Meurtres à La Rochelle - Frédéric Bodin - E-Book

Meurtres à La Rochelle E-Book

Frédéric Bodin

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Beschreibung

Trois corps sans tête sont retrouvés à La Rochelle : y a-t-il un lien entre ces trois meurtres ?

La Rochelle, juillet 2014. Un corps sans tête est retrouvé aux Minimes. Puis un deuxième quelques jours plus tard dans la cathédrale. Enfin un troisième au musée du Nouveau Monde. À quelques semaines de son départ à la retraite, le commissaire Pierre Laroche est chargé d’enquêter, aidé par son second, le lieutenant Roullin. Y a-t-il un lien entre ces trois meurtres ? Les policiers sont entraînés dans le tourbillon de l’histoire locale et sur les quais de la cité maritime à la fin du XVIIIe siècle.

Suivez pas à pas les investigations du commissaire Laroche et du lieutenant Roullin entraînés dans le tourbillon de l’histoire locale et sur les quais de la cité maritime à la fin du XVIIIe siècle.

EXTRAIT

— Entrez Mademoiselle Durtal. Permettez que je vous appelle ainsi, car c’est cet aspect de votre vie que je veux évoquer avec vous. Connaissez-vous l’histoire de votre famille ? Jusqu’au xviiie siècle, s’entend.
— Je m’attendais à beaucoup de choses commissaire, mais pas à cette question-là. Je peux vous dire jusqu’à mes grands-parents mais avant ? Peut-être mon père le sait-il ? Mes parents doivent arriver à La Rochelle demain matin.
La montre, toujours la montre…
— Ce sera trop tard. Il faut que je leur parle aujourd’hui.
— Je ne connais pas par cœur leur numéro de téléphone. Il est dans les contacts du mien. Mais c’est vous qui l’avez.
Laroche finit par joindre Monsieur Durtal père après que l’on eut raccompagné sa fille en cellule. À son grand étonnement, celui-ci s’était montré coopératif. S’il ne connaissait pas totalement l’arbre généalogique de son ascendance, il fut néanmoins capable de dire que dans la famille, on était avocat depuis bien longtemps. Il n’y avait sans doute pas de Durtal au pied du chêne quand Saint-Louis y rendait la justice, mais à la fin du xviiie, oui sûrement.
— Mais je ne vois pas où vous voulez en venir commissaire ? Pourquoi ces questions sur notre passé.
— Parce que j’enquête sur la mort de votre gendre et sur deux autres. Et c’est dans le cadre de cette enquête que votre fille Agnès est en garde à vue depuis trente-six heures, parce que nous avons le sentiment qu’elle a bien des choses à nous cacher dans ces affaires.
— Parce que vous mettez en garde à vue sur des sentiments dans votre police ?
— Non, Monsieur Durtal, mais vous savez bien que cette procédure permet de faire avancer une enquête. Et que si nous n’avons rien à reprocher à votre fille, elle sera relâchée, comme le prévoit la loi. La loi que vous et moi avons à cœur de respecter. Donc je reprends. Connaissez-vous également la généalogie de la famille de votre épouse ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né à Thouars, Frédéric Bodin est journaliste dans un quotidien régional ( La Nouvelle République du Centre-Ouest) à Niort, où il est arrivé à l’aube de ce XXIe siècle après avoir passé une vingtaine d’années à Nantes. Passionné de tout ce qui touche au chemin de fer depuis que, tout gamin, il voyait évoluer les énormes machines à vapeur en gare de Thouars, il est par ailleurs amateur de plongées dans les archives, il conjugue les deux dans ce premier roman.

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Meurtres à la rochelle

Le Mystère de la reine de Guinée

Collection dirigée par Thierry Lucas

© 2018 – – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Frédéric Bodin

Meurtres à la rochelle

Le Mystère de la reine de Guinée

– I –

La Rochelle, 11 juillet 1784

La Reine de Guinée avait fière allure. Ce navire à trois mâts était à l’amarre à Chef de Baie. Son pont une vraie ruche. Le capitaine François Chargé y jetait un œil bienveillant. Dans quelques jours, il devra prendre la mer pour une nouvelle expédition vers les côtes africaines, chargé de 350 tonneaux de marchandises, avec un équipage de cinquante-cinq hommes, y compris l’état-major. Il filerait ensuite en direction des îles des Amériques, avant un retour vers son port d’attache, La Rochelle.

François Chargé en était à son troisième voyage. Presque deux années de mer à chaque expédition. Pour la première fois cependant, le voilà « seul maître à bord après Dieu ». Capitaine du navire. Les deux précédentes, il avait tenu le rôle de second. Il lui fallait donc absolument honorer la confiance que lui faisait l’armateur Nicolas Guinaudeau.

