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Je forme le vœu que cet ouvrage encourage l’expression et la publication d’autres témoignages ainsi qu’un effort accru des Algériens pour étudier et connaître leur histoire, briser l’occultation qui l’entoure, et faire émerger aux yeux du monde la grande histoire du peuple algérien. Ce serait là le moindre hommage que nous pourrions rendre aux générations qui nous ont précédés, aux enfants anonymes de ce peuple, qui, à travers les âges, ont résisté et lutté avec courage, foi et abnégation pour l’émergence de notre nation dans le monde, pour les valeurs essentielles de justice, de liberté et de dignité des hommes libres.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Amin Khan, poète et essayiste, est né en 1956 à Alger. Il a étudié l’économie, les sciences politiques et la philosophie à Alger, Paris et Oxford. Au cours de sa carrière professionnelle, il a notamment été enseignant à l’Université d’Alger et fonctionnaire à l’Unesco. Il est l’auteur de nombreux livres de poésie et d’ouvrages de réflexion tels que ceux de la série « Nous autres, éléments pour un manifeste de l’Algérie heureuse » qui paraissent depuis 2016 aux éditions Chihab.
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Entretiens avec
Chawki Mostefaï
Témoignage recueilli par
Amin khan
Entretiens avec Chawki Mostefaï
CHIHAB EDITIONS
© Éditions Chihab, 2021
www.chihab.com
Tél. : 021 97 54 53 / Fax : 021 97 51 91
ISBN : 978-9947-39-389-5
Dépôt légal : février 2021
Préface : Chawki Mostefaï, un intellectuel dans la révolution
Contrairementauxjeunesouvrierschinoisexpatriéssurleschantiersdel’Algériecontemporaine, capablesdereconnaîtreaupremiercoupd’œilsurunephotodesannées1950, nonseulementMao1etZhouEnlai2, maisaussiZhuDe3, ChenYi4ouLiuShaoqi5, aujourd’hui, laplupartdesescompatriotesignorentlenommêmedeChawkiMostefaïet, afortiori, lavaleurdesacontributiondanslesuccèsdelalongueluttedelibérationnationaledupeuplealgérien.
Pourtant, lorsqu’àl’avenirl’histoiredumouvementnationalsefera, établiesurunevéritableconnaissancedesfaitsetdesévènements,jepensequeleshistorienslesitueront, encompagniedeMessali6, deHocineLahouel7oudeLamineDebaghine8,ausommetdel’élitemilitantenationalistedesannées1940.
ChawkiMostefaïestnéle5novembre1919àM’Silaoùsonpère, LakhdarMostefaï, estcadi. Ilentreàl’écoleprimaireàBordjBouArreridj. Enfantsensibleetrêveur, ils’ennuieàl’écoleetypassemoinsdetempsquesurlesbancsdujardinpublicdel’autrecôtédelarue. Ilpoursuitses étudesaulycéedeSétif. En1939, ilentamesesétudesdemédecineàlaFacultéd’Algeretc’estaucoursdesapremièreannéed'études universitairesque, suiteàdesévènementsrelatésici, ilestintroduitparLamineDebaghineauseindelaDirectionduPartiduPeupleAlgérien (PPA) oùilseranotammentchargédel’activitérédactionnelleduparti (articles, déclarations, communiqués, directives, etc.) etdelaresponsabilitédesétudiants, aveclamissiond’accroîtreleuradhésionauxidéesdunationalisme.
Confrontéen1941auquestionnementdesétudiants, notammentceuxprochesduparticommuniste, surlanaturedeladoctrineduPPA, ChawkiMostefaïsoumetla questionàsescamaradesdelaDirectionduparti. Aprèsdelonguesdélibérations, tenuespendantplusieursjoursausiègeduparti, PlacedeChartres, ilenressortquela « doctrine » duPPAserésumaitàl’idéesuivante : unirlepeuplealgérienautour du combatpourl’indépendancequineseraobtenuequeparlaluttearmée ; laDirectionduparti, unie, estimantqu’engagerdesdébatssurlanatureidéologiquedumouvementrévolutionnairenepourraitqu’entraînerinéluctablementdesdivisionspréjudiciablesàl’issueducombat, etquelesquestionsidéologiquesetleschoixpolitiquesetinstitutionnelsdel’Algérienedevraient, nepourraientsefairequ’unefoisl’Algérielibéréeducolonialisme.
