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Souvenirs d’enfance est un voyage au cœur de la mémoire, où une famille ordinaire devient le témoin d’un monde lointain, mais toujours vivant dans le cœur du narrateur. À travers les souvenirs de ses grandes vacances en Pays Nivernais, l’auteur tisse un récit où se mêlent la simplicité joyeuse de l’enfance et la profondeur d’une réflexion intime. Quarante récits, parfois poignants, parfois lumineux, dévoilent des moments de partage authentiques, des traditions rurales oubliées et un émerveillement constant face à la nature. Mais au-delà de l’évocation de ce passé, cette autobiographie invite à une question essentielle : qu’avons-nous réellement conservé de ces valeurs simples et de ces traditions qui façonnent l’essence même de nos vies ? À chaque page, le lecteur se voit invité à explorer ses propres souvenirs, à redécouvrir des trésors enfouis, et à se demander, une fois la dernière page tournée : qu’est-ce qui mérite, aujourd’hui, d’être transmis ?
À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Ducourneau revisite avec un regard d’adulte ses souvenirs d’enfance dans une France rurale et méconnue des années 1970. Avec un souci de réalisme, il retranscrit les émotions et les questionnements d’un garçon de dix ans, immergeant ses lecteurs dans une époque révolue. En 2020, il a publié Un obscur secret aux éditions Vérone.
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Seitenzahl: 195
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Philippe Ducourneau
Souvenirs d’enfance
Roman
© Lys Bleu Éditions – Philippe Ducourneau
ISBN : 979-10-422-6041-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À la mémoire de Louise, Gaby, Henri,
André, Jeanine, Jacques et tant d’autres…
La vieille armoire en chêne se souvient-elle qu’elle avait des feuilles ?
Paul Valéry
De mes souvenirs d’enfance, je ne garde qu’un arbre perché sur une rivière, la fraîcheur de l’eau, le soleil l’après-midi, les noyaux d’abricots, c’est tout…
Mohammed Aissaoui
Au fil des années, toutes les personnes avec qui vous avez partagé votre vie disparaissent, emportant peu à peu avec eux vos histoires les plus secrètes, vous restez alors seul face à vos souvenirs d’enfance…
Philippe Ducourneau
Nous avons tous une histoire. Celle de Philippe à cette particularité de vous faire vivre la mémoire des villages qui est la bibliothèque du temps qui passe. Il vous fera rencontrer des personnes attachantes qui vous ressemblent.
Thierry Essengue
Romancier
Je vais vous raconter l’histoire de mon enfance pendant les grandes vacances dans les années soixante-dix et vous narrer de petites anecdotes croustillantes et vous faire revivre ces années de bonheurs simples où il faisait bon vivre dans ce petit lieu croquignolet en pays nivernais qu’est Pouzy. Nous étions au début des années seventies, mes parents ayant peu de moyens financiers, on ne pouvait pas se permettre de partir pour des destinations paradisiaques, mais on aimait nos vacances sans façon chaque année, on revenait en famille habiter dans la maison de mes grands-parents dans le département de la Nièvre. Nous connaissions toutes les personnes du village. Qui, aujourd’hui, peut s’enorgueillir de connaître l’ensemble des villageois de sa bourgade ? Quelle insouciance ! On vivait les Trente Glorieuses, pas de crise pétrolière, tout va bien, la France était prospère et l’une des nations les plus écoutées au monde. On regardait l’ORTF, la seule chaîne de télévision, Pompidou était président de la République, nous étions en pleine guerre du Vietnam, les mœurs et la sexualité changent avec l’apparition de la pilule, l’émancipation de la femme, l’avortement était voté, les relations entre les hommes et les femmes se transformaient, un équilibre fragile semblait émerger avec le deuxième sexe.
