Paris-médaillé - Charles Virmaître - E-Book

Paris-médaillé E-Book

Charles Virmaître

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Extrait : "L'idée d'association remonte au Moyen Âge. De là naquirent les corporations, les jurandes, les maîtrises, qui, sous différents titres, étaient des sociétés de secours et d'encouragement ; le compagnonnage, malheureusement disparu, a laissé des traces profondes dans les souvenirs des anciens. Il était naturel que les artistes d'alors imitassent l'exemple des ouvriers des différents corps d'états ; ils se groupèrent sous la protection de différentes sociétés."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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Veröffentlichungsjahr: 2016

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Préface

En 1841, 1842, le quartier Popincourt était un centre exclusivement ouvrier, il formait une ville dans la ville ; aux heures des repas, surtout, le tableau était des plus pittoresques.

Tous les trottoirs étaient envahis par les apprentis mécaniciens, les tireurs de papier peint et les rattacheurs des filatures et usines du quartier.

Tout ce petit monde de travailleurs, mâles et femelles, étaient étendus, en long, en large, sur les dalles, en haillons, nus-pieds, barbouillés de noir, de vert, de rouge, mangeant stoïquement, quelque temps qu’il fit, des pommes de terre frites ou des trognons de salade de romaine, sans assaisonnement.

On ne pouvait faire un pas sans être accueilli par des lazzis, des quolibets salés, essentiellement parisiens, ces messieurs et ces demoiselles étant la fine fleur des Titis du boulevard du Temple, les habitués des Funambules et du Lazzari.

Quand je passais pour me rendre à l’école – trois francs par mois, s’il vous plaît – mon petit panier d’osier au bras, contenant deux tartines de raisiné, de graisse d’oie ou de mélasse, pour ma journée, les gamins, malgré qu’ils fussent habitués à me voir circuler, chaque jour, à la même heure, me criaient :

– Ohé ! v’là l’décoré qui passe, il a un autre ruban !

Et comme, pour plus de commodité (il n’y avait pas de bonne à l’école), ma culotte était fendue par derrière, ma chemise souvent passait, les gamines effrontées ajoutaient :

– La nappe est mise, c’est pas chouette pour porter la croix !

Moi, je passais fièrement, sans daigner détourner la tête ; le morceau de fer-blanc attaché sur ma blouse me faisait croire supérieur à ces pauvres petits.

Pourquoi donc avais-je toujours la croix ?

Mon père était établi forgeron, les terrains alors n’étaient pas chers, ma mère élevait des poules, des canards, des lapins ; chaque samedi, dans mon panier, elle y glissait quelque chose qu’elle envoyait à la maîtresse d’école, et, le soir… j’avais la croix.

C’était vraiment prodigieux, et je m’explique l’étonnement des apprentis ; six œufs, la croix de sagesse ; la douzaine, la croix d’écriture ; la moitié d’un lapin, la croix d’histoire ; le lapin entier, la croix de mérite ; un poulet, la croix d’excellence ; j’avais donc la croix chaque semaine et j’avais six ans !

Ma mère avait fini par prendre la chose au sérieux, elle ne voulait pas croire que ses petits cadeaux fussent pour quelque chose dans la distribution des croix aux écoliers ; elle attribuait cette distinction à mon mérite exceptionnel, je passais dans le quartier pour un petit phénomène, et quand mon brave homme de père, le dimanche, m’emmenait au Lapin sauté ou au Sureau sans pareil, il me montrait avec orgueil à ses camarades d’atelier, en leur disant :

– C’est mon fils !

Tout comme le père Léotard, au Cirque d’hiver.

Ce souvenir lointain m’est revenu en mémoire, en lisant les polémiques ardentes soulevées par l’incident Bouguereau-Meissonier.

Des médailles !

Pas de médailles !

Des médailles, dit M. Bouguereau, pour ceux qui ont besoin d’être encouragés et désignés à la foule par les suffrages d’artistes éminents.

Pas de médailles disent MM. Meissonier et son comité, parce que… nous les avons toutes !

Tous ont raison.

Cette question des médailles, qui n’a l’air de rien en elle-même, est très importante ; elle touche au caractère français d’une façon intime.

Est-ce que depuis l’enfant qui se croit un dieu avec sa croix en fer-blanc, jusqu’à M. Meissonier, qui s’imagine, par la grand-croix de la Légion d’honneur, avoir été récompensé pour tous les artistes français, tous n’ont point besoin d’une distinction pour des intérêts différents ?

Mon Dieu si.

