Uncharted - Nicolas Deneschau - E-Book

Uncharted E-Book

Nicolas Deneschau

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Beschreibung

Plongée dans les coulisses de l'incroyable série !

Uncharted prend toutes les allures du grand classique d’aventure, dont on aimera se remémorer les meilleurs passages et savourer les précieuses répliques. Une chose est certaine : peu de séries vidéoludiques n’avaient auparavant autant mérité ce qualificatif. Ce livre, outre la découverte des arcanes de la création de chacun des titres qui composent la saga, vous permettra de fouiller dans son univers et d’y découvrir les inspirations historiques de cette dernière. Vous constaterez alors que la grande Histoire n’a rien à envier aux péripéties de notre héros.

Découvrez l'univers et l'histoire de l'Indiana Jones des temps modernes !

EXTRAIT

Lors d’une interview accordée au site américain IGN, Tate Mosesian raconte ses premiers jours chez Naughty Dog au moment de son arrivée en 2002 : « Il suffisait de rentrer dans le studio pour que la magie opère. Sans doute possible, ces types travaillaient dur pour faire sortir le meilleur d’eux-mêmes... Et chaque jour passé en ces murs vous faisait invariablement progresser. Tout ce qui concernait la réalisation du jeu était d’un professionnalisme indiscutable... Mais tout le reste n’était qu’un vaste bordel. C’était l’anarchie. L’état même des locaux était à mille lieues de ce qu’on pouvait imaginer d’un studio qui produit des jeux triple A. Lors de mon arrivée, je n’avais même pas d’ordinateur pour travailler... Le second jour, j’avais enfin une machine, en vrac, et le clavier était recouvert de sauce spaghetti..Alors, même si j’aurais préféré que mon prédécesseur fasse un peu le ménage, je dois reconnaître qu’il n’y a pas d’endroit plus fantastique et plus stimulant pour créer. Ces mecs sont fous, mais ils sont incroyables... ».

À PROPOS DES AUTEURS

Omnivore gavé de Kaiju-Eiga, de films de SF en noir et blanc et de romans de piraterie, Nicolas Deneschau tente encore de retrouver son poulet en caoutchouc avec une poulie au milieu. Passé par la case cinéma via Cinegenre.net avant de traîner sa plume sur le site Merlanfrit, il collabore aujourd’hui avec Third Éditions.

Féru de jeux vidéo et de cinéma fantastique depuis sa plus tendre enfance, Bruno Provezza a occupé de 2002 à 2006 la fonction de rédacteur en chef du site officiel du magazine Mad Movies, avant d’intégrer la rédaction du mensuel papier. Il y a également dirigé le numéro hors série consacré aux jeux vidéo. Collaborateur de Gameblog.fr de 2008 à 2014, il œuvre par ailleurs en qualité de traducteur pour le compte des éditions Flammarion et Pix’n Love.

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À Antoine, mon petit aventurier...Nicolas

Uncharted. Journal d’un explorateurde Nicolas Deneschau et Bruno Provezza est édité par Third Éditions 32 rue d’Alsace-Lorraine, 31000 TOULOUSE [email protected] www.thirdeditions.com

Nous suivre : @ThirdEditions —  Facebook.com/ThirdEditions Third Éditions —  Third Éditions

Tous droits réservés. Toute reproduction ou transmission, même partielle, sous quelque forme que ce soit, est interdite sans l’autorisation écrite du détenteur des droits.

Une copie ou reproduction par quelque procédé que ce soit constitue une contrefaçon passible de peines prévues par la loi n° 57-298 du 11 mars 1957 sur la protection des droits d’auteur.

Le logo Third Éditions est une marque déposée par Third Éditions, enregistré en France et dans les autres pays.

Édition : Nicolas Courcier et Mehdi El Kanafi Textes : Nicolas Deneschau et Bruno Provezza Relecture : Zoé Sofer et Morgane Munns Mise en pages : Julie Gantois Couverture classique : Bruno Wagner Couverture « First Print » : Sylvain Sarrailh

Cet ouvrage à visée didactique est un hommage rendu par Third Éditions à la grande série de jeux vidéo Uncharted.

Les auteurs se proposent de retracer un pan de l’histoire des jeux Uncharted dans ce recueil unique, qui décrypte les inspirations, le contexte et le contenu de ces volets à travers des réflexions et des analyses originales. Uncharted est une marque déposée de Sony Computer Entertainment. Tous droits réservés.

Les visuels de couverture sont inspirés des artworks des jeux Uncharted.

Édition française, copyright 2018, Third Éditions.

Tous droits réservés

ISBN 979-10-94723-87-6

AVANT-PROPOS

Si tu lis ces lignes, c’est que la poussière du désert du Rub al-Khali s’est infiltrée dans les plis de ton blouson en cuir tanné par le soleil. C’est que tes mains trahissent les semaines que tu as passées à gratter la moindre pierre des ruines d’une antique cité perdue dans une jungle menaçante. C’est que les odeurs de vieux grimoires oubliés et de torches improvisées ne te sont pas étrangères. C’est que tes blessures et multiples cicatrices n’auront pas suffi à stopper ta route sinueuse et ta passion aveugle. Et c’est probablement parce que tu ne te sépares jamais de ton colt et de ta DualShock. Sache que tu n’es pas seul, tant s’en faut.

Quand l’idée d’un livre consacré à la saga Uncharted commença à germer dans nos esprits, nous y vîmes une nouvelle occasion de nous replonger dans les titres qui firent les heures de gloire des deux dernières consoles PlayStation. Successeur spirituel d’Indiana Jones, la création de George Lucas et Steven Spielberg, Nathan se veut proche de sa source d’inspiration. Tous deux affichent une assurance de chaque instant, même dans les situations les plus extrêmes ; un humour ravageur, y compris au cours des pires difficultés ; une propension à l’extermination de masse pour le bien de l’Histoire et une vision particulièrement énergique de l’archéologie. Ils ont surtout un talent commun discutable pour mener à bien leur mission de préservation, leurs aventures se terminant invariablement par la destruction plus ou moins volontaire des trésors et des merveilles qu’ils étaient venus découvrir.

Elena, Chloé, Sam, Sullivan... au fil des épisodes, la rencontre avec ses amis, ses compagnons d’infortune, ont permis de mieux cerner qui était Nathan Drake. Autoproclamé descendant du célèbre explorateur anglais éponyme, faux-méchant, bagarreur, charmeur, chanceux, attachant et parfois mélancolique... La saga Uncharted, plus qu’aucun autre jeu vidéo n’avait su le faire jusqu’alors, est avant tout l’histoire d’un homme. Plutôt que d’incarner à proprement parler le personnage principal, la série de Naughty Dog nous invite à l’accompagner dans ses aventures. Elle nous propose de parcourir le monde, vivre des péripéties palpitantes, détruire d’inestimables reliques millénaires et faire tout exploser dans la joie et la bonne humeur aux côtés d’une fine équipe.

Si notre souhait le plus sincère reste que le lecteur puisse découvrir les arcanes de la création de chacun des titres qui composent la saga, nous espérons aussi très humblement lui permettre de retrouver une ambiance et les centres d’intérêt qui ont pu l’amener un jour à en acheter un des épisodes. Nous nous sommes donc évertués à creuser un peu dans l’univers de la série et à découvrir les inspirations historiques de cette dernière. Vous découvrirez alors peut-être que la grande Histoire n’a rien à envier aux péripéties de notre héros et qu’il existe autant de destinées extraordinaires et de mystères incroyables que ceux dépeints dans Uncharted.

