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Beschreibung

Sept 7 nouvelles écrites par 7 auteurs différents, mêlant crimes, suspense et enquêtes.

Le vieux commissaire Gorce, l'ex-grand flic de Limoges, est en fin de vie. Mais il lui reste sur le cœur 7 affaires qu'il n'a pas résolues au cours de sa longue carrière, et qu'il va confier à 7 journalistes locaux. Derrière ces 7 nouvelles se cachent 7 auteurs du cercle noir de Geste éditions. 7 histoires racontées dans des styles différents, mais qui allient toutes suspense, crimes et enquêtes serrées.

Plongez-vous sans plus attendre dans ce recueil de nouvelles au rythme haletant, et découvrez 7 énigmes qui vous tiendront en haleine jusqu'à la dernière ligne.

EXTRAIT DE Fin de parties

Je suis arrivé comme prévu à 20 h 30 précises, par l’entrée de la rue des Combes.
L’Échanson venait de fermer il y a à peine quelques minutes.
J’ai toqué trois coups à la vitre, avant que, deux secondes plus tard, le patron ne vienne m’ouvrir la porte du troquet.
« C’est vous pour le commissaire ?
− C’est moi pour le commissaire, oui. »
Il m’a fait entrer puis est allé reprendre sa place à la table de poker rituelle d’après-fermeture où trônaient, en plus des trois anonymes déjà concentrés sur leur jeu, une bouteille de graves, quatre ballons gentiment remplis et une boîte de cigarillos Davidoff. Un tripot improvisé jusque dans ses poncifs, mais des poncifs ici de fort bon goût, je me devais bien de le reconnaître.
Il était le seul autre être vivant dans les parages, assis deux marches en surplomb sur une des banquettes de bar en faux cuir dans le fond de la salle, face à l’entrée donnant sur la place Fontaine-des-Barres, dos à moi. À sa droite, dans l’allée, un pied à sérum se refusait apparemment à le laisser s’éloigner de plus de 50 centimètres.
Putain de merde…
Hervé…
J’ai monté les deux marches, fait les quelques pas me séparant de la banquette rivée en face de la sienne, et je me suis assis.
« Salut Hervé.
− Francis. »
J’avais vu pas mal de vilaines choses durant mes trente ans de carrière à L’Écho, et des pas jolies du tout par moment. Vécu quelques moments particulièrement durs dans ma vie personnelle aussi. Pourtant, je n’ai pas souvenir d’avoir eu autant de mal à soutenir une vision que celle aujourd’hui de son meilleur ami ligoté à la penderie à roulettes accompagnant les dernières heures de son existence.

LES AUTEURS

Yves Aubard - Jean-Louis Boudrie - Franck Bouysse - Christian Laîné - Franck Linol - Joël Nivard - Franck Villemaud

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7

Collection dirigée par Thierry Lucas

© 2015 – – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

LE CERCLE NOIR

Yves AUBARD – Jean-Louis BOUDRIE

Franck Bouysse – Christian Laîné

Franck LINOL – Joël NIVARD

Franck Villemaud

7

Préface

Franck Linol

Ce recueil de sept nouvelles noires et policières est le fruit d’un jeu littéraire, à l’image d’une activité ludique qui se développa surtout au xxe siècle. Les jeux sur le sens, sur la forme et, bien sûr, les « extravagances » du mouvement surréaliste et de l’Oulipo sont les exemples les plus marquants de cette veine littéraire.

On a demandé à sept auteurs de Geste éditions d’écrire une nouvelle. Certains d’entre eux ont été publiés dans la collection policière, Geste noir, d’autres se sont illustrés dans le genre historique ou le roman classique. Tous devaient respecter scrupuleusement les règles suivantes :

− En aucun cas les auteurs ne devaient communiquer entre eux, jusqu’à la fin de la « partie ».

− Consigne : « Vous devez imaginer que vous êtes un des sept journalistes reçus au chevet d’un mourant, l’ancien commissaire Gorce. Que vous a-t-il révélé ? »

Voici le « pitch »…

Le commissaire Hervé Gorce débuta sa carrière de flic à Lyon, dans les années 1960.

Né à Limoges, il obtint sa mutation dans sa ville natale en 1974.

Chaque matin, de bonne heure, il se rendait au commissariat central, au 3 de la rue des Vénitiens.

Il avait gravi tous les échelons de la hiérarchie avant de devenir commissaire.

