Bain acide à Douarnenez - Martine Le Pensec - E-Book

Bain acide à Douarnenez E-Book

Martine Le Pensec

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Beschreibung

Solenn, une jeune infirmière de Douarnenez, souhaite découvrir qui envoie de mystérieuses cartes postales anonymes à sa grand-mère, mais sa curiosité pourrait bien la mettre en danger...

Léa Mattei, détective privé, n’écoute que son coeur et rend service à une jeune femme que la vie n’a pas épargnée sept ans plus tôt. La grand-mère de Solenn reçoit des cartes postales anonymes depuis quatre ans. Deux fois par an. Mais Solenn, jeune infirmière de Douarnenez, grille de curiosité de découvrir l’expéditeur qui se cache derrière ces envois. Serait-ce un amoureux transi ou une vieille amie perdue de vue ? À moins que la recherche n’entraîne Léa plus loin, beaucoup plus loin… Toujours secondée par l’adjudant-chef Patrick Mérieux, elle se met à creuser les mystères d’une matinée de brouillard de février 2012. Mais la curiosité de Solenn ne va-t-elle pas la mettre en danger ? Plus Léa enquête et plus une ombre menace l’infirmière. Il ne fait pas bon remuer le passé…

Les événements d'une matinée de brouillard de février 2012 pourraient bien avoir encore un impact dangereux sur le présent. Retrouvez Léa Mattei et son chef Patrick Mérieux dans ce 10e tome glaçant et saisissant des investigations d'une gendarme et détective de talent.

EXTRAIT

L’individu de droite profita de sa surprise pour la maîtriser. Tout s’était joué en quelques secondes. Elle était abasourdie tandis qu’il la tenait fermement. Lily fut prise de violents tremblements. Une sueur froide la glaça entièrement tandis que ses dents se mirent à claquer. Du coton dans les oreilles. Un brouillard épais dans la tête. Les muscles sans force. Le choc de la scène qui venait de se produire avait anéanti sa réactivité. Lily était hébétée. Elle sentit qu’on la dirigeait vers le fauteuil voisin de Florent. Elle étouffa un hoquet tandis qu’on l’y poussait. Les deux individus discutaient à voix bas se. Ils ne semblaient pas d’accord. Celui qui l’avait maî trisée paraissait affolé. Il tournait en rond en pas sant sa main sur sa cagoule.
— C’est de la folie, perçut-elle. On ne peut pas faire ça !

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Couverture

Page de titre

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Un jaloux ne peut trouver la paix que dans la mort de ce qu’il aime. »

Tout le monde est occupé – Christian BOBIN

« Le plus léger incident peut mettre à découvert la trame la mieux ourdie, comme un brouillard, tombé sur une toile d’araignée, en fait apparaître les moindres fils. »

Bluettes et boutades – John PETIT-SENN

À mes p’tits loups : Maëlle, Robinson, Clémentine, Eleanor, Meryl et une spéciale pour le petit Luc, tout juste arrivé dans ce monde, le 6 novembre 2018.

I

Sept ans plus tôt

Bon sang, ça ne passait pas. Son estomac chaviré luttait contre la nausée. Elle retint un haut-le-cœur et pressa encore plus le pas, traversant les rues que le brouillard rendait opaques.

Devant son malaise, Maud, sa patronne, l’avait renvoyée chez elle. Difficile de supporter l’odeur du poisson dans ces conditions. Son café du petit-déjeuner faisait le yoyo dans son estomac et elle le sentait se transformer en acide au fil des minutes.

Elle se jeta dans l’entrée. Tiens, la porte n’était pas verrouillée. Pourtant, à cette heure-ci, Florent aurait dû déjà être au travail. Pas le temps de réfléchir à ça. Elle se propulsa la tête la première dans les toilettes du bas et laissa aller la nausée. Plusieurs hoquets irrépressibles vidèrent son estomac douloureux. Elle demeura ainsi deux minutes, le front posé contre le rebord de la cuvette, avant de se redresser. Elle retapa sa tenue et sortit des toilettes. Maintenant qu’elle allait mieux, l’incongruité de la porte ouverte lui revint. Elle tendit l’oreille dans le couloir. Il lui sembla entendre des bruits étouffés.

