Trois naissances du championnat du monde de football - Pierre Arrighi - E-Book

Trois naissances du championnat du monde de football E-Book

Pierre Arrighi

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Beschreibung

(Ce livre raconte la genèse du championnat mondial universel du football qui se déroule en trois temps : championnat mondial olympique (1924-1928), championnat mondial des associations (1930-1938), championnat mondial de la FIFA (depuis 1950). Les 76 documents reproduits en annexe permettent de vérifier les thèses exposées.) (Este libro relata la génesis del campeonato mundial universal de fútbol que se desarrolla en tres etapas: campeonato mundial olímpico (1924-1928), campeonato mundial de las asociaciones (1930-1938), campeonato mundial de la FIFA (desde 1950). Los 76 documentos reproducidos en el anexo permiten verificar las tesis presentadas.) ((This book recounts the genesis of the world universal football championship which takes place in three stages: Olympic world championship (1924-1928), world association championship (1930-1938), FIFA world championship (since 1950). The 76 documents reproduced in the appendix make it possible to verify the theses presented.)

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Photo de couverture :

La sélection uruguayenne championne du monde de retour à Montevideo le 31 juillet 1924.

Centro de Fotografía de Montevideo, CdF.

Table des matières

Introduction

La formule du championnat du monde absolu de football

1863-1904: promotion du football et moteur mondialiste olympique

Football britannique avant 1894

Développement du sport et antécédents des JO

1893 : invitation au rétablissement des Jeux olympiques modernes

Vœux olympiques de 1894

Caractéristiques du mouvement olympique de Coubertin

Les Jeux olympiques de 1896, 1900 et 1904

Comprendre les dimensions sportives de l’époque

Football olympique en 1896, 1900 et 1904

Situation du football dans le monde avant 1904

1904-1914: vigueur du football, régression de la FIFA

Naissance de la FIFA comme confédération européenne

1904-1905 : la FIFA sportive de Guérin

Liquidation du championnat d’Europe par la FIFA elle-même

Putsch et tutelle de la Football Association sur la FIFA

Ce qui se passe tout de même en 1907

Les Jeux olympiques de 1908

1908 : championnat olympique européen de football amateur

Structuration de la domination sportive anglaise

Double fonctionnement du football européen

1912 : nouveau championnat européen de football amateur

1912-1913 : offensive allemande et mondialisation de la FIFA

Réforme olympique au congrès de Paris de 1914

Résolution anti-sportive du congrès de la FIFA de 1914

1916-1923, mondialisation du football à l’extérieur de la FIFA

Pendant la guerre, le football libre d’Amérique

Football interallié et expectative mondialiste

1919-1920 : tentative de liquidation de la FIFA par la FA

Rimet président de la FIFA

Les Jeux olympiques de 1920

Tournoi olympique de 1920 : un mondial d’expectative

Rimet au congrès olympique de Lausanne

1923 : convocation planétaire au tournoi olympique de football

Le congrès de la FIFA de 1923

1920-1923 : le football sud-américain divisé

Explosion du football professionnel aux États-Unis

1924, première naissance du championnat du monde absolu

Pouvoirs sportifs au tournoi olympique de 1924

Création et ligne de la Commission Technique de Football

Règlement ouvert à tous approuvé par les pouvoirs sportifs

Qualification mondialiste par les dirigeants français

Le congrès de la FIFA de 1924

Olympiade de 1924 : un grand championnat du monde ouvert

1924 : championnat du monde véritable

L’Uruguay, premier champion du monde suprême

Les absents

Qualification mondialiste par « reconnaissance »

