Une autre vie - Philippe Ducourneau - E-Book

Une autre vie E-Book

Philippe Ducourneau

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Beschreibung

"Une autre vie" est un roman historique et captivant dans lequel Philippe Ducourneau partage avec réalisme une expérience personnelle de réincarnation vécue dans son enfance. Avec sa plume, il dévoile le pouvoir fascinant de voyager à travers les époques grâce à une machine à remonter le temps. Il nous plonge ainsi au cœur d’un XX siècle marqué par les tourments de la Seconde Guerre mondiale. Entre réalité et fiction, ce récit nous invite à explorer les frontières de l’imagination et de la mémoire.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Philippe Ducourneau est un homme aux multiples talents : animateur nature, ornithologue et photographe animalier. Il affectionne particulièrement les récits qui mettent en lumière les paysages et la vie secrète des animaux, tout en nourrissant un intérêt profond pour la Seconde Guerre mondiale. Son quatrième roman, Une autre vie, témoigne de ce zèle dévorant pour la narration et l’exploration des mondes naturels et historiques.

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Philippe Ducourneau

Une autre vie

Roman

© Lys Bleu Éditions – Philippe Ducourneau

ISBN : 979-10-422-2626-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

– Souvenirs d’enfance, Le Lys Bleu Éditions, 2021.

– Souvenirs d’enfance, Tome 2, « Les jours heureux », Le Lys Bleu Éditions, 2023.

– Un obscur secret, Le Lys Bleu Éditions, 2023.

Il doit y avoir quelque chose de vrai dans la réincarnation, puisque certaines femmes de trente-cinq ans se souviennent d’événements vieux d’un demi-siècle.

JeanRostand

La tombe n’est pas une allée aveugle, c’est une artère. Il ferme le crépuscule, il ouvre sur l’aube.

Victor Hugo

Tout petit déjà, j’ai su que j’étais quelqu’un d’autre.

Philippe Ducourneau

Première partie

Chapitre 1

Métempsychose ou renaissance

Celle-ci ne désigne-t-elle pas la survivance de l’âme après la mort ? La conscience individuelle accomplirait, à mon seul sens, des passages de vies successives dans différents corps : humains, animaux, végétaux selon les théories. À la mort du corps physique, l’âme quitte ce dernier pour habiter, après une nouvelle naissance, un autre corps, c’est la transmigration des âmes…

C’est ce que je vais vous raconter dans mon tout nouveau roman : Une autre vie. L’histoire de ma réincarnation avec ses incertitudes et ses réalités.

Je me prenais des corrections par mon propre père, alcoolique et paranoïaque, aviné par les multiples doses de Ricard qu’il buvait. Dès l’âge de douze ans, comme pour me remercier de mon passé nazi et me faire expier mes péchés comme un pénitent, j’étais fouetté. Je pouvais sentir les cinglements au plus profond de ma chair, non pas avec une schlague, mais par des coups de ceinturon. Je devais alors avouer les fautes que je n’avais pas commises. J’avais compris ce jour-là que je devais payer les erreurs de mon ancienne existence. J’étais renvoyé dans un nouveau corps pour apprendre davantage de ma nouvelle vie et réaliser mon karma. Celui-ci étant la somme de nos actions qui déterminent le cycle de nos réincarnations.

Les coups redoublaient de plus belle, l’immonde bête se déchaînait sur moi. Doux comme un agneau le jour, il devenait mon bourreau la nuit. Je me protégeais comme je pouvais, lové en position de fœtus dans mon lit, subissant toujours des flagellations de plus en plus fortes qui me faisaient un peu plus hurler. Je ne bougeais plus, faisant alors le mort. J’attendais tout simplement que les coups cessent et qu’il disparaisse définitivement. Je savais à présent ce que le mot maltraitance signifiait.

Chapitre 2

Le cauchemar

Département de la Seine–Saint-Denis, Bondy, 1973, j’ai 9 ans. Il était 20 h 30, l’heure habituelle du coucher. Comme chaque soir, le rituel était toujours le même, ma maman venait me dire au revoir et me caressait les cheveux afin que je puisse m’endormir, cela me rassurait. Je me souviens que j’étais recouvert d’un drap et de ma couverture à carreaux râpeuse jusqu’aux épaules. J’avais du mal à m’assoupir, redoutant de faire toujours le même songe, cependant je finissais par m’endormir avec la même inquiétude…

Au milieu de la nuit, j’avais beau lutter contre mon cauchemar, il faisait quand même son apparition chaque nuit. J’apercevais tout d’abord le visage d’un homme qui venait danser devant mes yeux, mais je n’arrivais pas à discerner correctement sa figure. J’avais beau essayer de me concentrer, je n’entrevoyais que vaguement qu’il arborait un uniforme noir avec une casquette. Une immense clairière émergeait ensuite où ce même individu semblait à présent être en difficulté ou bien grièvement blessé, puis ma vision se brouillait rapidement. Je distinguais une sorte de bruit inaudible qui se rapprochait de plus en plus de mes oreilles, devenant de plus en plus présent dans ma tête. Quelque chose de terrifiant, mais non identifiable se rapprochait vers moi.

