Enquête corsée à Crozon - Martine Le Pensec - E-Book

Enquête corsée à Crozon E-Book

Martine Le Pensec

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Beschreibung

Un meurtre entre la Corse et la Bretagne...


À quoi tient une enquête ? À un bout de fil de fer barbelé dépassant d’une haie. Sans lui, la détective Léa Mattei n’aurait pas fait la connaissance de Valentine Hamon, un auteur à succès de livres pour enfants, nouvelle arrivée avec son chat Tittu à Crozon. La jeune femme a peur, Léa en est sûre.
La détective s’immisce alors dans une mystérieuse affaire corse. Trois personnes disparues du côté de Calvi, un promoteur corse aux pratiques douteuses, et un autre, breton, et sa compagne qui gravitent autour. Un meurtre aux allures de règlement de compte, au cap de la Chèvre, sème le doute entre tous les protagonistes.
Qui tue, entre Corse et Bretagne, éliminant un à un les obstacles sur sa route ?


Retrouvez la détective Léa Mattéi dans une nouvelle enquête truffée de rebondissements !


À PROPOS DE L'AUTEURE


Née d’un père breton, de Douarnenez, j’ai démarré ma vie d’adulte à Lorient et Brest. Je me suis reconnue dans l’ambiance de Bretagne, ses paysages, ses caractères… Ma vie professionnelle m’a emmenée sur les rivages du Sud, mais mon goût de l’écriture trouve sa voie dans le Finistère. C’est là que je brosse mes intrigues et que je fais vivre mes personnages. Ma vie m’a fait voyager et parfois j’en fait profiter mes lecteurs en opérant un grand écart entre la Bretagne et un pays étranger. États-Unis, Canada, Irlande, Pays-Bas se sont retrouvés dans mes intrigues. Depuis toujours j’ai le goût du suspense, celui qui donne l’envie de tourner les pages sans s’arrêter, celui que je distille petit à petit. Dans la vie, rien n’est tout blanc ou tout noir, il y a de multiples nuances de gris. C’est pareil pour la culpabilité. Et puis j’aime les histoires qui parlent de mémoire. Mémoire vive ou mémoire oubliée, résurgence du passé. La meilleure histoire, pour moi, c’est lorsqu’un petit grain de sable vient perturber la vie d’une personne ordinaire...

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Couverture

Page de titre

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Ophélie, ma mimine tricolore, qui a rempli dix-huit ans de ma vie. Que l’au-delà te soit doux, ma belle !

À papa, Henri Le Pensec, qui aimait tant écrire aussi…

À mon mari, Jean-Marc Santoni, toujours à mes côtés pour entamer cette nouvelle tranche de vie.

« En Corse, il faut savoir à qui poser les questions, mais surtout à qui ne pas les poser. Et quand vous obtenez la réponse, dans la plupart des cas, il faut savoir l’oublier. »

L’Enquête corse – René Pétillon

« L’envie et la colère abrègent les jours. »

La Bible

I

Le Mega Andrea, de la compagnie maritime Corsica Ferries, avait quitté le port de L’Île-Rousse trois heures plus tôt et voguait au centre de la Méditerranée. Quatre heures suffiraient à rejoindre le port de Toulon et il commençait à se détendre un peu.

Le premier bateau qui ralliait le continent avait fait l’affaire. Il n’avait pas pris de bagages. Juste son téléphone portable, qu’il hésitait à rallumer. Il ne se rappelait plus si cela suffisait pour ne pas être tracé. Ou fallait-il qu’il sacrifie son smartphone tout neuf en le jetant par-dessus bord ?

Que ferait-il ensuite, une fois arrivé sur le continent ? Il fallait qu’il s’organise. Qu’il donne le change. Ensuite, il disparaîtrait quelque temps. Il termina son café. Il n’avait rien mangé depuis le matin, mais son estomac serré par l’anxiété lui ôtait toute sensation de faim. Le roulis s’était accentué et le soleil baissait sur l’horizon. Les employés de la Corsica s’affairaient et il devina que les issues seraient bientôt condamnées. C’était la règle de nuit ou par gros temps. Il se leva, vacilla lorsque la vague frappa le ferry par le travers, et se rattrapa de justesse. Il avait envie d’une cigarette et se hâta vers la porte qui donnait sur le pont, avant qu’il ne soit trop tard. Il respira l’air frais à grandes goulées. Avec la fraîcheur et le tangage, le pont s’était vidé. Les vagues forcissaient. Des gerbes d’écume éclaboussaient le sol et les coffres qui servaient d’assises pour les passagers par beau temps. Avant d’être prié de rentrer, il alluma une cigarette, l’équipage italien n’étant guère enclin à la patience. Il savoura deux longues bouffées avant de se sentir glacé intérieurement. Tétanisé. Un homme avançait vers lui, le regard rivé au sien. Il comprit qu’il était commandité. Comment avait-il su ? Ça n’aurait pas dû se passer ainsi. Il essaya de reculer mais aperçut l’arme discrètement pointée sur lui dans la veste entrouverte. Un bref regard de côté confirma ses craintes. Il était seul. Sa cigarette tomba de ses doigts. Le bout incandescent s’éteignit dans une flaque. Ses dents se mirent à claquer toutes seules. Des cloches tintaient dans ses oreilles. Il se sentit entraîné à l’écart. De l’extérieur, on aurait dit deux bons copains ensemble…

