Un an - Sophie Villard - E-Book

Un an E-Book

Sophie Villard

0,0

Beschreibung

Emma est une étudiante qui, ses études terminées, se prépare à affronter la vie professionnelle. Idéaliste et sensible, une rencontre dans une soirée étudiante la projette dans un parcours amoureux rempli de sublime, de découvertes émotionnelles et de déceptions. Commence alors un cheminement sentimental que son moi intérieur, brisé en mille morceaux, rend chaotique.
L’anorexie, la boulimie et les scarifications jalonnent son itinéraire et lui font vivre avec une intensité désespérée chacune de ses rencontres.
Au fil du temps, des amitiés et des amours, elle grandit, chute… Finira-t-elle par trouver une issue de résilience ?
Plus qu’une histoire fictive, Un an est un appel à la conscience de tous et de chacun face aux cris muets de ces personnes qui souffrent psychologiquement.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sophie Villard décide de coucher sur le papier, sans fard et sans jugement, la très douloureuse expérience des jeunes femmes anorexiques et boulimiques au travers de Un an, son premier roman.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 227

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Sophie Villard

Un an

Roman

© Lys Bleu Éditions – Sophie Villard

ISBN : 979-10-377-3488-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Chapitre 1

La dernière fête de l’école

25 avril

Avril éblouissant. Éclats de jour par la fenêtre. Mon regard est posé sur les couleurs claquantes du jardin. Tulipes jaune pétillant, orange craquant, rouge vibrant. Les couleurs deviennent des points dansant devant mes yeux à force de les regarder. Puis je ne les vois plus, mes yeux clairs fixés sur le petit jardin de mes parents ne voient plus rien, je rêve et j’écoute mon cœur chargé d’émotion. Sa puissance m’intrigue. Je me sens nerveuse et excitée. Les deux à la fois. Terriblement tirée vers autre chose. Ça vient. Ça arrive. Il faut que je bouge, il faut que je m’extraie de cette immobilité, il faut que je me prépare.

J’ai passé l’après-midi à attendre ce moment, assise dans le canapé du salon, à essayer de lire, sans succès, la tête tellement prise à la perspective de la soirée qui s’annonce que je n’ai pas pu me concentrer. Je suis restée à rêver, le regard vide, posé sur le jardin et ses couleurs vives. J’ai attendu des heures. Maintenant, c’est là. Le soir tombe. Il est temps. Je fais un effort énorme pour bouger, pour m’extraire de l’immobilité, mais dès que les bras bougent, le corps suit, et maintenant il court presque, le cœur bat comme un gong, enfin, enfin ! Je sors du salon où j’ai passé les dernières heures, je monte quatre à quatre les marches entre le salon et la salle à manger que je traverse presque en courant, puis le petit hall de l’entrée, et enfin l’escalier étroit qui mène aux chambres. Je grimpe l’escalier, et en haut, au premier étage, sur le petit palier, enfin ma chambre.

Fermer la porte, ouvrir la fenêtre, il fait trop chaud, j’étouffe. Ouf, un peu d’air. Je me jette sur mon lit, je laisse mon cœur se bousculer contre les parois de ma cage thoracique, boum boum boum, allez, lâche-toi, je vais pouvoir enfin être heureuse, la soirée arrive. Je m’allonge sur ma couette en broderie anglaise blanche, j’étire mes bras et mes jambes, et je regarde les rayons du soleil qui se jettent sur les murs bleus. L’air et le bruit ont fini de me réveiller, je me lève et je commence à me préparer.

Je m’active, de plus en plus excitée. J’allume la radio… hmm les tubes du hit-parade : Être une femme libérée, tu sais c’est pas si facile. J’adore ces paroles de la chanson de Cookie Dingler. Ça me fait rire, mais je ne suis pas sûre que cela s’adresse exactement à moi. Est-ce que je suis une femme libérée ? Je suis à peine une femme, juste une très jeune femme de 21 ans qui se prépare à sortir ce soir…

Je regarde le macho qui dort à côté de moi… Non, je ne ramène pas des machos dans mon lit comme dit la chanson, mais oui, je me sens libérée dès que je sors de chez mes parents où je vis encore, et surtout dès que je vais danser.