Cette chose paraissait monstrueuse et avalait tout sur son passage, comme inarrêtable. J’entendais toujours les mêmes petites notes de piano qui me signifiaient que la fin était proche, puis des grincements de mécaniques atroces me parvenaient aux oreilles comme la finalité de quelque chose sans nom qui allait ensuite me happer. Je disparaissais dans d’horribles frissons comme avalé, digéré. Le rêve alors s’interrompait d’un coup. Je me réveillais brutalement, haletant et transpirant, ne souhaitant pas me rendormir. Je tressaillais et bataillais dans l’obscure opacité de la nuit comme Don Quichotte avec ses moulins à vent. Ma sœur Catherine dormait toujours à poings fermés… Elle n’avait pas été réveillée par mes gesticulations.

Chaque nuit, cette vision recommençait infatigablement, j’arrivais à ne plus vouloir me coucher le soir afin d’éviter de me retrouver face à une réalité grandissante. La mort venait me chercher tous les soirs… Après des dizaines et des dizaines de rêves du même acabit, j’avais enfin identifié le personnage qui apparaissait dans mes songes : un soldat allemand de la Wehrmacht de la Seconde Guerre mondiale venait troubler mon sommeil chaque soir. Et comme à chaque fois que je faisais ce rêve étrange, une brûlure et des maux de tête insupportables se réveillaient dans mon lobe gauche temporal, comme une vieille blessure de guerre.

Chapitre 3

Comprendre l’inexplicable

Une première conclusion s’imposait, quelque chose me reliait par je ne sais quel mystère à ce Kurt mort, lors d’une précédente vision d’un flash, il y a dix-neuf ans avant ma naissance. En toute objectivité, l’idée d’avoir fait connaissance de ma vie antérieure venait d’acquérir un certain poids. Ma fascination pour la guerre, ce désir indéfectible d’approcher le mal, afin de l’observer, le sentir, et connaître ce qui le déclenchait. Ma rencontre avec Kurt serait-elle une preuve que la réincarnation existe bel et bien ? Mes gestes et mes pantomimes ? Était-ce l’explication que j’ai tant recherchée pendant toute cette année pour comprendre mes souffrances intérieures, cette mélancolie et ces rêves réguliers qui refaisaient surface et qui ne m’appartenaient pas vraiment et qui impactaient ma vie, nourrissant mes émotions, augmentant mes peurs au plus profond de moi, participant à une partie inconsciente de ma personnalité ? Était-ce de la schizophrénie ? Non, je ne le croyais pas vraiment, bien au contraire.

Comment vivre avec cet héritage si lourd ? Cet aspect de l’histoire, d’avoir été nazi dans une autre vie, me troublait au plus haut point. Car la vie de cet homme, je n’en avais eu aucun souvenir jusqu’à maintenant. En dehors de mes visions nocturnes, je ne connaissais pas son visage ni sa famille, je ne parlais même pas sa langue. Il s’agissait d’un autre homme, un autre individu, complètement différent de moi, ne partageant pas ses idées. Et encore, aurait-il fallu que je les connaisse ! Cette confirmation que lui et moi avions des similitudes me donnait la nausée au plus haut point. J’avais pourtant un attrait tout spécialement pour la période de la Seconde Guerre mondiale. Tout petit, dans ma chambre, je marchais au pas de l’oie en parlant un charabia d’une langue ostrogoth. Maman en avait les cheveux tout dressés sur la tête à me voir m’agiter comme un boche. Pour maman, je n’étais que la réincarnation de ce Kurt disparu.