Aussi intimiste que fantasmagorique, la saga de Naughty Dog nous enchante autant qu’elle nous obsède. Quelques notes de musique suffisent, et voilà que nous reprend l’envie de découvrir de nouvelles contrées inexplorées...

Les auteurs :

Nicolas Deneschau

Omnivore gavé de Kaiju-Eiga, de films de SF en noir et blanc et de romans de piraterie, Nicolas tente encore de retrouver son poulet en caoutchouc avec une poulie au milieu. Passé par la case cinéma via Cinegenre.net avant de traîner sa plume sur le site Merlanfrit, il collabore aujourd’hui avec Third Éditions.

Bruno Provezza

Féru de jeux vidéo et de cinéma fantastique depuis sa plus tendre enfance, Bruno Provezza a occupé de 2002 à 2006 la fonction de rédacteur en chef du site officiel du magazine Mad Movies, avant d’intégrer la rédaction du mensuel papier. Il y a également dirigé le numéro hors-série consacré aux jeux vidéo. Il œuvre par ailleurs en qualité de traducteur pour le compte des éditions Flammarion et Pix’n Love. Il est aussi coauteur des livres Resident Evil. Des Zombies et des Hommes, Bienvenue à Silent Hill. Voyage au coeur de l’enfer et Le professeur Polymathus dans une brève histoire du jeu vidéo, tous trois parus chez Third Éditions.

CHAPITRE PREMIER :

LA NAISSANCE DES DOGS

« Sic parvis magna. »(La grandeur vient des débuts modestes.)

Sir Francis Drake

LORS d’une interview accordée au site américain IGN, Tate Mosesian raconte ses premiers jours chez Naughty Dog au moment de son arrivée en 2002 : « Il suffisait de rentrer dans le studio pour que la magie opère. Sans doute possible, ces types travaillaient dur pour faire sortir le meilleur d’eux-mêmes... Et chaque jour passé en ces murs vous faisait invariablement progresser. Tout ce qui concernait la réalisation du jeu était d’un professionnalisme indiscutable... Mais tout le reste n’était qu’un vaste bordel. C’était l’anarchie. L’état même des locaux était à mille lieues de ce qu’on pouvait imaginer d’un studio qui produit des jeux triple A. Lors de mon arrivée, je n’avais même pas d’ordinateur pour travailler... Le second jour, j’avais enfin une machine, en vrac, et le clavier était recouvert de sauce spaghetti... Alors, même si j’aurais préféré que mon prédécesseur fasse un peu le ménage, je dois reconnaître qu’il n’y a pas d’endroit plus fantastique et plus stimulant pour créer. Ces mecs sont fous, mais ils sont incroyables1... »

Il est rare que le seul nom d’un studio soit si unanimement plébiscité. Il est encore plus surprenant que sa simple évocation s’avère source de tant d’éloges et de superlatifs, que cette même réputation puisse s’affirmer comme une marque de respect indiscutable et indiscutée. À l’origine des incroyables aventures narratives vidéoludiques que sont les sagas Uncharted et The Last of Us, Naughty Dog est aujourd’hui synonyme, dans le sérail des développeurs de productions à gros budget, de perfectionnisme technique où l’excellence est recherchée à toutes les étapes créatives d’un jeu. Chaque nouvelle sortie du studio s’affirme comme un événement autant pour le constructeur qui la soutient, Sony en l’occurrence, que pour les joueurs du monde entier qui plébiscitent toujours plus chacune de ses œuvres.

Il est aussi surprenant que ce qui semble être devenu le plus grand studio interne de la marque Sony et des consoles PlayStation ait un parcours si atypique. L’histoire de Naughty Dog est attachée à l’Histoire (avec un grand H) du jeu vidéo. Un studio qui tranche avec le reste de l’industrie par son identité, son ambiance de bande de potes. Une histoire qui traduit une certaine vision du rêve américain, celui de deux gamins qui ont commencé à développer des jeux dans le sous-sol d’un petit pavillon de Virginie.

UNE RENCONTRE DECISIVE

Début 1980, alors que sort sur les écrans L’Empire contre-attaque et que par la même occasion une génération découvre que Luke est le fils de son père, Donkey Kong, Frogger, Defender et Galaga déferlent dans les salles d’arcade. Au nord de la Virginie, une même passion pour le jeu vidéo réunit Andy, Jason et une poignée d’autres enfants. Sous le doux soleil de la côte Est des États-Unis, ces derniers passent leurs après-midi dans ces salles aux éclairages fluorescents, engouffrant leurs économies pour tenter de décrocher les meilleurs scores.

Tous partagent l’amour des pixels et de l’Apple II. Petit bijou de son créateur Steve Wozniak, cet ancêtre du PC permettait une programmation simple, en Integer BASIC ou en Applesoft, facile à manipuler et ouverte à tous. Calme et renfermé, le jeune Andy Gavin est un perfectionniste du code. Pendant deux ans, avec son Apple II, il développe des petits jeux sans prétention mais techniquement remarquables. De tempérament plus turbulent, Jason Rubin est l’artiste du groupe. Malgré l’absence de souris et la présence d’un clavier rudimentaire, il passe des heures sur ses créations. Bien que de caractères radicalement différents, les deux jeunes Virginiens s’aperçoivent rapidement que leurs compétences sont complémentaires. Ils sont encore loin de se douter que leur petit bout de route en commun va les conduire à créer, quelques années plus tard, l’un des plus grands studios de développement de jeu vidéo à la renommée mondiale.

Les premières activités de cette confrérie de l’Apple II se limitent d’abord à pirater les jeux achetés par leur entourage. À cette époque encore balbutiante pour l’informatique grand public, trouver la manière de contourner les protections, certes rudimentaires, des disquettes de jeux constituait un vrai défi technique. Le manque de ressources documentaires n’arrête pas la bande, qui s’amuse à modifier le code source des jeux pour placer leurs noms dans les génériques de fin et s’imaginer créateurs des plus grands titres de l’époque. En février 1984, Punch Out Arcade (jeu de boxe signé Nintendo) envahit les salles et les compères décident de lancer un projet d’envergure en reproduisant quasiment à l’identique le jeu de Genyo Takeda. Ils prennent en photo chacun des mouvements des personnages et se lancent derechef dans la programmation d’un jeu, qui durera plusieurs mois. Lorsque le projet approche de la phase finale, un désastre arrive : Andy efface malencontreusement le contenu de la disquette sur laquelle est inscrite la seule et unique version de leur jeu. Le projet Punch Out par Andy et Jason s’arrêtera à cette manipulation fatidique.

DES DEBUTS PROMETTEURS

La motivation des deux jeunes programmeurs ne s’arrête heureusement pas à cette tragédie. Fin 1984, ils entreprennent le développement d’un logiciel original, Math Jam. Il s’agit d’un programme éducatif, bien loin des préoccupations plutôt ludiques d’Andy et Jason, mais le genre est en vogue à l’époque sur un marché qui cherche une manière de séduire les parents et ainsi pénétrer dans les foyers.

Le père de Jason, avocat d’affaires, aide les deux créateurs à monter leur première société, qui s’appellera JAM Software pour « Jason & Andy’s Magic » et développe un premier projet. Comme son nom l’indique, Math Jam propose d’apprendre les bases de l’arithmétique de manière ludique et avec un design adapté aux plus jeunes. Après avoir été adoubé par quelques enseignants locaux, le jeune duo d’entrepreneurs peut commercialiser son premier titre. Ils copient le programme sur des disquettes, y adjoignent une notice sommaire, préparent eux-mêmes les enveloppes et les envoient à plusieurs écoles de la région. Mais pour distribuer le logiciel à plus grande échelle, l’administration américaine en charge de l’éducation demande à JAM Software de passer devant une commission à l’autre bout du pays afin d’en valider le contenu. Andy et Jason baissent les bras et décident de revenir à leurs premières amours, les jeux vidéo.