Elle rentre son ventre à chaque fois qu’elle sort. Ce soir, je sors et contrairement à Cookie Dingler je n’ai pas besoin de rentrer mon ventre, je suis tellement mince.

« Je dois être belle ce soir. »

« Allez, ma jolie robe, viens sur moi que je voie comment tu me rends belle : tu as une belle couleur rose, ça me va bien au teint, j’aime ton tissu de taffetas, c’est beau. J’aime comme tu prends bien ma taille, et mes seins, et le fourreau bien ajusté, et le nœud derrière. Hmm mon beau miroir, qu’est-ce que tu en penses ? Ça va. C’est réussi. Je n’aurai pas l’air trop misérable ce soir. »

Je me regarde dans le miroir de ma penderie, et je suis satisfaite du résultat : ma jolie robe de soirée bustier en taffetas rose est du plus bel effet, je suis assez jolie !

« Maintenant, au maquillage : un peu de poudre matifiante, un trait de crayon noir le long des yeux, ah mes beaux yeux bleus, très clairs, presque transparents ! j’adore, du gloss brillant sur les lèvres, et dans mes cheveux, une barrette pour les ramener sur le dessus de ma tête comme le fait Madonna. Ça prend forme. Bon, qu’est-ce que j’oublie ? Des chaussures : des escarpins vernis noirs, mon mini sac à main, et hop ! je fourre dedans mes cigarettes, le briquet, le permis de conduire et les clés de la maison. Je suis comme Cendrillon qui se rend à son bal, je suis aussi excitée qu’anxieuse ! Mais Cendrillon est une idiote qui a besoin d’une fée marraine et moi, je n’ai pas de fée dans ma vie. Je me débrouille toute seule comme toujours. Je ris intérieurement. Il n’y a pas de fée ni de prince charmant. »

Être une femme libérée, tu sais c’est pas si facile.

Ainsi prête, je descends à la cuisine où je sais que se trouve ma mère. J’ai prévu de lui emprunter sa voiture, ce qui est courant chaque fois que je sors, et donc lui demander les clés. Maman préfère nous prêter sa voiture plutôt que de nous laisser véhiculer par n’importe qui, une précaution que j’apprécie aussi. Je lui demande : « Maman, où sont les clés de la voiture ? »

Elle me dit : « Sur le meuble de l’entrée. Tu pars bientôt ? À quelle heure est-ce que tu rentres ? »

Trop de questions. Ça m’ennuie. Je réponds du bout des lèvres : « Je ne sais pas, m’man, mais c’est sûr, je rentre tard. » Je prends les clés, le cœur battant, j’ouvre la porte de la maison et je m’en vais. Il est 19 h 30, c’est ma dernière grande soirée à l’école, et j’ai bien l’intention d’en profiter.

Je ne sais pas à quelle heure je vais rentrer, probablement au petit matin, ou alors je ne rentrerai pas, je dormirai chez mes amies Mathilde ou Clémence, que je retrouve ce soir ; je le fais souvent après les fêtes partagées ensemble ; mais je n’ai pas envie de le dire à ma mère, elle poserait trop de questions, elle se ferait peur toute seule, elle aurait peur que ce ne soit pas vrai et que je reste dormir n’importe où et elle va me stresser avec cela. Je n’ai aucune envie de discuter avec elle, ni maintenant ni un autre jour, j’ai l’impression qu’elle ne m’écoute pas et ne me fait pas confiance, et bien sûr cela m’énerve énormément. J’ai 21 ans, je suis libre, mais je suis aussi plutôt calme, assurée et raisonnable, et je ne me mets jamais dans des situations qui seraient hors de mon contrôle. Je suis capable de me lancer dans des projets qui semblent extravagants pour ma pauvre mère, mais qui ne sont finalement que des projets de mon âge et de mon époque. Au fond, ce qui est difficile à comprendre pour ma mère, c’est que je puisse agir de ma propre volonté, sans être chapeautée par un frère, un père ou un petit ami.