Opinion mondialiste des contemporains français

Opinion mondialiste des contemporains suisses

Opinion mondialiste uruguayenne et sud-américaine

Mondialisation de l’opinion mondialiste à Paris même

1924, premier championnat du monde absolu de football

1925-1928, maintien du championnat du monde olympique absolu

Projet de maintien et extension du mondial olympique

1925 : Rimet crée la FIFA ouverte

1925 : la grande régression du congrès olympique de Prague

1926 : la FIFA en faveur du professionnalisme international

1927 : la tactique de Rimet dévoilée

Radicalisation de Rimet et victoire sur Baillet-Latour

Tentative de boycott anglais contre le mondial ouvert de 1928

1928, deuxième championnat du monde olympique et absolu

Convocation plus planétaire qu’en 1924

Pouvoirs sportifs plus mondiaux qu’en 1924

Deuxième championnat du monde véritable

Équipes présentes et équipes absentes

Baisse du fair-play européen pendant le tournoi d’Amsterdam

Succès sportif du championnat du monde de 1928

À la fin du championnat, isolement et hésitations de Rimet

Décisions du congrès de la FIFA de 1928

1929-1930, deuxième naissance du championnat du monde absolu

Résultats insolites au congrès de la FIFA de 1929

Tentative de liquidation du championnat du monde

Double jeu de Rimet président de l’association française

Première régression européiste de Rimet

Sauvetage de la Coupe du Monde par l’AUF

La première Coupe du Monde en 1930

Courrier et déclarations de Rimet à Montevideo après la finale

La légende noire fabriquée par un quotidien argentin

Nette victoire de l’Uruguay sur la sélection argentine

1931-1950, période européiste puis troisième naissance mondiale

Les plans de Rimet à son retour en Europe

L’Italie récompensée, siège de la deuxième Coupe du Monde

Européisation de la Coupe du Monde par Rimet et Mussolini

Pérou vs Autriche : européisation du tournoi olympique de 1936

Chute de la Coupe du Monde en 1938

1946 : rétablissement de la Coupe du monde

Coupe du Monde au Brésil

1950 : troisième naissance du championnat du monde absolu

Résumé et conclusion

Documents

1893 Règlement fondateur du mouvement olympique

1900 Officialisation des championnats du monde d’athlétisme

1903 Différence entre championnat d’Europe et du Monde

1905 Programme de la Coupe internationale de la FIFA

1905 La Présidence belge contre le championnat

1908 Tournoi de football amateur de la quatrième olympiade

1912 Tournoi de football amateur de la cinquième olympiade

1912 Mondialisation forcée de la FIFA

1914 La FIFA officialise le rabais des Anglais

1919 Open de football aux Jeux interalliés

1920 Tournoi de football amateur de la septième olympiade

1920 Athlétisme mondial, football européen

1923 Rimet développe et limite le pouvoir de la FIFA

1923 La FIFA des débats peu conséquents

1924 Officialisation du professionnalisme olympique

1923 Premier appel à un championnat du monde

1923 Le calendrier du championnat olympique

1924 Règlement ouvert du tournoi olympique

1924 Le règlement ouvert expliqué par son rédacteur

1924 Premier programme du Tournoi mondial

1924 Quarts de finale du Tournoi Mondial

1924 Demi-finales du Tournoi Mondial

1924 Le bilan des pouvoirs sportifs français

1924 Officialisation du titre mondial par l’AUF

1924 Les Jeux sont des championnats du monde

1924 Le tournoi de Paris, premier championnat du monde

1924 Le formidable championnat du monde

1924 Début du premier Tournoi Mondial de Football

1924 Fin du premier championnat du monde

1924 Le onze d’Uruguay champion du monde

1924 L’Amérique championne du monde de football

1924 Uruguay champion du monde, Suisse championne d’Europe

1924 Le mondialisme du Journal de Genève

1924 Tactique sans précédents

1924 Le mondialisme des Argentins

1924 Les telex mondialistes innondent l’Amérique du Sud

1924 Projet d’extension du championnat du monde

1925 La FIFA proclame sa totale souveraineté

1925 La FIFA devient une fédération internationale ouverte

1925 La grande régression olympique

1925 Rimet boycotte le congrès olympique

1925 Les Jeux deviennent amateurs

1927 L’imparable mécanisme de requalification des professionnels

1927 Veto contre le championnat d’Europe

1927 Motion-chantage de Rimet contre le CIO

1927 Le CIO fait marche arrière

1928 Des équipes librement constituées

1928 Le professionnel peut se déclarer amateur

1928 Professionnalisation des sélections olympiques de football

1928 L’Uruguay de nouveau champion du monde

1928 L’AUF officialise son deuxième titre mondial

1929 Origine de la candidature de Montevideo

1929 En cas de refus

1929 Échec du règlement financier de la FIFA

1929 Coup de theâtre à Barcelone

1929 Montevideo, siège du championnat de la FIFA

1929 Une ville européenne devait gagner

1929 Générosité financière des Uruguayens

1930 Rimet cède au plan litalien

1930 L’AUF sauve la première Coupe du Monde

1930 Buero active la voie politique en Belgique

1930 Buero active la voie politique en France

1930 Langenus contesté par avance

1930 Dessin raciste argentino-allemand

1930 Bêtise de la légende noire contre la Celeste

1930 Trois Coupes du Monde de suite

1930 Aucune réclamation argentine

1930 1930 pareil à 1924

1934 Douze hommes dont un arbitre et des bouchers

1936 Un nazi à l’honneur

1936 Contre l’annulation du match Pérou-Autriche

1936 Un rapport douteux

1904 Objectif Championnat International

1954 Objectif Championnat du Monde

1970 Objectif Coupe du Monde

2021

L

a FIFA reconnaît les quatre étoiles uruguayennes

Introduction

La formule du championnat du monde absolu de football

Ce livre raconte l’émergence du championnat du monde absolu de football et plus précisément, comme l’indique le titre, le fait notable de ses trois naissances successives. Il s’agit de mettre de côté pour un temps les légendes populaires et les récits officiels, et de donner au lecteur une approche réaliste basée sur les très abondantes archives existantes. L’objectif est aussi d’apporter de la connaissance sans éviter la complexité des faits, sans occulter les conflits d’intérêts déterminants, en considérant bien sûr les avancées dues à l’action des dirigeants sportifs, mais aussi les reculs sans lesquels l’histoire ne peut pas être comprise.

La formule « championnat du monde absolu » comporte deux idées distinctes : d’une part, l’idée d’une dimension géographique reconnue par les contemporains comme « dimension mondiale nécessaire et suffisante » ; d’autre part, l’idée d’une compétition suprême, « absolue », dans laquelle les pays participants ont la possibilité de présenter leur meilleure équipe avec leurs meilleurs joueurs sans aucune restriction liée au statut, à l’âge ou à des considérations d’ordre politique.

Le premier point, la dimension mondiale, est la résultante d’une certaine expansion du football sur la planète qui finit par produire la rencontre entre sélections de pays de différents continents dans le cadre d’une compétition internationale. Les premières rencontres internationales se font entre pays voisins. Suivent ensuite les championnats de dimension régionale comme le championnat des nations britanniques (British Home Championship) et de dimension continentale comme le championnat olympique organisé en 1908 à Londres ou le premier championnat sud-américain qui a lieu en 1910 à Buenos Aires. En 1919 on assiste pour la première fois à un championnat international au cours duquel se rencontrent des équipes d’Europe et des équipes d’Amérique du Nord. Mais la dimension mondiale de la compétition se réalise dans le cadre d’une convocation qui la limite par sa nature militaire réservée aux pays alliés. La véritable dimension mondiale d’un championnat international est atteinte pour la première fois à l’occasion du tournoi olympique de 1924 qui a lieu à Paris et à Colombes, dans le cadre d’une convocation planétaire adressée à la totalité du monde sportif moderne. La rencontre tant attendue entre le Vieux Monde et le Nouveau Monde se réalise alors pleinement avec la participation d’équipes d’Amérique du Nord, du Sud, d’Europe, mais aussi la présence de sélections d’Asie et d’Afrique.

Le deuxième point – le caractère absolu, suprême ou universel – est fondamentalement d’ordre législatif, ou, pour employer la terminologie courante, d’ordre réglementaire. Depuis que le football organise des compétitions internationales, on distingue les championnats ouverts (« open ») et les championnats réservés à telle ou telle catégorie de footballeurs. L’actuelle Coupe du Monde est un championnat ouvert. Les footballeurs qui y participent sont des professionnels ou des amateurs de tout âge. L’actuel tournoi olympique, par contre, est une compétition réservée à des joueurs de moins de vingt-trois ans et n’est donc pas un « open ». En ce qui concerne l’époque pionnière du football, celle que nous traitons ici, on distingue fondamentalement les championnats « open » – ouverts à toutes les catégories de footballeurs (amateurs, non amateurs et professionnels) – et les championnats réservés aux amateurs ou plutôt aux joueurs définis comme tels. Alors que le grand tournoi interallié de football de 1919 est un tournoi ouvert dont le règlement déclare ignorer délibérément la question de l’amateur/professionnel, le championnat olympique de football de 1912, disputé à Stockholm, exclut les joueurs non amateurs et met dans cette catégorie tous ceux qui touchent ou ont touché une quelconque somme d’argent en relation avec le sport, qu’il s’agisse d’un salaire, d’une prime ou d’une indemnisation, même si elle est minime, même si c’est pour une seule heure ou un seul jour.

Pour un sport populaire comme le football, qui devient très vite un spectacle payant, donc une affaire, avec ses tribunes et ses acteurs professionnels, les restrictions réglementaires liées à l’amateurisme apparaissent d’emblée comme un obstacle. Par ailleurs, si une certaine distinction entre amateurs et professionnels peut s’avérer nécessaire au niveau local, pour protéger les clubs les plus modestes, elle devient sportivement inacceptable dès lors qu’il s’agit de constituer la meilleure sélection du pays.

Le fait que, dès le début du vingtième siècle, en Europe comme en Amérique, des championnats de football internationaux totalement ouverts aient été mis en place n’a rien de surprenant. Le modèle du championnat international par excellence est le British Home Championship (BHC) que les quatre associations britanniques historiques disputent annuellement depuis 1884 et qui accueille quasiment dès le début et sans objection aucune les meilleurs professionnels d’Angleterre et d’Écosse. Tout championnat international ambitieux cherchera donc à suivre l’exemple « des Anglais », l’exemple des « inventeurs du football », des « maîtres ». C’est pourquoi en 1905, le projet de championnat d’Europe approuvé par la toute récente Fédération Internationale de Football Association (FIFA) inclut dans son tour préliminaire le Groupe 1 « Îles Britanniques », et de ce seul fait, consacre la nature « open » de l’épreuve. Cette première FIFA, fondée et présidée par un Français, Robert Guérin – de son vrai nom Clément Robert – établit ainsi sa volonté de créer le championnat continental comme une extension du championnat britannique et donc, comme un championnat ouvert aux professionnels. De même la Copa América, organisée annuellement à partir de 1916, ignore dès le départ cette question de l’amateurisme, dont la manipulation gangrène l’esprit sportif et divise les footballs nationaux de la zone.

Ce qui est vraiment surprenant, comme nous le verrons plus tard, c’est que les championnats olympiques de football de 1908, 1912 et 1920, pourtant organisés et réglementés par des associations affiliées à la FIFA, ne sont pas ouverts à tous comme on pourrait s’y attendre, mais bel et bien réservés aux footballeurs qui répondent à une définition sévère de l’amateur. Cette situation n’est pas le fait de supposées prescriptions dictées par le Comité International Olympique (CIO). Comme le démontrent les recherches récentes, la direction olympique n’a imposé aucune restriction en matière de participation aux Jeux jusqu’au congrès olympique de Berlin en 1930. Entre 1896 et 1930, les directions sportives proprement dites ont pu établir librement les critères d’admission de leurs épreuves olympiques. Ainsi par exemple, l’athlétisme olympique, totalement ouvert voire professionnel en 1896 et 1900, est devenu amateur en 1908 et 1912, pour redevenir ouvert en 1924 et 1928. Et le football, amateur en 1908, 1912 et 1920, s’est ouvert aux professionnels en 1924 et 1928.