La villa qu’elle partageait avec Florent, son mari, et leur fille, au parc de Plomarc’h, à Douarnenez, avait deux niveaux. Au rez-de-chaussée, on trouvait l’entrée, les toilettes, la buanderie et le garage. À l’étage, c’étaient les pièces de vie. Elle monta lentement l’escalier en béton, les sens en alerte. Au fur et à mesure, une sourde inquiétude grandissait. C’était étrange, cette porte déverrouillée. Et si Florent était vraiment parti ? Et si elle tombait sur des cambrioleurs ?

Elle faillit redescendre pour appeler son père, mais la voix de Florent se fit entendre.

— Mais qu’est-ce que vous faites ?

La phrase monta dans les aigus et se finit dans un cri.

Son cœur fit un bond. Elle n’entendait plus rien que le flot impétueux de son sang à ses tempes. Elle poussa la porte du salon et n’en crut pas ses yeux. Son mari se tenait face à deux extraterrestres. Elle cligna des yeux pour ajuster sa vision. Ils portaient une tenue blanche avec surchaussures, cagoule et masque. Lily identifia le vêtement que portaient ceux qui pulvérisaient des traitements phytosanitaires dans les champs. Florent semblait affolé. Debout, les mains lancées devant comme pour repousser ses assaillants.

L’un d’eux parlait à Florent mais, d’où elle se tenait, les mots n’étaient pas perceptibles. Son masque voilait ses paroles. Elle voulut s’avancer, intervenir, effacer la peur du regard de son mari, mais il l’aperçut soudain. Blême, il se mit à fixer un point derrière ses agresseurs, qui ne tardèrent pas à s’apercevoir que quelqu’un venait d’arriver dans leur dos. Celui de gauche réprima une exclamation. Elle n’eut pas le temps de réagir. Florent hurla. Celui de droite tira. L’arme produisit un petit pop étouffé. Un silencieux, eut-elle le temps de penser. Florent écarquilla les yeux, porta ses mains à sa poitrine et tomba assis dans le fauteuil derrière lui, une surprise infinie peinte sur son visage. Deux ou trois bulles sanglantes éclatèrent sur ses lèvres puis sa tête retomba sur sa poitrine. L’individu de droite profita de sa surprise pour la maîtriser. Tout s’était joué en quelques secondes. Elle était abasourdie tandis qu’il la tenait fermement.

Lily fut prise de violents tremblements. Une sueur froide la glaça entièrement tandis que ses dents se mirent à claquer.

Du coton dans les oreilles.

Un brouillard épais dans la tête.

Les muscles sans force.

Le choc de la scène qui venait de se produire avait anéanti sa réactivité. Lily était hébétée. Elle sentit qu’on la dirigeait vers le fauteuil voisin de Florent. Elle étouffa un hoquet tandis qu’on l’y poussait.

Les deux individus discutaient à voix basse. Ils ne semblaient pas d’accord. Celui qui l’avait maîtrisée paraissait affolé. Il tournait en rond en passant sa main sur sa cagoule.

— C’est de la folie, perçut-elle. On ne peut pas faire ça !

Le reste des propos se perdit, car ils s’étaient éloignés d’elle. Leurs voix étaient étouffées ; sans doute avaient-ils posé du tissu devant leur bouche. Elle tourna la tête vers Florent, et vit ses yeux grands ouverts et son regard qui se ternissait. Elle hoqueta et hurla, prise de panique. Les deux individus se retournèrent. L’un d’eux pointa son arme vers elle.

Tout s’accéléra.

Une balle la frappa dans le bras gauche.

Lily sombra dans l’inconscience.

II

Solenn Audier bondit lorsque la sonnette retentit.

— Ne bouge pas, Mamie, je vais ouvrir !

Elle avait une silhouette svelte. Ses cheveux blond clair flottaient sur ses épaules tandis qu’elle traversa l’allée d’un pas vif.

— Tonton Fabien !

Elle se jeta au cou de l’arrivant. Brun, de taille moyenne et les tempes légèrement grisonnantes, Fabien Calvez se tenait devant l’entrée. Il l’embrassa affectueusement.

— Viens vite ! J’ai tout préparé pour l’anniversaire de Mamie.

Au passage, elle ouvrit la boîte aux lettres et préleva le courrier. Elle s’arrêta sur l’une des enveloppes. C’était pour sa grand-mère. Sûrement une carte d’anniversaire, songea-t-elle. Elle précéda l’arrivant, qui la suivit dans la cuisine, où Michelle Levasseur s’activait.

— Mamie, gronda Solenn, je t’avais dit de t’asseoir ! Nous sommes le 2 mars et c’est ton jour. Tu ne dois pas travailler le jour de ton anniversaire !