— Alors François, prêt pour la grande aventure ?

— Oui Monsieur. Comme vous pouvez le constater, le chargement va bon train.

François Chargé et Nicolas Guinaudeau se connaissaient depuis une dizaine d’années. Depuis que le premier naviguait sur le navire du père du second. Les deux avaient à peine plus de trente ans. Aujourd’hui, Nicolas avait repris les affaires familiales après le décès du patriarche et François s’était vu confier le rôle de capitaine lorsque son prédécesseur en fut empêché par la maladie.

Sur le quai, le défilé des chariots était incessant. Des embarcations se chargeaient d’amener à son bord vivres et marchandises destinées au commerce dans les contrées africaines. Tout était soigneusement pointé par le représentant de l’armateur. Une expédition comme celle-ci coûtait suffisamment cher pour que le moindre objet soit comptabilisé.

— Dites-moi François, vous ne m’avez encore pas présenté votre plan de navigation.

— Ce sera fait dans les prochaines heures, Monsieur. Pourrai-je me présenter à votre domicile cet après-midi pour vous le déposer ?

— J’y compte bien, François. Disons à deux heures.

Bien qu’ils se soient côtoyés dix ans plus tôt en des lieux nocturnes pas forcément fréquentables de la ville, les deux hommes s’obligeaient au voussoiement. Le plan de navigation, Nicolas s’en contrefichait un peu. Il connaissait suffisamment François pour savoir qu’il choisirait la route la plus rapide et la plus sûre pour rejoindre la côte de Guinée, première escale de ce long périple.

Mais à deux heures de relevée, il le recevrait bien volontiers en son hôtel particulier, autour d’un café.

– II –

La Rochelle, vendredi 11 juillet 2014

Elle était là sur la table du petit-déjeuner. Le commissaire Pierre Laroche avait beau essayer d’avaler un café, ça ne passait vraiment pas ce matin. ELLE, c’est une lettre à l’en-tête de la République Française, ministère de l’Intérieur.

« Monsieur, par la présente, je dois vous vous informer qu’atteint par la limite d’âge autorisée, vous ne ferez plus partie des effectifs de la police nationale à compter du 1er janvier 2015 ».

La suite de la lettre était manuscrite.

« Cher Pierre, désolé d’avoir à t’infliger ça. Mais ça fait un bon bout de temps que je te conseille de ne pas t’accrocher et de passer à autre chose ».

C’était signé Michel Couteau, directeur général de la police, mais surtout vieil ami d’un temps où ils entrèrent dans l’institution à Paris.

Pierre Laroche était commissaire principal, affichait 62 ans et avait déjà obtenu une dérogation pour continuer au-delà de 59 ans, âge auquel il aurait dû cesser son activité.

Le téléphone vibra sur la table et le ramena à la réalité.

— Laroche !

— C’est Alexandre, commissaire.

— Je m’en doute, je vois ton nom qui s’affiche. C’est le mort du jour ?

— Vous ne croyez pas si bien dire patron. Un corps découvert aux Minimes sur un chantier de travaux publics.

— Je passe te prendre au bureau gamin.

Gamin, Alexandre Roullin l’était effectivement. Le petit dernier dans le service. Jeune lieutenant de police tout juste arrivé de la région parisienne où il en avait un peu bavé dans son premier poste. Une opération qui avait mal tourné dans une cité du nord de Paris et l’administration avait accepté de l’envoyer au vert, ou plutôt au bleu à La Rochelle. Après cinq années de carrière seulement, ça devait être du lourd.

Laroche l’aimait bien, son « gamin ». Sans doute parce qu’il voyait en lui une sorte de réincarnation, une décalcomanie de ce qu’il fut presque quarante ans plus tôt.

Jeune flic commençant sa carrière à Créteil dans le Val-de-Marne, au milieu des cités nouvellement construites, mais en un temps où personne n’aurait imaginé ce que cela aurait généré comme délinquance à l’avenir.

Dix minutes plus tard, Alexandre Roullin sautait dans la voiture de son patron, direction les Minimes au milieu d’une circulation de jour de Francofolies.

La voiture justement. À nulle autre pareille. Une CX Citroën, 2500 turbo-diesel, modèle 1981 que Pierre Laroche avait surnommé « La Mitterrandienne » eu égard à son année de « naissance ». L’autoradio à cassette crachait sa musique : la 6e symphonie de Beethoven, dite Pastorale, troisième mouvement, « l’orage ». Par l’orchestre philarmonique de Berlin dirigé par Herbert von Karajan, qui en aurait sans doute cassé sa baguette de rage s’il avait entendu ce bruit de casserole. Laroche, lui, s’en accommodait. Et puis de toute façon, ce n’est pas maintenant qu’il changerait sa vieille guimbarde.