Pour ce qui est de la dimension géographique d’un championnat, on constate en règle générale une coïncidence entre la dimension de la convocation – pays invités – et le titre mis en jeu – champion régional, continental ou mondial –. Le BHC, dont la convocation est strictement limitée au « Royaume-Uni », a toujours été considéré comme un championnat régional et le vainqueur comme le « champion de la région britannique ». La Copa América, qui depuis le début aspire à réunir tous les pays du continent sud-américain et rien que ces pays-là en leur adressant une convocation continentale, met en jeu dès la première édition un titre de champion d’Amérique du sud, soit, un titre continental. Cependant le cas des championnats olympiques est différent. Depuis les premiers Jeux de 1896, toutes les épreuves olympiques de toutes les disciplines font l’objet d’une convocation mondiale commune, mais cette invitation sportive mondiale d’ordre général ne produit pas automatiquement des championnats du monde réels dans toutes les épreuves de toutes les disciplines programmées. Elle produit normalement des championnats olympiques de nature internationale potentiellement mondiaux qui tarderont plus ou moins longtemps à devenir des véritables championnats du monde.

Dès 1896, et plus encore à partir des Jeux de 1900, parmi les nombreux championnats internationaux qui ont lieu dans le cadre olympique, certaines épreuves de certaines disciplines comme l’athlétisme, le tir ou le tennis, sont reconnues comme des championnats du monde. Une dynamique s’installe et des concepts s’affirment. Tous les championnats olympiques sont désormais considérés comme des championnats du monde potentiels, tous tendent à devenir tôt ou tard de véritables championnats du monde. Mais à quel moment précis passe-t-on du championnat du monde potentiel au véritable championnat du monde ? La réponse est donnée par les dirigeants sportifs eux-mêmes et peut s’exprimer ainsi : le championnat du monde véritable est établi lorsque sur les pistes, terrains ou bassins, la rencontre entre le Vieux et le Nouveau Monde, entre l’Europe et l’Amérique se réalise de manière effective. Depuis 1896, les courses athlétiques des cent et quatre cents mètres deviennent des championnats du monde et sont dominées par les représentants des États-Unis. La natation se mondialise à son tour en 1908. Et en 1924 à Paris, pratiquement toutes les disciplines importantes atteignent la dimension véritablement mondiale.

Depuis le début du XXe siècle, le football est perçu par les dirigeants français de ce sport comme une discipline potentiellement planétaire et, à partir de 1920, ce jeu à vocation universelle s’impose dans la sphère olympique comme le sport-roi, égal ou supérieur à l’athlétisme. Cette universalité du football très tôt admise fait qu’on lui applique tout naturellement les mêmes critères d’expectative et de reconnaissance mondialistes employés pour l’athlétisme et pour la natation : il y aura donc un véritable championnat du monde de football quand la rencontre entre l’Europe et l’Amérique se concrétisera effectivement sur les terrains. La mécanique qui se produira alors sera la suivante : le championnat de niveau mondial s’imposera d’abord comme un fait historique dû au le développement même du football, et très précisément, par le voyage transatlantique des sélections dans le sens Amérique-Europe ou Europe-Amérique ; il sera ensuite reconnu comme championnat du monde par les acteurs, par les dirigeants et plus généralement par l’opinion sportive, la reconnaissance étant à l’époque le mécanisme par excellence et sportivement loyal de qualification d’une épreuve. C’est cette mécanique que Coubertin promet aux principaux sports dès 1894 et c’est aussi ce que Guérin explique en 1903 à propos du football et de ses perspectives en matière de championnat.

C’est le monde du football lui-même, à travers ses dirigeants, qui durant l’époque pionnière définit de manière précise le concept complet de championnat du monde absolu. Et ce sont ces mêmes dirigeants avant-gardistes qui, appuyant leurs définitions, contribuent à créer les compétitions de football suprêmes et s’empressent de les reconnaître comme telles lorsque le niveau est atteint. Trois critères sont alors pris en compte : que soit invité à concourir le monde du football international dans son ensemble ; que la compétition soit régie par un règlement ouvert garantissant la libre participation de tous les footballeurs quelle que soit la catégorie ; que se réalise effectivement sur les terrains la véritable rencontre mondiale entre l’Europe et l’Amérique.

L’élaboration de cette formule, la clarification de ses ingrédients et le déclenchement du processus de reconnaissance mondialiste reviennent aux dirigeants sportifs français. Pierre de Coubertin, inventeur des Jeux olympiques modernes, a imposé le concept de championnat du monde véritable comme rencontre entre Vieux et Nouveau Monde. Robert Guérin, fondateur de la FIFA, a théorisé la différence entre le championnat d’Europe projeté en 1905 et un éventuel championnat du monde qui pourrait se produire dans le cadre des Jeux. Guérin a défendu également la réglementation ouverte des championnats internationaux comprenant très tôt qu’il fallait suivre le modèle britannique pour assurer la participation des meilleurs. En 1924, Henri Delaunay, secrétaire général de la Fédération Française de Football et représentant de la FIFA devant l’International Football Association Board (IFAB), et Jules Rimet, président de la FIFA et de la Fédération Française de Football Association (3FA) ont réglementé le tournoi olympique de Paris en ignorant délibérément la question de l’amateur/professionnel. Ils ont aussi reconnu l’épreuve comme un tournoi mondial universel et ont proclamé la mise en jeu d’un titre suprême de champion du monde. Ils ont offert alors pour la première fois aux footballeurs de la planète un titre à la hauteur de leurs attentes.

Dans ses textes actuels, la FIFA emploie le terme « absolu » pour désigner la meilleure équipe ou équipe maximum d’une association nationale. L’expression « championnat du monde absolu » correspond donc à une rencontre mondiale entre sélections absolues. D’autres formules ont un sens parfaitement équivalent : « championnat du monde ouvert », « championnat du monde universel », « championnat du monde suprême » et également la formule simplifiée d’usage courant, « championnat du monde », lorsque dans un certain contexte elle sous-entend de manière évidente la mise en jeu d’un titre suprême.

L’intitulé de cet ouvrage souligne le fait notable des trois naissances successives du championnat du monde absolu de football. Cela signifie que les deux premières formes, celle mise en place en 1924 dans le cadre du tournoi olympique et celle inaugurée en 1930 hors des Jeux, ont connu un processus de décadence qui a mené à leur disparition et qui a imposé leur remplacement. Ce n’est qu’après la Deuxième Guerre Mondiale, lors de la Coupe du Monde organisée au Brésil en 1950, qu’une troisième époque voit le jour. La valeur mondiale du championnat est alors pleinement assumée par la direction de la FIFA, les associations britanniques participent, le BHC devient un groupe éliminatoire et pour la première fois, les associations européennes manifestent une véritable envie de voyage transatlantique. C’est au Brésil que le championnat du monde de football atteint la forme qui apparaît aujourd’hui à nos yeux comme définitive. C’est d’ailleurs à ce moment-là que la fédération internationale décide de faire progresser ses statuts en remplaçant l’objectif vague et ambigu fixé en 1904 – « organiser le championnat international » – par une formulation claire et valable : « organiser le Championnat du Monde-Coupe Jules Rimet ».

