et la Cour de justice de l’Union européenne », JDE, décembre 2009, n° 164, p. 297.

(8) Protocoles n° 1 et n° 2 au traité de Lisbonne ; voy. infra, Chapitre I.

(9) Elle a émis 137 avis motivés en 2002 et 122 en 2003, alors qu’elle en avait émis 118 en 1998, 63 en 1999 et 122 en 2000. Elle a été saisie de 555 plaintes dans ce domaine en 2002 et 505 en 2003, quatrième et cinquième études annuelles sur la mise en œuvre et le contrôle de l’application du droit communautaire de l’environnement (SEC(2003) 804 et SEC(2004) 1025).

(10) CJCE, 12 juillet 2005, Commission c. France, aff. C-304/02, Rec., p. I-06263.

(11) Il appliquait ainsi l’article 54 du décret du 30 juillet 1963, relatif à l’organisation du fonctionnement du Conseil d’État, selon lequel celui-ci peut ordonner le sursis « si l’exécution de la décision attaquée risque d’entraîner des conséquences difficilement réparables et si les moyens énoncés dans la requête paraissent, en l’état de l’instruction, sérieux et de nature à justifier l’annulation de la décision attaquée ».

(12)JOCE, L 117 du 8 mai 1990, remplacée entretemps par la directive 2001/18 du 12 mars 2001, relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement et abrogeant la directive 90/220 ; voy. infra, Chapitre IX.

(13) CJCE, 21 mars 2000, Association Greenpeace France, aff. C-6/99, Rec.,p. I-01651, pt 44.

(14) Voy. CJUE, 8 septembre 2011, Monsanto c. Ministre de l’agriculture et de la pêche, aff. C-58/10 à C-68/10, Rec., p. I-07763, pts 30 à 35.

(15) Trib. UE, 26 septembre 2013, Pioneer Hi-Bred International, Inc. c. Commission européenne, aff. T-164/10, ECLI:EU:T:2013:503.

(16)JOCE, L 375 du 31 décembre 1991 ; voy. infra, Chapitre V.

(17) Trib. adm. Rennes, 18 avril 2001, Société Suez Lyonnaise des eaux, Req. 97 182 ; commentaire B. Drobenko, RJE, 3/2001, p. 445.

(18) CJCE, 27 juin 2002, Commission c. France, aff. C-258/00, Rec.,p. I-5959.

(19) Notamment à la législation des installations classées : carences dans l’instruction des dossiers d’autorisation et dans le contrôle de leur fonctionnement « régulièrement sanctionnées par le tribunal », régularisation quasi-systématique des porcs illégalement présents dans des exploitations en zone d’excédent structurel, « insuffisance manifeste des contrôles, notamment par manque de moyens des administrations de l’État » (TA Rennes, 25 octobre 2007, Associations Halte aux marées vertes, Sauvegarde du Trésor, Eaux et rivières de Bretagne, et de la source à la mer, Req. 0400630, 0400631, 0400636, 0400637, 0400640, AJDA, 10 mars 2008, p. 470).

(20) CAA Nantes, 1er décembre 2009, n° 07NT03775.

(21) CJCE, 17 septembre 2002, Concordia Bus Finland Oy Ab c. Helsingin kaupunki et HKL-Bussiliikenne, aff. C-513/99, Rec., p. I-07213.

(22) CJCE, 6 juin 2002, Sapod Audic c. Eco-Emballages, aff. C-159/00, Rec., p. I-05031, pts 29 à 32.

(23) Cass. com., 1er juillet 2003, n° 98-11543.

(24) CJCE, 7 septembre 2004, Van de Walle et autres c. Texaco Belgique, aff. C-1/03, Rec., p. I-07613.

(25)JOCE, L 194 du 25 juillet 1975.

(26) CJUE (gde ch.), 11 septembre 2012, Nomarchiaki Aftodioikisi Aitoloakarnanias et autres c. Ypourgos Perivallontos, Chorotaxias kai Dimosion ergon et autres, aff. C-43/10, ECLI:EU:C:2012:560.

(27) « Vers un développement soutenable », Résolution du Conseil du 1er février 1993 concernant un programme communautaire de politique et d’action en matière d’environnement et de développement durable, JOCE, C 138 du 17 mai 1993.

(28) Décision 1600/2002 du 22 juillet 2002, établissant le sixième programme d’action communautaire pour l’environnement, JOCE, L 242 du 10 septembre 2002 ; voy. aussi la Communication de la Commission sur le VIe programme communautaire d’action pour l’environnement « Environnement 2010 : notre avenir, notre choix » et proposition de décision du Parlement européen et du Conseil établissant le programme d’action communautaire pour l’environnement pour la période 2001-2010 (COM(2001) 31 final).

(29) Décision 1386/2013 du 20 novembre 2013, relative à un programme d’action général de l’Union pour l’environnement à l’horizon 2020 « Bien vivre, dans les limites de notre planète », JOUE, L 354 du 28 décembre 2013.

(30) Communication concernant les politiques et mesures proposées par l’UE pour réduire les émissions de gaz à effet de serre : vers un programme européen sur le changement climatique (PECC), COM(2000) 88 final.

(31) Communication de la Commission du 23 janvier 2008, « Deux fois 20 pour 2020. Saisir la chance qu’offre le changement climatique », COM(2008) 30 final.

(32) Communication de la Commission du 22 janvier 2015, « A policy framework for climate and energy in the period from 2020 to 2030 », COM(2014) 15 final.

(33) Voy., en dernier lieu, conclusions du Conseil européen du 24 octobre 2014, EUCO169/14.

(34)Submission by Latvia and the European Commission on behalf of the European Union and its Member States of 6 March 2015 on Intended Nationally Determined Contribution of the EU and its Member States, http://www4.unfccc.int/submissions/INDC/Published%20Documents/Latvia/1/LV-03-06-EU%20INDC.pdf, consulté le 19 septembre 2015, conformément à la feuille de route adoptée lors de la treizième conférence des parties de Bali en vue de la COP 21.

(35) Council conclusions on the preparations for the 21st session of the Conference of the Parties (COP 21) to the United Nations Framework Convention on Climate Change (UNFCCC) and the 11th session of the Meeting of the Parties to the Kyoto Protocol (CMP 11), 12165/15.

(36) Accord de Paris en vertu de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, http://unfccc.int/resource/docs/2015/cop21/fre/10a01f.pdf.

(37) Il a au demeurant donné lieu à la décision 2016/590 du 11 avril 2016, relative à la signature, au nom de l’Union européenne, de l’accord de Paris conclu au titre de la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, JOUE, L 103 du 19 avril 2016.

(38) Décision 93/389 du 24 juin 1993, relative à un mécanisme de surveillance des émissions de CO2 et des autres gaz à effet de serre dans la Communauté, JOUE, L 167 du 9 juillet 1993.

(39) Directive 2003/87 du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61, JOUE, L 275 du 25 octobre 2003.

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