Israël, parlons-en! - Michel Collon - E-Book

Israël, parlons-en! E-Book

Michel Collon

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Beschreibung

Michel Collon a interrogé 20 témoins et spécialistes. Israéliens et Arabes, juifs et musulmans, Européens et Américains. Chacun éclaire une question spécifique dans un langage simple et direct.

Pourquoi parler d’Israël ? Pour tenter de mener un débat raisonné. Entre ceux qui crient à l’antisémitisme dès qu’on critique le gouvernement israélien et ceux qui imaginent un grand complot juif.

Comment parler d’Israël ? En laissant de côté les préjugés et en découvrant tous les faits, les pages d’Histoire occultées.

Lever tous les tabous c’est permettre à chacun de se faire son opinion librement. Et de débattre autour de soi. Car ce conflit se joue aussi bien au Moyen-Orient qu’en Europe. C’est de la discussion entre citoyens de tous horizons que surgiront les solutions pour la paix.

Nouvelle édition de 2011. Inclus, un nouveau chapitre sur Israël face aux révoltes arabes, avec l'interview de Samir Amin, Michel Warschawski et Mohamed Hassan réunis.

À PROPOS DES AUTEURS

Michel Collon - Ecrivain et journaliste belge. Analyste des médias, il anime avec le collectif Investig’Action le site d’information alternative michelcollon.info. Il a notamment analysé les stratégies de guerre et de désinformation : Attention, médias !, Bush le cyclone et Les 7 Péchés d’Hugo Chavez.

Aurore Van Opstal et Abdellah Boudami sont membres du collectif Investig’Action.

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ISRAEL, PARLONS-EN !

DU MEME AUtEUR :

Les 7 péchés d’Hugo Chavez, Investig’Action - Couleur livres, 2009.

Bush, lecyclone,

Marco Pietteur, Liège, 2005.

« Le droit à l’information : un combat », in Médias et censure, Editions de l’Université de Liège, 2004.

« La guerre globale a commencé », in L’Empire enguerre,

temps des Cerises - EPO, Paris - Bruxelles, 2001. (épuisé)

Monopoly - L’OTAN à la conquête du monde, EPO, Bruxelles, 2000. (épuisé)

Poker menteur. Les grandes puissances, la Yougoslavie et les prochaines guerres, EPO, Bruxelles, 1998. (épuisé)

Attentions, médias! Médiamensonges du Golfe - Manuel Anti-manipulation, EPO, Bruxelles, 1992. (épuisé)

© MichelCollon

Mise en page et couverture : D-ONE graphics (www.d-one-graphics.com) Correction : Cédric Rutter, Grégoire Lalieu et MagaliUrbain

Edition : Investig’Action – Bruxelles - www.michelcollon.info Couleur livres – Charleroi - www.couleurlivres.be

Diffusion : [email protected], débats :[email protected]

ISBN :978-2-87003-567-2

Dépôt légal :D/2011/0029/12

ISRAEL, PARLONS-EN !

Investig’Action - Couleur livres

REMERCIEMENtS

Merci à Aurore Van Opstal et Abdellah Boudami qui se sont engagés dans ce livre avec motivation et enthousiasme.

Merci à Ihsane Hasrouf et Vinciane Cappelle pour leur aide précieuse dans la préparation des interviews.

Merci à AbdelMatine, qui a réalisé la mise en page et la couverture avec talent et disponibilité.

Merci à Emmanuel Balan qui a dessiné les belles cartes inédites illustrant ce livre.

Merci à Cédric, Grégoire et Maud qui ont travaillé jour et nuit pour corriger et améliorer le manuscrit.

Merci à Sylvie, Dimitri, Nora, Asma, Nizar, Youness, Majeed et Amel qui ont transcrit avec patience les enregistrements des interviews.

Merci à Magali Urbain, Joaquim Da Fonseca, Frank Barat, Nadia Farkh, Hamdan Aldamiri, Aurélia Pfend, Gaston Pellet, Myriam De Ly, Patrick Moens, Marie-France Van Wetter, Olivier Vilain, Roukaya El Houda, Jos Hennes, Isham et bien d’autres encore qui ont apporté de précieux conseils et coups de main.

Merci à Maité, Laetitia et Vanessa Stojilkovic qui nous aident avec tant de dévouement à diffuser nos livres.

Merci à Paul Delmotte, Shlomo Sand, Christina Zacharia, Benny Morris, Ilan Halévi, Alain Gresh, Ilan Pappe, Ahmed Frassini, Hanan Wakeem, Saleem Albeik, Mohamed Al Hawajri, Mohamed Hassan, Naser Aruri, Noam Chomsky, Samir Amin, Jean Bricmont, Eric David, Michel Warschawski, Paul-Eric Blanrue, Denis Sieffert, tariq Ramadan, Virginia tilley, Samia Botmeh qui ont bien voulu répondre à nos questions, malgré un emploi du temps souvent très chargé.

Merci à Véronique Vercheval, Anne Paq et Lucas Catherine pour leurs photographies si éloquentes.

Merci à tous ceux qui nous ont aidés et encouragés de toutes sortes de façons. Merci à ceux qui ont participé avec conviction et générosité à nos séminaires de réflexion, enquêtes de rue et autres activités préparatoires. Impossible de les citer tous tant ils sont nombreux,

Merci à Tina, dont le soutien m’a été si précieux dans les moments difficiles. Michel Collon

Table des matières

ISRAEL, PARLONS-EN !

DU MEME AUtEUR :

ISRAEL, PARLONS-EN !

REMERCIEMENtS

De quoi avons-nous besoin ?

Israël Palestine : chronologie

1. Pourquoi israël a-t-il été créé ?

L’exode du Peuple juif : mythe ou réalité ?

La Palestine avant 1948 : une terre sans peuple ?

La nakba de 1948 : introuvable dans les médias

1967 : comment israël a triPlé son territoire

Israël mène-t-il une colonisation sans limites ?

Une société intoxiquée par la haine ?

Notre vie de Palestiniens

Les Palestiniens : terroristes ou résistants ?

Pas de Partenaire pour la Paix ?

Pourquoi les etats-unis protègent-ils israël ?

Israël, flic du pétrole ?

L’europe est-elle vraiment neutre ?

Israël et le respect du droit international

« Pour eux, gaza, ce ne sont des êtres humains »

Le lobby pro-israélien

Les médias sont-ils objectifs face à israël ?

Critiquer l’etat d’israël, est-ce de l’antisémitisme ?

Un conflit sans solution ?

Peut-on boycotter israël ?

Israël face aux révoltes arabes : qu’est-ce qui va changer ?

Comment parler d’israël ?

De quoi avons-nous besoin ?

Pourquoi parler d’Israël ? Pour tenter de mener un débat raisonné. Entre ceux qui crient à l’antisémitisme dès qu’on critique le gouvernement israélien et ceux qui croient en un grand et mystérieux complot juif.

Comment parler d’Israël ? En laissant de côté les préjugés et en découvrant tous les faits, les pages d’Histoire occultées, les intérêts stratégiques, les témoignages qu’on n’entend guère.

Comprendre pourquoi ceux qui regardent TF1 et ceux qui regardent Al-Jazeera

voient deux guerres complètement opposées.

Est-il possible d’y voir clair ? Pour répondre aux questions que chacun se pose, il fallait interroger ceux qui connaissent le mieux ce conflit en ses divers aspects.

Il existe de nombreux livres et articles éclairants. Mais peu de gens ont le temps d’étudier tout cela de près. J’ai donc entrepris de rassembler l’essentiel en un seul livre concis et accessible à tous. En y ajoutant quelques propositions concrètes pour favoriser la discussion.