Je voyais mes grands-parents maternels assez peu. En général, une à deux fois dans l’année, on partait généralement au mois de juillet, ou ils me déposaient chez eux, puis ils revenaient tout le mois d’août afin que l’on puisse passer les vacances tous ensemble en famille. J’avais surtout hâte de retrouver mes cousins et ma cousine pour pouvoir faire les 400 coups. Je me souviens de ce voyage, généralement assez court, comparé à celui que l’on effectuait pour nous rendre en Bretagne (600 km) pour aller voir mes grands-parents paternels. Moins de 260 km nous séparaient de Pouzy, nous empruntions donc la nationale 7, la route des vacances la plus longue de toutes les nationales de France avec ses 996 km. À l’époque, peu d’autoroutes, et la voiture de papa ne roulait pas trop vite pour passer le temps, je m’amusais à compter les platanes qui bordaient les bords des routes. Au fur et à mesure de l’avancée de notre excursion, le paysage changeait sans arrêt, des grandes cheminées d’Ivry qui crachaient constamment une fumée opaque, on traversait déjà une banlieue encombrée, on arrivait ensuite dans le Gâtinais, la forêt de Fontainebleau m’apparaissait comme par enchantement avec cette végétation luxuriante et ombragée qui nous cachait un peu de la chaleur accablante.
La banquette arrière de la voiture faite en Skaï était un véritable tape-cul et l’on arrivait souvent, Cathy et moi, avec les fesses en compote. Aucun confort dans cette Peugeot 204 ni d’ailleurs aucune sécurité, juste une bétaillère ou bien une boîte en fer qui nous convoyait. Maman était studieuse, comme à son habitude, elle arborait une robe à fleurs aux couleurs psychédéliques, avec un chapeau de paille sur la tête et d’énormes lunettes de soleil en plein milieu de son visage, on aurait dit une mouche. Riton avait toujours sa casquette écossaise constamment sur la tête avec ses rouflaquettes, j’avais l’impression qu’il devait dormir avec, il ne la quittait jamais. Une cigarette Caporal fixée au bec, il nous enfumait perpétuellement à l’intérieur de la voiture et, au fur et à mesure du voyage, on se transformait en véritables petits harengs saurs. On arrivait vite en Bourgogne où papa s’arrêtait à Pouilly, ville étape pour acheter du vin, puis nous arrivions à La-Charité-sur-Loire où nous traversions le dernier fleuve sauvage de France. Enfin, nous apparaissait cette petite route qui serpentait de Saint-Saulge à Pouzy. Elle était tellement étroite qu’une seule voiture pouvait y passer, tantôt pentue et pourvue de descentes et de côtes vertigineuses. Le village était niché dans un petit mont avec une altitude de basse montagne dans les contreforts du Morvan.
Pouzy est situé dans le département de la Nièvre et se trouve seulement à quelques encablures du village de Saint-Saulge. À l’entrée du bourg, ma vision s’était figée sur le premier lavoir traversé par un minuscule ru qui ondoyait à travers les champs. La maison des Moreau, l’un des voisins les plus proches de mes grands-parents, était la première à apparaître à l’entrée du hameau, des voisins ordinaires sans grande importance. Je me souviens du regard terrible de la mère Moreau, une affreuse bonne femme. La seconde maison était celle de Louise et de Gaby (mes grands-parents), elle avait été construite sur les vestiges d’une ancienne masure de 1870, la baraque avait les persiennes closes. Pas âme qui y vivait. Riton avait donc décidé de continuer son chemin jusqu’à la sortie du village où se trouvait la maison de mon oncle et de ma tante, mes grands-parents devaient sûrement s’y trouver, nous poursuivions donc notre route. En face de chez eux, l’immense ferme de la famille Morel émergeait comme un récif caché de la mer, un vieux couple de paysans y séjournaient. Puis la chaussée continuait son petit bonhomme de chemin pour s’arrêter chez Mme Pic, une gentille femme très honorable, affable et amie de Louise.
On se trouvait ensuite rapidement au pied de la Croix Rapine où une maisonnette faisait alors son apparition, on aurait pu aujourd’hui la comparer à un logis de Hobbit tellement elle était minuscule. Un illustre inconnu campait à l’entrée de celle-ci, habillé d’un gilet et d’un pantalon de velours marron. Il était, je me souviens encore, chaussé de lourds sabots en bois, il fumait la pipe avec un béret sur la tête. À notre passage, il nous avait salués d’un geste chaleureux de la tête, papa lui avait alors répondu poliment. La route prenait ensuite la forme d’un virage assez large qui ondulait comme les méandres d’une rivière ou d’un fleuve. Dans une légère descente, nous étions passés devant la maison en bois de « chez Nénette », elle était faite de bric et de broc, de rafistolage en tout genre, me faisant penser à une roulotte de gitan. Cette femme, un peu niaise et dérangée, vivait avec une cohorte de chats qui urinaient à tire-larigot dans son minuscule logis, mais elle aidait Louise pour quelques piécettes dans les tâches ménagères les plus dures.
