Onde de choc sur Fermanville - Martine Le Pensec - E-Book

Onde de choc sur Fermanville E-Book

Martine Le Pensec

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Beschreibung

Après un accident aux apparences banales, Cécile voit sa vie chamboulée...

Un fracas de tôles froissées… Ce banal accident est-il le point de départ de l'aventure que va vivre Cécile, une secrétaire médicale à la vie tranquille ?
Quel est cet appel lancinant qui la poursuit depuis ?
Une hallucination auditive, due au choc, ou une réminiscence du passé ?

Cette descente aux enfers va la conduire de Toulon aux rivages de Fermanville, à deux pas de Cherbourg, en quête d'une réponse.
Découvrira-t-elle le vrai visage de ceux qui l'entourent..?


EXTRAIT

La sensation brutale d’être projetée sur sa droite, avec une douleur vive, électrique, sur le côté de la nuque jusqu’à l’épaule droite, avait résonné en elle comme une onde de choc et, ensuite seulement, elle avait perçu le bruit strident des freins et le fracas de la tôle qui se froisse.
Rien vu. Même pas eu le temps d’avoir peur.
Un peu sonnée, Cécile était restée sur son siège quelques instants.
Elle avait bataillé pour dégrafer sa ceinture, enregistrant au passage les deux pizzas répandues sur le sol à côté des œufs cassés. Elle venait juste de les acheter au supermarché tout proche pour le repas du soir.
Levant les yeux vers le responsable de l’accident, elle avait senti une bouffée brûlante de colère la parcourir. Un jeune homme d’une trentaine d’années sortait du 4x4 qui venait de l’emboutir par la gauche.
Cécile n’avait vu que les chromes étincelants du pare-buffles monumental à l’avant du véhicule.
« Quelle poisse, avait-elle pensé. Il va falloir mettre la voiture en réparation. Et il n’est même pas beau ce con ! Si au moins il avait eu l’allure de Bruce Willis ou de Richard Gere… »
Mais non, le conducteur du Nissan Patrol était un petit gros aux cheveux gras et au bouc maigrelet. Rien de magique pour adoucir le choc !

À PROPOS DE L'AUTEUR : Martine Le Pensec

Auteur d’origine bretonne et normande, je vis à Toulon où je travaille après avoir habité Brest et Lorient. L’écriture est une seconde nature depuis toujours.
Toutes les situations psychologiques me passionnent ainsi que l'ambivalence des êtres. J’aime voyager et découvrir d’autres lieux et cultures aussi Irlande, Etats-Unis et Pays-Bas se retrouvent parfois dans mes intrigues policières. Les accidents de vie qui émaillent celles de personnages ordinaires, sont pour moi une source inépuisable d'inspiration. J'aime écrire des histoires qui parlent de mémoire, et particulièrement de mémoire oubliée. Je suis aussi maman de quatre filles et, fatalement, tout ce qui blesse la maternité, séparation, deuil, enlèvement d’enfants, entre en résonance avec moi et cela se retrouve
dans mes romans. Les ambiances mystérieuses, ce qui se devine dans des effilochées de brume, les angoisses qui sourdent et enveloppent les personnages forment la base de mes suspenses sur fond de rivages bretons que je vous invite à découvrir.


À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Il est des heures vides, creuses, qui portent en elles le destin. »

L’amour d’Erika Ewald - Stefan Zweig

I

Engoncée dans un ciré de marin, une silhouette scrutait l’horizon d’un air concentré. Un pli soucieux barrait son front. Ses jointures blanchies, triturant nerveusement ses jumelles, trahissaient sa tension.

Quand apparut, dans son objectif, une silhouette luttant dans les remous de la pointe de Cap Lévy, un sourire froid étira ses lèvres jusqu’à présent serrées.

Une intense jubilation l’envahit. Ainsi, c’était donc vrai, elle était revenue ici où tout avait commencé…

A quelques encablures de là, inconsciente d’être observée, Cécile se débattait contre le courant généré par la marée montante.

Un dangereux tourbillon s’était formé aux abords du rocher et elle dut utiliser toute son énergie pour ne pas être entraînée en son centre.