ChawkiMostefaïapporteiciunéclairageessentielàlaquestionde « l’absencededoctrineduPPA-MTLD ». Ilexpliquedonc « l’absencededoctrine » parlavolontéconscientedesdirigeantsdupartid’éviterquelesclivagesquiavaientcommencéàapparaîtredanslesmilieuxestudiantinsnesedéveloppentaupointdemettreendangerl’unitédesmilitantsdumouvementindépendantisteliésparl’optionfondamentaledelalibérationparlaluttearmée,ledevenirpolitiqueetdoctrinaldelanationalgérienneétantdéterminéparlanaturepopulairedumouvementdelibération.
Alaveilledesmanifestationsdemai1945, avecHocineAsselah9etChadliel-Mekki10, ilestchargéderéaliserl’emblèmenationaldevantservirauxmanifestationsprévuespouraffirmer, danslecontextedescélébrationsdelavictoiredesAlliéssurlenazisme, l’identitédupeuplealgérienetsonrefusdeladominationcoloniale. Enmars1945, laDirectiondupartiretiendral’undestroisprojetsqu’ilavaitconçusetproposés. C’estcetemblèmequiseraarrosédusangdesmartyrsdemai1945, quiseraceluidelaguerredelibérationetqui, aprèsl’indépendance, seraconsacrécommedrapeaudel’Algérie.
Danscetouvrage, surlaquestiondesévènementstragiquesdemai1945, ChawkiMostefaïcorrigedifférentesperceptionserronéessurlesresponsabilitésdesunsetdesautresetsurledéroulementdesévènements, leurscausesetleursconséquences. C’estainsiqu’ilapportesontémoignagedemembredelaDirectiondupartiàproposdelacontroversenéede « l’ordreetducontrordred’insurrection » intervenuspendantlesmassacresdemai11àSétif, KherrataetGuelmanotamment. Untémoignagequirappelleque « l’ordred’insurrection » aétédonnéle14maiavecpourseulobjectifdesoulagerlespopulationslivréesàlarépressionférocedesforcescolonialesenlesconduisantàsedisperseràtraversleterritoire. Le« contrordre » intervenantle18, soitquatrejoursplustard, unefoisl’objectifatteint, laDirectiondupartin’ayantpaseupourintentiondedéclencherl’insurrectionarméeen1945, pourdesraisonsévidentesd’impréparation. Cen’estqu’en1947quel’OS12(l’OrganisationSpécialeduPPA) seracréée, avecàsatêteMohammedBelouizdad13, assistédeHocineAït Ahmed14, pourpréparerconcrètementlaluttearmée (sélectionetformationmilitairedesmilitantschoisis, organisationdeseffectifs, collectedesarmes, etc.).
Aprèslesévènementsde1945, ChawkiMostefaïjoueraunrôledécisifdanslacréationduMTLD (MouvementpourleTriomphedesLibertésDémocratiques) enfaisantpreuved’uneprofondeintelligencepolitiqueetd’unecapacitéàpenserstratégiquementl’actiondumouvementnational. Eneffet, ilestl’auteurdel’idée (immédiatementsoutenueparBrahimMaïza15etappuyéeparMessali) decréerlebraslégalduPPAenraisondelanécessitédemenerlecombatanticolonialsurdeuxfronts : celuidelaclandestinitéetceluidel’actionaugrandjour, électoralenotamment, destinéenonpasàobtenirlasatisfactionderevendicationspolitiquesetsociales, maispouraccéderauxmoyensdemobilisationdesmassespopulaires, parl’usagedeslibertésdémocratiques : réunion, presse, meetings, tribunes, etc. Pourétendreetpotentialiserlesentimentderévolteauseindesmassespopulaires, conditionpréalableàtouteactionarmée.
« L’actionlégaleestunappointàlalutteclandestineetunrideaudefuméeprotégeantcetteaction16. »
Acetteoccasion, ilimportedesoulignercombiensontémoignageestimportantpourladémystificationdel’opinionaujourd’huiextrêmementrépandue, sinonhégémonique, quantàl’oppositionentre « radicalité » et « modération » auseinduPPA-MTLD. ChawkiMostefaï, témoinsurlalongueduréeetacteurprivilégiédelaconceptionetdelamiseenœuvredelastratégiepolitiquedupartinationalisterévolutionnaire, nousmontrebien,au cours de cet entretienquelàn’estpaslacontradictionessentiellequiapparaîtàl’occasiondesnombreusescrisesqueconnaîtleparticarl’identitémêmedelalignepolitiqueduPPA-MTLDatoujoursconsistéàœuvrerpourlamobilisationdelatotalitédupeuplealgérienenvued’uneinsurrectionarméecontrelecolonialismeetpourl’indépendancenationale. Lacontradictionquisemanifesteendiversesoccasionsetsousdifférentesformesdanslaviedupartiestd’unenaturequelquepeudifférente. C’estcellequinaîtdelaconfrontationdesculturespolitiquesdifférentes, amplifiéesparlesrivalitéspersonnellesdesdirigeantsdupartiet, parconséquent, desconceptionsqu’ilsportentetdestactiquesqu’ilsprônentenvuedeconcrétiserl’objectifstratégiqueetlalignepolitiquequiunissentlesdirigeantsetlesmilitantsduPPA-MTLD.
