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Ce livre est une forme hybride entre essai et récits de voyages. Il retranscrit le parcours de Gleb et Gaspard, depuis le début de l'invasion russe en Ukraine, le 24 février 2022. A travers le témoignage des deux auteurs, l'un ukrainien, l'autre français, les principaux sujets qui touchent ce pays sont abordés sans tabou, afin d'essayer de déterminer des solutions pour l'avenir. Quel est le secret d'une société capable de résister à un pays agresseur vingt-huit fois plus grand qu'elle ? Que se passe-t-il lorsqu'un peuple entier se lève pour défendre sa liberté ? Ce livre n'est pas simplement une histoire personnelle, mais une immersion profonde dans les mécanismes de l'esprit national et les stratégies qui ont changé le cours de l'histoire mondiale. Le portrait de la société ukrainienne, qui varie d'une région à l'autre, est dressé à l'aide des différentes nuances de tons qu'offrent l'écoute des gens de la vie civile, politique, religieuse et militaire. L'expérience de chacun étant le pinceau qui dessine le contour de celle-ci. De la politique de jeunesse aux projets militaires de l'OTAN, des expériences personnelles aux conclusions géopolitiques, les deux auteurs dévoilent une transformation sans précédent de la société ukrainienne, et européenne, face à ce défi imposé au système mondial de sécurité. Ils analysent les véritables causes du conflit, proposent des scénarios uniques pour prévenir les guerres en Europe, et montrent comment des gens ordinaires peuvent tenir tête à des forces apparemment insurmontables. Un livre qui bouleversera votre perception de la guerre, de la résistance et de l'esprit humain. La première de couverture du livre a été réalisée par, et avec l'accord, du couple de photographes Libkos que vous pouvez retrouver sur tous les réseaux sociaux.
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Seitenzahl: 117
Veröffentlichungsjahr: 2025
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Ukraine :
Regards croisés sur une nation en guerre.
Gaspard Rambel & Gleb Dolianovskiy
Crédits photos couverture : © Libkos
Le temps d’un roman
Editeur
Collection «Essai»
Gaspard.
Il est toujours compliqué de restituer le substrat complet de ce qui a constitué un voyage, le même qui nous a menés à l’extrême bord de ce qu’un regard rationnel peut conceptualiser. Souvent, plusieurs visages se croisent et nous déplacent tantôt vers l’Est, tantôt vers l’Ouest, de l’axe méridien qui tend à en restituer le parcours.
La somme des souvenirs à replacer dans leurs temporalités constitue un puzzle sans fin qui grossit au fur et à mesure que les jours passent. Cette galaxie des songes nous oblige à le terminer avant que la mémoire ne les troque pour l’infini, sans cesse en expansion.
Des trous noirs aspirent parfois les réminiscences accessoires, quand des étoiles filantes nous rappellent les fulgurances de certains moments.
Mon stylo les retranscrit ici en essayant de rester le plus fidèle possible à cette période. Celle-ci est d’ores et déjà hypothéquée au passé, même si le futur en dépend.
Il n’existe pas d’impôts capables de matérialiser par des chiffres l’engagement d’une personne, seulement quelques taxes. Leurs pourcentages varient en fonction de plusieurs variables : risques pris, longévité de l’action, etc. Elles dépendent surtout du niveau de sadisme de l’imbécile qui les a fixés.
Lors de mon premier départ en Ukraine en septembre 2023, je suis allé à l’église Saint-Sulpice afin de faire la promesse solennelle de ne jamais toucher d’armes. J’ai allumé un cierge et demandé à ce que l’on m’ôte la vie si je manquais à celle-ci. En octobre 2024, lors de mon second séjour, je n’ai pas effectué le même cérémonial, mais il était évident que la promesse était tacitement reconductible.
Je me suis rendu en Ukraine dans l’optique de m’informer, en rencontrant des citoyens, des militaires, des acteurs politiques et religieux afin d’éclairer ma lanterne sur ce qui se passe à cet endroit de l’Europe. C'est une période historique qui, sans doute, rebattra les cartes du continent pour le siècle en cours et ceux à venir.
C’était un pari risqué, mais j’ai réussi à m’entretenir avec l’ensemble de ces catégories de la société.
