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Le présent ouvrage est la 3e édition du Traité de droit de l’environnement de l’Union européenne qui explicite et approfondit, pour les besoins des professionnels et des chercheurs, la synthèse publiée en 2014 dans le Manuel du même nom, également au sein de la collection Droit de l’Union européenne. Ce double niveau d’approche est particulièrement justifié par le fait qu’œuvre monumentale de près de cinquante années, fragmentée, complexe et évolutive du fait tant des phénomènes environnementaux que de contraintes constitutionnelles, politiques et économiques, le Droit de l’environnement de l’Union n’en commande pas moins dans une très large mesure les législations nationales des vingt-huit États membres.
À quelques semaines de la Conférence de Paris sur le climat, cette 3e édition dresse un état des lieux des réformes législatives intervenues, toujours significatives, depuis le traité de Lisbonne et le « plan d’action-climat », et peut-être surtout d’une jurisprudence particulièrement nourrie et qui manifeste une appropriation de la matière aussi bien par les juridictions nationales que par la Cour de justice et le Tribunal de l’Union.
Le droit européen de l’environnement reste profondément marqué par des sources d’inspiration libre-échangistes en dépit des progrès de la politique commune de l’environnement et de la montée en puissance de la politique de l’énergie et du principe d’intégration. Gouvernance et management environnementaux s’insèrent dans un cadre complexe, au sein duquel une conciliation doit s’opérer entre objectifs économiques et environnementaux autour de concepts tels que la recherche d’un niveau élevé de protection respectueux de la proportionnalité, de l’égalité et… du développement durable.
Un rappel de ce cadre permet une présentation synthétique et dynamique des centaines de mesures qui fournissent les paramètres environnementaux de l’activité humaine, des grands domaines de l’environnement aux objets ayant un impact sur celui-ci. Le succès des instruments économiques est confirmé par le caractère incontournable des marchés de droit d’émission de gaz à effet de serre ou de la responsabilité élargie du producteur à la fin de vie de ses produits, plus que par l’éco-fiscalité. Quant à l’intégration des exigences de la protection de l’environnement dans les autres politiques, elle régule les tensions inévitables avec les règles du marché, la politique agricole commune ou la santé humaine. La politique de l’énergie, instituée par le traité de Lisbonne, doit quant à elle encore tester les frontières de son domaine d’intervention avec celui de la politique de l’environnement.
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ISBN 9782802753353
Collection de droit de l’Union européenne – série Traités
Directeur de la collection : Fabrice Picod
Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux communautaire, dirige le master professionnel « Contentieux européens », président de la Commission pour l’étude des Communautés eurpéennes (CEDECE)
La Collection de droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.
Elle est composée de sept grandes séries : une série « Thèses » qui publie les meilleurs travaux de thèses de doctorat en Europe, une série « Colloques » dans laquelle trouvent leur place les actes des colloques les plus importants sur des sujets d’actualité, une série « Grands écrits » reprenant les plus grands écrits ainsi réédités, une série « Manuels » répondant à l’enseignement du droit de l’Union européenne, une série « Traités » destinée aux praticiens du droit et aux universitaires, une série « Monographies » se consacrant à des thématiques bien précises et une série « Grands arrêts » sélectionnant et commentant chaque année les décisions significatives de la Cour de justice de l’Union européenne dans toutes les matières de l’Union européenne.
Le présent Traité de droit de l’Union européenne constitue la 3e édition de l’ouvrage intitulé Droit de l’environnement de l’Union européenne dont les précédentes éditions ont été publiées dans la même collection en 2008 et en 2011.
Ce Traité de droit de l’environnement de l’Union européenne s’efforce, eu égard aux vastes et multiples dimensions, à tous les sens du terme, de la matière, d’en rendre une image synthétique mais néanmoins représentative pour les besoins de la recherche, qu’elle soit scientifique ou appliquée.
Les étudiants en droit s’intéresseront donc plutôt au Manuel de droit de l’environnement de l’Union européenne, égalementpublié dans la collection « Droit de l’Union européenne » aux Éditions Bruylant, qui leur propose une initiation au droit de l’environnement de l’Union européenne. Les techniciens de l’environnement, qui éprouvent un grand besoin de percevoir le cadre juridique de leur activité, trouveront également dans le Manuel des indications générales utiles à cet égard mais qu’ils pourront approfondir dans le présent Traité.
Ce Traité et le Manuel avec lequel il a été conçu se complètent d’autant plus facilement qu’ils partagent la même architecture, c’est-à-dire les mêmes parties, les mêmes chapitres, et dans la mesure du possible les mêmes subdivisions. En d’autres termes, les sujets évoqués dans le présent Traité sont développés de manière plus approfondie que dans le Manuel, avec notamment une perspective historique, politique et jurisprudentielle, et surtout un appareil scientifique plus complet.
Les références aux traités de l’ex-Communauté et de l’Union européennes suivent le système de notation adopté par la Cour de justice.
Depuis l’entrée en vigueur, le 1er décembre 2009, du traité modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé à Lisbonne en décembre 2007, la numérotation des dispositions du traité fondateur, le traité de Rome du 25 mars 1957, instituant la Communauté européenne, devenu traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, est profondément modifiée cependant que leur teneur ne l’est que peu. Les dispositions concernées, désormais celles du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, seront signalées par la mention « article x FUE ». Cette mention est parfois accompagnée, dans le présent ouvrage, d’une autre, rappelant l’ancien article correspondant : « article x du traité CE » pour le traité instituant la Communauté européenne jusqu’à la renumérotation intervenue en 1997, puis « article x CE ». Enfin, la formule « article x UE » est maintenue pour les références au traité sur l’Union européenne. Sauf indication contraire, c’est le traité sur l’Union européenne dans sa rédaction actuelle, postérieure au traité de Lisbonne, qui est alors visé.
De même, les références à la Communauté européenne ont été limitées autant que possible afin de faciliter la lecture en dépit de la fusion de cette institution avec l’Union européenne. On mentionnera ainsi normalement l’Union européenne plutôt que la Communauté.
Les références jurisprudentielles ont également été bouleversées du fait de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) est devenue la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE). Le Tribunal de première instance des Communautés européennes (TPI ou TPICE) est quant à lui tout simplement le Tribunal. On mentionnera le plus souvent dans le corps du texte la « Cour de justice » et le « Tribunal ». Les références en notes infrapaginales permettent de rétablir la chronologie de la décision évoquée : « CJCE » et « TPI » avant le traité de Lisbonne, « CJUE » et « Trib. UE » après...
AJDA
L’actualité juridique droit administratif
Cah. dr. eur.
Cahiers de droit européen
D.
Dalloz
EELR
European Environmental Law Review
Gaz. Pal.
Gazette du Palais
JCP
Juris-Classeur périodique (ou encore « Semaine juridique »)
JOCE
Journal officiel des Communautés européennes
JORF
Journal officiel de la République Française
JOUE
Journal officiel de l’Union européenne
JTDE
Journal des tribunaux droit européen
LPA
Les petites affiches
RAE
Revue des affaires européennes
RDUE
Revue de droit de l’Union européenne
RED env.
Revue européenne de droit de l’environnement
Rev. jur. env.