De ma vie, je n’ai jamais eu la moindre attirance pour l’Allemagne ni le moindre désir de m’y rendre ou d’apprendre sa langue. Ma maman avait la hantise de rencontrer ou d’entendre parler un Allemand. Petite et ayant vécu la guerre, elle avait un syndrome post-traumatique de cette période d’occupation. En 1944, les souvenirs vécus étaient bien ancrés dans sa mémoire. Elle me racontait, les voyant défiler au bruit des bottes sur la place du petit village de Saint-Céré dans le sud-ouest pendant qu’elle se rendait au guignol. Les bruits des cliquetis des armes et de la mécanique et des grincements des chenilles des chars et des autochenilles. Les charrettes hippomobiles, l’agitation nerveuse des officiers et les cris en Teuton des soldats qu’elle ne supportait pas. Les rassemblements sur la place du village de la population pour la prévenir que toute exaction sur un soldat allemand ou tout acte de résistance serait réprimé par la mort.

Durant toute mon enfance, j’avais eu une sorte d’antipathie pour ce pays qu’est l’Allemagne sans aucune raison. Mon choix et mon parti pris furent sûrement portés par le visionnage, au collège, de Nuit et brouillard, ce documentaire particulièrement horrible racontant la Shoah et la découverte du camp de concentration d’Auschwitz en Pologne par les Américains. Je regardais avec dégoût ces terribles images, insoutenables de cruauté, et de ce que l’Homme était capable de faire à son semblable. La folie du national-socialisme et son régime abject me faisaient froid dans le dos. Mais qu’avions-nous réellement appris par la suite ? Le génocide au Rwanda en 1994 aux deux ethnies, les Hutus vouaient une haine farouche aux Tutsis (1 million de morts). Le massacre de Srebrenica, en 1995, par les Serbes sur les Bosniaques, et tout ça se passant aux portes de nos frontières européennes. La guerre en Ukraine aujourd’hui en 2023 est à nouveau aux portes de l’Europe, plongée dans l’horreur du massacre de Boutcha et tout ça pour reconquérir de nouveaux territoires déchus. Vladimir Poutine souhaite retrouver sa grande Russie et veut se prendre pour un conquérant, comme Alexandre Legrand. L’Histoire se répète inlassablement plus de quatre mille ans de civilisation et l’Homme n’a toujours rien appris.

Chapitre 4

La machine à remonter le temps

Dans les années soixante-dix, l’eau était économisée précieusement, et considérée comme une bénédiction. On se lavait régulièrement au gant de toilette, la frimousse et la belette toute la semaine. On était autorisé à prendre un bain uniquement le dimanche. Des cohabitations de trois générations dans des logements d’après-guerre de 40 m2 vétustes et précaires sans salle de bain étaient fréquentes. Ce qui fut le cas de maman dès 1946 où elle vivait jusqu’à neuf dans un logis de ce type dans le XXe arrondissement de Paris. Dans les années soixante, la construction des logements sociaux (HLM) voyait le jour et offrait ainsi des espaces de liberté pour les familles où les habitations étaient pourvues de salles de bains, toilettes et eau courante, comme à Bondy où nous nous étions ainsi installés.

C’est là que je méditais dans une eau bouillante où je disparaissais sous un épais bain moussant comme attiré vers l’au-delà. Seule ma figure émergeait de cette montagne de savon. J’avais besoin de cette eau brûlante pour m’échapper de mon corps. Déjà des bourdonnements dans ma tête apparaissaient, ainsi que des vagues de frissons qui parcouraient toute mon anatomie. Je ne sentais plus mon corps, seul mon esprit surnageait encore dans ma tête. Mon cœur battant à la chamade, je quittais cette enveloppe physiologique vers l’au-delà et voyageais dans l’espace-temps. J’étais comme aspiré et appelé par je ne sais quoi dans une autre dimension, où j’apercevais les étoiles et la galaxie. Des courants électriques interféraient avec mes synapses de mon cerveau, puis mon âme remontait le temps, j’entendais l’horloge du temps et ses tic-tac métalliques qui s’égrenaient dans mon crâne.

Des courants d’airs chaud et froid venaient frôler mon esprit et mon visage. Je ne percevais à présent plus les battements de mon cœur, quittant tout doucement mon corps. Plus de douleur ni plus aucune perception de l’extérieur. Mes cinq sens s’évanouissaient, j’allais enfin voyager et je disparaissais comme une poussière d’étoiles…

Je sortais de mon corps vers quelque chose de surdimensionné et d’irréel…

Puis plus rien…

Le trou noir…

Je laissais une enveloppe vide derrière moi qui gisait dans ma baignoire.

J’avais inévitablement déjà voyagé à la vitesse lumière et remonté dans le temps.