Que pourrait-il dire pour se défendre ? Rien. Il avait déconné et il le savait. Il allait payer. Malgré tout, il bégayait des mots sans suite.

— Te fatigue pas, lui susurra l’homme, il est très, très en colère…

Ils se trouvaient devant un canot de sauvetage suspendu. Il le força à passer la barrière métallique. L’arme enfoncée dans ses côtes le meurtrissait et empêchait tout mouvement. Ils étaient tous les deux au bord de la coque et ses yeux le brûlaient en partie par les larmes et aussi par les embruns qui le giflaient. Il hésitait à hurler mais il savait que, dans la seconde, il recevrait une balle qui l’expédierait à l’eau. Il n’avait jamais été très courageux.

— Allez, fit l’homme, avec un signe de tête.

Il secoua la tête. Puis l’espace et le temps se condensèrent ; dans un état second, il perçut la force de la poussée et un corps se propulsa dans l’air. Un saut d’au moins quinze mètres dans le chaudron de sorcières bouillonnant.

Instinctivement, il bloqua sa respiration et descendit dans les profondeurs. Un manteau liquide l’enveloppa. Un calme étonnant succéda au tumulte de la surface, passé la surprise. Au bout d’un moment qui lui parut interminable, sa tête rejaillit sur l’eau. Il toussait et crachait, étonné d’être encore en vie. Le Corsica s’était déjà éloigné. Il se démena, levant les bras en hurlant dans les vagues, mais le ferry traçait sa route, indifférent à son sort. Dans l’heure grise entre chien et loup, il devait être invisible. Le crépuscule tombait sur la Méditerranée et un profond sentiment d’abandon l’envahit. Les déferlantes le secouaient comme un bouchon sur l’eau et, de temps en temps, un éclair d’argent le frôlait. Poisson ou dauphin, il l’ignorait.

Personne ne savait qu’il avait pris un ferry, à part lui. Qui s’apercevrait de son absence ? Personne avant le lendemain. Il n’était qu’un voyageur piéton et, à l’arrivée à Toulon, il ne resterait pas de voiture oubliée dans les soutes pour signaler son absence.

Miné par la terreur, il luttait faiblement. Le fond l’entraînait. Ses chaussures étaient de plomb. Il batailla pour les faire glisser de ses pieds et se sentit soudain plus léger lorsqu’elles s’en allèrent vers les profondeurs. Combien de fond avait-il sous les pieds ? Il valait mieux qu’il ne le sache pas. Ici, en Méditerranée, cela se comptait en kilomètres… Sans chaussures, ses pieds étaient mordus par le froid. Ses jambes et ses cuisses s’engourdissaient. Combien de temps pouvait-il tenir à cette saison ? Il se laissa envelopper par le manteau liquide teinté azur et argent qu’un voile d’ombre commençait à recouvrir.

Survivrait-il jusqu’au lever du jour et aux passages de nouveaux bateaux ?

II

Octobre étirait ses derniers rayons de soleil à deux pas de la Toussaint. Valentine Hamon venait de passer la journée à Bastia chez son éditrice, Inès Debrocca. Auteur de livres pour enfants, la jeune femme avait un personnage fétiche, une petite sorcière aux cheveux carotte qui rencontrait un succès certain.

À cet instant, elle buvait un café sur le port de Calvi, en relisant ses notes. Elle leva les yeux de son carnet pour contempler le village de Lumio, qui s’étageait en face de Calvi. Un paysage dont elle ne se lassait pas depuis son arrivée en Corse, sept ans plus tôt.

Val, à cette époque, sortait d’une rupture douce-amère. La jeune femme avait choisi de se poser en Balagne, à la fin de cet été-là, pour se changer les idées. Le flot des touristes quittant l’île avait laissé place aux natifs du coin. Elle se délectait d’entendre l’accent corse, où chaque affirmation ressemblait à une interrogation. Et puis la lumière était tellement belle sur la majestueuse citadelle génoise. Calvi, posée sur l’eau, face aux massifs lointains, et enneigés, du Monte Grossu, l’avait conquise. Plusieurs fois, elle s’était offert le coucher de soleil sur la presqu’île de la Revellata, à la sortie de la ville, sur la route de Galeria, ainsi que le point de vue de Notre-Dame-de-la-Serra, juste au-dessus.

