Enquête du côté de Loudun - Gino Blandin - E-Book

Enquête du côté de Loudun E-Book

Gino Blandin

0,0

Beschreibung

En se rendant dans le Loudunais pour profiter de la vie de château que lui offre une amie, Julie Lantilly, journaliste au Courrier Ligérien de Saumur, ne s’attend pas à voir ressurgir les « Diables de Loudun ».
Le Loudunais est un pays paisible en temps normal, mais classé quand même comme « zone de moyenne sismicité » par les spécialistes, car parfois les démons se réveillent, les fameux « Diables de Loudun ». Urbain Grandier, le prêtre mort sur le bûcher, les Possédées de Loudun, ces Ursulines ensorcelées, Marie Besnard, l’empoisonneuse, sont des noms qui sont restés dans l’imaginaire collectif. Aujourd’hui, dissimulés par le phénomène de la mondialisation et par le martelage continuel des esprits par les stations d’information en continu et les réseaux sociaux, ce ne sont plus les diables mais les hommes qui ont la partie belle ! Qui va réellement s’inquiéter de la disparition d’un géomètre-expert parti se promener sur le chemin de halage du canal de la Dive ?


À PROPOS DE L'AUTEUR

Gino Blandin est enseignant. Auparavant, il a été foreur pétrolier. Auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de Saumur, dont L’Histoire du Centre Hospitalier de Saumur (Prix Politi 1996), il écrit aussi des romans policiers dont le cadre est la région saumuroise. Il vit à Saumur (49).

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 311

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



© – 2023 – 79260 La Crèche

Tous droits réservés pour tous pays

Gino Blandin

Enquête

du côté

de Loudun

Chapitre 1

Il faisait exceptionnellement chaud pour un début avril. Julie Lantilly s’appuyant sur sa table de travail s’en écarta en faisant rouler son fauteuil qui aurait eu besoin d’une goutte d’huile dans les roulements. Un artiste-peintre devait faire cela couramment pour juger de l’avancement de son travail, mais pour elle cela n’apportait rien à ce qu’elle faisait. On lui avait demandé d’écrire un article sur l’élevage des animaux en batterie en Anjou pour accompagner un prochain salon agricole sponsorisé par une firme locale. Elle avait parfois l’impression qu’on lui demandait des papiers pour faire du remplissage quand l’actualité était en panne. Des articles sur le sujet, elle en avait déjà produit des dizaines. D’ailleurs, elle se réservait le droit de faire des copier-coller avec ses productions précédentes. En changeant deux ou trois mots, personne n’y verrait rien. Qui irait vérifier ce qu’elle avait écrit trois ans auparavant ? Et quand bien même quelqu’un relèverait cette petite supercherie, ne pourrait-elle pas revendiquer une grande stabilité dans les faits ? L’élevage intensif n’avait pas énormément évolué depuis une décennie. Elle aurait pu dénoncer sa propension à s’accroître sans cesse, mais cela aurait été jugé comme du mauvais esprit par ses supérieurs.

Julie détestait ces périodes creuses. De sa place, elle apercevait le ciel bleu par la fenêtre ouverte. Son œil fut attiré par l’apparition d’un Pilatus qui largua plusieurs parachutes dans l’azur. Les veinards ! Par un temps pareil, ce devait être très chouette de faire ce genre de sport. Quelle vue ils devaient avoir d’en haut ! La jeune femme s’était promise de s’y mettre un jour, mais pour l’instant, cela ne s’était pas fait. Elle n’avait pas encore trouvé le moment propice. Elle avait pourtant plusieurs amis qui pratiquaient le parachutisme, et à Saumur il y avait une école dynamique. Quelle trouille ce devait être au moment de se jeter dans le vide !

Soudain, le rédacteur en chef apparut dans l’encadrement. Il jaillissait toujours de cette façon impromptue, surprenant à chaque fois la jeune femme. Était-il ainsi en dehors du travail ? Si c’était le cas, Julie plaignait Elsa, son épouse. Comme dans les films, il voulait donner de lui l’image du jeune cadre dynamique constamment au taquet. Même à cette époque de l’année, il arborait une cravate flashy sur une chemisette.

— Julie, j’ai quelqu’un pour toi, annonça-t-il d’emblée.

La jeune femme connaissait la formule. Elle signifiait qu’un emmerdeur était venu le voir et qu’il le lui refourguait. C’était un grand classique chez lui. Dès qu’une personne l’ennuyait ou venait lui poser une question embarrassante, il bottait en touche. Il refilait l’affaire à son collaborateur disponible à ce moment-là. Aujourd’hui, c’était Julie qui y avait droit.

Avec un clin d’œil faussement complice, le rédacteur fit un pas sur le côté dévoilant une petite dame, la soixantaine, la bouille ronde et les cheveux courts et roux, presque rouges. La dame adressa un large sourire à la journaliste alors que le rédacteur effectuait déjà un demi-tour réglementaire.

— Je vous laisse ! lança-t-il avant de disparaître.

Encore toutes surprises de cette mise en scène, les deux femmes restèrent face à face quelques secondes.

— Asseyez-vous, je vous en prie, dit Julie.

La dame s’exécuta promptement.

— Merci, fit-elle en s’installant.

— Je m’appelle Julie Lantilly. Que puis-je pour vous ?