Michelle sourit et embrassa l’arrivant. Solenn l’expédia dans le salon.

— Va rejoindre Papi, je m’occupe du gâteau.

Sa grand-mère se dirigea vers la porte. Au passage, Solenn lui tendit le courrier.

— Je crois qu’il y a une carte pour toi, Mamie !

Michelle compulsa la pile et marqua un temps d’arrêt devant l’enveloppe à son nom.

— Qui est-ce, Mamie ?

Mais la vieille dame avait disparu dans l’autre pièce sans répondre. Solenn s’affairait. Elle avait sorti le framboisier du frigo sur lequel elle disposait les bougies.

— Soixante-huit ans. Elle vieillit…, dit-elle avec un soupçon de tristesse.

— Elle se porte encore bien, commenta Fabien Calvez.

— Oui, mais je n’ai qu’elle et Papi.

— Je sais, ma puce. Mais tu m’as moi, aussi !

La réponse de Fabien éclaira son visage d’un franc sourire.

— Tu es mon tonton préféré !

— Le seul surtout, répliqua-t-il sur un ton un peu goguenard.

Elle lui donna une tape sur le bras.

— Elle était facile, celle-là !

Fabien Calvez regarda la grande jeune femme que Solenn était devenue depuis sept ans. Lui aussi avait le cœur lourd en songeant au passé. Il n’était devenu son « oncle » qu’après le drame. Avant, il était seulement un copain de son père. Mais quand Solenn, âgée seulement de 15 ans, était descendue de l’avion qui l’avait ramenée en urgence de Londres, où elle se trouvait en séjour linguistique avec sa classe de troisième, c’était lui qui l’avait accueillie. Ses grands-parents maternels se tenaient derrière lui, le visage fermé. Michelle avait le regard délavé par les larmes versées depuis deux jours. Max serrait les poings. C’était Fabien qui avait trouvé les mots pour apprendre à l’adolescente la perte de ses deux parents. Solenn le connaissait, car elle accompagnait son père et Fabien à leurs matchs de foot. Il était naturellement devenu “tonton” Fabien. Toujours célibataire à 37 ans, le policier ne manquait jamais l’anniversaire de mamie Michelle.

Solenn termina d’allumer les bougies et se dirigea vers le salon, suivie par Fabien. Les petites flammes projetaient des ombres mouvantes sur son visage, qui en rappelait un autre au policier. Il ne put s’empêcher d’avoir le cœur serré. Solenn poussa joyeusement la porte en s’écriant.

— Joyeux anniversaire, Mamie chérie !

Un peu plus tard, après les cadeaux et la dégustation du framboisier, Max et Fabien sortirent dans le jardin. Le grand-père de Solenn voulait lui montrer les pousses de ses plants de pivoines qui commençaient à pointer. Peu bavard, renfermé, l’homme de 72 ans avait pris sa retraite peu après le drame et ne s’intéressait plus qu’à son jardin, le seul sujet qui lui tirât quelques phrases et une certaine fierté.

Solenn débarrassait. Elle aperçut une carte qui dépassait de la poche de sa grand-mère.

— Tu l’as lue ? Alors, c’est qui ?

Sa grand-mère rougit et tenta de détourner l’attention de sa petite-fille. Solenn éclata de rire et lui chipa le courrier. Michelle essaya en vain de rattraper la carte. Solenn riait. Elle leva le rectangle au-dessus de sa tête. C’était un paysage. Curieux pour une carte d’anniversaire, songea-t-elle. Elle la retourna et lut « HEUREUX ANNIVERSAIRE », en lettres capitales, tracées au stylo bleu.

C’était tout.

Pas de signature.

Elle leva un regard interrogateur sur sa grand-mère. Celle-ci en profita pour récupérer la carte en grommelant. Interdite, Solenn la laissa faire.

— Qui est-ce ?

Michelle resta muette.

— J’y crois pas, Mamie, tu as un amoureux ? murmura-t-elle.

Max et Fabien rentraient bruyamment. Solenn se tut.

III

Gwen Thomas se gara devant le petit bâtiment de la zone industrielle de Douarnenez surmonté d’une haute antenne.

C’était là que la Brestoise se rendait chaque fin de journée. Elle tenait le créneau horaire de vingt et une heures à deux heures du matin chez Radio Stup, la radio stupéfiante ! Locale et libre, Radio Stup reliait les habitants du coin et, accessoirement, déversait des flots de musique dans leurs oreilles.