En 1986, JAM Software publie son tout premier véritable jeu : SKI Crazed. Le titre original, SKI Stud, est rapidement changé pour paraître plus politiquement correct (Ski Stud pourrait se traduire par « L’étalon du ski »). Le but est simple : il faut dévaler des pentes enneigées en évitant les obstacles qui émaillent le parcours du joueur. Les animations et les graphismes sont particulièrement soignés pour une production de ce niveau. Pour parvenir à un tel résultat avec un matériel si rudimentaire, Jason utilise l’éditeur d’un autre programme, Pinball Construction Set. Ce dernier lui permet de dessiner plus finement les personnages et les décors, toujours sans souris, et avec la résolution très limitée des moniteurs de l’époque. Ce signe de débrouillardise deviendra le mantra du futur Naughty Dog : à chaque problème technique il existe une solution. SKI Crazed est signé par un petit éditeur du Michigan, Baudville, et constitue une première rentrée d’argent pour les deux amis, à raison de deux dollars par copie — le jeu s’écoulant au final à environ mille cinq cents exemplaires. Une fortune pour nos deux compères qui peuvent enfin procéder à leur premier véritable et conséquent investissement : l’achat d’un disque dur...

En Virginie, Andy et Jason passent avec succès leur diplôme (High School graduate) et partent dans deux universités différentes. Malgré la distance — Jason étudie dans le Michigan et Andy au Haverford College de Philadelphie —, ils poursuivent l’aventure JAM Software et développent Dream Zone toujours pour l’éditeur Baudville. Dream Zone s’avère un jeu d’aventure plus ambitieux, mélange d’images digitalisées et de dessins, dans lequel un enfant plonge dans le monde étrange de ses propres rêves. L’interface du soft s’inspire des premiers jeux d’aventure textuels et, encore une fois, la réalisation est exceptionnelle, des musiques jusqu’aux graphismes. Pour la première fois également, soutenue par l’ambiance onirique du jeu, Jason et Andy soignent la narration de leur titre. Dream Zone remporte un joli succès d’estime, se vendant à un peu plus de 10 000 exemplaires et rapportant la bagatelle de 17 000 dollars à ses deux créateurs. À dix-sept ans, c’est une récompense inestimable pour ce duo précoce dont l’ambition n’a désormais plus aucune limite.

ATTENTION, CHIEN MECHANT

C’est cette même ambition qui va conduire Andy et Jason à mettre un terme à leur collaboration avec le modeste éditeur Baudville et à frapper à la porte d’Electronic Arts. En 1987, la société créée par Trip Hawkins (un ex-employé d’Apple) est déjà un géant mondial qui produit, distribue et édite des licences immenses (Ultima, The Bard’s Tale, Skate or Die !). Au culot, le duo envoie un exemplaire de Dream Zone à l’un des décideurs de la société basée en Californie. Comme seule réponse, ils obtiendront un laconique « On vous envoie un contrat ». Avec un chèque de 15 000 dollars en poche et des droits d’auteur de 10 % sur les ventes, Jason et Andy vont s’appuyer sur les bases de Dream Zone pour créer Keef The Thief, un jeu d’aventure médiéval-fantastique. Le titre arrive sur les étals courant 1989 sur PC, Amiga et Apple II sous la bannière Naughty Dog, nouveau nom de studio que les deux amis ont imaginé pendant le développement. Si le contrat avec Electronic Arts est rempli, les créateurs ne sont pas satisfaits des conditions de développement. Jugeant le jeu trop sérieux, la firme de Redwood leur a en effet ordonné d’insuffler de l’humour dans leur production, trahissant l’ambiance et la tonalité que Jason et Andy souhaitaient donner au titre.

Les producteurs d’Electronic Arts reconnaissent néanmoins à demi-mot que les modifications imposées à Keef the Thief n’ont pas vraiment réussi à améliorer la qualité du produit ; Andy et Jason acceptent alors de signer un nouveau contrat. Cette fois-ci, l’éditeur propose 150 000 dollars, un cachet énorme pour l’époque, afin de mener à bien un ambitieux projet de jeu d’aventure. La production commence en 1989, alors même qu’Andy et Jason poursuivent leurs études à plus de 1 000 km l’un de l’autre, profitant de chaque période de vacances scolaires pour retrouver le sous-sol de la maison des parents d’Andy et ainsi pouvoir échanger sur leurs travaux respectifs. Originellement prévu pour une sortie sur PC, puis sur la Master System de SEGA, c’est Trip Hawkins lui-même qui suggère de laisser Naughty Dog utiliser les tout récents kits de développement de la Genesis (le nom de la Megadrive aux États-Unis). Malgré une longue phase d’apprentissage de ce nouveau hardware et un développement chaotique, Rings of Power sort sur Genesis aux USA en 1991. Très librement inspiré du Seigneur des anneaux de Tolkien, Rings of Power est un jeu de rôle en vue 3D isométrique et aux combats au tour par tour. Critiqué à cause de sa prise en main complexe et sa grande difficulté, le jeu offre néanmoins un monde vaste et un background travaillé. Le succès est au rendez-vous avec un tirage initial de 100 000 exemplaires, qui s’écoulent sans problème durant les trois mois suivant la sortie. Mais un autre titre sorti au même moment des usines d’Electronic Arts coupe l’herbe sous le pied de Rings of Power en vampirisant les médias comme les ventes : Madden NFL. La sortie de la version Megadrive provoque un tel raz de marée qu’elle monopolise toute la production de l’éditeur et prive Rings of Power de réapprovisionnement.

Suite au monumental succès de Madden NFL, les ambitions d’Electronic Arts évoluent rapidement. Aux dragons, épées et mondes imaginaires, le marketing préfère volontiers une paire de baskets. Et c’est un défilé de stars du monde sportif qu’accueillent les locaux de Redwood pour promouvoir la nouvelle manne lucrative des jeux de la firme. Le label EA Sports verra le jour la même année, mais n’inspire pas notre duo de créateurs, qui fait le choix de se donner le temps d’un break salvateur. Il faut rappeler qu’Andy et Jason n’ont pas encore terminé leurs études et que si Jason rêve de surf et de Californie, Andy se lance, lui, à la conquête d’un diplôme supérieur au MIT (Institut de Technologie du Massachusetts) de Boston.

L’AVENTURE 3DO

À défaut de surf, l’attention de Jason Rubin s’oriente rapidement vers les prémices d’une technologie en pleine explosion : la 3D. En 1993, il crée une nouvelle société, investit dans du matériel coûteux (les stations Silicon Graphics nécessaires aux effets spéciaux en 3D et dont les prix peuvent alors grimper jusqu’à 75 000 dollars) et obtient même un improbable contrat avec Columbia Pictures pour réaliser un plan assez complexe dans le film Wolf réalisé par Mike Nichols.

Au même moment, à Redwood, le charismatique leader d’Electronic Arts, Trip Hawkins, prépare une toute nouvelle et ambitieuse machine. Il cède sa société pour en fonder une autre qui sera totalement dédiée à l’élaboration de cette console de jeux, la 3DO. Cette dernière constitue en fait une architecture standard, ouverte à plusieurs constructeurs (la première 3DO sera commercialisée par Panasonic, suivi de Sanyo, Saab Electric puis GoldStar). Surfant sur la très récente mode du multimédia, la 3DO axe son utilisation sur son CD-Rom équipé en série, sa gestion de la 3D et ses énormes possibilités vidéo. Comparable technologiquement à ce que seront, un an plus tard, la SEGA Saturn et la Sony PlayStation, la 3DO a besoin de jeux pour réussir son lancement en mai 1993 sur le sol américain.