Je monte dans la voiture de maman garée devant la maison. Je mets les clés dans le démarreur et prends la route. J’ai à peine une heure de trajet, un trajet que je connais par cœur. Pendant que je conduis, toutes les images et les sensations des trois dernières années passées à l’école me reviennent vivement en mémoire. J’ai profité à fond, pendant mes études, de toutes les soirées de l’école : les grandes soirées prestigieuses, et les petites, les toutes petites soirées du mercredi soir où j’ai adoré aller danser. L’école m’a révélé à quel point j’aime m’amuser et surtout danser, une image qui n’était pas du tout la mienne lorsque je suis arrivée là, il y a 3 ans, fraichement issue de mes concours ; bien placée au classement, j’ai eu immédiatement la réputation d’une bucheuse, d’une forte en maths, d’une première de la classe. Et cette réputation traîne derrière elle des relents de fille intelligente, mais ennuyeuse ; et même souvent de fille moche ; mais là, ce n’était pas le cas, car je suis mince et jolie. On venait me voir pour me demander de travailler avec d’autres camarades, pour participer à leurs projets pour avoir les meilleures notes possibles, mais pas pour sortir et s’amuser.

J’ai eu du mal à me faire de vraies amies, comme Mathilde et Clémence et Anaïs et Nina. Au début, j’étais tout le temps abordée par toutes sortes de personnes, en général pour des demandes de conseils sur les cours ; je répondais gentiment, mais après c’était fini, la relation ne durait pas, je ne revoyais jamais les personnes. J’ai même été abordée pour passer des examens à la place d’un autre élève ! Incroyable ! J’ai été choquée, jamais je n’avais vu cela. Bien sûr, j’ai refusé. Petit à petit, je me suis forcée à ne plus répondre favorablement aux demandes, je me suis enfoncée dans le suivi de mes cours qui me passionnaient. J’ai rencontré mes amies en cours, un peu par hasard : Mathilde, sur un projet de marketing, en travaillant ensemble, nous avons a flashé l’une sur l’autre, que de fous rires nous avons eus ! Clémence et Anaïs sont des amies de Mathilde et nous avons rapidement formé un groupe de 4 amies, et nous avons fait en sorte de nous inscrire dans les mêmes cours. Clémence affectionne les cours d’audit, Anaïs les cours de droit.

Les soirées de l’école me reviennent en tête avec une forte nostalgie : les Rita Mitsouko, Indochine, Téléphone, Mickaël Jackson, U2 et Madonna m’ont fait vibrer tous les mercredis pendant trois ans, et ce soir, la musique et l’ambiance survoltée de ces soirées étudiantes résonnent encore dans ma tête. J’ai aimé danser, danser, encore danser, j’ai aimé me laisser porter par la musique, sentir les vibrations du tempo animer mon corps, sentir ma tête se vider au fur et à mesure des danses, et ne plus penser à rien qu’au rythme qui entraîne, aux tubes à la mode qui font comme une irrésistible envie de se lancer sur la piste de danse.

Jamais on ne dira le caractère exutoire des soirées étudiantes, surtout pour les étudiants sérieux qui s’investissent dans leurs études ; car pour ceux qui passent leur temps à traîner au café, sèchent les cours et emballent rapidement leurs révisions la veille des examens (et j’en connais beaucoup !), une soirée n’est qu’un moment festif comme un autre dans un emploi du temps finalement assez agréable.

Mais pour une grosse bosseuse comme moi, sortir est un moment exceptionnel, hors du temps, hors des contraintes, hors des pressions. Sortir, c’est ne plus penser à la masse de travail et aux problèmes à résoudre, aussi agréable que soit cette activité intellectuelle que j’aime, sortir c’est oublier les problèmes d’argent, la recherche continuelle d’emploi étudiant pour financer les études, les vêtements et les sorties ; sortir, c’est oublier l’ambiance familiale de plus en plus pesante où le dialogue avec les parents et la fratrie sont réduits au strict minimum ; sortir c’est oublier que les études bientôt s’arrêtent et qu’il faudra bientôt, très bientôt trouver du travail. Danser est devenu pour moi comme une bulle de légèreté absolument indispensable pour renouveler l’air de mes poumons, et les pensées de mon cerveau.