Elle était tombée sous le charme de l’île, avant même de succomber à celui de Thomas. Sur le port de Calvi, au bout du quai Landry, au pied de la citadelle, Valentine venait écouter les chansons corses, tout en buvant un verre. Elle s’attablait et, son carnet de notes ouvert devant elle, la jeune femme jetait des idées et griffonnait des croquis.

Le troisième soir, un jeune homme, visiblement ami des propriétaires, l’avait abordée en plaisantant.

— Elle est bien sérieuse, la demoiselle, à travailler comme ça le soir ! C’est péché en Corse !

Valentine avait souri. Encouragé, Thomas avait fait signe au serveur de s’approcher.

— Demande à la demoiselle ce qu’elle veut. C’est ma tournée !

Amusée par son audace tranquille, Val avait accepté le verre offert. Il s’était installé auprès d’elle et elle lui avait permis de regarder ses croquis. Le propriétaire du bar les avait rejoints et regardait lui aussi le travail de Valentine.

— Regarde, Petru, avait lancé Thomas, c’est un écrivain !

Il semblait impressionné et elle avait minimisé la chose.

— Juste des livres pour les enfants, rien de bien sérieux…

— Et on vit de ça ? avait questionné le Corse.

Val l’avait trouvé touchant. Il était direct, sans filtre, avec un côté naïf, comme un enfant qui s’émerveille. Ils s’étaient revus chaque soir de la semaine suivante, puis Thomas Costa avait amené Antoine, son jeune frère. Très différent de lui, moins ouvert, plus sauvage. Ensuite, il lui avait fait visiter des endroits remarquables de la région. La deuxième semaine, il l’avait embrassée devant Notre-Dame-de-la-Serra. Val avait trouvé cela très doux. Il émanait une force tranquille de Thomas, celle de ses origines et de ses certitudes. Puis le jeune homme de 31 ans l’avait emmenée à Speloncato, un village de trois cents âmes, à trente kilomètres de Calvi. Là où se situait la propriété familiale. Bâti sur un piton rocheux, dominant la vallée du Reginu, le village est entouré par ceux de Pigna et de San Antoninu, bien connus des touristes.

Elle avait passé le reste de son séjour là, avant de repartir libérer l’appartement qu’elle louait dans le 9e arrondissement de Paris. Tout lui avait paru simple avec Thomas. Le jeune homme exploitait le domaine familial planté d’oliviers ainsi que des ruches qui fournissaient un miel aux senteurs de maquis. Ses olives et ses miels parfumés étaient réputés.

Son jeune frère, Antoine, âgé de 27 ans à l’époque, occupait encore un studio dans une aile de la bâtisse, entre deux aventures amoureuses, qu’il multipliait. Leur mère, Sérafina, 61 ans, s’était installée au village, peu après la mort du père, dans une maison qui lui appartenait. Elle la partageait avec sa sœur, veuve aussi. Un choix qu’elle avait fait pour ne pas gêner ses fils. C’était une petite femme sèche, silencieuse, toute de noir vêtue et au regard intense.

Quitter Paris et son environnement avait été un sacré challenge pour Val. Une plongée dans l’inconnu. La jeune femme de 33 ans, à l’époque, sortait de cinq ans de vie de couple qui l’avaient laminée. La raison en était simple, elle ne pouvait pas avoir d’enfant. Tous les essais s’étaient soldés par des échecs et il lui avait fallu se rendre à l’évidence. Il ne lui restait que l’adoption ou alors trouver une mère porteuse. Son compagnon de l’époque était hystérique sur le sujet et Val avait compris qu’elle se passerait plus facilement d’enfants que lui. Ce qui avait précipité leur rupture. Elle ne se sentait pas assez motivée pour entamer le parcours de l’adoption et encore moins celui de la mère porteuse. Ce saut dans l’inconnu la terrifiait, au fond.

Évidemment, elle avait pris soin d’informer Thomas avant de venir s’installer chez lui. Elle ne voulait plus revivre cette épreuve. Heureusement, il avait pris la nouvelle avec philosophie. Il était papa d’un garçon de 7 ans, qu’il avait eu avec Santa, une copine de lycée. Les deux parents n’avaient jamais vécu ensemble mais Luca venait tous les quinze jours voir sa grand-mère et son père. La nouvelle avait rassuré Valentine, qui ne voulait pas priver Thomas de paternité. Sa maternité à elle s’épanouissait au travers de ses livres et de son personnage, qu’elle étoffait au fil des années. Sa petite sorcière aux cheveux orange se nommait Pumpkin (citrouille, en anglais) et elle se délectait des nombreuses aventures que Valentine lui concoctait.

Bref, cet après-midi-là, la jeune femme terminait son café en terrasse lorsque son téléphone avait vibré. Un message venait de tomber. Elle dut le relire plusieurs fois pour en comprendre le sens.