Lever tous les tabous, c’est permettre à chacun de se faire son opinion librement. Et de débattre autour de soi. De plus en plus de citoyens souhaitent faire entendre leurs voix.

Car ce conflit se joue aussi bien au Moyen-Orient qu’en Europe. C’est de la discussion entre citoyens de tous horizons que surgiront les solutions pour la paix.

Michel Collon

Ce livre est aussi un appel pour que chacun, là où il est, participe aux discussions citoyennes. Ce débat se prolongera sur le site michelcollon.info où vous pouvez accéder à notre forum pour envoyer vos questions, expériences et commentaires.

Israël Palestine : chronologie

1897 : Le Congrès de Bâle fonde le mouvement sioniste visant à créer un Etat juif. 1916 : Accords Sykes-Picot : Grande-Bretagne et France se partagent le Proche-Orient. 1917 : Déclaration Balfour : Londres promet un foyer national juif en Palestine.

1936-39 : La résistance à la colonisation britannique et juive culmine en une grève de 6 mois.

1947 : L’ONU partage la Palestine. Les Arabes refusent. Expulsions et massacres de Palestiniens.

1948 : Création de l’Etat d’Israël. Guerre israélo-arabe : Israël occupe 76% de la Palestine. L’ONU proclame le droit au retour des Palestiniens expulsés.

1956 : En Egypte, Nasser nationalise le canal de Suez : Israël, France et GrandeBretagne l’attaquent.

1967 : Guerre des Six-Jours : Israël triple son territoire en envahissant la bande de Gaza, Jérusalem-Est, le Golan, la Cisjordanie…Nouvelles expulsions de Palestiniens.

1964 : Fondation de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP).

1968 : Les Palestiniens proposent la cohabitation des juifs, musulmans et chrétiens en un seul Etat laïque.

1970 : Septembre Noir : l’armée jordanienne écrase et expulse les résistants palestiniens.

1973 : Guerre du Kippour. Egyptiens et Syriens tentent de récupérer leurs territoires. 1978 : Accords de Camp David entre Egypte, Israël et Etats-Unis.

1982 : Israël envahit le Liban. Massacres dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila. 1987-91 : 1ère Intifada, résistance populaire fortement réprimée par l’armée israélienne. 1993 : Accords d’Oslo entre l’OLP et le gouvernement d’Yitzhak Rabin.

2000 : 2ème Intifada due à la visite d’Ariel Sharon à l’esplanade des Mosquées.

2002 : Le Sommet arabe promet la paix contre le retrait israélien de tous les territoires occupés. Israël construit un Mur de séparation.

2006 : Le Hamas remporte les élections. USA et UE refusent les résultats. L’aide européenne est suspendue. Israël bombarde le Liban.

2009 : Israël lance l’opération « Plomb Durci » contre la bande de Gaza. (1.300 morts)

1. Pourquoi israël a-t-il été créé ?

« Israël a été créé en 1948 pour réparer le génocide des juifs durant la Seconde Guerre mondiale et leur offrir un abri » : voilà ce qu’on dit généralement en Europe. Vrai ou faux ?

Pour répondre à cette question fondamentale, il faut connaître la théorie qui est réellement à l’origine de la création de l’Etat d’Israël : le sionisme. Depuis quand les nationalistes juifs préparaient-ils cette opération ? Les grandes puissances étaientelles simples spectatrices ou y ont-elles vu un intérêt stratégique ? Et pourquoi ne nous parle-t-on jamais de certaines pages de l’Histoire ?

PAUL DELMOTTE

Enseigne la politique internationale et l’histoire contemporaine à l’Institut des Hautes Etudes des Communications Sociales de Brux elles. Auteur de nombreux articles sur le conflit israélo-palestinien et les problématiques du monde arabe, il a également contribué au livre collectif Du bon usage de la laïcité.

En quoi consiste le mouvement sioniste et comment est-il né ?

Il s’agit d’un mouvement nationaliste né au 19ème siècle au sein des communautés juives d’Europe centrale et orientale. Les seules communautés juives au monde dont les caractéristiques spécifiques permettaient de construire un « imaginaire national ». Les seules en effet à posséder une langue propre (le yiddish) et une culture commune spécifique (notamment religieuse). Ce n’était pas le cas, par exemple, des communautés juives du monde arabo-musulman.

De plus, elles se trouvaient majoritaires ou presque dans certaines parties d’un territoire qu’on a appelé le

« Yiddishland » où les autorités tsaristes de Russie les avaient confinées (des « zones de résidence » dispersées sur le territoire de l’ancienne Pologne médiévale, à savoir les actuelles Pologne, Lituanie, Biélorussie et Ukraine). Voilà pourquoi l’historien israélien Shlomo Sand parle de peuple yiddish plutôt que de peuple juif (voir chapitre 2).

Vous parlez d’un « imaginaire national » ? Le mouvement sioniste reposerait sur une légende ?

En fait, tous les nationalismes qui se sont créés à cette époque par exemple, en France et en Belgique ont fabriqué des légendes autojustificatives comme l’ont démontré de nombreux historiens. Shlomo Sand a montré que les penseurs juifs de l’époque avaient relu, réinterprété et déformé l’histoire et les textes religieux juifs pour inventer le mythe d’un « peuple juif » qui aurait été exilé par les Romains et devrait retourner sur sa terre d’origine.

Ceci dit, les populations juives d’Europe rencontraient quand même des problèmes bien réels, non ? Pogroms, chasse aux juifs… Ceci n’explique-t-il pas la recherche d’une autre terre ?

Oui. C’est un des facteurs de la formation du nationalisme juif. Mais il y en a d’autres. D’abord, la dissolution de la société juive traditionnelle d’Europe centrale et orientale qu’on appelait le Shtettle (en yiddish la « petite bourgade » juive). Cette société traditionnelle, sous contrôle de rabbins et de notables, vivait dans un isolement relatif qui maintenait ses spécificités religieuses, linguistiques, vestimentaires, etc.

telle était la forme de coexistence entre communautés juives et non-juives qu’avaient imposée les souverains de l’Empire polonais au Moyen Age. Ils avaient fait venir des juifs d’Occident pour développer l’économie grâce à leurs connaissances commerciales et financières. A ces juifs occidentaux se sont ajoutés d’autres juifs venus de l’Est : des rescapés de l’Empire khazar détruit par les Mongols (voir chapitre 2).

Et pourquoi cette société a-t-elle commencé à décliner ?

Du fait de la modernisation qui a atteint ces régions dans la deuxième moitié du 19ème siècle. La révolution industrielle et l’appauvrissement des paysans ont, comme ailleurs, entraîné un exode de la campagne vers les villes. De nombreux juifs 1 ont alors quitté le Shtettle pour gagner les villes à la recherche d’un emploi. Du coup, ces populations juives se soustrayaient au contrôle moral et religieux des rabbins, elles entraient en contact avec les idées nouvelles, dites « des Lumières » comme le libéralisme, la démocratie, le progrès, la laïcité. Et aussi avec le nationalisme et le socialisme.

Le sionisme est né de l’ensemble de ces facteurs : 1. Dé-mantèlement de la société traditionnelle du Shtettle. 2. Pé-nétration des idées des Lumières. 3. Mais aussi réaction à l’antisémitisme moderne.

Pourquoi « antisémitisme moderne » ?

Le classique, c’est cette hostilité chrétienne traditionnelle envers les juifs. Cette judéophobie s’auto-justifiait au nom du « meurtre du Christ ». On faisait aussi des juifs les boucs

émissaires de certaines situations socio-économiques : au Moyen Age, les juifs étaient quasiment les seuls à pouvoir pratiquer les « métiers de l’argent », car prêter avec intérêt était interdit aux chrétiens. Certains juifs, donc, prêtaient de l’argent aux seigneurs et aux monarques. Mais les « usuriers » étaient souvent très mal vus des populations.

