À toute allure à Landerneau - Martine Le Pensec - E-Book

À toute allure à Landerneau E-Book

Martine Le Pensec

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Beschreibung

"Léa Mattei et son procureur se sont mariés ! En voyage de noces à l’île Maurice, elle va entamer une enquête déconcertante où se mêlent prédiction et intimidation.

De retour en Bretagne, elle se rend à Landerneau, car elle s’inquiète pour la vie du médecin landernéen rencontré lors d’un épisode mauricien alarmant. La suite lui donnera raison bien au-delà de ses craintes ! Léa remonte le fil du temps pour comprendre les raisons de ce meurtre insolite avec pour seules indications deux dates. Deux autres meurtres seront commis avec un mode opératoire glaçant. Dans ce road-trip angoissant, elle croisera des anciens copains de médecine, une trapéziste vénéneuse, un couple de parapsychologues clandestins, deux moines en rupture de ban… Pour briser une série meurtrière, c’est à toute allure que Léa devra décrypter le passé pour enrayer à temps le projet criminel au risque de sa vie et de celle de Gloria, la fille du procureur sur le point d’accoucher."

 À PROPOS DE L'AUTRICE

Née à Cherbourg, Martine Le Pensec vit à Toulon. D’origines bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l’Ouest et le domaine médical, dans lequel elle a travaillé plusieurs années. Elle signe, avec "À toute allure à Landerneau", son vingt-quatrième roman policier.




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Seitenzahl: 269

Veröffentlichungsjahr: 2025

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Couverture

Page de titre

« La mer revient toujours au rivage

Dans les blés mûrs y a des fleurs sauvages

N’y pense plus tu es de passage… »

On The Road Again - Bernard Lavilliers

REMERCIEMENTS

À tous ceux et celles qui comptent pour moi, merci d’être là !

À Jean-Marc, à maman, à mes quatre filles, à mes six petits-enfants…

Aussi sur : https://www.facebook.com/martine.lepensec

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence

I

Le jour de grande marée se terminait. Le soleil était bas sur l’horizon. Des nuages fins s’étiraient dans le ciel qui virait au mauve. Les pêcheurs à pied n’avaient pas attendu la marée haute pour remonter la plage, en direction de leurs voitures, leurs seaux alourdis par le fruit de leur collecte. Les plus chanceux ramenaient des coquilles Saint-Jacques, les autres se contentaient de coques et de praires, quelques crabes et du bouquet de crevettes. La fraîcheur arrivait avec le remontant. Le flot poussait avec force. La même que celle qui l’avait fait reculer bien plus loin que d’habitude. Le rocher qui avait vu passer des dizaines de personnes dans l’après-midi était déserté, de nouveau encerclé par la mer. Isolé. Pas tout à fait.

Derrière, à un endroit invisible de la côte, des doigts bougeaient dans le prolongement d’un corps tombé dans une anfractuosité entre deux crevasses. Ses essais pour s’extraire de là restaient vains. Une brûlure insupportable traversait son dos. Un fer rouge dans ses vertèbres. Plus rien ne répondait. Ses jambes étaient mortes. Seule une de ses mains griffait désespérément la roche. Ses larmes dévalaient sur ses joues se mêlant aux embruns de la marée montante. Ce n’était qu’une question de minute avant que l’eau ne l’atteigne. Ses yeux affolés voyaient les vagues gicler au-dessus de son corps affalé dans le trou. À chaque coup de boutoir de la marée, l’eau passait par-dessus et commençait à remplir la faille. Ses fesses, puis son ventre trempaient déjà dans l’eau salée. Celle-ci recouvrit sa poitrine. Seule sa tête ainsi que ses pieds émergeaient encore. Chaque nouvelle vague remplissait le trou avec un clapotement horrible.

La conscience aiguë de sa mort inéluctable l’envahit. Personne pour soulever le corps paralysé et le sortir de ce piège mortel. L’eau dépassa son cou, puis atteignit son menton. L’eau salée pénétra sa bouche. La tête bougeait de droite à gauche pour échapper au supplice. Puis elle remonta dans son nez. Des soubresauts de la tête et des gargouillements étaient les seuls signes de vie, avec le bout des doigts qui s’agitaient encore. Tout d’un coup tout s’apaisa. Le corps se détendit et les yeux, comme deux lacs sombres, s’ouvrirent sous l’eau.

C’était fini.

La mer continua son avancée inexorable, recouvrant le rocher, jusqu’à ce que seule sa pointe blanche reste visible.