— Je vous connais. Du moins, je connais vos écrits. Je suis abonnée au Courrier depuis longtemps.

— Et vous êtes ?

— Marie-Jo… en retraite de l’Éducation nationale depuis des années…

— Je vois…

— Je ne les compte plus ; ça me fout le cafard…

— Je comprends. Que pouvons-nous faire pour vous ?

— Dénoncer un scandale ! Un scandale imminent si nous ne faisons rien !

— Un scandale ?

— On va nous voler saint Coqueluchon !

— Saint Coqueluchon ? reprit Julie qui, ne s’attendant pas à ce type de déclaration, resta quelque peu ébahie.

— Oui. Vous ne le connaissez pas ?

— Si, j’en ai déjà entendu parler. Il se trouve dans l’abbaye d’Asnières, à Cizay-la-Madeleine. Non ?

— Ce n’est pas exactement cela, mais vous n’en êtes pas loin. Il est, ou plus exactement il était, dans une chapelle toute proche de l’abbaye d’Asnières, dans un ancien prieuré grandmontain qui s’appelle Breuil-Bellay.

— J’en ai entendu parler, mais je ne l’ai jamais vu.

— Comme la plupart des gens de la région. Cela s’explique par le fait qu’il se trouve dans une chapelle privée qui ne s’ouvre au public que lors du week-end des journées du Patrimoine.

— Cela allège ma conscience…

— Il est sûr que ces dernières années, Breuil-Bellay n’était connu que grâce à cette statue car pour s’y rendre, il fallait être motivé. Connu de personne, aucune indication ne le mentionnait, pas l’ombre d’un panneau. En outre, lors des journées du Patrimoine, seule la chapelle était accessible ; condition unique permettant au propriétaire de bénéficier de quelques subventions. Un petit écriteau vous désignait la porte et vous vous débrouilliez. J’y suis allée à plusieurs reprises, je n’ai jamais aperçu le propriétaire des lieux. Ce devait être un sauvage.

— Où se trouve Breuil-Bellay ?

— Quand vous quittez Saumur en direction de Doué-la-Fontaine, dit la dame en ajoutant le geste à la parole, après Distré vous avez une longue ligne droite. Vous arrivez à un rond-point et vous prenez la quatre voies. Quand vous êtes sur celle-ci, au bout d’un kilomètre environ, vous passez sous une passerelle rouge. En fait, c’est un pont que peuvent franchir les voitures.

— Je vois très bien ce pont.

— Eh bien, la prochaine fois que vous irez par-là, avant de passer sous ce pont, regardez sur votre gauche. Vous apercevrez des champs et un grand bois. Ce grand bois, c’est Breuil-Bellay. De la route, on n’aperçoit aucun bâtiment. Ils sont dissimulés par les arbres.

— La prochaine fois que je prendrai cette route, je ferai attention.

— Quand on emprunte la quatre voies, on ne voit qu’un bois. Bien malin qui devinerait que, caché par la végétation, il y a là un ancien établissement religieux.

— Et alors, c’est là que se trouve ce fameux saint Coqueluchon ? C’est une statue, n’est-ce pas ?

— Oui, bien sûr, c’est une statue.

— On devine pourquoi elle porte ce curieux nom.

— Autrefois, les femmes de la région l’invoquaient quand leurs enfants étaient victimes de la coqueluche. Elles lui demandaient d’intervenir pour qu’ils guérissent rapidement.

— C’est quoi en fait la coqueluche ? Une maladie infantile ?

— Oui, c’est une infection respiratoire très contagieuse. Elle provoque des quintes de toux qui peuvent durer plusieurs semaines si elle est mal soignée.

— Elle existe encore aujourd’hui ?

— Je pense que dans notre pays, elle a quasiment disparu avec la vaccination, mais autrefois, il n’en allait pas de même. Elle était surtout redoutée pour les nourrissons qui pouvaient en mourir.

— Et donc ce saint avait la vertu de guérir les personnes atteintes de cette maladie ?

— Exactement, on devine qu’autrefois, il n’y avait pas beaucoup de médicaments pour se soigner. On devait prendre des tisanes, des remèdes de bonne femme. Et ici, dans le Saumurois, on s’était aperçu – Dieu sait comment – que cette statue de la chapelle de Breuil-Bellay avait des vertus et on l’invoquait pour soigner la coqueluche.

— C’était courant à l’époque.

— Oui, je ne sais pas comment on en arrivait à déterminer ces pouvoirs, mais apparemment, ça marchait et tout le monde y croyait.

— C’étaient souvent des statues.

— Pas forcément, ça pouvait être des reliques. C’était très important les reliques. Le meilleur exemple en est la sainte ceinture qui se trouve toujours à la collégiale du Puy-Notre-Dame. Il ne s’agit rien de moins que de la ceinture de la Vierge Marie ramenée par un croisé. Elle avait, paraît-il, le pouvoir de soulager les parturientes. Anne d’Autriche y a eu recours pour mettre au monde Louis XIV.

— Effectivement, c’est une référence sérieuse.

— Et vous savez que Charles Louvet, qui a été vingt-cinq ans maire de Saumur, l’avait même proposée à Napoléon III, plus exactement à Eugénie de Montijo, au moment de la naissance de leur unique fils, celui qui a été tué par les Zoulous ?