Trente-sept ans, jean, baskets. Une coupe courte et ébouriffée sur ses cheveux châtains méchés de blond. La jeune femme avait travaillé dans d’autres radios avant celle-ci, dont Vitamine. Depuis deux ans, elle animait ce créneau tardif, pendant lequel les auditeurs pouvaient appeler pour dédicacer un titre. Ils ne s’en privaient pas. Elle appréciait cet aspect vivant et spontané de son métier. Divorcée depuis deux ans, elle était revenue à Brest, où ses parents retraités pouvaient s’occuper de son fils de 10 ans, Tom, pendant ses absences.

Elle gravit les escaliers quatre à quatre et déboula, essoufflée, dans les locaux de la radio. Derrière la vitre, elle aperçut Nicolas, son collègue, qui terminait sa plage horaire. Il lui fit un petit signe de la main. Gwen sourit et se prépara à la relève. Elle accrocha sa veste à une patère et compulsa ses notes, but un verre d’eau et attendit l’indicatif de fin. Elle se faufila dans le bocal, prit la place de son collègue et mit ses écouteurs. L’intermède se terminait et l’annonce de son créneau arrivait.

Elle était prête.

*

Léa Mattei s’était branchée, en même temps, sur la radio. Détective privé à plein temps depuis qu’elle avait quitté la gendarmerie, la jeune femme appréciait Gwen, rencontrée à la salle de sport. Une amitié était née entre ces deux hyperactives qui n’avaient pas froid aux yeux. Elle sourit en entendant la voix tonique de sa copine.

— Bonjour à tous ! C’est Gwen sur Radio Stup. Stup comme stupéfiante ! Je vous accompagne jusqu’au milieu de la nuit. Couche-tard ou insomniaques, travailleurs de la nuit, venez vous détendre et passez un bon moment musical avec moi. Je prends le premier appel !

La soirée se déroulait ainsi. Les auditeurs animaient le programme éclectique, créé chaque soir par eux-mêmes et, par-dessus tout, ils adoraient échanger quelques phrases avec l’animatrice à l’humour décapant.

Léa se dit, tout en l’écoutant, qu’il fallait qu’elle l’appelle pour prévoir un repas entre filles.

*

Solenn Audier avait pris le dernier Tud’Bus. La ligne 3 l’avait amenée du parc de Plomarc’h à la rue de Kervignac, à Ploaré, où elle avait désormais son petit appartement. La journée d’anniversaire de mamie Michelle s’était bien passée et elle était heureuse d’avoir pu lui faire ce plaisir.

Sa grand-mère était tellement triste.

Comment ne pas l’être après ce qui s’était passé sept ans plus tôt ? Le monde de Solenn s’était effondré à la descente d’avion. De retour anticipé de séjour scolaire, accompagnée par un professeur, elle avait déjà senti un ferment d’angoisse s’insinuer en elle. On ne lui avait rien dit en Angleterre. Seulement qu’un problème familial nécessitait son retour. Mais elle avait bien remarqué les mines catastrophées des professeurs.

Dans l’avion, elle avait imaginé la mort d’un de ses deux grands-parents, ou bien la maison brûlée, mais ça, non, elle n’avait pas pu le concevoir. Tonton Fabien, qui était encore seulement le copain de son père, lui avait appris, avec douceur, le drame qui la frappait. Ses parents, tués pendant un cambriolage qui avait mal tourné. La villa avait été retournée de fond en comble. On ne lui avait pas révélé immédiatement les circonstances de leur mort. Solenn avait encore du mal à se le représenter, tant c’était violent. Des quantités de sang importantes des deux époux avaient été retrouvées dans le salon et dans le couloir du haut, ainsi que dans l’escalier, jusque devant le grand lavoir ancien qui se trouvait dans le cellier attenant au garage. Leurs deux corps avaient été plongés dedans. Vraisemblablement, Lily en dessous et Florent par-dessus. On n’avait retrouvé qu’une partie d’un pied de Florent, reposant sur le plan incliné du lavoir, au-dessus du mélange de soude caustique et d’eau. De Lily, rien, à part sa boucle de ceinture ainsi que ses bagues en or. Le reste des corps avait totalement disparu. Solenn se trouvait en séjour à l’étranger avec sa classe, et les grands-parents avaient mis deux jours à s’inquiéter du silence de leur fille. Le troisième jour, après avoir appelé plusieurs fois, ils étaient venus avec leurs clés, et avaient découvert le désastre. Dans le salon, trois balles retrouvées portaient l’ADN de Florent et Lily. La maison avait été fouillée, les vêtements du couple retournés, les buffets vidés. C’était incompréhensible, une telle violence gratuite. Ses parents étaient des employés modestes. Lily travaillait dans une grande poissonnerie et Florent était agent de sécurité chez Bretagne Sécurité. Ils avaient acheté ce pavillon mais ne roulaient pas sur l’or. Pourquoi avoir choisi cette villa pour leur cambriolage ? Pourquoi s’être débarrassés de leurs corps ? La thèse d’une vengeance déguisée en cambriolage avait été travaillée, mais sans que les gendarmes aient trouvé quoi que ce fût de concret. Ce matin-là, un épais brouillard recouvrait Douarnenez, étouffant les bruits, masquant les silhouettes. Il avait duré plusieurs heures et certainement favorisé la fuite du meurtrier.

