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Un couloir spatiotemporel se trouve sous le collège de trois affreux jojos qui en trouvent l'entrée par hasard. Leur professeur d'histoire ne les croit pas, puis change d'avis et décide d'emmener toute la classe visiter le Paris de Philippe-Auguste. Hélas la trop jolie Candice a oublié les conseils de prudence qui siéent pour jouer le rôle d'une jouvencelle médiévale. Arrêtée comme sorcière, ses camarades décident de la délivrer en utilisant tous les gadgets dont ils disposent et qu'ils ont emmenés, malgré l'interdit formel.
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Seitenzahl: 243
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Je remercie ceux de mes anciens élèves qui m'ont inspiré cette histoire et dont certains se reconnaîtront peut-être. Je remercie aussi mon adorable collègue Alexandra R. dont l'enthousiasme et la passion était rafraîchissants.
1 Où est encore passé Candice ?
2. Un descendant imprévu de Louise Labé
3 Conséquences inattendues d’un après-midi de retenue
4 Une mauvaise nouvelle
5 Le secret révélé
6. La passion de l'histoire
7. Préparatifs
8. L'art de ne pas convaincre
9. Un retournement de situation miraculeux
10. Écrire un fabliau médiéval, c'est distribuer les
11. Neuf aventuriers.
12. Les rues médiévales
13. En classe
14. Comment fait-on pipi en 1190 ?
15. La sorcière
16. La confession de Vautrain
17. Perdus dans Paris
18. De Charybde en Scylla
19. Arthur trouve de l'aide
20. La médecine médiévale
21. Dans les griffes de Faza
22. Sire Arthur
23 Jean Pierre à l'Hôtel-Dieu
24 Où l'on retrouve la piste de Candice
25. Sire Arthur et sa belle
26 Sire Arthur doit batailler.
27 On a toujours besoin d'un plus grand que soi, même éclopé…
28 Épilogue
Le collège Sainte Geneviève était situé dans le vieux Paris. Les bâtiments étaient très anciens et faisaient l'objet d'une surveillance particulière, lorsque la commission de sécurité venait les inspecter, en effet, adapter ces lieux vétustes aux conditions d’enseignement et aux normes de sécurité actuelles était un défi permanent. Malgré les efforts de monsieur Verchère, le directeur, les salles de classe manquaient de lumière, les escaliers étaient étroits, les installations sportives disséminées un peu partout, y compris dans le quartier.
Chose surprenante, et ce n'était pas si fréquent, le collège avait un théâtre, un vrai, avec des cintres, une machinerie, des coulisses, des trappes sous la scène, un balcon et même des loges. Les élèves adoraient s’y rendre. Ce jour-là, toute la classe de 3ème rouge y était réunie. La jeune et gracieuse Cécile Touron comptait ses élèves d'un air soucieux, il manquait Candice, comme d’habitude. Pourtant, cela faisait bien huit jours que cette séance de récital poétique avait été programmée. Les élèves l’avaient notée sur leur agenda, ainsi que le lieu inhabituel. D'ordinaire, Cécile emmenait ses élèves tout près, dans le jardin des religieuses dont le couvent était attenant à l'école. Ce dernier était très beau, avec parterres, bosquets, arbres centenaires et même une fausse grotte de Lourdes. Un tel endroit, en plein centre-ville, valait une fortune. Les sœurs de Picpus le savaient. Les promoteurs s'abattaient régulièrement sur leur communauté, carnet de chèques à la main. L'endroit était si beau que Cécile aurait presque souhaité devenir religieuse rien que pour en profiter, tout en sachant que cette pensée était absurde, jamais Jean Pierre ne l'aurait permis. Elle eut un petit sourire, c'était leur plaisanterie préférée quand il posait les yeux sur elle. Trêve de badinage, où était Candice ? Cécile avait clairement posé les règles quelques jours auparavant.
— Chacun choisira librement une poésie dans le répertoire classique ou contemporain.
Une jolie blondinette, toute en délicatesse et préciosité, avait levé la main.
— Ça veut dire quoi ?