Alors même que Jason Rubin n’a pas encore commencé son travail sur Wolf, le téléphone sonne. Évoquant les qualités avérées des anciennes productions de Naughty Dog et présentant des avantages financiers indiscutables, Hawkins propose à Jason et Andy de reprendre du service et de développer un titre pour sa toute nouvelle machine. Le marché est rapidement conclu au regard des avantages exposés. Pour s’assurer une totale indépendance artistique, le duo choisit alors de travailler sur le genre le plus en vogue à l’époque. Street Fighter II a créé un séisme dans le monde du jeu vidéo en 1992. La même année, Mortal Kombat est un carton et tous les jeunes s’empressent d’en découdre dans les salles d’arcade à travers le territoire des États-Unis. Il faut par conséquent un jeu de combat ambitieux pour mettre en avant la sortie de la 3DO.

Le développement de Way of the Warrior débute fin 1993. Ce dernier se révèle être comme une version outrancière du déjà excessif Mortal Kombat (Midway), en mélangeant — parfois de façon improbable — combats entre personnages digitalisés, humour décomplexé et violence ostentatoire. Pour mener la production à son terme, Jason emménage dans la chambre d’étudiant d’Andy à Boston, ils embauchent amis, colocataires, étudiants et familles pour franchir chaque étape créative du développement. La capture des images des combattants se fait devant un drap accroché au mur de l’appartement, les costumes sont des assemblages d’emballages d’Happy Meal de McDonald’s et les créateurs eux-mêmes incarnent deux des guerriers. Le compte en banque de notre duo est rapidement à sec et les nouilles instantanées deviennent l’unique moyen de se sustenter.

Encore sans éditeur pour Way of the Warrior, les derniers dollars d’Andy et Jason leur permettent de louer quelques mètres carrés au CES (Consumer Electronics Show) de Las Vegas au mois de janvier 1994. Sur le stand 3DO, perdu entre plusieurs projets multimédias peu inspirés, le jeu de Naughty Dog fait plutôt bonne impression. Trois éditeurs s’empressent de faire une proposition d’achat de leur nouveau jeu : Crystal Dynamics, Universal et Trip Hawkins lui-même, mais l’offre la plus alléchante sera finalement celle d’Universal. Le contrat offre à Naughty Dog un an et demi pour terminer son jeu de combat puis une exclusivité pour le développement de trois autres jeux, avec une totale liberté de création.

REINVENTER LE JEU DE PLATEFORME

Way of the Warrior sortira finalement au milieu de l’année 1995, la qualité finale du jeu est assez médiocre et l’accueil critique plutôt tiède, mais les ventes sont malgré tout au rendez-vous. Andy abandonne ses études et le duo traverse les États-Unis pour s’installer en Californie, près du siège d’Universal. Pour leurs prochains projets, Andy et Jason savent qu’ils ne pourront plus faire cavalier seul. L’expérience du développement chaotique de Way of the Warrior les pousse à accueillir deux nouvelles recrues. Ainsi, Dave Baggett, développeur, et Taylor Kurosaki, graphiste spécialisé dans les effets spéciaux à la télévision, constituent les deux premières embauches du studio. L’équipe de base formée, il faut maintenant trouver un concept et démarrer le développement d’un nouveau jeu ; une idée qui va germer rapidement avec la présentation d’une toute nouvelle console.

1http://www.ign.com/articles/2013/10/04/rising-to-greatness-the-history-of-naughty-do-g%3Fpage%3D15&ved=0ahUKEwi2o8Gw4JPXAhXCtBoKHREjAMMQFggcMAA&usg=AOvVaw3357rBH2Qe0qUa-N3CYCyF

CHAPITRE DEUX :

DU MARSUPIAL À LA MANGOUSTE

« Il n’y a rien de négatif dans le changement, si c’est dans la bonne direction... »

Winston Churchill

C’EST encore une fois à Las Vegas, pendant le CES 1995, que l’histoire de Naughty Dog va prendre un premier tournant décisif. La présentation de Ridge Racer (Namco) sur PlayStation, une nouvelle console qui doit arriver dans les magasins en septembre de la même année sur le territoire américain, est une claque monumentale infligée à toute l’équipe fraîchement constituée. À l’instar de Way of the Warrior, Naughty Dog va tout naturellement observer les tendances du moment avant d’arrêter son choix sur un genre alors en vogue, le jeu de plateforme, avec pour objectif de le transcender en exploitant à leur avantage les spécificités des dernières consoles et du nouveau monde qui s’ouvre à eux : celui de la 3D.

Le concept initial de Crash Bandicoot tient en une seule phrase : « Que pourrait donner Donkey Kong Country en 3D ? » Conscients de leur manque d’expérience sur cette nouvelle technologie et surtout sur le design d’un monde en open world, Crash Bandicoot est imaginé comme l’exacte transposition de ces jeux de plateforme qui ont fait le bonheur de la génération précédente, Mario et Sonic en tête, en conservant une structure de progression linéaire, ce qui vaudra au projet le sobriquet fleuri de Sonic’s ass Game (« le jeu qui suit les fesses de Sonic »). Si SEGA et Nintendo possèdent déjà leurs mascottes permettant d’appuyer le line-up de leurs consoles respectives, Sony, en bon outsider, cherche désespérément un personnage fort pour identifier la marque PlayStation auprès du grand public. Ainsi naîtra Willy The Wombat qui, sur une idée initiale de Dave Baggett, sera renommé Crash Wombat pour finalement devenir le Crash Bandicoot que l’on connaît, croisement improbable entre l’influence de Donkey Kong Country et les designs des dessins animés à la Looney Tunes.

Dans leur quête désespérée de trouver une mascotte, le personnage de Crash Bandicoot s’avère un coup de foudre pour les décideurs de Sony, qui doivent impérativement présenter des projets marquants à l’imminent salon de l’E3 (Electronic Entertainment Expo) qui se tiendra à Los Angeles à peine trois mois plus tard. Immédiatement, Sony propulse Crash Bandicoot en tête des projets de sa machine, prêt à concurrencer le Super Mario 64 de Shigeru Miyamoto et le Nights into Dreams de Yuji Naka. C’est littéralement un bond de géant, impensable pour un petit studio de quatre employés à la renommée jusqu’alors confidentielle.

La confrontation attendue des trois licences, Mario, Nights et Crash, se fait donc à l’E3 1995. Si SEGA a fait le choix de transposer littéralement le gameplay de son jeu 2D en figeant le joueur sur un seul axe, Mario 64 propose, lui, une vision beaucoup plus spectaculaire et révolutionnaire en permettant au joueur de se rendre partout où il le souhaite. Crash Bandicoot, comme la fusion parfaite de ces deux mondes, offre la possibilité d’évoluer sur plusieurs axes, mais dans des niveaux linéaires et maîtrisés, en couloirs. Naughty Dog, parfaitement conscient de ses propres limites, aussi bien sur le plan de la technique que des ressources, va pallier le manque relatif d’ambition de son titre en soignant au maximum les différents aspects de son jeu. Et le résultat paie. Visuellement, Crash Bandicoot détonne et séduit instantanément le public. De par son design réussi et sa réalisation soignée, aux effets de lumières encore jamais vus, de par sa mise en scène proposant des situations variées et rythmées, de par la facilité totale de sa prise en main, Crash Bandicoot est immédiatement plébiscité par les observateurs. Andy et Jason comprennent rapidement qu’ils viennent de conceptualiser ce qui deviendra leur manière de faire des jeux : proposer du fun immédiat.