1863-1904 : promotion du football et moteur mondialiste olympique

Football britannique avant 1894

La Football Association (FA), qui est l’association nationale de football d’Angleterre, est fondée à Londres en 1863. À ses débuts, elle ne regroupe que quelques clubs de la capitale qui, après une longue série de réunions légendaires à la Freemason’s Tavern, finissent par établir le règlement très vague d’un jeu de balle appelé football association. Ce règlement est en quelque sorte le plus petit dénominateur commun défini à partir d’une grande diversité de pratiques. Et le jeu qui découle de son application est très différent du football que nous connaissons aujourd’hui. Les cages n’ont pas de barre transversale et le but peut être marqué à n’importe quelle hauteur comme c’est le cas des pénalités du rugby. Le jeu au pied est la seule technique admise pendant la phase offensive, mais lorsqu’ils défendent, les joueurs sont autorisés à dévier le ballon avec les mains et l’interception manuelle est même récompensée d’un coup-franc qui se tire à l’endroit où le ballon a été capté. Tous les footballeurs sont donc gardiens et peuvent exercer ce rôle à n’importe quel point du terrain. Il s’agit donc d’un jeu hybride : football-pied pour attaquer, football-main pour défendre.

Parallèlement au développement du football dans la capitale, un autre football voit le jour au nord de l’Angleterre, à Sheffield, avec un goût plus prononcé pour la technique et une interdiction plus stricte de l’usage des mains. Le football de Sheffield s’étend rapidement à Leeds, Manchester et Liverpool. Ses règles sont plus précises et plus strictes que celles de la Football Association, mais aussi plus instables. Les grandes cages avec une barre transversale, difficiles à défendre, sont d’usage pendant une saison mais pour la saison suivante on essaie des cages toutes petites et basses qui rendent le but presque impossible. Pendant un temps, des drapeaux sont plantés sur la ligne de fond à une certaine distance de chaque côté des poteaux, délimitant ainsi trois buts, un but principal et deux secondaires. Les tirs qui passent entre le poteau et le drapeau comptent potentiellement comme un demi-but et permettent de départager les équipes à la fin du match en cas de résultat nul. Mais tout cela ressemble finalement à un bricolage sans fin qui récompense les actions ratées et ne résout pas le problème dialectique essentiel : quelle cage et comment la protéger ?

Avec le temps, les associations de Sheffield et de Londres se rapprochent et mélangent leurs règles. Elles poursuivent les mêmes objectifs : obtenir la plus grande tension possible durant le match, diminuer la violence physique et augmenter la technique de jeu. Elles pratiquent aussi la même méthode de travail qui consiste, très empiriquement, à neutraliser les vices de l’antijeu qui se glissent dans les failles du règlement : l’usage abusif des mains, les défenses trop regroupées, les coups de coude et les coups de pied, bref, les hands et les fouls. Un accord est trouvé sur la largeur des buts et le positionnement de la transversale. Il définit les cages telles qu’on les connaît aujourd’hui : 8 yards par 8 pieds. Voilà donc la pierre angulaire. Il en découle que pour protéger cet espace il faut nécessairement les mains, mais il apparaît aussi que marquer devient pratiquement impossible si tous les défenseurs se comportent en même temps comme des gardiens et que des regroupements serrés aux mains levées bouchent le but et sèment le désordre.

L’idée géniale est l’invention du gardien de but. Elle apparaît d’abord spontanément sur les terrains comme une fonction spéciale attribuée aux joueurs corpulents, capables de résister aux charges, et trouve plus tard sa place dans les règles du jeu. Les premiers textes mentionnant la fonction établissent qu’un seul joueur a le droit de protéger les buts de son équipe avec les mains. Mais au début, le droit de garder est contextuel et changeant : est considéré gardien le dernier défenseur, et comme les positions des joueurs changent constamment, il arrive que lors d’une même action défensive, on assiste à une succession de derniers défenseurs différents et donc à une succession de gardiens, avec au final une nouvelle prolifération d’interceptions de la main impossible à contrôler. Pour corriger le problème, on décide alors qu’au cours d’une même action le gardien doit rester le même. Le processus s’achève lorsque le poste de gardien est attribué par avance à un seul joueur. Désormais, tout changement de gardien doit être préalablement déclaré à l’arbitre, selon la règle qui est toujours en vigueur. Avec le temps, le gardien est identifié par sa tenue particulière et garde sa place jusqu’à la fin de la partie. Le processus culmine en 1902 avec le traçage des surfaces que nous connaissons aujourd’hui, la limitation des droits particuliers du gardien à sa surface de réparation et surtout l’invention du point de penalty qui remplace la ligne de penalty et met fin à la pratique de la main défensive.

Parallèlement à l’invention des règles du jeu, le football anglais se développe sur le plan de son organisation et de ses compétitions. Un mouvement fulgurant d’expansion est observé. Il couvre d’abord toute l’Angleterre, puis l’Écosse, et enfin le Pays de Galles et l’Irlande. La multiplication des clubs et des rencontres conduit au développement d’organisations qui acquièrent rapidement le statut d’associations nationales. Après la Football Association anglaise, la Football Association écossaise apparaît, dix ans plus tard, en 1873, puis la Football Association galloise en 1876 et finalement la Football Association irlandaise en 1880. Ces entités organisent des coupes nationales et créent leur propre équipe avec les meilleurs joueurs du pays : la sélection nationale.

En 1884, s’appuyant sur ce développement, le premier championnat international (entre sélections nationales) de l’histoire du football voit le jour : le British Home Championship (BHC). Ce tournoi se jouera annuellement entre les quatre associations du Royaume-Uni, selon un système de championnat à match simple, avec alternance du pays hôte et un règlement ouvert. Il durera cent ans, jusqu’à l’édition de 1984, sans autres interruptions que celles dictées par les guerres mondiales (entre 1914 et 1919, et entre 1939 et 1945).

À partir de 1870, on voit apparaître des spectacles hebdomadaires de football avec entrée payante. L’affaire connaît un développement rapide. Dans un premier temps, joueurs et dirigeants instaurent un système de « répartition directe » des bénéfices de billetterie. Cette forme primitive de professionnalisme, que les dirigeants de Londres appellent « amateurisme de gentleman », se maintient jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, perpétuée par des mouvements dissidents héritiers de l’Amateur Football Association (AFA) et par des équipes particulières comme le Corinthian qui ne joue que des matchs d’exhibition. Mais dès 1880, un système patronal d’indemnisation par primes puis par salaire est mis en place. Il correspond à un système de professionnalisme avancé connu dans le jargon olympique sous le nom de « répartition indirecte ».

Les formes initiales du professionnalisme salarié sont multiples. Les Anglais développent un système qui leur est propre, le professionnalisme industriel, que leurs entreprises diffusent dans le monde entier. De grands établissements textiles, métallurgiques, navals, ou bien liés à la construction de chemins de fer créent leur propre club de football. Les joueurs sont embauchés en tant qu’employés de l’entreprise, perçoivent un salaire à ce titre et sont partiellement ou totalement libérés de leur travail ouvrier au profit du travail sportif, entraînements et matchs. Ce système, très efficace à ses débuts, génère rapidement des difficultés insurmontables lorsqu’il s’agit de renouveler l’équipe, de séparer le temps de travail et le temps du sport, de réintégrer les anciens joueurs à l’entreprise et de limiter l’impact négatif du sport sur la productivité. Les équipes compétitives finissent par quitter leur industrie pour devenir des entités purement sportives et adopter un professionnalisme de club. En Grande-Bretagne, le métier de footballeur est reconnu très tôt à la demande des patrons, mais ailleurs, notamment en Europe continentale et en Amérique du Sud, le professionnalisme commence par une longue première phase, qui dure une vingtaine d’années, durant laquelle le joueur est employé par le club avec un contrat d’employé. Ce n’est qu’après, lorsque les conditions de capitalisation le permettent, que le métier de footballeur est officiellement admis et reconnu par le Code du travail. Le club établit alors des contrats spéciaux qui précisent les devoirs particuliers du joueur, le temps d’entraînement, les règles en matière de transfert, etc.