Il était alors fort pratique pour les souverains féodaux, quand ils étaient en proie à des difficultés économiques ou politiques, de canaliser la colère populaire contre les juifs. Expulser ou massacrer des juifs les débarrassait à la fois de leurs dettes et de leurs créanciers ! On trouve donc dès le Moyen Age cette fonction que prendra plus tard, en Europe centrale et de l’Est, le « pogrom ». Ce mot russe qui veut dire destruction, désigne des émeutes « populaires » contre les juifs, avec tabassages, pillages, viols et meurtres.

Et l’antisémitisme moderne a renforcé cette fonction de « boucs émissaires » à la fin du 19ème siècle ?

Oui. Grâce aux pogroms qu’elles provoquaient souvent, les autorités tsaristes et l’extrême droite russe déviaient contre les juifs les frustrations populaires. En s’attaquant aux juifs, les pogromistes oubliaient les vraies raisons de leur misère et de leur oppression, à savoir le régime tsariste lui-même.

A cette époque, la droite réactionnaire et conservatrice reprochait aux juifs d’être de dangereux révolutionnaires. Certains aristocrates français avaient déjà imputé aux juifs la responsabilité de la Révolution française ! Le ministre de l’Intérieur russe, commanditaire de pogroms, l’avouait sans problème : « Ce que je pourchasse dans le juif, c’est le révolutionnaire ». Cette attitude annonce Hitler qui parlera de « judéo-bolchevisme »…

Curieux puisqu’on va aussi reprocher aux juifs d’être de « gros capitalistes », responsables de la misère !

Oui, à partir de la révolution industrielle du 19ème siècle avec ses conséquences catastrophiques pour les petites gens, des auteurs « de gauche » vont généraliser à tous les juifs le cas de certains qui étaient effectivement devenus de gros

capitalistes. En se focalisant sur eux, on mettait hors de cause les capitalistes non-juifs, à savoir la majorité ! On retrouve cet « antisémitisme de gauche » chez certains socialistes utopiques comme Proudhon ou Fourier. Les préjugés anti-juifs peuvent contaminer certaines personnes de gauche, mais l’antisémitisme ne saurait être de gauche.

Fuyant cette misère et ces pogroms, des centaines de milliers de juifs vont fuir de l’Est à l’Ouest : en Autriche-Hongrie, en Allemagne, en France, en Belgique, en Angleterre avant que certains ne gagnent les Etats-Unis…

Oui, et cela va souvent renforcer l’hostilité envers les juifs. Un peu comme en France ou en Belgique aujourd’hui avec ces réactions xénophobes envers un nombre prétendu trop grand d’étrangers. Leur arrivée suscite des réactions antijuives qui, à leur tour, inquiètent les juifs déjà installés depuis longtemps en Europe occidentale. que craignent-ils ? que l’hostilité envers les nouveaux arrivants se reporte sur eux et remette en cause leur statut. Ils avaient en effet obtenu, en Europe occidentale, des droits égaux grâce aux idées des Lumières et à ce que l’on appelait l’Emancipation des juifs. Cet afflux de juifs de l’Est vers l’Occident explique donc une caractéristique de l’antisémitisme moderne. Celuici va désormais percevoir « un problème juif ». Comme si toutes les conditions faites aux juifs d’un bout à l’autre de l’Europe et du monde étaient similaires, comme si les problèmes étaient partout identiques. Les autres caractéristiques de cet antisémitisme moderne sont ses prétentions

« scientifiques » (l’idée de « race ») et ses liens avec les nationalismes qui excluent les juifs de la Nation…

Ce regain d’antisémitisme en Europe occidentale explique la fameuse Affaire Dreyfus qui va diviser profondément l’opinion française ?

Oui. En 1894, commence un procès pour trahison et espionnage au profit de l’Allemagne, intenté à un capitaine juif de l’armée française, Alfred Dreyfus. Accusé par des collègues antisémites, Dreyfus est innocent, mais sera dégradé puis envoyé au bagne en Guyane. Il devra

attendre douze ans pour être entièrement réhabilité ! Or, ces péripéties ont pour témoin, venu d’Europe centrale, un journaliste viennois d’origine hongroise : theodor Herzl… Herzl n’est pas religieux. C’est plutôt un libéral, favorable à l’assimilation et à l’émancipation des juifs au sein même de leurs sociétés. Mais il vient de Vienne, où l’antisémite Karl Lueger fait déjà parler de lui avant de devenir maire de la ville en 1897. Il est au courant des pogroms perpétrés dans le Yiddishland proche. On comprend donc que Herzl soit horrifié en retrouvant cette fois à Paris la haine antijuive que suscite Dreyfus. Et cela dans la patrie des Lumières, de l’Emancipation des juifs et des droits de l’homme ! Dorénavant donc, Herzl n’aura de cesse de trouver un « refuge » pour les juifs, un pays où ils ne seraient plus ni minoritaires ni persécutés. C’est ce projet du sionisme politique la quête d’un Etat pour les juifs qu’il va lancer en fondant l’Organisation sioniste mondiale au Congrès de Bâle en 1897.

toutefois, le projet de Herzl sera loin de rencontrer un succès généralisé chez les juifs. Jusqu’au début des années 1930, tout le monde le considérera comme utopique et certains de ses amis conseilleront à Herzl « d’aller se faire soigner ». En fait, jusqu’à Hitler et l’avant-veille du génocide de 1941-1945, la majorité du monde juif centre-européen optait soit pour l’assimilation, soit pour l’émigration vers l’Occident (européen ou américain), soit pour le socialisme (comme le Bund, grand mouvement ouvrier et socialiste juif d’Europe orientale, qui ne réclamait pas un Etat juif, en Palestine ou ailleurs, mais revendiquait seulement une autonomie nationale culturelle là où vivaient les juifs).

La bourgeoisie juive s’opposait à l’idée d’un Etat juif ?

Personnellement, je ne pense pas que l’on puisse parler d’une « bourgeoisie juive » qui aurait des intérêts distincts ou son propre projet étatique. Il serait plus exact de parler de juifs bourgeois membres des bourgeoisies britannique, allemande, française. La plupart d’entre eux se méfiaient de la réponse sioniste à l’antisémitisme renaissant. Ils jugeaient

ces deux phénomènes aussi bien l’antisémitisme que le sionisme comme susceptibles de remettre en cause leur statut en tant que Britanniques, Allemands, Français, etc.

Certains éprouvaient à l’égard du projet sioniste une sympathie d’ordre sentimental ou philanthropique. Ils pensaient aussi qu’en « canalisant » l’afflux de juifs de l’Est vers la Palestine ou ailleurs, le projet sioniste réduirait le racisme antijuif en Europe occidentale et la menace que celui-ci représentait pour eux. Ainsi, de grands bourgeois juifs américains ou européens, comme Lord Montefiore, ont financé des colonies juives en Palestine ou ailleurs. A cette époque, circulait une blague (juive), qui définissait un sioniste comme « un juif américain qui envoie de l’argent à un juif britannique pour envoyer un juif de Pologne en Palestine ». Le plus souvent, ce soutien philanthropique se faisait en dehors de toute idée d’Etat juif. Il s’agissait de colonies tout à fait classiques, où des colons juifs embauchaient des paysans arabes. Rien à voir donc avec le sionisme « socialiste » qui exigeait un « travail juif » dans les colonies juives (voir chapitre 3). Ajoutons que des bourgeois juifs, comme Lord Montagu en Angleterre, ont combattu et dénoncé le projet sioniste.