Ni Lily ni Florent n’auraient dû se trouver là. La patronne de Lily avait témoigné avoir bien renvoyé son employée chez elle car elle se sentait mal. Quant à Florent, sa boîte avait signalé qu’il ne s’était pas présenté à l’heure de sa prise de service. Coïncidence ? Les deux parents de Solenn avaient-ils attrapé un virus qui les avait contaminés en même temps ?

Un virus mortel…

Solenn avait dû vivre avec cette plaie béante dans le cœur et cette interrogation sans réponse : pourquoi eux ? Elle venait juste de quitter la maison de ses grands-parents, quelques semaines auparavant, pour aller s’installer dans son premier appartement. Cela avait coïncidé avec la fin de ses études et son premier poste à l’hôpital de Douarnenez, rue Laennec. Pendant ses études, elle avait eu deux copains mais, depuis quelque temps, son cœur était pris. Elle soupira. C’était compliqué…

IV

Michelle Levasseur monta l’escalier qui menait au grenier après s’être assurée que Max n’était pas là. Elle poussa la porte. Un rai de lumière passait par la lucarne, laissant apparaître les particules de poussière en suspension.

Elle se posa sur un carton et souleva le couvercle d’une malle. Michelle soupira. Des vêtements, maintenant un peu passés, dormaient là. Elle caressa un tissu et enroula une ceinture pastel sur sa main. Le chagrin était toujours présent. Vif.

Depuis toutes ces années, Michelle cachait sa peine pour sa petite-fille, et pour Max devenu encore plus renfermé qu’avant. Combien de temps lui restait-il à attendre pour connaître les raisons de cet affreux fait divers qui lui avait enlevé sa fille ? Pour comprendre ce qui s’était joué en ce jeudi 13 février, sept ans plus tôt ?

L’enquête n’avait pas avancé beaucoup. Sur les lieux du crime, aucune empreinte autre que celles des victimes et de leur entourage proche. Les relevés avaient montré que Lily avait perdu pas mal de sang. Une perte importante mais pas forcément mortelle. Michelle ne pouvait pas s’empêcher de frissonner en songeant à ce détail. Sa fille avait-elle été plongée encore vivante dans le mélange caustique ? C’était un cauchemar sans fin.

*

Solenn marchait d’un pas vif dans la ville. Mars était encore frileux et la chaleur n’était pas au rendez-vous. Elle franchit la porte de l’hôpital, traversa le hall, et chercha de la monnaie dans son sac, pour se payer un café.

Il lui restait quinze minutes avant de prendre son service. Elle s’arrêta à la cafétéria. L’homme devant elle avait terminé et se retourna maladroitement, son gobelet fumant à la main. Leurs regards se croisèrent et Solenn poussa une exclamation.

— Frédéric, quelle surprise ! Mais que fais-tu ici ?

Il portait une tenue d’hôpital. L’homme, d’une petite quarantaine d’années, semblait aussi surpris.

— On dirait que tu as vu une apparition, plaisanta-t-elle.

Il se secoua.

— Un peu. Je ne m’attendais pas à te croiser ici. Ça fait longtemps…

Solenn fronça les sourcils.

— Je dirais, au moins cinq ans. On s’était croisés aux fêtes de la mer avec Fabien.

Il hocha la tête.

— Alors ? insista-t-elle. Que fais-tu ici ?

— Rien de grave. L’appendicite. Il m’a fallu attendre d’avoir 40 ans pour en souffrir ! Je sors demain.