Il n’y a qu’un malheur, c’est que le ruban est devenu une monnaie entre les mains des gouvernements, qui récompensent le plus souvent, par ce moyen économique (une simple signature), de honteux services et rarement le mérite.

Je ne parle pas de l’armée.

À moins de réformer de fond en comble la société et de déclarer que celui qui ne sera pas décoré sera le seul distingué ; je ne vois pas l’intérêt qu’il y aurait pour personne à abolir les distinctions honorifiques.

Il ne faut, d’abord, pas confondre une distinction accordée par un ministre, sur des sollicitations pressantes, à des protections puissantes, avec les médailles décernées aux artistes, pour ainsi dire publiquement.

Ce ne sont pas les critiques d’art qui désignent les œuvres des artistes au jury ni qui les imposent au public, au monde des connaisseurs.

En matière d’art, la critique s’est avilie par son mercantilisme, trop connu des tributaires, et pas assez, malheureusement, du public, de la masse.

La critique ne sert pas à grand-chose, surtout depuis l’effroyable multiplication des journaux et de la facilité qu’il y a de s’y introduire pour y faire le Salon surtout si c’est à l’œil.

Le Salon écrit est devenu une réclame.

Un artiste préfère dans le Figaro, à qui on accorde une valeur à cause de sa publicité, deux lignes malveillantes, que vingt-cinq lignes dans le Petit Journal et dix lignes dans le Soleil, que cent lignes dans la Presse !

C’est donc bien de la réclame pure et simple !

Je sais bien que les critiques répondent, pour justifier leur existence et prouver leur utilité :

– Mais Manet ne serait pas connu, Claude Monet n’aurait pas un nom, sans la presse.

Question plus que discutable, parce que les artistes compétents, qui le sont assurément plus que les critiques, ne sont pas encore d’accord aujourd’hui sur la valeur de ces deux peintres.

Mais on peut être un parfait idiot et avoir un nom ; on peut être un homme de grand talent et rester ignoré toute sa vie, si l’on n’a pas les moyens.

Il est facile d’avoir un nom, puisque, moyennant vingt francs la ligne, on peut chaque jour faire chanter ses louanges, en première page, dans les trois ou quatre grands journaux qui tiennent le haut du pavé parisien.

Quand je dis qu’il est facile de s’ériger en censeur, de devenir critique d’art, je le prouve :

Il y a deux ans, le directeur d’un grand journal parisien s’était attaché un jeune homme pour faire les Échos. Ce garçon avait travaillé quelque temps dans un atelier de peinture ; il avait dû, sur les conseils de son professeur, un homme intègre, abandonner la palette, parce qu’il n’aurait jamais fait qu’un mauvais barbouilleur.

À l’ouverture du salon, le directeur en question le fit appeler :

– Vous êtes peintre, lui dit-il.

– Parfaitement.

– Eh bien, cette année, vous me ferez le Salon.

Voilà le critique en campagne ; il commença ses comptes-rendus ; je cueille cette perle dans l’un deux :

–… Arrêtons-nous un instant devant le Poète 1109, et devant la Soif 1110, de M. Gérôme ; ce n’est pas trop mal, mais M. Gérôme n’a pas tenu ce que nous étions en droit d’espérer. Il suivra sans doute ce conseil : étudiez mieux vos sujets, nous vous attendons à l’année prochaine.

Cela dépasse les bornes de l’outrecuidance.

Voyez-vous d’ici le bon bourgeois de province discutant le Salon, et, finalement, à bout d’arguments, dire ceci :

– Gérôme n’a pas de talent, c’est dans mon journal !

Dans la question des médailles, les « critiques d’art » n’ont pas, pour la plupart, pris parti pour ou contre, ils ont été très réservés.

Cela s’explique facilement.

Ils ne voulaient pas, d’un côté comme de l’autre, donner tort ou raison à personne, parce que les petits tableaux entretiennent l’amitié, qu’ils soient médaillés ou non.

Pourtant, au fond, ils préfèrent les médaillés, ils se vendent plus facilement et plus chers.

À ce sujet, j’ai consulté plusieurs grands marchands de tableaux, ils sont d’un avis unanime.

Ces avis ont une importance extrême, car tous les jours, ils sont à même de constater la différence qu’il y a entre les œuvres d’un peintre médaillé et celui qui ne l’est pas.

Un amateur voit une toile à la vitrine d’un marchand ; il entre dans la boutique, son premier mot est celui-ci :

– Cette toile est-elle signée ?