— Revenons à saint Coqueluchon, que lui arrive-t-il ?

— La pire chose que l’on peut imaginer. On veut nous le voler !

— Le voler !

— Oui ! À l’heure où l’on ne respecte plus rien, où tout est permis. On veut nous embarquer saint Coqueluchon.

— Qui ose avoir de telles pensées ?

— On n’en sait rien, mais le processus est en marche. C’est la raison de ma présence ici : il faut agir pendant qu’il en est encore temps. Si nous ne faisons rien, saint Coqueluchon va être vendu aux enchères à Angers comme une vulgaire bagnole d’occasion.

— C’est choquant, j’en conviens. Et nous disposons de combien de temps ?

— D’une quinzaine de jours.

— Dites m’en davantage. C’est quoi cette histoire ? C’est bien la première fois que j’entends parler de la vente d’une statue religieuse.

— C’est parce qu’elle se trouve chez un particulier. Si elle avait été dans une église paroissiale, je pense que cela n’aurait pas été possible.

— Je comprends et pourquoi la vend-on ?

— Elle a changé de propriétaire. De son vivant, le propriétaire de Breuil-Bellay, monsieur Médéric, n’avait jamais manifesté l’idée de se séparer de la statue, mais il est décédé. Ses héritiers, eux, sans scrupules, s’empressent de la vendre.

— Elle a beaucoup de valeur ?

— Et comment ! C’est une belle statue en terre cuite du xviie siècle. Je pense qu’elle va atteindre un prix très élevé. Aujourd’hui, il y a des collectionneurs qui sont capables de sortir des fortunes pour acquérir une œuvre d’art. Même les plus grands musées ne sont pas de taille à rivaliser avec ces soi-disant collectionneurs.

— Est-il indiscret de vous demander pourquoi vous vous intéressez autant à saint Coqueluchon ?

— Comprenez bien, c’est toute mon enfance qui se sauve avec lui. Je suis originaire de Cizay-la-Madeleine. Quand j’étais petite, avec ma mère, je suis allée rendre visite à saint Coqueluchon bien des fois. Les gens du pays, les femmes surtout, y tenaient beaucoup. Elles étaient fières qu’il fût chez elles. C’était leur protecteur. Les gens venaient de partout pour obtenir ses grâces : du pays nantais, de la Touraine… Quand je repense à ces gens… s’ils voyaient ce que l’on fait aujourd’hui. Ce qui me révolte, c’est le fait qu’on dérobe sans vergogne un objet sacré pour les petites gens, comme on faisait autrefois dans les colonies.

— Qu’attendez-vous de moi ?

— Il faut que vous fassiez éclater ce scandale dans votre journal. On nous dépouille de notre patrimoine intime. Il faut empêcher à tout prix cette vente. La statue doit revenir dans sa chapelle. Il faut que l’État fasse jouer son droit de préemption.

— Vous vous êtes adressée aux autorités locales ?

— Bien sûr, j’ai remué ciel et terre, sans résultat. Tout le monde fait la sourde oreille, la Région, le Conseil départemental et autres. Soit ils ne répondent pas, soit ils vous demandent de constituer un dossier. Monter un dossier alors que la vente va avoir lieu dans une quinzaine de jours !

— Et à l’échelon inférieur, au niveau du maire ?

— J’ai rencontré le maire de Cizay. C’est un brave monsieur. Il est d’accord avec moi, mais l’affaire tombe mal. La municipalité s’est vue contrainte de faire face à une grosse dépense. Le toit de l’église menaçait de s’écrouler. À la prochaine tempête, il risquait bien de s’envoler. Il a fallu intervenir en urgence. La municipalité a déjà bien du mal à honorer cette dette, ce n’est pas le bon moment.

— D’accord, je vois le problème… Où se trouve la statue actuellement, toujours à Breuil-Bellay ?

— Non, il y a déjà plusieurs années qu’elle n’y était plus visible.

— On ne pouvait donc plus lui demander sa protection ?

— Non, elle était déjà tombée dans le piège classique des « expositions ».

— Là, il faut que vous m’expliquiez…

— Pour faire bouger une œuvre convoitée, on demande à son propriétaire de la prêter pour une exposition. Tout se passe comme prévu, mais à l’issue de l’exposition, pour des motifs divers, l’œuvre ne revient pas à son point de départ.

— Vous avez déjà vu cela ?

— Oui, je pense que c’est une ruse habituelle. En tout cas, c’est exactement ce qui s’est passé avec saint Coqueluchon. La statue, qui n’avait pas bougé de sa chapelle depuis des siècles, a été prêtée à l’abbaye de l’Épau près du Mans pour être présentée dans le cadre d’une exposition intitulée « Terre et Ciel » consacrée à la sculpture en terre cuite des xvie et xviie siècles. Jusque-là, rien à redire, si ce n’est qu’à l’issue de l’exposition, on a su convaincre monsieur Médéric qui ne fallait pas qu’elle retourne dans la chapelle délabrée de Breuil-Bellay. C’est ainsi qu’elle s’est retrouvée en dépôt au musée de Tessé au Mans. Alors qu’à Breuil elle siégeait sur un autel en ruines dans une chapelle sans fenêtre, elle s’est retrouvée sur un coussin de velours dans une vitrine dorée avec climatisation et système d’alarme ! La dernière fois que je l’ai vue, c’était là. Pauvre Coqueluchon ! Je m’étais dit alors que la statue était à l’abri. Si on ne pouvait plus la toucher, elle était au moins protégée. Erreur totale ! Son statut ne la protégeait de rien. Les héritiers de monsieur Médéric sont parvenus à la récupérer et aujourd’hui, elle est à vendre.