II

La soirée avait bien commencé. Léa et Treguer goûtaient la douceur du climat mauricien. Quarante-huit heures plus tôt, un vol Emirates Paris-Dubaï suivi par un Dubaï-Maurice les avait amenés au milieu de l’océan Indien. Un voyage de dix-huit heures qui les avait déposés, fatigués mais heureux, à l’hôtel “Le Galion” de Flic en Flac sur la côte ouest de l’île.

Leurs yeux émerveillés, et leurs oreilles enchantées, avaient découvert l’immense parc de l’hôtel, planté de cocotiers et de frangipaniers. Des dizaines de moineaux squattaient les abords du grand restaurant à la recherche de miettes. Léa reconnut un martin triste avec son bec jaune et ses plumes noires.

Ce soir, l’hôtel offrait un cocktail de bienvenue dans les jardins. Des serveurs en tenue proposaient des plateaux de punchs et de bouchées apéritives. Le domaine s’étalait sur un kilomètre de plage. Un lagon paradisiaque où des vagues de deux mètres venaient se briser sur la barrière de corail. Treguer avait frappé fort en emmenant sa belle sous les tropiques !

Le directeur saluait chaque client. L’ambiance était festive. Michèle, une cliente, vint passer son bras sous celui de Léa. Cela avait matché immédiatement entre la Parisienne spirituelle et la détective corse. Une histoire d’atomes crochus et de centres d’intérêt. Elle se passionnait pour les médecines douces, la méditation, les mystères, les hasards qui n’en sont pas… Elle suivait la voie du Tao. Léa la trouvait rafraîchissante.

Les cocktails au rhum local coulaient à flots et Léa surveillait Pascal du coin de l’œil. Mais son procureur préféré tenait le choc. Petit à petit les clients désertaient le cocktail pour rallier les différents restaurants du complexe. Michèle leur présenta un couple de Bretons, Victor Le Bihan et Emma Forestier, arrivés de Landerneau. Un autre couple les rejoignit, qui avait déjà sympathisé avec la Parisienne, Helga et Simon Varennes. Pendant qu’ils se dirigeaient tous vers le grand buffet international, quelqu’un proposa de partager le repas. Les multiples verres avaient chauffé l’atmosphère et délié les langues. Michèle s’adressa à Léa, en aparté.

— Tu verras, ils sont très intéressants ! Simon est un parapsychologue reconnu à Paris. Il a rencontré Helga en Suède. Elle ne supportait pas la vie parisienne, le métro, la pollution… Ils ont quitté Paris depuis. Simon rentre en communication avec les esprits par le biais d’une planche de ouija.

Léa resta perplexe. Treguer, lui, fit une moue dubitative. Elle se doutait que ce n’était guère sa tasse de thé, mais au diable les réticences, c’était les vacances ! Ils se joignirent au groupe pour un repas animé et instructif. Léa y apprit que la planche de ouija faisait partie des instruments de psychographie indirecte, selon les spirites. Simon leur décrivit la planche sur laquelle sont inscrites les lettres de l’alphabet, ainsi que les dix chiffres arabes, les termes « oui » et « non », « bonjour » et « au revoir ».

Ceci lui permettait, avec l’aide d’un verre retourné, d’entrer en communication avec les esprits présents lors de la séance de spiritisme. L’exaltation montait au fur et à mesure du repas. Quelqu’un demanda, en s’esclaffant, s’il était venu avec sa planche. Simon avait hoché la tête en souriant. Son regard gris foncé avait quelque chose de magnétique. Helga répondit à sa place.

— Évidemment, il ne s’en sépare jamais !

Un ange passa. Le silence avait flotté quelques instants entre eux. Quelque chose de nouveau venait de se créer. Une sensation bizarre s’était nichée au creux de leurs estomacs.

— On peut essayer ?

Voilà, c’était lancé. Michèle avait croisé les regards de chacun et appuyé la requête.

— Si cela ne te dérange pas, Simon, ce serait top ! Le maître avait eu un sourire en coin.

— Pourquoi pas ?

Les regards s’étaient faits lourds et les respirations retenues.

— Où ?

Michèle avait pris les rênes de l’opération. Tous disposaient de bungalows aux toits de chaume, sauf Simon et Helga qui avaient un grand pavillon de luxe.

— Allons chez moi !