Enfait, ilsemblebienquelamiseenexerguedecetteprétenduecontradiction « essentielle » radicalité/modérationsoitdueàuneextrapolationabusiveparcertainsanalystesetcommentateursd’uneautrecontradictionfondée,elle,surlesdifférencespratiquescaractéristiquesdanscertainescirconstances17d’exercicedelaresponsabilitédansuncontexterévolutionnaire, desapproches, desattitudes, dudiscoursetdulangagemêmedes « intellectuels » dupartietdeséléments « plébéiens » quiformaientlagrandemajoritédesmembresdupartietdesaDirection.
En1948, HocineLahouel, defactoSecrétairegénéraldupartidepuis1946, chargeChawkiMostefaïdetransmettrel’instructionetlesorientationsdelaDirectiondupartiàHocineAït Ahmed,chefdel’OS, pourélaborercequideviendrale « RapportdeZeddine ». Lerapportd’Aït Ahmed définiradefaçonclaireetbienargumentéelaconceptiondelaluttearméequiseradéclenchéesixansplustardparleFLN. CerapportseraadoptéàlaquasiunanimitédesparticipantsaucomitécentralélargiquisetientàZeddineendécembre1948.
Lorsqu’éclatelacrise, diteberbériste, de1949, c’estluiquelePPAchargera, encompagniedeBelkacemRadjef18etduCapitaineSadokSaïdi19, dereprendrelecontrôledelaFédérationdeFrance. Cettecrise, quicouvaitdepuis1945, éclatelorsqueRachidAli-Yahiafaitadopterpar28voixsur32parlecomitéfédéraldelaFédérationdeFranceduPPA, unemotionprônant« l’identitéalgérienne » àl’opposéde « l’identitéarabo-musulmane »del’Algérie. Al’issued’unecampagnedifficilequidureplusd’unan, lesreprésentantsdelaDirectionparviennentàreprendrelecontrôledelaFédérationdeFrance.
Durantcettepériode, ChawkiMostefaïen estlepremierresponsabledelaFédérationdeFrance. IlestégalementresponsableetéditorialistedujournalL’AlgérieLibredontlecomitéderédactioncomprendSeghirMostefaï20, MohamedBenguettat, AbdelmalekBenhabylès21, étudiantsendroit, MohamedCherifSahli22etMostefaLacheraf23, étudiantsenlettres, AliMerdaci, étudiantenmédecine, etTaharGuiga24etMostefaLaafif, étudiantstunisiensenlettres.
AsonretourdeFrance, ChawkiMostefaïprendpartàlaréunionducomitécentraldemai1951dontl’objetprincipalestlastratégied’allianceduPPA-MTLDaveclesautresforcesnationales,notammentl’UDMA. Alasuited’échangesstérilesentreluietBenyoucefBenkhedda25ponctuésparuneviolenteinterventiondeMessali, ildécideradeprésentersur-le-champsadémissionduparti. Ilserasuivipardeuxautresmembresducomitécentral, AbderazzakChentouf26etSaïdAmrani, unquatrièmedirigeantduparti, HadjCherchalli27, ayantdémissionnéavantlaréunionducomitécentral.
LetémoignagedeChawkiMostefaïestextrêmementprécieuxencequ’ilnuancesouventetparfoiss’opposeàcertainesidéesreçuesetvéritésdeconvenance« validées » parl’onctionacadémiqueetmédiatique, departetd’autredelaMéditerranée, d’universitaires, dejournalistes, d’historiensetautres « historiques ». S’ilestàcontre-courant, cen’estpasparunevolontéidéologiqueoupolitiquerétrospective, maisbienparlefaitquesapositionauseindelaDirectionduPPA-MTLDaététrèsparticulière : paradoxaledanslamesureoùilétaitaucœurdelastratégieduparti, mais, enladéveloppant, doncendéveloppantuneréflexiond’avant-garde, complexeetaudacieuse, ilestarrivéqu’ilsusciteparfoisl’incompréhensiondecertainsdesescamarades.