Le second :

– Le peintre expose-t-il ?

Le troisième :

– Est-il récompensé ?

Suivant la réponse, le prix varie, et cela est absolument juste.

La foule, la masse, clame, acclame, proclame, mais ne discute pas ; elle a besoin d’être guidée, surtout en matière d’art ; or, si dix, quinze, vingt artistes distinguent une œuvre entre deux ou trois mille, accordent une récompense, il est absolument certain que, tant que le peintre récompensé jouira de ses facultés, il ne fera pas mauvais, qu’au contraire il progressera ; dans ce cas, la récompense est plus qu’un encouragement : Médaille, comme noblesse, oblige.

On répond : Oui, c’est très bien de décerner une médaille, mais le récompensé s’endort sur ses lauriers. C’est une erreur, et une grande ; la médaille n’est pas un brevet de talent à perpétuité. Je connais plus d’un médaillé, que je ne veux pas nommer, qui sont tombés à fabriquer des tableaux de commerce. Ils ont, un jour d’inspiration, produit une œuvre, le jury leur a décerné justement une récompense, ils n’ont pas eu le souffle, la vigueur de persévérer ; ils ont beau être médaillés, ils ne se vendent plus.

Donc, la récompense ne sert qu’à la condition que le récompensé continue à avoir du talent.

Quand on parle de médaille, tout le monde sourit, parce qu’en France tout le monde est médaillé.

Les marchands de fromages, les marchands de cochons, ont des médailles, des récompenses aux Concours Agricoles, il y a même une décoration spéciale ! le Mérite Agricole, ce qui fait qu’on peut dire à un éleveur, sans le froisser :

– Tu portes le ruban que ton cochon a gagné.

Les médecins et les pharmaciens ont des médailles pour la préparation d’un onguent contre la gale ou d’une solution pour détruire le ver solitaire.

Les vieux ouvriers qui ont été bien sages pendant trente ou quarante ans, reçoivent en récompense des médailles.

Les commissionnaires, les députés, les marchands des quatre-saisons, les sénateurs, les forts de la Halle, les conseillers municipaux, les chiffonniers, les marchands d’habits, les joueurs d’orgue ambulants, les chanteurs des rues, les marchands de peaux de lapins ont tous des médailles.

Les coiffeurs, les tailleurs, ont des académies qui leur décernent des médailles !

Les sociétés de secours mutuels, les gymnastes, les sociétés de tir, les orphéons, les fanfares, les sociétés chorales, les philharmonies ont des médailles, des palmes, des couronnes.

Les sociétés de sauveteurs sont chamarrées de médailles, à part la médaille officielle au ruban tricolore, car celle-là se gagne, ils les achètent ; les diplômes coûtent de huit à douze francs en Belgique. Le jour de la Saint-Nicolas, ils se pavanent fièrement, la poitrine couverte de rubans multicolores ; il n’y en a pas, parmi eux, un sur dix qui ait sauvé une mouche tombée dans une jatte de lait.

Les lutteurs ont des médailles.

Soulouque lui-même, à son avènement, avait créé une décoration ; seulement, comme ses soldats n’avaient pour tout vêtement qu’un caleçon de bain, il eut été difficile de la leur attacher sur la poitrine.

Les charcutiers, les bouchers, les marchands de poudre à punaise, et pour ainsi dire toutes les professions, sont médaillées.

Il existe un entrepreneur d’expositions industrielle, maritime, culinaire, gastronomique et internationale, qui a un tarif :

Diplôme d’honneur500 francsMédaille d’or300 francsMédaille d’argent200 francsMention honorable100 francs

Eh bien ! croirait-on que cet individu, qui a eu l’idée géniale de se faire des rentes avec la vanité humaine et l’imbécilité de ses contemporains, refuse du monde à ses expositions par l’appât qu’ont les exposants, même en la payant, d’obtenir une récompense.

Cela fait si bien sur un prospectus ou sur la glace d’une devanture : sept diplômes d’honneur pour mes biberons incassables ; médaille d’or pour la spécialité des andouilles ; médaille d’argent pour mes irrigateurs à musique ; mention honorable pour linceul perfectionné.

Les instituteurs et les gens de lettres ont les palmes académiques, mais cela n’implique pas que ceux qui les portent exercent ces deux professions ; on les décerne à des entrepreneurs de bâtisses, à des gargotiers, à des gniafs, à tous les pleurards possibles et impossibles qui consentent à les mendier.