Crash Bandicoot sort le 31 août 1996 aux États-Unis et fait un tabac. Il s’écoule à plus de deux millions d’exemplaires à travers le monde en seulement quelques mois et deviendra le huitième jeu le plus vendu de la machine. La réussite est telle que Crash constituera la première licence occidentale à percer au Japon, marché protectionniste s’il en est. Fort de ce succès, Naughty Dog va pouvoir imposer des nouvelles règles à son éditeur, Universal, et son distributeur, Sony. Mark Cerny (vice-président d’Universal Interactive, producteur de Crash Bandicoot et futur architecte de la PlayStation 4) rejoint les rangs de Naughty Dog, dont les effectifs vont gonfler jusqu’à près de vingt personnes pour produire l’inévitable Crash Bandicoot 2.

Crash Bandicoot 2 : Cortex Strikes Back sort le 31 octobre 1997 aux US. Un an de production qui permettra de rôder la formule, de briser la linéarité du jeu et d’implémenter des choix de game design qui n’avaient pas pu être mis en œuvre sur le premier volet, comme le contrôle de la caméra. Une année qui aura permis de débaucher quelques talents parmi la concurrence, comme Erick Pangilinan (qui deviendra le directeur artistique de The Last of Us quelques années plus tard). Ce dernier débarque en début de soirée dans le petit studio californien au cours de l’année 1997 pour passer son entretien. Le monde qu’il découvre est à l’opposé de ses précédentes expériences. La moquette des locaux est dévastée par les pizzas et les emballages de hamburgers que l’on jette au chien, la mascotte des lieux. Le local est un mélange de musique et de cris, une ambiance générale qui tranche avec les entreprises habituelles. Mais ce qui marque surtout Pangilinan, c’est la passion dévorante qui anime chaque employé de Naughty Dog, qu’il voit comme un groupe d’étudiants délurés qui vont tous dans la même direction. La mentalité du studio se définit elle-même comme celle d’une équipe à taille humaine où chaque employé a un rôle important à jouer et peut influer à tous les stades du développement de leurs jeux.

Le contrat initial avec Universal stipulait la production de trois jeux, mais c’est finalement quatre titres que Naughty Dog va enchaîner à un rythme soutenu. Crash Bandicoot 3 : Warped sort — toujours sur PlayStation — en octobre 1998 sur le sol américain. Les critiques sont presque unanimes et louent la réinvention permanente de la série qui sublime la recette originale. C’est encore un succès et, une nouvelle fois, les qualités graphiques, sonores et la souplesse des contrôles permettent à Crash de plaire à un public toujours plus large.

Pour la production de Crash Team Racing, quatrième volet de la série, le studio décide de s’affranchir d’Universal. L’anthropomorphe Crash est devenu une mascotte reconnue mondialement, Il s’affiche sur les cartons de Pizza Hut comme sur l’Eurostar, mais Universal n’assure plus aussi efficacement son rôle de promotion. Sony rachète les droits et le studio de développement décide d’autofinancer la majeure partie de son jeu de course. Le 30 septembre 1999, Crash Team Racing apparaît sur les étals américains et est de nouveau plébiscité par le public comme la presse. Le jeu représente une alternative inespérée à l’indétrônable Mario Kart de Nintendo, proposant même quelques subtilités de gameplay bienvenues et une réalisation qui fait honneur à une PlayStation en fin de vie.

LE RACHAT PAR SONY

Mais le passage au nouveau millénaire est synonyme de fracture pour le studio. Le développement de Crash Team Racing a été extrêmement complexe techniquement et la pression est de plus en plus importante de la part de Sony, qui souhaite une nouvelle mascotte en mesure d’appuyer la sortie de sa prochaine console, la PlayStation 2. Pour la première fois, Andy Gavin songe à vendre ses parts de la société pour marquer une pause dans le rythme de travail effréné qu’impose ce secteur. Le marché du jeu vidéo est en pleine mutation, les équipes nécessaires à l’élaboration des jeux de prochaine génération vont devoir s’agrandir de manière significative et le budget requis pour le prochain projet de Naughty Dog devrait avoisiner les quatorze millions de dollars. Andy redoute de perdre cette sensation d’insouciance et de liberté si chère à son cœur. Il devient cependant impossible de poursuivre sur la même voie sans un soutien financier conséquent.

C’est en présentant leur nouveau « Project Y » (qui deviendra plus tard Jak and Daxter : The Precursor Legacy) aux pontes de Sony que la vente définitive du studio est conclue. En janvier 2001, Naughty Dog devient donc officiellement la propriété du constructeur japonais et Andy et Jason en restent les codirigeants. Finie l’indépendance, mais les relations avec Sony ayant été jusqu’alors indiscutablement bénéfiques, le duo virginien signe sans remords un accord qui se révélera être un investissement extrêmement rentable pour Sony. Naughty Dog continuera de sortir invariablement des jeux à la qualité grandissante sans que jamais ne soient remises en question les conditions de management ni la liberté créative du studio. Sur un marché d’une incroyable versatilité, peu de développeurs pourraient en dire autant.

UN ENIEME DUO... VIRTUEL

Le concept de base du « Project Y », prochaine série du studio, reprend dans les grandes lignes celui de Crash Bandicoot : un univers coloré et de la plateforme. Mais comme les spécifications techniques de la future PlayStation 2 ne semblent pas toujours convenir aux Dogs (surnom que les développeurs utilisent entre eux pour souligner leur appartenance au studio), le design général du jeu n’essaiera pas de miser sur le photoréalisme. Cette fois-ci, à l’instar de Mario 64, Naughty Dog souhaite ouvrir les possibilités du joueur à l’exploration. À l’origine, le « Project Y » comptait trois personnages principaux, mais c’est Josh Scherr (en charge de la direction des cinématiques sur les trois premiers Uncharted), embauché en février 2001, qui sera l’auteur du charadesign définitif des personnages ainsi que des noms des deux protagonistes finalement retenus : Jak, le héros, et Daxter, la beloutre (un mélange de belette et de loutre).

C’est durant la production de Crash Team Racing qu’Andy Gavin a reçu les premiers kits de développement de ce qui deviendra plus tard la PS2. Le hardware de Sony est complexe, exotique, mais offre des perspectives intéressantes et permet aux Dogs de créer de toutes pièces, dans le plus parfait isolement, un langage de programmation exclusif (GOAL) et finalement un moteur de jeu réellement abouti. Ce dernier est si performant que Jak and Daxter se démarquera immédiatement des autres titres accompagnant les premières années de la PS2 par son excellence technique. La volonté d’Andy Gavin est d’élaborer un monde ouvert dans lequel les personnages pourront interagir en conservant le même niveau de finition et de fluidité que dans les précédentes productions du studio. Initialement, ces personnages devaient aussi évoluer au fil de la partie (à la manière d’un Tamagochi), mais cette idée est finalement repoussée pour se concentrer sur l’essence même du jeu, le gameplay et la narration. Pour fluidifier l’expérience du joueur, un choix logique va alors s’imposer aux développeurs : aucun écran de chargement. Une caractéristique qui fera école dans les futures productions du studio.