Je dois aussi saluer la collaboration de Gleb Dolianovskiy, grâce à qui j’ai pu avoir accès à des informations qui m’ont été utiles afin que cet ouvrage aboutisse.
J’ai pris la liberté de vulgariser les aspects trop techniques afin de rendre la lecture plus intuitive et de familiariser les occidentaux aux coutumes venues d’Europe de l’Est, qui, pour certaines, peuvent paraître étranges.
J’espère avoir réussi cet exercice et vous avoir transmis du mieux que j’ai pu ce que j’ai appris.
*
Gleb.
Après la chute du mur de Berlin et l'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, le monde est devenu unipolaire. Les politologues et philosophes occidentaux ont proclamé la victoire de la démocratie libérale sur les idées communistes de l'URSS. Francis Fukuyama décrit alors ce phénomène dans son ouvrage La fin de l’histoire et le Dernier Homme, paru en 1992. Dans celui-ci il annonce la fin des confrontations idéologiques, des révolutions mondiales, ainsi que des guerres.
La victoire du projet libéral, sur le projet socialiste, impose aux anciennes républiques soviétiques d’appliquer un système démocratique, couplé à une économie de marché.
La génération née en URSS dans les années soixante, et dont la jeunesse a coïncidé avec la période de la perestroïka, a commencé à s’intéresser aux influences venues de l’ouest, à s’accoutumer en quelque sorte à une double culture par procuration. Le jour à l’université, ils étudiaient le marxisme et le léninisme, le soir, ils écoutaient la BBC, achetaient secrètement des disques de Scorpions, Kiss et Led Zeppelin.
Chaque étudiant voulait son jean et sa paire de baskets à la mode en Occident, choses qui ne pouvaient être obtenues que par quelques privilégiés du régime. Le monde, de l'autre côté du mur de fer semblait inaccessible, même si palpable par les ondes radio, tandis que, la réalité environnante, semblait figée mais pleine d'espoir. Celui-ci a eu l'occasion de se concrétiser, pour certains, lorsque l'URSS s'est effondrée.
Le 8 décembre 1991, les dirigeants de la Russie, de l'Ukraine et du Belarus se sont réunis pour signer des accords stipulant que l'URSS avait cessé d'exister, et qu'un nouveau partenariat avait été établi entre les États fraîchement indépendants.
Quelque temps après, en 2002, le Conseil OTAN-Russie a été créé, dans le cadre duquel des missions conjointes de maintien de la paix ont été menées.
Néanmoins il n’a pas fallu attendre longtemps pour que les anciennes rivalités resurgissent, notamment en 2007 lors de la conférence de Munich. Celle-ci est restée dans les mémoires en raison du discours de Vladimir Poutine sur l'inadmissibilité d'un modèle de monde unipolaire. Un tournant dans les relations internationales qui a suscité l'inquiétude de l'Occident. Ce discours a été suivi de l'invasion de la Géorgie en août 2008, de l'annexion de la Crimée en 2014, puis de la tentative d'invasion totale de l'Ukraine le 24 février 2022.
Je me souviens très bien de l'état d'esprit qui régnait au sein de la société ukrainienne, et européenne, dans les dernières semaines précédant l'invasion de 2022. Il semblait que les nombreuses contradictions politiques, accumulées avec le temps, n’avaient aucune chance d'être résolues par la voie diplomatique. Le monde s'est figé dans l'attente de la tempête.
Une vue générale sur la situation
Gaspard, septembre 2023, Lviv.
Beaucoup de monde se trouve sur le quai où les bus embarquent des voyageurs du monde entier, j’en ai pour deux jours de trajet jusqu’en Ukraine.
La première ville où je me rends est Lviv, la raison est simple étant donné que c’est un corridor humanitaire et militaire où transitent des convois venus de tous les continents. Parmi eux se trouvent des marchandises destinées à l’armée, mais aussi du matériel médical et civil, fourni par des associations.
Un ami belge qui intervient régulièrement dans les médias francophones et néerlandais, Fabrice Michel, que je rencontrerais plus tard à Odessa, a participé à l’évacuation de plus de 1000 civils par bus, après avoir aidé les premiers réfugiés dans le camp frontière de Medyka, en Pologne. Cette opération a été permise grâce à l’aide de plusieurs associations américaines, qui fournissaient la logistique. Le corridor Lviv-Pologne fonctionne toujours à l’heure actuelle.