Comme, avantlui, LamineDebaghine, autreintellectueldelaDirection, ChawkiMostefaïs’esttrouvéconfronté – defaçonspectaculairelorsducomitécentraldemai1951 – àl’incapacitédeladirectionduPPAd’assumerlacomplexitéd’unelignepolitiquecombinantledéploiementd’uneactivitépolitiquedemobilisationdupeuplealgériendanssonensemble, enmêmetempsquelapréparationdel’insurrectionarméeàdéclencherdanslesconditionsdemobilisationpopulairelesplusfavorables.
Al’avenir, leshistoriensidentifierontpeut-êtrelecomitécentraldemai1951,etl’affrontementviolentauquelila donnélieuentreMessalietMostefaï, commepointd’inflexiondelacrisequiconduiraàladésintégrationdupartiaucoursdestroisannéesquisuivront, puisaudéclenchementdel’insurrectionarméedansdesconditionspolitiquesàl’opposédel’objectifpoursuiviparlepartidurantdix-sept annéesdeluttesetdesacrifices.
LedéclenchementdelaluttearméeparleFLN, quiavaitmotivésonadhésionauPPAquatorzeannéesplustôt, leconduitàreprendredesresponsabilitésd’abordcommereprésentantduFLNàTunisen1956, puiscommereprésentantduGPRAàRabaten1960.
ARabat, ilreçoitlonguementNelsonMandela28etluifaitpartdel’expériencedelaluttedumouvementnationalpourl’indépendancedepuislesorigines. Lorsqu’ilserareçuàAlger, trenteansplustard, entantquechefd’EtatdelanouvelleAfriqueduSudenfinlibéréedurégimedel’apartheid, NelsonMandeladéclareraàcepropos : « Nousavonsétééduquésparlarévolutionalgérienne ».
LerécitdeChawkiMostefaïnouséclaireégalementsurunépisodeméconnudelaguerredelibération, l’affairedu « Saharadesriverains ».ApartirdeRabat, ilcontribuerad’unefaçon,peut-êtredécisive, àfaireéchouerleplanfrançaisdeséparer, àlaveilledel’indépendance, leSaharadurestedel’Algérie.
Sonrécitn’escamotepaslesaspectsnégatifsdurapportcomplexequel’AlgériecombattanteentretenaitaveclaTunisieouleMaroc.
Laquestiondelasolidaritémaghrébinedanslaluttepourl’indépendanceduMaghreb, ycomprisdanslapréparationdelaluttearmée, estencoretropmalconnue. Beaucoupignorent, parexemple, qu’aprèsZeddine, ChawkiMostefaïprendracontactavecBourguibaetilsétablirontunaccordentrelePPAetleNéo-DestourpouruneassistancedesrévolutionnairesalgériensàlaluttearméedesTunisiens. « Maisaveclerefusdesesvoisinsdeconcevoiruneunificationdelalutteinsurrectionnelle, l’Algéries’estfinalementbattueseulepoursonindépendance, sonunitéetsonintégrité, y compris pourleSaharaquenosvoisins, surtoutBourguiba, entendaientpartageravecnous29 ».
Al’approchedel’indépendance, ilestchoisiparleGPRApourêtrelechefdugroupeFLNauseindel’Exécutifprovisoire30, organeparitairebipartitealgéro-françaischargédelatransitionversl’indépendance. Ilauraainsilalourdetâchedefairefaceàlasituationexplosivequiaalorsprévaludufaitdesmanœuvresetduterrorismedel’OAS.
LetémoignagedeChawkiMostefaïest, iciaussi, crucial. Ilexplique, àl’encontredesthéoriesquiontpufleuriràproposdes « négociationsFLN-OAS », quel’uniquecontactquialieuentreSusini, chefdel’OAS, etlui, chefdugroupeFLNauseindel’ExécutifProvisoire, surdécisionduGPRA, avaitpourbutd’empêcherl’OASdemettreàexécutionsamenacededéflagrationdelaCasbahetdeBelcourtdont, selonl’OAS, leségoutsétaientbourrésd’explosifs, prêtsàêtreactionnésencasderefusduFLNdenégocieravecelle. CetteinformationavaitétécommuniquéeàChawkiMostefaïparleCommandantAzzedine31 quil’auraittenueduCommandantDebrossedelagendarmeriefrançaised’Alger.
