Les Plaideurs - Jean Racine - E-Book

Les Plaideurs E-Book

Jean Racine

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Beschreibung

Dandin, juge à moitié fou, veut sans cesse juger des procès. Son fils Léandre, aidé de Petit Jean et de l'Intimé, parvient à l'empêcher de sortir de chez lui. Surviennent le bourgeois Chicaneau et la comtesse de Pimbesche, qui viennent voir Dandin pour des causes différentes.

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Table of Contents

Page de titre

Personnages

Acte I

Scène première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Acte II

Scène première

Scène II

Scène III

Scène IV

Scène V

Scène VI

Scène VII

Scène VIII

Scène IX

Scène X

Scène XI

Scène XII

Scène XIII

Scène XIV

Acte III

Scène première

Scène II

Scène III

Scène IV

Page de copyright

 

Personnages

DANDIN, juge1.

LÉANDRE, fils de Dandin.

CHICANNEAU, bourgeois2.

ISABELLE, fille de Chicanneau.

LA COMTESSE.

PETIT JEAN, portier.

L’INTIMÉ, secrétaire3.

LE SOUFFLEUR.

La scène est dans une ville de basse Normandie.

1 Racine a pris le nom de PERRIN DANDIN dans Rabelais (Pantagruel, livre III, chapitre XLI). Là toutefois Perrin Dandin n’est pas un juge, mais un « appointeur de procès. » Le même chapitre de Rabelais offrait à Racine un nom de juge, Bridoye, qui lui a semblé sans doute moins heureux, et dont Beaumarchais plus tard devait s’emparer : tout le monde connaît Bridoison.

2 Nous avons conservé à ce nom les deux n, qui sont dans toutes les éditions imprimées du vivant de Racine. C’est seulement dans les éditions plus récentes qu’on l’écrit CHICANEAU. Voyez plus bas, p. 160, note a. Rabelais a encore fourni ce nom ; mais chez lui les chicanous sont des huissiers, non des plaideurs.

3 Le nom de L’INTIMÉ est emprunté à la langue du Palais : l’intimé est le défendeur en cause d’appel.

Acte I

Scène première

PETIT JEAN, traînant un gros sac de procès.

Ma foi, sur l’avenir bien fou qui se fiera :

Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera.

Un juge, l’an passé, me prit à son service ;

Il m’avait fait venir d’Amiens pour être Suisse1.

Tous ces Normands voulaient se divertir de nous :

On apprend à hurler, dit l’autre2, avec les loups.

Tout Picard que j’étais, j’étais un bon apôtre3,

Et je faisais claquer mon fouet4 tout comme un autre.

Tous les plus gros monsieurs5 me parlaient chapeau bas :

« Monsieur de Petit Jean, » ah ! gros comme le bras6 !

Mais sans argent l’honneur n’est qu’une maladie.

Ma foi, j’étais un franc portier de comédie7 :

On avait beau heurter et m’ôter son chapeau,

On n’entrait point chez nous sans graisser le marteau8.

Point d’argent, point de Suisse9, et ma porte était close.

Il est vrai qu’à Monsieur j’en rendais quelque chose :

Nous comptions quelquefois. On me donnait le soin

De fournir la maison de chandelle et de foin ;

Mais je n’y perdais rien. Enfin, vaille que vaille,

J’aurais sur le marché fort bien fourni la paille.

C’est dommage : il avait le cœur trop au métier ;

Tous les jours le premier aux plaids, et le dernier,

Et bien souvent tout seul ; si l’on l’eût voulu croire,

Il y serait couché sans manger et sans boire10.

Je lui disais parfois : « Monsieur Perrin Dandin,

Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin :

Qui veut voyager loin ménage sa monture.

Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. »

Il n’en a tenu compte. Il a si bien veillé

Et si bien fait, qu’on dit que son timbre est brouillé11.

Il nous veut tous juger les uns après les autres.