Revue juridique de l’environnement
RIDC
Revue internationale de droit comparé
RJDA
Revue juridique de droit administratif
RGDIP
Revue générale de droit international public
RMUE
Revue du marché unique européen
RTDE
Revue trimestrielle de droit européen
ACEA
Association des constructeurs européens d’automobiles
ADBHU
Association des brûleurs d’huiles usagées
ADEME
Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie
ALENA
Association de libre-échange Nord-américaine
ANSAC
American Natural Soda Ash Corporation
BCAE
bonnes conditions agricoles et environnementales
BREFs
Best Available Technique Reference Documents
CAA
Clean Air Act
CAD
contrat d’agriculture durable
CCNUCC
convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
CECA
Communauté européenne du charbon et de l’acier
CEDH
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme
CEN
Comité européen de normalisation
CEPRB
Centre d’échange pour la prévention des risques bio-technologiques
CERCLA
Comprehensive Environmental Response, Compensation, and Liability Act
CFC
chlorofluorocarbures
CJCE
Cour de Justice des Communautés européennes
CJUE
Cour de Justice de l’Union européenne
COV
composés organiques volatils
CSC
captage et le stockage géologique du dioxyde de carbone
CUELE
comité de l’Union européenne pour le label écologique
CWA
Clean Water Act
DCE
Directive-cadre sur l’eau
DDT
dichlorodiphenyltrichloroethane
DEEE
déchets d’équipements électriques et électroniques
DSD
Duales System Deutschland
ECHA
European Chemicals Agency
EFSA
Autorité européenne de sécurité des aliments
EINECS
European Inventory of Existing Commercial Substances
EIPPCB
European Integrated Pollution Prevention and Control Bureau
EIONET
European Information and Observation Network
E-Mas
Environmental Management and Audit System
ESA
Endangered Species Act
EURATOM
Communauté européenne de l’énergie nucléaire
FEADER
Fonds européen agricole pour le développement rural
FEIS
Forum d’échange d’informations sur les substances
FEOGA
Fonds européen d’orientation et de garantie agricole
GATT
Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce
GIEC
Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat
HCFC
hydrochlorofluorocarbures
IED
Industrial Emissions Directive
IPPC
Integrated Pollution Prevention and Control
MDP
mécanisme de développement propre
MDT
meilleures techniques disponibles
MMT
méthylcyclopentadiényle manganèse tricarbonyle
MOC
mise en œuvre conjointe
OACI
Organisation de l’aviation civile internationale
OELE
Organisation européenne du label écologique
PNAQ
plan national d’allocation des quotas
RCRA
Resource Conservation and Recovery Act
PAEE
plan d’action en matière d’efficacité énergétique
PBB
polybromobiphényles
PBDE
polybromodiphényléthers
PBT
persistant, bioaccumulatif et toxique
PCB
polychlorobiphényle
PCT
polychloroterphényle
PMPOA
programme national de maîtrise des pollutions d’origine agricole
PRTR
registre intégré des transferts et rejets de polluants
PIP
politique intégrée des produits
POP
polluant organique persistant
REACH
Registration, Evaluation and Authorisation of Chemicals
RDR
Règlement sur le développement rural
REC
réduction d’émission certifiée
REP
responsabilité élargie du producteur
SAGE
schémas d’aménagement et de gestion des eaux
SIEG
service d’intérêt économique général
TGAP
taxe générale sur les activités polluantes
TIPP
taxe intérieure sur les produits pétroliers
TSCA
Toxic Substances Control Act
URE
unité de réduction des émissions
VHU
véhicules hors d’usage
vPvB
very persistent and very bioaccumulative
ZSC
zone spéciale de conservation
ZPS
zone de protection spéciale
Avant-propos
Avertissement
Liste des abréviations
Introduction
Partie preliminaire Les sources de la politique de l’environnement
Chapitre I. – Le domaine du droit de l’environnement
Chapitre II. – L’exercice de la compétence environnementale
Chapitre III. – Les principes de la politique de l’environnement
Partie I La réglementation des domaines de l’environnement
Chapitre IV. – L’air
Chapitre V. – L’eau
Chapitre VI. – Les autres milieux naturels, la faune et la flore
Partie II Les objets ayant un impact sur l’environnement
Chapitre VII. – Les déchets
Chapitre VIII. – Les objets bruyants
Chapitre IX. – Les substances et organismes dangereux
Partie III Les règlementations non sectorielles
Chapitre X. – Les règlementations dites intégrées
Chapitre XI. – L’information et la participation du public
Partie IV Les instruments économiques et fiscaux
Chapitre XII. – L’internalisation forcée
Chapitre XIII. – Les engagements volontaires
Chapitre XIV. – La responsabilité environnementale
Partie V La prise en compte des exigences de la protection de l’environnement dans les autres politiques
Chapitre XV. – Le marché intérieur européen
Chapitre XVI. – Les règles de concurrence
Chapitre XVII. – La politique agricole commune
Chapitre XVIII. – Environnement et transports
Chapitre XIX. – La politique de l’énergie
Chapitre XX. – La santé humaine et l’environnement
Textes cités
Bibliographie
Table des matières
§ 1. – Une histoire tortueuse
A. L’institutionnalisation progressive du droit européen de l’environnement
B. Les grands systèmes de droit comparés et les « grands » droits de l’environnement
§ 2. – Une mise en œuvre laborieuse
A. L’affaire du maïs transgénique de Novartis
B. La teneur en nitrates de l’eau de Suez Lyonnaise
C. Le « verdissement » du marché des lignes d’autobus d’Helsinki
D. Le logo et le cahier des charges d’Eco-Emballages
E. Du sous-sol des stations services Texaco à l’Erika en passant par les fuites d’eaux usées
F. Le détournement des eaux du fleuve Achéloos vers le fleuve Pineios
§ 3. – Une recherche d’efficience prometteuse
§ 4. – Plan
En 2050, nous vivons bien, dans les limites écologiques de notre planète. Nous devons notre prospérité et la bonne santé de notre environnement à notre économie innovante et circulaire, qui ne connaît pas de gaspillages et dans laquelle les ressources naturelles sont gérées de manière durable et la biodiversité est préservée, estimée et restaurée, de telle sorte à renforcer la résilience de notre société. Notre croissance à faibles émissions de CO2 est depuis longtemps dissociée de l’utilisation des ressources, créant la dynamique nécessaire à l’émergence d’une société mondialisée sûre et durable.
C’est par ces mots, qui font un peu penser à une litote, que s’ouvre le septième programme d’action pour l’environnement de l’Union européenne qui a été formellement adopté par le Parlement européen et le Conseil, sur proposition de la Commission, le 20 novembre 20131.
Les problématiques liées aux phénomènes environnementaux sont d’autant plus complexes qu’ils présentent des particularités marquées et de fortes interactions. Allant de l’échelon local (bruit, déchets) aux phénomènes planétaires (réchauffement climatique), ils sont frappés d’un incontestable caractère d’évolutivité (appauvrissement de la couche d’ozone puis changements climatiques, OGM puis nanotechnologies…), et ils sont parfois difficilement imputables (pollutions diffuses, sites orphelins…). De telles spécificités ont une incidence directe sur leur appréhension juridique, qui est elle-même réactive, plurielle et très diversifiée. Il en découle que la simple description des règles matérielles relatives aux interventions environnementales serait à la fois monumentale et vaine si elle n’était accompagnée d’une mise en perspective dynamique.
Or, à beaucoup d’égards, et sous des formes très diverses, le droit de l’environnement est celui de la relation entre protection de l’environnement et développement économique qui nourrit le concept de développement durable. Objet de débats aussi animés que lourds de conséquences, cette relation, qui est encore souvent une tension, revêt une importance particulière pour l’Union européenne. La capacité des économies à maintenir une croissance acceptable dépend dans une large mesure de leur succès dans la conciliation des exigences de la compétitivité avec celles de protection de l’environnement. Dans le cas de l’Europe occidentale, cette dialectique a, depuis l’origine, une dimension supplémentaire : celle de l’intégration des marchés nationaux et, corrélativement, de la création du marché intérieur.