CetterencontreSusini-MostefaïalieusuiteàladécisionduGPRA, unGPRAdéjàdiviséetdontChawkiMostefaïs’assuredelapositiondesdeuxchefsdefile, aussibienBen Bella32àTripoliqueBenkheddaàTunis. MaisparlasuiteilserapubliquementdésavouéparBen Bella, etunedéclarationdeBenkheddafaiteaucoursd’unvoyageauCaireettronquéeparunjournaliste, luidonneraàpenserqueBenkheddal’aégalementdésavoué, cequin’étaitpaslecas, commes’en expliquera plus tard ce dernier.MaisChawkiMostefaï, s’estimanttrahi, démissionnedel’ExécutifProvisoire, le25juillet1962, unefoissamissionaccomplie.
L’indépendanceacquise, le ChawkiMostefaïseretiredéfinitivementdelascènepolitiquedupaysqu’ilacontribuéàlibérerdeladominationcoloniale.
Parlehasard, etlebonheur, decirconstancespersonnelles,jeconnaisChawkiMostefaïdepuistoujours. Etasseztôt, quand, adolescent, j’aicommencéàm’intéresseràl’histoirepolitiquedemonpays, jesuisdevenucurieux demieuxconnaîtrecepersonnagequiavait, mesemblait-il, uneprestanceetundiscoursdifférentdeceluideses « semblables ».
J’aipueneffetconfirmerparlasuitequecemilitantnationalistedisciplinéavaittoujoursgardésalibertédepenser, libertéquiluiapermisd’apporter, endiversesoccasions, unevaleurcertaineàlaréflexionetàl’actiondumouvementdelibérationalgérien,etce, durantplusdevingtannées.
C’estdanslesannées1980quej’aicommencéàluidemanderderacontersonparcours, departageraveclesjeunesquenousétionsalorssonexpériencepolitique, d’écriresesmémoires. Ilm’aaccordéquelquesentretiensinformelsàcetteépoque, dontcertainsontétéenregistrés, puislescirconstancesdelavienem’ontpaspermisdecontinueràlesolliciter. Toutefois, àl’occasiondechaquerencontre, jerevenaisàlacharge, j’insistais, envain.
Ilafalluqu’ilsubisseungraveaccidentdesantéquiabienfaillil’emporter, etlecoma, undernieravertissementdelamort, pourqu’ilserésolvefinalement, etfortheureusement, àlivrerlessouvenirsetlesréflexionsquifigurentdanscelivre.
Pendantneufmois, d’août2015àlafindumoisd’avril2016, soitunmoisavantsamortsurvenueàsondomicileàAlgerle28mai2016, nousavonstravailléàcela. Malgrésonétatdesantéetsongrandâge, ilapureconstituerlefildesaviemilitanteetnotammentsesmomentslesplusimportants.
C’estvraimentunechanceprécieusepourlesAlgériens, maisaussipourtousceuxquis’intéressentàl’histoiredel’Algérie,queChawkiMostefaïaittrouvé, àlafindesavie, laforcederassemblersessouvenirsetsesréflexionsetdecontribuerainsiàunemeilleureconnaissancedel’histoired’unegranderévolutiondel’époquecontemporaine.
Celivreestunlivredesouvenirs, etnonunlivred’histoire. Ils’agitdessouvenirsd’unhommeetdesavisiondesévènementsqu’ilavécusetdesgensqu’ilacôtoyés. Ilétaitimportant, àmesyeux, dedonnertoutelaplacepossibleàlasubjectivitédurécitdesorte, notamment, àpermettreaulecteurdesetransporterdansdesépoquesetd’approcherauplusprèsdespersonnesquelaplupartdenosconcitoyensneconnaissentpasvraiment.
Nousavonsdécidéensembledegarderautantquepossiblelestylepersonneldesonrécit, salibertédetonetdepropos, lasaveurdesonexpressionorale. AucoursdenosentretiensChawkiMostefaïagardétoutaulong de celui-ci, l’honnêteté, laclarté, ledoute, l’humour, quifontquecerécitsubjectifpeutselireavecplusd’aisance, etàmonsens, plusdetranquillitéqu’untexteprétendumentobjectif. Celivreneprétenddoncpasàl’objectivité,mais – peut-êtreest-celàplusdifficileetplusaudacieux – a-t-ill’ambitiondelivreraupublicletémoignagesincèred’unmilitantetd’undirigeantpolitiquedepremierplan,untémoignageindispensableàlaconstitutiond’unevéritéhistoriqueàétabliràl’avenir.