On dit que le professionnalisme évident apparaît en Angleterre vers 1876, avec le paiement de compensations aux joueurs par les organisateurs de matchs. Une décennie plus tard, en 1885, la Football Association anglaise accepte la forme supérieure du professionnalisme footballistique. Elle se caractérise donc, non par le fait que le joueur reçoit légalement un salaire – ce qui est déjà le cas du professionnalisme industriel et du professionnalisme d’employé de club – mais parce qu’il est désormais sous contrat de footballeur et reçoit un salaire pour son travail de footballeur.

En Angleterre, le système professionnel supérieur s’installe de manière particulière, dans le cadre circonscrit des ligues professionnelles. Le football national se trouve alors divisé, et suit deux voies parallèles : les ligues professionnelles avec leurs championnats et les ligues amateurs avec leurs championnats. Ces deux footballs s’opposent. Aucun n’est véritablement national, aucun ne consacre véritablement un champion national. Seule la Cup, qui est une compétition globale et ouverte, à élimination directe, remplit à peu près cette fonction. La division du football anglais découle fondamentalement d’une politique de classe : les joueurs de la petite bourgeoisie, les gentlemen, se retrouvent dans les clubs amateurs où ils peuvent bénéficier du système de « répartition directe » et passer du bon temps ; les joueurs ouvriers deviennent salariés du club professionnel qui les embauche et qui les soumet à un régime patronal dur. Tout en haut, la Football Association Limited, sorte de superstructure toute-puissante, rafle la mise en empochant des pourcentages sur chaque match et en ajoutant aux bénéfices récoltés sur les compétitions nationales, les sommes considérables prélevées à l’occasion du BHC et des tournées internationales des clubs et de la sélection. Le schéma est renforcé à la fin du XIXe siècle lorsque les dirigeants de Londres répriment les mouvements revendicatifs et instaurent l’austérité salariale. Pour préserver ses pourcentages, la Football Association fixe un salaire maximal qui baisse chaque année. Le mécanisme se maintient jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale et démoralise les joueurs. Au début du XXe siècle, devenir professionnel en Angleterre présente un intérêt très relatif. Les obstacles à l’ascension sociale et les liens de subordination imposés par les clubs conduisent à un développement massif de l’amateurisme marron, pur ou complémentaire. Le professionnalisme punitif pratiqué par la Football Association, facteur de désordre et démotivation, est l’une des causes de la décadence du football anglais, manifeste après la Première Guerre Mondiale.

En Écosse, le professionnalisme supérieur s’instaure en 1890. Il suit une voie démocratique, encourageante et populaire. Le professionnel n’est pas le prolétaire méprisé, mais le crack, récompensé par un bon salaire. Cela fait évoluer le football dans son ensemble, favorise une grande perméabilité entre les différentes catégories de footballeurs et produit finalement l’essentiel : une première division unique véritablement nationale et non discriminatoire. Le bon fonctionnement de l’ascenseur social surmotive les « maîtres écossais ». Il explique pourquoi, très rapidement, leur niveau de football dépasse celui des « inventeurs anglais ».

En ce qui concerne le BHC, les différences entre les associations britanniques en matière de professionnalisme et la volonté commune de présenter les meilleures sélections possibles pour attirer le maximum de public conduisent à l’adoption d’un règlement ouvert. À partir de 1890, les deux grandes équipes, l’Angleterre et l’Écosse, présentent des amateurs, des professionnels, ainsi que des joueurs appartenant à des catégories intermédiaires. Les rencontres entre l’Angleterre et l’Écosse s’imposent comme le premier derby du football international. Elles sont la grande attraction du championnat et génèrent des recettes de billetterie extraordinaires. L’afflux de public dépasse rapidement les capacités des tribunes et conduit à la construction de stades gigantesques avec de vastes esplanades en pente, du haut desquelles le public debout peut suivre la partie. L’évolution vertigineuse des chiffres de fréquentation illustre le succès de ces matchs qui sont la poule aux œufs d’or des dirigeants de Londres et de Glasgow : dix mille spectateurs en 1884, vingt-six mille en 1890, quarante-cinq mille en 1894, cinquante-et-un mille en 1896, soixante-trois mille en 1900. Puis : cent deux mille en 1906, cent vingt-et-un mille en 1908, cent vingt-sept mille en 1912, cent trente-et-un mille en 1931, cent trente-six mille en 1933, cent cinquante mille en 1937 et 1939.

Il convient de souligner que le BHC n’a été ni créé ni contrôlé par une quelconque organisation internationale. Il est, du début à la fin, un championnat organisé par coordination directe entre les quatre associations participantes, qui se répartissent les recettes comme s’il s’agissait d’une succession de matchs amicaux. On a tendance à penser que l’International Football Association Board (IFAB) a créé le BHC et exercé par la suite un certain contrôle. Les procès-verbaux du bureau britannique fondé en 1886 prouvent qu’il n’a jamais traité la question du championnat et qu’il ne s’est jamais occupé de son développement. Les travaux de l’IFAB se sont toujours limités à l’administration des Lois du jeu. Le BHC est donc le championnat international « des associations britanniques » et de personne d’autre. Et lorsque celles-ci se joignent à la FIFA, elles imposent que les matchs du BHC soient dispensés du paiement du pourcentage sur les recettes de billetterie que les autres associations affiliées doivent verser à la fédération internationale sous peine d’exclusion.

Développement du sport et antécédents des JO

Deux jeux athlétiques et un type de course particulier peuvent être considérés comme précurseurs du « sport » dit moderne qui se développe de manière exponentielle depuis le milieu du XIXe siècle : le jeu de paume, ancêtre du tennis ; le cricket ; et les courses de chevaux.

Le jeu de paume connaît un fort développement à la fin du XVIIe siècle. En 1657, on compte cent quatorze salles de jeu dans la capitale française et un système de paris déjà très développé. Dès lors, le professionnalisme s’installe. En 1740, on organise une compétition qui est considérée comme le premier championnat du monde de la discipline. À la fin du XVIIIe siècle, des dizaines de professionnels français vivent de ce jeu. Le cricket apparaît à la fin du Moyen Âge. Il se développe sous une forme moderne au début du XIXe siècle. Un premier match international a lieu en 1844 entre une équipe des États-Unis et une équipe du Canada. Le professionnalisme apparaît deux ans plus tard et la première sélection d’Angleterre de professionnels se constitue en 1859. Les courses de chevaux connaissent un premier essor à la fin du XVIIIe siècle. En 1850, la France dispose de cinquante-et-un hippodromes. Comme pour le jeu de paume, cette activité se développe grâce à un puissant système de paris et engendre immédiatement le professionnalisme des jockeys. Le prestigieux Jockey Club anglais, créé en 1750, développe l’activité professionnelle à grande échelle. Ses dirigeants considèrent que tout « gentleman à cheval », même très bien rémunéré, est un parfait amateur.

1850 marque le début d’une explosion générale du sport moderne. En Angleterre, les premiers tournois de golf proposent des prix en espèces. En France, on organise aussi des courses à pied pour de l’argent. Des clubs de voile du monde entier mettent en place de grandes régates et les sommes en jeu sont alors considérables. Grâce aux règles de Queensberry et à l’obligation du port des gants, la boxe moderne est inventée et là aussi, le système de paris fait qu’elle se professionnalise immédiatement. Vingt ans avant le football, le baseball établit ses règles modernes quasi-définitives. Ce sport, mentionné dans les débats du congrès olympique fondateur de 1894, se professionnalise dès 1869 et voit naître ses premières ligues professionnelles en 1876. D’autres sports et d’autres jeux suivent un processus semblable. À peu près en même temps, le hockey sur gazon et le lawn-tennis (tennis sur gazon) se dotent de règles écrites définitives. Le football, qui depuis 1850 multiplie les formes locales les plus variées, unifie sa pratique et ses « lois du jeu » au tout début du XXe siècle. Portés par cet élan, d’autres sports et d’autres jeux tels que la lutte gréco-romaine, l’haltérophilie ou la pelote basque deviennent des spectacles et engendrent une élite de professionnels voyageurs qui parcourent l’Europe, parfois le monde.