— Tu es toujours dans la sécurité ?

Il haussa les épaules.

— Oui, je ne sais rien faire d’autre. Comment va ta grand-mère ?

— Bien. Enfin, aussi bien que possible malgré les circonstances.

Un silence s’interposa entre eux. Solenn le brisa en reprenant :

— Passe la voir ! Elle a besoin de voir du monde. Hier, elle a eu 68 ans. Figure-toi qu’elle a même reçu une carte d’anniversaire anonyme dont elle ne veut pas me parler ! Mamie Michelle aurait un amoureux transi, ajouta-t-elle en s’esclaffant.

— Elle venait d’où sa carte ?

Solenn réfléchit.

— Tu as raison, j’aurais dû y faire attention. Le tampon devrait me mettre sur la voie. Il me semble… je ne suis pas certaine, mais je n’ai pas remarqué de timbre, seulement une oblitération. Bizarre. Je vais creuser ce mystère, conclut-elle avec un clin d’œil.

Frédéric détaillait Solenn.

— C’est fou ce que tu ressembles à ta mère…

Il semblait troublé.

La jeune femme s’assombrit.

— On me le dit souvent.

— Tu vois encore Fabien ?

— Bien sûr. Ton frère est mon pilier depuis sept ans. Sans lui, les choses auraient été beaucoup plus difficiles pour moi, et aussi pour mes grands-parents.

— Fabien a toujours été un saint, plaisanta l’homme.

Solenn fit la moue. Si les deux frères se ressemblaient physiquement, leurs caractères étaient différents. Elle regarda sa montre et ajouta :

— C’est l’heure de mon service. Je file !

*

Le lendemain, Solenn buvait un chocolat chaud dans la cuisine de sa grand-mère en admirant la tempête de neige qui s’abattait sur la ville. Cet hiver tardif surprenait tout le monde. La faute au “Moscou-Paris”, qui déversait ses flots d’air glacé en provenance directe de Russie. Baptisé ainsi par les météorologistes qui avaient averti depuis quatre jours de cette coulée glaciale. La neige s’était mise de la partie, à deux semaines du printemps. Balayée par un souffle puissant, elle tombait presque à l’horizontale. Un blizzard de neige. Solenn s’émerveillait devant les flocons qui venaient frapper les vitres. Max n’appréciait pas, lui, et il venait de sortir en grommelant, pour couvrir ses pivoines qui poignaient à peine le nez de terre. Elle s’adressa à sa grand-mère.

— Ça va, Papi ?

Michelle se redressa en soupirant.

— Oui. Pourquoi me demandes-tu cela ?

— Il ne parle pas beaucoup, et il part dans son jardin à la moindre occasion. Même sous la neige !

Sa grand-mère hocha la tête.

— Que veux-tu que je te dise ? Ton grand-père a toujours été un peu sauvage, et ce qui est arrivé n’a pas arrangé les choses. Il s’isole. Je suppose que c’est sa façon à lui de supporter l’absence.

— Pardon, Mamie, je ne voulais pas te faire penser à ça. Parle-moi de choses plus gaies. Alors, tu vas me montrer de nouveau cette carte que tu as reçue ? Que je sache un peu qui écrit à ma grand-mère !

Michelle rougit.

— Je plaisantais l’autre jour en disant que tu avais un amoureux transi ! Mais tu dois bien avoir une idée de l’expéditeur ou expéditrice ?

Michelle Levasseur regarda par la fenêtre. La neige continuait à tomber avec la régularité d’un métronome. Le jardin était balayé par cette poudreuse glaciale. De là, elle voyait Max, réfugié dans le garage, qui bataillait avec du voile d’hivernage. Elle fit signe à Solenn de la suivre. Les deux femmes montèrent en silence au grenier. Michelle ouvrit la malle et lui tendit un petit paquet de cartes. Solenn ouvrit des yeux étonnés.

— Mais il y en a plusieurs !

La jeune femme était désarçonnée par la découverte.

— Papi le sait ?

Michelle mit son doigt sur sa bouche.

Solenn compulsait les cartes.

— Il y en a huit !

— À Noël et à mon anniversaire, depuis quatre ans.

— Mais enfin, qui est-ce ? Ne me dis pas que tu n’as pas une petite idée.

Sa grand-mère haussa les épaules.

— Oui, une idée ou deux, mais vagues.

