Pourquoi Soral séduit - Tome 1 - Michel Collon - E-Book

Pourquoi Soral séduit - Tome 1 E-Book

Michel Collon

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Beschreibung

Que faire avec le capitalisme qui engendre exploitation, crises, colonialisme, guerres, migrations forcées et qui permet à une élite de dominer ? Ce livre propose d’aller plus loin que la théorie du complot en décortiquant le système, la propagande de guerre et la domination des marchés.
En effet, confrontés à l’inégalité, aux injustices et agressions de toutes sortes, de quoi les gens ont-ils besoin ? D’une véritable explication des mécanismes de l’économie ! Encourager à la réflexion sur base d’une analyse rationnelle des mécanismes qui régissent notre société pour savoir comment changer ce système, tel est le but de Michel Collon.
Ce livre est une boîte à outils permettant de mieux comprendre le présent et de préparer l’avenir en analysant ce qui a produit la société actuelle, ainsi que de partager clairement sa vision autour de soi. Comprendre comment les uns peuvent s’enrichir même sans travailler tandis que les autres triment dur et se font quand même larguer. Comprendre contre qui tourner sa colère. Comprendre comment résister et préparer un monde meilleur.

Pour cela, une explication rigoureuse et scientifique est nécessaire.
D’où provient la recrudescence actuelle du complotisme ? De la crise ! Mais la théorie du complot n’explique rien. Au contraire, elle déforme les faits historiques, elle déforme le fonctionnement réel de l’économie et aussi celui des médias. Par sa fausse évidence, elle nous aveugle en nous empêchant d’aller plus loin. La théorie du complot est liée à l’idée que vous êtes des moutons incapables de comprendre le monde et de changer la situation.

Pour tracer de véritables perspectives d’avenir, il faut donc absolument en finir avec le complotisme. Passer à une critique adulte du capitalisme. Telle est notre responsabilité envers nos enfants et les générations à venir.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Michel Collon, fondateur du collectif Investig'Action, analyste des stratégies de guerre et de désinformation, auteur d' Attention médias! Israël, parlons-en! et Je suis ou je ne suis pas Charlie.

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Pourquoi Soral séduit

Ouvrages déjà parus de Michel Collon :

Le Monde selon Trump (avec Grégoire Lalieu), Investig’Action 2017

Je suis ou je ne suis pas Charlie ? (Réflexions sur la guerre, l’islam, le terrorisme, et la liberté d’expression), Investig’Action, 2015

La stratégie du chaos – Impérialisme et islam(avec Grégoire Lalieu), Investig’Action, 2011

Libye, Otan et médiamensonges, Investig’Action, 2011

Israël, parlons-en !,Investig’Action, 2010

Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Investig’Action, 2009

Bush, le cyclone, Marco Pietteur, Liège, 2005

Monopoly – L’Otan à la conquête du monde, EPO, Bruxelles, 2000 (épuisé)

Poker menteur. Les grandes puissances, la Yougoslavie et les prochaines guerres, EPO, Bruxelles, 1998 (épuisé)

Attention, médias ! Médiamensonges du Golfe – Manuel anti-manipulation, EPO, Bruxelles, 1992 (épuisé)

MICHEL COLLON

Pourquoi Soral séduit

Tome 1Economie et finance : les 7 contradictions d’Alain Soral

Investig’Action

© Michel Collon

Mise en page : Simon Leroux

Couverture : Joël Lepers

Correction : Catherine Thirion, Delphine Lepers, Goran Mitrovic, Elisabeth Beague, David Delannay , Claire Bremond d’Ars Emmanuel Wathelet

Edition : Investig’Action – www.investigaction.net

Distribution : [email protected]

Commandes : [email protected]

ou sur le site www.investigaction.net

Interviews, débats : [email protected]

Publié avec l’aide de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

ISBN : 978-2-930827-09-4

Dépôt légal :D/2017/13.542/2

A la mémoire du chanoine François Houtart,

curé révolutionnaire, défenseur infatigable des peuples du monde et ami très cher.

Il nous a offert un exemple merveilleux :

résistance, modestie, amour des gens dans leur diversitéet foi en l’homme.

A une époque où la religion est souvent manipulée pour nous ramener en arrière et semer la haine,

il a su montrer qu’elle peut aussi inspirer certains

pour construire la société de demain.

Merci à tous ceux qui m’ont aidé à écrire ce livre.

Bruno Drweski, Nabil Boukili, Florian Rochat, Annie Lacroix-Riz, Alain Ruscio, Henri Houben,

Joël Lepers, Philippe Huysmans, Saïd Bouamama, Grégoire Lalieu, Alex Anfruns, ainsi que Patrick, Lucas, Emmanuel, Olivier, Florence et d’autres encore, il est impossible de les nommer tous.

Ma chaleureuse gratitude pour leurs réflexions,critiques et propositions.

Merci aux correcteurs qui ont œuvré avec patience et rigueur pour rendre ce livre plus clair, plus agréable à lire et très proche, je crois, du « zéro faute » : David

Claire, Catherine, Delphine, Goran, Elisabeth et Emmanuel.

Table des matières

Introduction......................................................................................11

Economie et finance : les 7 contradictions d’Alain Soral

1. Où se trouve la plus grande fortune du monde ?...................33

2. Tout est de la faute des banques ?.............................................39

3. Qui est responsable de la crise ?................................................79

4. Y a-t-il un bon et un mauvais colonialisme ?.........................131

5. La guerre : complot ou conséquence de la crise ?................205

6. Sur quelles classes sociales pouvons-nous compter ?..........321

7. Est-il possible de résister ?.......................................................411

Conclusion : notre choix sera décisif..........................................501

Il faut voir les choses en face. Que cela plaise ou non, Alain Soral est aujourd’hui l’intellectuel français le plus influent auprès de la jeunesse. Absent des médias, absent des luttes, il est par contre omniprésent sur Internet et dans les conversations. Son livre Comprendre l’Empires’est vendu à cent mille exemplaires en trois ans, ses vidéos, longues et payantes, battent des records d’abonnement et son site Egalité et Réconciliationest le plus fréquenté des sites politiques français.

Introduction

Pourquoi Alain Soral et Comprendre l’Empireméritent d’être étudiés de près

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Pourquoi Soral séduit

D’où lui vient cette popularité ? De ses thèmes à la mode, certes : Soral pourfend Israël, les juifs, les banques et la finance, l’impérialisme US, les partis traditionnels, les marxistes. Mais aussi de discours à contre-courant : il vante les valeurs traditionnelles, la religion catholique, l’Ancien Régime d’avant 1789, il prône un Etat fort, le culte du chef et rejette la démocratie.

Et si cette popularité venait surtout de… ses adversaires ? Quand le candidat Hollande promet des mesures fortes contre « mon ennemi invisible, la finance »,et que le président Hollande fait exactement le contraire, ne fait-il pas la promo de Soral ? Quand Bernard-Henri Lévy, jamais gêné d’avoir excité des désastres un peu partout, monopolise des médias complaisants, ceux-ci ne font-ils pas la promo de Soral ? Quand le lobby pro-Israël réussit à empêcher tout débat public sur le dernier colonialisme de la planète, ne fait-il pas la promo de Soral ?

Le seul qui leur parle

Mais qui sont ces gens qui suivent Soral ? Très divers, ils ont ceci en commun : ils ont perdu confiance dans les dirigeants politiques qui ne les écoutent pas et lancent plein de promesses qu’ils ne comptent pas tenir. Ils ont perdu confiance dans les médias qui reflètent les vues de l’élite, relaient des mensonges à chaque guerre et n’en tirent aucune leçon. En retour, ces gens sont copieusement méprisés par les politiques et les médias qui les considèrent « populistes », « complotistes » et irrécupérables. Comme on a pu le constater en Europe et aux Etats-Unis, la masse ne cesse de grandir des gens qui se sentent humiliés et exclus par le système.