Chapitre 5

La chasse au loup

Le 6 décembre 1931, quelque part en Silésie, il était huit heures du matin… J’avais dix ans et la neige tombait dru. Accompagné de mon grand-père, nous avions décidé de partir à la chasse au loup pendant plusieurs jours. C’était une grande tradition en Tchécoslovaquie que de chasser Canis Lupus. Si la bête était tuée, la peau me servirait par la suite à me faire un vêtement bien chaud ou bien une paire de moufles. Nous étions déjà bien éloignés de notre petit village de plusieurs kilomètres. Je tenais le fusil de papi en bandoulière, enroulé dans une vieille couverture ficelée afin de le protéger du gel. J’étais fier de détenir une arme et je me prenais pour un grognard de l’empire napoléonien. Je me sentais comme un des quatorze dieux de l’Olympe possédant un quelconque pouvoir extraordinaire, j’avais la faculté d’être immortel et de tuer tout animal qui s’approcherait de moi.

J’étais vêtu d’un vieux manteau râpé, de bottes fourrées en poil de chèvre et d’une chapka sur la tête. Le vent du nord glacial brûlait mon visage d’enfant, des gerçures à la commissure des lèvres me faisaient extrêmement mal, l’hiver polaire entrait en scène et me pénétrait au plus profond de moi. Seule ma propre volonté de combattre les éléments les plus défavorables me faisait avancer dans cette nature adverse… Des bourrasques nous empêchaient de progresser normalement et nous retardaient dans notre course contre la bête. J’avais enroulé des linges de peau autour de mes mains afin d’éviter qu’elles ne gèlent.

Nous traversions avec papi des contrées inamicales, des bois aux tourbières, des collines aux clairières, des steppes aux marécages. Après plusieurs jours de marche, la tempête avait enfin cessé. Serguei tenait par les rênes sa jument frigorifiée, une selle en cuir avec de grosses sacoches qui pendaient sur la croupe de sa jument. Les rafales s’étaient tues et nous allions enfin pouvoir remonter à nouveau sur la pouliche et continuer notre excursion.

À présent, de la hauteur de l’animal, je pouvais constater un paysage figé presque boréal où régnait un silence monacal. Quelques rares flocons qui tourbillonnaient encore dans le ciel gris et opaque venaient se coller sur nos vêtements. Le bruit du crissement des sabots de la jument dans la neige épaisse se faisait entendre. Papi, lui, avait déjà bien établi dans sa tête le piège qu’il allait tendre au loup… Nous arrivâmes dans une petite tourbière où quelques aulnes glutineux ployaient sous la neige, qui ressemblaient à des porteurs d’eau harassés par leurs lourds fardeaux. À l’apparition de nos deux silhouettes fantomatiques, des bécassines des marais bien cachées dans les ajoncs prirent leur envol en zigzaguant, voulant sûrement incontestablement échapper à quelques tirs de trappeurs.

Chapitre 6

La Caverne

8 décembre… 9 heures… Après deux heures de marche, papi étudiait le terrain pour mettre en place son stratagème, décidant ainsi que c’était sa jument qui serait l’appât. Nous avions alors préparé un petit bivouac bien caché, derrière un petit remblai qui nous donnerait une belle position de tir sur la lande. Nous étions à la recherche des traces de l’animal aux alentours de notre campement. Je partis donc en éclaireur.

— Kurt, avance, et cherche-moi des empreintes fraîches dans la neige !

Je cheminai péniblement dans cette poudreuse qui m’arrivait jusqu’aux genoux. Malgré diverses empreintes d’animaux, point de loup à l’horizon. Je continuai ensuite ma route, progressant davantage en haute montagne et m’éloignant de plus en plus du point établi qui se trouvait plus bas dans la vallée. La végétation devenait plus rare à cet endroit, sauf quelques bruyères rabougries ici et là, de vieux lichens moussus accrochés sur des arbres, plus que séculaires, tordus, à moitié grignotés par quelques herbivores, mais pas une âme qui vive. Un silence pesant régnait dans les hauteurs enneigées. Je commençai alors à gravir un mamelon un peu escarpé qui me menait devant un gros éboulis rocheux où je tombais face à l’entrée d’une caverne. Un instant, la peur m’empoigna… Je décidai tout de même d’y entrer.