Pour parvenir à un tel résultat, considérant que la PS2 est une console radicalement différente des précédents hardwares, les choix techniques de Gavin vont résulter d’une débrouillardise peu commune. En effet, une partie des composants inclus dans la console sert à émuler les anciens jeux de la PS1 (pour faciliter la rétrocompatibilité), ce qui donne à Gavin l’idée de développer un moteur 3D exploitant certains éléments du jeu directement par le biais du processeur dédié à cette rétrocompatibilité avec la PS1, en sus des propres ressources de la PS2 ! De fait, GOAL est un moteur hybride à cheval entre les deux générations de consoles, pour un résultat bluffant à l’écran. De son côté, Jason Rubin demeure frustré de n’avoir pu concrétiser ses velléités narratives sur la génération précédente. Mais la puissance qu’offre ce nouveau hardware va lui permettre de transformer l’expérience du joueur en une odyssée dans un monde vivant, crédible et cohérent. Enfin, les limites technologiques ne semblent plus être un frein à l’imagination débordante des auteurs qui vont pouvoir assouvir leur fantasme : construire et raconter une histoire autour d’un jeu.

Le défi dépasse néanmoins le simple stade de l’écriture. Il doit mettre en exergue un exercice que peu de développeurs appréhendaient au début des années 2000 : la mise en scène. Les premiers tests autour du prototype de Jak and Daxter déçoivent Jason qui trouve l’animation encore trop « jeu vidéo ». Les mouvements des personnages sont trop sensibles aux impulsions de la DualShock (la manette de la PS2) et les dialogues se résument à un simple mouvement de caméra filmant tour à tour chacun des intervenants. C’est alors que Josh Scherr et Evan Wells (un développeur qui deviendra le futur coprésident de Naughty Dog) ont l’idée d’imposer au reste de l’équipe d’exploser les codes et les conventions en vigueur dans le milieu du jeu vidéo. Ils vont redéfinir ensemble les bases de la mise en scène : champ-contrechamp, symétrie axiale, point de vue inédit de la caméra... En s’inspirant des techniques de prises de vues réelles, ils cherchent à inscrire Jak and Daxter dans une dynamique capable d’immerger complètement les joueurs. Malgré les multiples difficultés rencontrées tout au long du développement (d’une durée totale de trois ans) qui risquent de mettre en péril la sortie du jeu avant Noël 2001, l’équipe fait le choix de rendre sa copie avec cinq semaines de retard pour atteindre un niveau de finition indiscutable. Le Precursor Bot, dernier boss du jeu, est finalisé à la hâte et ne sera implémenté que 48 heures à peine avant la fin du développement.

Jak and Daxter : The Precursor Legacy sortira finalement le 3 décembre 2001 aux États-Unis. Le million de copies vendues est très rapidement atteint, un exploit pour l’époque. La presse plébiscite la créativité, l’innovation et le sens du détail du titre. Sony se frotte les mains et s’empresse de mettre en avant ses deux nouvelles mascottes, notamment récompensées aux Game Developers Choice Awards en 2002 par le prix d’Original Game Character of the Year. La phase de production de Jak II : Hors-la-loi démarre sans tarder après une courte pause, et Scherr impose une nouvelle fois sa vision « cinématique » de la mise en scène et l’importance de cette dernière pour se démarquer de la concurrence. Grand Theft Auto III de Rockstar Games est sorti presque simultanément à The Precursor Legacy et c’est un raz de marée qui ne manque pas de faire forte impression sur la planète vidéoludique. Scherr convainc toute l’équipe que c’est en soignant son univers et sa narration que Jak II pourra se démarquer du tout-venant. Le joueur n’enchaînera plus les niveaux par simple défi ou par amusement, il faut lui donner envie de connaître la suite du scénario.

Pour ce faire, le jeu doit être pensé à la base comme un film, c’est-à-dire comme une véritable aventure. Il faut oublier le schéma classique et l’alternance entre phases jouées et cinématiques. Le tout doit être d’un seul tenant et l’expérience du joueur complètement fluide, pour qu’il se sente immergé dans l’histoire et concerné par le devenir des héros. Ce sera le nouveau mantra de Naughty Dog : offrir une aventure dans un monde passionnant, des personnages forts et attachants tout en proposant un niveau de finition ludique et de fun incontestable. Jak II : Hors-la-loi sort le 14 octobre 2003 aux USA et, pour la première fois, c’est la douche froide. Le jeu est attaqué pour sa trop grande difficulté malgré d’indéniables qualités comme sa sensation de liberté ou sa narration travaillée. Au Japon, le titre fait un bide retentissant, les joueurs boudant l’aspect plus sombre des aventures de nos deux héros.

Jason Rubin persiste néanmoins à vouloir rendre l’univers de Jak and Daxter plus mature, en adéquation avec les goûts du public américain, qui vieillit. Pour le dernier épisode de la série, Jak 3 inverse petit à petit les rôles et devient plus que jamais un jeu de tir à la troisième personne mâtiné de plateforme. Le jeu offre également la possibilité de se déplacer en buggy, les développeurs admettant plus tard qu’ils s’étaient directement inspirés des jeux de Rockstar Games. Jak 3 arrive le 9 novembre 2004 aux États-Unis et peine à rentabiliser ses dix millions de dollars de budget malgré un plébiscite critique, une narration soignée et une réalisation encore une fois flamboyante. Mais le résultat est sans appel : moins de deux millions de copies vendues en une année, soit presque deux fois moins que son prédécesseur.

ACCEPTER LE CHANGEMENT, MAIS GARDER LE PRINCIPE

Depuis quelques années, Andy comme Jason commencent à ressentir la fatigue et une certaine lassitude à courir ce marathon sans fin depuis la sortie du premier Crash Bandicoot. Les développements s’enchaînent, le marché se transforme, la course est effrénée et Naughty Dog grandit sans discontinuer. L’organisation particulière du studio offre néanmoins une relative souplesse aux différents employés. En effet, la structure hiérarchique de Naughty Dog est dite « horizontale » : le management s’efface au profit des volontés et des initiatives personnelles. Le but, le planning et le budget sont donnés au début du lancement d’un projet, puis chaque équipe, chaque employé peut à loisir laisser libre cours à sa créativité de manière plus ou moins anarchique. S’ensuivent des périodes de crunch, failles temporelles pendant lesquelles tous les effectifs du studio vont devoir travailler d’arrache-pied, jour et nuit, semaine comme week-end, pour affiner le gameplay, corriger les bugs ou peaufiner le rendu du produit fini. Cette organisation est propice aux réalisations personnelles, et c’est dans ce contexte que deux éléments vont indiscutablement sortir du lot.

Evan Wells est un vétéran de l’industrie. Il entre par la petite porte dans le monde du jeu vidéo lors d’un job d’été sur ToeJam and Earl in Panic on Funkotron, un jeu de plateforme destiné à la Megadrive de SEGA. Il fait réellement ses premières armes chez Crystal Dynamics sur Gex, autre jeu de plateforme développé pour la 3DO en 1995. C’est à cette période (à l’occasion du portage de Gex sur PSI en 1996) qu’il découvre les premières images de Crash Bandicoot. Impressionné par le niveau technique du titre des Dogs, Wells saisit la première opportunité qui se présente pour entrer dans le studio. Arrivé en 1998, il participe en tant que simple programmeur à Crash Bandicoot 3 : Warped, puis au développement de Crash Team Racing. Il deviendra game designer sur la série des Jak and Daxter. Fortement influencé par le cinéma, il donnera des cours à l’USC School of Cinematic Arts de Los Angeles en 2001 et incarne le virage qu’a pris Naughty Dog pour aborder la série Jak and Daxter à travers un aspect davantage narratif.