ELLE était là, posée sur le tableau de bord et accrocha l’œil du lieutenant Roullin. Il fit aussitôt le rapprochement avec l’humeur matinale bougonne du « patron ». Alexandre osa.

— Quelque chose qui ne va pas ce matin, commissaire ?

— Ça ! lui répondit Laroche en montrant l’enveloppe d’un signe de tête. Tu te rends compte gamin. Ils me foutent dehors à la fin de l’année. Trop vieux qu’ils disent. Au rebus, monsieur le commissaire principal ! À la retraite d’office.

— La fin de l’année, c’est dans cinq mois, patron. Vous avez le temps de vous faire à cette idée.

— Alors, si je comprends bien, toi aussi t’es content de me voir partir. C’est ça, hein.

— C’est pas ce que je veux dire…

— Et bien rassurez-vous, vous me verrez déguerpir avant. Avec les congés de retard, que cette administration aujourd’hui sans le sou n’acceptera pas de me payer, je devrais partir vers la fin septembre.

La CX filait vers le nouveau port de plaisance en passant par le boulevard de la République. Alexandre Roullin hurla de tout ce que sa voix pouvait sortir. Sur le rond-point, le feu était au rouge. Surpris, Laroche écrasa le frein. Un énorme coup de klaxon retentit. Le bus Illico qui venait de Bongraine passa à dix centimètres du « nez » de la CX.

Laroche resta stoïque accroché à son volant. Son visage avait cependant changé de couleur. Il était blanc comme un linge de cuisine.

— Ça va patron ?

— Ouais gamin, ça va aller…

— Vous ne voulez pas que…

— … que tu conduises la Mitterrandienne ? Pfffft. Ah puis si, tiens.

Suprême honneur, Alexandre Roullin, s’assit à la place du conducteur. Ce que personne ne fit avant lui en trente-trois ans. Il prit la direction de l’avenue du Lazaret aux Minimes.

— C’est où ?

— Dans une rue juste derrière. La rue Lucile.

En ce début de matinée estivale la foule avait déjà envahi le port de plaisance. Le grand parking supportait son lot habituel de camping-cars installés là, collés-serrés.

La rue Lucile était fermée. Un bus articulé en obstruait l’entrée. Le chauffeur négociait le droit de passer car il ne pouvait faire demi-tour. Laroche descendit de la CX.

— Qu’est-ce que c’est que ce foutoir ?

Le gardien de la paix en faction au carrefour ne voulait rien savoir.

— Il est où ce cadavre ? Au milieu de la route ?

— Non, commissaire. Dans un jardin juste à côté.

— Alors, ce bus, il ne va gêner personne. Vous voyez bien que de toute façon il ne peut pas manœuvrer. Alors laissez-le passer.

Puis s’adressant au chauffeur :

— Et vous, faites savoir à vos collègues qui vont arriver derrière qu’ils ne viennent pas jusque-là.

Les deux s’exécutèrent. Roullin fit entrer la CX dans la rue Lucile. Cent mètres plus haut dans le terrain d’une résidence, l’identité judiciaire était déjà au travail.

— Ah commissaire, restez peut-être en arrière. Enfin, je vous aurai prévenu.

Marie venait de mettre en garde le « patron ». Technicienne d’IJ depuis quinze ans, elle avait vu bien des choses. Mais là !

N’écoutant que son courage, Laroche s’avança quand même. Quarante ans de police, on n’allait pas la lui faire. Le corps était là, entièrement dénudé. Au fond d’une tranchée. Tranchée l’était aussi la gorge du malheureux qui y gisait, vu qu’il n’y avait plus de tête. Et émasculé en plus de ça.

— Qu’est-ce que tu as Marie ?

— Rien patron. Pas la moindre trace de quoi que ce soit. Et comme vous pouvez le constater, ce n’est pas du côté des vêtements qu’on aura quelque chose.

— Gamin, commence à voir avec le voisinage s’ils ont entendu quelque chose. Et puis, il faut savoir à quoi était destiné ce foutu trou.

C’est Marie qui répondit sur ce dernier point.

— Le gardien m’a dit qu’une entreprise de travaux publics l’a creusé hier après-midi. On doit installer là un équipement destiné à la fibre optique. Une sorte d’armoire enterrée.

— Ouais, une armoire qui a failli servir de caveau. T’as une idée de l’heure de la mort.