Soral, par contre, s’adresse à eux. Il leur parle de réalités importantes : les inégalités qui explosent, la droite et la gauche qu’on n’arrive plus à distinguer, l’humiliation des pays du Sud, les ingérences permanentes des Etats-Unis qui multiplient les guerres « humanitaires », l’arrogance d’Israël qui massacre

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Introduction

régulièrement les Palestiniens mais continue à recevoir chaque année des milliards de dollars de ses protecteurs occidentaux. Tout cela met en rage des millions de gens et Soral vient leur dire : « Je vous comprends ». Il leur propose même une place dans la société. Une place parfois curieuse, mais une place. Ces gens adorent Soral : enfin quelqu’un ose dire ses quatre vérités à ce système.

Le positif du « phénomène Soral »

Nous allons ensemble examiner ce que vaut l’analyse présentée par Soral dans son livre « Comprendre l’Empire ». Mais d’abord, on doit souligner le côté positif du phénomène Soral : les gens cherchent ce qu’on ne leur dit pas sur la Finance, les guerres ou Israël. Ils cherchent la vérité en dehors des discours qui dominent la télé et les manuels scolaires. C’est un premier pas.

Notre société subit des révoltes massives de sa jeunesse. Certains brûlent des bagnoles. Certains se passionnent pour les complots. Certains rejoignent les nouvelles milices de l’extrême droite violente. D’autres se suicident en massacrant des innocents avec Daesh, forme ultime du désespoir et du nihilisme. Et que fait la société ? Aucun examen de conscience sur les causes économiques et sociales de ce désespoir. Pas de débat véritable avec tous les acteurs, et donc aussi avec ceux qui s’appellent les « dissidents ». On ne vous parle pas !

Pourquoi Soral rencontre-t-il un si grand succès auprès de la jeunesse ? Parce qu’il répond à un besoin qui n’est pas satisfait ailleurs. Aux jeunes, il dit trois choses importantes :

1. C’est le système qui est malade.

2. On a donc raison de se révolter.

3. Il faut tourner sa colère contre les responsables, il faut des cibles. Trois choses que la gauche disait et ne dit plus.

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Pourquoi Soral séduit

Aux jeunes, il dit trois choses importantes que la gauche ne dit plus

1. C’est un système global qui est malade.Il ne s’agit pas de résoudre tel ou tel problème temporaire, comme le disent tous les partis traditionnels et les experts officiels. Non, le problème, c’est le système. Quarante ans qu’en-haut on parle de « la crise » et qu’on promet des emplois à condition de faire des « sacrifices ». Quarante ans qu’en-bas on voit arriver les sacrifices, mais jamais les emplois. La pauvreté et la précarité ne cessent d’augmenter en même temps que les fortunes des milliardaires. Ce discours hypocrite ne trompe plus personne, on ne l’écoute même pas.

2. On a donc raison de se révolter.Et radicalement. Ce mot veut dire : en prenant le mal à sa racine. Justifié si on critique un système. Mais ce mot est aujourd’hui diabolisé : le langage officiel assimile la radicalité au terrorisme. Piètre subterfuge : on ne répond pas au problème dans la réalité, mais en truquant le langage. On a donc raison de se révolter mais la gauche officielle se méfie à présent des révoltes : elle ne peut pas à la fois gérer le système, en recevoir les avantages et plaire aux révoltés.

3. Et on a raison de chercher des responsables.Puisque ce système tourne en rond depuis si longtemps, on a donc raison de chercher des responsables contre qui tourner sa colère. On doit cibler des adversaires précis, ceux qui sont à l’origine des injustices, de l’exploitation et des guerres. Mais là aussi, les partis traditionnels en sont incapables, ne cessant de répéter que nous sommes tous embarqués dans le même bateau et qu’il faut nous serrer les coudes.

« Guerre de classe » ou pas ?

« Tous dans le même bateau » ? Ce n’est pas ce que dit le milliardaire Warren Buffet, troisième homme le plus riche du monde : «Oui, il y a bel et bien une guerre des classes, mais c’est ma classe, la classe des riches, qui fait la guerre et c’est nous qui la gagnons. »1.

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Introduction

Ceci, la gauche officielle, la gauche molle, fait semblant de ne pas l’entendre. Et, dans les médias, l’expression « lutte de classe » est devenu un tabou obscène. Pourtant, ce milliardaire sait d’où provient sa fortune, non ?

Dans les médias officiels, on ne trouve aucune investigation sur l’essentiel. Ni sur la crise (depuis quarante ans, les explications diverses et superficielles s’accumulent sans analyse critique), ni sur la Finance (on révèle bien tel ou tel fraudeur fiscal, mais pas les mécanismes fondamentaux et « légaux » par lesquels l’ensemble du monde de la finance vole les citoyens), ni sur les guerres (prétendues humanitaires et démocratiques, en censurant la contestation), ni sur Israël (dont le lobby inspire une véritable panique dans toutes les rédactions officielles).

Quiconque n’est pas satisfait et commence à chercher ailleurs se voit traiter de « conspirationniste ». Des théories fantaisistes fleurissent effectivement en abondance. Mais les analyses sérieuses sont jetées avec la même eau du bain, sans débat, sans explication, juste un collage d’étiquettes, pour cacher le manque d’arguments sur le fond. Et tout ceci alimente une frustration dont je crois qu’on n’a pas pris la mesure, même parmi les journalistes qui essaient de faire honnêtement leur boulot.

Désarroi au sein de la « dissidence »

Que tant de gens s’intéressent à ces problèmes est donc un signal positif. Mais gare aux fausses pistes et aux divisions factices ! Aujourd’hui, nous voyons que des couches sociales importantes se révoltent et sont en recherche. Nous voyons aussi beaucoup de confusion, comme le constate le rappeur Médine : « Les contradictions sont très présentes dans ce qu’on appelle aujourd’hui la « dissidence ». Cette prétendue dissidence ne fait finalement qu’amener beaucoup de complotisme, de désarroi, jette un peu plus de flou dans les quartiers populaires aujourd’hui. »2

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Pourquoi Soral séduit

Je peux confirmer. Mais ce désarroi n’est pas une fatalité, cette situation peut se transformer. J’ai une certaine expérience de ce public puisque ça fait vingt-cinq ans que je sillonne la France, la Belgique, la Suisse et d’autres pays, j’ai donné des centaines de conférences, participé à des débats, organisé des ateliers de formation, discuté avec des milliers de gens et j’en ai énormément appris. Mon expérience de ce public ? Je la résumerais en quatre mots : méfiance, colère, envie de bouger, sentiment d’impuissance.

Une génération déchirée

En France et ailleurs, nous avons aujourd’hui toute une génération 18-35, largement issue de l’immigration, mais pas seulement. D’un côté, elle est en révolte contre le système et prête à bouger. De l’autre côté, elle nage dans une grande confusion politique, ne croit plus à « gauche et droite » et ne dispose pas des concepts-clés pour analyser le monde actuel. Cette génération manque de confiance en soi car elle est déchirée entre sa colère et sa peur. La colère vient du dégoût face à une société hypocrite et menteuse. La peur provient de l’incertitude économique, du chômage omniprésent, de la répression raciste.

Cette peur peut l’amener vers des positions de repli sur soi et de recul vers le passé. Ou à se réfugier auprès des gourous rassurants puisqu’ils font tout le boulot et se disent capables de tout expliquer. Je pense que l’on n’a pas besoin de gourous, mais d’autre chose. Nous verrons de quoi.

A propos de cette génération dissidente et révoltée, il convient de se poser cette question : Alain Soral, homme de spectacle, pousse-t-il les gens à l’action concrète ou à rester passifs dans la complainte ? Voilà pourquoi son livre Comprendre l’Empireest très important, voilà pourquoi il faut en débattre largement. En posant trois questions :

1. L’analyse de Soral permet-elle de comprendre l’exploitation, la crise et la guerre ?

2. Quelle solution propose-t-il ? 3. Fournit-il à ses lecteurs les instruments pour agir ?

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Introduction

Que vaut l’analyse de Comprendre l’Empire ?

Ils sont donc de plus en plus nombreux ceux qui cherchent une alternative au système et qui se posent des questions importantes. La toute première qui se pose aujourd’hui, alors qu’on cible de plus en plus le fameux « 1% » des super-riches, est évidemment : où se trouve le centre décisionnel de ce système ?