La fin du repas se passa dans une atmosphère d’excitation contenue. Sur place, les invités s’étaient répartis autour de la table ronde en manguier noir. Helga avait préparé l’attirail. Une planchette où leurs regards mi-curieux mi-inquiets déchiffraient les inscriptions. Léa, prise d’un frisson, serra subrepticement la main de Pascal sous la table. Le procureur conservait son attitude détachée.

Le parapsychologue s’était installé à table, lui aussi. Son regard portait sur chaque invité.

— Nous voilà réunis. À votre demande nous allons procéder à une séance de communication avec les esprits. Nous utiliserons ce verre pour obtenir leurs réponses à vos questions. Avant de commencer, faisons une minute de silence tout en formant une chaîne avec nos mains…

— Il vous faut aussi éteindre vos téléphones portables, lança Helga.

Lorsque ce fut fait, Simon continua :

— Commençons.

Le verre était posé devant lui.

— Esprit, es-tu là ?

Helga avait tamisé les lumières et allumé quatre bougies qui projetaient des ombres fantomatiques sur le groupe. Elle avait aussi veillé à ce qu’ils se touchent tous, soit par un pied, un bras ou un coude ; ils devaient former une chaîne énergétique. Puis elle s’était assise à son tour auprès de Simon. Tous posèrent légèrement leur index sur le dessus de verre, l’atmosphère s’était alourdie. Léa eut l’impression que l’air se compactait. Plusieurs secondes s’écoulèrent sans réaction, et le verre frémit. Léa sentit son bras s’étirer tandis que le verre se dirigeait vers le mot « oui » de la planche.

— Bonjour, exprima Simon. Souhaitez-vous nous dire quelque chose ?

Le verre frémit à nouveau et se dirigea vers des lettres. Il prenait de la vitesse et tous peinaient à garder le contact. Helga notait les lettres sur un papier. « R E M E M B E R. »

— Se souvenir, traduisit Simon. De quoi voulez-vous que nous nous souvenions ou… que quelqu’un ici présent se souvienne ?

Un des participants avait enlevé son doigt du dessus du verre et poussé une exclamation contrariée.

— C’est ridicule, marmonna-t-il.

— Si vous préférez, nous pouvons prendre congé de l’entité et lui dire au revoir ?

— C’est dommage, murmura Michèle. Il ou elle semblait avoir quelque chose à dire. Qui est-ce d’ailleurs ?

Léa ne savait que penser. L’atmosphère était franchement étrange, mais elle était curieuse… Emma donna un coup de coude à Victor qui replaça son doigt sur le verre.

— Alors continuons. Esprit, pouvez-vous nous faire connaître votre nom ?

À peine la question posée, le verre sembla animé d’une vie propre et s’emballa. Il “écrivit” rapidement « S A C H A ». À peine le temps de digérer l’information qu’il reprit sa course. Une sorte de violence l’habitait. « 23 A O U T ». Par moments, il était sur le point de basculer. Le parapsychologue lui-même paraissait désarçonné.

— Bien, dit-il, êtes-vous une connaissance, un parent, un frère, un ami de l’une des personnes autour de la table ?

Le verre s’envola de nouveau. Léa se leva à demi pour suivre sa course. Cette fois il bondit vers le médecin breton et s’arrêta devant lui. Léa eut l’image fugace d’un cheval piaffant d’impatience à la place du verre. Trois fois le verre recula et revint violemment sur Victor. Puis la course reprit vers la tablette et reformula « 23 A O U T » à deux reprises. Il lui sembla même que la table vibrait tant l’énergie s’était élevée dans la pièce ! Le verre reprit ses allers-retours vers Victor, le désignant rageusement. Ce dernier se leva brusquement en heurtant le bord de la table et le verre s’écrasa au sol, rompant l’envoûtement qui maintenait les invités silencieux. Victor était blême et transpirait. Il sortit du pavillon et sa compagne fit une grimace d’excuse avant de le rejoindre.

Léa et Michèle aidèrent Helga à ramasser les débris de verre.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle à Simon. Ce dernier haussa les épaules.

— L’information était pour Victor, c’est clair. Mais… il n’était pas prêt à la recevoir…

III

Allongés sur des transats, à l’ombre de parasols en feuilles de cocotier, Léa et Treguer goûtaient la quiétude de la plage privée. Au sud, des nuages s’amoncelaient sur le Morne Brabant, l’imposante montagne omniprésente sur l’île. Le temps changeait de nombreuses fois par jour ici et les grains passaient rapidement. Une des facettes des tropiques. Sur leur coin de paradis le ciel était bleu, l’eau turquoise était seulement rayée du trait blanc des déferlantes sur la barrière de corail à deux cents mètres de là.