La voiture de papa poursuivait son chemin sur quelques centaines de mètres, on pouvait apercevoir alors la maison neuve de M. Bastien, elle était de conception moderne et haute. Comme un cheveu sur la soupe, elle dérangeait un peu dans ce village si pittoresque fait de vieux murs en pierre et de vieilles lauzes. Il était toujours tiré à quatre épingles, le sieur Bastien, constamment endimanché dans un curieux bleu d’ouvrier qui lui allait comme un gant, une casquette en toile sur la tête, un petit foulard au cou, ce retraité de la SNCF avait un phrasé et une diction impeccables. Il m’a toujours fait penser à un baron ou un comte avec le physique de l’écrivain Maurice Genevoix. Il offrait fréquemment des brochets et des perches fraîchement pêchés de son étang privé à Louise. Mon sixième sens de marmot m’indiquait qu’il devait en pincer un peu pour ma mémé.
Nous traversions ensuite une petite place où trônait un abreuvoir en pierre à vache, puis on entrevoyait déjà la ferme de Mme Franc, une femme joviale et adorable. La dernière masure du hameau apparaissait enfin, c’était celle de mon oncle et de ma tante, Jacques et Janine, qui sont les parents de mes cousins, Laurent et Alain. Nous nous étions arrêtés chez eux pour leur donner le bonjour et retrouver ainsi toute la famille. Louise et Gaby étaient là et c’était avec gaieté et spontanéité que se faisaient les retrouvailles. Un lavoir était complètement en friche derrière leur maison, envahi par les framboisiers et les mûriers, mais toujours en eau claire, approvisionné sûrement par la petite source contiguë qui délimitait la fin du petit village. La rue continuait jusqu’au prochain lieu-dit « Les serrés ». Les bords de la chaussée étaient encombrés d’herbes sauvages. Point de cantonnier au village de Pouzy, seul le bonheur éclairait mon cœur dans ce petit bourg où j’avais l’impression qu’avec mon âme d’enfant le temps s’était définitivement arrêté en 1974… C’était le début des grandes vacances et je retrouvais avec joie et allégresse Pouzy.
Départ en vacances
En 1965, mes grands-parents maternels avaient acheté cette vieille baraque sur la commune et fait construire une nouvelle bâtisse par-dessus avec leur petit budget. La maison était somme toute modeste : une cuisine, une salle à manger, une salle de bain et une chambre. Ayant de petites retraites, la construction était restée inachevée sur plusieurs années. La bicoque trônait sur un pan de terre assez élevé d’où on pouvait voir assez loin aux alentours.
Mémé Louise était un personnage haut en couleur avec un sacré caractère, souvent mauvaise langue, mais ses qualités étaient supérieures à ses défauts. Malgré son esprit vif, elle était terriblement sensible et aimante. Elle me contait souvent des histoires extraordinaires qu’elle avait vécues dans des temps anciens. Tricoteuse et couturière hors pair, mémé reprisait, tricotait donc des pulls et rafistolait tous genres de vêtements à toute la famille. Moi, je n’aimais pas porter ces pulls en laine, cela me grattait terriblement. Physiquement, elle était plutôt petite et pas très jolie avec un nez aquilin. Quand elle parlait, elle roulait les r avec son accent du Lot. Souvent vêtue d’une blouse à carreaux de couleur bleue, elle ne semblait pas avoir soixante-cinq ans et avait une capacité à s’adapter intellectuellement au monde moderne, on pouvait lui parler de tout. Mémé Louise ne s’offusquait de rien, elle vivait avec son temps. Elle me mettait à l’aise et je la considérais comme une confidente avec une impression de discuter avec une enfant de mon âge.