Et là, le problème est qu’avec Soral, on a beaucoup de réponses, on a même l’embarras du choix. Page 60, il nous dit que la plus grande fortune du monde, le centre caché du pouvoir, c’est la Federal Reserve (la banque centrale US à New York). Page 71, c’est plutôt l’ensemble des banques. Page 106, ce sont les francs-maçons. Page 109, ce sont plutôt les juifs. Page 177, c’est l’Etat d’Israël. Page 113, c’est devenu carrément la secte secrète des Illuminati. Mais page 112, on apprend que tout cela provient en réalité de Satan. Ça fait beaucoup de cibles, non ? Ne faudrait-il pas choisir ? Nous allons analyser soigneusement chacune de ces explications.

Déjà on peut se poser la question : comment admettre un si grand nombre d’explications « décisives », mais contradictoires entre elles ? Le monde est-il vraiment si compliqué ?

Nous en avons parlé avec des amis, intrigués eux aussi par la démarche de Soral. Pour Emmanuel, l’explication est que Soral est un grand lecteur mais pas un vrai théoricien. De ses lectures, il copie ce qui lui plaît et se laisse porter par les raisonnements d’autres, sans arriver à choisir. On trouverait ainsi, côte à côte, des emprunts à toutes les grandes théories de l’extrême droite sur les divers boucs émissaires et des emprunts aux diverses formes de théories complotistes. Pour Max, l’explication serait plutôt dans une stratégie de drague. Auteur d’un livre à succès, Sociologie du dragueurparu en 2004 où il expose des stratégies particulièrement méprisantes et cyniques envers les femmes, Soral continuerait à appliquer la même stratégie mais pour la drague politique cette fois : comme il vise divers publics,

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Pourquoi Soral séduit

aux expériences et positions différentes et parfois contradictoires, il raconterait à chacun ce qu’il a envie d’entendre, sans se soucier des contradictions. Ce livre va donc vérifier comment se construit la « doctrine Soral » et si elle est cohérente.

« Je ne prends pas tout, je fais le tri »

Quand vous parlez à des partisans de Soral, ils vous disent souvent : « Je ne suis pas d’accord avec tout ce que Soral dit, il y a des choses que je n’aime pas, mais il s’oppose au système et il ose tout dire. »Apparemment, le fait est connu, et le chercheur Eric Marlière l’explique ainsi : « Le propre de la parole de Soral,c’est qu’elle va très vite et qu’elle est pleine de digressions. Automatiquement, les gens qui l’écoutent font le tri et ne retiennent que les thèmes qui les concernent ou les convainquent le plus. »3

Bref, chacun prend seulement ce dont il a envie, on pêche parmi les thèmes sans faire attention à l’explication globale ? « Je n’ai jamais pris ce qu’il dit au pied de la lettre, confirme Achille, un adhérent d’Egalité & Réconciliation. Moi, comme tous les sympathisants que je connais, nous allons presque systématiquement vérifier ce qu’il avance, et nous ne retenons pas tout. »4

Vérifier ! Saine démarche, à propos de n’importe qui d’ailleurs. Mais est-elle appliquée à fond ? Demandons alors à tous ceux qui ont lu ce livre Comprendre l’Empire : pourriez-vous résumer en une phrase ce que Soral propose à la place du système qu’il critique ? Il est probable que les réponses seraient variées et contradictoires. Les lecteurs qui retiennent de Soral ce qui leur plaît et écartent le reste pourraient-ils être victimes d’une stratégie de drague plutôt cynique ?

Drague politique ?

La question se pose, en effet : après avoir été un dragueur sexuel, particulièrement cynique, voire manipulateur selon

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Introduction

ses propres dires, Soral est-il devenu un dragueur politique, et toujours cynique ? Comment expliquer que, d’un côté, il appelle à respecter les Arabes et les musulmans, mais que, de l’autre, il dresse une statue au raciste Jean-Marie Le Pen, tortionnaire impitoyable des Algériens pendant la colonisation française ?

Y aurait-il ici un point commun avec les politiciens traditionnels ? Eux aussi, pour séduire leurs « cibles » racontent ce que celles-ci souhaitent entendre. Or, nous l’avons dit, Soral vise plusieurs cibles, plusieurs publics très différents et parfois très opposés. Il parvient à dire tout et son contraire, parfois dans le même chapitre ou la même vidéo. Pourtant on ne peut pas dire en même temps que la Terre est ronde et qu’elle est plate. Il faut choisir.

Pourquoi insistons-nous sur ce point ? Nous allons montrer que se limiter à telle ou telle phrase d’Alain Soral qu’on « aime bien » ne suffit pas. Il faut comprendre l’essence de sa pensée. Comme avec les politiciens, il faut distinguer la stratégie de séduction (Soral est très bon dans la ‘com’) de l’essence du programme, le vrai projet politique qui n’est pas dit clairement. Pêcher çà et là une bonne phrase, en ignorant son contexte, c’est courir le risque de se faire égarer. Peut-on choisir telle ou telle pièce d’un puzzle et ignorer les autres ? Sa doctrine ne forme-t-elle pas un tout, un programme politique à déchiffrer ? Où Soral veut-il nous mener ?

Si on prétend « comprendre l’Empire », il n’est pas suffisant d’avancer telle ou telle affirmation plus ou moins vraie sur la Finance, sur Israël, sur les guerres des Etats-Unis. Il faut pouvoir expliquer vraiment d’où proviennent les inégalités, comment fonctionne l’économie, par quels mécanismes se creuse l’écart riches – pauvres, pour quelles raisons précises les stratégies économiques débouchent sur des guerres. Ce ne sont pas des points de détail, c’est l’essence du système.

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Pourquoi Soral séduit

Une conception de « l’Empire » qui divise les « dissidents » ?

Aujourd’hui, les contestations et les résistances se multiplient dans le monde. Un concept les résume : les 99% face au 1%. Mais qui est ce 1% ? Pour bien lutter, il s’agit de ne pas se tromper de cible, et de ne pas se disperser en visant des cibles différentes.

Soral arrive avec une réponse très simple : ce sont les juifs. Il ne cesse d’en parler dans son livre et dans ses vidéos. A ses yeux, la religion judaïque est le problème central de notre société actuelle. En résumé, pour Soral, l’Empire, ce sont les banquiers juifs de New York, mus non par l’appât du gain comme on pourrait le penser, mais par « une idéologie puisée à l’Ancien Testament » (page 72).Appuyés par leurs relais dans le monde, et notamment par les francs-maçons. Alors que le monde entier cherche à comprendre les mécanismes du système et à comprendre où se trouve le « 1% », Soral apporte donc cette réponse très simple. Ou simpliste ?

Nous parlerons des juifs. Mais, pour vérifier s’ils jouent effectivement ce rôle central, il nous faut d’abord comprendre comment fonctionne le système économique et financier. Dans son chapitre 2, Soral nous annonce une analyse de la crise. Cette analyse explique-t-elle l’ensemble des faits se déroulant sous nos yeux ? Et pourquoi y retrouve-t-on certains raisonnements tenus également par des personnalités comme Sarkozy, Hollande, Rocard ou George Soros, qui ne sont pas précisément des dissidents ?

Un bon système, qui souffre d’une maladie ?

Dans la doctrine Soral, le capitalisme est un bon système mais il est détourné et déformé par une sorte de maladie temporaire : la domination de la finance juive. Si on le guérit de cette maladie, on aura un bon système capable d’assurer le bonheur de l’humanité par la Justice sociale. Bref, le système capitaliste serait la solution à condition d’avoir de meilleurs leaders. Je vais prouver que cette thèse est fausse.

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Introduction

Je pense que le mal est bien plus profond que cela. Que nous devons carrément changer les règles économiques elles-mêmes et, pour cela, transformer toute la vie politique. Par une véritable révolution démocratique. C’est-à-dire non pas une démocratie contrôlée par l’argent du 1%, mais une démocratie active à laquelle participent les 99%.

Or, Soral refuse la démocratie car il ne fait pas confiance aux gens, il ne cesse de le répéter, les considérant comme passifs et incapables de quoi que ce soit. A la place, il propose un culte du chef (devinez qui), lequel serait seul capable de changer les choses de façon autoritaire. Restez passifs, Soral va tout régler. Eh bien, je ne crois pas que ça puisse fonctionner ainsi.