Cette dimension revêt d’autant plus d’importance que les besoins de la protection de l’environnement dépassent souvent, de par la nature même de celui-ci, tant le cadre des frontières politiques que celui du domaine du droit de l’environnement stricto sensu. Ainsi, la première décision de la Cour de justice des Communautés européennes ayant trait à un problème environnemental tranchait une question de compétence juridictionnelle internationale dans la célèbre affaire des Mines de Potasse d’Alsace2, au regard de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale. Etrangère au droit de l’environnement, la solution retenue était favorable à sa protection, puisque, d’une part, elle conférait une option au demandeur entre les tribunaux du lieu où le dommage est survenu et ceux du lieu de l’événement causal qui est à l’origine de ce dommage et, d’autre part, elle tenait compte de l’importance et de la spécificité des problèmes rencontrés par cette protection3, tout particulièrement de leur dimension spatiale. Ironie du sort, près de quarante ans plus tard, les Mines de Potasse d’Alsace, alors détenues directement par l’État français pour le seul objet « d’assurer les missions liées à l’arrêt de l’exploitation », allaient se retrouver confrontées une dernière fois au droit européen, le temps d’un furtif instant juridique nécessaire à ce que la Commission relève que « les activités liées au maintien de la sécurité et à la protection de l’environnement ne présentent pas un caractère économique justifiant l’application des règles de concurrence du traité »4. Etrange destin que celui d’un justiciable qui, ayant suscité ce qui fut probablement la première application jurisprudentielle favorable à la protection de l’environnement des règles du droit européen, embryon de conciliation qui ne portait pas encore son nom et n’était peut-être pas bien consciente, finit ainsi ses jours sous un régime de complet déni d’application du même droit au nom de la mission… régalienne de protection de l’environnement !
Trois observations générales et préliminaires peuvent être faites dans cette double perspective qui est celle du droit de l’environnement de l’Union, l’une à caractère historique, son cheminement ayant été particulièrement tortueux (§ 1), la deuxième relative à ses aspects processuels, sa mise en œuvre étant laborieuse (§ 2), et la troisième plus prospective, sa quête d’efficience paraissant fructueuse et en tous cas prometteuse (§ 3).
Le cadre institutionnel du droit de l’environnement présente un intérêt qui n’est pas qu’historique et qui est d’autant plus manifeste que le premier fondement des mesures environnementales fut de nature prétorienne, ce qui posa des problèmes aigus. Tel est d’ailleurs généralement le cas dans les pays à structure fédérale ou confédérale dont les autorités centrales disposent en principe d’une compétence d’attribution, même si ces difficultés peuvent parfois paraître atténuées dans les systèmes de Common Law en raison du rôle important qu’y assument les juridictions dont l’activisme s’est, à un moment ou à un autre, avéré favorable à la protection de l’environnement.
Pour le traité de Rome, l’intégration des marchés constituait une œuvre fondamentale de la Communauté économique européenne, à laquelle la protection de l’environnement était largement étrangère. Tel qu’il avait été signé le 25 mars 1957, il ne contenait aucune disposition spécifique à l’environnement. Seuls le traité EURATOM incluait un Chapitre III consacré à la protection sanitaire de la population et des travailleurs contre les dangers résultant des radiations ionisantes5 et le traité instituant la Communauté européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) un article 55 relatif à la sécurité des travailleurs, tous deux assez éloignés du concept d’environnement. Un observateur particulièrement avisé témoigne : « à l’époque, la question n’était même pas posée », le concept même d’environnement n’existait pas, même si les préoccupations environnementales n’étaient pas totalement absentes des esprits6.
Les premières initiatives du législateur européen intervinrent pourtant très vite, le Conseil éprouvant le besoin d’adopter la directive 67/548 du 27 juin 1967, relative à la classification, l’étiquetage et l’emballage de substances dangereuses7 – dont la réforme a été l’un des grands débats du début du XXIe siècle8 –, puis la directive 70/157 du 6 février 1970, relative au niveau sonore admissible et au dispositif d’échappement des véhicules à moteur9et la directive 70/220 du 20 mars 1970, concernant les mesures à prendre contre la pollution de l’air par les gaz provenant des moteurs à allumage commandé équipant les véhicules à moteur10. Pour resituer ces initiatives dans le contexte plus général de l’époque, il suffit de se souvenir que ce n’est qu’en 1972, année de la conférence des Nations Unies sur l’environnement de Stockholm11, que la Communauté aborda réellement les questions relatives à l’environnement sous un angle politique, la Commission présentant sa première communication consacrée à ce sujet et les chefs d’État et de gouvernement lançant le principe d’une politique européenne. Le premier programme communautaire d’action en matière d’environnement suivit en 197312.
Le traité de Rome, alors toujours dans sa version initiale, ne permettait de justifier la compétence de la Communauté en matière environnementale que par le biais d’une interprétation audacieuse, puisque le contexte à l’époque de sa rédaction n’avait pas conduit ses fondateurs à s’en préoccuper. C’est ainsi que l’« amélioration constante des conditions de vie », préconisée par le préambule du traité, avait été invoquée, au même titre que les objectifs de « développement harmonieux » et d’« expansion équilibrée » qui figuraient à l’acte de mission de la Communauté. On a ainsi pu écrire qu’il s’était agi« de la construction d’un droit par raccroc et par défaut »13 dont les bases juridiques choisies ont été qualifiées de « pis aller »14. Les mesures substantielles se réclamaient soit de l’article 100 du traité CE qui prévoyait l’harmonisation des législations nationales15, soit de l’article 235 du traité CE, permettant d’intervenir lorsque le fonctionnement du marché commun était en cause sans qu’aucune disposition spécifique ne soit concernée16.
Ce n’est qu’en 1986 que l’Acte Unique européen entérina une action communautaire en matière environnementale. Le cadre juridique de cette action fut alors institué par insertion, dans le traité de Rome devenu traité instituant la Communauté européenne, des articles 130 R, S et T du traité CE, qui fondèrent en partie les mesures adoptées ensuite. L’article 130 R, § 2, du traité CE précisait qu’elle devait reposer sur les principes d’action préventive, de correction, par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et du pollueur-payeur, visant un niveau de protection élevé.
En 1992, le traité sur l’Union européenne éleva cette action au rang de politique à part entière17 et introduisit, parmi les principes figurant à l’article 130 R, § 2, du traité CE, le principe de précaution. Il précisa que le développement harmonieux des activités économiques, qui constituait l’une des composantes de la mission de la Communauté, devait être « équilibré ». Il devait alors être accompagné d’une croissance « durable et non-inflationniste respectant l’environnement », ainsi que d’un « haut degré de convergence des performances économiques, un niveau d’emploi et de protection sociale élevé, le relèvement du niveau et de la qualité de la vie, la cohésion économique et sociale et la solidarité entre les États membres »18. Les institutions prenaient ainsi acte de ce qu’un antagonisme n’oppose pas l’activité économique et la protection de l’environnement de manière inéluctable et irréductible, même si celle-ci apparaissait encore comme un facteur de limitation par rapport aux objectifs essentiels, purement économiques.
Mieux, l’article 130 R, § 2, du traité CE disposait alors que ses exigences devaient être « intégrées dans la définition et la mise en œuvre des autres politiques » par rapport auxquelles la politique de l’environnement faisait figure de privilégiée. Il en est ainsi en raison de l’omniprésence des considérations qui l’animent et qui la distinguent, notamment, des politiques sectorielles. Ces dernières doivent, par conséquent, satisfaire aux exigences de la protection de l’environnement en les « intégrant » (d’où l’expression d’« intégration des exigences de la protection de l’environnement »).
En 1997, le traité d’Amsterdam a renuméroté l’ensemble des dispositions du traité de Rome : les articles 130 R, S et T du traité CE sont devenus les articles 174, 175 et 176 CE19. La consolidation du cadre juridique de la protection de l’environnement est alors parachevée par l’ajout à l’article 2 CE que le développement des activités économiques auquel la Communauté a notamment pour mission de pourvoir doit non seulement être harmonieux et équilibré, mais encore durable. L’adjonction de la condition de durabilité est une référence explicite à la protection de l’environnement : le concept en avait été largement consacré par la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement réunie à Rio de Janeiro du 3 au 14 juin 199220. Au demeurant, et de manière quelque peu redondante, l’exigence de durabilité reste aussi impartie à une seconde composante de la mission de la Communauté, de nature plus strictement économique, celle de promouvoir « une croissance durable et non inflationniste ».