— Que vous pouvez choisir des auteurs d’aujourd’hui. — J'en connais pas.
— Mais si Candice, certains chanteurs sont d’authentiques poètes avec des textes merveilleux.
— On peut prendre des chanteurs ?
— Oui, mais c'est un récital poétique, donc pas question de fredonner.
— Même Diams ?
— Eminem?
— MC Solar ?
— Dizzis La Peste ?
— Je pensais surtout à Brassens ou à Brel, mais oui, sous réserve que vous soyez capable de justifier votre choix.
Puis, voyant poindre la déception.
— J'aime beaucoup les textes de Soprano.
— Il est génial.
— Je roule, roule, roule dans les rues de ma ville.
— Merci Artur.
L'intéressé se tut, Cécile put poursuivre en rappelant à son petit troupeau les règles élémentaires pour ce genre de séances qui mettaient le vivant au cœur de la pédagogie.
— Premièrement, souvenez-vous de vos cours d'éducation civique. La liberté a des limites précises : l'irrespect, la grossièreté, le mensonge, l'incitation à la violence. Si j'aime Soprano et Bigflo & Oli autant que vous, c'est parce qu'il n'y a jamais de dérapages dans leurs textes. Deuxièmement, en vous laissant le choix, je ne vous facilite pas le travail car chacun devra se justifier. Il y aura trois parties dans votre prestation : la présentation de l’auteur, la récitation du texte et enfin l'analyse littéraire d'une phrase qui pour vous a une importance particulière.
— Tout ça !
— Vous devrez soigner le ton et la gestuelle, sinon pourquoi venir dans ce lieu ! Pendant que l’un d’entre vous fera sa prestation sur scène, les autres l’écouteront et le jugeront. Il faudra donc mettre le ton, à la fois pour se faire entendre, mais aussi pour donner du relief au texte.
— On pourra se déguiser ?
— Bien sûr, à condition que le déguisement soit en rapport avec la poésie choisie. À quoi penses-tu ?
Celle qui avait posé la question s’appelait Julie. C'était une grande et jolie fille, profondément effrontée. Elle avait surtout voulu faire rire. Sa tentative échoua, elle resta muette. L'idée provoqua néanmoins quelques réactions.
— Elle n'a qu’à venir en pyjama et réciter le Dormeur du val.
— Merci Jérôme.
— Si elle vient en nuisette, je sens que je vais commencer à aimer la poésie.
Jocelyn ricana, alertant Cécile sur ce premier dérapage.
— Elle dort peut-être à poil comme Beyoncé !
— Génial.
Cécile mit fin à l'enthousiasme de ce premier échange d'idées.
— Merci pour ces précisions techniques les garçons, mais je vous rappelle, ainsi qu'à vous tous, que quel que soit votre choix, il faudra d’abord me le soumettre ainsi que ses motivations, et tout cela par écrit.
— Oh non !
— C'est pour éviter les doublons.
Les élèves avaient accepté ces règles, ils s’étaient appliqués. En échange, Cécile avait fait des concessions. Tout le monde était là pour le grand jour, sauf Candice comme d'habitude. Cécile recompta pour la énième fois ses élèves. L'adolescente infernale avait à nouveau disparu.
— Quelqu’un l'a-t-il vue ?
— Elle était avec nous en cours de math.
— Et en histoire, même que monsieur De Montlibert l’a fait passer au tableau.
— Et pendant la récréation ? Tant pis, on commencera sans elle. Qui veut passer en premier ?
Il y eut un grand silence, personne ne voulait affronter la terrible épreuve du regard des autres. Cécile comprit qu'elle devait désigner quelqu'un. Il fallait que ce soit un bon élève, pourquoi pas Jennifer ? L'ennui, c'est qu’elle était excellente. Sa prestation serait remarquable et paralyserait les autres. Myriam ? L'élève était sérieuse et bien dans sa peau. Un garçon ? Maxime était gentil mais si timide ! Pourquoi pas Arthur ? C'était un grand adolescent mal à l’aise dans son corps, avec une grosse voix et un début de force physique impressionnant. Peu motivé par son travail, mais personnalité intéressante, il était capable de tenir tête à n'importe quel professeur avec insolence, puis de se laisser apprivoiser si on était gentil avec lui. Le plus souvent il refusait d’apprendre ses leçons, et ne le faisait que pour prouver qu’il en était capable s’il le voulait.