J’ai aussi aimé ces soirées parce que cela me donne une occasion supplémentaire de rester dormir chez mes amies, Mathilde, Anaïs, Clémence, dans leur appartement qu’elles partagent en colocation et donc de passer du temps avec elles, dans leur petit cocon. Moi qui habite à moins d’une heure de l’école, je n’ai pas eu la contrainte, la chance d’avoir un appartement à côté de l’école, ce n’était pas une obligation. Déjà très serrée financièrement à payer mes frais de scolarité, je ne peux pas me permettre de prendre un appartement. Dormir chez les copines m’évite le retour de nuit chez les parents, mais surtout, ça m’évite les parents tout court ! Quelle horreur cette vie de famille qu’il m’a fallu subir encore pendant ces dernières années d’études !

Je squatte régulièrement l’appartement de mes amies, et si je trouve la ville pas belle, trop bétonnée et trop grise, et les appartements en colocation des étudiants miteux, dans des HLM mal entretenus qui sentent mauvais, je préfère mille fois rester là dans les HLM moches plutôt que d’être chez les parents. Bien de fois, j’ai dormi en vrac, sur un matelas par terre, dans un sac de couchage, dans l’appartement de mes copines, sans regretter mon beau lit douillet dans ma chambre de jeune fille aux murs bleus.

Ce soir est une soirée différente. Unique. Cette soirée n’est pas réservée aux étudiants de l’école, c’est une grande manifestation payante, très courue par les étudiants des autres établissements. Je l’ai fréquentée les années précédentes. C’est la folie. Dans l’école ouverte au public, il y a plusieurs concerts, plusieurs espaces discothèques, et plusieurs bars. Je sais que je vais trouver les couloirs, les bars et les espaces de danse bondés.

Je suis arrivée sur le parking de l’école. Je trouve difficilement une place, beaucoup de monde est déjà arrivé. Je fais longtemps la queue pour déposer mon manteau et mon sac au vestiaire. Je m’impatiente, personne dans la foule que je connaisse encore, je suis pressée de retrouver mes amies. Je me montre dans ma jolie robe en taffetas rose et mes souliers vernis noirs, je me sens jolie. Tout va bien. J’entre. Comme prévu, les espaces sont remplis de monde, des étudiants qui circulent difficilement dans les couloirs d’habitude si faciles à parcourir. L’air est saturé de sons extrêmement forts venant de partout, et de fumée de cigarettes aussi. Dès que j’arrive à l’entrée, je vois Clémence, qui ce soir est bénévole dans l’organisation et se charge d’orienter les étudiants. Mon cœur bondit de joie, Clémence est si gentille, toujours prête à rendre service.

« Bonsoir, Clémence, ma puce, tu vas bien ? »

« Bonsoir, Emma. Oui, ça va, tu viens d’arriver ? »

« Oui et je te cherchais ! Quel courage tu as ! Tu ne veux pas venir t’amuser avec moi ? »

« Tu sais, j’ai encore du boulot, regarde ce monde. Bon, dans une heure, j’ai fini, on essaie de se retrouver au bar de la mezzanine ? »

« On peut essayer, j’espère ne pas te perdre, en attendant est-ce que tu as vu Mathilde ou Anaïs ? »

« J’ai vu Mathilde, il y a dix minutes, elle allait au bar du Bureau des Sports. »

« Le Bureau des Sports, ou BDS », je pense, « pas étonnant que Mathilde y soit, elle va retrouver son boy-friend favori » et le boy-friend de Mathilde est un rugbyman grand comme une armoire à glace qui se fait surnommer Manu. Mathilde en est littéralement folle, elle le regarde avec un air fasciné et rit à chacune de ses blagues, qu’il ne cesse d’envoyer à la cantonade avec sa grosse voix et son accent du Sud-ouest.

Je laisse ma jolie Clémence avec sa frange brune sur les yeux et je me fraie un passage dans la foule énorme. En fait, je suis déjà survoltée à l’intérieur par la musique et les ondes d’extrême excitation qui circulent dans la foule, j’ai une envie folle de me laisser aller et m’amuser. J’arrive au bar du bureau des Sports, je repère Mathilde à l’entrée, en discussion avec un ami de Manu.