— Compte tenu de la rigidité du corps, je dirais entre une heure et trois heures du matin. Mais c’est comme ça, à la louche. Ce qui est pratiquement sûr, c’est que puisqu’il n’y a pas beaucoup de traces de sang autour, on peut supposer qu’il n’a pas été tué là mais y a été amené.

— L’âge ?

— Je dirais la quarantaine !

— Et… comment dire… ce qui manque ?

— Rien vu à proximité, commissaire.

Dans les immeubles alentour, le déploiement policier n’avait pas manqué de faire venir aux fenêtres les curieux. Ce qui facilita le travail de Roullin pour l’enquête de voisinage. Il fit descendre les personnes une à une.

Le résultat ne fut pas probant. Personne n’a rien vu ni entendu au milieu de la nuit dans cette rue calme.

On installa des bâches autour de la scène de crime. L’équipe de l’identité judiciaire au grand complet arriva sur les lieux pour procéder aux relevés complets.

— Marie, je veux ton premier rapport sur mon bureau en début d’après-midi.

– III –

La Rochelle, après-midi du 11 juillet 1784

Le ballet des chaloupes se poursuivait dans le port. Et le chargement de la Reine de Guinée avançait. François Chargé, livre de comptes sous le bras, grimpa dans l’une d’elles et quitta le bord pour son rendez-vous avec Nicolas Guinaudeau.

À La Rochelle, la famille Guinaudeau était une institution. Elle figurait depuis des décennies au nombre de celles qui avaient bâti leur fortune sur le commerce de mer. Le grand-père avait siégé dès sa création en 1719 à la Chambre de commerce. Elle contrôlait toute l’activité portuaire et sa devise était « À sa faveur je m’enrichirai », . Un programme. Tout comme les Rasteau, autre grande famille installée dans la place, les Guinaudeau étaient de religion protestante.

François Chargé se rendit dans la rue Porte Neuve. Un majordome le fit patienter dans le vestibule de cette demeure cachée dans une cour intérieure. Nicolas Guinaudeau fit son apparition en haut du grand escalier, s’y arrêta de sorte que son hôte ne put manquer toute la descente.

— Cher François, j’apprécie votre ponctualité. Elle vous honore.

Et il savait de quoi il parlait, lui qui était connu dans La Rochelle pour être toujours très en retard à ses rendez-vous. D’affaires comme galants.

— La marée montante permet d’éviter les désagréments d’un temps de voyage aléatoire, lui répondit avec humour François Chargé.

Nicolas Guinaudeau esquissa un sourire et fit entrer le capitaine dans son cabinet de travail au rez-de-chaussée. Le maître des lieux s’assit derrière un petit bureau sur lequel étaient entassés quelques livres de comptes. Il invita François à s’installer dans l’un des trois fauteuils disposés juste devant. Ce dernier entrait dans cette pièce pour la première fois. Il en admira la tapisserie à fleurs. La pendule posée sur la commode égrenait les secondes dans le silence du moment. Avant de donner la parole au commandant de son navire, Nicolas mit un peu d’ordre dans ses affaires.

— Alors François, où en sommes-nous ce jour ?

— Le chargement se poursuit, monsieur, mais je ne vous cache pas que nous avons quelques soucis pour nous approvisionner dans certaines matières. La concurrence est rude et quelques-uns n’hésitent pas à faire monter les prix. Je vous livre ce message reçu ce matin de Monsieur Rouleau, négociant à Marennes.

« Monsieur, je me chargerai avec plaisir de l’achat de 600 boisseaux de fèves que vous me dites avoir besoin. Mais j’ai la mortification de vous dire que je ne puis vous faire cet achat aux conditions que vous me proposez pour le paiement, n’ayant aucun moyen pour me procurer l’argent qui est, comme vous le savez, des plus rares pour faire ces sortes d’achats. Il faut de toutes nécessités avoir l’argent à la main, autrement, il n’y faut point penser.

On achète ici à dix livres notre boisseau, ce qui reviendra à dix livres, douze sols rendu à bord de barque. La récolte n’a pas été abondante. Je crois bien que ceux qui en auront besoin feront bien de se décider promptement. »

— C’est hors de prix, hurla Nicolas.

— Mais indispensable, reprit François.

— On dirait que les commerçants locaux veulent mettre à mort la vie du port. Avez-vous d’autres solutions ?

— À vrai dire non, monsieur.

— Proposez à ce monsieur neuf livres et nous payons de suite.

— C’est que… vous savez qu’il y a actuellement cinq bateaux en attente de départ pour une expédition comme la nôtre. Je ne suis pas certain qu’il accepte.