— Elle n’est pas classée ?

— Si, depuis 1964 paraît-il, mais cela ne change rien.

— Il y a différents niveaux de classement : classé, inscrit…

— Saint Coqueluchon bénéficie de la protection minimum.

— Je crains que juridiquement parlant, on ne puisse pas faire grand-chose.

— Il n’y a que le droit de préemption qui pourrait nous sauver.

— Je comprends. Je vais essayer d’écrire quelque chose sur le sujet, mais je ne vous garantis rien. Le journal se doit de rester neutre et impartial. Même si, comme vous, je trouve cette vente choquante, je ne peux l’exprimer que dans le respect de mon obligation de réserve. Les héritiers de monsieur Médéric sont en droit de vouloir vendre cette œuvre d’art.

— C’est bien là la difficulté.

— Vous êtes seule dans ce combat ?

— Non, il y a quelques vieilles folles comme moi, des femmes de Cizay et Courchamps, nostalgiques du passé. Nous ne savons pas quoi faire. Nous avons été prises de court.

— Je ne vous promets rien, mais je vais essayer d’alerter l’opinion publique, comme on dit.

— Vous êtes mon dernier recours.

Il était toujours aussi difficile de se garer rue des Arènes. Julie Lantilly tourna un long moment avant de pouvoir trouver une place pour sa Mini. Elle n’aimait pas arriver en retard, mais cette fois c’était râpé. À l’entrée, un employé lui remit un catalogue. Elle pénétra dans le hall. La grande salle était déjà quasiment comble. Elle repéra Marie-Jo à ses cheveux rouges. Elle vit également un sac à main posé ostensiblement sur la chaise voisine de celle-ci. Julie se faufila entre les rangs et s’assit. La dame lui adressa un sourire, pourtant le fait de se trouver là ne l’enchantait visiblement pas.

C’était la première fois que Julie venait à la salle des ventes d’Angers. La pièce était aussi vaste qu’un entrepôt. Trois longues lignes de néons traversaient le plafond, renforçant l’impression de longueur du bâtiment. Les murs étaient occupés de meubles vides et de tableaux qui n’avaient sans doute pas trouvé preneurs. Sur une estrade, trônait un énorme bureau comme dans les tribunaux des films policiers américains alors qu’en arrière-plan, des vitrines vides au fond grenat complétaient le décor. Derrière le bureau siégeaient trois personnes : deux femmes et un homme. L’une d’entre elles était dissimulée par l’écran de son ordinateur. Seul l’homme, le personnage central, se tenait debout. Devant lui, en contrebas, au niveau du public, un quatrième personnage vêtu d’une blouse comme les instituteurs d’autrefois présentait les objets à vendre sur une table recouverte de velours rouge. Sur le côté droit de la salle, trois autres personnes pianotaient sur des ordinateurs. Il y avait environ une cinquantaine de spectateurs assis sur des chaises pliantes. Tous les regards étaient fixés sur le commissaire-priseur qui parlait à voix forte du haut de son perchoir. Les cheveux gris, soigneusement coiffés, il portait costume et cravate, ce qui lui donnait un aspect très officiel.

— Mille deux cents… Trois cents… (une pause).

Un regard circulaire sur toute l’assemblée.

— Monsieur… (Un homme assis au premier rang avait levé la main.) Mille quatre cents… Mille cinq cents… six cents… Nous disons mille six cents euros… une fois… deux fois… trois fois… Adjugé ! fit le commissaire en assénant un coup de marteau sur le bureau.

— Que vend-il ? demanda Julie en ouvrant le catalogue.

— Le lot 11, dit Marie-Jo.

— Merci, fit la journaliste en tournant les pages.

Maintenant, c’était un tableau qui faisait l’objet des enchères. Julie lut qu’il s’agissait d’une école hollandaise du xixe siècle, dans le goût d’Adriaen Van Ostade. Il représentait des paysans réunis devant la porte d’une chaumière. Il avait été exécuté sur un panneau non parqueté, une planche en quelque sorte. Le tableau possédait un impressionnant cadre doré daté également du xixe siècle.

— Je ne sais pas si ce tableau irait dans mon studio, plaisanta la jeune femme.

— C’est sûr que ça ne va pas partout, renchérit sa voisine.

À deux mille euros les enchères cessèrent et le maillet frappa le pupitre dans la tradition.

L’employé à la blouse grise s’avança vers l’acquéreur et lui tendit un coupon.

— Je n’avais jamais assisté à une vente aux enchères, fit Julie. C’est génial. C’est comme au cinéma. Je n’en reviens pas. Je pensais que ce genre de négoce n’existait plus.

— Il a évolué, croyez-moi. Vous allez en avoir la preuve dans peu de temps. Vous voyez ces jeunes là-bas, sur leurs ordinateurs, ce sont eux l’avenir. Dorénavant, il y a moyen d’enchérir avant et pendant la vente, sans se déplacer.