Mais comment les juifs européens, largement méprisés et sans influence politique, ont-ils réussi à réaliser un projet aussi important que la création d’un nouvel Etat ?

Cela ne s’est pas fait facilement, ni rapidement ! Comme je l’ai dit, jusqu’au début des années 1930, tout le monde considérait le projet sioniste comme utopique. Et les Arabes de Palestine ne se sont pas inquiétés avant l’arrivée d’Hitler au pouvoir, en 1933, qui a eu pour effet de doubler la communauté juive de Palestine en six ans (voir chapitre 3). En fait, dans les vingt années qui ont suivi le Congrès de Bâle de 1897, les moyens des dirigeants sionistes sont restés modestes. Ils cherchaient en vain à obtenir le soutien de l’une ou l’autre grande puissance : la turquie ottomane, l’Allemagne, puis l’Angleterre.

Ils cherchaient un « parrain » ?

Oui. Et ces dirigeants sionistes misaient parfois sur la croyance (assez généralisée et plutôt antisémite) d’une influence omniprésente des juifs. Ils s’en servaient pour convaincre leurs interlocuteurs de les soutenir…

Alors, comment le mouvement sioniste finira-t-il quand même par atteindre son objectif ?

Je distinguerai trois facteurs. Par ordre chronologique, d’abord, le Mandat britannique sur la Palestine (1920-1947). Ensuite, l’antisémitisme polonais et nazi. Enfin, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’éphémère collusion entre les Etats-Unis et l’URSS pour appuyer la création d’un Etat juif en Palestine.

Après la Première Guerre mondiale, Londres avait reçu de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU) un mandat pour administrer la Palestine, l’Irak et la transjordanie (que les Anglais avaient créée de toutes pièces en 1921). Ajoutons au gâteau l’occupation de l’Egypte depuis 1882. Pendant la Première Guerre mondiale, Anglais et Français avaient convenu avec les Accords Sykes-Picot (1916) de se partager le Moyen-Orient arabe. Dans cette Palestine, Londres avait promis aux dirigeants sionistes de favoriser la création d’un « foyer national juif ». C’était la « Déclaration Balfour » (voir chapitre 3).

Dans quel intérêt ?

Personnellement, à côté d’autres explications secondaires, je pense surtout que les Britanniques craignaient de voir les Français s’installer au Liban et en Syrie, à une inquiétante proximité du canal de Suez. Une ligne de communication que Londres jugeait vitale. Il leur fallait donc un « Etattampon » dépendant d’eux. On l’a un peu oublié, mais Londres et Paris étaient bien plus des rivales que des alliées. L’Entente cordiale, qui a prévalu lors de la Première Guerre mondiale, était tout sauf… cordiale. Après 1918, ces rivalités ont repris.

Ajoutons que les autorités allemandes de l’époque avaient, elles aussi, fait des ouvertures au mouvement sioniste. Berlin espérait que les communautés juives appuieraient leurs visées à l’Est et dans les Balkans. Et les Français avaient également produit, en juin 1917, leur « Déclaration Balfour » lorsque le diplomate Jules Cambon exprima le soutien officiel de la France au projet sioniste.

Pourtant, les sionistes rappellent volontiers leur opposition et leur lutte contre « l’impérialisme britannique »…

Il faut périodiser. En réalité, le Mandat britannique sur la Palestine a constitué « une cage de fer » empêchant le développement d’institutions politiques arabes palestiniennes. Contrairement aux autres mandats du ProcheOrient, qu’ils soient britanniques (Irak, transjordanie) ou français (Syrie, Liban), et contrairement à l’Egypte, les Palestiniens n’ont eu ni roi, ni président, ni premier ministre, ni gouvernement, ni parlement. Aucune institution représentative qui aurait pu, même sous tutelle, gouverner le pays. Mais ce que les Britanniques ont refusé aux Palestiniens, ils l’ont accordé à la communauté juive de Palestine.

Quand même, à partir de 1939, les sionistes et les Britanniques se sont opposés !

Parce que Londres voyait arriver la guerre mondiale et voulait se concilier les pays arabes, également approchés par l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie. Londres a alors publié un Livre blanc qui limitait drastiquement l’immigration juive en Palestine, la soumettant à l’approbation des Arabes de Palestine. Ce faisant, Londres coupait effectivement les ponts avec les sionistes. Lesquels vont entamer mais surtout après la Seconde Guerre mondiale une véritable « guerre » des sionistes contre les Britanniques.

Avec des groupes sionistes commettant même des attentats terroristes…

En effet. Mais, pendant près de vingt ans, les mandataires britanniques avaient tout fait pour que les sionistes puissent

créer un « Etat dans l’Etat » au sein de leur Mandat.

Le deuxième facteur qui a donné plus de moyens aux sionistes, c’est l’antisémitisme, polonais et nazi. Dans la seconde moitié des années 1920, s’est produite une quatrième vague d’immigration juive en Palestine, qu’on appelée l’alya Grabsky, du nom du chef du gouvernement polonais de l’époque qui avait pris des mesures discriminatoires contre les juifs. Elle a conduit plus de 80.000 juifs en Palestine. Ensuite, l’accès au pouvoir d’Hitler (1933) a renforcé l’émigration. La population juive de Palestine s’est accrue atteignant plus de 30% de la population totale. À elle seule, l’année 1935 a vu arriver plus de immigrants… Et, bien entendu, la découverte des camps d’extermination à la fin de la guerre a singulièrement renforcé le mouvement sioniste. Mais l’antisémitisme n’a pas seulement fourni au projet sioniste ce renfort démographique. Ces deux vagues d’immigration « bourgeoises » de l’entre-deux-guerres, la polonaise et l’allemande, ont aussi mené des capitaux à la communauté juive de Palestine. Faisant apparaître une « classe moyenne » qui a renforcé la droite (révisionniste) sioniste.

Pourquoi révisionniste ?

Les grands partis de droite israéliens comme le Likoud de Benyamin Netanyahu et Kadima de tzipi Livni (que l’on se complaît dans nos médias à qualifier de « centriste ») sont issus de ce qu’on a appelé le sionisme révisionniste. Une scission du mouvement sioniste, menée en 1923 par Zeev Jabotinski.

Ce dernier s’insurgeait contre la décision britannique de créer l’Emirat de transjordanie (la future Jordanie) à l’est du Jourdain. Pour lui, c’était amputer ce qu’il voyait comme la Palestine historique ; c’était léser les ambitions sionistes. On trouve là l’origine de la vision de Sharon qui a longtemps affirmé que les Palestiniens avaient déjà un Etat : la Jordanie… Mais Jabotinski critiquait aussi la politique « légaliste » de l’Organisation sioniste mondiale, la jugeant irréaliste. Il y opposait sa théorie du « mur de fer », selon laquelle aucun peuple au monde n’accepte sans réagir de voir des étrangers installer sur son territoire un nouvel Etat. Il fallait donc choisir : soit renoncer au projet sioniste, soit l’imposer par la force, en érigeant un « mur de fer ». Pour lui, la force était la seule perspective réaliste de créer un Etat juif en Palestine arabe. En fait, bon nombre de ses adversaires politiques, comme Ben Gourion, se sont vite aperçus qu’il avait raison. Voilà pourquoi, à l’époque, certains Palestiniens estimaient que Jabotinski était un honnête homme parce qu’il disait les choses franchement, tandis que Weizmann, le leader sioniste « modéré », était, disaient-ils, un hypocrite…

Donc, les sionistes n’auraient pu se renforcer sans l’appui volontaire des Britanniques, et l’impact de l’antisémitisme polonais et nazi. Mais ce n’est qu’en 1948, qu’ils réussiront à imposer leur Etat d’Israël…

Oui, grâce au troisième facteur : l’éphémère « collusion » entre Etats-Unis et URSS pour appuyer la création de l’Etat juif. Chacun pour des raisons propres bien sûr. Aux EtatsUnis, il y avait le choc causé dans l’opinion par la découverte des camps de la mort. Plus la recherche des faveurs de l’électorat juif par le président Harry truman. toutefois, les milieux pétroliers, diplomatiques et militaires américains n’étaient pas si favorables. En mars 1948, Washington a même demandé de retarder le partage de la Palestine, donc la création de l’Etat israélien. C’est Moscou qui fera le forcing en faveur du partage.