Mais une troisième composante de cette mission, qui consiste à promouvoir dans l’ensemble de la Communauté « un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement », est alors directement et exclusivement consacrée à la protection de l’environnement par ce même article 2 CE. Son insertion dans le traité, à un stade avancé de l’élaboration de la politique de l’environnement, exclut toute ambiguïté quant à l’intention des États membres de parachever sa reconnaissance.
D’ailleurs, la politique de l’environnement est privilégiée par rapport à d’autres et « y gagne en puissance », le traité d’Amsterdam donnant à l’obligation de prise en compte – d’« intégration » – des exigences de l’environnement par ces autres politiques une importance remarquable, en créant, pour l’y repositionner, un nouvel article 6 CE.
La Convention qui s’est réunie courant 2003 pour élaborer le projet d’un traité établissant une Constitution pour l’Europe a choisi, pour l’essentiel, de reproduire les dispositions ci-dessus évoquées du traité instituant la Communauté européenne consacrées à la protection de l’environnement en général, et à la politique de l’environnement en particulier, sans en modifier la substance21. S’agissant des objectifs de l’Union, la poursuite d’« un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques »22 aurait été sacrifiée à celle du « développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée »23, selon une formule plus au goût du jour. Les acquis de la politique de l’environnement des années 1980 et 1990 auraient ainsi été préservés alors que le premier avant-projet avait à cet égard marqué un pas en arrière24.
Quant au principe d’intégration des exigences de la protection de l’environnement dans la mise en œuvre des autres politiques25, il aurait été repris à l’identique et par deux fois : dans la deuxième partie du projet de traité, consacrée à la Charte des droits fondamentaux26, d’une part, et dans les clauses générales introductives de la troisième partie consacrée aux politiques communes27, d’autre part. Certains espéraient que la répétition de ce principe lui permettrait de gagner en efficacité28, mais force est de constater qu’il ne figurait ainsi pas dans la première partie de la Constitution projetée, ce qui pourrait être compris comme une sorte de retour en arrière29, puisque le traité d’Amsterdam l’avait au contraire fait « progresser » de l’ex-article 130 R, § 2, du traité CE vers l’article 6 CE, c’est-à-dire l’introduction du traité.
En ce qui concerne les dispositions fondamentales de la politique de l’environnement, la Constitution européenne aurait repris la teneur des articles 174, 175 et 176 CE en ses articles III-233 et III-234. Il en allait de même de l’article 95 CE en son article III-172. Toutefois, la mise en œuvre de la politique de l’environnement aurait pu être affectée par le renforcement processuel du principe de subsidiarité. On notait avec intérêt l’apparition d’une nouvelle politique européenne dans le domaine de l’énergie, ayant pour objectifs tant le fonctionnement du marché de l’énergie et la sécurité d’approvisionnement que la promotion de l’efficacité énergétique, des économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables. Cette nouvelle politique n’aurait pas préjudicié à la liberté des États membres de déterminer les conditions d’exploitation de leurs ressources énergétiques, le choix entre différentes sources d’énergie et la structure générale de leurs approvisionnements en énergie30.
Point n’est besoin de plus amples commentaires sur ce texte puisque, on le sait, les votes négatifs de la France et des Pays-Bas lors des référendums qui devaient décider de sa ratification, indispensable dès lors qu’il revêtait au regard du droit international et du droit constitutionnel le caractère d’un traité, ont provoqué la suspension définitive de ce processus.
Enfin, pour l’instant au moins, le traité de Lisbonne modifiant le traité sur l’Union européenne et le traité instituant la Communauté européenne, signé en décembre 2007 et entré en vigueur le 1er décembre 2009, n’a que des incidences substantielles marginales et des incidences formelles relativement peu importantes en ce qui concerne la politique de l’environnement31 en tant que telle. Néanmoins, certaines des modifications apportées au cadre institutionnel général dans lequel elle évolue sont susceptibles d’influer sur sa mise en œuvre et ses applications32.
La plus spectaculaire est bien entendu le changement de dénomination du traité instituant la Communauté européenne, le « traité de Rome » qui, peu après son cinquantenaire, est ainsi devenu (a été rétrogradé au rang de ?) traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Autre incidence comptant parmi les plus frappantes du traité de Lisbonne, une nouvelle modification de la numérotation des dispositions provenant du traité instituant la Communauté européenne en est résultée – par exemple, l’article 174 CE devient l’article 191 FUE. Pourtant, ces dispositions sont, pour la plupart en ce qui concerne le domaine environnemental, reprises à l’identique ou avec des adaptations à la marge.
L’une des modifications potentiellement les plus prégnantes, celle dans le domaine de laquelle « les avancées sont les plus significatives »33, réside peut-être dans l’acquisition de la « force contraignante »34 par la Charte des droits fondamentaux, « laquelle a la même valeur juridique que les traités » (article 6, § 1, UE). Ce qui doit être mis en rapport avec l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH). Ainsi, « les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux États membres, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux (article 6, § 3, UE). De telle sorte que les droits subjectifs qui ont fait l’objet d’une reconnaissance jurisprudentielle significative en matière environnementale se retrouvent dans le champ de compétence de la Cour de justice. Toutefois, et cela est clairement affirmé tant pour la Charte des droits fondamentaux que pour la CEDH, les compétences de l’Union n’en sont pas pour autant étendues de quelque façon que ce soit35.
Il faut également relever le rôle accru des parlements nationaux qui disposent désormais du moyen de faire valoir les atteintes du législateur européen aux principes de proportionnalité et de subsidiarité. Les projets d’actes législatifs européens sont transmis aux parlements nationaux afin de leur permettre d’émettre un avis motivé concernant leur conformité avec le principe de subsidiarité, auquel cas, et sous réserve du franchissement de certains seuils permettant d’attester la concordance des points de vue d’un nombre significatif des dits parlements, la proposition doit être réexaminée. La Cour de justice « est compétente pour se prononcer sur les recours pour violation, par un acte législatif, du principe de subsidiarité formés (…) par un État membre ou transmis par celui-ci conformément à son ordre juridique au nom de son parlement national ou d’une chambre de celui-ci »36.
L’importance de la pression populaire est telle en matière environnementale qu’il faut aussi souligner l’introduction d’une potentielle situation de démocratie directe en la forme d’un référendum d’initiative populaire. Des citoyens de l’Union, au nombre d’un million au moins et « ressortissants d’un nombre significatif d’États membres », peuvent en effet prendre l’initiative d’inviter la Commission européenne à soumettre une « proposition appropriée sur des questions pour lesquelles ces citoyens considèrent qu’un acte juridique de l’Union est nécessaire aux fins de l’application des traités » (article 11, § 4, UE). Cependant, les procédures et conditions requises pour la présentation d’une telle initiative sont fixées par le Conseil et le Parlement européen.
Quelques additions substantielles présentent un aspect périphérique par rapport au droit de l’environnement pré-existant. D’une part, la nouvelle politique commune de l’énergie (article 194 FUE), si elle est assujettie à des conditions d’exercice particulièrement contraignantes, ne sera certes pas exempte d’interactions avec la politique de l’environnement37, mais il en est désormais ainsi de beaucoup d’autres politiques sectorielles, sinon de toutes, même si c’est à des degrés divers. D’autre part, l’Union se voit attribuer une compétence d’appui, excluant toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres à leur action de prévention des catastrophes naturelles ou d’origine humaine et de protection contre celles-ci (article 196 FUE).Par ailleurs, la disparition de la structure en piliers (qui conduit à ce qu’on aurait antérieurement appelé une « communautarisation » des composantes des deuxième et troisième piliers) résulte en une normalisation de la coopération judiciaire en matière pénale38. Ce qui permet de mettre fin au débat interinstitutionnel un peu trop érudit qui s’était instauré sur la question de savoir qui, de l’Union européenne (au titre du « troisième pilier » créé par le traité de Maastricht sur l’Union européenne) ou de la Communauté européenne, dans le cadre de ses efforts de mise en œuvre de la politique de l’environnement, avait compétence pour intervenir à l’égard de la répression des atteintes à l’environnement39, même si les frontières de cette compétence doivent encore être testées.