Il prit sa retraite en 1999. Après un pot au cours duquel ses collègues lui firent cadeau d’un équipement complet de pêcheur à la truite, Hervé Gorce disparut du paysage limougeaud.

Jusqu’à ce jour du mois de juin 2014, où il convoqua sept journalistes de la presse locale et régionale…

Gorce, au seuil de la mort après avoir tenté de lutter contre une maladie incurable, souhaitait rencontrer les sept journalistes séparément afin de leur révéler un secret lié à la période des années 1970-1980.

Le commissaire avait, à l’époque, durement bataillé contre un banditisme qui gangrenait la ville : attaques de transports de fonds, braquages de banques, trafic de drogue et surtout réseaux de proxénétisme.

Sans son action, la ville de Limoges serait devenue un petit Chicago.

Mais, lors des conférences de presse et lors des rencontres informelles entre flics et journalistes, chaque lundi matin, dans un bar du quartier de la rue des Combes, L’Échanson, Hervé Gorce distillait ses infos au goutte-à-goutte…

Là, avant de mourir, il voulait révéler ce que personne n’avait jamais pu savoir.

Cependant, n’ayant qu’une confiance limitée envers ceux qu’il appelait « les fouille-merde », il avait exigé de les rencontrer les uns après les autres.

Voici les récits des sept journalistes qui furent publiés le lendemain des obsèques d’Hervé Gorce, grand flic limougeaud.

Thésard Fouineur

Yves Aubard

7 h 45 : Merde… La journée commençait mal. Il avait rendez-vous à 8 heures. Philippe sauta du lit. Pas idée de filer des rencards à une heure pareille. Un retraité, en plus. Il n’avait rien d’autre à faire de la journée, mais il fallait qu’il convoque les gens à 8 heures du mat’ : un vrai sadique, ce vieux blaireau. 

Faute de temps, il fallait renoncer à quelque chose : le café ou la douche ? Tant pis pour le café, on ne se pointait pas chez un vieux blaireau en exhalant une odeur de vieux sconse : conflit des espèces. Dans un demi-sommeil, il alla faire couler la douche en prenant au passage la lettre qu’il avait déposée la veille sur sa table de chevet. Il la relut, le temps que l’eau arrive à la bonne température :

Monsieur Philippe Desmoulin,

J’ai besoin de vous voir. Je vous prie de vous présenter à mon domicile : 77, cours Gay-Lussac, le jeudi 25 avril à 8 heures.

Bien cordialement

Hervé Gorce

Hervé Gorce : Philippe connaissait ce type, un vieux copain de son père. L’ancien commissaire de Limoges, le mec qui avait dirigé la police locale dans les années 1980 et 1990. Retraité depuis près de quinze ans. Qu’est-ce qu’il lui voulait à 8 heures du mat’, ce vieux flic ?

L’eau de la douche ne lui apporta pas de réponse à la question, mais elle eut le mérite de mater les mèches rebelles qui se dressaient sur son crâne. Tant pis pour le rasage, il ferait beau ténébreux avec sa barbe de la veille, et puis il n’allait pas lui claquer la bise, au vieux flic. Un coup de brosse à dents, deux minutes pour enfiler une tenue décente : jean, chemise propre, pompes correctes, veston classique… faudrait que ça l’fasse. 7 h 55 : pas mal. Il serait à la bourre mais dans les limites du raisonnable, le vieux habitait à deux pas de chez lui, vers le Champ de Juillet, depuis son appartement, rue Othon-Peconnet, il en avait pour dix minutes à pied.

Il croisa deux « semi-pro », comme les appelait son père, il faut dire que c’était leur quartier. Fatiguées, les nanas y avaient eu du taf cette nuit. Une black et une métisse, même dans le plus vieux métier du monde, la main-d’œuvre étrangère venait bouffer le pain des Français, comme disait Marine. En l’occurrence, les filles étaient plutôt prêtes à nous brouter l’frein qu’à nous bouffer l’pain, songea Philippe. Tiens, marrante, celle-là, il faudrait qu’il la ressorte à ses potes de la fac.

Il lut, sur la boîte aux lettres : cinquième étage. Un peu plus tard dans la journée, il les aurait faits en courant pour s’assurer qu’il avait toujours la forme, mais à cette heure-ci il la joua modeste et prit l’ascenseur.

Sobre, la sonnette : M. H. Gorce, pas d’allusion à son ancien métier. Un paillasson devant la porte : vieille école.