J’en connais un qui a obtenu les palmes pour avoir reconduit à son domicile un député abominablement pochard, qui tournait depuis deux heures autour du bassin de la place Pigalle, prétendant que les fils de fer qui entourent la fontaine l’empêchaient de trouver sa route !

C’est toutefois moins extraordinaire qu’un camelot, condamné jadis pour avoir, dans un méchant canard, travesti ce vers de Polyeucte :

Et le désir s’accroît quand les faits se reculent.

Il a les palmes académiques pour services rendus à la littérature !

Et bien, ce crétin est dépassé par ceci, que je garantis authentique :

Le père d’un de nos journalistes les plus en vue était inspecteur de balayage ; sa mission consistait à suivre gravement les balayeuses mécaniques qui, chaque matin, font la toilette des rues de Paris.

Ce brave homme avait une toquade : les palmes académiques ; il en perdait le boire et le manger. Il affirmait avoir des titres à la reconnaissance du gouvernement pour avoir, pendant trente années, présidé au balayage du crottin.

Il était sans cesse sur le dos de son fils.

– Toi qui es bien en cour, fais-moi avoir les palmes, lui disait-il ; je vais partir au pays, cela fera bien.

C’était tous les jours la même scie.

Enfin, on approchait du mois de janvier ; on était, je crois me souvenir, au 25 décembre. Le journaliste, lassé par le bonhomme, pria un de ses amis d’aller voir le ministre de l’Instruction publique et de lui demander les palmes académiques pour son père.

L’ami alla au ministère.

– Mais les listes sont closes, lui dit le ministre ; d’ailleurs, qu’a-t-il fait ?

– Il a balayé pendant trente ans les rues de Paris !

– C’est un titre insuffisant.

– Oh ! il en a un autre, il est le père de son fils, M. X…

– Ça, c’est une raison, mais, je vous le répète, les listes sont closes, ce sera pour le 14 juillet prochain.

Le messager revint porter la réponse au journaliste. Le père était présent, attendant avec anxiété.

– Comment, dit-il à son fils, toi, qui soutiens le gouvernement, tu n’as pas plus d’influence que ça ; c’est à dégoûter de la servilité. Voyons, vas-y toi-même.

L’ami retourna le lendemain au ministère ; il embêta le ministre à un tel point que celui-ci, impatienté, ouvrit un tiroir de son bureau, y prit un écrin qui contenait les fameuses palmes et les lui donna en lui disant :

– Les listes sont closes, mais qu’il porte quand même les palmes, on ne lui dira rien, sa nomination paraîtra à l’Officiel le 14 juillet prochain.

En effet, à cette date, on lisait dans le Journal officiel :

Palmes académiques : Agénor X… ; trente années de services consécutifs dans… l’enseignement.

La mention n’ajouta pas… de balayage.

Cette course au ruban s’explique par le besoin qu’éprouvent les imbéciles à vouloir paraître être quelque chose, dans l’espérance qu’on les prendra pour quelqu’un ; mais peut-on comparer toutes ces médailles à celles décernées aux artistes peintres ?

Assurément non !

Les récompenses décernées aux artistes ne se portent pas, donc la vanité puérile n’est pas le mobile qui fait chercher à les obtenir, et on ne saurait trop en décerner si elles sont un stimulant nécessaire pour faire sortir de la foule des talents destinées à illustrer la France et les arts.

I

Les corporations, jurandes et maîtrises. – La confrérie de Saint-Luc. – La première exposition libre. – La première Académie. – L’origine des expositions. – De 1663 à 1767. – Le premier jury, 1748. – Les premiers livrets, 1673. – La Révolution de 1793. – La Commune générale des arts. – Les divers Salons sous le Consulat, l’Empire, la Restauration et Louis-Philippe. – Le Salon de 1848. – Les premières médailles. – En 1871. – Beaucoup de bruit pour rien. – Une lettre de Gustave Courbet. – La fédération artistique. – Le Suffrage universel. – Décret de 1881. – Le Salon aux mains des artistes. – Le premier comité des 90. – Discours de M. Turquet.

L’idée d’association remonte au Moyen Âge. De là naquirent les corporations, les jurandes, les maîtrises, qui, sous différents titres, étaient des sociétés de secours et d’encouragement ; le compagnonnage, malheureusement disparu, a laissé des traces profondes dans les souvenirs des anciens.

Il était naturel que les artistes d’alors imitassent l’exemple des ouvriers des différents corps d’états ; ils se groupèrent sous la protection de différentes sociétés. Malheureusement, toutes les choses excellentes en elles-mêmes deviennent mauvaises par l’abus d’autorité qu’en font les dirigeants ; c’est pourquoi, plus tard, l’Académie de France se constitua pour lutter contre les abus et les prétentions excessives des confréries et des maîtrises.