Trempée et à bout de souffle, elle réussit à se hisser sur le rocher qui avait bien failli devenir son tombeau et reprit sa respiration.

Elle s’était laissée surprendre par la marée qui avait découvert, beaucoup plus loin que d’habitude, la grotte formée sous le granit.

Fascinée par les anfractuosités remplies de varech fluorescent, laissées à sec par le reflux, elle n’avait pas vu les petits filets d’eau qui venaient sournoisement lui lécher les chevilles, l’entourant petit à petit.

D’un coup, en se retournant, elle avait perdu pied dans un trou d’eau et s’était souvenue que la marée encercle ceux qu’elle veut perdre.

Sans s’en rendre compte, elle avait parcouru plusieurs dizaines de mètres en descendant sous la roche et l’eau avait déjà rempli, en partie, une salle.

Au bord de la panique, le souffle court, elle avait dû plonger pour retrouver la sortie.

Étendue sur les aspérités rocheuses, tout en retrouvant une respiration normale, Cécile était envahie par des images, comme des flashes dans sa mémoire.

Tout avait commencé quelques mois plus tôt, d’une façon si banale pourtant…

* * *

La sensation brutale d’être projetée sur sa droite, avec une douleur vive, électrique, sur le côté de la nuque jusqu’à l’épaule droite, avait résonné en elle comme une onde de choc et, ensuite seulement, elle avait perçu le bruit strident des freins et le fracas de la tôle qui se froisse.

Rien vu. Même pas eu le temps d’avoir peur.

Un peu sonnée, Cécile était restée sur son siège quelques instants.

Elle avait bataillé pour dégrafer sa ceinture, enregistrant au passage les deux pizzas répandues sur le sol à côté des œufs cassés. Elle venait juste de les acheter au supermarché tout proche pour le repas du soir.

Levant les yeux vers le responsable de l’accident, elle avait senti une bouffée brûlante de colère la parcourir. Un jeune homme d’une trentaine d’années sortait du 4x4 qui venait de l’emboutir par la gauche.

Cécile n’avait vu que les chromes étincelants du pare-buffles monumental à l’avant du véhicule.

« Quelle poisse, avait-elle pensé. Il va falloir mettre la voiture en réparation. Et il n’est même pas beau ce con ! Si au moins il avait eu l’allure de Bruce Willis ou de Richard Gere… »

Mais non, le conducteur du Nissan Patrol était un petit gros aux cheveux gras et au bouc maigrelet. Rien de magique pour adoucir le choc !

Tout de même, elle avait de la peine à coordonner ses pensées. Tout lui parvenait à travers une brume cotonneuse.

Elle avait l’impression confuse de se situer dans un espace-temps différent où tout était ralenti, déformé.

Cécile parvint tout de même à s’extirper de son véhicule. Elle avait le sentiment que tous les yeux du secteur étaient braqués sur elle.

Surpris, le jeune homme laissa échapper :

— Je ne pensais pas vous avoir fait autant de dégâts !

Effectivement, son 4x4 rutilant n’arborait qu’une longue rayure sur la jante alu de son pneu gigantesque.

Quant à sa R19, elle avait piètre allure avec son aile froissée, son optique en miettes, son pare-chocs arraché et sa calandre pulvérisée.

Désorientée, elle fit plusieurs fois le tour de sa voiture, ne sachant quelle décision prendre.

Se garer ailleurs. Elle ne pouvait rester en plein milieu de la voie de circulation.

Oui, mais il fallait rédiger le constat. Incapable de contrôler le tremblement nerveux qui l’avait envahie, Cécile cherchait fébrilement ses papiers. Elle finit par vider le contenu de la boîte à gants sur le plancher de la R19, ainsi que son sac. Enfin, elle dénicha un imprimé et son permis de conduire.

Le jeune homme s’était garé quelques mètres plus loin et elle en fit autant, avec beaucoup de difficultés.

Son esprit n’arrivait pas à se calmer. Elle avait l’impression d’être un ciel bombardé de météorites fusant dans tous les sens. Aucune pensée ne parvenait à ralentir et à se fixer.

Un rapide coup d’œil à sa montre lui fit mesurer l’étendue du désastre.