Certaines caractéristiques permettent de classer les activités athlétiques dans la catégorie des « sports modernes ». La première est qu’elles sont régies par des règles écrites. Cela permet leur diffusion dans une ville, dans un pays, voire dans le monde entier, sans altération majeure. L’homogénéité des pratiques ouvre la voie à la compétition nationale, internationale et mondiale. La deuxième caractéristique est la pratique décentralisée et libre des sports modernes dans l’espace et dans le temps. On assiste à une multiplication des clubs et des lieux où les pratiquants se retrouvent n’importe quel jour de la semaine, presque à n’importe quelle heure. Cela entraîne la troisième grande caractéristique : l’imbrication entre l’activité d’entraînement et la compétition sportive proprement dite avec une conséquence majeure : la formation des pratiquants, leur technification et donc l’apparition de catégories d’individus compétents, possédant un véritable savoir-faire : les sportifs et les joueurs.

La quatrième caractéristique découle de la précédente. Certains de ces sportifs et de ces joueurs atteignent des performances qui sortent de l’ordinaire. Leur habilité supérieure constitue une attraction et favorise l’apparition du spectacle payant. La naissance de l’entreprise sportive entraîne deux nouvelles conséquences de premier ordre : la création d’enceintes fermées avec des tribunes pour les spectateurs et des guichets pour la billetterie (stades) ainsi que la professionnalisation des acteurs chargés de fournir une prestation régulière, disciplinée et digne d’être vendue. Finalement, la cinquième caractéristique est le développement du sport en tant qu’affaire permanente avec l’organisation de concours périodiques et, dans le cas du football, de championnats à rendez-vous hebdomadaires avec le suspense qu’offre la mise en jeu d’un titre de champion.

On dit couramment que le sport moderne est né en Angleterre. Cette affirmation doit être corrigée. Des impulsions semblables avec des apports significatifs ont eu lieu ailleurs. Le baseball s’est véritablement structuré aux États-Unis en 1857 et le basketball y est apparu en 1891, pour se professionnaliser dès 1898. La France a elle aussi joué un rôle précurseur dans des secteurs comme le cyclisme, la pelote basque, certaines formes de boxe, l’escrime, etc.

La réglementation stricte des sports tels que l’athlétisme conduit au développement de grandes rencontres internationales et la codification des jeux tels que le football favorise leur insertion spectaculaire comme attraction majeure lors des grands rassemblements sportifs. Avant le milieu du XIXe siècle, d’importants événements sont organisés dans le but de magnifier le sport qu’on présente comme un ensemble favorable au bien-être humain ou comme forme de compétition moralement pure. C’est dans ce contexte que réapparaissent des Jeux qui font écho au lointain passé olympique. En 1843, 1844 et 1845, aux Jeux de Montréal, Canadiens et Britanniques s’affrontent sur les terrains de cricket et sur les pistes d’athlétisme qui encerclent les pelouses. En 1849, les Jeux scandinaves regroupent des courses, des compétitions de natation, de cricket et d’équitation. En 1859, Athènes organise des Jeux olympiques, principalement athlétiques, et les gagnants reçoivent de juteux prix en espèces.

Tout ce mouvement embrasse peu à peu ce qu’il convient d’appeler le monde sportif moderne. Il se constitue autour de trois pôles : l’Amérique du Nord (Canada et États-Unis) ; le Royaume-Uni et ses zones d’influence ; l’Europe continentale avec la France à l’avant-garde. C’est dans le but de donner à ce monde sportif moderne une organisation durable et de stimuler son développement à grande échelle, qu’au nom de l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA), le Baron Pierre de Coubertin présente en 1893 un projet achevé de rétablissement des Jeux olympiques.

1893: invitation au rétablissement des Jeux olympiques modernes

Fin connaisseur du monde sportif, doté d’une intelligence aiguë, fortement motivé par son humanisme pédagogique, universaliste éloigné des méthodes nationales, Coubertin acquiert dès 1892 la conviction qu’il est possible de structurer durablement un mouvement sportif d’envergure planétaire à condition de le développer toujours dans le sens de sa modernité. Il sait aussi que pour assurer la mise en place d’une telle entreprise, il est avant tout nécessaire de constituer une véritable direction mondiale.

L’initiative est lancée au nom de l’USFSA, la grande union sportive française de l’époque, qui réalise déjà à l’échelle nationale l’unité des « jeux athlétiques » et de l’athlétisme proprement dit. Le congrès International Athlétique fondateur se tient à la Sorbonne, à Paris, du 16 au 24 juin 1894. Les invitations sont envoyées au monde entier en mars 1893. La mobilisation voulue par Coubertin a deux faces : d’un côté les élites politiques et éducatives, et de l’autre les organisations sportives proprement dites. Pour appâter les premières, le Baron expose la nécessité de traiter sérieusement la question de l’amateurisme, qu’il croit pourtant périmée. Dans le but d’assurer la dimension mondiale de son projet, il voyage à New York en novembre 1893 et à Londres en février 1894. Il obtient alors le soutien actif de ces deux pôles majeurs du sport moderne.

Trois représentants constituent le commissariat du congrès : « pour la France et l’Europe, Coubertin ; pour l’Angleterre et son empire, le secrétaire de l’Amateur Athletic Association d’Angleterre, Charles Herbert ; et pour le Continent américain, William Sloane de l’Université de Princeton ». La structure scelle le concept de monde sportif moderne comme rencontre transatlantique entre Vieux et Nouveau Monde, entre Europe et Amérique. Une fois les appuis essentiels obtenus, Coubertin poursuit ses contacts et désigne une équipe de vice-présidents composée de délégués de l’USFSA française, du Club Sports de Londres, de l’University Athletic Club de New York, de la Fédération belge de course à pied, de l’Institut Central de Gymnastique de Stockholm et de l’école royale de Hongrie. Il conforte ainsi son intention mondialiste.

L’invitation inaugurale envoyée par l’USFSA a une signification historique exceptionnelle. Elle fixe les trois aspects fondamentaux qui structurent le monde sportif que Coubertin entend bâtir : l’aspect organisationnel, proprement olympique ; l’aspect réglementaire, proprement sportif ; la répartition des pouvoirs entre le mouvement olympique et le mouvement sportif. Un principe inaliénable est établi d’un commun accord entre les commissaires fondateurs : dans le cadre des Jeux, le mouvement proprement sportif conservera toute sa souveraineté sur le plan technique et réglementaire, et notamment en ce qui concerne les critères d’admission des participants, c’est-à-dire, la question de l’amateur/professionnel. L’objectif étant le succès des Jeux auprès du public, il faut écarter toute politique qui pourrait nuire à la qualité des participants et limiter l’attractivité du spectacle. Un des objectifs est ainsi indirectement fixé : dans le cadre des Jeux, les athlètes devront battre des records du monde.

Pour ce qui est des aspects organisationnels, le programme des discussions proposé dans l’invitation sous l’intitulé « Jeux olympiques » vise à pérenniser l’initiative : « VIII. — De la possibilité de leur rétablissement. — Avantages au point de vue de l’athlétisme et au point de vue moral et international. IX. — Conditions à imposer aux concurrents. — Sports représentés. — Organisation matérielle, périodicité des Jeux olympiques rétablis, etc. X. — Nomination d’un Comité International chargé d’en préparer le rétablissement ». La mention des avantages au point de vue moral et des conditions à imposer aux athlètes n’indique pas nécessairement que les organisateurs entendent établir une règle stricte. Les concepts pédagogiques qui animent l’œuvre de Coubertin renvoient plutôt à un idéal de loyauté sportive et d’internationalisme souple. On voit aussi deux niveaux organisationnels distincts : le congrès qui programme, le Comité International qui exécute.