Léa savourait l’instant. Tout s’était précipité ces derniers mois. La fin de sa dernière enquête à Plougastel avait été couronnée par la demande en mariage du procureur ! Léa n’était guère adepte de ce genre de réjouissances… pourtant une petite voix lui avait soufflé d’accepter. Le procureur, sûr de lui, rigide et grincheux, rencontré quelques années plus tôt, avait fait ses preuves. Un amour sans faille, une fiabilité à toute épreuve et un caractère en voie d’amélioration. Bon, n’exagérons rien, il y avait des rechutes de temps en temps, mais Léa l’aimait ainsi !

Par principe, et pour pimenter la chose, elle avait mis comme condition à son acceptation de choisir le moment et le type de cérémonie. Son petit côté rebelle…

Un dilemme s’était invité dans sa réflexion. Sa belle-fille, Gloria, fille unique de Treguer, leur avait annoncé la prochaine naissance de son bébé, prévue en septembre. Que faire ? Se marier avant ou après la naissance ? Léa avait tranché – elle savait combien ce mariage tenait à cœur à Pascal – ce serait maintenant, avant que Gloria ne soit trop fatiguée par sa grossesse ! Ils s’étaient décidés pour le 17 juillet. Un mariage champêtre que Léa avait souhaité celtique à défaut de religieux. La tête de son procureur préféré avait valu son pesant d’or lorsqu’elle le lui avait annoncé ! Mais que n’aurait-il pas fait pour épouser sa douce ?

Michèle la rejoignit, enveloppée d’un paréo rose et blanc. La blonde parisienne venait de nager quelques longueurs dans le lagon et respirait la forme. Plus que Léa que la séance de la veille avait perturbée.

Pascal se leva pour profiter du lagon. L’air et l’eau avaient la même température, vingt-six degrés. Une sacrée différence avec leur Bretagne qui plafonnait difficilement à dix-neuf degrés pour l’eau en cette saison. L’hiver mauricien était plus doux que l’été breton ! Michèle approcha son transat de celui de Léa et entama la conversation. Les sujets ne manquaient pas entre elles.

— Alors ce mariage ? Nous avons été interrompues hier…

Léa sourit et se remémora.

— Ce n’était pas un mariage en grande pompe, ce n’est pas mon style ! Pascal n’a plus de famille à part sa fille et son beau-fils. Il avait invité deux collègues du tribunal et leurs épouses. De mon côté, il y avait bien sûr mes enfants, les jumeaux, ainsi que Marc leur père et sa femme Margot. Les adjoints de la BR étaient là, mes anciens collègues du temps où j’étais encore gendarme. Ma sœur Livia et son mari Pierre avaient fait le voyage depuis la Corse. Bien sûr ma vieille copine Yvette Morin. Elle est chère à mon cœur pour des raisons que je t’expliquerai plus tard. Mon amie Laure, dite LSD pour Laure Saint-Donge, était présente aussi. Ancienne policière, écrivaine et enquêtrice remarquable, mais aussi marraine de ma fille Samantha. Tout comme moi, sa vie n’a pas été de tout repos… J’en oublie peut-être, mais en gros nous étions une vingtaine.

— Alors mairie et église ?

Léa eut un sourire malicieux.

— Mairie bien sûr. À Brest où j’habite. En revanche mariage celtique à Brocéliande !

Michèle ouvrit des yeux ronds.

— Alors là, tu me fais rêver. Quelle classe !

— J’avoue avoir bien décontenancé mon cher et tendre ! Mais il a bien joué le jeu.

Léa lui relata la recherche d’un officiant, en l’occurrence une femme qui pratiquait ce genre de cérémonies. Elle lui dépeignit sa robe elfique, blanche et dorée, et la description du costume de Treguer, digne du film Braveheart, déclencha une cascade de fous rires chez les deux femmes !

— C’est vrai qu’on ne l’imagine pas comme ça en le voyant. Ah ! l’amour…

— Cela s’est fait au Miroir aux Fées dans la forêt de Brocéliande. Gloria nous avait trouvé un harpiste et je reconnais que c’était un peu… irréel. L’ambiance, les bougies, les poèmes récités. On a partagé du pain et de l’hydromel. Moi qui ne suis pas très conventionnelle, je dois admettre que ce fut un très beau moment. En fait je l’avais surtout proposé pour taquiner mon procureur, très conventionnel lui… Il m’a bluffée. Il a “tout” accepté ! Même son costume…

Michèle buvait ses paroles.