Pour ce qui concerne spécifiquement la politique de l’environnement, les évolutions mises en œuvre sont en substance celles qui l’auraient été par la Constitution européenne40. Quant au traité sur l’Union européenne, on se limitera ici à relever qu’il dispose désormais en son article 3, § 3, que « l’Union (…) œuvre pour le développement durable de l’Europe (…) et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement… »41 en lieu et place de l’article 2 CE.
Enfin, les modifications substantielles apportées aux dispositions spécifiques au droit de l’environnement sont très marginales :
– l’article 6 CE sur le principe d’intégration des exigences de la protection de l’environnement dans les autres politiques devient l’article 11 FUE, sans modification autre que formelle ;
– le protocole sur la protection et le bien-être des animaux conclu en 1992 est inclus à l’article 13 FUE et impose d’en tenir compte lors de l’élaboration et de la mise en œuvre des mesures relevant des domaines de la politique agricole commune, des transports, de la recherche et du marché intérieur ;
– l’article 95 CE devient l’article 114 FUE, sans modification de fond ;
– les articles 174, 175 et 176 CE, berceau de la politique de l’environnement, deviennent les articles 191, 192 et 193 FUE mais ne sont pas affectés dans leur substance, à la seule exception que la composante de la politique de l’environnement consistant en « la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l’environnement » vise « en particulier la lutte contre le changement climatique ».
Si les problématiques environnementales peuvent donc indifféremment se présenter dans le cadre géographique le plus limité aussi bien qu’à l’échelon planétaire42 ou à tout niveau intermédiaire, il n’en va pas de même de leur appréhension juridique. Les politiques de protection de l’environnement doivent en effet s’inscrire dans des contextes politico-juridiques qui diffèrent grandement, et ce pour des raisons largement historiques43.
Elles ne peuvent de ce fait à l’évidence être indifférentes aux distorsions fondamentales qui séparent les deux grandes familles de droit originaires. Plus familière nous est la famille romano-germanique, formée sur la base du droit romain, dans laquelle un rôle prépondérant est attribué à la loi et au code en vue de régler de manière quelque peu abstraite les rapports entre les citoyens conformément aux règles de conduite suggérées par les préoccupations de justice et de morale. Appliquées à la matière environnementale, ces caractéristiques ont pour conséquence théorique la prééminence du législateur pour déterminer les choix environnementaux et les arbitrages avec les autres objectifs, notamment économiques et sociaux. Elle s’oppose ainsi traditionnellement à la famille de la Common Law, où la règle de droit est formée par les juges, pour donner une solution à un procès44, ce qui impose que les précédents constitués par ces règles soient suivis « à peine de détruire toute certitude et de compromettre l’existence même de la Common Law »45. Dans le domaine environnemental, les grands pays de Common Law que sont les États-Unis ou l’Inde ont ainsi connu des périodes d’activisme judiciaire qui ont correspondu avec des progrès spectaculaires du droit de l’environnement.
Un autre facteur majeur des politiques environnementales réside dans l’organisation politique nationale et/ou l’appartenance à un ensemble régional actif dans ce domaine. Les problèmes de répartition de compétence entre les différents échelons politiques peuvent alors contribuer à façonner la règle de droit. Il en est particulièrement ainsi dans un domaine comme celui de la protection de l’environnement précisément parce que la dimension géographique ne coïncide pas avec celle des pays et que les aspects économiques sont souvent pertinents, voire décisifs.
Il suffit, pour se convaincre de la grande diversité des problématiques contextuelles, et donc de la difficulté de concevoir des interventions similaires ou au moins homogènes, de considérer les quatre blocs politiques, démographiques et économiques majeurs – c’est-à-dire, outre l’Union européenne, les États-Unis, l’Inde et la Chine. En effet, tout comme leurs niveaux de développement, leurs systèmes juridiques diffèrent profondément. Pourtant, la protection de l’environnement constitue un enjeu majeur pour chacun de ces grands acteurs mondiaux qui ont connu ou connaissent encore les affres d’une industrialisation pas toujours consciente de ses conséquences, bien que peut-être de façon différente.
Par exemple, en ce qui concerne les États-Unis, il convient de se garder de la perception prévalente et un peu méprisante46 d’une attitude américaine trop souvent considérée comme insuffisamment soucieuse des questions environnementales depuis que l’Europe s’est présentée au Sommet de la Terre à Rio de Janeiro en 1992 en championne de la protection de l’environnement et que l’administration américaine a ensuite refusé de s’engager dans la voie du protocole de Kyoto. En réalité, les États-Unis s’étaient dotés d’une législation environnementale performante et exigeante de manière au moins concomitante à celle des pays du vieux continent. Et l’hypertrophie du système processuel américain, de même qu’un civisme et une conscience environnementale plus exacerbés que dans bien des pays d’Europe du sud, a contribué à ce que le droit américain de l’environnement ait une avance incontestable sur son homologue européen dans les décennies 1970 et 1980. Il suffit d’ailleurs de se reporter aux publications juridiques spécialisées ou aux listes de praticiens spécialisés des deux côtés de l’Atlantique à cette époque pour s’en convaincre.
Au-delà de leurs multiples points de divergence et de concurrence, deux caractéristiques fondamentales communes aux systèmes juridiques de l’Union européenne et des États-Unis jouent un rôle essentiel à l’égard de leur appréhension des problèmes environnementaux : d’une part, l’influence des deux grandes familles de droits et, d’autre part, la répartition des compétences. Alors que seuls les droits anglais et irlandais relèvent de la Common Law au sein de l’Union européenne, tous les États fédérés américains sont profondément marqués de son sceau, à l’exception de la Louisiane47. Une manifestation certaine de cette appartenance réside dans la règle américaine du stare decisis, héritée de la règle anglaise du précédent jurisprudentiel, caractéristique de la Common Law48. Cet héritage est également démontré de manière quotidienne par un système processuel plus accusatoire que le nôtre, dans lequel les parties assurent la recherche de la preuve au moyen de la pre-trial discovery – dépositions des parties, interrogatoires écrits et demandes extensives de production de pièces – et en focalisant son administration sur la preuve testimoniale, y compris celle des parties elles-mêmes et de « leurs » experts techniques49. L’institution du jury populaire, également originaire d’Angleterre mais restée beaucoup plus vivace que dans ce pays50 car garantie en matière civile et pénale par la Constitution fédérale, les contingent fees des lawyers – pactes de quota litis –, les class actions et les punitive damages, qui n’ont pas cours en Angleterre, sont les facteurs spécifiques de l’hypertrophie bien connue du système judiciaire américain51. La modération que législateur et juridictions tentent d’apporter au système depuis les années 1980 est loin de l’avoir ramené au niveau des autres pays (en particulier de droit romano-germanique), témoin en est l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire de l’Exxon Valdez, qui a ramené les dommages-intérêts punitifs de 5 milliards de dollars à un peu plus de 500 millions, c’est-à-dire à égalité avec les dommages-intérêts compensatoires, non pas pour des motifs de due process ancrés dans la Constitution mais, s’agissant d’appliquer le droit maritime fédéral, dans un but de recherche du raisonnable52.
Ces distorsions majeures53 ont grandement contribué au développement rapide de la responsabilité civile, de manière générale. Il en a été ainsi, en particulier, en matière environnementale, au point que les communes bretonnes victimes de la catastrophe de l’Amoco Cadiz décident de poursuivre la compagnie pétrolière américaine Amoco aux États Unis, puis que l’Inde tente d’y obtenir réparation auprès d’Union Carbide après la catastrophe de Bhopal, en vain54.