— Dis-moi, je meurs de curiosité ! Où as-tu mis les enveloppes ? Pour vérifier le tampon de la Poste ?

— Je les ai jetées.

— Mais pourquoi ?

Solenn était sidérée.

— À cause de ton grand-père. Je préfère garder juste les cartes. Au cas où il tomberait dessus. Les cartes seules, il ne peut pas voir qu’elles me sont adressées. Je les ai mises dans une malle d’affaires de ta mère.

— D’accord, mais Papi est si jaloux que ça ?

— Oui, un peu.

— Alors, ton idée ?

— Autrefois, il y a longtemps, un cousin de ton grand-père me tournait autour. Michel. Ç’avait même fini en bagarre à la fin d’un mariage.

— Pourquoi penses-tu à lui ?

— Parce que j’ai appris, il y a quelques années, qu’il n’était plus ici. Et… et qu’il a perdu sa femme.

— Et d’un coup, il se mettrait à se souvenir de toi et à t’écrire anonymement ?

Solenn semblait sceptique.

— Si c’est vrai, c’est romantique. Pas d’autre idée ?

— Une amie d’enfance. Annette. Nous étions inséparables depuis l’école primaire. On s’est mariées toutes les deux, puis perdues de vue après son divorce. Il y a dix-huit ans. Ton grand-père ne l’appréciait guère. Il la trouvait trop libre. Il avait peur que ça me contamine et il était un peu jaloux d’elle, de notre amitié.

— Pff ! Et elle se trouve où ?

— J’ai eu des nouvelles par une connaissance, il y a quelque temps. Elle a suivi un homme à l’étranger.

— D’après toi, les courriers venaient d’où ? Tu as bien dû voir sur les enveloppes ?

— Eh bien, les tampons étaient assez illisibles. Ça venait de l’étranger mais c’était écrit si petit et puis l’encre avait bavé.

Solenn soupira en contemplant les cartes.

— Vraiment étrange. Drôles de cartes d’anniversaire et de Noël.

Michelle acquiesça.

— Tu aimerais savoir qui t’écrit ?

Sa grand-mère se mordit la lèvre, indécise. Elle reprit :

— Juste savoir qui c’est. Tu n’es pas obligée de lui écrire aussi.

Solenn, dévorée de curiosité, se fit charmeuse.

— Allez, Mamie, ce sera notre secret !

— Mais comment vas-tu faire ? Tu n’as pas d’adresse…

— Ne t’inquiètes pas. Avec Internet, on peut faire plein de choses. Donne-moi juste leurs noms.

Michelle capitula. Solenn nota soigneusement les deux identités : Annette Vigan et Michel Levasseur.

— Mais, tu n’en parles pas à Papi, n’est-ce pas ? Tu connais son caractère…

— Évidemment, Mamie, motus et bouche cousue !

V

— Qu’est-ce que tu fais ?

Fabien jeta sa veste sur le canapé deux places de Solenn et se pencha pour lui embrasser les cheveux. La jeune femme releva la tête.

— Des recherches !

— Je vois bien. Tu es sur Internet. Mais qu’est-ce que tu as de si passionnant à chercher, alors que ton tonton préféré est arrivé ?

Solenn éclata de rire et ferma son ordinateur portable.

— Tu as raison, je manque à tous mes devoirs. Assieds-toi !

Fabien Calvez prit place à la petite table ronde de Solenn, qu’elle avait dressée.

— Je te sers un verre ?

— Un muscat, lui répondit-il. Donc, que me vaut la grâce de ton invitation à manger ?

— Pas de raison particulière, à part le plaisir de te voir… Fabien.

Le policier cligna des yeux.

— Tu ne m’appelles plus tonton ?

— J’ai grandi. Ne te réjouis pas trop, je m’essaie en cuisine. Tu vas tester.

Il fit une grimace et, semblant se lever :

— Je crois que je suis attendu… Aïe !

Solenn venait de lui donner un coup de cuillère sur le bras.

— Ah non, j’ai mis deux heures à préparer un curry de gambas à la thaïlandaise, alors tu restes !

Il renifla.

— Tu as de la chance, ça sent bon.

— Ton frère t’a dit que je l’ai rencontré à l’hôpital ?

Il leva un sourcil étonné.

— Non, ça fait un bon moment que je ne l’ai pas vu. Ça allait ?