À l’aide de mon briquet à pétrole, j’avançai à tâtons, mais des courants d’airs chaud et froid faisaient vaciller la flamme de gauche à droite qui, elle, recherchait de l’oxygène pour survivre dans ce boyau étroit. Je progressai et m’enfonçai profondément sous terre de plusieurs dizaines de mètres. La clarté de la neige et du ciel qui m’avait ébloui contrastait avec l’opacité de l’excavation de la grotte. Ma vue mettait du temps à s’habituer à l’obscurité, cependant elle s’améliorait au fur et à mesure que je cheminais dans la cavité, où une humidité planait dans l’air. Après plus de quinze minutes de marche, j’entendis soudainement de légers clapotis d’eau couler. Une source était donc proche. Des concrétions calcaires s’étaient formées, révélant des gours avec une eau presque turquoise. Je pouvais admirer de magnifiques stalactites et stalagmites qui se rejoignaient en constituant de grandes colonnes. Le paysage était tout simplement fantasmagorique.

J’accélérai le pas afin de quitter cet endroit humide. Après encore plus de 10 minutes de marche, je m’aperçus que le tunnel s’agrandissait et que je piétinais dans quelque chose qui craquait légèrement sous mes bottes. Je baissai mon briquet près du sol et distinguai du guano de chauve-souris. Celui-ci recouvrait en grande quantité le sol de la cavité. J’étais entré dans le repaire du comte de Dracula. Non, nous n’étions pas dans les Carpates, loin de là. Des frissons parcoururent mon échine, je levai légèrement la tête et découvris au-dessus de moi des centaines de chiroptères en hibernation. La peur au ventre, je marchai, ne voulant pas réveiller les vampires du comte et créer un vent de panique. J’avais perdu toute notion du temps et décidai finalement de rebrousser chemin. Papi devait sûrement s’inquiéter de ne pas me revoir revenir au cantonnement.

C’est là ! À ce moment-là, dans la nébulosité de la caverne que j’aperçus la bête… Deux gros yeux me regardaient fixement. Comme pétrifié par l’animal, j’étais immobile par la surprise de me retrouver face à elle, puis un grognement puissant se fit entendre comme sortant des entrailles de la Terre, le loup me prévenait qu’une attaque allait être imminente… Le cerbère allait fondre sur moi, c’est alors que je décidai de prendre mes jambes à mon cou afin de prévenir le plus rapidement possible mon grand-père en accélérant le pas dans ce boyau tout tordu de pierres et de pièges en tout genre.

Ariane, fille du roi de Crête, avait aidé Thésée à sortir vivant du labyrinthe grâce à son fil. Moi, pour m’en sortir, j’avais eu comme seul recours mon briquet à gaz pour pouvoir me diriger dans cet antre noirâtre, poursuivi par la bête immonde qui voulait me croquer. J’avais réussi à m’extraire du ventre de la terre et à présent, je dévalai vers le vallon comme si j’avais le diable à mes trousses. Galopant et tombant à de nombreuses reprises dans ma course, effectuant des roulés-boulés dans une neige fraîche, me retournant sans arrêt pour voir si je n’étais pas suivi par le loup. Après plus d’une trentaine de minutes de course effrénée, transpirant sous ma chapka toute tremblotante, je parvins enfin au cantonnement, mais j’étais tellement haletant que les bribes de mots que je psalmodiais étaient inaudibles.

Chapitre 7

Le face-à-face

Rassuré, j’aperçus enfin la silhouette de Serguei. Il avait allumé un petit feu de bois et se tenait à proximité de celui-ci. Je l’informai immédiatement de la position du loup.

— Grand-père, grand-père… Je l’ai vu ! Là-bas, plus haut dans la montagne, dans une cavité !

— Où étais-tu, Kurt ? Je me suis fait un sang d’encre, je croyais que tu t’étais perdu !

Penaud et confus, je baissai la tête. Il s’empressa de me faire un signe de la main pour que je vienne vite près du feu pour me réchauffer et, d’un geste amical, il me tapota la tête. Il était près de midi et il était temps de passer à table. Un vieux faitout tout cabossé et à moitié noirci trônait sur le feu de camp improvisé. Le mets bouillonnant était agrémenté de choux, de pommes de terre et de paprika. Papi me tendit un bol fumant. Je sortis de ma poche une vieille cuillère en étain pour déguster celui-ci. Au fur et à mesure de l’absorption du liquide chaud, mon corps reprenait vie, la chaleur dégagée par le fumet contrastait avec le froid ambiant. En guise de dessert, je m’empressai de croquer à pleines dents un strudel aux pommes et raisins secs. Le déjeuner avait été frugal et nous restions là, à l’abri d’un petit auvent construit à la va-vite, fait de bois et de toile usagée, contemplatifs de cette merveilleuse nature qui s’offrait à nous. La dormance de l’hiver nous enveloppant tout doucement de son grand manteau blanc.