Un second employé va très clairement se démarquer. Christophe Balestra est le petit Frenchie du studio. Dans les années 1990, il participe, encore lycéen, à plusieurs groupes de demoscenes (des collectifs d’amateurs qui produisaient de courtes vidéos exécutées en temps réel, tentant d’exploiter le meilleur des micro-ordinateurs du moment) sur Atari ST. En 1997, avec une poignée d’amis, il fonde Rayland Interactive. Ces derniers sortiront Mad Trax, jeu de course futuriste sur PC, puis Bang ! Gunship Elite, un jeu d’action sorti sur PC et Dreamcast. Toutes modestes qu’elles soient, ces réalisations permettent à Balestra de découvrir l’ensemble des aspects créatifs et techniques d’une production. Après la fermeture de Rayland, Christophe Balestra déménage à Toulouse et part travailler dans une succursale de Bits Studios, une entreprise anglaise spécialisée dans le portage de jeux sur consoles portables. Quelques jours à peine après son arrivée, Balestra fait la rencontre du directeur anglais du studio, venu licencier tous les employés. Il ne gardera finalement que ce dernier, surpris et admiratif de la franchise du jeune développeur. Lors de cette période, pendant laquelle il projette de s’installer à Londres, notre Français découvre Jak and Daxter : The Precursor Legacy. Il postule immédiatement à la première offre d’emploi parue sur le site Internet de Naughty Dog et décroche un entretien dès le lendemain. Il bredouille quelques mots en anglais, répond systématiquement oui à toutes les questions qu’on lui pose, mais surtout, il impressionne par son savoir-faire technique sur des langages dits « bas niveaux ». Grâce à son expérience acquise à l’époque des demoscenes, Balestra a appris à développer en assembleur, et connaît les contraintes de codage d’algorithmes complexes avec très peu de puissance de calcul ; un profil qui séduit immédiatement les recruteurs. Il rejoint finalement la Californie en 2002 pendant le développement de Jak II : Hors-la-loi. En l’espace d’une semaine, le Français se forge une solide réputation technique au sein du studio, impressionnant même Andy Gavin. Malgré ses difficultés linguistiques, le caractère de Balestra lui vaudra le surnom de « Mr. No ». En effet, il sera le premier à oser un non catégorique à Jason Rubin lorsque ce dernier lui demande de lui présenter les résultats d’un test en cours de programmation sur Jak 3.

La décision d’Andy et Jason de quitter la société qu’ils ont fondée est prise en 2004 et la transition doit se faire en douceur au cours du développement de Jak X : Combat Racing. Si Evan Wells et Stephen White ont rapidement été pressentis pour coprésider Naughty Dog, ce dernier ne supportera pas la pression et préférera saisir une opportunité chez Sucker Punch, studio à l’origine des séries Sly Cooper et inFAMOUS. Christophe Balestra est alors désigné pour assurer la succession aux côtés de Wells, les deux programmeurs étant tout autant respectés par leurs pairs l’un que l’autre.

Jak X, un jeu de course censé conclure la saga Jak and Daxter, se présente comme un projet plutôt simple, une respiration entre deux époques (l’arrivée d’une nouvelle machine de Sony se profilant, le développement d’une probable nouvelle franchise peut attendre) qui permet à l’organisation interne de Naughty Dog de progresser. Le rôle de Balestra et Wells doit évoluer de manière à ce que chaque employé puisse accepter ce changement majeur, afin d’éviter la précipitation et la fermeture potentielle du studio. Jak X : Combat Racing sort donc sur PlayStation 2 le 18 octobre 2005 aux États-Unis et représente l’épilogue de la série pour les Dogs. Ce qui n’empêchera pas à deux autres épisodes de voir le jour sur PSP (PlayStation Portable) : Daxter en 2006, développé par Ready At Dawn Studios (The Order : 1886) puis Jak and Daxter : The Lost Frontier en 2009, du studio High Impact Games.

CHAPITRE TROIS :

VERS DES TERRES INEXPLORÉES

« Un jeu retardé peut être un bon jeu. Mais un jeu dont on précipite la sortie est toujours mauvais. »

Shigeru Miyamoto

L’ANNONCE de la PlayStation 3 par Sony à l’E3 de Los Angeles en 2005 posera deux problèmes à Naughty Dog. D’abord le moteur GOAL conçu en interne ne fonctionnera pas sur la prochaine machine de Sony et il va donc falloir en développer un nouveau à partir de zéro, d’autant que le départ quasi simultané du maître d’œuvre technique principal du studio, Andy Gavin, ne va pas faciliter la tâche. Qui plus est, galvanisé par les succès du studio, Sony décide de scinder ce dernier en deux équipes : la première travaillera sur un projet destiné à la PSP, la seconde sera dans l’obligation de réaliser un titre de lancement à la hauteur de la future PlayStation 3.

Pour solder cette problématique technique et ainsi optimiser les chances d’exploiter au mieux la nouvelle PlayStation, un consortium est créé autour des studios first party (propriétaires) de Sony : Insomniac (Ratchet & Clank), Guerrilla (Killzone), Santa Monica (God of War), Sucker Punch (inFAMOUS) et Naughty Dog. La ICE Team (Initiative for a Common Engine) doit réunir le gratin des studios concernés pour concevoir le moteur qui soutiendra leurs futures productions, le tout sous la houlette de Mark Cerny ; une initiative louable et spécifique à ce constructeur (Microsoft peinera à reproduire ce schéma pour ses propres studios). Plutôt que d’arriver à contenter tous les acteurs en leur fournissant un seul moteur complet, le projet ICE accouchera finalement d’une série d’outils complémentaires bien en deçà des ambitions originelles. Mais l’intérêt direct pour Naughty Dog aura été de participer activement à la conception de la PS3 et de la maîtriser avant même que son prototype définitif ne soit validé. Malgré tout, la période de flottement qui résulte de ces égarements peine à convaincre les employés du studio qui commencent à partir vers d’autres horizons.

Comme nous l’expliquions précédemment, la première équipe de Naughty Dog doit travailler sur une suite de Jak and Daxter sur PSP, tandis que la seconde souhaite se focaliser sur la préproduction de la prochaine série phare, nom de code Project BIG, qui accompagnera la sortie de la PlayStation 3. Si les premiers retours concernant le projet sur portable sont convaincants, le jeu peine à passionner les développeurs concernés. La situation du studio ajoutée à la frustration de techniciens parmi les plus pointus de l’industrie de travailler sur un projet mineur achèvent de mettre des bâtons dans les roues de ce nouveau Jak and Daxter. Même l’arrivée d’un jeune designer talentueux, Neil Druckmann, ne parvient pas à raviver les passions. Une décision difficile est alors prise : Naughty Dog préfère abandonner le jeu sur portable pour se recentrer sur la PS3 ; le studio n’est pas assez mature pour supporter le développement de deux titres en simultané. Pour l’autre équipe, le résultat n’est guère plus reluisant. Le développement des nouveaux outils est un désastre et la préproduction nage en plein chaos. Si la décision d’abandonner le projet PSP (qui deviendra quelques années plus tard Jak and Daxter : The Lost Frontier sous l’égide d’un autre studio) n’avait pas été prise à temps, il est fort probable que la série Uncharted n’aurait jamais vu le jour. Le besoin de sang frais aux responsabilités se fait sentir.

UNE NOUVELLE ERE SE PROFILE

Après avoir obtenu un diplôme de littérature à l’université de Californie Berkeley, la jeune Amy Hennig décide de poursuivre des études de cinéma dans les murs de l’université de San Francisco. En 1989, c’est par hasard, et surtout par nécessité financière, qu’elle décroche son premier emploi en tant qu’artiste freelance pour Atari. Elle travaille alors sur ElectroCop, un jeu d’action qui ne verra finalement jamais le jour. Toutefois, à ses yeux, il s’agit d’une révélation : ce média lui ouvre des perspectives infinies et encore inexplorées. Passionnée de cinéma depuis qu’elle a découvert Star Wars : Un nouvel espoir dans les salles obscures en 1977, elle comprend cependant que percer dans un univers masculin semble plus tenir aux relations et au hasard qu’aux réelles compétences artistiques.