Les gens méritent de vraies réponses

Quand il parle de lui-même, Soral n’a pas une mauvaise opinion de sa valeur personnelle : « Moi, Egalité et Réconciliation, c’est trois à quatre heures de travail par jour (pas plus ?). Produire ce que je suis en train de produire là, y compris les risques, c’est des milliers d’heures de lecture, c’est un cerveau qui représente en termes de valeur ajoutée, beaucoup, beaucoup d’argent, c’est des années et des années de lecture, d’analyse, de combat, de prises de risques ; etc… Tout ça, ça vaut cher. »5Textuel !

Puisqu’on nous dit que ce cerveau vaut très cher, le lecteur - spectateur sera évidemment en droit de vérifier la qualité des conseils que ce cerveau prodigue à ses fidèles. Par exemple, depuis des années, Soral pourfend les juifs qu’il accuse de dominer le monde et il s’en prend particulièrement à Israël. Dans le même temps, il appelle depuis des années à voter pour le FN présenté par lui comme une alternative au système. Fort bien. Et puis, patatras, voilà que Marine Le Pen aligne son Front National sur… Israël et va faire la génuflexion à Tel Aviv. Un cerveau si lucide ?

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Pourquoi Soral séduit

Après un tel auto-éloge, on se doit de vérifier de près. Nous allons tester. Le travail d’analyse est-il rigoureux et approfondi dans ce livre Comprendre l’Empire ? Les faits historiques - abondamment cités pour appuyer les thèses de l’auteur - sont-ils respectés ou déformés ? Peut-on se réclamer à la fois de Che Guevara et d’Hitler ?

Manifestement, Soral parle de réalités importantes dans un système qui est effectivement malade. Mais que vaut son diagnostic ? On a raison de se révolter, mais Soral nous propose-t-il une véritable alternative au système ? Voilà des questions vraiment cruciales. Aujourd’hui, de plus en plus de gens souffrent, qu’ils aient ou non un travail. Les uns prennent des pilules pour tenir le rythme et supporter le stress tandis que d’autres en prennent contre la dépression. Ces gens méritent qu’on leur fournisse le meilleur, et non qu’on leur désigne de fausses cibles et de fausses solutions.

Aujourd’hui, un Européen sur cinq vote pour un parti non traditionnel. Souvent appelés « populiste », un terme fourre-tout qui regroupe des programmes divers et contradictoires : des partis progressistes, mais aussi des démagogues. Donc les gens sont en recherche, mais risquent de se faire manipuler. Ils ont droit à des réponses de qualité. Voilà qui pose le problème de la méthode employée dans ce livre Comprendre l’Empire.

Le problème des deux méthodes

Qu’est-ce qu’un bon chercheur doit apporter à ses lecteurs ? Des réponses agréables à entendre, même si elles sont partielles, voire superficielles ? Non, le lecteur mérite les meilleures réponses possibles, expliquant réellement l’ensemble du système, et pas seulement tel ou tel phénomène. Et de façon cohérente, logique. On ne peut accepter plusieurs réponses contradictoires. Si vous recevez un puzzle dont les pièces ne s’emboîtent pas, est-ce un beau cadeau ou une impasse ?

23

Introduction

Pour un chercheur, un analyste, il existe deux méthodes possibles. La première méthode décide à l’avance quelle thèse elle veut démontrer. Puis elle picore à gauche et à droite, dans toutes sortes de livres, ne retenant que ce qui confirme sa thèse, écartant les faits qui la contredisent. Cette méthode pourrait être appelée « romanesque » car, au fond, elle crée une fiction et même des illusions pouvant mener à des fantasmes. On est dans le superficiel et l’auto-persuasion.

La seconde méthode, je l’appellerais « scientifique ». Car elle étudie l’ensemble des faits, et pas seulement une partie. Elle n’écarte pas les objections, ni les questions gênantes ; au contraire, elle recherche patiemment les causes profondes, les mécanismes qui relient tous ces faits entre eux. Elle ne se laisse pas impressionner par les étiquettes que certains ont pu coller pour discréditer ce qui serait trop subversif. Elle ne se contente pas de faits sans preuves et elle ne réécrit pas les faits historiques de façon fantaisiste. Et si jamais on se trompe, ce qui peut arriver à chacun, avouer son erreur est honnête et honorable, personne n’a la science infuse. Faut-il prétendre avoir toujours raison ou faut-il avancer humblement vers la vérité ? N’est-ce pas de ses erreurs qu’on apprend le plus dans la vie ?

Ces deux méthodes, la « romanesque » et la « scientifique », nous allons les confronter dès le chapitre 1 de ce livre, et dans les chapitres suivants. Avec un souci de rigueur permanent. Pour que le lecteur sache qu’il peut nous faire confiance, nous indiquerons clairement nos sources en fin de chapitre afin que cela ne complique pas la lecture et sans nous étendre dans des détails infinis.

Chacun doit avoir la possibilité de vérifier par lui-même si nous respectons bien les faits et les recherches d’autrui. Par contre, Comprendre l’Empirene contient aucune source permettant au lecteur de vérifier. Or, plusieurs historiens m’ont confirmé que ce livre déforme des faits historiques importants, réécrits de façon romanesque et fantaisiste. Nous le montrerons avec plusieurs exemples, comme la colonisation, les appuis d’Hitler ou les origines des Etats-Unis.

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Pourquoi Soral séduit

Râler ne suffit pas

En lisant Comprendre l’Empire, on ne peut qu’être frappé par une contradiction étonnante. D’un côté, Alain Soral ne cesse de fustiger le système qu’il appelle « Empire », le décrivant comme injuste, hypocrite et destructeur. Et de l’autre côté, que propose-t-il alors pour combattre ce système, pour le faire reculer, pour défendre les gens ? Rien. Absolument rien. Dans les 238 pages de ce livre, il ne propose pas une seule action, pas une seule revendication, pas une seule piste pour mobiliser les gens. C’est un vrai mystère. Regarder les vidéos de Soral suffirait-il pour changer le monde ? Pouvons-nous nous contenter d’assister passivement au combat mené par quelques « grands hommes » ?

Je ne le pense pas. Je crois et je montrerai que l’Histoire n’est jamais faite par de tels « grands hommes » mais bien par des millions de gens, qui d’abord étaient passifs, ou entravés, et qui à un moment se mettent en marche, rejettent l’ancienne société et entreprennent de réaliser leurs rêves. Alors, si le monde d’aujourd’hui nous déplaît, devons-nous attendre qu’il se change de lui-même, ou que d’autres le changent pour nous ? Ne faut-il pas commencer, chacun là où nous sommes, à prendre nos pelles et remuer la terre pour déplacer petit à petit les obstacles ?

Râler ne suffit pas. Il nous faut dès maintenant pouvoir combattre et faire reculer l’injustice. Râler est légitime, mais se limiter à râler, c’est capituler, c’est renoncer à offrir un monde meilleur à nos enfants ou futurs enfants. Gueuler, ça fait du bien, mais les gens ont surtout besoin de comprendre et d’agir.

Surtout aujourd’hui. Nous vivons un moment historique. Le système commence à craquer, l’Histoire s’accélère, le monde devient complexe et chaotique. Se faire du bien en écoutant quelqu’un pousser un coup de gueule, cela ne suffit pas, on a besoin d’une analyse solide. Une analyse qui arme chacun. Pas seulement les intellectuels, mais aussi les ouvriers, les ménagères, les jeunes non diplômés. Chacun doit pouvoir comprendre ce qui se passe. Afin de pouvoir agir et peser sur ce système.

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Introduction

Des moutons ?

On rencontre beaucoup de pessimisme : « Ils sont trop forts ». Mais un monde meilleur est parfaitement possible et ce serait bête de passer à côté. Car le capitalisme n’est pas aussi fort qu’il veut le faire croire : l’économie ne parvient pas à sortir de la crise, les Etats-Unis sont en déclin, l’Union européenne pourrait exploser, Israël est de plus en plus impopulaire. Bref, le système a de grandes faiblesses que nous pouvons exploiter pour faire reculer l’injustice, et préparer des changements radicaux.