En URSS, ont joué des considérations géostratégiques, inspirées par un « marxisme » quelque peu dogmatique : Moscou pensait que le poids de la gauche sioniste (avec laquelle les relations s’étaient améliorées face à l’ennemi hitlérien commun) pousserait le futur Etat dans le camp prosoviétique. Cela aurait été précieux en ce début de Guerre froide. D’ailleurs, l’Etat d’Israël en gestation ne disposait-il pas d’une classe ouvrière importante ? Cela aurait fait contrepoids à des pays arabes considérés à juste titre comme des fantoches des Anglais. En effet, ces pays étaient gouvernés par les grands propriétaires de terres et la bourgeoisie dite compradore : leurs intérêts étaient trop liés à ceux des Occidentaux. Voilà pourquoi l’URSS a permis aux tchécoslovaques d’envoyer des armes aux Israéliens durant la guerre de 1947-1949.

Mais une armée arabe n’a-t-elle pas été envoyée défendre la Palestine ?

Disons plutôt des contingents arabes, et ils faisaient piètre figure. Mise à part la Légion arabe transjordanienne qui était la seule force arabe sérieuse. Par ailleurs, ces contingents avaient été envoyés plus en raison des rivalités entre Etats arabes de la région que pour sauver la Palestine. De plus, les « nouveaux historiens » israéliens ont montré que, contrairement à la légende, les effectifs arabes étaient inférieurs à ceux des sionistes, et peu motivés.

Les racistes antijuifs disent que la coexistence est impossible entre juifs et non-juifs. Mais sincèrement, on a l’impression que les sionistes pensaient la même chose…

De fait, Herzl était devenu profondément convaincu qu’une coexistence entre juifs et non-juifs ne serait jamais possible sans une séparation via l’édification d’un Etat particulier pour les juifs. Il est vrai aussi que le projet nationaliste de construire cet Etat l’a parfois emporté sur le souci de protéger les juifs d’Europe (que les sionistes en aient ou pas les moyens). L’historien israélien tom Segev l’a bien montré dans son livre Le septième million. Les sionistes se considéraient comme les sauveurs d’une nation juive et très souvent, ils méprisaient la vie en diaspora qu’ils jugeaient indigne. Le futur président de l’Etat d’Israël, Ben Gourion, tout à son projet étatique, déclarait en 1942 (!) aux responsables de son parti : « Le désastre qu’affronte le judaïsme européen n’est pas mon affaire ».

Cette priorité accordée à l’édification de leur Etat dans lequel ils voyaient la seule solution à l’antisémitisme explique que les sionistes soient parfois entrés en contact avec des antisémites avérés. Ainsi, le journaliste Charles Enderlin ( France 2) nous rappelle que l’organisation révisionniste Betar a conclu un accord avec le très antisémite

régime polonais dit « des colonels » en 1937. Selon cet accord, la Pologne entraînerait et formerait ses combattants. En 1933 avant le judéocide il y a même eu un accord d’échange avec Eichmann et les autorités nazies : l’accord dit Ha-Avara autorisait le départ d’Allemagne de juifs fortunés à condition qu’ils convertissent leurs biens en produits industriels allemands exportés en Palestine...

Cette priorité explique aussi qu’un groupuscule de l’extrême-droite sioniste, le groupe Stern, ait même tenté des ouvertures sans succès pour s’allier avec Hitler au nom de la lutte contre les autorités mandataires britanniques en Palestine. Il s’agit là bien sûr d’un cas extrême et isolé. Et on peut considérer cela comme une politique « réaliste ». Mais cela aide aussi à prendre du recul alors que les dirigeants israéliens invoquent avec facilité, pour conforter leurs intérêts, un judéocide dont ils instrumentalisent la mémoire.

De toute cette histoire, que vous avez rapidement retracée, peut-on donc retenir que le génocide n’est pas la cause de la création d’Israël en 1948 ? Car les grandes puissances européennes étaient intéressées depuis bien longtemps à la colonisation juive de la Palestine. Mais 40-45 va considérablement renforcer cet appui…

Il est évident, comme je l’ai dit, que les Occidentaux avaient des intérêts bien concrets pour soutenir le jeune Etat d’Israël. Mais on doit bien réaliser que c’est le génocide commis contre les juifs qui a fait basculer les choses. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les sympathies européennes pour le projet sioniste ont été beaucoup plus marquées. La culpabilité a été un facteur important, nous l’avons dit. Sans pour autant faire disparaître les raisons plus intéressées.

Comme on va le voir en 1956, lorsque Londres et Paris attaquent l’Eg ypte du président Nasser avec le soutien très actif d’Israël…

Oui. Le président égyptien Nasser avait nationalisé la compagnie anglo-française qui possédait le Canal de Suez. Il espérait que ses revenus pourraient en partie fi-

nancer la construction du barrage d’Assouan qu’il jugeait vitale pour l’électrification de l’Egypte et sa modernisation. Il y eut donc une agression tripartite de la GrandeBretagne, de la France et d’Israël contre l’Egypte. Anglais et Français firent semblant de s’imposer en médiateurs entre l’Egypte et Israël, dont l’armée avait atteint le canal de Suez. En fait, toute cette comédie avait été préparée secrètement par les trois pays. Mais l’URSS et les EtatsUnis forcèrent les trois comparses à se retirer d’Egypte. L’URSS put ensuite rentrer en scène au Moyen-Orient. Et les Etats-Unis purent comme ils l’avaient fait en Iran en 1953 s’installer dans les places encore chaudes de leurs alliés européens dans la région…

En s’alliant à Israël, et en lui offrant ses capacités nucléaires, la France cherchait à compenser son éviction du Proche-Orient arabe : retrait du Liban et de Syrie en 1946, agression ratée contre l’Egypte en 1956. Elle en voulait aussi à Nasser de soutenir la guerre d’indépendance des Algériens (1954-1962). Cette alliance va durer jusqu’au début des années 60 lorsque les Etats-Unis prendront la relève et deviendront le grand soutien d’Israël.

Il semble que pour s’imposer en Palestine les dirigeants sionistes ont eu besoin, à chaque époque, d’un « parrain », une grande puissance qui les protège. Mais ce parrain a changé avec les époques. Pourquoi les EtatsUnis sont-ils devenus le nouveau parrain ?

A cause de la capacité militaire d’Israël et sa solidité politique face à l’URSS. Cependant, jusqu’à la fin des années 50, Israël

« agaçait » Washington en refusant de se réconcilier avec ses voisins arabes pour obtenir un Moyen-Orient globalement associé aux Occidentaux contre l’URSS. Il faut signaler à ce propos c’est très peu connu que Nasser lui-même était au début favorable à une entente avec Israël. Mais il y eut, en 1955, l’affaire Lavon. Un épisode de la « guerre de l’ombre ». Du nom du ministre israélien Lavon, proche de Ben Gourion, mais qui en devint le bouc émissaire. En fait, les Israéliens avaient ourdi un plan consistant à faire exploserdesbombes(peupuissantes) dansdeslieuxculturels anglo-saxons en Egypte. Le but était de faire croire aux Occidentaux que l’Egypte leur était hostile et qu’il leur fallait se distancier de Nasser. toutefois, les agents israéliens auteurs des attentats furent capturés et pendus.