— Dix-neuf heures trente ! Il faut que je prévienne mon mari…

Elle commençait à s’éloigner en direction de la pharmacie toute proche lorsque le jeune homme lui proposa son téléphone portable.

En quelques mots, elle brossa le tableau de la situation à Gauthier.

— Un 4x4 m’a percutée par la gauche. Non, je ne suis pas en tort… La voiture ? Oui, elle est abîmée. Tu verras toi-même. Non, je ne suis pas blessée. Tu viens faire le constat ? A tout de suite.

En attendant l’arrivée de son époux qui se trouvait à trois ou quatre kilomètres de là, Cécile commença à remplir les cases de l’imprimé. Tout en écrivant, elle se massait machinalement la nuque. Cette douleur lancinante lui tirait sur l’épaule. Elle allait être bonne pour quelques jours de courbatures bien senties !

La nuit avait été difficile et Cécile ouvrit les yeux avec difficulté. Un mal de tête lancinant enserrait son crâne et broyait sa nuque dans un étau. En se levant, elle perdit l’équilibre un instant et se heurta douloureusement le bras droit. Ses yeux la tiraient bizarrement. Elle n’aurait su dire exactement ce qui n’allait pas, mais ses perceptions étaient différentes.

Quelle déveine ! Elle ne serait jamais remise du choc pour prendre son service au cabinet de kinésithérapie de la clinique des Roses, lundi matin.

Gauthier avait pourtant insisté hier soir, lui demandant à plusieurs reprises si elle voulait qu’il l’emmène aux urgences.

En vain. Cécile, sous le choc, n’avait pas réalisé l’impact de l’accident sur elle. A regret, elle prit le combiné téléphonique et appela ses employeurs pour les prévenir de son absence le lendemain.

Elle allait passer des radios et consulter son médecin. Elle sentit bien, au ton de ses interlocuteurs, qu’ils s’inquiétaient plus pour la désorganisation en vue de leur journée de travail que pour son état…

Nicolas venait juste de se lever en trombe. Cécile admira son fils de treize ans qui se préparait un petit-déjeuner gargantuesque. Où mettait-il tout cela ?

Brun aux yeux gris, les traits fins, son fils lui ressemblait plus qu’à Gauthier.

« Quel dommage de n’avoir pu lui donner une petite sœur », pensa-t-elle fugitivement.

Elle chassa rapidement cette pensée nostalgique. Un accouchement dramatique l’avait privée d’autres grossesses, mais Nicolas, à lui seul, était merveilleux.

« Il faut savoir se contenter de ce qu’on a ! »

Machinalement, elle prit le journal que Gauthier était allé chercher en même temps que les croissants du dimanche. Elle jeta un regard aux gros titres. Les lignes dansaient devant ses yeux.

Incapable de fixer son regard sur les caractères du quotidien, elle essaya de lutter contre la nausée qui l’envahissait. Elle y renonça rapidement et préféra retrouver son équilibre dans le canapé, les yeux fermés.

Les muscles de son œil droit tiraient douloureusement et elle ne pouvait rien fixer sans vertige. De plus, les allées et venues de Gauthier et Nicolas la mettaient au bord du malaise.

Et il y avait toujours cette brume cotonneuse qui alourdissait sa tête et rendait difficiles ses pensées. Tout était floconneux. Même ses oreilles lui paraissaient remplies d’eau et les bruits lui parvenaient à travers un filtre déformant.

Jamais elle n’avait eu besoin de faire répéter qui que ce soit et ce désagrément l’exaspérait au plus haut point.

Demain, c’était décidé, elle ferait un bilan médical.

II

Trois semaines de repos n’avaient pas amélioré la situation et Cécile souffrait toujours autant de vertiges. Chaque déplacement hors de la maison équivalait à un supplice.

Le bilan médical était assez éloquent : entorse cervicale, trauma crânien avec commotion labyrinthique – le centre de l’équilibre – et exophorie de l’œil droit – en clair, strabisme divergent dû au choc latéral avec le 4x4.

Ce qui signifiait que Cécile avait perdu subitement l’usage de la vision binoculaire et devait se rééduquer chez une orthoptiste.