Une brave dame, entre deux âges, style nurse britannique à lunettes et frigide, vint lui ouvrir :

− C’est pourquoi ?

− J’ai rendez-vous avec M. Gorce à 8 heures, M. Desmoulin.

− Je vais voir, répondit la dame, en regardant ostensiblement sa montre pour bien montrer qu’il était 8 h 05 passées.

Puis, réapparaissant moins d’une minute plus tard :

− Venez.

Elle précéda Philippe dans un couloir passablement défraîchi. Cuisine à droite, salon à gauche, l’appartement classique. À la grande surprise du jeune homme, on ne tourna pas vers le salon et on se dirigea au fond du couloir, en direction de ce qui devait être une chambre. Le vieux faisait-il des passes pour arrondir les fins de mois ? Peu enclin à la gérontophilie, Philippe commença à se demander ce qu’il faisait là.

− Il vous attend, dit la dame en laissant passer le jeune homme vers ce qui était bien une chambre.

Philippe comprit illico pourquoi Hervé Gorce recevait dans sa chambre, et cela lui coupa toute envie de rigoler. Le type était dans un lit, avec, en guise de réverbère, un pied à sérum, un flacon et une perfusion au bras, la mine plutôt cachectique. Philippe se souvenait d’avoir vu le commissaire lors de la fête pour son départ en retraite à laquelle ses parents étaient conviés. Le flic avait alors une forte carrure, un peu déplumé sur le dessus, mais classieux, la vieille France des années 1960. Mais là, le pauvre gars était décharné, le teint cireux, il était manifestement au bout du rouleau.

− Asseyez-vous, dit le moribond.

La voix restait malgré tout forte et posée.

− Vous êtes bien le petit Desmoulin, le fils de Gérard ?

− Oui, monsieur, Philippe Desmoulin.

− Étudiant en d’histoire de l’art et journaliste occasionnel au Populaire du Centre ? continua le vieux comme à la plus belle époque de ses interrogatoires au commissariat.

− C’est bien ça, master 2 d’histoire de l’art, en cours de thèse doctorale, et pigiste dans la rubrique patrimoine historique, tint à préciser Philippe, pour bien montrer qu’il n’était pas bizut en première année à la fac et ne faisait pas dans les chiens écrasés au journal.

− J’ai connu votre père, pour un journaleux c’était pas l’pire il est mort quand déjà ?

− Il y a cinq ans, précisa Philippe, qui se demandait toujours pourquoi il était là, la rubrique nécrologique de son père n’étant plus d’actualité.

− La cigarette, reprit Gorce, elle va m’avoir la peau à moi aussi… On fumait tous comme des troupiers à cette époque. Mais bon, c’est pas pour ça que j’ai voulu vous voir, avez-vous amené votre bloc ?

− Euh non, répondit Philippe pris au dépourvu, je suis venu les mains vides.

− Ainsi, sur les deux ustensiles que les hommes ont toujours sur eux, vous n’avez même pas le couteau, lança le vieux flic.

Facétieux, le gus, songea Philippe en se demandant si, le jour où il serait aussi mal en point, il aurait, lui aussi, le courage de faire encore de l’humour.

Le flic appela son infirmière :

− Sylvie, amenez de quoi écrire à ce jeune homme, s’il vous plaît, il va devoir prendre des notes.

Philippe comprit que c’était pour ses activités journalistiques qu’on l’avait convoqué. Une fois son hôte outillé par la dame de compagnie, le vieux commissaire reprit :

− Vous avez entendu parler du professeur Antoine Delage ?

− Oui, répondit Philippe, un enseignant de la fac d’histoire, mais bien avant que je n’y use mes fonds de culotte.

− C’est ça, le vice-doyen de la faculté, dans les années 1990.

Philippe songea qu’il était encore à l’école primaire à l’époque, mais tout le monde à Limoges, et surtout dans les milieux universitaires, connaissait cette histoire. Ce n’est pas tous les jours qu’on retrouvait un professeur de la faculté, chez lui, mort avec une balle dans le crâne.

− C’est une affaire qui m’est restée en travers du gosier, reprit le vieux flic, un meurtre, maquillé en suicide.

− Je crois qu’on n’a jamais retrouvé de coupable, se rappela Philippe.

− Non, pas de coupable, pas de mobile, pourtant un meurtre d’amateur, le simulacre de suicide était grossier.