Pourquoi Washington a-t-il finalement changé d’attitude pour soutenir Israël à fond ?

A cause de la montée du nationalisme arabe anticolonial et neutraliste entre Moscou et Washington. Nasser en était le principal porte-parole et il enthousiasmait une bonne partie de l’opinion arabe. En 1962, Nasser a envoyé des troupes au Yémen pour y appuyer les forces antiroyalistes soutenues par l’Arabie saoudite. Pour les « durs » à Washington, il était clair qu’au-delà du Yémen, Nasser visait la péninsule arabique et son pétrole. C’est pourquoi, en juin 1967, les Américains auraient donné leur feu vert à une attaque, dite préventive, contre l’Egypte de Nasser.

D’une façon générale, Israël est soutenu parce que c’est le seul pilier solide des Etats-Unis au Moyen-Orient ?

Oui, le seul soutien solide de leur hégémonie au pays de l’or noir. Surtout lorsque le deuxième pilier, l’Iran du Chah, va leur faire faux bond suite à la révolution islamique de 1979. Car l’Arabie saoudite ne dispose pas des ressources démographiques ou militaires capables de le remplacer. Ajoutons l’appui militaire et politique qu’Israël a apporté à cette hégémonie américaine dans diverses régions du Sud : en Afrique et en Amérique latine.

Il faudrait donc toujours dire : « Cherchez le pétrole ! » Mais les phénomènes psychologiques jouent aussi un rôle…

Il est évident que le pétrole est à la base de la stratégie américaine et occidentale au Moyen-Orient. Comme d’ailleurs en Asie centrale et peut-être aujourd’hui en Afrique. C’est le pétrole qui me semble, fondamentalement, expliquer l’appui américain à Israël en tant qu’Etat le plus « digne de confiance » dans la région. Les Palestiniens disent que, malheureusement, eux n’ont pas de pétrole, mais « rien que de l’huile d’olive ». Toutefois, il faut également tenir compte de ce « sionisme chrétien », fort influent aux Etats-Unis. Nombre d’Américains projettent leur propre histoire sur Israël avec qui ils partagent une série de mythes : celui des « pionniers », celui d’un affrontement entre civilisation et sauvagerie, entre modernité et arriération. D’une part, les immigrants blancs venus d’Europe et, d’autre part, des Indiens et des Arabes. Le tout alimenté par la culture biblique.

Après 1948, beaucoup de juifs sont allés s’installer en Israël. Mais, en dépit des appels du sionisme, la majorité est restée vivre là où elle était : en Europe et partout dans le monde. Pourquoi ne vont-ils pas en Israël, si ce pays est maintenant leur Etat ?

C’est une question à la fois psychologique et d’ordre identitaire. Précisons quand même que beaucoup de juifs ne considèrent pas Israël comme « leur Etat ». Je crois que l’existence d’Israël remplit une double fonction. La première est de rassurer : en cas de difficultés, il y a toujours un « refuge ». Après le judéocide, il est normal que cette idée de refuge compte. Au moins pour les générations de juifs qui l’ont vécu et celles qui suivent immédiatement. Il ne faut pas voir dans la mémoire du judéocide seulement l’objet d’une manipulation ou une volonté de culpabiliser.

Mais je vois aussi une deuxième fonction : un repère identitaire. La question « Qui sommes-nous ? » tracasse nombre de juifs (surtout occidentaux). En raison du traumatisme du génocide, mais aussi d’autres facteurs : diminution de la religiosité, « embourgeoisement », assimilation croissante au monde non-juif environnant, mariages mixtes… Ici, l’affirmation d’un lien avec Israël intervient comme fondement d’une identité spécifique. Une spécialiste du monde juif, Esther Benbassa, dit que, malheureusement, le sentiment de l’identité juive aujourd’ hui tend à ne plus se fonder que sur deux seuls piliers : la mémoire du génocide et l’Etat d’Israël.

Un spécialiste du sionisme Georges Bensoussan a montré que, chez les juifs des Etats-Unis, l’adhésion, plus ou moins forte, au sionisme n’implique pas d’émigrer en Palestine.

« Le sionisme devient, dit-il, une identité de remplacement ». La possibilité d’affirmer sa singularité dans un monde où les juifs sont de moins en moins distingués.

Ceci dit, les choses évoluent. Diverses enquêtes montrent que se développent au sein de la communauté juive des Etats-Unis sauf chez les secteurs les plus conservateurs des sentiments plus distants envers la politique israélienne elle-même. Seuls 17% des juifs américains se déclareraient aujourd’hui « sionistes ».

A LIRE :

Maxime Rodinson, Peuple juif ou problème juif ?, La Découverte, Paris, 1997.

Jacques Aron, Le sionisme n’est pas le judaïsme. Essai sur le destin d’Israël, Didier Devillez Editeur, 2004.

L’emblème de cette milice sioniste marque la volonté de s’approprier toute la Grande Palestine y comp ris la Jordanie.

© Archives Lucas Catherine

Theodor Herzl, fondateur du mouvement sioniste parlant des Arabes de Palestine en 1895 : « Chassez la population pauvre au-delà de la frontière en lui refusant du travail. Le processus d’expropriation et de déplacement des pauvres doit être mené discrètement et avec circonspection. »

© Archives Lucas Catherine

Action du Jewish Colonial trust, 1901. La colonisation des terres entraînait l’expulsion des paysans palestiniens.

« Cher Lord Rothschild,

J’ai le plaisir de vous adresser, au nom du gouvernement de Sa Majesté, la déclaration ci-dessous de sympathie à l’adresse des aspirations sionistes, déclaration soumise au cabinet et approuvée par lui.

Le gouvernement de Sa Majesté envisage favorablement l’établissement en Palestine d’un foyer national pour le peuple juif, et emploiera tous ses efforts pour faciliter la réalisation de cet objectif, étant clairement entendu que rien ne sera fait qui puisse porter atteinte ni aux droits civiques et religieux des collectivités non juives existant en Palestine, ni aux droits et au statut politique dont les Juifs jouissent dans tout autre pays.

Je vous serais reconnaissant de bien vouloir porter cette déclaration à la connaissance de la Fédération sioniste.

Arthur James Balfour »

Mais, au même moment, Londres promet aux Arabes leur

« indépendance et émancipation complète » et aux Français d’internationaliser la Palestine. On promet tout à tout le monde en toute hypocrisie.

1. L’orthographe française impose une majuscule pour les nationalités etuneminusculepourlesreligions.Suivantcettelogique,nousécrirons doncdanscelivre:unjuif,unchrétienouunmusulman.MaisunIsraélien,unPalestinien,unArabe.

L’exode du Peuple juif : mythe ou réalité ?

Ainsi, le génocide commis durant la Seconde Guerre mondiale ne peut justifier la création d’Israël en 1948. Car cette création avait déjà été programmée cinquante ans plus tôt par le mouvement sioniste.

Existe-t-il alors une autre justification pour chasser les Palestiniens de leurs terres ? Oui, répondent les sionistes : selon eux, cette terre appartiendrait au peuple juif qui en aurait été chassé par les Romains, il y a deux mille ans. Les juifs ne feraient donc que « retourner » sur leur terre… Vrai ou faux ?

SHLOMO SAND

Historien israélien né en Autriche en 1946. Passe les deux premières années de sa vie dans un camp de réfugiés. Emigre en Israël en 1948. Etudie à tel Aviv et Paris. Puis, décide de retourner en Israël et de se pencher sur le grand mythe national israélien : le peuple juif serait plusieurs fois millénaire.