Deux heures étaient passées et il fallait à présent éteindre rapidement le feu à coups de botte afin de ne pas nous faire repérer par l’animal. Un léger halo de fumée noire se dégageait des cendres encore chaudes pendant plusieurs minutes. Il se dépêcha de faire descendre dans la tourbière sa jument. Elle était attachée par les rênes à un gros arbuste épineux, faisant une proie idéale. Sentant le danger, elle tapait de ses sabots sur le sol neigeux, la crinière au vent, une haleine fumante de colère sortait de ses naseaux pour nous faire comprendre qu’elle était furieuse que nous l’ayons abandonnée. Nous nous dépêchions de remonter derrière ce petit talus de pierres qui nous protégeait de la vue du loup. Malgré les multiples hennissements de la jument qui s’entendait à plusieurs kilomètres à la ronde, le canidé, intelligent et rusé, ne montrait pas le bout de son museau.

J’avais ordre de tenir le fusil en joue au cas où l’animal apparaîtrait, mais, la fatigue et le froid aidant, mes yeux se fermaient au contact de la lunette de tir. Je luttais contre l’endormissement. Mon grand-père, tout près de moi, dans un anorak de cuir, me donnait de petits coups de coude répétés pour maintenir ma vigilance et ainsi éviter que je m’assoupisse. La neige s’était remise à tomber et, malgré la courte distance qui nous séparait de la jument, j’avais énormément de mal à entrevoir sa silhouette. Les heures passaient, annonçant une attente interminable, nous étions engourdis par le froid quand, soudainement vers 16 heures, le cri d’alarme réitéré d’une gélinotte des bois se fit entendre et s’envola non loin de la jument. Quelque chose approchait…

La louve Alpha était là, tout près, et j’étais comme pétrifié de la revoir de nouveau devant moi. Serguei me demanda en chuchotant à mon oreille d’ajuster mon tir sur l’animal et de viser le cœur. Elle se rapprochait sérieusement de sa proie, la faim étant plus forte que la peur. Cette femelle Alpha bravait majestueusement le danger, l’animal était très haut sur pattes avec une fourrure épaisse et d’une beauté sans pareille avec de grands yeux bleus qui me fixaient. La bête avait les crocs sortis, prête à attaquer. Sentant la fin proche, la mulassière essayait malgré elle de donner des coups de sabot, mais sans vraiment heurter la bête. Elle se cabrait avec difficultés, gênée par la bride qui était emmêlée dans les buissons. Mon grand-père me suppliait d’ajuster mon tir et d’abattre la louve qui allait dévorer sa jument. J’étais incapable de réagir, alors quelques heures plus tôt je me prenais pour un homme, pourtant ma cible était verrouillée. J’étais transi de froid et paralysé par la peur, impossible d’appuyer sur la détente. Papi hurlait à présent sur moi.

— Tire, Kurt ! Qu’est-ce que tu attends ! Tire !

Le canidé mordit la croupe de la jument qui saignait abondamment. Je pleurnichai, mais j’étais incapable de faire feu. D’une colère presque aveugle, Serguei m’arracha la carabine des mains. Prenant en même temps malencontreusement un terrible coup de crosse au visage, je tombai en arrière brutalement comme un boxeur touché par un uppercut et je roulai dans la neige à moitié assommé… Quelques secondes interminables s’égrenaient dans ma tête, puis un énorme bang retentit aussitôt dans mes oreilles.

Chapitre 8

Zuckmantel

Année 1932, j’étais de nationalité tchécoslovaque et fier de l’être, comme le futur Milan Kundera et Vaclav Havel qui, eux, allaient devenir bientôt des hommes célèbres. Le premier comme l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle avec ses livres comme L’insoutenable légèreté de l’être ou La plaisanterie, le deuxième comme dramaturge et opposant au régime soviétique dans les années soixante, notamment avec la révolution de Velours, puis comme président de la République tchèque.

Je vivais dans une petite bourgade nommée Zuckmantel, qui était située à la frontière allemande dans la région des Sudètes, peuplée par une population à majorité germanophone (Bohême et Moravie). Les traditions tchèques étaient maintenues et les deux camps vivaient en harmonie depuis des générations. Notre village était situé à environ 200 kilomètres à l’est de Prague. Il se trouvait à une altitude de moyenne montagne, le paysage vert et luxuriant ressemblait étrangement à la forêt noire allemande. Ma famille était bilingue, elle parlait tchèque et germain. J’habitais le quartier populaire le plus animé de Zlaté Horny, localisé en plein centre-ville.