De plus, elle avait encore dans les oreilles les récriminations acerbes de ses employeurs en proie aux affres de la désorganisation :

— Comment, vous ne portez pas de minerve ?

— Cécile, nous sommes débordés, la situation au cabinet est critique… Ce n’était vraiment pas le moment de nous faire ça ! Ne croyez-vous pas que vous pourriez faire vos séances de rééducation tout en assurant votre travail ?

Comme si elle avait fait exprès d’avoir cet accident ! Cécile n’avait pas répondu à ces appels du pied.

Rien de tel que de travailler dans le milieu médical pour comprendre à quel point le personnel n’est qu’utilitaire.

Elle, qui ne pouvait pas sortir de chez elle sans se tenir aux murs, comment aurait-t-elle pu assurer son service d’assistante auprès des patients du cabinet ?

C’était sans compter aussi les maux de tête qui la tenaillaient sans relâche depuis l’accident.

Ils s’atténueraient, lui avait-on dit, lorsque diminuerait l’œdème du tronc cérébral dû au choc.

Quant aux vertiges, ils étaient le résultat associé de ses problèmes visuels et de la commotion labyrinthique. Il fallait du temps… et de la rééducation. Six mois, dans le meilleur des cas, qui pouvaient aller jusqu’à deux ans de perturbations.

Rien de bien réjouissant dans l’immédiat. Cécile s’attendait à passer un été des plus… reposants !

Heureusement, Nicolas, après son stage de tennis, devait partir à l’île d’Oléron rejoindre ses cousins. Cécile avait prévu d’y aller un peu plus tard avec Gauthier, mais cela paraissait improbable désormais.

Impossible pour elle de conduire dans l’immédiat et difficile aussi de supporter la route, même comme passagère.

— Tant pis, soupira-t-elle, déçue, ce sera pour l’an prochain si tout va bien.

Habituée à un rythme de travail soutenu, Cécile ressentait son inactivité forcée comme un flottement inhabituel. Pourtant chaque petite activité de la journée lui coûtait, l’obligeant à calculer ses positions et à réfréner ses mouvements instinctifs. La nausée ou des douleurs lancinantes la rappelaient vite à l’ordre.

Elle qui était une lectrice assidue refermait rapidement son livre pour laisser sa vue se reposer. Pas de broderie, ni de tricot, ni d’informatique. Cécile trouvait la note à payer, pour cet accident stupide, plutôt saumâtre !

Heureusement, il lui restait les appels téléphoniques de ses amis et les visites de Marie.

Marie, aux boucles rousses, qui venait illuminer d’un éclat de rire les heures solitaires en l’absence de Gauthier et Nicolas. Toujours en coup de vent, mais si tonique et rafraîchissante !

Il y avait presque quatre ans que Cécile était entrée, pour la première fois, dans le salon de coiffure de son amie et qu’elle lui avait confié ses boucles brunes. La vivacité et le charme de Marie l’avaient conquise aussitôt.

Célibataire de trente ans, croquant la vie à belles dents, toujours entre deux aventures et le rire aux lèvres, elle compensait par son insouciance le calme et le sérieux de Cécile.

Bien souvent, Marie lui en faisait la remarque, l’incitant à plus de gaieté. Non pas qu’elle fût triste ou austère. Simplement un peu trop réservée, “en-dedans”. Marie lui disait fréquemment de cesser de vivre comme si elle avait une ombre derrière elle.

Cécile souriait et laissait dire son exubérante amie. C’était vrai, pourtant, qu’une mélancolie latente émanait d’elle et l’enveloppait de son aura douce-amère. Surtout depuis la perte du bébé, cinq ans auparavant. Comme si la venue manquée de ce petit être, en la responsabilisant, l’avait alourdie d’une chape de mélancolie.

Ce jour, il est vrai, avait été le théâtre d’événements si douloureux que Cécile évitait d’y penser trop fréquemment, préférant enfouir ce souvenir dans sa mémoire.

Elle avait peu de souvenirs de ce neuf mai, qui restait enveloppé dans les brumes de l’anesthésie.