Les conditions à remplir pour faire partie des confréries, corporations et maîtrises, étaient celles-ci :

Il fallait deux degrés pour arriver à la maîtrise :

1° Cinq années d’apprentissage ;

2° Cinq années de compagnonnage.

La maîtrise s’obtenait au bout de dix ans, sur la présentation du chef-d’œuvre.

Les avantages retirés par les membres de ces associations étaient considérables.

Au point de vue individuel, les dix années d’apprentissage et de compagnonnage développaient toutes les facultés natives par un travail ininterrompu et une direction généralement intelligente.

Les chefs-d’œuvre conservés jusqu’à nos jours, principalement ceux de la corporation des orfèvres, témoignent de l’adresse, du goût et du génie des artisans formés par les corporations.

Chacun des membres de ces sociétés recueillait de l’association des avantages matériels, et, comme ces sociétés, les maîtrises avaient seules le droit d’exploiter le genre d’industrie qui leur était particulier ; elles formaient une personne civile, avaient des biens mobiliers et immobiliers, contractaient, acquéraient et plaidaient.

De nos jours, certaines rues ont conservé le nom qui était affecté à ces corporations : la rue des Orfèvres, la rue des Marchands, la rue de la Lingerie, la rue de la Ferronnerie, etc.

Une de ces maîtrises, dont les membres étaient en grande partie des artistes, s’était formée en confrérie et avait pris pour patron Saint Luc.

Ce nom est spécialement, en Italie et dans les Flandres, le patron des corporations artistiques.

Cette confrérie se trouve, depuis 1748, mêlée intimement à l’histoire de l’ancienne Académie royale de peinture et de sculpture, et aussi à l’histoire des expositions.

La Confrérie de Saint-Luc, rivale naturelle de l’Académie royale en voie de formation, et qui, par conséquent, allait lui ôter une partie de ses privilèges, fit tous ses efforts pour empêcher la fondation de cette Académie, et, pour lutter contre elle, elle organisa des expositions.

En 1751, elle parvint à en ouvrir une ; dans l’intervalle de vingt-trois ans, jusqu’en 1774, elle en eut sept,

Les Compagnons de Saint-Luc étaient seuls admis à faire figurer leurs ouvrages dans ces expositions, qui eurent un grand succès.

La Confrérie de Saint-Luc, quoique soutenue par de hautes protections, avait à sa charge tous les frais des dites expositions, frais qui étaient très lourds.

En 1776, les maîtrises, confréries et jurandes furent supprimées.

En 1648, plusieurs hommes de valeur, à la tête desquels était Lebrun, séduits par les résultats obtenus par les académies italiennes, conçurent l’idée de se grouper afin de résister aux prétentions sans cesse envahissantes des confréries et des maîtrises.

Ils obtinrent la protection du roi Louis XIV, qui leur donna l’autorisation de fonder une académie.

Cette forme particulière d’association devenait, par sa concentration, une réunion d’artistes plus choisie. Elle prospéra si bien, qu’on lui doit la plupart des grandes institutions en faveur des beaux-arts qui subsistent aujourd’hui : l’École des Beaux-Arts et l’École de France, à Rouen.

L’ancienne Académie royale a servi de modèle à toutes les académies d’art que l’Angleterre, l’Autriche, l’Espagne, la Russie, le Danube, en un mot, l’Europe entière, organisèrent au dix-huitième siècle, et dont la plupart sont encore prospères aujourd’hui.

Cette Académie était très libérale ; elle était ouverte et accessible à tous les talents : elle acceptait même les étrangers.

Les expositions, leur origine, leur développement, sont intimement liés à l’existence des confréries et académies.

Pour étudier l’histoire des expositions, il faut remonter à l’Académie royale de peinture et de sculpture, fondée en 1648.

L’Académie royale avait, entre autres prérogatives, celle de faire les Salons.

L’idée de ces solennités remonte à 1663. Ce ne fut qu’en 1767 qu’elle se réalisa pour la première fois.

En 1748 apparaît, pour la première fois, un jury dont la mission était d’éliminer, après un examen attentif, les ouvrages qui lui semblaient inconvenants ou par trop faibles.

Ce jury était composé :

Du directeur de l’Académie,

De deux recteurs,

De deux adjoints,

De douze membres élus par les académiciens et pris parmi les professeurs et les conseillers de la Compagnie.