Vos recherches historiques confirment-elles cette idée que les juifs ont quitté leur terre d’Israël il y a deux mille ans et qu’ils y retournent ?

Il n’y a pas de « retour », car il n’y a pas eu d’exil. Le seul exode qu’on peut trouver, c’est au sixième siècle avant JésusChrist. Les Babyloniens ont alors exilé les élites politiques et intellectuelles de la Judée. Pas le peuple : on n’a jamais arraché un peuple de sa terre, car c’est lui qui donne le fruit du travail au conquérant.

Cet exil a fait naître le monothéisme juif quand ces exilés intellectuels, prêtres, prophètes... ont rencontré l’ancienne religion monothéiste de Zarathoustra. Ainsi est né le premier monothéisme occidental.

Mais le « grand exode », celui dont on parle toujours, 70 ans après Jésus Christ…

Le grand exil provoqué par « les méchants Romains », après la destruction des temples ? Il n’a jamais eu lieu, c’est un mythe !

Pourtant, toute ma vie, moi aussi j’ai cru que les juifs étaient partis en exil vers cette époque, après l’échec des révoltes contre l’occupant romain en 70 et en 135 après J-C (en fait, c’étaient des révoltes de fanatiques religieux monothéistes face au paganisme). tout notre enseignement parle des juifs exilés loin de la terre de Judée. toute la mémoire collective qui constitue Israël tourne autour de cet événement.

Et comment avez-vous découvert la supercherie ?

quand j’ai demandé aux historiens spécialisés dans l’Antiquité juive. tous savaient que cet exil n’avait pas eu lieu. Je me souviens leur avoir demandé. Et ils répondaient : « Nous, on n’a jamais dit ça ! » « Pourtant, vous l’avez laissé entendre ! » Donc, notre population croit qu’il y a eu un exil, mais les centres qui produisent le savoir historique savent très bien qu’il n’a jamais existé. Or, tout le mythe sioniste est basé sur cet exil !

Un savoir pour la population et un savoir pour les élites ?

Exactement. Enfin, soyons plus précis. J’appartiens aux élites et je ne savais pas. Donc, ce sont plutôt les professionnels qui sont seuls à savoir.

Et c’est un mythe qui soude la population ?

Absolument. Même moi, j’étais du genre gauchiste, très extrémiste et je me définissais comme antisioniste à cette époque. Pourtant, nous aussi, nous avons cru tout ce temps que le peuple juif était un peuple exilé.

Ceci dit, même si l’exil avait existé, cela donnerait le droit de revenir vers cette terre ?

Non. Pourquoi avoir été là il y a deux mille ans donnerait-il tous les droits et avoir été là depuis mille ans aucun droit ? Partout dans le monde, les peuples ont migré. Si on veut tout bouleverser et ramener tous les pays à la situation d’il y a deux mille ans, le monde deviendra une maison de fous !

Votre livre entend mettre fin à cette mythologie. Il a suscité des réactions violentes…

Oui, parce que j’ai balayé cette légitimation profonde. La première légitimation des sionistes pour acquérir cette terre, c’est la Bible.

Est-il vrai que, dans les écoles israéliennes, la Bible est enseignée comme si c’était un vrai livre d’Histoire ?

Oui, dès la première année de l’école jusqu’au baccalauréat. Comme un livre d’Histoire, pas comme une grande œuvre de littérature. A présent, on essaie même de l’enseigner aux enfants de 4 ou 5 ans, en maternelle, pour montrer « notre origine ». Ce n’est pas encore admis, mais c’est une proposition. Même moi, comme gauchiste, je ne mettais pas en doute cette évidence. Vous comprenez ? Nous fêtions la Pâque juive en famille, même si on était laïque. C’est le moment où toute la famille se rassemble, comme à Noël pour les Européens. Même ceux qui ne sont pas religieux fêtent Noël ; nous, on fêtait la Pâque. Donc, personne, croyant ou laïque, ne mettait en doute l’exode biblique. Mais les archéologues disent que ce n’est pas possible historiquement.

Pourquoi ?

Aucun vestige égyptien ne montre une révolte des esclaves à cette époque. Ensuite, les récits d’exode parlent de lieux qui n’existaient pas à cette époque et n’ont existé que beaucoup plus tard. Les archéologues disent qu’en réalité, ces populations, sur la terre de Palestine, elles n’ont pas changé, pas profondément. C’est toujours la même population. A une certaine date, elle a été judaïsée.

Quand s’en est-on rendu compte ?

Par les travaux d’un archéologue israélien sioniste. Après 1967 et l’occupation, les archéologues ont sauté sur les territoires occupés pour fouiller la terre. Seulement, ils ont découvert des choses désagréables : qu’il n’y avait pas eu de conquête de Canaan par les juifs ; en fait, les populations locales n’étaient jamais parties. Du 10ème siècle avant J-C jusqu’à aujourd’hui, une grande partie de la population n’a jamais bougé. Il n’y a pas eu d’échange de populations. Simplement le sang des populations était régulièrement enrichi avec les guerres. Comme partout. Aucun conquérant ne chassait les paysans qui travaillaient la terre car ce sont eux qui produisent la richesse. Dans certains cas (en Espagne), on a accordé des terres à des soldats romains, mais pas au Proche-Orient, pas en Palestine.

Donc, la population n’a p as changé. Il y a maintenant des historiens palestiniens qui essayent de démontrer qu’il y avait des Arabes, il y a trois ou quatre mille ans. Ils imitent la mythologie juive pour dire : « Nous étions les premiers ». Cela me fait rire, car en fait, les populations, ce sont les mêmes, elles n’ont pas changé.

Donc, les juifs réellement originaires d’Israël et les « Palestiniens », c’est la même chose !

Oui. Il y a eu beaucoup d’échanges de sang, beaucoup de mélanges, mais nous avons été les premiers Palestiniens ! Mélangés avec d’autres populations. Donc, les juifs d’aujourd’hui sont les héritiers de cette population qui, à une certaine époque, a adopté le monothéisme juif, puis est passée à l’Islam, à un moment donné, pour des raisons d’opportunité ou par conviction.

Mais alors, puisque l’exode n’a pas eu lieu, ça pose deux questions :

Qui sont aujourd’hui les vrais descendants des anciens habitants de cette terre d’Israël ? 2. Et puisque beaucoup de gens sont arrivés récemment en Israël, en disant : « Nous revenons », qui étaientils vraiment ?

En fait, les Arabes palestiniens qui sont aujourd’hui sur place sont les descendants des Judéens de l’époque. Dont certains étaient païens, d’autres étaient juifs. Dans notre monde, vous savez, tous les peuple sont très mélangés. Nous ne sommes pas purs sur cette terre, nous sommes tous « sales », dans le sens où notre père et notre mère viennent de n’importe où.

Maintenant, si on voit les choses génétiquement, chacun de nous a tellement d’embranchements dans son arbre généalogique que ça me fait rire ses tentatives de chercher génétiquement « le juif ».

Donc, pas de « Nos ancêtres, les Judéens. » ?

Non. Avec tous ces mélanges, je ne crois pas que les Palestiniens d’aujourd’hui soient exactement leurs descendants directs. Comme les Français ne sont pas les descendants directs des Gaulois. La probabilité qu’un Palestinien ait des gènes communs avec les anciens Hébreux, est en effet plus grande que pour moi ou même la plupart des juifs. Cela, c’est clair.

Sur base d’études historiques ?

Oui. Mon travail montre qu’une partie des paysans est toujours restée sur place. Sauf que chaque conquérant a utilisé les femmes, c’est-à-dire qu’il a laissé son sperme. Dans chaque guerre, c’était l’habitude. On n’employait pas le mot viol à cette époque. Il était naturel que le conquérant prenne aussi le pouvoir masculin. La femme a toujours subi cette logique de domination.