Pépé Gaby était lui moins accessible et m’intimidait un peu plus, parce que c’est un homme peut-être, je n’en sais vraiment rien. Petit, râblé et discret, parlant peu, mais bien, il avait attrapé une méningite étant jeune et ses capacités intellectuelles étaient considérablement réduites, mais le regard ne trompait pas sur ce qu’il ne disait pas, je le ressentais dans ses yeux. Il s’occupait de son jardin et de sa basse-cour comme un chef. Il avait effectué son service militaire en Syrie en 1925. D’ailleurs, je me suis toujours posé la question, pourquoi était-il allé là-bas ? Ah oui, la France, à l’époque, avait de nombreuses colonies dans le monde. Pépé Gaby fait partie des 20 000 militaires qui constituaient l’armée du levant. Il avait été cantonné dans la capitale de Damas et avait été à jamais marqué par cette guerre colonialiste assez courte, la seule chose qu’il avait ramenée de celle-ci était une sorte de dialecte syrien « de l’arabe associé à de l’araméen », mélange qui avait engendré une nouvelle langue en Syrie. Il glissait, je m’en souviens encore, ces expressions dans les conversations dans des moments de vie usuelle et ordinaire de tous les jours. Moi, petit, je ne comprenais vraiment rien du charabia de ce petit homme énigmatique et mystérieux qu’était mon grand-père.
J’avais retrouvé, bien des années plus tard, dans des photos de famille, une carte postale où il figure habillé en militaire avec une chéchia sur la tête. Il avait vraiment une tête d’arabe, pépé Gaby. Il avait vécu la guerre en Moyen-Orient, cependant cela n’avait pas dû être facile tous les jours pour lui de quitter son Lot ensoleillé, rejoignant de nouvelles contrées exotiques et inconnues manu militari, s’exposant ainsi au danger de se faire tuer, subir les affres du soldat en cantonnement, la météo, la nourriture, la solitude, les maladies, l’ennui… Je m’apercevais, déjà enfant, que je n’avais pas trop d’appétence envers les hommes en général, je préférais de loin la compagnie des femmes, eh oui, déjà « Femmes… Je vous aime… »J’ai une fascination pour la gent féminine, je la trouve exquise, fine et délicate.
Mémé Louise, Cathy et moi
Gaby
Le soir à Pouzy, au souper avec mes grands-parents, pépé Gaby préparait tous les soirs, été comme hiver, sa soupe aux haricots blancs aux tomates et aux oignons. Il faisait fondre du lard, de la grosse couenne de porc au fond de la cocotte en fonte, j’entends encore aujourd’hui celle-ci grésiller dans mes tympans, c’est elle qui servirait d’élément gras et qui aiderait à faire ruisseler les autres ingrédients dans le faitout. La consigne de Gaby : jamais de viande le soir… on mange maigre. Je sens encore cette soupe si goûteuse et si délicieuse, cette odeur si particulière qui me montait au nez, les haricots blancs du jardin écossés quelques heures auparavant et cuits à point, les oignons au goût suave et légèrement acidulé, et cette tomate qui exprimait toute sa saveur, une pincée de sel et de sucre, un tour de moulin à poivre. Quel régal ! J’ai exécuté bien plus tard sa célèbre recette sans jamais retrouver les mêmes bouquets.
Les deux seuls bruits que l’on pouvait entendre à table, c’était la bouche de Gaby aspirant les gros haricots blancs et le tic-tac de la pendule à quartz en formica marron accrochée au mur. Pas un seul mot dit pendant ce modeste repas, comme une pénitence devant mon assiette. Face à pépé, j’étais devenu moine bénédictin et lui, mon père supérieur, j’avais en face de moi Bouddha, ce chef spirituel hindou, les gongs retentissaient dans ma tête, je me retrouvais en instant au Tibet. Il m’impressionnait et j’étais fasciné par sa zénitude et son calme, je n’en ai jamais parlé à personne, mais je n’ai jamais vu de toute ma vie quelqu’un se maîtriser aussi bien dans son attitude et dans ses gestes de tous les jours. Moi le petit garçon monté sur ses petits ergots de coq parlant à tort et à travers pour impressionner l’assistance et notamment ma sœur, mes cousins et les filles. Là, j’étais devant un cas de conscience particulier, voire unique et exceptionnel, où je me posais déjà des questions existentielles, surtout sur les humains. Gaby s’essuyait machinalement la bouche du revers de sa manche de son tricot usé et troué… Une fois la soupe terminée, il faisait chabrot, ce qui veut dire braire comme une chèvre, ça vient de l’occitan.