Le deuxième point de comparaison entre les systèmes de l’Union européenne et des États-Unis qui présente une importance déterminante d’un point de vue environnemental réside dans le caractère pluraliste de ces deux pôles majeurs du monde développé. La question des domaines respectifs du droit fédéral et du droit des états fédérés se présente de manière quotidienne aux praticiens américains. Comme pour les États membres de l’Union européenne, la compétence législative de principe appartient aux états fédérés. La compétence fédérale est donc une compétence d’attribution55, comparable à celle de l’Union européenne. De manière logique, cette compétence d’attribution ne s’étend pas aux questions réputées d’intérêt local, par exemple la plupart des aspects du traitement des déchets et de l’utilisation des sols. De plus, les états fédérés conservent une compétence résiduelle à l’égard des dispositions du droit fédéral pour les compléter. Il en résulte une dispersion des pouvoirs d’autant plus importante que les contre-pouvoirs sont très effectifs aux États Unis : on y rencontre des relations souvent antagonistes entre le Président et le Congrès, un judiciaire et des médias généralement indépendants et parfois très actifs – tout au moins au XXe siècle – et des groupes d’intérêts rompus à l’art du lobbying, qu’ils représentent les milieux industriels ou la défense de l’environnement56.
C’est dans ce contexte complexe que les fortes préoccupations environnementales ont vu le jour et se sont développées au cours des décennies 1960 et 1970. Elles ont naturellement été relayées par un important corpus juridique. Déjà depuis 1969, le National Environment Policy Act américain dispose que les autorités fédérales doivent utiliser une approche systématique interdisciplinaire assurant la mise en œuvre intégrée des sciences naturelles et sociales et les « arts de la conception environnementale » dans les programmations et les prises de décisions susceptibles d’avoir un impact sur l’environnement humain57. Cette loi générique sur la protection de l’environnement constitue la première d’une série de cinq textes majeurs et fondateurs du droit américain de l’environnement qu’il est convenu d’appeler les « Big Five ». Les quatre autres sont le Clean Air Act (1970), le Clean Water Act (1977), le Resource Conservation & Recovery Act (1976) et le Comprehensive Environmental Response, Compensation and Liability Act (1980). Mais il convient aussi de mentionner, peut-être au même niveau, à tout le moins, l’Endangered Species Act (1973) et le Toxic Substances Control Act (1976).
La situation institutionnelle américaine est encore compliquée par le fait qu’à la différence de la Constitution fédérale, celles de la moitié environ des états fédérés contiennent des dispositions qui concernent la protection de l’environnement58. Surtout, et c’est évidemment là une originalité remarquable au-delà de l’anecdote, les tribus indiennes peuvent obtenir un statut dit treatment as state (traitement en tant qu’état) qui leur confère la compétence sur les questions environnementales, y compris en ce qui concerne la mise en œuvre et l’exécution du droit fédéral en territoire indien59. Or, la tradition indienne accorde à la nature une place très importante, la terre étant conçue comme un être vivant, et les êtres humains s’intégrant dans un système équilibré dans lequel les autres êtres vivants ont également leur place. En particulier, le principe indien de la « septième génération » veut que chaque génération aie le devoir de transmettre aux générations suivantes le legs des générations antérieures, et ce jusqu’à la septième génération suivante60, ce que n’est pas sans évoquer l’idée moderne de responsabilité intergénérationnelle. La majeure partie des traditions indiennes rattachent l’origine humaine à la terre (Mother Earth), comme pour toutes choses, de telle sorte que toutes les composantes de l’univers soient interdépendantes61.
On est alors tenté d’oser un parallèle que l’on sait a priori audacieux avec la Chine. La conception de l’ordre social qui s’y est développée jusqu’au XIXe siècle repose sur le postulat qu’il existe un ordre cosmique comportant une interaction réciproque entre le ciel, la terre et les hommes. Ainsi, l’un des sinologues et sociologues français les plus reconnus écrivait-il, avant l’avènement du régime communiste, que les Chinois ne se sont pas souciés de distinguer des règnes dans la nature, et n’ont nulle propension à l’anthropocentrisme : « les hommes ne l’emportent en noblesse sur les autres êtres que dans la mesure où, possédant un rang dans la société, ils sont dignes de collaborer au maintien de l’ordre social, fondement et modèle de l’ordre universel »62. L’harmonie dont, dans cette conception traditionnelle, dépend l’équilibre du monde et le bonheur des hommes, est en premier lieu une harmonie entre les hommes et la nature : « il convient, pour éviter les épidémies, les mauvaises récoltes, les inondations, les tremblements de terre, de tenir compte du cycle des saisons, de la position des astres, des événements de la nature pour accomplir les actes de la vie publique et privée »63. Cette harmonie est, en second lieu, une harmonie entre les hommes. Les peuples de l’Extrême-Orient ne se reposent pas sur le droit pour assurer l’ordre social et la justice. Le procès et la contrainte ne sont que de tout derniers recours, lorsque les autres méthodes de persuasion, les techniques de médiation et de conciliation ont échoué et qu’il n’existe plus d’autre possibilité que de faire « perdre la face » à son adversaire de la manière la plus radicale64.
Le régime communiste chinois n’a pas réellement rompu avec cette conception des relations sociales. Il faut dire que, lors de son avènement, en 1949, il a purement et simplement aboli en bloc toutes les lois, tous les décrets et tous les tribunaux existants. Pendant plusieurs dizaines d’années, l’affirmation du communisme chinois et la prépondérance de l’État sont prioritaires. De telle sorte que, si quelques lois sont promulguées à cette époque, « la politique du Parti communiste a complètement remplacé le droit ». Ce n’est qu’avec la politique de réforme et d’ouverture de Deng Xiao Ping à partir de 1979 que, constat d’échec économique aidant, une modernisation est entreprise et le système juridique réhabilité65. Des centaines de lois nouvelles sont adoptées, au cœur desquelles figure depuis 1986 un texte fondamental appelé « Principes généraux du droit civil » qui a les aspects d’un Code civil classique66, mais aussi des législations environnementales.
Le droit chinois de l’environnement est ainsi, de manière peut-être au premier abord quelque peu surprenante, largement contemporain de ses homologues américain et européen et tout aussi complet67. Il repose sur la loi du 26 décembre 1989 sur la protection de l’environnement68, qui énonce de manière transversale les grandes règles de la matière, lesquelles sont déclinées et précisées dans un certain nombre de textes à vocation plus sectorielle ou plus spécifique : la loi sur la protection de l’environnement marin (1983) ; la loi sur la prévention et la réduction de la pollution de l’eau du 11 mai 1984 ; la loi sur la prévention et la réduction de la pollution de l’air (initialement adoptée en 1987) ; la loi sur la protection de la vie sauvage (1988) ; la loi sur la prévention de la pollution causée par les déchets du 30 octobre 1995 ; la loi sur la prévention et la réduction de la pollution par le bruit (1999) ; la loi sur la promotion de la production « plus propre » du 29 juin 2002 ; la loi sur l’évaluation des impacts environnementaux du 28 octobre 2002. Ces premières séries de dispositions législatives ont ensuite été modifiées, parfois à plusieurs reprises, ce qui traduit une intention législative persistante.
Ainsi, de manière remarquable, il apparut que les exigences de la protection de l’environnement devaient être prises en compte dans l’examen des projets d’investissements directs étrangers en Chine. Les règles sur l’orientation de l’investissement étranger du 21 février 2002 le prévoyèrent bientôt expressément69 en ce qui concerne tant les sociétés sino-étrangères (Equity Joint-Ventures) que les joint-ventures contractuelles et que les sociétés à capitaux 100 % étrangers70. Les projets comportant des technologies et équipements nouveaux et susceptibles de permettre des économies d’énergie et de matières premières rares, d’utiliser ces ressources de manière exhaustive et de mettre en œuvre des ressources renouvelables ainsi que de limiter la pollution furent encouragés71. Les projets défavorables aux économies d’énergie et à l’amélioration de la biodiversité durent être restreints72 et ceux engendrant une pollution, détruisant les ressources naturelles ou portant atteinte à la santé humaine furent interdits73.