Lorsque j’arrive je me trouve dans la seconde gare routière de la ville, celle située à côté du poste de police. Je ne comprends pas un mot des différents dialectes qui fusent autour de moi. Je jargonne seulement quelques phrases en russe. La dame qui effectue l’accueil pour les toilettes est presque aussi désagréable que le chauffeur de bus polonais qui nous a conduits ici. En sortant, j’arrive à trouver un groupe de personnes avec qui parler en anglais, il me semble d’emblée que les Ukrainiens sont bien mieux éduqués et bienveillants que la majorité des Polonais.
Vous l’avez compris, je ne porte pas vraiment la Pologne dans mon cœur, mais, avant de vous insurger, laissez-moi vous indiquer pourquoi : premièrement, car leur arrogance l’emporte sur leur hospitalité, sûrement un héritage de Jan Krassowski qui les empêche de vous indiquer la route quand vous cherchez votre chemin, et, deuxièmement, car ils se comportent avec les Ukrainiens de manière exécrable sous prétexte qu’ils font partie de l’Union européenne. Au retour de mon premier séjour, en passant par le checkpoint de Krakowvetz, j’ai même dû taper du pied pour qu’ils les laissent prendre un café en dehors de la salle réservée pour eux, lorsqu’ils ont vu mon passeport français leur ton a immédiatement changé, attitude lâche et qui s’est répétée à plusieurs reprises. Ceux qui ont pris le bus dans cette région seront sûrement d’accord avec moi.
Les Polonais ont d’ailleurs la mémoire courte car, avant 2004 et l’élargissement de l’Union européenne à leurs frontières, ils reprochaient le même genre de comportement aux Allemands. Néanmoins soyons pragmatiques, en matière de politique extérieure, elle se positionne sur une ligne qui va dans l’intérêt de Kiev et de la défense de sa souveraineté. Certes il y a quelques frictions, notamment avec certains agriculteurs qui n’acceptent pas l’accord céréalier, et l’absence de taxes sur les produits venus d’Ukraine, mais, dans l’ensemble, elle soutient son voisin attaqué. Une fois mon bus trouvé, je me dirige vers une mauvaise adresse qui m’éloigne de 40 minutes du logement que j’ai loué via un ami. En marchant, je me pose la question de savoir ce que nous connaissons de l’Ukraine.
Disons que nous avons, pour la plupart, toujours regardé ce côté de l’Europe avec un intérêt poli, comme un ancien pays satellite de l’URSS. Arrêtons-nous là un moment et refaisons l’historique des différents événements majeurs qui ont marqué ce pays, chacun mérite plusieurs livres, donc je vais tâcher de les synthétiser par ordre chronologique. Il y a eu les accords d’indépendance de 1991, le mémorandum de Budapest en 1994, la révolution Orange en 2004 et enfin la révolution de la Dignité en 2014, dite Euromaïdan, qui a vu le président Ianoukovytch être destitué après sa fuite auprès de groupes pro-russes à Kharkiv. Celle-ci a suivi l’échec de l’évacuation de la place Maïdan, le 20 février, qui s’est soldé par 82 morts et 622 blessés. Ianoukovytch a ensuite été déclaré dans l’incapacité d’exercer ses fonctions par la Rada, le parlement Ukrainien, et des élections présidentielles anticipées ont été fixées au mois de mai suivant. Celles-ci ont vu Petro Porochenko lui succéder et une dé-soviétisation du pays a commencé à cette période. La suite tout le monde la connaît, Poutine a considéré ce changement de gouvernement comme une provocation et l’a interprété comme un coup d’État, ce qui aboutira à l'invasion de la Crimée quelques mois plus tard. Cette guerre entamée à grande échelle à l’initiative du Kremlin a, en réalité, commencé à ce moment-là, et de façon larvée, jusqu’à la tentative d’invasion totale, le 24 février 2022.