Les discussions qui auront lieu autour des aspects proprement sportifs sont présentées dans l’autre partie du programme sous le titre « Amateurisme et professionnalisme ». Contrairement à ce qui a pu être dit ou à ce que l’on peut croire, cette partie ne vise pas à imposer l’amateurisme, mais plutôt à considérer sérieusement le caractère illusoire d’une règle générale imposée « de l’extérieur » et la nécessité de respecter les orientations souveraines de chaque sport. La volonté de neutralité se perçoit nettement dans certaines questions comme celles du point III : « Est-il juste de maintenir une distinction entre les différents sports au point de vue amateuriste, spécialement pour les courses de chevaux (gentlemen) et le tir aux pigeons ? — Peut-on être professionnel dans un sport et amateur dans un autre ? ». Ou celles du point VI, qui fournissent elles-mêmes une première liste d’inévitables exceptions : « La définition générale de l’amateur peut-elle s’appliquer également à tous les sports ? — Comporte-t-elle des restrictions spéciales en ce qui concerne la vélocipédie, l’aviron, les sports athlétiques, etc. ? ».

La solution pratique à tous ces problèmes est énoncée dans le premier point de la troisième partie du programme intitulée « Règlement » : « Les Unions et les Sociétés qui participeront au congrès ne seront pas liées par les résolutions adoptées. Le congrès a pour but d’émettre des avis sur les différentes questions qui lui seront soumises et de préparer mais non d’établir une législation internationale ». Ce principe fondamental est expliqué et réaffirmé par Coubertin lors des débats qui ont lieu au sein de la commission préparatoire des Jeux olympiques. On peut lire à la page 5 du procès-verbal de la première session : « Monsieur le président [Bikelas] propose de constituer, une fois que le congrès aura terminé ses travaux, un Comité International des Jeux olympiques, dont le siège serait à Paris et qui serait chargé de réglementer les concours. Monsieur de Coubertin ne croit pas que les pays étrangers seraient disposés à accepter les règles proposées par le congrès : le congrès ne doit pas réglementer et doit seulement organiser ». Ainsi, ni le congrès ni le Comité International n’ont le droit de légiférer sur les sujets sportifs et en particulier sur la question de l’amateur/professionnel, ni dans un sens ni dans un autre. Le point de départ qui s’impose est donc bien le refus de la part des dirigeants olympiques eux-mêmes de fixer des critères d’admission des sportifs et de ce fait, une forme assumée de neutralité sur le sujet brûlant de l’amateur/professionnel.

En conséquence des dispositions du règlement fondateur, la structure des pouvoirs olympiques est très clairement établie : pour le mouvement olympique, l’organisation générale ; pour les sociétés sportives, la réglementation et l’organisation technique des épreuves. L’organisation générale comprend le choix de la date et du lieu des Jeux, le programme des disciplines et des épreuves et finalement, tout ce qui se réfère à l’intendance et aux aspects économiques. La réglementation comporte deux aspects : les règlements techniques, qui décrivent les dispositifs, les règles sportives et le déroulement des épreuves ; les conditions d’admission des athlètes, qui peuvent ouvrir les compétitions à tous ou les réserver à certaines catégories. L’organisation technique consiste à mettre en place les tournois, à les arbitrer et à valider les résultats.

Dans son règlement fondateur, Coubertin et les deux autres commissaires signalent que le mouvement olympique s’autorise uniquement à émettre des « avis » sur l’amateurisme et sur tous les autres sujets sportifs qui lui seront soumis. Ces « avis » apparaîtront plus tard dans différents documents sous différentes dénominations : « vœux » dans les procès-verbaux des congrès, « règles générales » dans les rapports officiels des différentes olympiades. L’idée olympique est d’émettre des « vœux » ou des « règles générales » que les organisations sportives pourront « suivre ou pas ». Le mécanisme libéral des vœux se perpétuera au fil des règlements des congrès olympiques successifs et sera systématiquement défendu devant la presse par Coubertin en personne. Ce mécanisme sera remis en cause une première fois lors du congrès olympique technique de 1925 ; interrompu entre 1925 et 1927, sans conséquences pratiques majeures ; rétabli pour l’olympiade d’Amsterdam de 1928 ; mais définitivement liquidé par le congrès olympique de Berlin en 1930. Les décisions relatives à l’exclusion des athlètes salariés s’appliqueront pour la première fois en 1932, à l’occasion des Jeux de Los Angeles. En attendant, la période libérale initiée en 1894, dite « ère des vœux », couvrira neuf olympiades sous la protection du père fondateur.

Vœux olympiques de 1894

Le premier congrès olympique se réunit à Paris du 16 au 23 juin 1894. Les grandes séances plénières se tiennent dans le Grand Amphithéâtre de La Sorbonne. La principale décision est bien évidemment le rétablissement des Jeux olympiques. Le congrès souhaite un programme sportif vaste et moderne. Les Jeux se tiendront tous les quatre ans, l’édition inaugurale aura lieu en 1896. Après le refus de Londres, la première olympiade est attribuée à Athènes et la deuxième à Paris. L’assemblée désigne aussi les membres du Comité International (futur CIO) et, lors de sa dernière réunion, propose une série de principes d’organisation et émet une grande quantité de « vœux » sur de nombreux sujets.

Trente-neuf entités sportives et éducatives assistent au congrès fondateur. Neuf autres sociétés font parvenir leur adhésion par courrier. Parmi les organisations représentées, on trouve des clubs, des groupements sportifs liés à une ville, des associations de portée nationale, quelques rares entités internationales comme l’Association Cycliste Internationale, ainsi que des universités. Les délégués présents viennent d’Italie, Grèce, Russie, Angleterre, Nouvelle-Zélande, l’Australie, Suède, Espagne, Belgique, Argentine, États-Unis et bien évidemment de France. Parmi les excusés, on remarque l’intérêt que manifestent des dirigeants sportifs écossais et tchécoslovaques.

Malgré la représentativité limitée d’une assemblée qui reste majoritairement française, le pari est réussi. Avec des délégations qui viennent d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Amérique du Sud et d’Océanie, le congrès atteint une dimension véritablement mondiale. Le Comité International proposé par Coubertin et ratifié par l’assemblée est également mondial. Sous la présidence du grec Dimitrios Bikelas, l’organe chargé d’organiser la première olympiade se compose de délégués français, russes, tchèques, suédois, néo-zélandais, italiens, états-uniens, anglais, hongrois et argentins. Et il faut ajouter à cela une liste de membres honoraires – délégués sportifs, hommes politiques, professeurs, princes et rois – qui représentent seize pays et quatre continents : l’Europe, l’Amérique du Sud, l’Amérique du Nord et l’Océanie. Cette structure réunit donc parfaitement des représentations des trois zones considérées par Coubertin comme étant les trois piliers du monde sportif moderne : Europe, Angleterre et son Empire, Amérique.

Les travaux du congrès se déroulent en deux phases. Le 18 juin, l’assemblée désigne les commissions des Jeux et de l’amateurisme dont la mission est de préparer les débats et d’émettre des vœux qui serviront de point de départ. Le samedi 23, le congrès se réunit pour la deuxième fois en séance plénière. Il discute intensément et ajoute de très nombreux avis supplémentaires. Il adopte finalement ce que le procès-verbal appelle « les vœux suivants » : un total de quatorze « avis » qui se référent autant aux aspects organisationnels qu’aux questions sportives et réglementaires.

En ce qui concerne les disciplines à programmer, le congrès établit une différence pertinente entre deux catégories olympiques: les sports proprement dits et les « jeux » athlétiques. Les premiers développent sous forme de performance sportive des activités physiques préexistantes : courir, nager, sauter, lutter, etc. Les seconds inventent des techniques nouvelles qui sont mobilisées dans le cadre d’espaces de jeu et de lois de jeu : shooter dans un ballon, taper dans une balle avec une raquette ou un club, envoyer la balle dans un panier, etc. Ces jeux incorporés au programme olympique comportent tous trois composantes : une sphère, une technique de projection, une visée. La première ébauche de programme olympique comporte donc des sports et des jeux. Douze sports sont privilégiés : l’athlétisme avec tous ses concours, la voile, l’aviron, la natation, la lutte, l’escrime, la boxe, l’équitation, le tir, la gymnastique, le patinage et le cyclisme. Quatre jeux sont explicitement mentionnés: le football, le tennis, le polo et le jeu de paume.