J’adorais les jours de marché où je déambulais entre les étals de fruits et de légumes colorés, qui cohabitaient avec cette bonne odeur de pain chaud et de brioche. On entendait les grognements des porcs, parqués dans des enclos en bois, les crieurs et les camelots en tout genre hurler à qui mieux mieux des rhétoriques de belles paroles pour attirer le chaland sur leurs dessertes.

Il ne se passait pas grand-chose dans notre patelin de 800 âmes où la bourgade vivait au rythme des saisons. Tout le monde se connaissait, nous vivions tous heureux. Les jours s’écoulaient comme la roue à aubes d’un moulin au contact de l’eau, celle-ci tournoyait aussi vite que le temps s’égrenait vertigineusement. J’avais onze ans et je savais qu’un jour j’allais rentrer dans la vie active et quitter définitivement le milieu scolaire. Mon père, Bartoloméj, n’occupait que des petits boulots payés à la journée tantôt aux champs, tantôt en usine, acceptant tout et était très courageux pour nourrir sa famille. Il avait à peine quarante ans, mais en faisait vingt de plus, les durs labeurs l’avaient fait vieillir prématurément, ses mains étaient calleuses et son visage buriné.

Ma mère Milana, quant à elle, était d’une beauté sans pareille, elle ne travaillait pas et s’occupait de la maison et de mon frère Radek, qui était le cadet. Pâques approchait à grands pas et allait être célébré comme chaque année à Zuckmantel où les traditions étaient respectées. Je m’amusais le dimanche matin avec Radek, costumé en habit folklorique tchèque à fouetter le derrière des filles avec un bâton d’osier tressé orné de rubans multicolores. La coutume disait que fesser les filles leur servait à rester en bonne santé. En échange, les filles nous offraient des œufs de Pâques magnifiquement peints. Le lendemain, ces dernières cherchaient en contrepartie à nous arroser d’eau froide. Cette tradition païenne liée à la fertilité et au renouveau printanier avait été récupérée par l’Église qui avait fait coïncider la date avec celle des pâques chrétiennes. Malgré les restrictions alimentaires dues au peu de moyens financiers de mes parents, j’étais pressé d’être au repas du lundi de Pâques. Ce jour saint ne refléterait pas vraiment le repas qui allait suivre.

Au son du violon de Bartoloméj et des chants populaires entonnés par Lena et Serguei, toute la famille s’était privée pendant plusieurs semaines pour l’organisation et la préparation du banquet. Nous allions pouvoir manger du « Nadivka », une sorte de clafoutis salé à base d’œufs et de chapelure, d’orties, de jambon et de pain blanc. Un goulash de bœuf était ensuite servi avec de belles galettes de pommes de terre râpées, et en dessert, le tant attendu « Beronek » (agneau de Pâques)… une délicieuse brioche, en forme d’agneau. Peu de personnes à l’époque possédaient vraiment du bétail et notamment des agneaux. Le repas était agrémenté de bières pour les adultes et de limonade pour les enfants. Nous passions ainsi une magnifique journée en famille. Nos liens étaient forts et je partageais une relation privilégiée avec ma mère Milana, mais malgré l’impécuniosité de tout, nous étions très heureux.

Chapitre 9

30 janvier 1933

Ce jour-là, j’avais été missionné pour aller chercher le journal pour Bartoloméj, un hebdomadaire de langue allemande destiné à la communauté germanophone tchèque « le Prager Tagblatt. » Considéré comme un journal libéral-démocrate le plus influent de Bohême. Ouvrier, papa feuilletait un journal complètement anti-allemand, il fallait bien le dire, toute la vérité était dite dans celui-ci, mais était-ce vraiment l’exactitude des choses ? J’écoutais attentivement avec Radek, assis tous les deux sur une caisse à savon, les nouvelles que papa lisait à voix haute et grave…

« De l’autre côté de la frontière, les nouvelles ne sont pas vraiment bonnes, le vieux maréchal Hindenburg a cédé le pouvoir à Hitler, nommé chancelier. La jeune république de Weimar s’effondre alors que le Troisième Reich prend forme. C’est avec une rapidité foudroyante et par des moyens illicites qu’il installe sa dictature. Dès le lendemain de son investiture, il impose à Hindenburg la dissolution du parlement (Reichstag) et prépare de nouvelles élections pour le 5 mars 1933. Son chef de la propagande, Joseph Goebbels, nomme les grandes lignes de la lutte armée contre la terreur rouge. Les SA (section d’assaut, futur SS) terrorisent l’opposition pendant la campagne électorale et commettent cinquante et un assassinats. Nommé ministre de l’Intérieur du principal État allemand, la Prusse, Herman Goering en profite pour manipuler la police, révoque les fonctionnaires hostiles et place des nazis aux postes essentiels. »