Philippe se souvint que son père avait couvert l’affaire dans le journal, mais cela ne lui disait rien de plus et, à vrai dire, il se demandait toujours en quoi il était concerné par la chose.

− On a tout évoqué, reprit le vieux, le crime passionnel, le meurtre crapuleux, les dettes de jeu… rien ne collait.

− Comment avez-vous éliminé le suicide ? s’enquit Philippe pour faire mine de s’intéresser à l’affaire.

− Pas compliqué : quand on se tire une balle dans la tête, on ne retrouve jamais l’arme dans la main, plaquée contre la tempe, le coup projette la tête d’un côté et le recul repousse la main et l’arme de l’autre côté.

− Logique, admit Philippe, qui, à vrai dire, ne s’était jamais posé la question mais faisait entièrement confiance au flic sur ce point.

− Mes couillons de collègues ont fermé le dossier, reprit Gorce, affaire classée, les abrutis !

− Si vous l’dites, ne put s’empêcher d’ironiser Philippe.

− Pourtant, je crois bien que j’ai enfin trouvé un mobile, continua l’ancien commissaire.

Allons, bon. Les affaires reprennent, songea Philippe.

− Ce prof d’histoire était médiéviste.

− Oui, une sommité dans son domaine, confirma le pigiste, il a écrit de nombreux bouquins, notamment sur Limoges au Moyen âge. Plutôt rudes à lire pour les non-initiés, mais ça ne méritait tout de même pas qu’on le tue.

− Je suis tombé l’an dernier, dans un vide-grenier, sur un bouquin écrit par Delage : Les Trésors oubliés du Limousin.

− Oui, je connais, pas le meilleur de ses écrits, précisa Philippe, un ramassis de légendes sur des soi-disant trésors cachés dans la région et qu’on n’a jamais retrouvés.

− Et s’il avait découvert l’un de ces trésors et qu’on l’ait occis pour le lui dérober ?

Philippe regarda le flacon accroché au pied à sérum du vieux, il devait y avoir de l’alcool pur là-dedans, ou un cocktail de morphiniques pour adoucir les dernières heures du malheureux, il délirait complètement.

− Ces histoires de trésors en Limousin ne sont que des légendes, expliqua patiemment le jeune homme.

− Delage semblait persuadé de l’existence de certains d’entre eux, reprit le vieux, j’ai lu son bouquin.

Les flics devraient se limiter à San Antonio, pensa Philippe.

− Quand un scientifique découvre un trésor ou tout objet ancien de quelque valeur, il fait une publication dans une revue spécialisée, il ne s’accapare pas la découverte, ­expliqua-t-il, s’il s’agit d’un objet archéologique il doit même faire une déclaration au maire de la commune qui en informe ensuite le préfet.

− C’est bien ça, confirma Gorce, l’état se saisit de l’objet, le temps de l’analyse scientifique, puis la propriété de l’objet est attribuée pour moitié au détenteur du terrain sur lequel il a été découvert et pour moitié à celui qui l’a trouvé, qu’on appelle l’inventeur.

− Exactement, confirma Philippe, et habituellement on ne tue personne dans ce genre d’histoires.

− Oui, mais cette affaire n’est pas habituelle, reprit le flic, j’aimerais bien qu’on vérifie mon hypothèse avant que je casse ma pipe.

Voilà qu’il la jouait sentimentale maintenant.

− Et vous comptez sur moi pour « vérifier votre hypothèse » ? demanda Philippe, incrédule.

− Oui, répondit tranquillement Gorce.

− Pourquoi moi ? Vos collègues flics sont là pour ça, non ?

− Je t’ai dit que c’étaient tous des cons, s’énerva le vieux en passant au tutoiement, va expliquer à ces types ce que c’est qu’un trésor médiéval.

Philippe dut admettre que la chose était, en effet, probablement aussi ardue que d’expliquer la théorie de la relativité à une poule naine.

− Je t’ai choisi toi parce que tu es dans ce milieu des historiens et autres déterreurs de vieilles potiches et surtout parce que j’espère que t’es aussi fouilleur de merde que ton père. Y lâchait pas le morceau, le Gérard, j’peux pas croire qu’il ait engendré un navet.

Sur ce, le vieux partit d’une quinte de toux, qui fit craindre un instant à Philippe que quelque morceau de poumon ne vole dans la chambre.