Chabrot est une coutume du sud-ouest de la France qui consiste, quand il reste un fond de soupe de potage, à ajouter dans l’assiette du vin rouge pour diluer le reste de la soupe puis porter le plat à la bouche et l’avaler à grandes goulées. Cette pratique était autrefois couramment utilisée, notamment en milieu rural. Faire chabrot, comme disent les anciens, évite le médecin et remplace le pharmacien. On attribuait d’ailleurs des vertus thérapeutiques toniques, fortifiantes et revigorantes. Ce serait d’ailleurs un acte militant, une façon d’affermir son identité régionale et maintenir ses traditions ancestrales. Pour ce qui est du vin, pépé Gaby utilisait du trois étoiles de la piquette, ses litrons de vin étaient consignés, je revois ses vieux casiers en bois stockés dans la cave.
J’allais chaque semaine à l’épicier de Saint-Saulge à vélo pour ravitailler le grand-père. Le casier de bouteilles vides à l’arrière du porte-bagages faisait tanguer mon vélo de gauche à droite, il fallait être adroit et prendre rapidement de la vitesse pour ne pas tomber. Seuls la force centrifuge et le subtil jeu du guidon me permettaient de préserver mon équilibre sur mon vélo. Arrivé à destination après un long périple, je déposais précieusement alors les consignes au marchand, en contrepartie quelques petits sous m’étaient alors alloués par l’épicier. Je me rappelle tenir dans mes petites menottes de dix ans ces quelques centimes de francs comme un trésor, j’hésitais alors à les dépenser de suite et les tenais serrés dans mon poing moite. Dans ma tête, j’évoquais mille choses à faire avec ce butin, surtout de les garder pour en faire une cagnotte dans ma tirelire ou pour m’acheter quelque chose de plus conséquent, mais à la vue de toutes ces friandises alléchantes dans le magasin d’alimentation, ma main s’ouvrait rapidement et je repartais souvent avec des bonbons. Le retour était des plus épiques, le poids supplémentaire des litrons faisait davantage tanguer mon vélo de gauche à droite. Comme un capitaine de Chalutier en pleine mer, je dérivais soit à bâbord soit à tribord, le cap du navire devenait difficile à maintenir. En fin de parcours, en arrivant à la maison de mes grands-parents, j’étais épuisé. Alors, mon réconfort et ma motivation restaient la dégustation de mes confiseries, mais revenons à nos moutons et terminons le repas de Gaby.
Une fois la soupe terminée, il retournait son assiette à l’envers et s’en servait pour manger son dessert. Je pouvais apercevoir au cul de celle-ci deux petits-suisses agrémentés de sucre en poudre sur le dessus, faisant fonctionner un instant mon imagination galopante : cela m’évoquait un petit couple de monarques dans la neige régnant sur leur royaume. Je me souviens du péché mignon de Gaby en dessert le choix d’une banane trop mûre pratiquement noire. Une fois le dîner terminé, il quittait rapidement la table pour aller fumer une cigarette en cachette, cigarette qu’il se roulait discrètement avec du tabac brun au fond du jardin. Je le revois sortir sa blague à tabac en caoutchouc de couleur orange de la poche de son vieux pull-over, tenant dans ses grosses mains cet étrange objet inconnu. Cela me faisait penser plus à une mini-bouillotte, il m’interdisait bien sûr de dire quoi que ce soit à Louise de ses pauses cigarette.
