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L'histoire se déroule sur les rivages d'Aulis, où les Grecs se préparent à aller attaquer Troie. Mais ils ne peuvent atteindre Troie, car les dieux retiennent les vents nécessaires au départ de l'expédition. Agamemnon, leur chef, est donc contraint de consulter l’oracle Calchas, qui lui ordonne de sacrifier sa fille, Iphigénie, afin d’apaiser la déesse Artémis. Dans le chaos provoqué par les indécisions d'Agamemnon, Iphigénie se soumet aux volontés de son père. Ambition d'Agamemnon, désir de gloire d'Achille, orgueil de Clytemnestre, jalousie d'Ériphile : la pièce montre des passions déchaînées qui, toutes, font d'Iphigénie leur victime.
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Jean Racine
Iphigénie en Aulide
Oui, c'est Agamemnon, c'est ton Roi qui t'éveille.
Viens, reconnais la voix qui frappe ton oreille.
C'est vous-même, Seigneur ! Quel important besoin
Vous a fait devancer l'aurore de si loin ?
A peine un faible jour vous éclaire et me guide,
Vos yeux seuls et les miens sont ouverts dans l'Aulide.
Avez-vous dans les airs entendu quelque bruit ?
Les vents nous auraient-ils exaucés cette nuit ?
Mais tout dort, et l'armée, et les vents, et Neptune.
Heureux qui satisfait de son humble fortune,
Libre du joug superbe où je suis attaché,
Vit dans l'état obscur où les Dieux l'ont caché !
Et depuis quand, Seigneur, tenez-vous ce langage ?
Comblé de tant d'honneurs, par quel secret outrage
Les Dieux, à vos désirs toujours si complaisants,
Vous font-ils méconnaître et haïr leurs présents ?
Roi, père, époux heureux, fils du puissant Atrée,
Vous possédez des Grecs la plus riche contrée.
Du sang de Jupiter issu de tous côtés,
L'hymen vous lie encore aux Dieux dont vous sortez.
Le jeune Achille enfin, vanté par tant d'oracles,
Achille à qui le ciel promet tant de miracles,
Recherche votre fille, et d'un hymen si beau
Veut dans Troie embrasée allumer le flambeau.
Quelle gloire, Seigneur, quels triomphes égalent
Le spectacle pompeux que ces bords vous étalent,
Tous ces mille vaisseaux, qui chargés de vingt Rois,
N'attendent que les vents pour partir sous vos lois ?
Ce long calme, il est vrai, retarde vos conquêtes,
Ces vents depuis trois mois enchaînés sur nos têtes
D'Ilion trop longtemps vous ferment le chemin.
Mais parmi tant d'honneurs, vous êtes homme enfin :
Tandis que vous vivrez, le sort, qui toujours change,
Ne vous a point promis un bonheur sans mélange.
Bientôt... Mais quels malheurs dans ce billet tracés
Vous arrachent, Seigneur, les pleurs que vous versez ?
Votre Oreste au berceau va-t-il finir sa vie ?
Pleurez-vous Clytemnestre, ou bien Iphigénie ?
Qu'est-ce qu'on vous écrit ? Daignez m'en avertir.
Non, tu ne mourras point, je n'y puis consentir.
Seigneur ...
Tu vois mon trouble ; apprends ce qui le cause,
Et juge s'il est temps, ami, que je repose.
Tu te souviens du jour qu'en Aulide assemblés
Nos vaisseaux par les vents semblaient être appelés.
Nous partions. Et déjà par mille cris de joie,
Nous menacions de loin les rivages de Troie.
Un prodige étonnant fit taire ce transport.
Le vent qui nous flattait nous laissa dans le port.
Il fallut s'arrêter, et la rame inutile
Fatigua vainement une mer immobile.
Ce miracle inouï me fit tourner les yeux
Vers la divinité qu'on adore en ces lieux.
Suivi de Ménélas, de Nestor, et d'Ulysse,
J'offris sur ses autels un secret sacrifice.
Quelle fut sa réponse ! Et quel devins-je, Arcas,
Quand j'entendis ces mots prononcés par Calchas !