Ce jury ainsi constitué fonctionnait encore à la veille de la Révolution.

La durée des expositions était d’un mois ; la date d’ouverture était variable ; mais elle fut définitivement fixée par une flatterie délicate au 25 août, jour de la Saint-Louis, fête du roi, car c’était le roi qui faisait, sur sa cassette particulière, les frais des expositions, l’Académie, qui les supportait primitivement, n’ayant pu continuer à le faire.

Les livrets, dont l’origine remonte à 1673, se vendaient douze sols au profit de la Compagnie. Ces livrets n’avaient que quatre pages. (Voir à l’Appendice.)

Il n’était pas distribué de récompenses.

Les premiers Salons furent tenus tantôt au Louvre, dans le local affecté à l’Académie, tantôt au Palais-Royal.

À partir de 1737, ils occupèrent le salon carré du Louvre, où ils s’ouvrirent tous les deux ans ; et même tous les ans, pendant plus d’un siècle.

Ce Salon était loin de présenter l’aspect opulent qu’il a de nos jours : il faut croire que son apparence était des plus misérables, si l’on s’en rapporte aux vers suivants qui circulaient alors dans Paris :

Il est au Louvre un galetas
Où, dans un calme solitaire,
Les chauves-souris et les rats,
Viennent tenir leur cour plénière ;
C’est là qu’Apollon sur leurs pas,
Des Beaux-Arts ouvrant la barrière,
Tous les deux ans, tient ses États
Et vient placer son sanctuaire.

En 1776 eut lieu la première tentative d’exposition libre connue sous le nom d’Exposition du Colysée ; c’était une manifestation posthume de l’Académie de Saint-Luc, qui venait d’être supprimée ; elle eut un succès considérable, mais elle ne put être renouvelée, à cause de l’opposition qui se produisit de la part de l’Académie royale.

La Révolution ne se borna pas à bouleverser l’ordre politique, elle s’occupa aussi des artistes.

En 1791, l’Assemblée nationale admit tous les artistes, Français ou Étrangers, membres ou non de l’Académie, à exposer leurs ouvrages au Louvre.

Les quatre sections, Peinture, Sculpture, Gravure et Architecture, furent appelées à figurer pour la première fois dans les expositions.

Le ministre compétent fit les frais de ce Salon, comme de ceux qui suivirent.

Une très curieuse remarque : le Salon de 1793 fut formé des ouvrages exposés par les artistes qui composaient la Commune générale des Arts, c’est-à-dire par tous les artistes ; nous verrons plus loin que les fils de 1871 ne firent qu’imiter leurs pères de 1793.

Le Salon de 1795 présentait cette nouveauté, c’est que, divisé par sections, dans chacune d’elles les ouvrages étaient classés par ordre alphabétique.

Les dessins exécutés d’après les grands maîtres furent réunis dans la section de la Gravure ; il en fut de même pour les expositions qui suivirent jusqu’en 1798.

C’est au Salon de 1799 que les récompenses firent leur apparition, non point sous forme de médailles, mais les artistes dont les toiles avaient été appréciées furent honorés, comme distinction, de travaux d’encouragement.

Au Salon de 1800, il n’est pas question de récompenses officielles.

Pendant la période décennale de 1791 à 1800, les Salons dépendirent tantôt du ministère de l’Intérieur, tantôt du ministère de l’Instruction publique.

Tout s’y faisait administrativement ; ils constituèrent les premières Expositions d’État et inaugurèrent le régime qui, avec différentes modifications, a prévalu-pendant de longues années.

Le Premier Consul, en 1803, donna à l’Institut le droit de diriger les expositions.

Sous l’Empire, de 1803 jusqu’en 1815, les récompenses commencèrent à être décernées à la fin de chaque Salon ; c’est à cette époque que remonte le Prix décennal.

De 1815 à 1830, la Restauration, voulant équilibrer plus justement les influences dans le jury, à qui on reprochait de n’être pas suffisamment impartial, adjoignit à l’Institut un certain nombre d’administrateurs et d’amateurs choisis.

À cette époque, c’était l’administration qui décernait les récompenses.

Les médailles étaient divisées en trois classes.

Sous le règne de Louis-Philippe, de 1830 à 1847, les Salons devinrent annuels. Le jury était composé des quatre sections de l’Académie des Beaux-Arts : Peinture, Sculpture, Architecture et Gravure.