— Quoi d’autre ?

— J’étais venu avant tout pour vous expliquer notre parcours pour rejoindre les côtes d’Afrique.

— Peu m’importe la route, François. Je sais que vous ferez au mieux avec votre expérience et que vous ne mettrez jamais en péril cette expédition. En revanche, les conditions qui nous sont faites aujourd’hui dans les ports me semblent inacceptables. Pourquoi ne m’avez-vous pas prévenu plus tôt de cette hausse exorbitante des matières premières ?

Nicolas virait au rouge à la seule idée que la facture du départ serait plus lourde que prévu. Et puis il y avait cette fichue histoire d’assurance en négociation avec un courtier de Londres qui lui demandait des sommes astronomiques pour la cargaison.

Il avait beau compter et recompter, la note était salée. Et il y avait les gages de l’équipage à payer avant le départ. Qu’importe, le bateau devait partir.

Quand François ? Quand comptez-vous prendre la mer ?

La semaine prochaine, Monsieur. Pas après. Il nous faut un peu d’avance sur les autres bateaux annoncés au départ.

– IV –

Vendredi 11 juillet, après-midi

La « Mitterrandienne » était garée sur les places en épi juste devant le commissariat, place de Verdun. Laroche était en face, au Café de la Paix, illustre établissement d’un autre temps. Il y avait ses habitudes et déjeunait avec quelques copains. Qui avaient remarqué son air tracassé. Il leur raconta LA lettre et cette perspective qui ne l’enchantait guère : se retrouver à faire les mots croisés et regarder les jeux de l’après-midi sur France 3.

Il passa pour un doux illuminé. Son vieux pote Jean, lui-même flic retraité, l’envoya même promener.

— Oh, ne commence pas ! Regarde-moi, est-ce que j’ai l’air de m’emmerder ? Je suis un bienheureux depuis cinq ans.

Laroche ne prit même pas la peine de lui répondre.

— Bon allez, j’ai du boulot. On a trouvé un cadavre aux Minimes ce matin. Je crois que c’est du lourd.

Il tourna les talons sans même un au-revoir. Pierre Laroche détestait ce commissariat vétuste que l’on devait déménager depuis au moins quinze ans, dont les peintures dataient d’un temps lointain et les fenêtres tombaient en décrépitude. Et ce ne sont pas les médaillons à l’effigie de Réaumur et Dupaty ornant la porte principale, ni même les angelots encore visibles sur la façade qui, à ses yeux, rendaient ce bâtiment plus sympathique.

Il avait toujours un peu d’empathie pour ses collègues logés ici, car son antre à lui, l’antenne de la police judiciaire était installée dans un immeuble certes moins classe, mais tout aussi minable rue Léonce-Vieljeux. La CX démarra dans un nuage de fumée sous le regard médusé du planton du commissariat. Le rapport devait l’attendre sur son bureau.

Marie, la technicienne de l’IJ avait tenu parole. Le premier rapport sur le corps retrouvé quelques heures plus tôt aux Minimes était posé sur le bureau. Succinct, certes, deux feuillets dactylographiés, mais bien là. Marie passa la tête par l’entrebâillement de la porte.

— Alors commissaire, je peux aller déjeuner ? Parce que je vous ai fait ça entre midi et deux.

Pierre Laroche leva le nez et la regarda d’un air bizarre.

— Euh… Ah oui, bien sûr. Désolé pour le dérangement.

Le commissaire commença la lecture. Passa rapidement sur la description des lieux, il y était allé le matin. C’est au bas du premier feuillet que commençait le plus intéressant. L’observation était plus fine que le premier compte rendu fait le matin.

« Corps de sexe masculin. Retrouvé sans tête ni attribut génitaux. Un mètre soixante dix vraisemblablement pour un ^poids estimé à quatre vingt kilos. L’individu a été retrouvé dans le fond d’une cavité creusée quelques heures auparavant si l’on en croit l’état de la terre encore très humide. La rigidité cadavérique constaté permet de situer l’heure de l’homicide à deux heures du matin. Le corps était vidé de son sang. Compte tenu de la faible quantité de sang trouvé dans la cavité, il est vraisemblable que l’homicide n’a pas été commis sur les lieux de la découverte. Le corps ne présente aucune autre marque de coups apparente. L’autopsie le confirmera ou l’infirmera. Tout comme elle nous donnera plus d’indication sur l’âge de la victime que l’on peut évaluer à une quarantaine d’années. »

Laroche posa le rapport. Tout cela le laissa perplexe. Le « gamin » Roullin osa à son tour pousser la porte.