Evidemment, ceci renvoie à une question fondamentale : a-t-on confiance dans les gens ou les méprise-t-on ? Dans son livre, à la page 102, Alain Soral traite son public de « moutons » incapables de quoi que ce soit. Par contre, il glorifie l’action de ce qu’il appelle « le grand homme ». A qui pense-t-il ? Quels sont ses modèles dans l’Histoire ? Quels changements a-t-il en tête ? Ces questions seront soigneusement étudiées.

Pour ma part, je ne partage pas du tout sa thèse sur les « moutons impuissants ». Je dis aux gens : Vous n’êtes pas des moutons, c’est le système qui veut vous maintenir passifs car il a peur de vous. Il a peur que vous compreniez trop bien comment il fonctionne et comment vous pouvez le changer. A mes yeux, vous n’êtes pas des moutons mais des acteurs, et votre intervention sera décisive.

Le problème du complotisme dépasse la personne de Soral

Lorsque je préparais ce livre, des amis m’ont dit : « Est-ce bien nécessaire ? Beaucoup de gens ne connaissent pas Soral, ou ne le suivent pas ». Exact. Mais le problème dépasse la personne de Soral.

Aujourd’hui, beaucoup de personnes s’interrogent sur la société dans laquelle nous vivons : que faut-il faire avec le capitalisme pour que l’humanité aille mieux ? Différents courants de pensée

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Pourquoi Soral séduit

sont en présence pour expliquer le système et Soral représente un de ces courants, qui existait bien avant lui et existera encore sans lui.

Ce courant complotiste explique les problèmes économiques, politiques et sociaux par des conspirations secrètes que trameraient des forces cachées. Bien sûr, les complots existent. Pas aussi nombreux que certains le prétendent, mais on en a quand même prouvé un certain nombre6. Cependant il est exagéré d’expliquer toute la société par un grand complot. L’explication de certains phénomènes qui nous révoltent est bien plus simple, et peut être prouvée.

Pour prendre un exemple, qui nous touche à cœur : d’où viennent les guerres ? De complots tramés par une bande entièrement secrète et dissimulée ? Ou bien de l’enchaînement logique des règles du capitalisme : à savoir la bataille de la concurrence entre les grands monopoles ? Les supercomploteurs secrets et imaginaires n’ont pas d’adresse, les grands capitalistes si. Je pense que ce courant complotiste provoque un sentiment d’impuissance : que peut-on faire contre des gens qui dirigent le monde, mais dont on ne sait où ils se trouvent ni comment les combattre ?

Un autre courant s’oppose au complotisme. Il explique ces divers problèmes économiques, financiers, sociaux ou guerriers en les rattachant aux structures mêmes du système économique et politique. Des structures qui ne sont pas secrètes, mais discrètes. Ce sont les règles du jeu capitaliste. On pourrait parler d’un « courant structurel ». Le présent livre dépasse donc la question d’Alain Soral, il s’agit du choix entre les différentes manières de comprendre le capitalisme. Cela concerne tout le monde, que l’on soit ou non partisan de Soral.

Laquelle de ces deux explications nous éclaire correctement sur les mécanismes et les faiblesses du système ? Nous allons montrer que ce choix aura un impact énorme sur l’action pratique, ou la passivité, de chacun.

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Introduction

Journalisme : la différence entre neutralité et objectivité

Pour analyser le système capitaliste, il nous faut donc une méthode non pas subjective et arbitraire, mais objective et rigoureuse. Je dirais même : scientifique. Dans mes articles, films et livres, j’ai essayé de répondre très concrètement aux questions qu’on se pose sur les guerres des Etats-Unis, celles d’Israël et l’ensemble des grandes injustices. Certains m’ont alors fait le reproche : « Mais vous n’êtes pas neutre ! ». Eh bien, en réalité, le journaliste neutre, ça n’existe pas. Nulle part. Surtout pas dans un monde où huit méga-milliardaires possèdent autant que 3,5 milliards de personnes.

Etre journaliste, c’est choisir de quoi on va parler (de cette injustice-là ou des robes des princesses ?), à quel endroit on va placer ses caméras (aux institutions du pouvoir ou chez les révoltés ?), à qui on va donner la parole (le 1% ou les 99% ?) et quels experts on appellera pour nous éclairer.

Ou bien vous servez le 1%, que ce soit conscient ou non, en vous taisant sur l’essentiel. Ou bien vous servez les 99%. Il n’y a pas de « juste milieu » sur cette question. Finissons-en avec ce mythe de la pseudo-neutralité, informer correctement est une manière de combattre l’injustice !

« Pas neutre » ? En réalité, on confond trop souvent ces deux notions : neutralité et objectivité. La neutralité n’existe pas, mais l’objectivité, si. Et elle est même indispensable. Comment définir cette objectivité ? C’est le fait que vos analyses reflètent la réalité, vous ne cherchez ni à l’embellir, ni à la noircir, vous n’écartez pas les faits qui vous surprennent ou dérangent vos certitudes, vous vous efforcez d’apporter des conclusions qui peuvent se vérifier sur le terrain, dans l’action concrète.

Le contraire ? C’est le style subjectiviste, non respectueux des faits, romanesque. Evidemment, un roman est chose respectable et peut être très utile aussi, mais ne mélangeons pas les genres. Se défouler

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Pourquoi Soral séduit

en gueulant sans raisonner sérieusement et sans analyser les causes en profondeur peut faire du bien sur le moment, mais cela ne sert pas l’action et n’apportera que désillusions.

De quel savoir avons-nous besoin ?

Si vous êtes physicien, quel savoir devez-vous apporter aux gens ? Non pas des fantaisies, des impressions subjectives, mais des certitudes démontrables auxquelles ils peuvent se fier. Par exemple, les gens ont besoin de savoir, avec précision, de façon scientifique, que s’ils veulent évaporer de l’eau, ils doivent la porter à 100 degrés. S’ils veulent de la glace, ils doivent descendre sous le zéro degré. C’est très précis et vérifiable, non ? Essayons d’appliquer la même rigueur à la science de la société. Si on se plaint du capitalisme, il faut en comprendre à fond les mécanismes internes afin de savoir aussi comment le transformer.

Dans un Manuel de Journalisme alternatif, rédigé à l’intention de ceux qui décident de prendre une tâche active dans la bataille de l’info par un nouveau journalisme citoyen, j’avais écrit : « Etre engagé ne donne pas le droit de raconter n’importe quoi, de déformer la réalité, d’exagérer les faits. Pourtant, qui n’a pas été tenté en rédigeant son premier papier sur une manif qu’il trouvait trop peu fournie d’ « arrondir » le chiffre des manifestants vers le haut ? C’est que le pouvoir de celui qui écrit peut être grisant. En une touche de clavier, vous pouvez embellir une réalité, noircir un tableau, rendre la description plus « mobilisante » pour des milliers de lecteurs. Il faut absolument résister à cette tentation. Les faits nous suffisent, le capitalisme en fait assez, pas besoin d’en rajouter. Et s’il y a trop peu de manifestants, c’est justement ce que le lecteur doit savoir afin de réfléchir au pourquoi. »7

Le tout premier chapitre, dans un instant, vous apportera un exemple démontrant pourquoi je dis : il ne faut rien exagérer, la réalité suffit.

Les silences de Soral sont parlants aussi

Chaque chapitre de ce livre débutera par une citation de Soral. Presque toujours tirée de son livre fondamental Comprendre l’Empire

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Introduction

qui synthétise sa pensée. Cependant, j’aborderai aussi certaines questions importantes dont il ne parle guère. Notamment les guerres et les géostratégies des grandes puissances (au chapitre 5). Et cela pour deux raisons.

D’abord, parce qu’un silence peut être très parlant aussi. Ne rien dire sur des questions qui nous interpellent tous fortement, c’est également un message à décrypter. Pas remarqué le problème ? Pas d’analyse personnelle ? Pas envie de l’exposer maintenant ? Nous essaierons d’éclairer ces silences.

Ensuite, dans ce livre, j’ai tenu à être complet. Vous me posez plein de questions sur le fonctionnement du capitalisme, les causes du colonialisme et des guerres, l’alternative pour en sortir. Cela fait longtemps que je souhaitais écrire un livre où seraient rassemblées les réponses à toutes ces questions. Une vue globale de la société capitaliste où nous vivons. Afin de savoir où nous en sommes et ce que nous pouvons en faire.