Dans cette région, qui est une région de passage, tous ceux qui sont passés ont laissé leurs traces. Les Palestiniens ne peuvent dire : « Nous sommes les descendants des Hébreux et donc nous avons le droit sur la terre. » Oui, les chances qu’ils soient les descendants héritiers sont plus grandes. Mais c’est tout.

Reste la deuxième question. Si l’exode n’a pas eu lieu, si ceux qui habitaient en Judée il y a deux mille ans, y sont, en gros, restés, alors tous ces gens qui disent : « Je reviens sur ma terre d’Israël », d’où viennentils vraiment ?

Oui, d’où provient cette masse importante de juifs dans le monde ? Le judaïsme a été la première religion prosélyte (cherchant à convertir) qui a connu un grand succès. Le prosélytisme est essentiel chez les juifs à partir du 2ème siècle avant J-C. D’abord, on a converti de force toutes les populations habitant près de la Judée. Ensuite, ça a été la conversion volontaire. Chaque famille juive convertissait ses esclaves.

Puis, la popularité du judaïsme dans la Rome Antique a été fantastique. De nombreuses femmes de la haute aristocratie s’y convertissaient, à cause de la décomposition morale de l’Empire romain. Voici que venait une autre morale, qui accordait aux femmes des droits qu’elles n’avaient pas dans le paganisme. Aujourd’hui, je n’accepte pas la morale juive envers les femmes, mais pour cette époque c’était un progrès.

Vous affirmez donc que les juifs dans le monde sont en fait simplement des « convertis » ?

Oui, ils viennent des vagues successives de conversion. Les premières de force, les suivantes par conviction. Notamment parce que le monothéisme était avantageux pour les femmes qui ont été pionnières pour la diffusion du Judaïsme.

Les juifs font alors des conversions autour de la Méditerranée comme des pyromanes. Ces ambassadeurs qui viennent de Judée convertissent des familles et des populations entières. Et comme le grand empire romain a une crise d’identité, une crise morale, ce que propose le judaïsme, c’est fantastique : une nouvelle vision de la vie. De la vie quotidienne, mais aussi de la vie après la mort : le paradis. Le paganisme parlait bien ça et là de paradis, mais n’avait pas tout cet imaginaire du monothéisme. D’ailleurs, ce qui a été un « plus » pour le christianisme, c’était que non seulement, il y avait la vie après la mort, mais il en apportait aussi la preuve avec Jésus.

Où ont eu lieu ces conversions ?

Des royaumes entiers ont été convertis. Le premier, au sud de l’Arabie, au 5ème siècle après J-C., ce sont les ancêtres des actuels Yéménites. tout le royaume, le Roi, son administration, se sont convertis. Ce royaume a duré 130 ans, il a été démantelé par l’attaque des chrétiens d’Ethiopie. Mais il a laissé derrière lui une communauté juive yéménite, jusqu’au 20ème siècle. Ygal Amir, l’assassin du premier ministre Rabin en 1995, est d’origine yéménite. Je voulais lui envoyer mon livre pour qu’il sache d’où il vient. Mais je savais qu’il n’allait pas le lire. Lui, il croit qu’il est le fils d’un soldat de l’armée du Roi David.

Ce royaume tombe en 525. Mais le christianisme n’a pas gagné là-bas. Parce que les Perses ont embrassé l’Islam peu après. C’est très intéressant, l’Islam dit qu’il ne faut pas toucher aux monothéismes. L’Islam a respecté les juifs et les chrétiens, il ne fallait pas les tuer. Seulement les païens. Donc, l’Islam a conservé d’une manière remarquable les communautés juives. Même si elles n’étaient pas égales bien sûr, elles venaient seulement au second rang.

Un deuxième royaume, sur lequel nous avons peu de témoignages, c’est celui de Daiya Al Kaïna, prêtresse et guerrière, qui résista à l’armée arabe, à la fin du 7ème siècle, au nom du monothéisme juif berbère. Je dois aussi mentionner qu’au 1er siècle de notre ère, il y avait quatre royaumes juifs, que personne ne peut nier, comme les Abadéens.

Mais le plus important, le plus grand, c’est Khazar, au sud de la Russie, près de l’Ukraine, sur la mer Caspienne et la mer Noire. A un moment donné, le Khazar a adopté le judaïsme. Dans la ville de Kiev, jusqu’à aujourd’hui, on trouve des portes juives et une partie de la ville s’appelle le Khazar juif, etc. Cette région n’a pas gardé beaucoup de vestiges, mais il y a des témoignages écrits sur le royaume juif de Khazar.

A quelle époque ?

C’est en discussion. Certains disent au milieu du 9ème siècle, d’autres au milieu du 8ème siècle. Certains l’ont étendu jusqu’au 12ème siècle. Et les frontières ont changé. D’un grand empire, c’est devenu plus tard un petit royaume. Et les historiens débattent aussi sur le poids qu’y avait la religion juive. Dans mon livre, je dis qu’il n’y avait pas de peuple khazar, tout comme je crois d’ailleurs qu’il n’y avait pas un peuple français. Il y avait, dans le royaume khazar, des peuplades composées de tribus, comme partout, avec beaucoup de dialectes, de langues. Et je crois qu’une grande partie de ces peuplades se sont converties au judaïsme. Le royaume s’est converti pour ne pas se soumettre à l’Islam ou au christianisme de Byzance.

C’est en Europe de l’Est qu’on trouve alors le plus de juifs…

Oui. Au début du 20ème siècle, 80% des juifs dans le monde se trouvent entre la Pologne, l’Ukraine et la Russie. Jusqu’à la fin des années 50, tous les grands historiens sionistes sont d’accord : la population israélienne provient de l’Europe de l’Est et non de l’Ouest. Elle provient de toutes les régions qui étaient dominées par le royaume khazar. Mais dans les années 50, ils inventent le mythe que, dans le royaume khazar, il y avait des juifs authentiques, des juifs de la « semence d’Abraham ». C’est la formule qu’ils répètent tout le temps. Ils affirment que sur le territoire khazar, il y avait des immigrés de Palestine.

Mais il n’y avait pas de preuve. Dans les années 50, cette question était moins importante, car on se foutait des Arabes et des gens du tiers monde. Seulement, quand le monde s’est décolonisé, il est devenu urgent pour la colonisation sioniste de « prouver » que les juifs étaient de la « vraie semence d’Abraham ». Alors, on a nié l’Histoire, et notamment le royaume des Khazars.

Tout ceci paraîtra étonnant au lecteur. Moi-même, avant votre livre, je n’avais jamais entendu parler de ce royaume.

En reparlant de ceci, je savais que je serais attaqué, car ça gêne. Mais je le répète quand même : il n’y a pas de meilleure hypothèse que le royaume khazar pour expliquer cette présence massive de juifs dans cette région. tous les historiens sont d’accord pour affirmer, qu’au 17ème siècle, il y a un quart de million de juifs à l’Est contre seulement plusieurs milliers à l’Ouest. En Europe de l’Ouest, il y avait très peu de juifs. Vingt mille peut-être, dans la région entre Metz, Strasbourg et Cologne. Dans d’autres régions, des chiffres encore plus bas.

Un quart de million, au début du 19ème siècle, c’est un chiffre énorme. Car, en Europe, la population était très basse partout. En fait, au début du Moyen Age, la majorité des juifs vivaient dans le monde islamique. Pas en Europe.

Justement, à propos de ces diverses origines des juifs. Les juifs ashkénazes proviennent d’Europe de l’Ouest et considèrent avec un certain mépris les autres juifs, les sépharades