— Ce n’est plus du jeu dans ces conditions.

— Du jeu, nous allons en avoir dans un moment : il n’y a plus qu’un lot à vendre avant celui qui nous intéresse. L’employé présentait deux nouveaux objets. Julie Lantilly consulta son catalogue qui décrivait le lot n° 13 :

Paire de défenses d’éléphant représentant des guerriers tenant des lances, en ivoire sculpté polychrome et incrusté de pierreries, les socles sont aussi plaqués d’ivoire.

Début du xxe siècle. 109 et 112 cm, poids total 38,5 kg environ.

Certificat d’expertise du Dr Franck Chaduc, assesseur auprès de la commission de conciliation et d’expertise douanière, en date du 17 décembre 2008.

Julie se dit que ces défenses d’éléphant n’iraient pas non plus dans son studio. Elle observa la foule. Se tenaient là essentiellement des badauds qui trouvaient ici une distraction gratuite. Cette fois, les compétiteurs étaient invisibles. Personne dans la salle n’avait surenchéri, pas même à l’annonce de la mise à prix. La négociation se déroulait entre le commissaire-priseur et les ordinateurs. Les trois employés avaient des écouteurs sur les oreilles. Ils faisaient un signe lorsqu’ils voulaient signifier qu’ils montaient.

— Vingt-cinq mille… Vingt-six… Vingt-sept… Je dis vingt-sept, une fois… deux fois… Pas de regret… (le commissaire attendit quelques secondes. Les trois opérateurs lui firent un signe négatif de la tête) Vingt-sept mille (le maillet s’abaissa). Adjugé !

Il y eut un frémissement d’excitation dans la salle et un bruit de catalogues agités. On arrivait à la vente tant attendue. Julie n’était pas étrangère à cet engouement. Visiblement, son article dans Le Courrier avait suscité de l’intérêt.

Le silence se fit soudain lorsqu’on apporta cérémonieusement la statue de Saint Coqueluchon. Aidé d’un autre employé, l’homme à la blouse grise la plaça avec beaucoup de précaution sur la table. Le commissaire-priseur laissa au public le temps de l’admirer. Juché sur son piédestal, le saint avait l’air de crier son accablement causé par le fait de se trouver dans cette situation humiliante. Julie Lantilly consulta son catalogue.

Saint-Étienne Alias Saint Coqueluchon

14- Une exceptionnelle statue en terre cuite du xviie siècle

Cette magnifique statue en terre blonde a été réalisée vers 1650 par le sculpteur français Pierre Biardeau. Cet artiste, né au Mans en 1608 et décédé à Angers en 1671, est considéré comme le premier retablier baroque de l’Ouest de la France. Son style diffère totalement de celui de ses contemporains inspirés par le maniérisme italien. Il est lié à « l’école lavalloise » de retables. On lui attribue plusieurs statues de l’église Saint-Vénérand de Laval réalisées au début des années 1630.

Pierre Biardeau a beaucoup travaillé pour l’ordre des Augustins. On peut admirer ses œuvres à Paris, Poitiers, La Rochelle, Montmorillon. Une Vierge à l’Enfant qui lui est attribuée se trouve au Metropolitan Museum de New York.

En 1650, il réalise la décoration du grand retable du prieuré grandmontain de Breuil-Bellay à Cizay-la-Madeleine (49). L’autel est mutilé pendant la Révolution française et, de la collection de sculptures qui devait l’orner, il ne reste que la statue de saint Étienne. Pierre Biardeau réalisera également le retable de la chapelle Notre-Dame des Ardilliers à Saumur.

On raconte que les moines de Breuil-Bellay avaient commandé une statue du fondateur de leur Ordre, Étienne de Muret, mais l’artiste a réalisé celle de saint Étienne, premier martyr de la chrétienté. Les mains jointes et l’expression d’extase de son visage tourné vers le ciel ont confirmé l’identité du martyr, faussement accusé de blasphème et lapidé.

La statue était depuis quelques années en dépôt au musée de Tessé du Mans.

Elle a été classée monument historique en 1964.

Hauteur : 1,55 m. Poids : 22 kg. Elle est en terre cuite polychrome.

Durant longtemps, la statue a été réputée pour sa guérison des maux de gorge d’où son surnom de « saint Coqueluchon ».

Elle sera mise aux enchères par Me Henri Martineau à la salle des ventes d’Angers et sur le live d’Interencheres.

Après avoir rapidement parcouru des yeux la salle des ventes, le commissaire-priseur, sourire aux lèvres, frappa un léger coup de maillet et annonça :

— Lot 14. Une statue de Pierre Biardeau… j’ai une offre de quinze mille euros.

Marie-Jo murmura à l’oreille de Julie :

— Cela signifie qu’elle est d’au moins vingt mille. Il dit cela pour animer la vente.

Au premier rang une main se leva.

— Seize… dix-sept… dix-huit mille euros… dix-neuf… vingt mille euros… vingt et un mille… (une pause). Je dis vingt et un mille euros.

L’assistance entière retenait son souffle. Le commissaire-priseur se tourna vers ses collaborateurs assis derrière leurs écrans. Une jeune fille très brune parlait à voix basse dans un micro portatif. Elle fit un petit signe de tête.

— Vingt-deux mille, lança maître Martineau.

Un blondinet, assis près de la brune, releva la tête et fit également un signe.