Pour quelle obscure raison avait-elle emprunté le sentier caillouteux du sémaphore, enceinte de huit mois ?

Tout ce qu’elle savait de cette journée, tenait dans le récit que lui en avait fait Gauthier, à son réveil. Elle venait rendre visite à son frère, Vincent, sémaphoriste de la Marine Nationale. Gauthier, en s’y rendant un peu plus tard, l’avait trouvée sans connaissance sur le chemin.

Une violente contraction l’avait pliée en deux, suivie d’une hémorragie dramatique : décollement de placenta.

Transportée au centre hospitalier, le chirurgien avait pu la sauver mais dû procéder à une opération de l’utérus et c’est ainsi qu’elle s’était trouvée privée de la possibilité de mettre au monde un autre enfant. Le bébé, un petit garçon, n’avait pas survécu.

En sortant de l’anesthésie, elle avait dû faire face à la tragique réalité : tout d’abord, elle avait perdu son bébé et, à trente ans, la maternité lui était désormais interdite, mais, de plus son frère, Vincent, venait de périr dans un accident terrible quelques heures plus tôt.

Gauthier le lui avait annoncé avec ménagement, guettant ses réactions. Un faux mouvement et de l’imprudence étaient à l’origine de la mort de Vincent. Après avoir trouvé Cécile sur le chemin, Gauthier s’était précipité au sémaphore pour prévenir les secours. Vincent préparait un barbecue. Surpris par l’irruption de son beau-frère, alors qu’il s’apprêtait à enflammer le charbon de bois imbibé d’alcool à brûler, il avait sursauté et la bouteille qu’il tenait encore à la main, avait coulé et pris feu dans une détonation sèche.

Vincent s’était embrasé et Gauthier n’était pas parvenu à sauver le jeune homme.

Cécile n’avait pas de souvenirs de cette journée, ou si peu. Quelques sensations confuses, des bribes de souvenirs qui traversaient quelquefois sa mémoire comme une pluie d’étoiles filantes.

Il ne lui restait de ce jour qu’une grande tristesse et une vague sensation de culpabilité. Cet accident ne serait jamais arrivé si elle n’avait pas décidé de venir rendre visite à son frère à l’improviste ! Seuls, les sourires de Nicolas avaient su, peu à peu, la sortir de cette déprime qui l’assaillait.

L’enquête, menée par les collègues du commissariat de Gauthier, avait conclu à un accident et le jeune policier s’était longuement reproché son arrivée brutale dans la cour du sémaphore.

— J’étais fou d’inquiétude pour Cécile, avait-il expliqué aux enquêteurs. Je suis arrivé brusquement alors que Vincent jetait une allumette pour préparer la braise. Il a sursauté et la bouteille pleine d’alcool à brûler qu’il tenait dans l’autre main a coulé sur la flamme. Tout s’est embrasé d’un coup. C’était terrifiant !

Les années avaient passé sur le drame. Gauthier avait demandé son changement d’affectation pour le Sud, afin d’éloigner Cécile de ces souvenirs dramatiques.

Depuis, seule, Cécile était revenue une fois en Normandie voir ses parents. Elle préférait qu’ils viennent chez eux pour Noël. C’était moins difficile pour elle de les revoir loin de Gatteville, le lieu du drame, et de Fermanville où ils avaient une maisonnette en pierre. Sa mère était partie la première, il y a trois ans, usée par le chagrin, et son père l’avait suivie quelques mois après.

Cécile avait gardé la maison de pêcheur en l’état, au cas où ils se décideraient à venir y passer quelques jours…

Mais les années passaient et Gauthier choisissait toujours une autre destination pour les vacances, et Cécile acquiesçait.

Il valait mieux laisser dormir d’aussi terribles souvenirs.

III

Cécile ouvrit les yeux avec difficulté, engluée dans un sommeil perturbé, une sueur malsaine perlant au-dessus de sa lèvre supérieure et rendant moites ses paumes.

Au fond de son esprit, comme un écho affaibli, un son rémanent, un cri tentait de se frayer un chemin jusqu’à la surface de sa conscience.