— Arthur, tu passes en premier, monte sur scène.
L'adolescent paniqua instantanément.
— Pourquoi moi ?
— Parce qu'il faut bien quelqu'un.
—Alors, autant que ce soit quelqu'un d'autre, Jocelyn par exemple.
— Allez, on sait tous que tu n'es pas timide. Tu as peur ?
C'était la honte, l'insulte suprême. Le garçon hésita, puis se leva gauchement et gravit les quelques marches menant sur la scène.
— Que vas-tu nous réciter ?
Arthur était encombré de ses mains. Il commença par les laisser pendre, puis réalisant que ça faisait bête les noua dans son dos, ce qui lui donna l'air d'un enfant sage. Il hésitait à commencer.
— Eh bien, on t'écoute.
— C'est un poème de Louise Labé.
— Très bien, et pourquoi l'as-tu choisi ?
En fait, Cécile le savait pertinemment et en regrettait d'autant plus l'absence inexplicable de Candice, mais c'était le protocole choisi et elle ne pouvait en exempter l'élève. Arthur était en pleine lumière alors que la salle restait dans la pénombre, ça l'aida à surmonter sa gêne.
— J'aime bien la Renaissance.
— Donc cette poétesse a vécu à cette période.
— Oui.
Puis il n'y eut plus rien. Arthur était figé. Conciliante, Cécile chercha à l'aider.
— Comment s'appelle le poème ?
— "Tant que mes yeux pourront larmes épandre".
Arthur avait répondu dans un souffle, c'était comme un murmure et beaucoup trop bas pour que l’assistance puisse entendre. Les plus dissipés se manifestèrent bruyamment.
— C'est quoi le titre ?
— Madame on n’a rien entendu, dites-lui de répéter.
Arthur rougit, c'était encore très léger. Il fit face et répéta à voix plus forte.
— "Tant que mes yeux pourront larmes épandre"
— Ça veut dire quoi ?
Marjorie, certainement la plus littéraire du groupe après Jennifer, était une petite révoltée de treize ans qui ne travaillait que quand elle en avait envie, ce qui permettait à Cécile de jauger des dons exceptionnels.
— "Épandre", c'est comme répandre, ça veut dire pleurer.
— Sortons nos mouchoirs susurra Jérôme à l'oreille de Jocelyn.
Toute la classe éclata de rire. Arthur devint écarlate. Cécile intervint à nouveau.
— Arthur, explique-nous qui est Louise Labé.
Arthur était capable de bien faire son travail quand le sujet lui plaisait. Prendre la parole dispersa son appréhension.
— Les femmes poètes, c'est très rare, surtout autrefois. Au 16ème siècle, avec l'invention de l'imprimerie, on peut dire que c'est un peu la naissance de la littérature. Des tas de gens ont découvert qu'ils aimaient lire, d'autres ont découvert qu'ils aimaient écrire.
— Quel est le genre du poème que tu as choisi ?
Cécile avait posé la question d'une voix mal assurée. Oh bien sûr, Artur le lui avait soumis, choix qu'elle avait approuvé, mais à présent elle avait un doute. Louise Labé était connue pour sa grande liberté d'écriture, certains de ses sonnets frôlaient l'érotisme. L'adolescent hésitait à répondre. Il avait choisi un poème d’amour, et à son âge et devant toute la classe, il avait peur qu’on se moque de lui. Soudain il y eut un bruit de porte suivi du souffle bruyant d'une personne qui avait couru. Candice fit son entrée. Arthur s'arrêta net. Cécile se tourna vers la jeune fille qui anticipa un reproche mérité.
— Excusez-moi madame, je ne me souvenais plus qu'on avait cours au théâtre, j'ai couru partout avant de me le rappeler.