— Vingt-trois mille…

À la surprise générale, un homme leva son catalogue roulé au deuxième rang.

— Vingt-quatre mille…

— C’est Sergueï Kozlov, commenta la voisine de Julie, un antiquaire de Nantes.

Au bout de l’estrade, les trois opérateurs s’activaient sur leurs machines. Le commissaire revint vers eux. L’homme dans l’assistance leva à nouveau la main.

— Vingt-cinq mille… Je dis vingt-cinq mille euros, ici dans la salle…

Le maître de cérémonie contempla la salle, l’air satisfait de la tournure que prenait la vente. Ce genre d’événement était bon pour la réputation de son établissement.

— Vingt-cinq mille euros…

La brune fit un signe.

— Vingt-six mille à ma gauche…

Le troisième informaticien, le plus éloigné du public, qui ne s’était pas manifesté jusque-là, intervint soudain :

— Vingt-sept, lança-t-il à voix haute.

— Vingt-huit…

— Vingt-neuf, pour Alban.

Le public devina que ledit Alban devait être le blondinet. Ce n’était pas lui qui surenchérissait, mais le client avec lequel il était en ligne.

La brune fit un signe de tête

— Trente mille…

L’échange n’avait plus lieu qu’entre le commissaire-priseur et les trois yuppies. On se serait cru dans une sorte de battle informatique.

— Oui, Lucie, tu dis trente… trente mille à ma gauche (une pause). Non… on ne va pas plus loin ? Trente mille euros, une fois… deux fois… trois fois… Trente mille euros ! Adjugé !

Le public éclata en applaudissements. Julie se demanda pourquoi. Qui méritait cette ovation ? Le compétiteur qui avait le portefeuille le plus garni ? Curieux usage que d’applaudir en cette circonstance… Déjà, les gens se levaient bruyamment.

— Ite missa est, fit Marie-Jo en se levant à son tour.

— Je vais prendre une photo, fit Julie.

Elle s’approcha de la table où la statue était restée plantée. Plusieurs personnes tournaient autour en faisant des commentaires sous l’œil du régisseur en blouse grise. Le commissaire-priseur arriva avec un rouleau de papier bulle. Il demanda aux gens de s’écarter.

— Je peux prendre une photo ? demanda la jeune femme. Pour Le Courrier ligérien.

— Si c’est pour Le Courrier, dit l’homme, acquiesçant ainsi de façon tacite.

Il mit un terme provisoire à l’emballage du pauvre saint Coqueluchon qui semblait toujours supplier qu’on lui fiche la paix. Le commissaire prit la pose, Julie prit quelques photos avec son portable.

— On ne peut pas connaître l’identité de l’acquéreur ? demanda-t-elle.

— Non, ça relève du secret professionnel.

— Bien sûr…

— Ce n’est pas propre à notre commerce. Nous sommes liés au secret professionnel comme tout un chacun. Vous n’apprécieriez pas que, lorsque vous achetez une paire de chaussures, la caissière dévoile votre identité à tout le monde.

— Sûr…

— C’est bon ?

— C’est bon pour moi. Merci de votre coopération.

— De rien, fit le commissaire en reprenant son emballage de la statue comme s’il s’agissait d’une plante verte.

La journaliste opéra un demi-tour et quitta les lieux. Le public était parti. La salle avait repris son aspect d’entrepôt délabré. Plus aucune trace d’organisation n’était à chercher dans ces chaises abandonnées. Comme au Moyen Âge, le cas de saint Coqueluchon avait été tranché. Il n’y avait plus à y revenir.

À peine sortie du bâtiment, Julie aperçut Marie-Jo qui discutait avec un couple sur le trottoir d’en face. Elle traversa la chaussée pour les rejoindre. La dame aux cheveux rouges se tourna vers elle :

— Julie ! Je te présente monsieur et madame de Rivière.

— Enchantée ! fit Julie en leur serrant la main.

— Monsieur et madame sont les nouveaux propriétaires de Breuil-Bellay.

— D’accord…

— Ils déplorent comme moi le rapt de saint Coqueluchon.

— Vous n’avez rien pu y faire ? interrogea la journaliste.

— Non, dit l’homme, un grand type à cheveux rares et à lunettes d’écailles qui avait tout du professeur d’université. Nous ne connaissions même pas son existence quand nous avons signé.

Julie reconnut le type qui avait levé la main au début des enchères.

— Nous ne sommes pas originaires d’ici, précisa la dame.

— Vous ne connaissiez pas saint Coqueluchon ?

— Non, quand nous avons visité le domaine pour la première fois, personne ne nous en a parlé. La statue était déjà au musée de Tessé.

— Elle n’était pas dans l’inventaire, ajouta la dame.

— Si elle avait été dans la chapelle, nous aurions essayé de l’acquérir avec l’ensemble.

— Les héritiers de monsieur Médéric ont été malins, ils l’ont vendue à part.

— Ils ne vous en ont jamais parlé ?

— Non, pas bêtes, ironisa l’homme, ils en ont tiré un bon prix. J’ai voulu enchérir au début, mais j’ai vite compris que la statue allait atteindre un prix au-delà de nos moyens.