« Chérie, ne rentre surtout pas au domaine. Quitte la Corse tout de suite. Prends le ferry qui part de Bastia ce soir. Laisse la voiture loin du port. N’essaie pas de me joindre. C’est moi qui le ferai. Ne parle à personne. Je t’aime, Pumpkin. »

Son compagnon n’avait pas utilisé son téléphone habituel mais un autre numéro. Valentine avait senti une poigne glacée étreindre son cœur.

III

Son café, désormais glacé, n’avait plus la même saveur. Assommée par la teneur du message, Val était restée plusieurs minutes sans réaction. Incrédule. Tentée de joindre Thomas sur son téléphone habituel, elle avait interrompu son geste avant de déclencher l’appel. Angoissée.

Quelqu’un lui faisait-il une plaisanterie macabre ? Pourtant, un mot la forçait à croire à ce scénario. Pumpkin, citrouille. C’était le petit nom que lui donnait Thomas dans l’intimité. Celui de son personnage. Jamais en public.

Elle avait passé machinalement ses doigts dans ses cheveux cuivrés puis s’était levée. Ses jambes tremblaient et son cœur battait sourdement. Le temps de remonter le quai et de retrouver sa voiture près de la gare, elle avait repris en partie son calme. Thomas lui ordonnait de repartir à Bastia, à deux heures de route de Calvi, pour attraper le ferry de nuit. C’était fou. Elle n’avait que son sac à main avec elle, son ordi portable et la maquette de son prochain livre.

Au volant, elle quitta Calvi en passant devant le camp Raffalli, le 2e REP des légionnaires. Les virages se succédaient et elle atteignit Lumio. Soudain, une image lui traversa l’esprit. Celle de Tittu, son chat de 3 ans, qui l’attendait au domaine. Une certitude l’envahit. Elle ne pouvait pas partir sans lui. Impossible de l’abandonner sans savoir quand elle reviendrait. Que deviendrait-il si Thomas était lui aussi parti ? Qui le nourrirait ? Elle était fusionnelle avec l’animal et ne supporterait pas de le perdre. Sa décision était prise. Le détour ne lui prendrait qu’une heure de plus et lui laissait le temps d’arriver à Bastia pour le ferry. Elle dépassa Lumio et, devant Algajola, tourna vers Aregno. La route sinueuse lui parut interminable jusqu’à Muro. Elle était crispée sur le volant, les épaules tendues, tandis que défilaient Feliceto et Nessa. Enfin Speloncato apparut au détour d’un virage. Le domaine se trouvait à la sortie du village. Elle s’engouffra dans l’allée qui menait à la maison en faisant gicler le gravier sous les roues puis arrêta brutalement le moteur. Soudain le silence lui parut menaçant. Pourtant, au premier regard, rien n’avait changé. Elle se dirigea vers la porte d’entrée. Elle la trouva légèrement entrouverte. Une sueur glacée dévala son dos tandis qu’elle tentait de se rassurer. Et si Thomas était rentré entre-temps ? Elle poussa résolument la porte et appela son compagnon. Le logement semblait en ordre sauf le secrétaire de Thomas, qui était ouvert.

La peur revint et elle se mit frénétiquement à la recherche de son chat, qui avait déserté ses endroits favoris. Elle sortit d’un placard son sac de transport et parcourut tout le rez-de-chaussée. Si quelqu’un était venu fouiller le secrétaire de son compagnon, il n’était plus là. Un cambriolage, songea Valentine, mais pourquoi Thomas était-il si inquiet ? Et où était-il ?

Mais sept ans de vie insulaire lui avaient appris que les histoires corses sont parfois compliquées, souvent violentes. L’idée que Thomas ait pu se laisser entraîner dans une “combine” l’effleura. Ce n’était pas son genre mais qui peut jurer de connaître parfaitement son compagnon ? « Mais, Madame, mon mari ne ferait jamais cela, avait-elle affirmé à une vieille Italienne qui lui reprochait d’avoir débarrassé sa table de son plateau du petit-déjeuner ! »

C’était à New York, dans un hôtel de la périphérie, de l’autre côté du Lincoln Tunnel. À 7 heures du matin, la salle du petit-déjeuner était bondée. Les places y étaient chères et, tandis qu’elle s’occupait de faire rôtir les toasts, Thomas s’était chargé de trouver une table. Mission impossible au premier regard. Pourtant il en avait trouvé une et, tandis qu’ils trempaient leurs toasts dans leur café, la femme était venue vociférer devant eux. Val avait affirmé cela en toute bonne foi, sûre d’elle et de Thomas. Pourtant, en bougeant les pieds, elle avait rencontré un paquet. C’était un sac à main et ses yeux s’étaient écarquillés de stupéfaction tandis que Thomas piquait du nez dans son bol.