« Salut Mathilde. »

« Salut Emma. »

Mathilde m’embrasse et me complimente « j’adore ta robe ».

Ça me fait plaisir et ça me rassure : ma robe fait son effet. Ce n’est jamais évident pour moi de savoir comment m’habiller et si je vais plaire. Mathilde en revanche est fidèle à elle-même, pas très bien mise, dans une jupe bleue vaguement brillante et trop longue et un corsage ample qui ne la met pas en valeur. Avec ses cheveux bouclés courts et ses petites lunettes rondes, elle fait vraiment étudiante typique, peu soucieuse de son look, mais toujours de bonne humeur et toujours souriante.

« Je suis tellement contente de te voir, Mathilde, est-ce que tu as vu Anaïs ? »

Mathilde se retourne et me montre du doigt Anaïs, une grande jeune femme aux longs cheveux auburn qui est dans le fond du bar. Anaïs est en grande discussion avec trois ou quatre jeunes gens qui la mangent des yeux. Il faut dire qu’Anaïs est la beauté du groupe : longue et mince, avec un beau visage aux traits fins et distingués ; elle a beaucoup d’allure et se fait beaucoup remarquer. Elle porte ce soir une ravissante robe bustier noire qui met en valeur sa ligne magnifique. Connaissant l’aristocratique Anaïs (elle porte un nom à particule), je suis presque sûre que c’est une robe de couturier. Mince, est-ce que ma robe rose va soutenir la comparaison ? Je m’approche.

« Magnifique, Anaïs, tu es magnifique, quelle allure, on dirait une star. »

Anaïs et moi éclatons de rire et nous nous embrassons joyeusement, contentes d’avoir reformé le groupe. Nous rejoignons Mathilde, et Anaïs se décide à abandonner ses admirateurs pour aller à la découverte des lieux et des animations de la soirée. Nous ressortons dans le couloir principal noir de monde, et en jouant des coudes nous revenons vers l’entrée où nous récupérons Clémence.

« Allez, viens Clémence, on va s’amuser maintenant. »

« Mais je n’ai pas tout à fait fini », répond la jeune femme.

« Ce n’est pas grave. Tiens, regarde, ils sont assez nombreux, ils peuvent faire sans toi. »

« Bon, allez, tu as raison, je meurs d’envie de danser. »

Clémence vient avec nous et maintenant enfin à quatre nous déambulons dans les locaux, de couloir en couloir et de discothèque en discothèque. Nous croisons tellement de monde que nous passons notre temps à faire des bises et discuter. Et danser aussi. Danser sur les rythmes effrénés des discothèques, celle du gymnase avec le concert d’axel Bauer, « Cargo de nuit », résonne dans ma tête.

Je me laisse littéralement emporter par la frénésie de l’ambiance, les vibrations de la foule qui bouge, tourne, gronde.

Une piste de danse est aménagée dans le carré du grand hall. Une foule compacte se tient autour du carré, et de nombreux couples dansent un rock’n’roll sur la piste.

« Tainted love » jette ses premières notes. Un frisson me parcourt, c’est un tube de ces dernières années, je l’ai dansé à chacune des boums de mon adolescence : il faut que je le danse encore ce soir.

« Je ne vais pas attendre qu’on vienne m’inviter », pensai-je.

Je jette un coup d’œil autour de moi pour repérer un cavalier : tiens, Stanley est au bord de la piste, il est libre, je l’aborde et lui demande de danser avec moi. Nous voilà partis dans une danse très enlevée. Stanley danse bien, j’aime encore plus effectuer les figures du rock, je me débrouille pas mal. Je sais que je manque parfois un peu de technique, parce que je n’ai jamais pris de cours, pas comme les copines qui sont allées en cours et dans des rallyes, mais j’ai le rythme, un rythme très soutenu, et je suis capable de sauter en dansant pendant de longues minutes sans être fatiguée. Après « Tainted Love », le DJ passe « l’Aventurier » d’Indochine, j’enchaîne avec Stanley. Après cette deuxième danse, nous avons le souffle coupé et sommes hilares de cette prestation. Stanley m’invite à prendre un Coca avec lui et j’accepte pour souffler un peu. On fend la foule vers le fond du hall où se trouve le bar. Stanley joue des coudes pour atteindre le serveur et passer sa commande. Là, je n’ai pas le temps de boire mon Coca, je rencontre Martin qui m’invite immédiatement à danser, et je repars pour une série de danses. Stanley ne m’en voudra pas, lui aussi il a rencontré une de ses amies.