— Si tu te déplaçais avec ta tête, cela n'arriverait pas. Allez, c'est pardonné, installe-toi sans faire de bruit.
Candice n'était pas qu'une "jolie blonde toute en délicatesse et préciosité", elle avait un corps plein de promesses, fruit d'une puberté bien avancée. Elle avait du charme et le savait. Son sourire était ravageur. Son grand jeu consistait à regarder les garçons droit dans les yeux pour les faire rougir. Arthur était sa victime préférée. Elle répondit d'un sourire à la jeune enseignante et chercha où était Julie, qui pourtant lui faisait de grands signes. À peine installée, Julie lui refila un coup de coude.
— Regarde un peu qui est sur scène.
Arthur, stoïque, attendait pour commencer. Candice pouffa.
— Pourquoi il passe en premier ?
— Il n'a pas eu le choix, mais attend, tu ne sais pas le plus drôle, tu vas voir le poème qu'il a choisi !
Artur était tétanisé. Cécile s'impatienta.
— Alors, quel est le genre du poème que nous allons entendre, une fable, une morale, une déclaration d'amour ?
Elle connaissait la réponse, pas les 3èmes rouges. Arthur avait vu entrer Candice, il avait senti son sang se retirer, son corps refroidir, sa gorge se nouer, il était au bord de l'agonie. Quelle idée stupide de se déclarer comme ça, devant tout le monde, en prenant le prétexte du récital poétique pour ne pas être totalement ridicule. Il n'avait plus le choix. Il avala sa salive, toussota pour s'éclaircir la voix et se jeta à l'eau.
— C'est un poème d'amour.
— On t'écoute.
Un grand silence se fit, Arthur commença d'une voix mal assurée.
— … Tant que mes yeux pourront larmes épandre, A l'heur passé avec toi regretter, Et qu'aux sanglots et soupirs résister, Pourra ma voix, et un peu faire entendre. Tant que ma main pourra les cordes tendre, Du mignard luth, pour tes grâces chanter …
— Madame, je ne comprends rien.
— Est-ce une raison suffisante pour interrompre ton camarade ? Continue Arthur.
Le jeune garçon alla courageusement jusqu'au bout. Les élèves applaudirent. Cachées au sein du public, Julie et Candice firent de même, tout en papotant à leur façon sur la prestation entendue.
— Il est pas mal Arthur.
— Apollon ricana Candice.
— Il est grand et costaud.
— Et bête.
— Tu te doutais que tu lui faisais cet effet ?
— Un peu.
— Tu as entendu ce qu'il a dit, et devant tout le monde !
— "Mes grâces chantées". Tu crois qu'il l'a fait exprès ?
— Bien sûr.
Cécile avait soigneusement examiné les textes choisis par ses élèves. Les paroles de chanteurs avaient eu la préférence, surtout les rappeurs. Arthur, Jennifer, Myriam, Rachid et Jonathan avaient été les seuls à choisir des textes classiques, mais celui de l'adolescent était, et de loin, le plus hermétique. C'est aussi pour cela qu'elle avait commencé par lui. À présent il fallait le remercier et le complimenter pour sa prestation, c'est là qu'elle commit une petite maladresse.
— C'était parfait. Non seulement le poème était très bien su, mais tu étais véritablement inspiré.
Deux gloussements se firent entendre.
— Je vois qu'on a apprécié. Qui veut passer maintenant ?
Bien entendu, personne ne se proposa. L'idée de choisir Candice était tentante. Elle n'osa pas.
— Rachid, sur scène, vite.
Rachid était de petite taille, tout maigre, avec des cheveux noirs et courts. C'était un garçon intelligent, mais il fallait être enseignant pour le percevoir. Il essaya de s'esquiver.
— Ze n'ai rien appris madame
Cécile adorait son zézaiement.
— Je ne te crois pas, monte vite sur scène.
Le gamin aimait bien sa prof, il s'exécuta.
— Ze vais vous réciter "Moi z'irai dans la lune", de René de Obaldia
Toute la classe éclata de rire, y compris Cécile qui ne sut se retenir.