— Alors patron, vous avez les premiers éléments de l’IJ ?

— Ouais, lis-moi ça. Décapité et émasculé, sans doute pas sur place, vers deux heures du matin, et apparemment pas de trace d’autre violence. Ça fleure bon le guet-apens.

— Surtout qu’on l’a retrouvé dénudé. Pas le moindre indice côté fringues. J’espère que les prélèvements ADN parleront.

— Dis-donc « gamin », est-ce que t’as vu le proc’ ce matin sur les lieux ?

— Non patron, mais cette semaine c’est Garnier qui est de permanence au parquet et vous savez bien que pour le faire sortir de son bureau, il faudrait que ce soit la Chancellerie qui lui en donne l’ordre.

— Pas faux !

Laroche passa à autre chose.

— Bon t’en es où sur le braquage du Crédit du Sud-Ouest à Rochefort ?

– V –

17 juillet 1784

La veille du départ, le chirurgien Barraud convoqua tous les hommes pour leur rappeler les règles d’hygiène absolument nécessaires pour éviter que la maladie ne gagne le bord.

« Je ne veux ici que des gens sains » leur avait dit le médecin sous l’œil du capitaine François Chargé. Chacun devait avoir du linge propre et veiller à son entretien. En cas de pluie, les matelots devaient se changer après chaque grain. Ils devaient aussi veiller à ne pas introduire les vêtements humides dans les entreponts. Les sacs seraient inspectés par les officiers. Les vêtements humides devaient être exposés à l’ardeur du soleil dès que possible. Tous les huit jours, de l’eau de mer devait être jetée dans la cale et aussitôt pompée. L’eau douce devait être absolument filtrée avant d’être consommée. La bouche des matelots serait régulièrement inspectée par le médecin de bord et nettoyée régulièrement au vinaigre.

Le scorbut était le fléau le plus courant dans les expéditions vers l’Afrique et les Amériques. Ses causes étaient parfaitement identifiées par les chirurgiens de bord. Les passages pluvieux, la viande salée et l’absence de viande fraîche en étaient les facteurs premiers. Plus la période passée en mer était longue, plus les risques de propagation étaient grands. Il était donc important que l’on embarquât des anti-scorbutiques en grande quantité : vinaigre, citron, moutarde, café, sucre, gruau, oseille, choucroute.

Le chirurgien Barraud avait eu carte blanche de l’armateur pour la quantité à emporter. « Venez me voir au moindre indice de la maladie » avait-il conclu son adresse à l’équipage.

Cette fois la Reine de Guinée pouvait faire route vers la côte africaine. Le navire quitta Chef de Baie. François Chargé avait tenu le délai annoncé à Nicolas Guinaudeau. Finalement, un accord avait été trouvé avec le sieur Rouleau à propos du chargement des 600 boisseaux de fèves. À l’avantage du négociant qui avait su faire jouer à merveille la loi de l’offre et de la demande. L’armateur avait dû céder. Les cales étaient également pleines d’eau de vie de Cognac et de vin de Saumur, de tissus, de vaisselle et autres objets d’orfèvrerie et de coutellerie. Avaient également embarqué deux tonneliers d’Aigrefeuille-d’Aunis, qui en échange de la fourniture gracieuse d’une dizaine de tonneaux et du rôle d’hommes d’équipage avaient obtenu de Nicolas Guinaudeau le privilège de pouvoir « traiter » trente nègres pour leur compte.

– VI –

Lundi 21 juillet

Dix jours déjà que le corps avait été retrouvé aux Minimes. Et cinq jours passés – les enquêteurs ne travaillaient le week-end qu’en cas d’urgence – à chercher des indices. La faible collecte ne troublait pas pour autant Pierre Laroche.

L’autopsie, qui avait été pratiquée le mercredi, décrivait par le menu le mode opératoire de ce crime. Égorgement, un corps qui se vide de son sang. La tête a été coupée ensuite. Le sexe a vraisemblablement été coupé . Pas de trace de violences, ni de coups. Pas de fractures, pas d’hématomes. La conclusion du légiste était sans appel : « Pas le souvenir d’avoir vu un tel mode opératoire en vingt-cinq ans de métier. On ne peut qu’être impressionné par la blessure franche ». L’âge de la victime était estimé à quarante-quatre ans, une dernière analyse était en cours.

Alexandre Roullin, lui, trépignait. Malgré ses cinq ans de police, il était plutôt un adepte de l’enquête à la vitesse 2.0. Planté devant la machine à café, il reçut une grande claque dans le dos qui lui fit presque renverser son gobelet.