— C’est son sac ? avait-elle soufflé, estomaquée. Tu l’as fait ? Tu as pris sa table ?

La mine de Thomas était parlante. Oui, il avait posé ailleurs le plateau de l’Italienne, mais il avait oublié le sac… Cette anecdote lui revenait souvent à l’esprit.

Les relations entre les Corses sont un mystère aux yeux des gens du continent. À cet instant précis, Val ne savait que penser. Thomas était-il pris dans une embrouille ? Mais pour l’heure, c’était Tittu qui la préoccupait. Où était passé son beau chat gris et blanc ? Avec la porte ouverte, il avait dû sortir et elle sentait l’angoisse monter. Allait-il bien ? S’il avait été effrayé, le chat pouvait rester caché un long moment sans se montrer et elle n’avait pas de temps devant elle. Les larmes aux yeux, elle ressortit et se dirigea vers l’arrière de la bâtisse, là où se trouvait la plantation d’oliviers. Avant, quelques bosquets de lauriers roses se trouvaient sur son chemin et elle les explora, appelant Tittu. En vain.

Elle arriva au niveau des ruches alignées devant le champ d’oliviers. De loin, elle décela une agitation inhabituelle. Un essaim tournoyait tandis qu’elle apercevait une ruche renversée. Elle se pressa. Elle retint un cri quand elle découvrit des éclaboussures de sang sur la ruche et une flaque sombre absorbée par la terre. Elle leva les yeux. Un corps gisait à quelques mètres d’elle, face contre terre. Des centaines d’abeilles étaient posées sur lui et le reste de l’essaim tournait au-dessus. Ses bras dénudés étaient gonflés de dizaines de piqûres. Elle posa sa main sur sa bouche pour retenir un cri d’horreur. Elle ne pouvait pas approcher au risque de se faire piquer, mais elle savait que ce n’était ni Thomas ni son frère Antoine. L’homme avait lâché une arme, qui reposait sur le sol près de sa main. Pour Valentine, sa mort ne faisait aucun doute, entre le sang perdu et les innombrables piqûres d’abeille.

Elle fit demi-tour, l’esprit en déroute. Devant l’entrée, elle entendit un faible miaulement. Tittu était là. Elle écarta les feuilles d’un bosquet et découvrit son chat, visiblement apeuré. Elle l’attrapa doucement et le rassura puis elle le mit dans son sac de transport.

Elle rentra dans la cuisine et saisit un sac de croquettes, un bonnet et une écharpe dans l’entrée, puis remonta dans sa voiture et sortit du domaine sans un regard en arrière, talonnée par la peur. À Aregno, elle traça la route vers Pigna, puis Corbara et sortit à l’entrée de L’Île-Rousse. Une fois la ville derrière, elle souffla un peu. Malgré tout, elle surveillait anxieusement les véhicules qui la suivaient. Personne ne s’incrusta derrière elle. À Ponte Leccia, elle fit une halte sur un parking pour détendre ses mains et ses épaules crispées. Elle en profita pour se connecter sur le site de la Corsica Ferries et retint un billet pour la traversée du soir, en direction de Toulon.

Tittu l’observait en silence, l’air sérieux.

Qu’avait-il vu ?

Elle reprit le volant.

IV

Léa Mattei observa le ciel maussade d’un air découragé. L’automne pesait sur son moral, encore plus depuis qu’un nouveau confinement semblait inéluctable. Cruel rappel de la mi-mars. Elle ne pouvait repenser à ce fatal 17 mars sans avoir le cœur déchiré. Un pan de sa vie avait disparu, englouti par le destin et la décision de Patrick Mérieux. L’adjudant-chef de gendarmerie, qui l’accompagnait dans la vie depuis plusieurs années, avait choisi sa mort plutôt que de l’attendre. Choisi, c’est un terme étrange pour qualifier le fait. Disons que la vie l’avait mis face à un choix binaire. Il souffrait d’une leucémie fatale. Soit il mourait seul dans un hôpital en raison du confinement très strict, soit il décidait d’en avancer la date, accompagné par leur vieille amie commune Yvette Morin. Il n’avait pas eu le courage de demander cela à Léa, craignant certainement de flancher. C’est ainsi qu’il était parti mourir dans une clinique de Genève. Un terrible choc pour la jeune femme, qui ignorait sa maladie. C’était une forme fulgurante qui l’avait atteint. Une terrible épreuve aussi pour Yvette, procureur adjoint en retraite, qui l’avait accompagné comme un fils, écartelée entre sa loyauté envers Léa et sa compassion pour Patrick.

Mais ce n’était pas la seule surprise que l’adjudant-chef lui avait réservée… Avant de mourir, il avait joué les entremetteurs.