Lesinévitableslacunesdutextesontévidemmentduesaucaractèretardifdurécit. Maisellesnesontrienparrapportàlachancequenousavonsdedisposeraujourd’huidutémoignageuniqued’unhommenéen1919etquiaeuleprivilègedeparticiperàunedesplusgrandesrévolutionsquelemondeaitconnue, lalibérationd’unpeuplevaincu, dépossédé, colonisé, aliéné, asservi, unpeuplequiarésistéàcetaccablementdel’histoireetquia sutrouverensonseinlesressourcesdesalibérationdeladominationcolonialeetlechemindesaréémergencedansl’histoiredumonde.
Souvent, ilestleseultémoinvivantd’évènementsqu’ilrelate, dediscussionsqu’ilrapporte, maisdontilaeuparfoisl’occasiondeparlerauparavant, ycomprislorsd’interventionspubliques.Sesappréciationsetsesjugementssontceuxd’unhommede96ans, demeurétotalementfidèleàl’engagementdesajeunesse,d’unvieuxmilitantpolitiquelucide, honnêteettrèsintelligent, dontl’opinionaétéfaçonnéeparsalongueexpériencedessituationsetdeshommes, parlesépreuves,etaussilesressentimentsqu’iladûnaturellementnourrirdufaitdecequ’ilaconsidérécommeayantété,descomportementsinjustesàsonégard, notammenten1951eten1962.
C’esteneffetunhommequifaitpreuved’unetotaleabsencedecynisme, decalculpoliticiendanssesprisesdeposition, décisions, déclarations…Ceciestvérifiableàchaqueétapedesonparcours, etdefaçonparticulièrementfrappanteàl’occasionducomitécentraldemai1951etdesévènementsdramatiquesde1962.
Cesentretienssontunemine d'orpourlaconnaissancedel’histoiredelaluttepourl’indépendancedupeuplealgérien. Onyentrevoit,nonpaslemythe, maislaréalitéducombatrévolutionnaire. S’agissantdeladimensiondupersonnage, ilsrévèlentl’identitécomplexed’ungrandAlgérienquiaétéunmilitantrévolutionnaire, « mais » unintellectuel, quiaétéunhommed’Etat, maispasunhommedepouvoir. Ensomme, unebellefiguredelarévolutionalgérienneetunhommed’Etatdontl’Algérieindépendanteaétéprivée.
Sonparcoursillustrejusqu’àl’extrêmeparfois, lesdifficultésdelapositiondesintellectuels33auseindupartinationalisterévolutionnairequ’aétélePPA-MTLDetlacomplexitédurapportdesintellectuelsentreeux.
Lesintellectuelsdupartiémergent, l’unàlasuitedel’autre, l’unaudétrimentdel’autrepourrait-ondire. C’estainsiquesesuccéderontLamineDebaghine34, ChawkiMostefaï, M’hamedYazid35, etc.,commesymbolesd’uneévolution – quimériteraitd’êtreanalysée–durôleetdelaplacedesintellectuelsauseindupartietdesaDirection. Danscetteévolution, semanifesteunetension, celled’uneformedecompétitionentrecompétenceetlégitimité.
Contrairementàcequiapuêtredit, auseinduPPA, lesintellectuelsnesontpasrejetésoumarginalisésparl’élémentplébéien ; aucontraire, ilssontenrèglegénéralerespectésetadmirés. Lesmilitantsnationalistesappréciaientd’avoirauseinetàlatêtedupartideshommesdehautestatureintellectuellequin’avaientrienàenvierauxautres, àl’UDMA, auxOulémasouauxcommunistes, bienqu’ilsyfigurentdansuneproportionplusmodestequechezcesderniers.
MaislanaturepopulairedupartietladominationcharismatiquedeMessali, nepermettaientpasauxintellectuelsdeprendretoutelaplacequ’ilspensaientdevoiroccuper ; etce, nonpourdesquestionsdepouvoiroudeprééminence, maisdupointdevuedel’exercicedeleurcompétencepolitiqueauservicedelacauserévolutionnaire. Decepointdevue, lescasdeLamineDebaghine, deChawkiMostefaï, maisaussid’Aït Ahmed,etplustard, degrandesfiguresnationalesméconnuescommeSaadDahlab36, sontemblématiquesdecedestin.