Chabrot
Je me rappelle une anecdote croustillante que je vais vous raconter sur Gaby. Une fois, il s’était enfermé dans la salle de bain et crapotait sa cigarette sans se soucier de rien. Mémé Louise, le croyant mort, hurlait derrière la porte en la tambourinant, rouge cramoisi d’inquiétude, mais un silence d’or régnait dans la pièce où le grand-père faisait le mort. Louise, commandant en chef, avait envoyé en éclaireur Laurent, dit Lolo, mon petit cousin, escalader dangereusement la fenêtre de la salle d’eau, qui se trouvait en hauteur le long d’un pan de mur de la maison pour voir ce qu’il manigançait. Cependant, la fenêtre étant fumée, mon petit cousin n’avait rien pu apercevoir, par conséquent, il ne pouvait pas nous donner d’informations. En attendant, notre grand-père était quant à lui tranquillement assis sur la cuvette des toilettes en train de déguster sa cibiche, tandis que ma sœur et moi étions plantés juste derrière une Louise furibonde. On entonnait cette célèbre chanson qui reprend le tempo de l’eau vive de Guy Béart « Ma grand-mère fait du judo, elle a la ceinture noire, elle a mis pépé KO au fond de la baignoire ». Après plusieurs minutes d’expectatives, nous trépignions d’impatience, guettant ainsi l’entrée en scène de notre grand-père Gaby. Soudain, le bruit du verrou s’était fait entendre annonçant l’ouverture imminente de la porte. Sous une volute de fumée, il était ressorti en faisant de grands gestes de ses bras afin de la faire disparaître. C’est ainsi que tout le monde s’était mis à rire, enfin la seule qui ne riait pas c’était mémé. L’odeur du tabac brun ne dupait personne, surtout ma grand-mère, qui l’avait sévèrement disputé, prétextant que fumer n’était pas bon pour sa santé.
Les cris de l’adjudante nous parvenant trop près de nos oreilles, nous avions pris alors la poudre d’escampette, comme un essaim d’abeilles prises de folie. Nous sortions des pattes de Louise pour aller nous évader dans cette belle campagne nivernaise en cette période estivale où le soleil à son zénith venait caresser et darder nos peaux déjà bronzées. L’insouciance de nos cœurs et de nos pensées nous faisait rêver à nos premières amourettes et aux jeux les plus fous : pas de télévision ni de téléphone portable, pas de réseaux sociaux et encore moins de jeux vidéo. La passivité n’existait pas, seuls l’ennui et l’oisiveté nous obligeaient à créer. Que de choses faites et de chemins parcourus à vélo, de découvertes, de cabanes en bois construites, de colin-maillard, de chat perché, de marelles… Cela émerveillait et comblait nos belles journées de vacances. Deux mots me reviennent souvent en mémoire à l’évocation de ce joli lieu-dit qu’est Pouzy : quiétude et bonheur.
Les dialogues n’étaient pas de Michel Audiard, mais ils animaient fréquemment la maison des grands-parents, souvent échangés en langue d’oc, le patois quercynois, la langue de Cahors, essentiellement une langue orale. Comme un chant, un air familier, un morceau d’enfance qui parvenait jusqu’à mes petites oreilles, on aurait dit un chant de cigales, tellement c’était mélodieux. J’étais affublé de petits sobriquets affectueux en patois par mes grands-parents « Cafoulou, Fougique, Galissou. » Ils étaient tous les deux originaires du sud-ouest et du joli département du Lot. Louise vivait au bourg de Saint-Céré, nommé la petite Venise du Quercy à cause de cette jolie rivière nommée la Bave. Son cours d’eau se divisant en plusieurs affluents où elle faisait sa jonction avec le village. Sur la place principale, en levant la tête, on pouvait admirer les magnifiques tours de Saint-Laurent qui dominaient sur un éperon rocheux toute la commune. Mais Louise était née à Autoire, à quelques kilomètres de Saint-Céré, l’un des plus beaux villages de France. Il porte le nom de sa rivière. L’accès de la bourgade se faisant par une route tortueuse et extrêmement dangereuse où l’on pouvait apercevoir un cirque rocailleux faramineux, la commune était blottie à flanc de montagne et une cascade jaillissait du tumulte de la roche basaltique à plus de quarante mètres de hauteur et plongeait ensuite dans un gour du torrent. Cette curiosité naturelle faisait la joie de tous les touristes qui venaient l’admirer. Pépé Gaby, quant à lui, arrivait d’un tout petit village au nom de Faycelles, limitrophe au département de l’Aveyron.