Certes, la situation générale de l’environnement en Chine est une préoccupation sérieuse, de l’aveu même de l’Agence d’État de protection de l’environnement (SEPA) dans une étude rendue publique en 200474. La relative complétude du droit chinois de l’environnement ne paraît ainsi pas suffisamment relayée et traduite par des actions concrètes et mesurables75. Pourtant, l’action publique en faveur de l’environnement, les dépenses publiques, ainsi que les déclarations gouvernementales manifestent une prise de conscience au niveau le plus élevé qui répond à une pression croissante d’une partie de l’opinion publique ainsi qu’à une certaine forme de pression internationale76. D’ailleurs, la recherche juridique environnementale est riche : un centre de recherches spécialisé existe à l’Université de Wuhan, dans la province de Hubeï, depuis 1981 ; lors d’un colloque consacré au droit à l’environnement qui s’y est tenu en septembre 2006, vingt-cinq ans après sa création, il a accueilli des chercheurs venant d’une vingtaine d’universités chinoises qui se sont exprimés sur ce thème. Dans un Livre blanc sur la protection de l’environnement en Chine diffusé en 2006, l’administration centrale soulignait que « le gouvernement chinois attache une grande importance à la protection de l’environnement, considérant que celle-ci se rapporte à la modernisation du pays dans son ensemble et à son développement à long terme, et constitue une œuvre favorable à l’humanité actuelle et à la postérité »77. Les signes du caractère réel de la volonté des autorités centrales de veiller au respect du droit de l’environnement se multiplient. Au cours de l’année 2007, la SEPA a ainsi annoncé deux initiatives spectaculaires. En janvier, en premier lieu, elle a, pour la première fois, suspendu la procédure d’approbation de projets industriels ayant des incidences dommageables pour l’environnement dans quatre villes particulièrement atteintes, ainsi que ceux de quatre fabricants dont les installations existantes n’avaient pas été soumises à la procédure d’évaluation préalable applicable. En avril, en second lieu, elle a adopté une initiative conjointe avec la banque centrale et la Banque populaire de Chine, visant à inclure des informations sur les performances environnementales des entreprises dans la base de données que cette dernière gère aux fins des décisions d’octroi de financements, les banques devant prendre ces informations en compte avant de leur accorder des crédits78. Courant août de la même année, elle a décidé que les exploitants de centrales thermiques de production d’énergie, d’aciéries, de cimenteries et les producteurs d’aluminium devraient désormais obtenir son approbation avant d’introduire leurs titres en bourse79.
Mais la législation chinoise est généralement considérée comme vague et rédigée de manière souple. Elle comporte ainsi une flexibilité qui permet de l’interpréter dans le sens des objectifs politiques prévalents. Les lois environnementales ne se distinguent pas, à cet égard, de sorte qu’une grande marge d’appréciation est permise aux autorités compétentes et aux tribunaux chargés de leur mise en œuvre et de leur exécution, ce qui conduit le plus souvent à des résultats décevants et incohérents80. À nouveau, les chiffres officiels paraissent néanmoins encourageants81.
Il n’est enfin pas inutile de compléter cette approche comparative rudimentaire par quelques éléments de réflexion sur le droit de l’environnement de l’Inde, autre grand bloc en termes démographiques et économiques qui s’est doté d’une telle législation. Le droit hindou, basé sur les préceptes de la religion hindoue, qui fut le droit commun de toute l’Inde, a vu son champ d’application se restreindre progressivement au profit d’un droit indien d’inspiration anglaise au point de ne plus couvrir aujourd’hui que le droit des personnes de la communauté hindoue. Mais la perception populaire des phénomènes environnementaux n’en est pas pour autant exempte de toute influence des conceptions juridiques et religieuses du passé. On lit ainsi que « pour l’hindouisme, l’univers tout entier est Dieu : l’homme qui en fait partie est une parcelle de la divinité ; il en est de même d’un tigre, d’un rosier ou d’un galet »82. On conçoit dès lors que les indiens soient particulièrement sensibles à l’environnement puisqu’ils en sont ainsi parties intégrantes dans leurs conceptions les plus profondes, au même titre que les animaux, les végétaux et les minéraux. Un traité de droit indien le confirme dès son introduction : « l’Inde avait une tradition antique d’accorder une attention constante à la protection de l’environnement »83. L’un des trois recueils de règles intéressant le comportement des hommes, le dharma-sastra, qui indiquait les règles de la vie morale avec pour but la béatitude éternelle84, prescrivait à l’individu de protéger et de chérir la nature85. Les bois sacrés sont ainsi restés intacts et exempts de toute perturbation depuis des temps immémoriaux, les arbres étaient adorés et les rivières considérées comme des déesses ; la déforestation et l’abattage des arbres étaient inconcevables. Certains rites avaient pour objet la purification de l’air et le droit à la vie dans des lieux sains était reconnu86.
Après près d’un millénaire de domination musulmane, du VIIIe au XVIIIe siècle, les anglais n’ont pas cherché à imposer leur droit en Inde. Cependant, le droit hindou n’en a pas moins été appliqué avec certaines déformations dues à l’incompréhension des coutumes ancestrales par les juges britanniques et à leurs méthodes propres attachant au précédent judiciaire une autorité que ne lui reconnaissait pas la tradition hindoue87. Même si, lors de l’indépendance, en 1947, le Parlement a modernisé le droit hindou de manière radicale, la méthode de la Common Law reste profondément ancrée dans les mœurs juridiques indiennes et la référence aux précédents anglais demeure omniprésente, fût-ce pour s’en éloigner : « l’essentiel du droit anglais a été introduit dans l’Inde », que ce soit par l’intermédiaire de l’adoption de codes et de lois qui en sont plus largement inspirés qu’ils ne le sont d’autres systèmes ou par la pratique basée sur la terminologie et les concepts propres à la Common Law, la conception de la fonction judiciaire, ou encore l’importance attribuée à l’administration de la justice et à la procédure88.
L’Inde moderne a, elle aussi, un système fédéral, dans lequel tant le Parlement central que les assemblées législatives des 25 états qui constituent l’Union disposent d’un pouvoir législatif soigneusement réparti par une Constitution écrite particulièrement précise (ce qui la distingue de la Constitution américaine)89. L’appareil normatif fédéral est à peine moins fourni et plus récent que ses équivalents européen et américain : on cite notamment The Indian Wildlife (Protection) Act, 1972 ; The Water (Prevention and Control of Pollution) Act, 1974 ; The Air (Prevention and Control of Pollution) Act, 1981 ; The Hazardous Wastes (Management and Handling Rules), 1989 et The Biological Diversity Act, 2002.
Depuis de nombreuses années, la Commission européenne ne manque pas une occasion de souligner les importantes « faiblesses » de la mise en œuvre du droit européen de l’environnement90. Sans surprise, le Conseil les a longtemps attribuées à une série de causes tenant à la complexité des phénomènes environnementaux plus qu’aux réticences des États membres91. Le phénomène est non seulement notoire, mais encore objet d’étude92.