— Il a même cherché spontanément un rite sur Internet et il l’a fait ! Il a confectionné un couteau en bois qu’il avait mis dans sa chaussette, qui a servi à couper une pomme, symbole de partage !

— Bref, de merveilleux souvenirs ! conclut Michèle, émue.

Elles se levèrent pour marcher un peu. Le domaine du Galion était magnifique. Planté de centaines de cocotiers de différentes sortes et de frangipaniers et hibiscus.

Seul bémol, il fallait lever les yeux pour surveiller les cocotiers. De temps en temps un bruit de noix de coco s’écrasant sur une allée les faisait sursauter !

— Dis-moi, lui demanda Michèle, tu en as pensé quoi au juste de la séance d’hier soir ? Moi ça m’a un peu secouée…

— C’était la première fois pour moi, je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Mais j’ai trouvé ça déconcertant. Tu avais déjà vu ce genre de phénomène ?

Sa copine fait une grimace.

— Je n’étais allée qu’une fois chez un parapsychologue et la séance avait été bien plus calme. Je ne sais trop que penser de celle d’hier soir. On aurait dit que l’esprit en voulait à Victor… Quelle violence dans ce verre ! Mon doigt peinait à suivre ses mouvements !

— Pareil, répliqua Léa. Mais surtout, ce Victor semblait troublé. Apeuré et en colère aussi.

— Cette date, à quoi peut-elle correspondre ?

— On ne sait même pas s’il s’agit de cette année ou d’une date passée. En tout cas si c’est cette année, c’est proche.

On était le 3 août. Michèle hocha la tête. Léa réfléchit.

— Victor est de Landerneau. C’est tout près de Brest. Je vais garder un œil sur lui ! dit Léa en éclatant de rire.

IV

Ce séjour dans l’océan Indien était le cadeau surprise de Treguer à Léa. En secret il avait réservé dix jours dans ce très bel hôtel et deux billets d’avion pour l’île Maurice. Il avait tout arrangé. Le procureur avait posé ses congés, vérifié que sa belle n’avait pas d’enquête brûlante en cours. Il avait demandé au commandant Guillerm de garder les jumeaux, et Pascal s’était assuré que Gloria et Alex veilleraient sur le chat Réglisse !

Dix jours dans un lieu de rêve où rien ne viendrait distraire Léa de leur lune de miel, à part le chant des oiseaux. Pascal Treguer n’en revenait pas d’être enfin marié à Léa ! Il avait tout accepté de bonne grâce. Le harpiste, les poèmes, le costume… s’il avait fallu enfiler une cotte de mailles et un heaume de chevalier, il l’aurait fait aussi ! Tout pour qu’ils puissent se promettre de se chérir et de s’aimer jusqu’à la fin de leurs jours. Rassuré, il respirait à pleins poumons l’air de l’océan Indien en contemplant son annulaire gauche. Il vit Léa et sa copine revenir de leur promenade et se séparer avant d’arriver aux transats. Léa se laissa tomber sur le sien et lui sourit.

— Bonne promenade ? demanda-t-il. Elle hocha la tête.

— Excellente ! Michèle est vraiment intéressante. On parlait de la séance d’hier soir. Qu’en as-tu pensé ?

Treguer haussa les sourcils.

— Heuuu…

La question le prenait de court. Pascal était un cartésien. La parapsychologie ne faisait pas partie de ses dadas !

— Mais encore ? insista Léa. Oui, je sais, tu ne crois pas à tout ça, les signes de l’au-delà, la communication avec les défunts, etc. Mais donne-moi ton avis bien terre à terre, j’en ai besoin pour contrebalancer l’impression désagréable que m’a laissée la séance d’hier soir.

Treguer souffla. Il connaissait sa Léa. Une intuitive solidement ancrée dans la terre, mais dont l’esprit pouvait, parfois, s’évader vers d’autres plans.

— Eh bien… c’était surprenant. Tu sais que je suis novice dans ce domaine… mais toutes ces séances ne sont-elles pas destinées à frapper les esprits ?