— Un voyage que tu connais bien !
L'enfant sourit gentiment.
— Z'ai choisi ze poème parce qu'il m'a fait rire quand ze l'ai trouvé dans mon livre de français.
— Et l'auteur ?
— Z'ai pas cherché.
— Cela ne fait rien, on t'écoute.
Rachid commença sa récitation.
— Moi, z'irai dans la lune … avec des petits pois …
Toute la classe éclata de rire. Rachid continua, heureux de son succès.
— Quelques mots de fortune … Et Blanquette mon oie ...
Ce fut à nouveau l'hilarité générale, mais contrairement à ses dires, Rachid avait bien appris son texte. Il arriva au bout du poème, après de nombreux zézaiements non prévus par l'auteur.
— Pas besoin de fusée … Ze monte sur Blanquette … Hop, ze suis arrivé.
Toute la classe applaudit. Cécile le complimenta, puis chercha qui serait le suivant. Jonathan se raidit. Après Arthur et Rachid, il ne pouvait qu'être la prochaine victime. Tous les professeurs les appelaient le trio infernal, trio car ils étaient inséparables, infernal car ils étaient capables de tout.
— Jonathan, sur scène.
Le garçon n'essaya pas de résister, il était toujours fatigué, dégoutté de tout, éternel râleur. Il traîna des pieds, se planta au milieu de la scène et resta muet.
— Parle bien fort et mets le ton.
Jonathan présenta son choix de cette voix paresseuse qui agaçait tant les enseignants.
— C'est de Jean Rousselot.
— Peux-tu nous en dire plus ?
— C'est un poète d'aujourd'hui.
— Et le poème s'appelle ?
— Y-a pas de nom.
Cécile se tourna vers sa classe.
— Vous voyez les enfants, pour l'instant nous avons entendu un poème du 16ème siècle et un du 20ème. Cela montre que la poésie est un art intemporel, cachée au fond de nous quelle que soit l'époque. Allez, vas-y Jonathan.
Il se produisit alors une chose incroyable, Jonathan, le taciturne, le silencieux, l'épuisé de nature s'anima.
— Terre, Terre, Terre, cria-t-il à pleins poumons.
Toute l'assistance sursauta, puis attendit la suite. Cela commençait bien, Cécile se félicitait. Jonathan allait-il nous décrire les merveilleux paysages des îles sous le vent ? Était-il un nouveau Stevenson ? Allait-il nous peindre les civilisations du pacifique, les belles vahinés et leurs minuscules paréos multicolores, les plages de sable blanc, les eaux transparentes invitation à la baignade ?
En guise de grands cocotiers au sommet desquels caquettent des oiseaux aux plumages de feu, Jonathan se taisait.
— Un petit trou de mémoire ? Ce n'est pas grave.
Méthodique et organisée, elle avait prévu ce genre d'incidents et apporté un exemplaire de chacun des poèmes choisis. Elle tria dans la liasse, chercha celui de Jonathan, le trouva et lui souffla la suite.
— A chaque …
Rien.
— A chaque … répéta l'enseignante pour l'encourager.
Debout sur la scène, Jonathan mimait le cocotier attendant en vain Lapérouse et son équipage.
— A chaque … recommença-t-elle, non sans un début d'irritation.
— C'est pas la peine, je ne sais que le premier vers s'expliqua-t-il d'une voix lugubre.
Cécile s’en étrangla de surprises.
— Quoi ! Tu n'as appris que trois mots ! Et quand je dis trois !
Habitué à ce genre d'orage, Jonathan attendit patiemment que le beau temps revienne, ce qui était fréquent sur les plages du Pacifique. Cécile perdit son calme.
— Un seul mot ! C'est un record inattendu.
—Je peux descendre ?
Elle fit négligemment signe que oui et demanda à Marjorie de monter sur scène. Avec elle pas de mauvaise surprise, elle avait une mémoire remarquable et un don pour le théâtre, ça rattraperait le dérapage précédent.