En effet, la présence d’une femme dans ce milieu est aussi incongrue que « suspecte ». Tenace, elle se fait néanmoins embaucher par le géant Electronic Arts en 1991. C’est deux ans plus tard qu’elle profite du départ d’un directeur artistique pour prendre sa place sur le titre Michael Jordan : Chaos in the Windy City. Le jeu est réussi, mais l’intégration opportune et forcée d’une star pour soutenir la promotion du jeu est totalement hors de propos. Hennig en profite néanmoins pour gravir les échelons un à un, devenant l’une des rares femmes à occuper un poste à responsabilités dans l’industrie vidéoludique. Vers la fin des années 1990, elle saisit une nouvelle opportunité chez Crystal Dynamics. Elle y croisera notamment Richard Lemarchand et Bruce Straley, qui iront également grossir les rangs de Naughty Dog par la suite. Mais avant, ils travailleront ensemble sur un titre de premier ordre, Legacy of Kain : Soul Reaver (suite en 3D de Blood Omen développé par Silicon Knights), qui marquera au fer rouge les possesseurs de la première PlayStation. Exploitation remarquable de l’environnement à l’instar du révolutionnaire Tomb Raider, réalisation impressionnante et multiples rebondissements pour des personnages hauts en couleur, Soul Reaver constitue une réussite de premier ordre et un tremplin pour Amy Hennig.

Elle sera responsable de deux autres jeux (Soul Reaver 2 et Legacy of Kain : Defiance) avant de s’envoler pour Naughty Dog qui lui fait les yeux doux depuis un moment. Elle intègre le studio californien en tant que simple développeuse en 2003 sur Jak 3. Mais rapidement, elle rassemble le noyau dur d’une équipe qui, à partir de 2005, va travailler sur la nouvelle licence qui accompagnera la prochaine génération des consoles Sony, le fameux Project BIG.

Directrice créative au sein de Naughty Dog sur l’ensemble de la saga Uncharted, Amy Hennig, dotée d’une personnalité singulière par sa finesse et son sens du divertissement, assume donc un parcours atypique de femme forte au cœur d’un univers masculin. De 2003 à son départ surprise en 2014, en pleine production d’Uncharted 4, Amy Hennig a incarné la série et imposé un standard qualitatif sans précédent, qui a redéfini la narration intégrée au gameplay, en constituant l’essence même de la saga.

UN PROJET QUI TOMBE A L’EAU

Alors que la première équipe s’apprête à abandonner la production de Jak and Daxter sur PSP, l’équipe 2 de Naughty Dog planche donc d’arrache-pied sur un nouveau concept dans le cadre du Project BIG. À sa tête, Amy Hennig, accompagnée de Josh Scherr, Evan Wells, Neil Druckmann et Richard Lemarchand, qui imaginent collectivement une première ébauche provisoirement intitulée Zero Point. Le scénario initial situe l’action dans une base scientifique sous-marine. Des bio-terroristes investissent le complexe et une petite équipe va tout faire pour en reprendre le contrôle et éviter une catastrophe écologique. Le plan machiavélique, fomenté par un certain Navarro, consiste à injecter depuis la base sous-marine un poison capable de détruire les forêts du monde entier. Le design global du jeu reprend des éléments de steampunk et d’architecture victorienne, tandis que l’apparence du héros (qui s’appelle déjà Drake...) renvoie directement à celle de Marty McFly (campé par l’acteur Michael J. Fox dans la saga Retour vers le futur de Robert Zemeckis). Les premiers prototypes techniques naviguent entre photoréalisme et stylisation cartoon, sans trop savoir sur quel pied danser, et la configuration globale des niveaux nécessite le développement d’un puissant moteur de gestion des fluides (la plupart des niveaux étant submergés ou en cours d’immersion). L’architecture de la base sous-marine est très ouverte et laisse la part belle à l’exploration. Cependant, le défi technique s’intensifie lorsque les designers imaginent des armes à base de manipulation des fluides, des combats à mains nues contre différents ennemis et un système de visée en autolock pour débarrasser le jeu de ses aspects les plus punitifs afin de le recentrer sur la narration. De nombreuses énigmes sont imaginées, certaines étant même basées sur les ondes sonores.

C’est à ce moment-là que les Dogs découvrent les premières images d’un jeu pour le moins ambitieux développé chez 2K Boston par un certain Ken Levine. Ce dernier vient de dévoiler au monde entier sa dernière création, BioShock, portée par une direction artistique somptueuse, un univers complexe et des visuels époustouflants. Une annonce qui met un terme sur-le-champ à Zero Point. Car malgré un traitement différent, les deux jeux sont résolument trop proches et le projet de Naughty Dog n’est pas assez avancé pour pouvoir rivaliser avec la concurrence.

LA FORTUNE SOURIT AUX AUDACIEUX

Après avoir fait pratiquement table rase de Zero Point, dont les premières ébauches vont progressivement servir à nourrir les ambitions futures d‘Uncharted : Drake’s Fortune, les têtes pensantes de Naughty Dog s’interrogent. Changement de génération oblige, les machines sont plus gourmandes en ressources, mais nécessitent aussi plus de savoir-faire en ingénierie. Et de l’aveu même de Christophe Balestra, les programmeurs du studio ont accumulé quelques trains de retard dans le champ des compétences techniques eu égard aux récents progrès des langages de programmation sur PC et à la généralisation des shaders (une nouvelle routine informatique qui sert à gérer l’absorption et la diffusion de la lumière). BioShock en est la preuve éclatante.

Puissance de calcul des processeurs revue constamment à la hausse, puces graphiques dédiées à des tâches de plus en plus spécifiques, capacité de stockage qui explose avec l’inclusion d’un lecteur Blu-ray sur la PS3 ; les développeurs sont constamment sur la brèche, contraints de digérer vaille que vaille les dernières avancées en informatique alors que le fameux Project BIG patine de nouveau à l’arrière-plan depuis l’abandon de Zero Point. Amy Hennig se souvient : « La période de transition a été un vrai cauchemar (rires). Non, ça a été vraiment très difficile. Nous avons dû repartir de zéro, nous ne pouvions rien utiliser de ce que nous avions conçu jusque-là sur Jak and Daxter. Nous nous retrouvions avec une nouvelle plateforme, beaucoup de nouveaux venus dans l’équipe et un nouveau concept. Comme toutes les transitions de cet ordre, ça a vraiment été le grand saut. L’exemple qui vient à l’esprit, c’est qu’avant, les artistes peignaient littéralement les textures sur les objets, et maintenant, il fallait utiliser des shaders comme le font les gens qui travaillent chez Pixar. Le moindre rocher demande une attention particulière. La mousse qui le recouvre également. Il faut pouvoir gérer la lumière, la façon dont celle-ci frappe le rocher en question. Il faut pouvoir donner un grain réaliste à la peau des personnages. Et c’est à chaque fois des couches successives de shaders qui sont nécessaires. Et ce ne sont que quelques exemples. Pour obtenir un tel rendu, cela implique beaucoup plus de travail avec des techniques nettement plus complexes que par le passé. Et tout ça, ce n’est que pour l’aspect visuel du jeu ! Il faut également s’occuper du gameplay proprement dit. Bref, c’est un véritable défi, mais les meilleurs du milieu apprécient de se frotter à un tel challenge. C’est intéressant de devoir tout réapprendre, et les gens qui n’aiment pas le changement ne durent pas très longtemps dans le monde du jeu vidéo1