Cette prise de la Crimée a été une étape importante concernant le développement d’une sensation de ressentiment entre russophile et ukrainophile dans le Donbass. On peut dire qu’il y a deux bassins, démographiques et linguistiques, différents sur ce territoire. Au sud et à l’Est, la population est russophone sans être russophile, là est la subtilité, ils souhaitent continuer à parler russe tout en restant ukrainiens. Le second, lui, se situe au Nord et plus on se rapproche de l’ouest, plus la population est réticente à l’idée de parler russe.
Géographiquement, ce contraste s’explique de manière synthétique, la partie ouest du territoire reçoit l’influence culturelle des pays frontaliers membres de l’Union européenne, et sont majoritairement plus riche. Les territoires à l’Est subissent le revers des successions de désillusions politiques depuis 1991 jusqu’à l’invasion de 2022, ils sont en première ligne avec Kiev, voisine de la Biélorussie, depuis cette période. En Ukraine il est assez aisé de parler de guerre, mais la paix reste un sujet tabou. Cela offre une tribune considérable à ceux dont l’orgueil est suffisamment développé pour leur laisser penser que leurs idées sont les meilleures à appliquer. Tous les espoirs leur sont permis et la multitude de programmes politiques, plus farfelus les uns que les autres, ont la possibilité de s'instiller dans l’opinion publique, comme une porte de sortie possible vers une autre salle d’attente idéologique.
À certains moments, j’essayais de discuter d’une possible fin du conflit selon des conditions favorables à l’Ukraine ; beaucoup feignaient de ne pas comprendre ou répondaient à côté, par peur de la censure. Je voulais des réponses tranchées, tandis qu’ils dénouaient les nœuds présents dans leur cerveau pour s’exprimer par des phrases parfois sans rapport avec le sujet.
Sur un plan constitutionnel, l’Ukraine est composée de 27 oblasts, régions en français, chacun dirigé par un gouverneur et plusieurs députés élus à la Rada, à laquelle ils sont rattachés. La Rada assure le pouvoir exécutif avec le président Zelensky à sa tête depuis 2019, du fait de l’invasion russe il n’y a pas eu d’élections en 2024. Certains y voient un déni de démocratie, mais on peut comparer cette situation à celle du Royaume-Uni durant la Seconde Guerre mondiale, et sa « méthode Churchill ». Nous aurons l’occasion de revenir dessus dans le chapitre final consacré au plan de paix et aux alternatives citoyennes, qui peuvent pallier cette absence de scrutin présidentiel.
Pour en revenir aux oblasts, chacun d’entre eux possède ses propres spécificités. Pour m’être rendu à Lviv, Kiev, Kharkiv et Odessa, je peux dire que chaque ukrainien à une vision différente de la guerre et que son originalité épouse les particularités de sa région. Il ne faut pas venir sur ce territoire rempli de certitudes ou de suffisances, car chaque journée passée ici en ternira le sentiment pour ne laisser qu’un constat d’ignorance.
Néanmoins, là où chaque ukrainien se rejoint, c’est sur la nécessaire victoire du pays.
Je me rappelle une dame rencontrée dans un train, non loin de Poltava, qui m’a demandé si son peuple allait gagner. Bien évidemment, je ne suis pas Nostradamus, mais, pour la rassurer, je lui dis que oui, ce à quoi elle me répond : "Dans tous les cas, il faudra nous tuer jusqu’aux derniers".
Pour nuancer ses propos, je peux aussi dire que j’ai rencontré des gens plus modérés, souvent car ils n’ont pas eu de décès dans leurs familles ; ils souhaitent une paix juste et réalisable.
De ce que je vois, chaque ukrainien balance entre l’une ou l’autre de ces positions, mais tous se retrouvent sur la nécessaire garantie de leur souveraineté ainsi que la victoire.
Sur un plan démographique, la population est composée à 80 % d’Ukrainiens, parmi lesquels on peut intégrer la minorité ruthène. Cette population slavophile parlait le ruthène, une langue éteinte, mais qui est la souche de l’ukrainien moderne, du biélorusse ainsi que du rusyn contemporain. Les houtsoules sont une population nomade de montagnards qui trouve son origine dans les Carpates. On compte également 17% de Russes, le reste est un mélange des différents peuples du Caucase : arméniens, tatars, bulgares … et environ 400 français.