Marjorie fut parfaite. La séance se poursuivit, cahin-caha, avec des hauts et des bas inévitables. Caché au fond de la salle, Arthur, soulagé, se demandait si Candice avait bien compris qu'il s'adressait à elle. L'intéressée, de son côté, réfléchissait.
Arthur s’inquiétait pour rien, Candice avait parfaitement compris l’emprise qu’elle exerçait sur lui, elle entendait en user, et même en abuser. Elle fit une première tentative le soir même.
— Il était très beau ton poème. Tu pensais à quelqu’un de précis ?
— Non, bien sûr que non. Puis, à la fois écarlate et plein d'espoirs. Tu as aimé ?
— Je n’ai pas tout compris, tu m’expliqueras ?
— Bien sûr, s'étrangla-t-il, en cherchant quoi rajouter.
Candice n’aimait pas l'école. Elle avait horreur du français, des maths, des sciences, de l'anglais, de la gym et surtout des cours d'histoire, et particulièrement ceux d'histoire de l'art. Pour Arthur, c'était à peu près la même chose, sauf pour ces deux dernières matières qu'il adorait. Il aurait peut-être fait une exception pour le français s'il n'y avait pas eu la grammaire, et surtout les dictées.
— On m'a dit que c’était un poème d’amour ?
— Oui fit l’intéressé, plus rouge qu’une tomate.
— Une déclaration ?
Arthur ne répondit rien.
— Tu es amoureux de la prof ?
— N'importe quoi.
— Surtout que monsieur de Montlibert lui fait les yeux doux, c'est un rival sérieux, il est vrai que tu es aussi grand que lui et plus mignon. Arthur perdait pied. Candice insista. Tu me porterais mon cartable jusqu’à l’arrêt de bus ? Il est lourd et tu es si fort.
Il rougit un peu plus et accepta, bien conscient du ridicule de la situation. Marchant derrière son camarade, Candice n’en croyait pas ses yeux, des idées farfelues se bousculaient dans sa tête, jusqu'où irait ce benêt pour lui plaire ? Une fois devant le car qui s'apprêtait à partir, elle posa une seconde banderille.
— Tu me prêteras ton iPhone ?
— Bien sûr.
Candice monta, suivie de Julie. Il les regarda partir avant de rejoindre son propre car.
Le lendemain, une nouvelle vie commença pour le jeune garçon. Il y eut d’abord le cours d’éducation physique. « Tu nous arbitreras au basket ? » Candice fit exprès de multiplier les fautes, il fit semblant de ne pas les voir, les autres joueurs se plaignirent, il fallut changer d’arbitre. De retour en classe, Candice s’aperçut qu’elle avait oublié son manteau au vestiaire. « Tu n’irais pas me le chercher ? » Le garçon s’exécuta, il fit l’aller et retour en courant et revint tout essoufflé. « Tu es vraiment un amour. » À la cantine. « Tu n’irais pas me chercher du pain ? » Les corbeilles étaient à l’autre bout du réfectoire. « Arthur, je n’aime pas trop ce dessert, tu ne me donnerais pas le tien ? » Arthur se priva de crème à la vanille pour le plaisir de voir Candice se régaler de la sienne. « Tu peux porter mon plateau ? » Il réalisa un savant équilibrage et traversa le réfectoire bien encombré, tout en trouvant qu’elle exagérait.
— Sylvain a pris la place de Jennifer pour desservir le réf, c’est génial un mec comme ça.
— Mais tu n'es pas de service !
Ingénue et adorable, toutes fossettes palpitantes, Candice répondit sans aucune honte.
— Moi non, mais demain, c’est le tour de Julie.
Arthur refusa, il y avait un match de foot et une place de gardien à défendre. Candice papillonna, roucoula, battit des cils, il céda. Quand ils apprirent cette dérobade, Rachid et Jonathan n'eurent pas de mots assez durs.
— T'es qu'une couille molle.
— À cause de toi on va perdre, Jocelyn, il est nul dans les buts.
Arthur fit le service à la place de Julie et les 3èmes rouges perdirent le match.