Au fond, même si le livre part du phénomène Soral, il veut aller plus loin. Et cela concerne tous ceux qui se posent des questions sur notre système.

Economie, finance et social : les 7 contradictions d’Alain Soral

Dans ce livre, nous allons commencer par analyser ce que j’appelle les 7 contradictions d’Alain Soral. Nous allons vérifier ses thèses sur l’économie, la finance et le social. 1. Où se trouve la plus grande fortune ?

2. Tout est de la faute des banques ?

3. Qui est responsable de la crise ?

4. Y a-t-il de bons colonialistes ?

5. La guerre, complot ou conséquence de la crise ?

6. Sur quelles classes sociales pouvons-nous compter ?

7. Est-il possible de résister ?

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Pourquoi Soral séduit

Sources :

1. CNN, interview, 25 mai 2005.

2. Solidaire, 1 juin 2016, p. 65.

3. Cité dans Comment Soral gagne les têtes, Mediapart, 12 novembre 2014.

4. Idem.

5. Aux critiques d’Egalité et Réconciliation, vidéo Youtube, 27 mars 2012.

6. Michel Collon, Complotiste, moi ? Investig’Action, 22 février 2016.

7. Michel Collon, Manuel de Journalisme alternatif, Investig’Action, 2004, non publié.

Au début du livre Comprendre l’Empire, publié par Alain Soral en 2011, figure une révélation absolument sensationnelle. Le monde entier croyait que la plus grande fortune se trouvait entre les mains de Bill Gates ou, selon les années, du Mexicain Carlos Slim. Eh bien, on se trompait tous ! Ces gens ne sont que des nains et c’est Soral qui a découvert où elle se cachait, « la plus grande fortune du monde ». Il a ainsi percé à jour un secret soigneusement gardé. Ecoutons Soral…

Chapitre 1

Où se trouve la plus grande fortune du monde ?

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Pourquoi Soral séduit

L’ANALYSE DE SORAL POSE DEUX QUESTIONS

ALAIN SORAL :Extrait de Comprendre l’Empire, page 60 :

« La FED, de très loin la plus grande fortune privée et cachée du monde, net d’im-pôt et sans rien produire ! Les seuls intérêts perçus par la FED(banque centrale des USA) s’élèvent, annuel-lement, à 2.500 milliards de dollars.Soit cinquante fois la fortune de Bill Gates.

Une super fortune que se partage le cartel des douze banquiersinternationaux cachés derrière la FED. »

MICHEL COLLON :

QUESTION 1 : Vous vou-lez dire que ce petit groupe de super-riches, cachés der-rière la Réserve Fédérale des Etats-Unis, gagnerait en un an cinquante fois plus que ce que possède Bill Gates, l’homme le plus riche du monde ?! C’est assez incroyable !

QUESTION 2 : Vous affir-mez que ces banquiers pri-vés détournent l’argent qui devrait être versé à l’Etat (la FED étant une banque publique) ?

Ainsi donc, nous aurions tous été bernés, la plus grosse fortune du monde serait en réalité bien cachée derrière les murs de la Federal Reserve, la banque centrale des Etats-Unis. Voilà une révélation sensationnelle ! Malheureusement tout est faux !

D’abord, ces 2.500 milliards de dollars, ce ne sont pas « les intérêts », donc le gain de la FED, mais son chiffre d’affaires, c’est-à-dire le total des sommes qui lui passent entre les mains

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Où se trouve la plus grande fortune ?

pendant un an ! Confondre les intérêts – c’est-à-dire le bénéfice –avec le chiffre d’affaires, ce n’est pas sérieux. Supposons que vous empruntiez mille euros à votre banque et que celle-ci perçoive un intérêt annuel de 2,5%, soit 25 euros de bénéfice (en supposant qu’il n’y ait pas d’inflation) : allez-vous prétendre que votre banque a gagné mille vingt cinq euros ?

Ensuite, est-il exact que le bénéfice de la FED soit détourné vers des banquiers privés ? Mais non. En réalité, en 2010, l’année dont parle Soral, la FED a réalisé un bénéfice de 80,9 milliards de dollars. Dont 78,4 milliards ont été reversés au budget de l’Etat fédéral. Soit la quasi-totalité.1

Réponse aux questions

L’ANALYSE DE SORAL EST-ELLE EXACTE ?

ALAIN SORAL :

« La FED, de très loin la plus grande fortune privée et cachée du monde, net d’im-pôt et sans rien produire ! Les seuls intérêts perçus par la FED(banque centrale des USA) s’élèvent, annuel-lement, à 2.500 milliards de dollars.Soit cinquante fois la fortune de Bill Gates.

Une super fortune que se partage le cartel des douze banquiersinternationaux cachés derrière la FED. »

MICHEL COLLON :

COMPLETEMENT FAUX !En 2010, la FED a réalisé un bénéfice de 80,9 milliards de dollars. 2.500 milliards,ce n’est pas le bénéfice maisle chiffre d’affaires ! Cette somme est passée entre ses mains comme intermédiaire mais ne lui appartient pas.

FAUX EGALEMENT. 78,4 milliards ont été rever-sés au budget de l’Etat. Presque tout donc.2

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Pourquoi Soral séduit

Quelles leçons pouvons-nous tirer de cette fausse « révélation » ? Qu’on doit absolument respecter ses lecteurs. Et donc respecter les faits. Ne pas exagérer les chiffres, ne pas raconter des histoires sensationnelles mais creuses.

Parce que les gens qui souffrent du capitalisme, dans les pays du Sud comme dans les pays du Nord, les gens qui veulent combattre les injustices, ont absolument besoin des faits réels qu’ils pourront utiliser en débattant et en élaborant des revendications. Quand on veut informer et former, on porte une lourde responsabilité. Donc, tout doit être vérifié, soumis à des gens qui s’y connaissent. Et si on commet une erreur (ce qui peut arriver à chacun de nous), il faut la rectifier au plus vite et publiquement. La société capitaliste est bien assez injuste et inhumaine, les faits réels suffisent, pas besoin d’en rajouter.

Si vous affirmez dans une discussion que la FED est la plus grande fortune du monde, énormément plus importante que celle de Bill Gates, quiconque s’y connaît un peu vous rira au nez et vous serez discrédité.

Tout au long des pages qui vont suivre, nous allons essayer de vérifier ensemble les faits et les théories. Nous avons besoin d’une vision tout à fait réaliste : comment fonctionne le système capitaliste ? Qu’est-ce qui provoque le fossé croissant entre riches et pauvres, l’exploitation, les crises, le pillage du Sud par le Nord, les guerres pour le pillage ? Entre fantasmes et faits réels, nous allons devoir faire le tri. Il ne s’agit pas de croire sur parole, il s’agit de comprendre.

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Où se trouve la plus grande fortune ?

Sources

1. Recherche effectuée par Arnaud Staquet, Pour qui roule Alain Soral ?, Etudes marxistes, n° 97, 2012, p. 65.

2. Distributions to US Treasury 79 268 - www.federalreserve.gov/publications/annual-report/2010-federal-reserve-banks.htm

Selon Alain Soral, si la société capitaliste est malade aujourd’hui, avec son cortège d’inégalités et de violences, c’est à cause des banques qui dominent notre société actuelle. Cette thèse est centrale dans son livre Comprendre l’Empire, comme on le voit ici :

Chapitre 2

Tout est de la faute des banques ?

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Pourquoi Soral séduit

L’ANALYSE DE SORAL NOUS POSE TROIS QUESTIONS

ALAIN SORALComprendre l’Empire, page 47

Un processus de domina-tion des banques,

de leur visionabstraite et asociale du monde de l’échange

qui explique, à lui seul, la violence sociale et l’iné-galité socialeaggravée qui accompagne paradoxale-ment l’accroissement des richesses…

NOS QUESTIONS :

EXACT ? Les banques dominent-elles à elles seules la société y compris les milliardaires industriels ?

VRAIMENT ? Le cap-talisme serait donc sain s’il n’y avait pas les idées des banques ?A VERIFIER ! Ne doit-on pas plutôt analyseravec précision les mécanismes qui produisent l’exploitation et les injustices du capitalisme ?