Le procureur Pascal Treguer, père de son amie Gloria, était fou amoureux de Léa depuis plus d’un an. Il n’avait de cesse de la rencontrer ou de tenter sa chance avec elle. Un flirt qui faisait sourire l’entourage de Léa et parfois froncer les sourcils de Patrick, qui avait pourtant confiance dans sa détective préférée.

Face à son destin, Patrick avait envoyé un mot à Treguer. Il lui confiait Léa, à la condition que ce dernier soit certain de ses sentiments pour elle, et lui ordonnait de venir passer le confinement avec elle.

Un électrochoc pour le procureur, qui, en quelques heures, avait dû sonder ses sentiments pour la jeune femme. Il n’avait pas hésité longtemps. Le soir même, il sonnait à sa porte pour récupérer une Léa dévastée.

Leur histoire avait commencé étrangement. Pas d’étreintes passionnées pendant les deux mois du confinement mais ses bras réconfortants pour soutenir Léa et essuyer ses larmes. Une vie de couple à partager les repas et suivre les informations sur la pandémie dans les bras l’un de l’autre. Petit à petit, Léa avait surmonté les étapes du deuil. Après le déni, il y avait eu la colère, qu’elle avait passée à frapper le punching-ball de Patrick, au sous-sol, jusqu’à ce que ses phalanges bleuissent et que Pascal l’empêche de continuer.

À partir du déconfinement, le 11 mai, Pascal avait fait la navette entre sa maison de Plouzané et celle de Léa, à Brest. Il ne voulait pas s’imposer, ce qui était une première pour lui ! Mais Léa l’appelait tous les soirs pour parler ou pour lui demander de passer. Ses jumeaux étaient aussi revenus chez elle. Le commandant Guillerm s’en était occupé pendant le confinement, aidé par Géraldine, leur nounou, compagne d’un des adjoints de la BR, afin de laisser le temps à Léa de surmonter le choc. Pas facile de vivre un deuil avec des jumeaux de 4 ans…

L’été s’était écoulé ainsi. Léa, ancienne gendarme reconvertie en détective privé, avait repris le travail. Pascal Treguer s’était plongé dans les dossiers du tribunal. Un soir de septembre, il s’était mis aux fourneaux pour inviter sa fille Gloria et Alex, le compagnon de celle-ci, médecin légiste et ami de Patrick Mérieux. Bien sûr, Léa était conviée aussi. Un repas à base de langoustes flambées au cognac, le tout arrosé de bonnes bouteilles. Le procureur était fin gourmet et bon cuisinier à ses heures. Les rires de Gloria et les plaisanteries d’Alex avaient détendu Léa. Lorsque le moment de partir était arrivé, Gloria avait proposé à son père de l’aider à débarrasser. Mais Léa avait pris les devants, c’était elle qui le ferait avant de rentrer à Brest.

Comme un vieux couple, ils avaient remis la maison en ordre tout en plaisantant. Puis ils s’étaient posés sur le canapé. Pascal avait posé son bras autour des épaules de Léa en disant :

— Nos soirées au coin du feu, devant la télé, me manquent. Jamais je n’aurais imaginé prononcer ces mots-là un jour…

Léa avait levé la tête.

— À moi aussi, elles manquent…

Quelque chose dans son intonation avait décidé Pascal Treguer. Il s’était penché vers Léa et l’avait embrassée doucement puis plus fort. Il avait attendu ce moment tant de temps…

Depuis, ils vivent leur relation au jour le jour, tantôt chez l’un, tantôt chez l’autre. Rien ne pourra effacer ce qui s’est passé au printemps. Impossible de faire un point de restauration, comme sur un ordinateur, pour revenir à une situation antérieure. Léa a toujours un grand trou dans le cœur mais Pascal est là et elle sait qu’elle a la bénédiction de Patrick. Sa phrase fétiche l’accompagne souvent : « Les fondamentaux, Léa, n’oublie pas les fondamentaux ! »

V

Il était 20 heures, et le ferry devait quitter le port de Bastia, situé en face de la grand-place Saint-Nicolas, à 22 heures. Valentine, désemparée, s’était assise sur un banc face aux quais du port de commerce. Elle avait obéi à l’injonction de Thomas et garé sa voiture loin du port. Malgré tout, l’idée de partir ainsi sans moyen de locomotion une fois sur le continent la perturbait.

La caisse de transport de Tittu posée à ses pieds, elle s’efforçait de garder son calme. Pourtant, son esprit, à cet instant, ressemblait à un champ intergalactique bombardé de météorites. Sa vie ordinaire s’était arrêtée à 16 heures avec la réception de ce SMS de son compagnon. Suivie par la découverte d’un cadavre sur le domaine de celui-ci. L’image de l’homme environné de l’essaim d’abeilles l’obsédait. Cadavre découvert parce qu’elle avait désobéi aux consignes de Thomas, qui lui demandait de rallier Bastia sans repasser par la maison. Sans cela, elle ignorerait encore la présence du corps. Elle en déduisait qu’il était au courant. Thomas voulait-il seulement la protéger ou l’empêcher de savoir ? Était-ce lui qui avait tué cet inconnu ? L’idée l’effleurait sans qu’elle y croie vraiment. Que se passait-il ?