L’asservissement d’Arthur se poursuivit sans discontinuer dans les jours qui suivirent. Il entendait les deux filles pouffer de rire toutes les trois minutes dans son dos, c’était le prix à payer pour que Candice lui parle. S’il avait été bon élève, elle aurait pillé sans retenue son cartable, mais ce n’était pas le cas, il n’y avait qu’en histoire qu’il était bon. Il accepta de se laisser racketter en bonbons, puis vint le tour du distributeur de boissons chaudes qui se chargea de vider un peu plus son porte-monnaie. Candice trouvait flatteur cette sorte d’adoration, elle n’y voyait pas malice, surtout qu’Arthur était loin d’être laid.
Les filles de la classe se séparèrent en deux camps, celles qui étaient complices et enviaient Candice, celles qui étaient jalouses. Ces dernières en parlèrent à Cécile qui prit d’abord la chose à la légère, les amours adolescentes sont fréquentes, dans certains cas c’est même positif, ça police les garçons et les rend plus matures. Toutefois elle se promit de surveiller la chose, et dans un premier temps choisit de demander conseil à celui de ses collègues dont elle se sentait le plus proche. Arthur adorant l'histoire, Jean Pierre ferait un bon interlocuteur. La scène se passa en salle de classe pendant une récréation.
— Comment réagirais-tu si je t’apprenais qu’il y a un esclave parmi nos 3èmes rouges ?
L’entrée en matière amusa Jean Pierre. Il était légèrement plus âgé que Cécile, et aussi sensible à son charme qu'Arthur l'était à celui de Candice. Homme discret, il souffrait d’une timidité invalidante, qu’il dissimulait derrière une attitude possessive.
— Tu veux parler d'Arthur.
— Rachid et Jonathan sont venus me trouver. Il paraît qu'il fait ses quatre volontés. Selon eux, il se couvre de ridicule et est "pire qu'une fille", je les cite.
Suivit une longue explication au cours de laquelle Cécile expliqua le récital poétique, et le choix pour le moins original d’Arthur.
— C'est donc de ta faute, tu as servi d’entremetteuse.
— Ce n'est pas drôle, j'ai besoin de toi pour lui parler.
— Pourquoi moi ?
— Parce qu'il t'aime bien.
— La belle affaire, je refuse.
— Tu refuses ?
— Oui, tant qu'ils ont une attitude correcte, la vie privée des élèves ne nous regarde pas.
— Alors on continue à laisser ce garçon se ridiculiser !
— C'est son choix.
— Tout le monde se moque de lui.
— Un homme amoureux est toujours ridicule.
— Ah oui ! Et pourquoi s'il te plaît ?
Jean Pierre devint tout rouge. Cécile savait parfaitement pourquoi. Tout le monde avait constaté qu'il perdait ses moyens dès que ce petit bout de femme à l'allure décidée lui tenait tête. Cela avait commencé lors d'un conseil de classe, ils s'étaient affrontés précisément sur le cas d'Arthur. Jean Pierre soutenait que l'adolescent était intelligent, il avait donné des exemples sans réellement convaincre l'équipe, et encore moins Cécile. …
« Il est incapable de lire un texte et de le comprendre en même temps. » … « En histoire il comprend tout, même quand c'est rédigé en un vieux français à peine modernisé. » … « Son orthographe est celle d'un analphabète. » … « Avant l'invention de l'imprimerie tout le monde écrivait phonétiquement. » … « Mais à présent il y a des règles, il les ignore ou n'y comprend rien ? » … « Parce que tu n'as pas su lui en faire valoir l'utilité. Il écrit presque sans faute avec moi. »
Cécile avait refusé de le croire puis dû se plier à l'évidence. Jean Pierre lui avait expliqué que le cerveau des adolescents était plus complexe qu'on ne le pensait. Hélas il avait pris un ton protecteur qui avait irrité sa jeune collègue, surtout quand il avait conclu qu'il lui pardonnait bien volontiers en raison de son inexpérience. Si les choses s'étaient arrangées, Arthur restait une pierre d'achoppement. « Tu es là pour enseigner le français, le reste c’est le rôle du C.P.E. Si tu essaies de te mêler de leurs histoires, c’est toi qui te couvriras de ridicule. » C'était la sagesse même, Cécile se le tint pour dit et suivit ce conseil.