− Bon, c’est d’accord, reprit le jeune, quand le flic eut retrouvé un peu son souffle, je vais voir si je peux dénicher quelque chose, mais j’promets rien.

− Tiens-moi au courant, répondit simplement le vieux commissaire.

Cinq minutes plus tard, Philippe était dans la rue à se demander pourquoi il s’était laissé embobiner dans cette histoire abracadabrante. Il avait sa thèse de doctorat à rendre dans deux semaines et son directeur de recherche n’était pas du genre comique. Mais ce vieux flic moribond, pathétique, un pote à son père… Bon, d’accord, je suis complètement con, conclut-il, j’vais aller boire mon café au Jourdan pour commémorer cette triste constatation.

Revenu chez lui, l’affaire lui turlupinait les méninges : bon, si on avait occis Delage parce qu’il avait découvert un trésor, la première question à se poser était : quel trésor ? Une cassette, un coffre de pièces d’or… ça ne vous tombait pas du ciel tout d’un coup, fallait fouiner pour trouver ce genre de chose. Qui pouvait savoir si Delage faisait des fouilles au moment de sa mort ? S’il existait une Mme Delage, il sembla à Philippe qu’elle serait certainement la mieux placée pour répondre à cette question.

Restait à trouver une éventuelle Mme Delage. L’annuaire ? Mauvaise idée, c’était comme rechercher les Mohamed dans les Pages jaunes des quartiers nord de Marseille ; les Delage à Limoges, y en avait des caisses. Non, il allait faire ça à l’ancienne. Il connaissait quelqu’un qui avait côtoyé Antoine Delage et qui saurait si le bougre avait convolé en justes noces.

Sa source de renseignement habitait autour du square des Émailleurs, un quartier classieux de la ville, lui aussi à deux pas de l’appartement de Philippe. Pratique, le centre-ville de Limoges : microscopique ; on était près de tout le monde. Philippe connaissait la maison cossue à la porte de laquelle il alla frapper, celle de son maître de mémoire, le Pr Jean-Baptiste Lacouture. Ce dernier avait connu Antoine Delage, il avait été son élève dans les années 1980. C’est même lui qui avait expliqué à Philippe comment on avait retrouvé le vice-doyen, dans une mare de sang et la cervelle plombée.

− Tiens, Philippe ? s’étonna le professeur en ouvrant sa porte, tu viens me remettre ta thèse ?

− Euh non, monsieur, je viens vous voir parce que j’ai besoin d’un renseignement.

Lacouture ne fut pas plus étonné que ça, il recevait volontiers ses thésards chez lui, pour les aider dans leurs travaux de recherche. Philippe était déjà venu à deux reprises.

− Alors, mon vieux, les émaux champlevés de l’Opus Lemovicense n’ont plus de secret pour toi, je présume, en quoi puis-je te renseigner ?

− C’est-à-dire que ce n’est pas de ma thèse que je voudrais vous parler, monsieur, j’aimerais savoir si le Pr Antoine Delage avait une épouse.

− Antoine Delage, répéta Lacouture, très étonné, que lui veux-tu ?

− Oh rien de bien précis, répondit Philippe, jugeant qu’il valait mieux raconter l’affaire à son prof, j’ai rencontré aujourd’hui un vieux flic de Limoges à la retraite, persuadé qu’on a assassiné le Pr Delage.

− L’inspecteur Gorce, je présume, répondit Lacouture, c’était son dada à l’époque, ses collègues avaient parlé de suicide, mais lui, contre toute logique, soutenait qu’il s’agissait d’un meurtre.

− Oui, c’est bien ça, le pauvre bougre est au bout du rouleau et il m’a demandé de chercher si Delage n’aurait pas trouvé un trésor et si ce ne serait pour le lui dérober qu’on l’aurait trucidé.

− Les flics ont une imagination débordante, répliqua Lacouture sèchement, il a chopé la maladie d’Alzheimer, ton retraité ! 

− C’est possible, admit Philippe, en tout cas j’ai promis de chercher un peu sur cette piste et, s’il existe une Mme Delage, je voudrais lui demander si son mari avait entrepris des fouilles à l’époque de sa mort.

− Aucune fouille à ma connaissance, répondit sans hésiter Lacouture, il donnait des cours à la fac et écrivait des bouquins, rien de plus.

− Avait-il une épouse ? insista Philippe, qui voulait aller jusqu’au bout de son idée.