Aveclereculhistorique, etl’expériencedelaguerredelibération, ilestdésormaispossibledemieuxdistinguervraisetfauxclivages. C’estainsiqueMessalis’avèreradicalmaispolitique, Debaghine, Mostefaï, Lahouel, Belouizdad, Aït Ahmed,Boudiaf, Abane, Krim, Boussouf, Bentobbal, pourneciterqueceux-là, radicauxmaispolitiqueset « militaires37 », alorsqueceuxquiprennentlepouvoiren1962, Ben Bella, Boumediene38, sontdesmilitairesdansl’âme, dufaitdelamodestiedeleurexpériencepolitiquemilitante. Enconséquencedequoi, ilsn’ontpaslamêmeculturepolitique, lesmêmesréflexes, lamêmecapacitépolitiqueaucompromis, lamêmevolontédeparvenirauconsensusmalgrélesrivalités, quelesprécédents.
En1962, cesontlespluspolitiques, etnonpasnécessairementlesplusmodérés, quis’effacerontpouréviterlesdéchirementsinternesduFLNvictorieuxetprévenirunepossibleguerrecivile. Ainsi, d’unefaçonoud’uneautre, Benkhedda, Krim39, Boudiaf40, Aït Ahmed finirontparlaisserlechamplibreautandemBen Bella-Boumediene.
EtilenestainsideChawkiMostefaïquiestunradicalpolitiqueet « militaire », partisanconstantdelaluttearmée, maisquel’histoiretronquéedelarévolution, nousprésente, contretouteévidence, commeun « modéré ». Sansdouteparcequ’ilaétéoccultédanslesstructuresdirigeantesdelarévolution, alorsquesalignepolitique, tellequ’ill’adéfenduedepuis1940, atoujoursétélalignepolitiqueradicaleet« militaire » duPPA, miseenœuvreavecsuccèsparleFLN.
Demeureuneénigme ; pourquoiChawkiMostefaïn’a-t-ilpasécritlelivrefondamentalqu’ilauraitpu, qu’ilauraitdû, écrire.Al’indépendance, malgréunelongueviemilitantede22années, ilestàpeineâgéde42ans. Hommepolitiqueaccompliaubrillantintellect,pendantplusd’undemi-siècle, hormisderaresinterventionspubliquesrécentes, ils’esttu. Jen’aipasobtenuderéponse « complète » desapartàcettelancinantequestion.
Jepensequ’aufond,ilyacetterigoureuse, cetteimposantecultureduPPAclandestinquiinterditquelesdébatsinternesaupartisoientportéssurlaplacepublique. C’estainsi, parexemple, queladémissionenmai1951desquatremembresduComitécentral, Mostefaï, Chentouf, AmranietCherchalli, s’estaccompagnéd’un « pactedusilence » parlequellesdémissionnairesnedisaientriendesraisonsdeleurdémission, demêmequeleursancienscamaradess’engageaientàn’enriendirepubliquement.
Ensusdelarépétition, générationaprèsgénération, dececomportement – pluséthiquequepolitique – desmilitantsnationalistesrévolutionnaires, ilfautrappelerqu’unemanièred’autocensures’estinstauréedurantpratiquementvingtansaprèsl’indépendancedupays, quecetteautocensureestpartieintégrantedelacensureobjectived’unrégimequis’estimposéenréduisantparlaforcelesinstitutionslégitimesdelarévolutionetparlamiseenplaced’unpouvoir – ycomprislepouvoird’écrirel’histoire, oud’enempêcherl’écriture – autoritaireethégémoniquesurlasociété.
Surunplanpluspersonnel, ilestimpossibledefairel’impasse, surlaprofondeamertumequ’unhommedesastatureapuéprouverpours’enfermeraussilongtempsdanslesilence, làaussicommeLamineDebaghine, sonaînédanslecombat, qui, lui, arefusédemanièreradicaleetdéfinitivedetémoignerdesonpassémilitant.
Danscetteattitude, ilyacertesdel’amertume, maisaussiuneformedenaïvetécaractéristiquedecertainsintellectuelsquiaccordentàlavéritéunpouvoirqu’ellen’apas, celuidel’évidence. C’estainsiqueChawkiMostefaïaétéconduitpendanttrèslongtempsàsous-estimersa propre responsabilitéetl’importancedesontémoignagepersonneldanslecombatpourl’émergenceetlaconnaissancedelavérité du combatdesAlgérienspourl’indépendancenationale.
Jeformelevœuquecetouvrageencouragel’expressionetlapublicationd’autrestémoignagesainsiqu’uneffortaccrudesAlgérienspourétudieretconnaîtreleurhistoire, briserl’occultationquil’entoure, etfaireémergerauxyeuxdumondelagrandehistoiredupeuplealgérien. Ceseraitlàlemoindrehommagequenouspourrionsrendreauxgénérationsquinousontprécédés, auxenfantsanonymesdecepeuple, qui, àtraverslesâges, ontrésistéetluttéaveccourage, foietabnégationpourl’émergencedenotrenationdanslemonde, pourlesvaleursessentiellesdejustice, delibertéetdedignitédeshommeslibres.