Sous la République de 1848, les premières bases des associations d’artistes furent jetées ; mais devant des difficultés sans nombre, on dut y renoncer presque aussitôt.

Ledru-Rollin décida alors une exposition libre, 5 181 ouvrages furent exposés ; la commission de placement fut élue par les artistes ; l’essai réussit mal ; il y eut un mécontentement général ; et l’opinion demanda le retour à un jury ; c’est, du reste, à partir de 1848 que les médailles furent décernées par le jury.

En 1850, nouvel essai. L’administration composa deux jurys : l’un pour l’admission et l’autre pour juger les œuvres dignes d’être récompensées. Ce système ne produisit pas grand-chose de bon, car en 1852 et 1858, elle dut équilibrer les deux influences en réservant moitié des voix aux artistes et moitié à l’administration.

En 1853, le Salon qui, jusque-là, s’était tenu au Louvre et aux Tuileries, eut lieu aux Menus-Plaisirs.

En 1855, le Salon eut lieu dans un bâtiment provisoire, avenue Montaigne.

En 1857, on rendit le Salon à l’Institut.

C’est depuis 1858 que l’exposition de Peinture, qui prit le nom de Salon, a lieu chaque année au Palais de l’Industrie, du 1er mai au 30 juin.

En 1864, l’Institut fut remplacé par un jury élu, pour les trois quarts, par les artistes ; l’autre quart choisi par l’administration.

L’unité des médailles fut décidée.

C’est en 1870 que le ministère des Beaux-Arts fut créé.

Le jury fut alors exclusivement composé d’artistes élus par tous les exposants.

En 1871, sous la Commune, la Fédération des artistes voulait jouer un rôle politique ; Courbet avait organisé des réunions à l’École de Médecine pour préparer les élections ; les élus voulurent siéger au Louvre, mais ils en furent empêchés par M. Barbet de Jouy, conservateur des Musées. Ils se réunissaient souvent et passaient leur temps à critiquer l’administration, tout en essayant de l’imiter. Ils discutaient des programmes, des règlements, nommaient des commissions, des sous-commissions, des quarts de commissions, des délégués, des sous-délégués ; tout le monde voulait être quelque chose ; Courbet voulait fonder un journal, l’Officiel des Arts.

Ce n’étaient pas des fonctions à l’œil ; ils s’attribuaient des indemnités sous toutes les formes : tant par séance, tant par rapport, tant par délégation, tant pour frais de bureau et même pour des pains à cacheter. Courbet leur avait apporté 6 000 francs, mais cette somme avait été vivement engloutie ; à l’entrée des troupes françaises dans Paris, il leur était dû une assez forte somme, que le gouvernement s’empressa de ne pas leur payer ; il est juste de dire qu’ils ne songèrent pas à réclamer leurs jetons de présence.

En matière d’art, ils ne firent absolument rien que d’accoucher de cette théorie : que la Commune était, en matière d’art, le pouvoir exécutif, et la Fédération le pouvoir législatif.

On lit dans le Journal officiel de la Commune, du jeudi 6 avril 1871, l’appel suivant, adressé par Gustave Courbet, président des artistes, autorisé par la Commune ; il les invitait à se réunir, le vendredi suivant, dans le bâtiment de l’École de Médecine :

 

La revanche est prise, Paris a sauvé la France du déshonneur et de l’abaissement. Ah ! Paris. Paris a compris, dans son génie, qu’on ne pouvait combattre un ennemi attardé avec ses propres armes. Paris s’est mis sur son terrain, et l’ennemi sera vaincu comme il n’a pu nous vaincre. Aujourd’hui, Paris est libre et s’appartient, et la province est en servage. Quand la France fédérée pourra comprendre Paris, l’Europe sera sauvée.

Aujourd’hui, j’en appelle aux artistes, j’en appelle à leur intelligence, à leur sentiment, à leur reconnaissance. Paris les a nourris comme une mère, et leur a donné leur génie. Les artistes, à cette heure, doivent, par tous leurs efforts (c’est une dette d’honneur) concourir à la reconstitution de son état normal et au rétablissement des arts, qui sont sa fortune. Par conséquent, il est de toute urgence de rouvrir les Musées et de songer sérieusement à une exposition prochaine ; que chacun, dès à présent, se mette à l’œuvre, et les artistes des nations amies répondront à notre appel.

La revanche est prise, le génie aura son essor ; car les vrais Prussiens n’étaient pas ceux qui nous attaquaient d’abord. Ceux-là nous ont servi, en nous faisant mourir de faim physiquement, à reconquérir notre vie morale et à élever tout individu à la dignité humaine.