— Dis donc gamin, je ne te demande pas ce que tu as fait ce week-end. Tu es rouge comme une écrevisse. T’avais oublié ta crème solaire ou quoi ?

— M’en parlez pas patron. Deux jours de mer magnifiques. Mais je vous l’accorde, les coups de soleil à la clé.

— Bon dis donc, tu vas ralentir un peu sur le braquage de Rochefort et on enquille sérieux sur le macchabée des Minimes. Le proc’ vient de me demander où en était l’enquête et j’ai été bien emmerdé pour lui répondre. J’ai argumenté en disant qu’on n’avait pas les résultats du test ADN, mais c’est vrai qu’il va falloir qu’on se bouge un peu.

— Qu’on se bouge, qu’on se bouge. Je vous rappelle qu’on a rencontré presque cent personnes du quartier la semaine dernière. Qu’on a même tenu une « permanence » devant la boulangerie des Minimes. Alors il est bien gentil le parquetier, mais on n’est pas resté les deux pieds dans la même godasse.

— Et bien décroche ton téléphone, et va lui dire au proc’. M’est avis que tu vas te faire bien recevoir. Après, où je suis d’accord avec toi, c’est sur le fait que c’est lui qui n’a pas demandé l’urgence pour les tests ADN parce qu’on est en juillet et que le budget de l’année est bien entamé. Bon justement, tu vas m’appeler le labo à Nantes et demander quand on peut caresser l’espoir d’avoir les résultats.

La réponse tomba dix minutes plus tard. Ce serait pour le lendemain. Cela redonna du baume au cœur des deux enquêteurs.

— Allez, lieutenant Roullin, que diriez-vous d’une petite escapade aux Minimes.

À ce moment, le téléphone sonna sur le bureau du commissaire.

— Ah non ! Pas lui !

— Ici le substitut du procureur Garnier. Commissaire, j’aimerai vous voir tout de suite dans mon bureau. Je ne peux pas vous dire par téléphone. Venez avec votre inspecteur.

— Sauf votre respect monsieur le procureur, il y a bien des années qu’on dit « lieutenant ».

Il raccrocha de la plus inélégante des façons. Laroche et Roullin décidèrent de rejoindre le tribunal à pied. Il n’y avait que quelques centaines de mètres à parcourir.

Le tribunal de La Rochelle avait cela de particulier qu’il ne correspondait pas aux codes des palais de justice. Et bien que l’intérieur ait été en grande partie rénové, il conservait un aspect vieillot. Heureusement, il y avait les pancartes sous les arcades pour guider le public.

Les deux flics rejoignirent le long couloir du parquet. Le procureur Garnier avait laissé sa porte ouverte pour les guetter.

— Entrez Messieurs et asseyez-vous.

Les salutations d’usage furent de courte durée. La magistrat ne posa qu’une question et entra dans le vif du sujet.

— Je suppose que si je n’ai pas de nouvelles de votre part, c’est que votre enquête sur les Minimes n’avance pas d’un centimètre ? C’est bien cela ?

Laroche en resta interloqué et Roullin avait envie de se glisser sous la chaise.

— C’est que… Monsieur le procureur…

Le commissaire n’eut pas le temps de finir sa phrase.

— Bon je sais, j’ai lu le premier rapport et je sais que les analyses ADN ont été demandées à la vitesse du timbre lent. Écoutez-moi bien, ce matin un signalement de disparition est arrivé dans notre service. Et pas chez vous ni chez les gendarmes, parce que c’est une affaire délicate.

Il y eut un silence. Voyant que les deux policiers ne relançaient pas la discussion, le substitut continua.

— Il s’agit d’une grande famille rochelaise. Les Delannoy. Charles-Edmond Delannoy, 44 ans, président du chantier naval du même nom. Il n’a pas été revu depuis le 10 juillet.

— Inquiétante, inquiétante, le signalement est quand même fait onze jours après. Alors ceux qui le recherchent ne devaient quand même pas être si inquiets que ça.

À son regard, le substitut Garnier fit comprendre qu’il goûtait peu la remarque de Laroche.

— À partir de maintenant, considérez commissaire que ce signalement nous vient de très haut et le procureur lui-même, mon supérieur hiérarchique donc, m’a fait savoir qu’il voulait être tenu informé du moindre détail.

— Et qu’attendez-vous de nous ?

— Je vous confie cette enquête. Voici une liste de noms que vous pouvez contacter.

– VII –

Lundi 21 juillet au soir

Laroche et Roullin avaient passé le reste de l’après-midi à donner quelques coups de fil concernant la disparition de Monsieur Delannoy. Et surtout pris des rendez-vous pour le lendemain matin. Ils s’en iraient donc voir Mme Delannoy, l’épouse qui ne s’inquiète pas de la disparition de son mari pendant dix jours.