Et maintenant elle se trouvait en cavale, obligée de quitter sa vie et son logement sans savoir pourquoi. Sans savoir quand elle reverrait Thomas ni même si elle le reverrait. Sans savoir quel était le danger qui la menaçait au point de devoir fuir.

Les lumières de la ville étaient allumées depuis un moment. Elle vit le ferry surgir de la nuit pour accoster. Procédure habituelle de la Corsica Ferries. Les bateaux arrivaient, vidaient leurs passagers et réembarquaient sans attendre ni même couper les moteurs. Un turn-over sans fin. Il était temps pour elle de se lever et de rallier l’embarquement. Val savait que les équipages italiens faisaient le travail en moins d’une heure. Elle s’avança puis, une crainte subite la fit s’arrêter et poser la caisse à terre pour fouiller son sac. Elle en tira un bonnet de laine noire et une écharpe assortie, qu’elle avait récupérés dans l’entrée lorsqu’elle était revenue au domaine. Elle enfonça le bonnet sur sa tête pour dissimuler ses boucles cuivrées et entoura son cou, remontant l’écharpe jusqu’à son menton. Dieu merci, elle avait une pochette de dix masques jetables dans son sac ! C’était devenu un accessoire à la mode depuis le Covid-19. Vu l’inquiétude de Thomas, il valait mieux passer incognito.

Elle suivit la file des piétons qui s’allongeait vers le ferry. L’équipage, avec force cris et moulinets des bras, faisait sortir les véhicules par l’arrière. Valentine patienta plusieurs minutes avant de pouvoir pénétrer sur le navire puis monter les étages. Elle chercha tout de suite l’accueil, où elle présenta son téléphone et son e-billet. L’hôtesse italienne lui remit le code de sa cabine. Heureusement, on était en basse saison, ce qui lui avait permis d’avoir une place de dernière minute. Elle se hâta de la chercher dans les couloirs du ferry. Tittu s’était mis à miauler et elle songea qu’il devait avoir faim et soif. Elle posa la caisse près de la couchette, lui parla doucement pour le rassurer puis partit à la recherche de la boutique du bord. Par chance, elle n’était pas encore prise d’assaut par les passagers. Valentine acheta un petit bol, des bonbons et des chewing-gums, un paquet de biscuits et deux journaux ainsi que quelques produits de toilette. Ensuite, elle traversa la zone de restauration et prit un plateau. Elle choisit de quoi manger, deux bouteilles d’eau et du jambon pour Tittu, qui avait mérité un peu de douceur ! Puis elle rallia sa cabine.

Elle sentit bouger le bateau, qui appareillait. Son téléphone vibra. Un message venait de tomber :

« Val, tu es dans le ferry ? »

Elle soupira de soulagement.

« Oui, il est en train d’appareiller. J’ai pris une cabine. Que se passe-t-il ? Pourquoi n’appelles-tu pas ? Je suis folle d’angoisse. Où es-tu ? »

Une minute s’écoula avant qu’une réponse n’arrive.

« C’est grave et nous sommes en danger. Trop compliqué à expliquer par message. Fais-moi confiance et suis mes instructions. À Toulon, prends un train pour Paris. Va à la gare Montparnasse et prends le train pour Brest. Je te donnerai la suite plus tard. On se retrouvera bientôt. Pardon pour tout ça. Je t’aime, Pumpkin. »

Les messages de Thomas étaient laconiques et Valentine n’avait pas osé lui dire qu’elle avait désobéi en retournant au domaine prendre Tittu et, de ce fait, qu’elle avait trouvé un cadavre sur place. Thomas ne semblait pas disposé à discuter de la situation. Il devait se savoir surveillé pour avoir changé de téléphone. Il ne lui avait pas dit où il se trouvait. Était-il encore en Corse ? Ou alors déjà sur le continent et elle s’apprêtait, sans le savoir, à le rejoindre ? Val pria pour que cette éventualité soit la bonne. Songeuse, elle posa son téléphone à côté d’elle.

Elle installa une litière de fortune avec des journaux pour le chat et lui donna à boire et à manger. Puis elle prit une douche. Tittu monta sur la couchette et s’allongea contre elle. Thomas ne l’avait toujours pas éclairée sur les raisons de cette fuite. Épuisée, elle s’endormit en caressant son chat.