− Oui, une fille de ma promo, se souvint le professeur, une belle plante, d’ailleurs. Delage a flashé dessus dès le premier jour, le quadra qui a un regain de libido pour la jeunette de vingt ans. La p’tite en pâmoison devant son prof et ses tempes grisonnantes à la Clooney – bref, le grand classique.

− Comment s’appelait-elle ?

− Hélène Bouchaut, je crois, ou quelque chose comme ça.

− Habite-t-elle toujours dans la région ?

− J’en sais rien, mais sûrement pas, dis-moi, tu me parais bien loin des maîtres émailleurs du Limousin, tu ferais mieux de te concentrer sur ta thèse et de me remettre rapidement le manuscrit.

− Oh ça ne me prendra guère de temps, monsieur, je fais plaisir au vieux flic, c’était un ami de mon père, je me sens un peu obligé.

− Oui, répondit Lacouture peu convaincu, fais tout de même attention, au jury de ta thèse il n’y aura pas d’« amis de ton père », une thèse doctorale ne souffre pas la médiocrité, ton travail doit être parfait.

− Il le sera, monsieur, promit Philippe, il le sera.

Le jeune homme comprit qu’il ne fallait pas abuser davantage de la patience de son prof. Il le remercia, le salua, et prit congé.

Hélène Bouchaut : il allait en causer à son ami Google, un mec qui connaissait vachement de monde. Une demi-heure plus tard, il était sur son PC portable et ledit Google lui expliquait qu’il y avait six Hélène Bouchaut en ce bas monde avec, à volonté, un « d » ou un « t » en appendice caudal, mais qu’il n’y avait qu’une seule Hélène Bouchaut-Delage, professeur d’histoire-géographie au lycée Léonard-Limosin de Limoges. Merveilleux, songea Philippe, elle habitait donc certainement encore dans la région. Le pigiste décida d’aller demander à un pote à Google, un dénommé Facebook, s’il n’avait pas entendu parler de cette Mme Bouchaut-Delage. Ce bougre de Facebook connaissait parfaitement Hélène, il faut dire que le carnet d’adresses de ces deux mecs était assez fantastique. Sur le mur Facebook de la prof, il n’y avait pas grand-chose, la photo de son profil montrait une fleur que Philippe fut incapable d’identifier, mais pas la moindre Hélène en vue. Par ailleurs, on apprenait que sa cousine Bernadette avait bouffé des lasagnes délicieuses la veille, qu’il fallait soutenir Greenpeace, que le petit chat de tante Adèle était enfin propre, et tout un tas de trucs du même acabit… Dieu merci, au milieu de la diarrhée réseau-socialesque, il y avait une adresse Internet : [email protected].

Philippe décida de tenter sa chance par mail :

Chère Madame, je suis pigiste au journal Le Populaire du Centre et j’aimerais écrire un article commémoratif sur l’œuvre de votre époux, le Professeur Antoine Delage. Pourriez-vous m’accorder quelques instants pour une interview ?

Cordialement

Philippe Desmoulin.

Le jeune homme eut rapidement la confirmation que l’emploi du temps des enseignants leur permettait de surfer sur Internet assez souvent, car il reçut une réponse à son mail dans la demi-heure :

Monsieur,

Je peux vous rencontrer ce soir vers 18 heures, à mon domicile, 6, chemin du Villageas, à Couzeix.

Bien cordialement

Hélène Bouchaut-Delage

Parfait, songea Philippe, cela lui laissait le temps de faire un saut à la médiathèque pour aller jeter un œil sur les articles de presse à l’époque de la mort d’Antoine Delage.

Il retrouva facilement le papier écrit par son père dans les archives du Populaire, intitulé « Un professeur de la faculté d’histoire retrouvé mort à son domicile ». Gérard Desmoulin était un journaliste prudent, pas de conclusion hâtive dans ses propos : « … tout évoque le suicide, mais les policiers n’écartent aucune piste… », « … le professeur Delage laisse une jeune épouse éplorée et une enfant de deux ans… ». Bien sûr, pas de photo de la famille, simplement la tête de la victime : lunettes, cravate, large front dégarni : le prof classique, rien à voir avec Indiana Jones, le chercheur de trésors oubliés. En survolant les articles dans cette période, Philippe eut la surprise de tomber sur une photo de son patron. Lacouture devait avoir vingt-cinq ans à cette époque mais on le reconnaissait bien, la mèche rebelle, un air de premier de la classe, décidément il avait toujours eu une tête à claques. Intrigué, il lut l’article : « Un jeune étudiant de la faculté des lettres de Limoges découvre une nouvelle salle dans la chapelle du sépulcre de Saint-Martial » ; « Les archéologues ont plusieurs pistes pour élucider le mystère de cette salle ». Eh bien, songea Philippe, son patron jouait les modestes, il ne lui avait jamais parlé de cette découverte.