— Oui, ç’avait l’air mais il venait de se faire opérer pour une appendicite. Vous êtes curieux quand même, les deux frères. Vous voir si peu souvent…

— C’est lui qui s’est éloigné. Il a changé de boîte et de ville il y a quelques années. Il est parti à Brest. Six ans déjà. Mais il vient voir notre mère de temps en temps.

— Et toi, tu es resté au commissariat de Quimper.

— Oui. J’en parlerai à ma mère pour l’appendicite. Et sinon, tes recherches ?

Solenn le regarda.

— Ça reste entre nous, Fabien. Ne va rien raconter à Papi.

Elle lui rapporta les courriers de sa grand-mère. Fabien semblait perplexe.

— Tu dis que ça dure depuis quatre ans ? Sans rien de plus ? Juste une carte pas signée, chaque fois ?

Solenn hocha la tête.

— Qu’est-ce que tu en penses, tont… Fabien ? Ça ne te paraît pas inquiétant ?

— Si tu dis que personne n’a cherché à contacter Michelle depuis le début, non.

— Mais moi, j’aimerais bien savoir qui c’est…

Il sourit.

— Pourquoi je ne suis pas étonné ?

Elle lui mit une claque sur le bras.

— Arrête de te moquer ! Je suis normalement curieuse.

— Une vraie fille, conclut-il.

— Il faut que je trouve. Ça m’obsède, ce mystère. Tu vas m’aider ?

— Si je peux, évidemment, ma puce.

— On commence par quoi ?

— Manger ton curry avant que je ne meure d’inanition !

*

Quelques jours plus tard, Solenn venait de passer une heure à examiner les cartes que mamie Michelle avait bien voulu lui confier. Elle les avait étalées sur sa table, puis photographiées sur les deux faces avec son smartphone, ce qui lui permettait de les agrandir et de scruter le moindre détail. Toujours aussi perplexe quant aux motivations de l’expéditeur. L’écriture bâton ne donnait pas beaucoup d’indications. Solenn percevait l’inquiétude de sa grand-mère vis-à-vis de Max, et elle déplorait que ça l’ait poussée à se débarrasser des enveloppes. Elle aurait pu y découvrir des détails qui avaient échappé à Michelle. La carte était pratiquement identique à chaque envoi. Le cadrage différait un tout petit peu d’une année sur l’autre. On aurait dit un cliché pris d’un appartement. Ciel bleu parfois et souvent gris, selon les saisons. Une longue plage frangée d’océan, une ligne d’immeubles. Les indicateurs étaient maigres. C’était pour cela que Solenn les avait photographiés. Dans l’espoir d’y découvrir une indication.

Elle avait rangé les cartes dans une pochette rectangulaire en simili cuir bleu nuit. Avant de prendre son service, elle passerait les rendre à Michelle. Le Tud’Bus arrivait presque à vide ; elle s’installa au fond. Le temps s’était radouci, après l’épisode neigeux de la semaine précédente. Au fil des arrêts, le bus se remplissait et Solenn se poussa pour faire de la place. Un jeune homme coiffé d’une casquette vint s’installer auprès d’elle. Le regard tourné vers l’extérieur, elle laissait ses pensées vagabonder. Son sac, bien accroché à son épaule, était calé entre la fenêtre et elle. Pour un peu, elle se serait endormie, bercée par le défilement de l’asphalte. Le bus stoppa et, dans son demi-sommeil, elle sentit le jeune homme se lever. Il n’était resté que le temps d’une station. Elle le vit descendre du bus, le longer et s’enfoncer à grandes enjambées dans une ruelle. Juste avant de disparaître dans l’ombre, il tourna la tête une seconde et lui jeta un regard furtif. Machinalement, elle se redressa et passa la main à sa droite. Quelque chose manquait. Sa pochette, qu’elle avait posée à côté d’elle en s’asseyant, avait disparu ! Elle se leva d’un bond et chercha. Mais elle n’était pas tombée au pied de la banquette. Elle n’était plus là. Instantanément, elle sut que c’était le garçon, qui venait de descendre qui l’avait. Elle voulut sortir mais le bus avait redémarré et prenait de la vitesse. Elle essaya de mémoriser l’endroit. Ce ne pouvait être que lui, le coupable. Son cœur se serra à l’idée d’annoncer à sa grand-mère la perte de ses précieuses cartes. D’autant plus, se dit-elle désabusée, qu’il n’y avait que cela dans la pochette. Si c’était un vol, et ça l’était certainement, le garçon déçu risquait de jeter le tout.

Solenn maudit sa négligence.