Léa inspira profondément et répliqua :

— Sûrement. Il doit exister des parapsychologues, appelle-les des charlatans, qui abusent de la crédulité de leurs clients. Mais dans ce cas précis, c’était une rencontre totalement imprévue avec Simon et Helga, et une séance organisée au dernier moment. Il y avait une telle violence dans les déplacements du verre… de la hargne… Victor semblait tellement visé. Ce nom, cette date l’ont fait pâlir. Est-elle prévisionnelle ou passée, cette date ?

— Tu es bien certaine qu’ils ne se connaissaient pas ?

— Ça n’en avait pas l’air. Michèle les a présentés à Simon et Helga. Victor et Emma sont à Landerneau. Pas le genre à fréquenter ce type de milieu.

Treguer haussa les épaules.

— Simon a voulu en mettre plein la vue et…

— …terroriser un inconnu ? Léa eut une moue dubitative.

— Ce qui m’intrigue, c’est que cela semblait avoir du sens pour Victor. Il était mal, transpirait à grosses gouttes.

— C’est peut-être quelqu’un d’impressionnable. Léa secoua la tête de droite à gauche.

— Un gars qui pratique la chirurgie du cerveau ?

Hum…

— C’est vrai, reconnut Pascal, j’avais oublié qu’il est neurochirurgien. Il vaut mieux avoir les nerfs solides dans ce métier.

— Donc, tu reconnais que cette séance était étrange ? Michèle aussi était choquée. Elle a déjà eu l’occasion de participer à une séance, mais pas du tout ainsi. Les questions posées obtenaient des réponses calmes. Ou parfois pas de réponses. Mais elle n’avait pas rencontré ce niveau d’agressivité. On aurait dit que “l’esprit” en voulait personnellement à Victor !

— Hum…

— Oui, je sais, tu n’y crois pas, mais je vais quand même mener ma petite enquête !

— Quel genre d’enquête ?

— Connaître les dates d’arrivée et de départ de chacun d’entre eux. Pour éliminer l’éventualité qu’ils se soient rencontrés dans l’avion, déjà, et regarder leurs profils sur Internet. Il doit bien y avoir le CV du neurochirurgien sur la Toile et pareil pour Simon. Des articles de journaux, des témoignages de participants à ses séances ?

Treguer leva les yeux au ciel.

V

Léa et Michèle s’étaient mises d’accord pour interroger séparément Simon et sa compagne, ainsi que Victor et Emma. Pour le parapsychologue, Michèle avait appris par Helga qu’ils étaient sur l’île depuis trois jours et qu’ils devaient repartir dans cinq jours. Ils étaient venus avec un vol Emirates via Dubaï. Quant à Victor et Emma, Léa les avait croisés à l’accueil de l’hôtel en train de régler les formalités de départ. Ils avaient leur vol retour le soir même. Un vol Air France comme à l’aller. Voilà qui avait réglé ses interrogations sur les deux couples. Elle comptait sur Michèle pour papoter un peu plus avec Helga, car le couple était inscrit à deux excursions à la journée, comme elle. En plus, la Parisienne était familière de ce milieu.

Le lendemain, la visite du nord de l’île et de Cap Malheureux était prévue tandis que Léa et Treguer feraient l’excursion du sud vers les hauteurs de Vacoas. En attendant, Léa avait consulté Google. Elle y avait trouvé deux articles élogieux sur le chirurgien, l’adresse de son cabinet privé et celle de l’hôpital où il consultait également. Léa n’avait rien trouvé le reliant à Simon. C’était un enfant de Landerneau.

Quant au parapsychologue, deux articles parlaient de lui. D’abord aide-soignant à Nice – tiens, tiens, domaine médical aussi, mais études à Cannes –, il s’était rendu compte de son don auprès de patients qu’il côtoyait dans son métier. Des flashes lui venaient de la part d’entités qui voulaient communiquer avec eux. Alors il avait tout lâché dans le Sud pour monter à Paris et créer son propre cabinet de parapsychologie. À première vue, rien pour le relier à Victor Le Bihan.

Ça l’agaçait de ne pas parvenir à trouver un dénominateur commun entre les deux hommes !

Enfin elle comptait sur la quiétude de Grand Bassin, qu’elle devait visiter avec Pascal le lendemain. Le lac sacré des Hindous et son temple, le deuxième plus grand au monde.