« Billie Jean » de Mickaël Jackson crie dans les haut-parleurs et c’est la folie, un frisson parcourt la foule des étudiants survoltés. Puis « Everybody wants to rule the world » de Tears for Fears, « Je dois m’en aller » de Niagara, « Sweet dreams are made of tears » d’Eurythmics, « Voyage, voyage » de Desireless, « New York avec toi » de Téléphone, « heart of glass » de Blondie… Je pourrais continuer comme cela toute la nuit, sans sentir la fatigue ni les heures qui passent.

2 h

Après deux heures, peut-être trois de danse, je me mets sur le côté pour prendre un peu de repos… Mes amies se sont dispersées, volatilisées, évaporées, perdues dans la foule, à moins qu’elles n’aient rejoint un petit ami. Je me tiens sur le côté du hall là où la foule est moins dense, je regarde les danseurs sur la piste, et je regarde passer tous ces couples et ces groupes d’amis. Tout à coup, mon regard est attiré par une magnifique longue chevelure blonde bouclée, je souris à pleine bouche : je viens de reconnaitre Nina.

« Nina, attends, j’arrive », je me précipite vers elle pour ne pas la perdre de vue.

« Nina, comme je suis heureuse de te voir, j’avais peur de ne pas te croiser ce soir. »

Nina lance vers moi ses jolis yeux verts en amande, et sourit. Elle est accompagnée d’un grand gaillard blond, l’air décontracté et dégingandé : c’est Antoine, son petit copain. Nina est une amie aussi précieuse qu’Anaïs, Mathilde et Clémence, mais elle ne fait pas partie de notre groupe, car elle vit déjà en couple, et à Paris, avec Antoine. Chaque fois que je la vois, mon cœur bondit et je me sens inondée de bonheur. Elle fait cet effet, Nina, une vague de bonheur. Comment ne pas se sentir bien devant ce ravissant visage enfantin, avec son magnifique sourire aux dents éclatantes, et ces yeux verts pétillants ? Et puis Nina a toujours quelque chose de gentil à dire. Elle respire la bonté. Pour moi, Nina c’est une petite fée qui illumine mon existence.

Elle me dit : « Tu as bien dansé ce soir ? Tu as vu tout ce monde ! On peut à peine bouger ! »

Je réponds : « Oh oui, j’ai énormément dansé, et ce n’est pas fini ! mais là, je me repose un peu ! Et toi, qu’est-ce que tu fais ? » Elle me dit qu’elle était en train de se diriger vers le bar à cocktails, elle a envie d’une petite cachaça.

« Tu viens avec nous ? Je vais te faire goûter », me dit-elle. Je ne sais pas ce que c’est qu’une cachaça, alors intriguée et amusée, je suis Nina et Antoine vers le bar à cocktail. Nous parcourons quelques couloirs toujours bondés de monde, et nous arrivons dans une salle plus calme, à la lumière tamisée et la musique latine, où de grands canapés bas sont installés un peu partout autour de tables basses. Nina, Antoine et moi arrivons à trouver une table libre et nous nous affalons dans les canapés confortables.

« Regarde Emma », dis Nina « c’est un peu comme au Brésil, il y a la musique, la chaleur, l’ambiance, et la cachaça. »

« C’est quoi la cachaça ? » dis-je.

Antoine rit « tu vas voir » et il en commande trois, une pour chacun.

Le serveur revient avec trois petits verres remplis d’un liquide transparent et de glace. Je pose mes lèvres sur le bord, c’est sucré et ça ressemble à du rhum. C’est bon. Je bois une gorgée et le liquide alcoolisé se répand en brulant dans mon estomac qui n’a rien bu d’alcoolisé de la soirée. Immédiatement, je me sens bien, et je remercie ma petite fée Nina de ce moment de pure douceur.