*

Un peu avant l’arrivée à Toulon, l’homme s’était faufilé jusqu’aux canots de sauvetage suspendus devant le pont principal. Profitant de l’aube grise, il s’était glissé dans l’un d’eux. Il avait ouvert son smartphone et jeté la carte SIM dans le port de Toulon. Ainsi on ne pourrait pas le tracer. Invisible, il avait attendu l’accostage au port. La Corsica Ferries ne traînait jamais. Il ne lui fallait pas plus d’une heure à une heure trente entre deux rotations, pour débarquer la cargaison et réembarquer les nouveaux passagers. Quand il avait senti le bateau redécoller du quai, il avait surveillé le pont. Profitant de la ruée des passagers à l’intérieur pour le petit-déjeuner, il était ressorti discrètement.

Ni vu ni connu.

Personne ne saurait qu’il repartait en Corse. Son billet aller attestait du contraire. Si on le cherchait, ce serait sur le continent.

VI

La musique italienne, diffusée à fond par les haut-parleurs, avait réveillé Valentine en sursaut. Tittu, serré contre elle, ouvrait des yeux effarés, peu habitué à cette cacophonie. L’annonce ne tarda pas, qui demandait de libérer les cabines. Vaseuse, Valentine se prépara. Avant de quitter les lieux, elle nourrit encore une fois le chat. Le pauvre Tittu avait de nombreuses heures à passer dans sa caisse en perspective. Elle jeta un dernier coup d’œil avant de refermer la porte puis elle se dirigea vers la restauration. Un café et deux croissants plus tard, elle se rendit sur le pont pour respirer autre chose que de l’air conditionné. Par précaution, elle enfonça son bonnet et remonta son écharpe. Le petit matin était frisquet. Le ferry longeait la côte varoise. Pour avoir déjà transité plusieurs fois par le port de Toulon, elle reconnaissait le paysage. Le mont Faron surplombait la ville, dont les lumières clignotaient encore. Le pilote du port, arrivé à grande vitesse le long du navire, venait de monter à bord pour prendre les commandes du ferry, ainsi que l’exige la réglementation maritime.

Val vit que le ferry entrait dans la grande passe. À bâbord, les navires gris du port militaire s’éveillaient avec l’aube. Elle capta le son d’un clairon puis le ferry prit la grande passe. Ils étaient arrivés.

Peu après, le quai de Toulon les accueillit tous les deux, Tittu et elle. Les yeux encore embrumés de sommeil et le pas mal assuré après dix heures passées en mer, elle aperçut quelques bateaux de pêche et des restaurants fermés. Elle se dirigea vers un arrêt de bus et acheta un ticket pour la gare. Une fois arrivée sur place, elle fit un retrait au distributeur de billets. Il lui fallut trouver des billets pour Paris et Brest. Par sécurité, elle les paya en espèces. Ça lui prit une demi-heure. Un TGV partait de Toulon à 9 h 15. Val agissait comme un robot. Mécaniquement. Seul le poids réconfortant du chat apportait une réalité tangible à l’instant. Il lui rappelait que tout ceci n’était pas un rêve, mais peut-être un cauchemar. Thomas lui avait écrit « prends le train pour Brest ». Elle n’avait que ce but en tête pour le moment. Soutenue par l’espoir de le revoir là-bas.

Elle ne savait pas de quoi serait fait le lendemain, ce que l’avenir leur réservait. C’était surréaliste de tout quitter comme ça, d’une seconde à l’autre sans savoir pourquoi. Son esprit était obscurci par une brume cotonneuse. Elle chercha sa place dans le TGV, arrivé en gare, et posa Tittu entre ses jambes. Le chat avait-il compris que l’heure était grave ? Car il restait silencieux malgré son enfermement. Elle apercevait seulement son regard inquiet qui interrogeait. Val passa ses doigts entre les grilles pour le caresser. Le train s’ébranla et Toulon s’effaça du paysage. Elle eut encore le temps de contempler la mer, que le soleil irisait entre Sanary et Bandol. Quand reverrait-elle la Méditerranée ? Depuis sa descente du ferry, elle avait surveillé les alentours, craignant d’être suivie mais rien de particulier ne l’avait alertée. Certains passagers continuaient de circuler dans le couloir central. Un homme vint s’asseoir de l’autre côté de l’allée, et Val retint son souffle quand son regard passa sur elle. Son visage ne lui était pas inconnu mais, à ce stade-là de stress, elle n’était sûre de rien. La peur lui brouillait l’esprit. Elle prit le parti de tourner la tête et de regarder l’extérieur. Même s’il était à ses trousses, il ne ferait rien dans le wagon, se dit-elle.

La vitre faisait office de miroir et elle le détailla plus longuement. Le teint mat, un bonnet enfoncé sur le front et l’air fermé. Un portrait banal. Mais il avait le type corse… Épuisée, elle appuya sa tête sur le dossier et se dit que jusqu’à Paris elle ne risquait rien.