* *      *

Michèle était revenue enchantée de son excursion dans le nord de l’île et ne tarissait pas d’éloges sur le jardin de Pamplemousse. Un très grand jardin botanique où des centaines d’essences diverses se côtoient. Poivriers, camphriers, l’arbre bois de rose, manguiers, litchis, palmiers éventail, l’arbre du voyageur, palmiers bouteille… Les qualificatifs lui manquaient pour le décrire, mais elle n’avait pas oublié sa “mission” et trouvé un moment tranquille pour évoquer la séance avec le couple. Simon lui avait paru soucieux. Selon lui, ce genre de séance était rarissime. Quelque chose n’allait pas chez le médecin. Il aurait fallu une autre séance pour éclaircir les choses, mais Michèle leur avait appris le départ du couple de Bretons. Simon avait froncé les sourcils et murmuré : « Espérons que tout ira bien. »

C’était maigre comme information, mais Michèle était convaincue de l’inquiétude du parapsychologue.

Pascal et Léa avaient traversé le sud de l’île. Une balade éblouissante tant la région était belle et sauvage. Absolument déconseillée à toute personne souffrant de nausées en bus ! Des routes étroites et tortueuses, des à-pic vertigineux, une végétation luxuriante sous une pluie quasi permanente. C’était les hauteurs de l’île.

Mais Léa avait surtout apprécié le calme de Grand Bassin dont les statues de Shiva et Durga, hautes de trente-trois mètres, signalaient l’entrée. Un brahmane les avait accueillis avec un rituel sacré. Signe sur le front entre les yeux et lien jaune et rouge au poignet avec une prière de protection. Et la pluie, toujours la pluie qui semblait baigner perpétuellement les lieux situés en altitude.

Tout autour du lac, les pèlerins déposaient leurs offrandes de bananes ou de noix de coco aux statues colorées, aux pieds dans l’eau. Les macaques, habitants de ces collines, venaient chiper les fruits immédiatement ! Malgré les nombreux touristes, il émanait du lieu un sentiment de paix et de recueillement, favorisé par le silence ambiant.

Léa en était revenue enchantée, même si Treguer grommelait en regardant son poignet droit.

— Hum… il faut le garder longtemps ce truc ? Léa l’avait fusillé du regard.

— Il a été noué avec un rituel de protection pour nous et notre famille, alors ce fil restera à ton poignet le temps qu’il voudra ! Que je ne te prenne pas à le couper !

Treguer n’avait pas bronché !

VI

Léa gardait en tête la douceur de l’île Maurice et la gentillesse de ses habitants. Ni feinte ni commerciale. Une vraie gentillesse du cœur. Des souvenirs au parfum de vanille et de noix de coco demeuraient dans un coin de sa tête.

Dix jours que les nouveaux mariés étaient de retour en Bretagne. Ils avaient retrouvé une Gloria dont le tour de taille s’était arrondi entre-temps. Léa avait surpris les haussements de sourcils du procureur qui commençait à entrevoir la réalité de la chose. Une tornade bleue ou rose qui allait s’abattre sur lui prochainement ! Léa avait repris le travail. Quelques affaires de divorces conflictuels. Néanmoins Victor Le Bihan et la date du 23 août restaient en arrière-plan dans son esprit. Qu’était-il devenu depuis son retour de voyage ? Plus la date approchait et plus Léa se sentait sur des charbons ardents.

Un entrefilet dans Le Télégramme de Brest lui apprit qu’une fête foraine serait présente à Landerneau à l’occasion de la Sainte-Rose, pour la semaine. Léa y vit un signe du ciel et proposa à Treguer d’y emmener les jumeaux. Elle ferait ainsi d’une pierre deux coups, distraire les enfants et approcher Victor Le Bihan.

Pascal haussa les sourcils. Il n’était pas fan des animations foraines ! Léa le taquina.

— Ça te fera de l’entraînement pour ton futur petit-fils ! S’il te plaît, accompagne-moi, on ne sera pas trop de deux pour les surveiller !

Il en convint. Matt était plutôt calme, mais Sam, la chipie, était capable du pire.

En attendant, Léa traqua les moindres renseignements, existants sur la Toile, concernant le neurochirurgien.

Fils d’un couple de médecins, Victor avait suivi la voie familiale. Le 23 août n’était pas sa date de naissance. Âgé de 34 ans il était installé à Landerneau depuis trois ans pour son cabinet privé, sinon il opérait à Brest. Ni marié ni pacsé, il partageait la vie d’Emma, la jeune femme rencontrée à Flic en Flac. Une brune pétillante de 33 ans.