Vous armez contre Troie une puissance vaine,
Si, dans un sacrifice auguste et solennel,
Une fille du sang d'Hélène
De Diane en ces lieux n'ensanglante l'autel.
Pour obtenir les vents que le ciel vous dénie,
Sacrifiez Iphigénie.
Votre fille !
Surpris, comme tu peux penser,
Je sentis dans mon corps tout mon sang se glacer.
Je demeurai sans voix, et n'en repris l'usage
Que par mille sanglots qui se firent passage.
Je condamnai les Dieux, et sans plus rien ouïr,
Fis voeu sur leurs autels de leur désobéir.
Que n'en croyais-je alors ma tendresse alarmée ?
Je voulais sur-le-champ congédier l'armée.
Ulysse, en apparence approuvant mes discours,
De ce premier torrent laissa passer le cours.
Mais bientôt, rappelant sa cruelle industrie,
Il me représenta l'honneur et la patrie,
Tout ce peuple, ces rois à mes ordres soumis,
Et l'empire d'Asie à la Grèce promis :
De quel front immolant tout l'État à ma fille,
Roi sans gloire, j'irais vieillir dans ma famille !
Moi-même (je l'avoue avec quelque pudeur),
Charmé de mon pouvoir et plein de ma grandeur,
Ces noms de Roi des Rois et de chef de la Grèce
Chatouillaient de mon coeur l'orgueilleuse faiblesse.
Pour comble de malheur, les Dieux toutes les nuits,
Dès qu'un léger sommeil suspendait mes ennuis,
Vengeant de leurs autels le sanglant privilège,
Me venaient reprocher ma pitié sacrilège,
Et présentant la foudre à mon esprit confus,
Le bras déjà levé, menaçaient mes refus.
Je me rendis, Arcas ; et, vaincu par Ulysse,
De ma fille, en pleurant j'ordonnai le supplice.
Mais des bras d'une mère il fallait l'arracher.
Quel funeste artifice il me fallut chercher !
D'Achille, qui l'aimait, j'empruntai le langage.
J'écrivis en Argos, pour hâter ce voyage,
Que ce guerrier, pressé de partir avec nous,
Voulait revoir ma fille, et partir son époux.
Et ne craignez-vous point l'impatient Achille ?
Avez-vous prétendu que, muet et tranquille,
Ce héros, qu'armera l'amour et la raison,
Vous laisse pour ce meurtre abuser de son nom ?
Verra-t-il à ses yeux son amante immolée ?
Achille était absent. Et son père Pélée,
D'un voisin ennemi redoutant les efforts,
L'avait, tu t'en souviens, rappelé de ces bords ;
Et cette guerre, Arcas, selon toute apparence,
Aurait dû plus longtemps prolonger son absence.
Mais qui peut dans sa course arrêter ce torrent ?
Achille va combattre, et triomphe en courant.
Et ce vainqueur, suivant de près sa renommée,
Hier avec la nuit arriva dans l'armée.
Mais des noeuds plus puissants me retiennent le bras ;
Ma fille qui s'approche et court à son trépas,
Qui loin de soupçonner un arrêt si sévère,
Peut- être s'applaudit des bontés de son père ;
Ma fille... Ce nom seul, dont les droits sont si saints,
Sa jeunesse, mon sang, n'est pas ce que je plains.
Je plains mille vertus, une amour mutuelle,
Sa piété pour moi, ma tendresse pour elle,
Un respect qu'en son coeur rien ne peut balancer,
Et que j'avais promis de mieux récompenser.
Non, je ne croirai point, ô Ciel, que ta justice
Approuve la fureur de ce noir sacrifice.
Tes oracles sans doute ont voulu m'éprouver,
Et tu me punirais si j'osais l'achever.
Arcas, je t'ai choisi pour cette confidence :
Il faut montrer ici ton zèle et ta prudence.
La Reine, qui dans Sparte avait connu ta foi,
T'a placé dans le rang que tu tiens près de moi.
Prends cette lettre. Cours au-devant de la Reine ;
Et suis sans t'arrêter le chemin de Mycène.
Dès que tu la verras, défends-lui d'avancer ;
Et rends-lui ce billet que je viens de tracer.