« Tu sais Emma, c’est l’alcool national au Brésil », me dit Nina.

Je souris, je me rappelle que Nina est une danseuse passionnée de samba, et qu’elle ambitionne de participer au prochain Carnaval de Rio. Non sans une ombre de déplaisir, il me revient en mémoire que Nina n’a pas prévu de s’éterniser à Paris dès que ses études seront finies, elle souhaite trouver un travail dans une entreprise française au Brésil. Et nos études sont sur le point de se terminer, dans un mois, les cours sont finis, la dernière année d’école est terminée et tout le monde se dispersera, le diplôme en poche. Je ne veux pas perdre Nina, mais son petit visage à la peau dorée s’illumine dès qu’elle parle du Brésil, elle dit qu’elle est une fille du Sud – elle est originaire de Toulouse –, et qu’elle a besoin du soleil et de l’ambiance de là-bas, qu’elle dépérit à Paris.

« Alors quand est-ce que tu pars au Brésil ? » lui demandé- je pour lui faire plaisir et lui faire parler de son sujet favori.

Elle me répond : « Je ne sais pas, j’ai commencé à prendre des contacts à Sao Paulo, avec l’aide de l’ambassade du Brésil à Paris, j’ai quelques pistes, mais rien de sérieux pour l’instant on verra. »

« Et qu’est-ce que tu peux avoir comme travail là-bas ? » demandé-je. « Il y a des jobs intéressants ? »

« Oh, pour l’instant ça ne se présente pas trop mal, L’Oréal par exemple recherche des assistants marketing. »

« Pas mal. Mais il faut surement parler portugais, tu en es où de tes cours ? »

« Eh bien, je continue, j’ai même intensifié, j’y vais deux fois par semaine en ce moment jusqu’à la fin de l’année. »

« Ah, bien ! Et ils vont te demander un test de langue pour avoir le job ? »

« Probablement », répond Nina, « mais je me débrouille assez bien, tu sais et sinon, je parle bien anglais, ça sert toujours. »

Après un moment à discuter du Brésil et du projet de Nina, je sens que si je ne bouge pas, je vais m’endormir. Il faut que je bouge.

« Nina, tu viens danser avec moi ? » Je ne suis pas encore lassée de tant de musique et décibels, je veux y retourner.

« Mon Emma, comme tu y vas, je crois que je vais rester encore un moment ici avec Antoine, et puis on verra. »

« Alors, ne m’en veux pas, mais je retourne danser. »

« Bises, mon Emma, à bientôt ».

Je fais la bise à ma fée Nina et aussi à Antoine, et je retourne vers le grand hall espérant y trouver une ambiance pour danser, et peut-être y retrouver Mathilde, Clémence et Anaïs. Mais quand j’y arrive, la musique ne m’attire pas, je ne trouve personne que je connais pour danser et je ne vois pas mes amies. Je me dirige vers la discothèque du gymnase, je ne les trouve pas non plus, aussi et je reste là un moment à écouter la musique, les oreilles sonnées par tant de bruit. Je sens une fatigue m’envahir, il est quand même passé 4 heures du matin.

Finalement, je me dirige vers la mezzanine, où je m’effondre dans un fauteuil du bar. Et là, surprise j’entends qu’on m’appelle par mon prénom : « Emma, Emma. »

Je regarde autour de moi et j’éclate de rire. C’est T., un camarade d’amphi qui me tourne pas mal autour en ce moment.

« Ainsi, il m’a trouvée, parmi tout ce monde… »

Ça me fait comme un chatouillis sur le cœur. Il me semble que j’avais envie de cela depuis très longtemps, sans oser le demander. Être avec T. Embrasser T. Je me lève et m’approche de lui, toute frémissante, et je lui fais la bise, heureuse de me pencher vers sa joue dorée. Bon Dieu pourquoi est-ce je ne l’embrasse pas sur les lèvres ? Mince, je suis bien trop timide et trop bien élevée.