La montée en puissance du contentieux de l’application du droit européen de l’environnement date du début des années 2000. La Commission a porté 49 manquements aux obligations des États membres dans le domaine de l’environnement devant la Cour de justice en 2001, 65 en 2002 et 58 en 2003, en augmentation significative par rapport aux années précédentes : 15 en 1998, 43 en 1999 et 39 en 200093. Son VIIe rapport sur la mise en œuvre et le contrôle de l’application du droit communautaire de l’environnement94 a relevé ce qui pouvait paraître comme une remarquable sorte d’embellie : le nombre de procédures d’infraction ouvertes avait « considérablement » baissé en 2005 puisqu’il n’était « que » de 489 à la fin de l’année alors qu’il s’élevait à 570 fin 200495. Il est vrai que la Commission s’en appropriait une partie du mérite, se félicitant d’avoir adopté une approche « plus stratégique » en regroupant les affaires similaires et en « se concentrant sur les cas généraux concernant plusieurs domaines d’action », et même en renforçant l’« aide » qu’elle apporte aux États membres96. Néanmoins, elle avertissait aussitôt qu’une nouvelle réduction majeure ne pouvait être espérée dans un futur proche, en raison tant des élargissements successifs que du contrôle systématique qu’elle exerce désormais97. Au demeurant, elle relevait que, sur les 489 affaires ouvertes en 2005, celles concernant les dix « nouveaux » États membres n’étaient qu’au nombre de 7998, ce qui paraît laisser subsister une marge de progression significative.
La Cour de justice rendait généralement une à deux douzaines d’arrêts par an en matière d’environnement : 21 en 1999, 16 en 2000 et 20 en 2001. Cependant, elle en a prononcé 43 en 2002, 50 en 2003, 62 en 2004 et 51 en 2005, semblant ainsi indiquer une tendance à l’augmentation du contrôle juridictionnel. Puis, confirmant l’embellie signalée par la Commission relativement à l’année 2005, on n’a plus dénombré que 36 arrêts en 2006. Toutefois, en 2007, pas moins de 40 arrêts en manquement allaient intervenir, sans compter 6 en interprétation ni une bonne douzaine d’arrêts du Tribunal (dont 7 relatifs aux décisions de la Commission sur les plans nationaux d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre). Le cru 2008 a ainsi pu être qualifié de « médiocre » ou d’« encourageant » selon la perspective adoptée, puisqu’une quarantaine de ces décisions est intervenue, à comparer à la cinquantaine ou la soixantaine d’affaires généralement tranchées depuis 200399. En revanche, le nombre total de décisions était sensiblement plus élevé si l’on y inclut les onze rendues par le Tribunal puisqu’il s’inscrivait alors dans la tendance observée au cours des années précédentes. Cette activité record du Tribunal était largement due à une deuxième vague de recours relatifs aux décisions de la Commission sur les plans nationaux d’allocation de quotas d’émission de gaz à effet de serre, lesquelles ont alors donné lieu à pas moins de huit décisions100, dépassant de très loin le contentieux des aides d’État à l’environnement et celui des mesures de sauvegarde au titre des articles 95, § 4 et § 5, CE (devenus articles 114, § 4 et § 5, FUE), trois domaines dans lesquels le Tribunal intervient en première instance. En 2009, la Cour remontait son score, si l’on ose s’exprimer ainsi, avec 50 décisions, contre 4 seulement pour le Tribunal. De plus, on relevait une nouvelle tendance avec, parmi les sept recours en nullité tranchés par la Cour, six concernant des actes de la Commission contre un seul à valeur législative.
Évolution du nombre de décisions de la Cour de justice et du Tribunal101 intéressant l’environnement (notamment les manquements de la France au droit de l’environnement)
Une fois passée cette première décennie d’intense activité de la jurisprudence environnementale européenne, il était permis de penser que son rythme allait se stabiliser, mais il n’en fut rien. Qu’on en juge : la Cour allait rendre 34 décisions en 2010, 26 en 2011, 32 en 2012, 50 en 2013, 44 en 2014… autant dire qu’une tendance globale n’est pas réellement discernable.
Dans plus de la moitié de ses arrêts rendus en 2008 et en 2009 en matière environnementale (22 sur 40 environ la première année, 29 sur 50 la seconde), la Cour a prononcé des condamnations d’États membres pour manquement aux obligations qui en découlent pour eux. Cette proportion est ensuite restée plus ou moins stable avec 18 condamnations en manquement sur 34 décisions en 2010, 9 sur 26 en 2011, 18 sur 32 en 2012, mais seulement 13 sur 50 en 2013, et 16 sur 44 en 2014.
L’Italie a été condamnée 13 fois à elle seule en 2007 ! Après avoir connu une période de calme relatif, la France a été concernée à 3 reprises en 1999, 2 en 2000, 4 en 2001, 7 en 2002, 7 en 2003, 7 encore en 2004 4 en 2005, deux fois en 2007, en 2010, en 2011 et en 2013, et une seule fois en 2014. Evénement de ce fait remarquable, elle n’a compté aucune condamnation pour manquement au droit de l’environnement en 2006 et en 2012. Quant à la Belgique, elle a été condamnée, elle aussi, à 3 reprises en 1999, mais une seule fois en 2000 et en 2001, et 3 arrêts ont été prononcés contre elle au cours de chacune des années entre 2002 et en 2005, puis un seul en 2006 et 2 en 2007102.
Évolution du nombre de décisions de la Cour de justice et du Tribunal103 intéressant l’environnement, par type de recours
Cependant, ainsi qu’il a été relevé ci-dessus, cette baisse quantitative n’est pas révélatrice d’une amélioration réelle de la mise en œuvre du droit européen de l’environnement. En effet, selon la Commission, elle résulte principalement d’un traitement « rationalisé » des plaintes et infractions. Ainsi, priorité est désormais donnée aux problèmes « structurels » en groupant des affaires ayant le même objet et en déclenchant des poursuites « horizontales » en cas de problèmes systématiques. Des négociations périodiques au cours de « réunions-paquets » avec les États membres contribuent de manière plus qualitative à l’apparente embellie104.
De plus, et peut-être surtout, on constate une forte augmentation du nombre d’arrêts en interprétation préjudicielle : 6 en 2007, 11 en 2008, 14 en 2010, 16 en 2011, progression seulement interrompue en 2012 avec 12 arrêts mais aussitôt reprise avec 22 en 2013 et 23 en 2014. On est alors tenté d’y voir le signe d’une appropriation du droit européen de l’environnement par le juge étatique dont on ne peut que rappeler qu’il est le juge de droit commun du droit de l’Union. Si tel est bien le cas, une deuxième constatation s’en infère, celle d’une normalisation ou d’une banalisation du contentieux européen de l’environnement. Or, de tels phénomènes ne pourraient alors qu’être salués puisqu’ils seraient éminemment porteurs d’espoir pour son application et, par voie de conséquence, pour la protection de l’environnement.
Sans doute faut-il également voir dans la relative décroissance des condamnations en manquement, surtout en considération des élargissements successifs, l’effet dissuasif des sanctions pécuniaires auxquelles les États membres font désormais face en cas de « double manquement » prévues par l’article 260 FUE (ex-article 228 CE)105. La Cour a notamment jugé qu’en n’assurant pas un contrôle des activités de pêche et en ne poursuivant pas les infractions conformément aux exigences prévues par les dispositions communautaires, la France n’avait pas mis en œuvre toutes les mesures que comporte l’exécution de son précédent arrêt. Celui-ci datait, il est vrai, de près de quinze ans106 ! Elle a manqué, de ce fait, aux obligations qui lui incombaient, ce qui lui valut d’être condamnée à une astreinte de 57.761.250 euros pour chaque période de six mois et à une amende forfaitaire de 20.000.000 d’euros107. Fin 2005, 77 procédures restaient ainsi ouvertes pour non-respect d’un arrêt antérieur, dont 14 concernaient la France108. L’aspect spectaculaire de telles sanctions, plus largement médiatisées que les « simples » condamnations au titre de l’article 258 FUE (ex-article 226 CE) eu égard à leur impact budgétaire, pourrait contribuer à expliquer que 89 % des procédures d’infraction classées par la Commission en 2005 l’ont été en conséquence de mesures curatives prises par l’État membre concerné109