Après chaque déclaration de son mari, la dame intervenait comme pour préciser les choses :

— Nous avons déjà cassé notre tire-lire pour acquérir Breuil et il y a plein de travaux urgents à réaliser. Ce n’est pas le moment de nous lancer dans des fantaisies.

— Ça se comprend…

— Eh bien, au plaisir de se revoir.

— Ravis d’avoir fait votre connaissance. Il faudra venir nous voir à Breuil.

— Promis.

Le couple prit la direction du centre-ville.

— Vous êtes garée où ? demanda Marie-Jo à la journaliste.

— Bonne question. J’ai eu un mal de chien pour trouver une place. Maintenant, seconde épreuve, il va falloir que je retrouve ma voiture.

Chapitre 2

Julie Lantilly roulait sur l’A85 depuis un bon moment quand elle aperçut des feux rouges clignotants. Elle freina doucement et rétrograda. Un ralentissement sérieux semblait mettre les voitures à l’arrêt sur les deux files. C’était bien la première fois que Julie assistait à un tel bouchon sur cette deux fois deux voies. D’ordinaire, il y avait peu de trafic sur cette autoroute qui reliait Angers à Tours. Son tarif élevé et le grand détour imposé entre Saumur et Angers n’incitaient pas les Saumurois à opter pour cet itinéraire. Julie la première ne l’empruntait quasiment jamais, sauf quand elle était très pressée. Comme sur toutes les autoroutes de France et de Navarre, quand tout allait bien, on pouvait rouler à 130 km/h. La distance était vite parcourue. Mais, ce jour-là, la jeune femme avait tiré le mauvais numéro. La circulation était bloquée. Il devait y avoir un problème en amont et il n’y avait pas d’autre solution que de patienter. Déjà, les warnings clignotant, elle venait s’ajouter à la file. Elle régla son auto-radio sur 107,7 FM, mais la chaîne d’informations diffusait de la musique de variété. L’incident devait être très récent, elle n’avait pas encore été prévenue.

Les voitures avançaient lentement et par intermittence, Julie pensa que la circulation ne devait plus se faire que sur une seule voie. Soudain, une ambulance surgit, gyrophare en marche et sirène à tue-tête. Chaque conducteur se rangea tant bien que mal sur le côté afin de libérer le passage. Plus de doute, il s’agissait d’un accident. Le véhicule du SAMU se fraya un chemin dans la masse des voitures arrêtées, ce qui permit aux automobilistes d’évaluer l’endroit de l’accident. Il n’y avait plus qu’à prendre son mal en patience. Julie passa un coup de fil à son journal pour expliquer la situation. Elle avait envisagé de faire un jogging sur les bords du Thouet en fin de journée ; elle voyait son projet contrarié.

Après de longues minutes à avancer en première et en deuxième, la jeune femme arriva enfin à proximité de l’accident. De grands panneaux triangulaires marqués d’un point d’exclamation annonçaient la zone du sinistre. Un volumineux camion de pompier bouchait la vue. Quand Julie passa à sa hauteur, elle aperçut d’autres véhicules rouges et jaunes, deux ambulances du SAMU 49 et plusieurs voitures de gendarmerie, tous avec leurs gyrophares en marche. Autour des véhicules, des agents s’activaient : des pompiers, des gendarmes, des infirmiers portant des gilets jaunes. Une berline blanche, une Volvo, retenait l’attention de l’assistance. Garée sur la bande d’urgence, elle n’avait pas l’air endommagée. Il n’y avait pas eu de choc, elle n’avait pas percuté un autre véhicule ni défoncé le rail de sécurité.

Une fois le dernier véhicule de gendarmerie dépassé, Julie, n’écoutant que sa conscience professionnelle, mit son clignotant et se gara. Elle attrapa son gilet jaune dans la boîte à gants et sortit de la voiture. D’un pas décidé, elle s’avança vers l’attroupement. Ce fut un sapeur-pompier qui l’aperçut en premier.

— Eh ! Ça ne va pas de vous garer là ? gueula le type n’en croyant pas ses yeux.

— Je suis journaliste, répondit la jeune femme. Je fais mon boulot comme vous.

— Vous êtes folle ! Vous ne voyez pas le danger que vous courez en vous garant ici ? Il est interdit de s’arrêter sur la bande d’urgence.

— Quand il y a de la circulation, vous avez raison, mais soyez sympa, laissez-moi juste prendre une photo, c’est pour Le Courrier ligérien.

La jeune femme assortit sa demande de son plus beau sourire, ce qui sapa la conviction du soldat du feu.

— Juste une alors et vous déguerpissez…

— Promis ! Si vous voulez je vous prends devant.

— Non, non, ne me prenez pas. Je me ferais engueuler par le brigadier.

La journaliste avait sorti son portable et essayait de cadrer la scène.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-elle tout en réglant sa prise de vue.

— C’est un accident…

— Un accident ? La voiture n’a pas l’air abîmée.

— C’est un accident de chasse dont il s’agit. Le chauffeur de la bagnole a reçu une balle perdue.

— Ce n’est pas de chance. Il est gravement blessé ?

— Oui, j’en ai peur. Le SAMU vient de l’embarquer. Il a été transporté au CHU d’Angers.

— Le chauffeur s’est fait tirer dessus et il n’a pas fini dans le décor ?

— C’est un vrai miracle. Le passager a réussi à stopper le véhicule sur la bande d’arrêt d’urgence. Maintenant, vous devriez déguerpir.