Elle secoua sa tête douloureuse comme pour chasser un insecte importun. Le son lui parvenait encore, malgré son réveil, remplissant ses oreilles d’un vacarme assourdi par la distance et son cœur d’une angoisse indéfinie.

« Lile… lile… lile… lile… »

Cela faisait plusieurs jours, déjà, que cet incident se reproduisait la nuit. En fin de nuit, plus exactement, lorsque le sommeil se fait moins profond, la laissant nouée d’angoisse pour aborder la journée.

Pourtant, les sons entendus ne signifiaient rien de particulier pour elle.

« Lile, pensa-t-elle, de quelle île s’agit-il ? Ma pauvre, le choc a été plus rude que tu ne le pensais. Si tu en es à entendre des voix, à quand les éléphants roses ? »

Malgré son autodérision, Cécile restait mal à l’aise, d’autant que les épisodes auditifs se reproduisaient de plus en plus fréquemment. A tel point qu’elle en avait parlé à Gauthier, prenant un ton léger pour ne pas l’inquiéter.

Son mari avait levé un œil scrutateur, au-dessus de son journal et lui avait posé quelques questions. Vieux réflexe de policier !

Cécile avait bien essayé de lui expliquer ce qu’elle percevait mais cela restait si confus et lointain en même temps…

Gauthier avait haussé les épaules et conseillé à Cécile de retourner chez son médecin. Quelques calmants feraient l’affaire et lui permettraient de retrouver un sommeil paisible. Cécile avait acquiescé.

Pourtant, elle était inquiète, se demandant si ses lésions n’étaient pas plus graves que ce qui lui avait été dit.

Le médecin l’avait rassurée, disant que c’était une perturbation due vraisemblablement au contrecoup du choc, et lui avait prescrit un oxygénateur cérébral pour activer sa récupération et un léger relaxant.

L’écho continuait néanmoins sa sarabande dans sa tête.

L’été s’était écoulé tant bien que mal. Cécile avait beaucoup maigri depuis l’accident, minée par ses vertiges et un trouble intérieur qui n’avait pas échappé à Marie.

Son amie était venue souvent la chercher pour l’emmener à la plage. Elles allaient s’allonger deux heures au bord de l’Almanarre, profiter de l’air marin. Malgré ses sensations nauséeuses, Cécile appréciait de pouvoir nager.

Dans l’eau, le dos tourné à la plage, elle se sentait légère et libre. Elle s’imaginait qu’elle pouvait nager loin, sans que rien ne l’arrête. Marie veillait et l’appelait gaiement dès qu’il lui semblait qu’elle dépassait les limites du raisonnable.

— Oh, oh ! Ramène-toi ! Je n’ai pas envie de faire un sauvetage express ! Et je te signale qu’il n’y a pas un CRS valable à dix lieues à la ronde !

C’est vrai que ses bras fatiguaient vite et sa nuque douloureuse se raidissait rapidement. Mais nager lui faisait beaucoup de bien.

Quand elle la voyait trop absorbée, Marie lui demandait :

— Encore tes voix, Cécile ? Envoie-les au diable et profite du soleil !

Néanmoins, la mine pâlotte de son amie la tracassait.

L’été avait fini par s’enfuir, laissant la place aux premières brumes de l’automne.

Trente séances d’orthoptie avaient permis à Cécile de reprendre la lecture et une rééducation intensive commençait à réduire ses vertiges. Sa démarche se faisait un peu plus assurée. Elle était toujours sensible aux mouvements dans son champ de vision et ne pouvait guère tourner la tête brusquement sans un malaise fugace. Néanmoins, elle sortait hors de chez elle plus souvent. Un luxe après ces cinq mois de repos quasi total !

Seules, les voix continuaient leur travail de sape. Elles s’étaient même renforcées au fil des jours, devenant plus fréquentes et plus fortes. C’était comme une fréquence radio qui venait s’intercaler sur la bande en cours. Un grésillement dans sa tête puis le son commençait, ténu et assourdi, mais obsédant.