Sous la même rubrique « Jeux olympiques », les congressistes ont noté le caractère quadriennal des Jeux et la nécessité d’obtenir l’indispensable soutien politique et matériel des gouvernements.

Au sujet des conditions de participation, le congrès approuve deux vœux fondamentaux clairement contradictoires. Le souhait IX suggère de réserver « les concours athlétiques » aux amateurs tout en autorisant les championnats professionnels d’escrime. Le souhait XI sollicite avec une certaine fermeté « que nul pays n’ait le droit de se faire représenter aux Jeux olympiques par d’autres que par ses nationaux et que, dans chaque pays, il soit procédé avant l’époque des jeux à des épreuves éliminatoires de nature à ne désigner, pour y prendre part, que de véritables champions, dans chaque genre de sport », et ce donc, sans considération de catégorie.

Le caractère incompatible de ces deux vœux saute aux yeux même s’il convient de souligner que le périmètre du premier avis se limite aux dits « concours », terme qui désigne uniquement les épreuves proprement athlétiques : les courses, les sauts et les lancers. D’un côté le congrès exprime le souhait de limiter la participation à une seule catégorie et de l’autre il insiste pour que soient envoyés les meilleurs athlètes toutes catégories confondues. Cette contradiction s’explique facilement : tous les vœux approuvés lors des différentes phases du processus de discussion – en commissions d’abord, au congrès ensuite, au sein du Comité International finalement –, sont consignés sur la même liste même s’ils s’opposent entre eux et même si le résultat final s’avère totalement incohérent. Ainsi, le vœu IX est adopté en commission, et le vœu XI, qui émane de l’assemblée et qui en quelque sorte l’annule, est également adopté et inscrit sur le compte-rendu final. Cependant, comme les deux dispositions ne sont que des « avis » sans valeur légale, l’incohérence qui en résulte n’a, en fin de compte, aucune importance.

Sur le sujet très attendu de l’amateurisme et du professionnalisme, le congrès adopte une quantité de vœux contradictoires et tellement favorables à la rémunération des athlètes que, comme le signale le procès-verbal, « certains sont alors d’avis d’éluder la difficulté en limitant la compétence du congrès aux sports athlétiques proprement dits ». Le vœu numéro I, par exemple, définit l’amateur comme un sportif du dimanche mais soutient en même temps qu’il ne faut pas s’opposer aux subventions (salaires) payées les fabricants de bicyclettes « pour que les cyclistes fassent triompher leurs machines ». On retrouve les mêmes contradictions dans le vœu numéro VI, qui exprime d’un côté « le souhait d’une « tendance de tous les sports, sans exception, vers l’amateurisme pur », et proclame de l’autre que « pour ce qui est des courses de chevaux, du tir ou de la voile, la définition générale de l’amateur ne leur soit pas momentanément appliqué ». Par ailleurs, le paiement d’indemnité est considéré nécessaire, voire-même bienvenu, sans que soit mentionnée une intention quelconque de fixer des limites. En ce qui concerne les disciplines hautement professionnalisées comme le tir au pigeon ou le jeu de boules, « M. le comte de Pourtalès fait sagement observer que certains sports ont des racines trop profondes, tant en France que dans les autres pays, pour qu’on puisse en un instant modifier du tout au tout les règlements en vigueur, quelque défectueux fussent d’ailleurs ces règlements ». Finalement, au sujet des recettes de billetterie, le congrès se prononce contre la « répartition directe » et pour une « répartition indirecte », c’est à dire, pour le paiement de salaires selon un schéma patronal classique.

Tout ceci indique bien que la contradiction signalée entre le vœu numéro IX et le vœu numéro XI traverse tous les autres points abordés, et génère pour chaque avis et sur chaque sujet tout et son contraire, une proposition dans un sens puis une longue série d’exceptions qui vont dans le sens totalement opposé. La neutralité (ou statu quo) entre amateurisme et professionnalisme, déjà perceptible dans l’invitation, s’exprime donc de manière évidente tout au long des discussions et dans la liste finale des vœux. La conclusion est que le mouvement olympique ne se constitue pas, comme on le dit habituellement, en adoptant une ligne favorable à l’amateurisme, voire en adoptant l’obligation d’amateurisme. Il se place à mi-chemin entre l’amateurisme et le professionnalisme, en faveur d’une coexistence entre ces deux pôles qui, à ce moment-là, et pour longtemps encore, semble très bien fonctionner.

Caractéristiques fondamentales du mouvement olympique de Coubertin

L’analyse de la convocation initiale, des règles de pouvoir mises en place par Coubertin et de la conceptualisation développée lors du processus fondateur permettent de distinguer trois caractéristiques essentielles des premiers Jeux olympiques.

Premièrement, sur la question de l’amateurisme et du professionnalisme, c’est la neutralité qui s’impose. Le système des vœux laisse toute latitude aux pouvoirs proprement sportifs pour réglementer librement leur discipline et organiser des épreuves ouvertes à tous ou réservées à certains. Deuxièmement, le vœu numéro XI établit clairement que les compétitions olympiques sont des compétitions internationales, c’est-à-dire, des compétitions entre sélections nationales. Sont conviés à participer les meilleurs nationaux qualifiés lors d’épreuves préliminaires ouvertes. Troisièmement, le mondialisme constitue la perspective affirmée. Le congrès est mondial, le Commissariat et le Comité International sont mondiaux, et les Jeux eux-mêmes sont potentiellement mondiaux puisque tous les pays du Monde sportif sont invités à participer. Cette perspective s’appuie fondamentalement sur le concept de « monde » ou de « monde sportif » qui, pour les grands sports « universels » (athlétisme, natation, et plus tard, football), se définit comme la rencontre transatlantique effective entre le continent européen et le continent américain, entre le Vieux et le Nouveau Monde.

Ces trois aspects entraînent d’emblée une dynamique qui, partant de l’international, tend vers la dimension mondiale. Les championnats olympiques internationaux bénéficient tous de la même convocation mondiale globale. Ce sont donc bien des championnats internationaux mais aussi des championnats potentiellement mondiaux. Tous les sports tendent ainsi à atteindre, tôt ou tard, de par leur propre développement, une dimension qui sera reconnue comme un « championnat du monde ».

Pour le football, le rétablissement des Jeux ouvre une voie royale. La discipline fait déjà partie du programme initial approuvé à La Sorbonne et peut donc, sans trop d’effort, faire du tournoi olympique son championnat international privilégié comme l’envisagent l’athlétisme et la natation. Dès lors, partant de l’inéluctable dynamique mise en œuvre par Coubertin, la perspective de voir un jour l’éventuel championnat international olympique de football devenir championnat du monde est bel et bien posée.

Les Jeux olympiques de 1896, 1900 et 1904

La première olympiade se déroule comme prévu à Athènes en 1896. Elle dure à peine neuf jours. Deux cents quarante-et-un athlètes y participent. Ils représentent quatorze pays et quatre continents : l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud et l’Océanie. Les États-Unis envoient quatorze athlètes. Il y a également un Chilien et un Australien. On compte neuf disciplines : huit sports – l’athlétisme, le cyclisme, l’escrime, l’haltérophilie, la lutte, la natation, le tir et la gymnastique – et un jeu – le tennis –. Quarante-trois épreuves sont programmées. Le grand stade panathénaïque est rénové pour l’occasion. Il peut accueillir soixante-dix mille spectateurs.