Mais ne t'écarte point. Prends un fidèle guide.
Si ma fille une fois met le pied dans l'Aulide,
Elle est morte. Calchas, qui l'attend en ces lieux,
Fera taire nos pleurs, fera parler les Dieux ;
Et la religion, contre nous irritée,
Par les timides Grecs sera seule écoutée.
Ceux mêmes dont ma gloire aigrit l'ambition
Réveilleront leur brigue et leur prétention,
M'arracheront peut-être un pouvoir qui les blesse...
Va, dis-je, sauve-la de ma propre faiblesse.
Mais surtout ne va point, par un zèle indiscret,
Découvrir à ses yeux mon funeste secret.
Que s'il se peut, ma fille, à jamais abusée,
Ignore à quel péril je l'avais exposée.
D'une mère en fureur épargne-moi les cris,
Et que ta voix s'accorde avec ce que j'écris.
Pour renvoyer la fille et la mère offensée,
Je leur écris qu'Achille a changé de pensée,
Et qu'il veut désormais jusques à son retour
Différer cet hymen que pressait son amour.
Ajoute, tu le peux, que des froideurs d'Achille
On accuse en secret cette jeune Ériphile,
Que lui-même captive amena de Lesbos,
Et qu'auprès de ma fille on garde dans Argos.
C'est leur en dire assez. Le reste, il le faut taire.
Déjà le jour plus grand nous frappe et nous éclaire ;
Déjà même l'on entre, et j'entends quelque bruit.
C'est Achille. Va, pars. Dieux ! Ulysse le suit.
Quoi ! Seigneur, se peut-il que d'un cours si rapide
La victoire vous ait ramené dans l'Aulide ?
D'un courage naissant sont-ce là les essais ?
Quels triomphes suivront de si nobles succès !
La Thessalie entière, ou vaincue, ou calmée,
Lesbos même conquise en attendant l'armée,
De toute autre valeur éternels monuments,
Ne sont d'Achille oisif que les amusements.
Seigneur, honorez moins une faible conquête ;
Et que puisse bientôt le Ciel, qui nous arrête,
Ouvrir un champ plus noble à ce coeur excité
Par le prix glorieux dont vous l'avez flatté !
Mais cependant, Seigneur, que faut-il que je croie
D'un bruit qui me surprend et me comble de joie ?
Daignez-vous avancer le succès de mes voeux ?
Et bientôt des mortels suis-je le plus heureux ?
On dit qu'Iphigénie, en ces lieux amenée,
Doit bientôt à son sort unir ma destinée.
Ma fille ! Qui vous dit qu'on la doit amener ?
Seigneur, qu'a donc ce bruit qui vous doive étonner ?
AGAMEMNON, à Ulysse.
Juste ciel ! saurait-il mon funeste artifice ?
Seigneur, Agamemnon s'étonne avec justice.
Songez-vous aux malheurs qui nous menacent tous ?
O ciel ! pour un hymen quel temps choisissez-vous ?
Tandis qu'à nos vaisseaux la mer toujours fermée
Trouble toute la Grèce et consume l'armée ;
Tandis que pour fléchir l'inclémence des Dieux,
Il faut du sang peut-être, et du plus précieux,
Achille seul, Achille à son amour s'applique ?
Voudrait-il insulter à la crainte publique,
Et que le chef des Grecs, irritant les destins,
Préparât d'un hymen la pompe et les festins ?
Ah ! Seigneur, est-ce ainsi que votre âme attendrie
Plaint le malheur des Grecs, et chérit la patrie ?
Dans les champs phrygiens les effets feront foi
Qui la chérit le plus, ou d'Ulysse ou de moi.
Jusque-là je vous laisse étaler votre zèle.
Vous pouvez à loisir faire des voeux pour elle.
Remplissez les autels d'offrandes et de sang.
Des victimes vous-même interrogez le flanc.
Du silence des vents demandez-leur la cause.
Mais moi, qui de ce soin sur Calchas me repose,
Souffrez, Seigneur, souffrez que je coure hâter
Un hymen dont les Dieux ne sauraient s'irriter.
Transporté d'une ardeur qui ne peut être oisive,