Pour Couzeix, il fallait prendre la voiture. Philippe sauta dans sa Clio, couleur bordeaux dehors, mais plutôt bordel dedans. Le 6, chemin du Villageas à Couzeix était une petite maison pavillonnaire avec un jardin sur le devant, tout ce qu’il y a de plus Français moyen. Il toqua à la porte et eut la surprise d’être accueilli par une créature du genre qu’on n’oublie pas : un mètre soixante-dix au garrot, visage d’ange, poitrail avantageux, taille fine, croupe avenante. De quoi vous retourner un thésard, pigiste, apprenti enquêteur, en un rien de temps. Philippe en resta un instant bouche bée :

− Monsieur est satisfait de son inspection ? lança cette beauté sur pattes.

− Euh, excusez-moi, mademoiselle, j’ai rendez-vous avec Mme Hélène Bouchaut-Delage, bafouilla Philippe, confus d’être pris en flagrant délit de zieutage exacerbé.

− M’man, t’attends un gigolo ? lança la donzelle par-dessus son épaule.

− Oui, un journaliste, fais-le entrer s’il te plaît, répondit une voix venue du living-room.

La sirène s’effaça, l’œil suspicieux, pour laisser passer Philippe. L’épouse de Delage était presque aussi grande que sa fille, et elle avait dû, elle aussi, faire bafouiller plus d’un gus en son temps. Elle avait de beaux restes de cette période, la petite cinquantaine, mais plutôt le genre Jean Fonda fitness que Mère Denis lessive.

− Asseyez-vous, je vous prie, proposa la belle Hélène, et excusez les facéties de ma fille.

La facétieuse s’était elle-même assise dans un coin du salon, bien décidée à surveiller si le gigolo n’allait pas attaquer sa mère à la tronçonneuse.

− Ainsi, vous êtes journaliste ? reprit la maîtresse de maison.

− Doctorant à la fac d’histoire et pigiste au Populaire, précisa Philippe.

− Et vous avez envie d’écrire quelque chose sur les travaux de mon mari ?

− Oui, madame, je m’intéresse surtout à son ouvrage sur les trésors en Limousin.

− Oh c’était son dada, assura la veuve avec nostalgie ; le trésor de l’évêché, il était certain qu’il avait existé et qu’on le retrouverait un jour.

Philippe connaissait cette légende d’un trésor que les Limougeauds auraient caché lors du siège de la cité épiscopale mené par Édouard de Woodstock, le Prince Noir, en 1370. Les Anglais, après avoir pris la forteresse, avaient ravagé la cité et massacré la garnison en vain pour retrouver ce trésor1.

− Votre mari avait-il entrepris des fouil­les lui-même ? demanda Philippe.

− Non, répondit Mme Delage, il avait fait toutes les demandes en ce sens, mais le permis de débuter les travaux, autour du sous-terrain de la Règle, lui avait été refusé.

− Je croyais qu’il avait fait des recherches place de la République, intervint la créature de rêve.

− Oui, expliqua sa mère, mais rien à voir avec la recherche du trésor de l’évêché. Il a simplement participé, avec les archéologues de l’époque, aux travaux de fouilles du site de la crypte Saint-Martial découverte en 1960, quand on a creusé le parking souterrain de la place de la République2.

Encore une histoire que Philippe connaissait parfaitement, à chaque fois que l’on mettait un coup de pioche dans le centre-ville de Limoges on tombait sur des vestiges du Moyen âge. Il participait lui-même aux fouilles de la dernière trouvaille en date, rue de la Courtine.

− Le matin même du jour où il est mort, reprit la dame, avec quelque émotion dans le ton, il était sur ce site de la crypte.

− Je ne voudrais pas réveiller des souvenirs douloureux, mais pensez-vous que votre mari aurait pu découvrir le trésor qu’il recherchait ? s’élança Philippe.

− Certainement pas, j’en aurais été la première informée, assura Hélène, nous n’avions pas de secret l’un pour l’autre.