Amin Khan
Annaba, août 2016
Chapitre I : 1919-1940 : Enfance, jeunesse, choix du ppa
Notrenom, Mostefaï, est, ilestvrai, assezparticulier. Généralement, onm’appelleMostefaoui, celamemetmalàl’aise, carc’estuneerreur. Pourmapart, j’aigardéladéfinitiondemonnomquem’enadonnéeunarabisant. Quiest-il ?Lorsquej’étaisétudiant, danslesannées1938, 1939, 1940, jefaisaispartied’unorchestredemusiqueandalouse. Ehoui ! Jetapotaislamandoline, « essnitra », etj’adoraislamusiqueandalouse. Lehasardafaitque, jenesaispascomment, j'ai faitpartied’uneassociationquis’appelait, ets’appelleencore, Al-Mossilia41. OnfaisaitnosrépétitionsducôtédelaPlacedeChartres, etlepatrondecetteassociationétaitMahieddineLakehal, apparentéàunMohamedLakehalquiunjour, medit :
– Wallahi, toil’étudiant, quelesttonnom ? Jeluiaidit :
– Mostefaï.
– Mostefaï ?
– Mostefaï.
– Ah ! HadhiHikma42 !Cenomn’estpasconnuenAlgérie…Ilnes’agitnideMostefaoui, nideMostefa…Ils’agitdeal-Moustafa,celuiqu’onachoisi, maisencoreplusprécisémentleMoustafaquej’aichoisi, enquelquesorte, « mon43 » Moustafa…
J’avaisapprisàjouerdelamandolineàBordjBouArreridj44, quandj’étaisscoutdansl’associationdesScoutsMusulmansAlgériens45dontleresponsablelocalétaituncousin, SiAbdelbakiMostefaï. Unpersonnage ! Quelqu’unquin’ajamaisachetéunpaquetdecigarettes, maisquiafuméjusqu’àlafindesavie. Tuvoislegenredeprofilquec’est, poursurvivreaussilongtempsàdesrelationssocialesbaséessur : « Passe, passe-moiunecigarette », pendantqu’ilracontaitdeshistoiresquiprenaienttoutel’attentiondel’interlocuteur, etalorsquecelui-ciétaitcaptivéparl’histoire, illuidisait : « Passe, passe-moiunecigarette », etl’autre, machinalement, mettaitlamaindanslapocheetluioffraitunecigarette. Ilavécucommeçajusqu’àlafindesavie.
C’estluiquim’aapprisàjouerdelamandoline. AvecleMoudarrès46, ilmettaitenscènedespiècesqu’onjouait, etoùilyavaitdespassagesmusicaux. Alors, commej’avaisapprisàtraficoterunpeulescordes, lorsquej’aipriscontactavecdesjeunesàAlger, unepetitebande, dontlechefdefile, AbderrahmaneMadiou47, appartenaitàunevieillefamilledelabourgeoisiealgéroise, etqu’ilsontapprisquejejouais, ilsm’ontentraînédanscetteassociationmusicale, Al-Mossilia. J’aimêmeparticipéàdesémissionsàlaRadio ! Maisenfin,jegrattaismescordesavecbeaucoup, beaucoupdedélicatesse, pournepasfausserl’ensemble.
Jesuisnéle5novembre1919àM’Sila48. Monpère, LakhdarMostefaï, yétaitCadi49. SondernierposteavantM’SilaavaitétéàMénerville (Thenia). Monpèreaétémariédeuxfois. Sapremièrefemmeestmorteenlaissantdeuxenfants, Fodhil, l’aîné, quiestlepèredeSeghir50,etSaadEddinequiaeudeuxfilles, Roquia, avocate, etGhania, cadreduministèredel’Habitat, etungarçon, Lakhdar, quiafaitcarrièrecommebibliothécaireàlaSonatrach.
Ensuite, monpères’estmariéavecunejeunefilledeGuenzet51 delafamilleSaichi, prénomméeKelthoum52, mamère. LesMostefaïetlesSaichisontdeuxfamillesissuesdelafragmentationdelatribudesOuledel-HadjTayebqui, aumomentdel’établissementdel’état-civildanslesannées1880, aétédiviséeenplusieursfamilles : lafamilleBenmiloud, quenousappelionsOuledSidiCheikh, lafamilleSaichietlafamilleMostefaï, lestrois