— Lile… lile… lile… lile…

Chaque épisode était accompagné d’un frisson de terreur inexpliquée. Elle n’aurait su dire pourquoi, mais cette voix lui donnait la chair de poule et elle avait le sentiment de courir intérieurement, pour fuir ce cri venu d’elle ne savait où. Maintenant, elle l’entendait même dans la journée. Le scénario intérieur venait à chaque fois submerger son présent, la laissant à chaque fois pantelante sur son siège.

Rien n’y faisait. Pas même le refus :

— Ça n’existe pas ! Va t’en ! Il n’y a que le présent qui existe.

Ni le casque stéréo qu’elle se mettait sur les oreilles pour couvrir la voix obsédante par les notes puissantes de Pavarotti.

La voix s’était enrichie de sensations. Elle sentait le vent de la mer et le bruissement du ressac sur la côte. Cécile avait le sentiment vague, confus de courir sans fin, poursuivie par une voix déchirante.

— Lile… lile… lile… lile…

Elle avait perçu dans le regard incisif de Gauthier une lueur d’inquiétude, après une de ses absences.

Son état était loin d’être brillant mais elle choisit de reprendre son poste à la clinique, mi-octobre. Elle espérait que l’activité intense du lieu et la présence de nombreux patients lui permettraient de mettre fin à ces hallucinations auditives.

Aussi retrouva-t-elle avec plaisir ses habitués. Pourtant le rythme à suivre était difficile pour elle qui n’était pas encore remise du choc de l’accident.

Accueil, rendez-vous, facturations, comptabilité, gestion des fournitures et soins aux patients. Cécile avait repris la longue litanie des tâches du cabinet, dans une ambiance on ne peut plus survoltée par sa longue absence. Les trois kinésithérapeutes avaient bien employé une jeune fille pour la remplacer en partie, mais beaucoup de travail était resté en souffrance.

Dès qu’elle avait terminé de s’occuper des patients, après avoir refondu les cataplasmes de boue et nettoyé les électrodes des ten’s et de l’ECL, Cécile s’attelait à la tâche. Prises en charge, facturations surtout, pour faire rentrer de l’argent sur le compte-cabinet.

Ses employeurs ne manquaient pas de la pousser dans ce domaine, s’enquérant du montant des rentrées.

Souvent, Tim lui tenait compagnie pendant ces heures tranquilles de fin de matinée, alors que les kinés étaient partis faire leurs visites à domicile. C’était un sportif, habitué du cabinet pour entretenir ses articulations sollicitées par la course.

Venant régulièrement plusieurs fois par semaine, il était devenu un ami, lorsqu’au fil des conversations, ils s’étaient aperçus qu’ils partageaient la même passion pour l’art.

A trente-trois ans, né d’un père allemand et d’une mère africaine, Timothée Bronner était un superbe métis qui travaillait comme sculpteur et donnait quelques heures de cours par semaine à l’Académie des Beaux-Arts du lieu.

Il avait su communiquer sa passion de la matière à Cécile et, depuis un an, elle suivait régulièrement les cours dispensés par son ami. Sous ses doigts déliés, la glaise prenait forme et Cécile admirait à chaque fois la vie qui s’exprimait dans les corps façonnés par Tim.

La gentillesse et la bonne humeur le caractérisaient et la jeune femme appréciait chaque visite de l’artiste. Il la reposait de ses employeurs obnubilés par leur chiffre d’affaires et des patients préoccupés de leurs maux.

Une articulation qui se grippe et la terre cessait de tourner pour la plupart d’entre eux ! Rares étaient les personnes qui savaient s’élever au-dessus des petites misères de la vie et faire la relation entre les dysfonctionnements de leur vie et ceux de leur corps.

Tim, lui, prenait la vie avec philosophie. Toujours calme et décontracté. Il arrivait à vivre de sa sculpture, vendant une belle pièce de temps à autre. Ses heures de cours complétaient ses revenus. Il s’essayait aussi, avec bonheur, à l’ébénisterie d’art et Cécile aimait ses créations. Des meubles chaleureux et originaux comme leur créateur.

Cécile l’admirait d’autant plus que la vie n’avait pas été tendre avec lui, à ses débuts. Il avait perdu son père à huit ans, lors d’un accident.