« Sacha – 23 août. »

Le mystère demeurait et elle n’avait rien trouvé qui relie Victor à quelqu’un portant ce prénom. Mais le malaise évident du médecin, durant cette séance qui semblait le désigner, l’intriguait. Croyait-il à ce genre de phénomène ? Était-il impressionnable ? Anxieux ? Ces informations lui rappelaient-elles un mauvais souvenir ?

Tout l’éventail des possibles s’ouvrait devant elle.

Léa soupira et dressa une liste de choses à vérifier. Ses études, le lieu et la liste de ses camarades de promo, pareil pour Emma Forestier, infirmière, et bien sûr les événements de sa carrière bien qu’elle soit récente.

Pourquoi s’entêter à enquêter sur ce couple ? Léa secoua la tête. Ce n’était pas une affaire et ses questionnements ne reposaient que sur son intuition… et une séance de parapsychologie. « Un peu léger, Léa Mattei », se dit-elle en reposant son stylo. Mais elle se connaissait et savait qu’elle ne parviendrait pas à sortir son impression négative de la tête avant d’avoir compris ce qui s’était joué ce soir-là ! En tout cas pas avant que la date se soit passée sans souci pour Victor Le Bihan !

* *      *

Treguer donnait la main à Mattéo tandis que Léa tenait Sam qui se tortillait pour lui échapper. Le clan des hommes bavait devant la pêche aux canards tandis que le clan des filles se dirigeait vers les autos tamponneuses. Enfin, plus précisément Sam tirait fermement sa mère dans cette direction ! On était le 23 août et, comme prévu, ils s’étaient rendus en famille à Landerneau. Beau temps sec et ambiance festive sur l’esplanade du centre culturel Le Family. La fête battait son plein en bordure de l’Élorn. La ville de dix-sept mille habitants, célèbre pour le pont de Rohan, pont habité un peu à la façon du Ponte Vecchio à Florence, avait revêtu ses habits de fête. Treguer, féru d’histoire, lui déballait les particularités de la ville. Louis XIV l’avait nommée la cité de la Lune et la ville, traversée par l’Élorn, avait la singularité d’avoir une rive en Cornouaille et l’autre dans le Léon ! Le pont de Rohan à six arches avait commencé comme moulin, puis il était devenu chapelle. Un temps il avait même servi de prison avant d’être récupéré au XVIIe siècle pour y installer magasins et logements. Longtemps il avait été le seul moyen de traverser la rivière à Landerneau, jusqu’à la construction du pont Caernarfon dans les années cinquante, au siècle dernier. Depuis, Rohan était devenu piétonnier.

Avant de rentrer dans la fête foraine, ils avaient parcouru le centre-ville où Pascal avait fait remarquer à Léa le côté médiéval dans les maisons aux façades en pans de bois et recouvertes d’ardoises, ainsi que celles en pierres blondes de Logonna dont elles tiraient leur aspect lumineux. Après quelques jeux, la faim se faisant sentir, Léa avait calé les enfants avec Pascal, dans une crêperie du pont de Rohan. Ensuite elle s’était éclipsée pour se rendre à l’adresse du cabinet de Victor Le Bihan, de l’autre côté du pont, côté Cornouaille. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour repérer la plaque du médecin. Tentée de voir le couple, elle s’était approchée pour sonner quand la porte s’était ouverte brusquement. Nez à nez avec Emma, la compagne de Victor, Léa avait souri et dit :

— Emma ! Quelle bonne surprise ! Tu te souviens de moi ? Léa de l’île Maurice… Nous avons passé une soirée ensemble avec mon mari et Victor…

Le visage d’Emma s’était éclairé.

— C’est vrai, ton visage ne m’était pas inconnu.

Alors, rentrée toi aussi de l’océan Indien ?

— Oui, voyage de noces terminé… mais inoubliable ! Pascal est ici aussi, à la fête foraine avec les enfants.

Devant l’air surpris de la jeune femme elle lui expliqua qu’elle avait eu les jumeaux avant sa rencontre avec le procureur.

— Et toi, alors ? Et Victor ? Il s’est remis de sa séance de discussion avec les esprits ? Il m’avait semblé contrarié, même… perturbé.

Léa avait adopté un ton léger pour aborder le sujet, mais le sourire avait déserté le visage d’Emma.

— Quel charlatan ce type !

— Victor est là ?

— Non, il est sorti. Parti retrouver une amie. Il doit aussi être à la fête. Moi, je vais prendre mon service à l’hôpital.

— Je l’aurais revu avec plaisir, mais peut-être nous croiserons-nous à la fête ?