Ah ! Paris, Paris, la grande ville, vient de secouer la poussière de toute féodalité. Les Prussiens les plus cruels, les exploiteurs du pauvre étaient à Versailles. La révolution est d’autant plus équitable qu’elle part du peuple. Ses apôtres sont ouvriers, son Christ a été Proudhon. Depuis dix-huit cents ans, les hommes de cœur mouraient en soupirant ; mais le peuple héroïque de Paris vaincra les mistagogues et les tourmenteurs de Versailles ; l’homme se gouvernera lui-même, la fédération sera comprise, et Paris aura la plus grande part de gloire que jamais l’Histoire ait enregistrée.

Aujourd’hui, je le répète, que chacun se mette à l’œuvre avec acharnement : c’est le devoir que nous avons tous vis-à-vis de nos frères soldats, ces héros qui meurent pour nous. Le bon droit est avec eux. Les criminels ont réservé leur courage pour la sainte cause.

Oui, chacun se livrant à son génie, sans entrave, Paris oubliera son importance, et la ville internationale européenne pourra offrir aux arts, à l’industrie, au commerce, aux transactions de toutes sortes, aux visiteurs de tous pays, un ordre impérissable, l’ordre par les citoyens, qui ne pourra pas être interrompu par les ambitions monstrueuses de prétendants monstrueux.

Notre ère va commencer ; coïncidence curieuse ! c’est dimanche prochain le jour de Pâques : est-ce ce jour-là que notre résurrection aura lieu ?

Adieu le vieux monde et sa diplomatie !

 

GUSTAVE COURBET

 

Voici les noms de la Fédération des artistes, élus au Louvre, le 17 avril 1871, tels qu’ils furent publiés dans le Journal officiel de la Commune, le 12 avril 1871 :

 

FÉDÉRATION DES ARTISTES DE PARIS

 

PEINTRES

 
Bonvin.Glück.Corot.Héreau (Jules).Courbet.Lançon.Daumier.Leroux (Eugène).Durbec (Armand).Manet (Édouard).Dubois (Hippolyte).Millet (François).Feyen-Perrin.Oulevay.Gautier (Amand).Picchio.
 

SCULPTEURS

 
Becquet.Moreau-Vauthier.Chapuy (Agénor).Moulin (Hippolyte).Dalou.Ottin.Lagrange.Poitevin.Lindeneher (Édouard).Deblézer.
 

ARCHITECTES

 
Boileau fils.Oudinot (Achille).Delbrouck.Raulin.Nicolle.
 

GRAVEURS-LITHOGRAPHES

 
Bellenger (Georges).Gill (André).Bracquemond.Huot.Flameng.Pothey.
 

ARTISTES INDUSTRIELS

 
Aubin (Émile).Meyer.Boudier.Ottin fils.Chabert.Pottier (Eugène).Chesneau.Reiber.Fuzier.Riester.
 

Cette commission entra immédiatement en fonctions.

Le Salon qui devait régénérer l’art français n’eut pas lieu.

En 1872 et 1873, l’élection du jury fut confiée aux artistes récompensés ; en 1879, on donna le droit d’élection à ceux qui avaient exposé trois fois.

En 1880, une mesure plus libérale fut appliquée aux artistes, car il suffit d’avoir exposé une fois au Salon, pour que l’artiste eût le droit de voter.

Sur un vœu émis par le Conseil supérieur des Beaux-Arts, dans sa séance du 13 décembre 1880, sur la proposition du sous-secrétaire d’État du ministère des Beaux-Arts, le président du Conseil, Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-Arts, prit l’arrêté suivant :

ARTICLE 1er. – Les artistes Français, peintres, sculpteurs, graveurs, architectes, ayant été admis une fois à l’exposition annuelle des artistes vivants, sont convoqués pour le mercredi 12 janvier, à l’effet d’élire un Comité de 90 membres, qui réglera, D’ACCORD AVEC L’ADMINISTRATION DES BEAUX-ARTS, les conditions suivant lesquelles se fera l’exposition de 1881.

ART.2. – Le Comité sera élu par section, au scrutin de liste, à la majorité relative des votants.

La première section, dite de peinture comprendra la peinture, le dessin, les pastels, aquarelles, émaux, cartons de vitraux et vitraux, et élira 50 membres.

La deuxième section, dite de sculpture, comprendra la sculpture, la gravure en médailles et sur pierres fines et élira 20 membres.

La troisième section, dite d’architecture, élira 10 membres.