— Qu’est-ce qu’elle fout là, celle-là ? cria une grosse voix.

Cette fois, c’était un gendarme qui posait la question et qui avait bien l’intention de faire preuve de son autorité.

— Je m’en vais, fit la jeune femme en tournant les talons.

Julie eut juste le temps d’apercevoir le représentant des forces de l’ordre en grande discussion avec le pompier. Ce dernier devait se faire copieusement enguirlander, le pauvre. Elle ne demanda pas son reste et décampa illico.

Une heure plus tard, assise à son bureau, Julie relut son article sur l’écran de l’ordinateur. Entre temps, elle avait réussi à obtenir quelques détails sur les circonstances de l’accident.

Un automobiliste gravement blessé par balle sur l’autoroute A85.

Ce mardi, non loin de Beaufort-en-Vallée, un grave accident a eu lieu sur la portion de l’autoroute A85 qui relie Angers et Tours. Un automobiliste a été blessé par balle alors qu’il circulait sur l’une des quatre voies. La région étant très boisée dans ce secteur, on soupçonne un accident de chasse.

C’est aux alentours de 16 heures que le conducteur a été touché au niveau du cou. Alors qu’il circulait dans le sens Angers-Tours, la victime a reçu une balle de gros calibre qui a atteint l’arrière du véhicule. D’où venait-elle ? L’enquête est en cours.

L’homme, aidé de sa passagère, a réussi à garer la voiture sur la bande d’arrêt d’urgence malgré sa blessure. Alertés rapidement, les secours ont été dépêchés sur place et l’ont pris en charge avant de le transporter en urgence absolue au CHU d’Angers. L’automobiliste, âgé de 42 ans, se trouvait dans un état critique et son pronostic de vie était sérieusement engagé.

La passagère qui se trouvait dans la voiture aux côtés de la victime n’a pas été blessée. En état de choc, elle a été prise en charge par les secours.

Après le départ des ambulances, les gendarmes ont déployé des renforts aux alentours de l’autoroute dans le but de retrouver l’auteur du tir, mais les recherches se sont révélées infructueuses.

Le parquet d’Angers a confirmé l’ouverture d’une enquête.

Le lendemain matin, la nouvelle tombait : l’automobiliste touché par la balle perdue sur l’autoroute était décédé dans la nuit à l’hôpital d’Angers. L’événement prit alors une importance nationale, ravivant les tensions entre les pro et les anti-chasse. Les écologistes de toute sorte montèrent au créneau. Le temps de quelques jours, Beaufort-en-Vallée se retrouva sur le devant de la scène médiatique. Sur toutes les chaînes d’info on vit défiler en boucle les mêmes images : l’endroit de l’autoroute où le drame avait eu lieu, l’interview d’un papi édenté qui vitupérait contre la chasse en postillonnant, un sanglier qui prenait la fuite dans une allée. Les ténors politiques de la région ne ratèrent bien sûr pas le coche. Hommes et femmes apparurent aux différents journaux télévisés pour donner leur avis sur ce qui avait été fait ou ce qui aurait dû être fait en matière de sécurité pour éviter ce type d’accident.

La séance avait débuté par un gros pugilat. Il avait fallu faire sortir de la salle deux militants anti-chasse qui, d’emblée, avaient voulu intervenir bruyamment. Les gendarmes, aidés de quelques villageois costauds, s’étaient acquittés de l’évacuation. Tout s’était passé relativement calmement et les perturbateurs avaient reçu la promesse d’être reçus à la mairie après la conférence. Madame le maire de Mazé – l’accident s’était produit sur cette commune – entourée de plusieurs collègues des villages des alentours, monta sur l’estrade et posa ses papiers sur le pupitre. La quarantaine, les cheveux courts, l’air un peu coincé, la dame n’était certainement pas habituée à prendre la parole devant un tel auditoire. En d’autres circonstances, c’était la gloire ! Il y avait là plusieurs caméras de télévision, des journalistes locaux et des journalistes nationaux. Tout ce petit monde accoutumé à ce genre d’événement s’était installé comme il avait pu dans la salle des mariages, s’entassant sur des bancs et parfois s’asseyant sur le sol. Les ficus en pot avaient été relégués dans les coins.

La dame chaussa ses lunettes et jeta un regard à l’assistance avant de se mettre à lire :

— Nous ne sommes pas pour ou contre la chasse, mais nous avons un devoir de sécurité publique envers nos administrés. Les élus de Mazé ont décidé de prendre un arrêté interdisant l’usage de carabines de chasse. Nous n’ignorons pas qu’en prenant une telle décision, nous outrepassons nos prérogatives. Mais nous espérons ainsi alerter le pouvoir législatif sur ce problème majeur…

Julie, noyée dans la foule, notait les paroles de la dame.

— Il y a trente ou quarante ans, les chasseurs utilisaient des fusils alors qu’aujourd’hui nombreux sont ceux qui se servent de carabines. Ce n’est plus la même chose. La législation n’a pas évolué, le périmètre de 150 mètres d’interdiction de chasse autour des habitations est resté le même alors que la portée des armes a considérablement augmenté. Des amis chasseurs, que nous avons rencontrés, nous ont dit que pour eux l’interdiction des carabines était une priorité.