L'asservissement d'Artur continua. Il délaissait les matchs de foot, négligeait ses amis et ne s’intéressait plus à rien, qu'à Candice. Il la suivait partout, obéissait à ses moindres désirs, quémandait un regard comme un toutou quémande une caresse. Candice allait-elle au CDI, il demandait à y aller lui aussi. Il s’installait derrière elle en étude, la suivait dans les couloirs et prenait fait et cause pour elle, même dans les discussions les moins masculines. Candice adorait les réseaux sociaux, elle connaissait une foule d'influenceuses, prenait des conseils pour se maquiller, s’habiller et se mettre en valeur. Arthur y avait fini par acquérir une certaine culture dans le monde superficiel de la mode adolescente, à la grande surprise des deux filles. Jonathan et Rachid avaient dû changer de gardien de but, ils ne le digéraient pas. Les heurts se multipliaient. Arthur faisait le gros dos, mais les moqueries l'atteignaient.
— Faut être débile pour s’intéresser à des trucs de filles !
— T’as qu’à lire "Bête et boutonneux", tu trouveras comment te soigner.
— Ça n'existe pas.
— Alors crée-le et raconte ta vie.
Jonathan avait cherché une répartie aussi blessante, mais sans grande imagination il n'avait trouvé que celle-ci.
— Bientôt, tu vas lui écrire des poèmes à cette fille.
L'idée avait germé, Arthur se sentait l’âme d'une Louise Labé, encore fallait-il le prouver. La tentative eut lieu pendant un cours d'histoire de l'art. Monsieur de Montlibert leur présentait l'extraordinaire explosion artistique et scientifique dans le monde arabe au 8ème siècle, alors que l'occident était lui-même en pleines ténèbres. Arthur était passionné, Candice était sa Shéhérazade, l’inspiration venait, il écrivit rapidement un début de sonnet.
Pour tes beaux yeux Candice,
Je me ferais musulman
Je réécrirai le Coran
Et te le dédierai, oh, délice !
Très content de ce premier quatrain, il le relut plusieurs fois. La rime était parfaite, la sonorité de ces vers valait bien celle de Louise Labé, il poursuivit.
Allah est grand, mais Candice est si belle !
Il n’y a pas qu’à La Mecque qu’il y a des fidèles
Dans ce pays-ci vit un pèlerin
Qui jeûne, espère et écrit des quatrains
Fasciné, Arthur se voyait déjà en prince oriental. Candice, perle de son harem, ondulerait vêtue de soie derrière les subtiles arabesques des moucharabiehs de son palais. Il rédigea d'une traite un troisième quatrain de sept vers !
J’aimerais, tel un muezzin
Hurler mon amour
Pour Candice la divine,
Édifier un mihrab,
Construire une qibla
Y mettre son portrait
Et me prosterner là.
« C’est de mieux en mieux, je suis doué » pensa-t-il. Pourtant il manquait une rime en "our". Il chercha désespérément, n'écoutant plus son professeur préféré qui profitait de cette séance artistique pour un léger rappel de bases déjà anciennes.
— C’est à Jérusalem que Mahomet accomplit ce que la tradition appelle "son merveilleux voyage nocturne". Que faut-il comprendre, tu as une idée Candice ?
— Non monsieur répondit en minaudant la jolie gamine.
— Et toi Arthur ?
— C’est là qu’il est monté au ciel.
— Bravo, mais c'est un peu ton cas je crois, puis, conscient de sa maladresse, qu'elle est la date la plus importante à retenir ?
Arthur restait bloqué sur la rime manquante. … Jour … Pourtour … Toujours … Calembour … Au secours … Labour … De son côté la classe était incapable de répondre. Jean Pierre commençait à s'énerver, son insistance agaça Arthur qui voulait réfléchir en paix.
— 622, c'est l’hégire. C’est aussi la naissance du calendrier musulman.
— Bravo Arthur.