Quant à sa mère, femme de ménage africaine, elle avait dû batailler pour élever seule ses enfants. Tim était le dernier d’une fratrie de cinq. Il s’était confié à Cécile en lui disant :

— Nous sommes cinq frères et sœurs et je suis le seul noir ! Mon père était allemand et tous mes frères ont la peau claire. Il a fallu que ça tombe sur moi ! Pas facile de vivre le racisme au quotidien.

Heureusement pour lui, Tim était un garçon équilibré et son amour de l’art et du sport lui avaient évité de sombrer dans la rancœur.

Il venait plutôt vers onze heures le matin, profitant du calme du cabinet pour utiliser les installations. La salle de musculation l’occupait un bon moment, puis, lorsqu’il avait fini, il appelait Cécile, occupée devant l’ordinateur, pour qu’elle lui installe l’ECL. Elle lui posait les électrodes enduites de gel sur les cuisses, en musculation passive, et c’était toujours le moment d’un fou-rire entre eux.

Tim fronçait les sourcils et tendait la main, doigts écartés, prêt à sauter si le courant s’avérait trop fort à son goût. Taquine, Cécile, connaissant sa crainte, faisait semblant de monter l’intensité au maximum, guettant sa réaction immédiate. C’était devenu un jeu.

Ensuite, elle remplaçait les électrodes par d’autres, plus petites, de chaque côté des genoux. C’était le traitement antalgique qui terminait la séance. Pendant qu’elle facturait, Tim, de l’autre côté du mur lui commentait le journal ou un magazine. C’était pour eux l’occasion de grandes conversations sur l’Afrique et ses coutumes, ou les voyages qu’il avait déjà réalisés et ceux qu’il envisageait. Sous des dehors décontractés, Tim avait un sens aigu de l’observation et aucun changement d’humeur de Cécile ne lui échappait. Dès qu’elle s’assombrissait en sa présence ou partait simplement sur la planète nostalgie, elle sentait son regard scrutateur peser sur elle.

Quelquefois, sa main venait effleurer la sienne, pour la ramener au présent, accompagnée de son sourire si particulier.

— Bienvenue au pays des vivants, Cécile ! Ouf ! J’ai bien cru que j’allais rester seul au cabinet !

Cécile souriait à ces traits d’humour et reprenait le fil de la conversation.

Après Nicolas, sa huitième merveille du monde, Tim et Marie étaient les deux bénédictions de Cécile. Ils la sortaient de ses souvenirs douloureux et de la distance qui s’était glissée entre son mari et elle. Modelé par la police, Gauthier avait toujours été brusque et autoritaire.

Ses horaires élastiques d’inspecteur de police ne lui avaient guère permis d’être très présent au foyer et la mort de Vincent et du bébé avait édifié entre eux un mur de non-dit réciproques.

Cécile s’était reproché d’être venue sans prévenir chez son frère, alors que le terme de sa grossesse était si proche et Gauthier, même s’il ne l’exprimait pas, devait se sentir en partie coupable de l’accident.

Rien de bien réjouissant pour cimenter un couple !

IV

Cécile leva la tête de son agenda en entendant la double-porte vitrée du cabinet glisser sur ses rails.

Un ralentissement dans le rythme effréné de la journée lui permettait de jeter un coup d’œil au planning.

Une ombre de tristesse passa furtivement sur son visage fatigué en découvrant le nouvel arrivant. Un bel homme, dans la force de l’âge, se dirigeait vers elle en fauteuil roulant. Son visage ne lui était pas inconnu et éveillait en elle un souvenir qu’elle ne parvenait pas à cerner.

« Un de plus. », pensa-t-elle. « Moto ? Voiture ? Parapente ? Que lui est-il arrivé à celui-là ? »

Elle avait beau être habituée à côtoyer la misère humaine que draine une clinique, le fauteuil roulant continuait à lui donner des frissons dans le dos.

Elle s’interrogeait toujours sur la force d’âme nécessaire à la poursuite de la vie.

Quel ressort insoupçonné permettait aux personnes atteintes si gravement dans leur chair de relever la tête et de continuer ? Était-ce l’accident qui déclenchait ces forces vives et inexploitées auparavant ou fallait-il naître doté d’une force de caractère peu commune ?