— Tu sais quoi « gamin », je l’imagine bien avec une bonne tête de cocu la brave dame. Le genre « j’ai l’habitude qu’il se tire avec une autre, mais plus d’une semaine ça fait beaucoup ».

Ensuite, ils iraient voir le personnel du chantier.

— Ou alors, c’est le comptable qui commençait à baliser parce qu’il ne savait pas qui pourrait signer les paies. Allez, demain sera un autre jour. Profites-bien de ta soirée petit, et va soigner tes coups de soleil.

La « Mitterrandienne » avait passé tout l’après-midi sous un soleil de plomb et il y faisait cinquante degrés. Laroche pesta, ouvrit toutes les vitres et dût attendre dix minutes que le volant refroidisse pour y poser les mains.

Un quart d’heure plus tard, il avait rejoint son modeste pavillon de Lagord : une cuisine, un salon, deux chambres – la deuxième au cas où, mais qui en fait n’avait jamais été utilisée –, un bout de garage trop petit pour y entrer son char d’assaut d’un autre âge.

Il n’y avait pas de Madame Laroche, il n’y en avait pas eu et il n’y en aurait sans doute jamais. Le commissaire semblait n’avoir jamais eu à en souffrir, se contentant de quelques aventures passagères, même si, la retraite arrivant, il voyait la solitude se pointer à grands pas. « On t’inscrira sur un site de rencontres » lui avaient dit ses vieux potes. Mais lui en savait beaucoup sur ces lieux faciles et parfois d’arnaque et n’avait pas envie de tomber dans la facilité. Son seul atout était sans doute qu’il gardait une certaine forme physique et, il faut bien le dire, ne faisait pas sa soixantaine dépassée. Alors, il se réconfortait parfois en se disant qu’il ne fallait jamais dire jamais.

Il faisait ce soir dans la nostalgie. LA lettre trônait sur le meuble du salon. Il l’avait relue au moins trois fois pour s’assurer qu’il ne rêvait pas. Plus de dix jours qu’ELLE était arrivée et autant de nuits à ne pas trouver un vrai sommeil. Il ouvrit le bar, se servit un Four Roses triple dose. Le bourbon était son pêché mignon. Il s’assit sur la terrasse encore ensoleillée en cette fin d’après-midi. Sec le bourbon, et sans glace. Un avion passa au-dessus de la maison et comme à chaque fois, il avait l’impression qu’on volait un peu de son intimité.

La première gorgée passa difficilement. La quatrième le ramena quarante ans en arrière à Créteil. À peine sorti de l’école de police. À une époque où il ne fallait pas bac + 5 pour prétendre accéder à ces postes. Créteil, cette ville née dans les années soixante dans le tout nouveau département du Val de Marne. Ses cités naissantes et ses barres d’immeubles en fin de construction. Sa petite vie de flic dans une ville alors très calme. Laroche n’avait pas oublié sa prise de fonctions ce jour de mai 1974. Quasiment le même jour que Giscard. Mais lui à l’Élysée. Toujours présent à l’esprit également, Poniatowski, son premier ministre de l’Intérieur. « Le premier qui voulait terroriser les terroristes » se souvenait Laroche. Entré dans la police à 22 ans, sorti à 62 ans.

Le triple bourbon n’était pas venu à bout de sa soif en cette soirée d’été. Il enchaîna sur une bière, 50 cl s’il vous plaît, achetée quelques jours plus tôt à la cave voisine.

Le frigo était vide, Laroche prit la sage décision d’aller se coucher à 21 h 30.

– VIII –

Début août 1784

Le bateau filait sous un vent de 10 nœuds au large du cap Finisterre et s’apprêtait à passer près des côtes du Portugal. François Chargé était dans sa cabine et compagnie de ses deux lieutenants. Les cartes étaient dépliées sur la table. Ils établissaient la route précise pour rejoindre les côtes d’Afrique. Que l’armateur lui ait laissé carte blanche l’avait rassuré. Il n’aurait pas de comptes à rendre. Et puis, cette route, il commençait à la connaître pour l’avoir fait deux fois. Ils descendraient le long de la péninsule ibérique puis mettraient le cap sur les Canaries puis les îles du Cap Vert.

Le capitaine libéra ses officiers pour retrouver la solitude de sa cabine. François Chargé était inquiet. Non pas qu’il craigne pour sa navigation. Mais dans son rôle de commandant du navire, il allait devoir pour la première fois diriger lui-même les opéra