On apprendrait quelques mois plus tard que le Reichstag avait pris feu, le vingt-huit février, Goering attribuerait l’incendie à un complot communiste et ferait arrêter quatre mille responsables du parti communiste allemand. Le même jour, il ferait signer à Hindenburg un décret pour la protection du peuple et de l’État qui suspend les libertés fondamentales, ce qui donnerait les pouvoirs exceptionnels à la police aux régimes des Länder et mettrait fin aux libertés démocratiques. Un état totalitaire serait ainsi formé. Le 23 mars de cette même année serait ouvert près de Dachau, le premier camp de concentration nazi, des opposants politiques allemands y seraient internés et liquidés.

Une première campagne contre les juifs deux mois après la prise de pouvoir de Hitler. « Allemands, n’achetez pas chez les juifs ! » Des troupes d’assaut (Sturmabteilung Sa) organisaient des piquets menaçants devant les magasins et les bureaux des médecins et des avocats. L’étoile de David fut peinte en jaune et en noir sur des milliers de portes et de fenêtres. Le 10 mai 1933, face à l’université de Berlin, sur la place de l’opéra, était organisé un autodafé rituel des écrits juifs nuisibles. Vingt mille livres furent brûlés. Parmi les 94 auteurs les plus connus : Karl Marx, Sigmund Freud, Albert Einstein, Franz Kafka, Heinrich Heine, Stefen Sweig…

Chapitre 10

Mikulovice

Année 1934, nous avions déménagé à Mikulovice qui se trouvait beaucoup plus près de la capitale, Prague. La ville était beaucoup plus grande que Zuckmantel, mais la vérité, c’est qu’il y avait beaucoup plus de travail pour papa. J’avais 13 ans et étais plutôt beau garçon, mais relativement chétif pour mon âge, souvent moqué à la récréation par les autres élèves. J’étais insouciant des évènements qui se produiraient, et, pourtant, le monde grondait en dehors de la Tchécoslovaquie, la Seconde Guerre mondiale se préparait comme une prédatrice tapie dans l’ombre, comme Éris, déesse mythologique grecque de la discorde, elle attendait son heure.

J’étais complètement tombé fou amoureux d’une petite juive, d’origine allemande, nommée Ana. Elle avait mon âge et habitait dans le centre-ville, non loin de chez moi. Son père était médecin et travaillait pour son propre compte. Au collège, pour pouvoir l’apercevoir, mon ami Hans était obligé de me faire la courte échelle de l’autre côté du mur de l’école des filles afin de pouvoir la distinguer dans la cour. Pendu comme un petit automate après le muret de brique rouge, j’envoyai un petit avion de papier blanc calligraphié et taché d’encre bleue où quelques mots d’amour y étaient inscrits, ainsi que tous les détails pour notre prochain rendez-vous. Elle ramassa rapidement le petit objet volant non identifié et le fourra rapidement dans sa poche, puis elle m’adressa de la main un geste amical, qui faisait battre mon petit cœur à la chamade. Rien n’était plus beau en cet instant dans la vie que d’aimer Ana. Je criais mon amour à qui mieux mieux en lui faisant des déclarations impromptues.

On se retrouva après l’école, où elle allait chercher son petit frère Sacha au patronage. Elle était habillée d’une marinière et de socquettes bleues, et de souliers en cuir vernis. Nous déambulions alors tous les trois dans l’artère principale de Valcikova où nous flânions. Des halos lumineux de quelques voitures qui passaient nous éclairaient, mes brodequins en bois résonnaient et claquaient sur les pavés humides de ce mois de décembre. Sans échanger un seul mot, on regardait les boutiques de Noël, les vendeurs à la sauvette et les passants. Les crieurs de journaux et les cireurs de chaussures se faisaient entendre, haranguant le chaland pour quelques hellers. Mon regard se perdait dans le sien comme happé par une grande mansuétude. J’étais comme ensorcelé par cette prunelle si douce et si tendre. Nous savions que notre temps était compté, vu les évènements qui allaient bientôt se présenter à nous et, qu’incessamment sous peu, nous serions peut-être séparés.