A juste titre, Soral souligne ce paradoxe : les richesses s’accroissent très fort, et la pauvreté en même temps. Mais, d’après lui, tout ça c’est de la faute des banques (elles-mêmes « dominées par les juifs », un aspect que nous traiterons plus tard). Les banques seules seraient responsables des inégalités et des injustices. Selon lui, les banques domineraient et écraseraient même les industriels, patrons des multinationales.

« C’est de l’enfer des pauvres…

* En janvier 2014, Goodyear ferme son usine d’Amiens et licencie 1.143 travailleurs2.

* Renault bloque les salaires, augmente les cadences et la durée du travail.

… qu’est fait le paradis des riches »(Victor Hugo)> Goodyear a engrangé 2,25 milliards de dollars de béné-fice net et versé 800 mil-lions à ses actionnaires6.> Le patron de Renault, Carlos Ghosn, gagne 65.000 € par… journée travaillée7 !

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Tout est de la faute des banques ?

Vraiment ? Supposons un instant que les banques n’existent pas. Est-ce que le capitalisme serait le meilleur système au monde, comme nous le répètent tant d’idéologues de la pensée dominante ? Je n’y crois pas. Pour moi, cette analyse est insuffisante car elle n’explique pas les véritables causes de l’injustice sociale. Elle néglige la question réellement centrale : d’où provient la pauvreté ? Comment se fabrique concrètement cet écart croissant entre le 1% et les 99% ?

Deux mille milliardaires dominent aujourd’hui l’économie mondiale1, et seule une petite partie sont des banquiers. Or, ce sont ces deux mille milliardaires qui décident de tout, y compris de notre vie et notre avenir ou notre absence d’avenir. Quels mécanismes économiques leur ont donné un tel pouvoir ?

La question fondamentale à laquelle nous devons donc répondre est : qui exploite qui ? Pour bien comprendre cela, il nous faut absolument une méthode rigoureuse : partir des faits concrets et les analyser minutieusement.

D’où viennent réellement la violence et l’inégalité sociales ?

Sanofi, n° 1 du pharma business en France, supprime 1.300 emplois en 2009-2011.

Le directeur de Sanofi, Weinberg, signe en 2012 un appel à « baisser le coût du travail ».

Aux USA, le nombre de pauvres (même avec un emploi) explose : 46 millions en 2013.

En dix ans, la productivité des travailleurs US a augmenté de 30%

Walmart, la chaîne US de grands magasins (2,1 millions de salariés) viole les lois sala-riales, interdit les syndicats, fait travailler les enfants dans les sièges étrangers3.

Pour économiser sur ses cotisa-tions sociales, Michelin presse ses salariés de ne pas déclarer leurs accidents de travail4.

A partir de 2009, le groupe sidérurgique Arcelor Mittal supprime plusieurs dizaines de milliers d’emplois en France, en Belgique et en Espagne. Les normes de sécurité ne sont plus respectées : plusieurs décès. Bénéfice 2014 : un milliard d’euros.5

Sanofi distribue 5,5 milliards de dividendes. Soit 50.000 € géné-rés grâce au travail de chaque employé.

Brandicourt, nouveau PDG de Sanofi, reçoit un « bonus d’arri-vée » : 4 millions d’euros !

Aux USA, un PDG gagnait 42 fois le salaire moyen en 1980. En 2008, 300 fois.

En dix ans, la fortune des mil-liardaires US a doublé9.

La famille Walton a accumulé une fortune de 152 milliards. Autant que 30% des citoyens US les plus pauvres.

> En vingt ans, les bénéfices des propriétaires de Michelin ont augmenté dix fois plus vite que les salaires des travailleurs.

144 millions d’euros : Lakshmi Mittal offre à son fils Aditya la maison privée la plus chère du monde à Kensington Palace Gardens (Londres), « l’allée des milliardaires »,non loin du palace paternel. Piscine incrus-tée de joyaux, marbre de la car-rière du Taj Mahal10.

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Pourquoi Soral séduit

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Tout est de la faute des banques ?

Aucun de ces profiteurs n’est banquier. Ce sont tous des industriels. Ils n’ont nullement eu besoin des banques pour apprendre comment s’enrichir au détriment de ceux qui travaillent pour eux. Nous voulons dénoncer l’injustice ? Alors, voilà le mécanisme qu’il convient de creuser ! Il s’agit de comprendre comment ces faits scandaleux ont été rendus possibles.

Quand je travaillais pourquelqu’un qui ne travaillait pas

Permettez-moi de recourir à mon expérience personnelle. A trente ans, je décide d’aller travailler comme ouvrier d’usine. Issu de la grande bourgeoisie bruxelloise, j’avais fréquenté « la haute » comme on dit, mais la mentalité de ce milieu me dégoûtait. Choqué par la guerre du Vietnam et par les injustices sociales, je m’engage politiquement à partir de 1966. Plus tard, je milite quelques années avec des mouvements révolutionnaires et je me rends compte que nous, intellectuels de gauche, sommes fort coupés de la vie réelle et des travailleurs, nous parlons souvent dans les nuages. Donc, je me dis qu’il est temps de mettre les pieds sur terre et d’aller vivre parmi les travailleurs que je souhaite défendre.

Je pars alors vivre à Liège, une des principales villes ouvrières de Belgique, forte d’une longue tradition de luttes sociales. Seulement, en 1976, les grandes usines n’engagent plus ; au contraire, elles licencient et je me fais donc embaucher comme ouvrier (en cachant mes diplômes) dans une usine de papier de taille moyenne : une centaine de travailleurs. Cette expérience va m’apprendre énormément et marquer toute ma vie.

Dans cette usine, ouvriers et employés bossent 38 heures par semaine. L’ambiance entre les travailleurs est excellente. Le boulot n’est pas trop dur (le syndicat est fort dans cette région, il impose le respect des règles) mais les rames de papier, il faut quand même les porter sur nos épaules pour les livrer aux imprimeurs et les journées de travail sur les routes peuvent durer jusqu’à douze heures. A la fin de la semaine, quand nous touchons notre paie

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Pourquoi Soral séduit

(encore en billets !), ce n’est vraiment pas le Pérou. Chacun a juste de quoi vivre en se permettant un ou deux petits luxes, mais il faut faire attention à chaque dépense.

Et le patron ? En fait, c’est une patronne car son mari, qui était aussi le directeur, est décédé quelques années plus tôt. Eh bien, la patronne, on la voyait passer à l’usine seulement une fois par semaine ! Elle parlait un peu et seulement au directeur, juste pour s’assurer que l’argent rentrait bien dans la caisse. Rien de plus. Le reste du temps, elle menait une vie de loisirs. Villa des beaux quartiers, piscine, voyages, que sais-je, nous n’avions pas droit aux détails.

Résumons : nous, ouvriers, travaillons toute la semaine pour un salaire rikiki et le profit de notre travail permet à une personne de ne pas travailler.

La femme la plus richede France n’a jamais travaillé

Etait-ce un cas isolé ? Pas du tout. Dans sa magistrale étude « Le Capital au 21èmesiècle »,Thomas Piketty décrit les très très grosses fortunes et dresse un constat très important. Entre 1990 et 2010, la fortune de Bill Gates est passée de 4 à 50 milliards de dollars. Celle de Liliane Bettencourt (1922 – 2017) (propriétaire du groupe français L’Oréal) est passée de 2 à 25 milliards. « Autrement dit, Liliane Bettencourt n’a jamais travaillé, mais cela n’a pas empêché sa fortune de progresser exactement aussi vite que celle de Bill Gates, l’inventeur, dont le patrimoine continue d’ailleurs de croître tout aussi rapidement depuis qu’il a cessé ses activités professionnelles. »11

Piketty et moi sommes loin d’être les premiers à nous indigner. Dès 1848, Marx et son ami Engels pointaient déjà ce paradoxe : « Dans cette société, ceux qui travaillent ne gagnent pas et (…) ceux qui gagnent ne travaillent pas »12

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Tout est de la faute des banques ?

Cette phrase n’a pas été lancée en l’air. Marx et Engels ont passé leur vie à décortiquer minutieusement les mécanismes de ce système capitaliste. Cette analyse scientifique, nous allons à présent la résumer en quelques pages. Nous devons absolument apporter une réponse solide à la question centrale : d’où vient la pauvreté, d’où vient l’injustice sociale ?

Car le problème n’a pas été résolu, il se pose de plus en plus de nos jours. Regardez les Etats-Unis. Avant, quand on avait un emploi, on n’était pas riche mais on pouvait vivre décemment. Aujourd’hui, des gens ont un emploi et parfois ils cumulent plusieurs petits temps partiels, et malgré tout ce labeur, ils doivent rogner sur la nourriture, le logement, l’éducation, sans parler des loisirs ! Pour les désigner on a même inventé un nouveau terme : les « working poors »ou travailleurs pauvres. Et ce phénomène se répand en Europe aussi.

Et de l’autre côté, que voyons-nous ? Une accumulation de richesses sans précédent dans l’Histoire : 200 groupes industriels contrôlent un quart de toutes les richesses produites chaque année dans le monde. Un quart ! Et la plupart de leurs actionnaires (les fameux 1.800 milliardaires) ne travaillent pas mais sont de plus en plus riches et accumulent de plus en plus de pouvoir sur nos vies. Et on voudrait nous faire croire qu’il n’y a pas de rapport entre ces deux phénomènes ?

Allons donc, qui a intérêt à nous endormir ? Pouvons-nous voir les industriels Exxon, Bayer-Monsanto, Ford, Arnault et Bolloré comme des bienfaiteurs de l’humanité ? Au lieu de tout mettre sur le dos des banquiers, ne faut-il pas mettre en accusation l’ensemble du 1% ?

Le tabou de notre société

Nous touchons ici au grand tabou de la société actuelle. On a le droit de dire qu’il existe des riches (difficile de cacher les scandales)

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Pourquoi Soral séduit

et on a aussi le droit de dire qu’il existe des pauvres (difficile de cacher la misère). Mais on n’a absolument pas le droit de dire que ces deux phénomènes sont liés comme les deux faces de la même médaille. On ne peut pas dire que si les riches sont riches, c’est qu’ils exploitent les pauvres. Tabou ! Dans la pensée dominante et donc dans les médias, les riches sont riches parce qu’ils sont, au choix : a) plus malins b) plus travailleurs c) plus chanceux. La pensée dominante ajoute que nous – les pas riches – devrions être reconnaissants envers ces riches qui nous donnent du boulot.

Du n’importe quoi. Victor Hugo voyait bien plus juste : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches ».Mais si Hugo disait cela aujourd’hui, il serait traité de « complotiste » et banni de TF1, Le Mondeet autres Libé. Tous médias, entre parenthèses, appartenant à de grands milliardaires.

Alors, si on ne se laisse pas impressionner, il est temps à présent de percer le mystère du profit.

Petit encouragement au lecteur

Cher lecteur, je dois t’avertir. Pendant ces cinq ou six pages,nous allons faire un peu d’économie. Mais ce n’est pas grave !

Oui, je sais, l’économie fait peur. Trop compliqué, nous dit-on, laissez cela aux experts ! Eh bien, non, l’économie, ce sont des questions trop importantes pour nos vies : qui va travailler et qui sera au chômage, qui gagnera un peu, beaucoup, énormément, rien du tout et aussi comment va-t-on dresser les gens les uns contre les autres ?

Pas question donc de laisser tout cela aux experts officiels. Qui, de toute façon, se sont plantés avant chaque grande crise, n’ont rien prévu mais reviennent à chaque fois nous dire avec assurance que tout ira bien… bientôt ! Depuis quarante ans, ils nous garantissent que, grâce à nos sacrifices, la fin de la crise est en vue, on est au bout du tunnel et blablabla.

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Tout est de la faute des banques ?

Ce chapitre 2 sera le plus difficile de ce livre. Pas très difficile, mais quand même un peu. Et un peu long. Si j’avais pu le placer ailleurs, je l’aurais fait. Mais il est indispensable de le lire maintenant, car c’est la base du raisonnement pour comprendre l’injustice.

Ne le sautez pas en disant que vous y reviendrez plus tard. Une fois ces quelques pages bien assimilées, les autres chapitres seront beaucoup plus faciles, car le raisonnement s’enchaînera de façon très logique. Comme un domino entraîne le suivant.

Quelques conseils pour lire ces cinq pages :

1. Lisez à votre aise. Lentement s’il le faut.

2. Soulignez les passages importants, entourez les mots-clés.

3. Notez vos commentaires en marge.

Important : ! Pas clair : ? Pas d’accord : N. A revoir : R.

4. Arrivés au bout, relisez l’ensemble : les points douteux pourront s’éclaircir.

5. Rédigez par écrit votre résumé personnel et vos questions.

6. Eventuellement, écrivez-moi via le site Investig’Action.net. C’est pour vous que j’écris.

Il n’est pas question, j’insiste, de réserver ces questions économiques aux soi-disant experts. Car changer ce système ne sera possible qu’avec l’engagement des gens « d’en-bas ». Là est la force véritable. Ne faites donc pas confiance à des « gourous », quels qu’ils soient. Il faut comprendre par soi-même. Pour ne pas se faire manipuler. Mais aussi pour être capable de l’expliquer autour de soi. Et c’est possible. J’ai assez souvent donné des cours d’économie à des ouvriers, des ménagères, des jeunes sans diplômes et je peux vous assurer que, si on explique les choses simplement et sans chichis, chacun peut y parvenir. Avec un peu de méthode et de persévérance.

On y va !

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Pourquoi Soral séduit

C’est de l’économie, mais c’est pas grave

Nous allons essayer de comprendre comment fonctionne le capitalisme. Pour l’instant, nous écartons la question des « petits patrons » qui emploient des salariés mais travaillent aussi eux-mêmes à la production. On y reviendra plus tard. Concentrons-nous pour le moment sur le capitalisme des grandes entreprises. Très simplement, nous allons maintenant présenter six définitions importantes13.

Commençons par la marchandise. Aujourd’hui, le travail sert surtout à fabriquer des marchandises : des produits à vendre. Mais il n’en a pas toujours été ainsi. Dans les premières époques de l’humanité, on produisait pour sa consommation personnelle. Ensuite pour des échanges limités aux voisins et aux proches. Produire uniquement pour vendre c’est-à-dire pour échanger contre de l’argent n’est apparu qu’assez tard et s’est surtout développé avec le capitalisme. Où tout devient marchandise en fait.

1. La marchandise.Toute richesse provient de deux sources : la Nature ou le travail. La première offre ses produits gratuitement, alors qu’il faut payer pour les choses travaillées. Pourquoi payer ? Parce qu’on en aura l’usage (valeur d’usage). Combien payer ? Cela dépend du prix qui sera fixé dans la transaction (valeur d’échange).

Mais qu’est-ce qui confère une valeur précise à telle ou telle marchandise ? Pourquoi une veste en cuir vaut-elle davantage qu’un pain ? Sur quelle base fixe-t-on les différents prix ?

2. La valeur.D’où provient la valeur d’un produit ? Cette question préoccupa les premiers économistes au 18èmesiècle. Curieusement, Adam Smith et David Ricardo, célèbres économistes « libéraux » (pro-capitalistes, disons) n’hésitaient pas à répondre que la valeur d’un produit provenait uniquement du travail investi dans sa production : « La valeur échangeable des choses ou la règle qui fixe

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Tout est de la faute des banques ?

la quantité que l’on doit donner d’un objet pour un autre ne dépend que de la quantité comparative de travail qui a été employée à chacun d’eux. »14

La valeur ne dépend donc pas de l’utilité du produit (sa valeur d’usage). En effet, quoi de plus utile que l’eau et quoi de moins utile qu’un diamant ? Mais la première ne coûte rien, ou fort peu, car elle ne demande pas ou seulement un peu de travail humain comparé au diamant.

Dès lors, si un pain nécessite quinze minutes de travail humain et une veste en cuir quatre heures, la veste vaudra seize pains. Qu’on les échange directement ou par l’intermédiaire d’une monnaie. Cette explication du travail comme seule source de la valeur ne vient pas de Marx, il l’a reprise des économistes libéraux.

Bien sûr, le patron n’achète pas seulement la force de travail mais aussi des matières premières à transformer, des machines, de l’énergie, des locaux et autres instruments. Cependant ces différents facteurs