Il marmotte toujours certaines patenôtres12

Où je ne comprends rien. Il veut, bon gré, mal gré,

Ne se coucher qu’en robe et qu’en bonnet carré13.

Il fit couper la tête à son coq, de colère14,

Pour l’avoir éveillé plus tard qu’à l’ordinaire ;

Il disait qu’un plaideur dont l’affaire allait mal

Avait graissé la patte à ce pauvre animal15.

Depuis ce bel arrêt, le pauvre homme a beau faire,

Son fils ne souffre plus qu’on lui parle d’affaire.

Il nous le fait garder jour et nuit, et de près16 :

Autrement serviteur, et mon homme est aux plaids.

Pour s’échapper de nous, Dieu sait s’il est allaigre.

Pour moi, je ne dors plus : aussi je deviens maigre,

C’est pitié. Je m’étends, et ne fais que bâiller17.

Mais veille qui voudra, voici mon oreiller.

Ma foi, pour cette nuit il faut que je m’en donne ;

Pour dormir dans la rue on n’offense personne. Dormons18.

1 Les suisses, domestiques chargés de garder la porte des hôtels, étaient autrefois véritablement Suisses de nation. Celui-ci, au lieu de venir de Suisse, vient de Picardie ; c’est ce qui rend ce vers plaisant.

2Dit l’autre, c’est-à-dire : dit-on, dit le proverbe, façon populaire de parler. On trouve aussi dans Molière (le Médecin malgré lui, acte III, scène II) : « Tout ça, comme dit l’autre, n’a été que de l’onguent miton-mitaine. »

3Bon apôtre a d’ordinaire le sens d’hypocrite : dans la Fontaine, Grippeminaud le bon apôtre, Cormoran le bon apôtre. Il paraît signifier ici un homme qui sait son métier, un rusé compère.

4Faire claquer son fouet, se donner de l’importance.

5 Molière avait déjà mis dans la bouche naïve de Georgette cette expression Monsieurs, au lieu de Messieurs :

… Nous en voyons qui paraissent joyeux

Lorsque leurs femmes sont avec les beaux Monsieurs.

(École des femmes, acte II, scène III.)

6 La phrase est elliptique : « On me donnait gros comme le bras (c’est-à-dire très respectueusement, très cérémonieusement) le titre de Monsieur de Petit Jean. »

7 Le portier de comédie était celui qui se tenait à la porte du théâtre pour recevoir l’argent. Chapuzeau, dans son Théâtre français, p. 242 et 243, donne des détails sur les portiers de la comédie. Il dit que les contrôleurs des portes « ont soin que les portiers fassent leur devoir, qu’ils ne reçoivent de l’argent de qui que ce soit. » Le vers de Racine donne à penser que la défense faite aux portiers n’était pas toujours bien observée.

8Graisser le marteau (de la porte, qu’on nommait aussi le heurtoir), c’est donner de l’argent au portier, pour qu’il nous laisse entrer.

9Point d’argent, point de Suisse, se disait proverbialement, parce que les troupes suisses engagées à prix d’argent au service des puissances étrangères se retiraient quand leur solde n’était pas exactement payée.

10Il y serait couché est le texte de toutes les éditions imprimées du vivant de Racine. Louis Racine dit dans ses Notes sur la langue des Plaideurs, que c’est une faute d’impression. Plusieurs éditeurs, adoptant sans doute cette opinion, qui n’est nullement fondée, ont imprimé : « Il s’y serait couché. »

11Son timbre est brouillé, c’est-à-dire sa cervelle est brouillée, dérangée. On dit plus souvent dans ce sens : « son timbre est fêlé. » Des commentateurs ont blâmé l’expression de Racine. La métaphore ne veut pas être ici analysée si exactement, et pourrait d’ailleurs être justifiée.

12Patenôtres signifie le plus souvent des pater noster, des prières. Petit Jean donne ce nom aux formules inintelligibles, au grimoire que récite son maître.

13 L’esclave Xanthias, dans les Guêpes d’Aristophane, fait de la folie de son maître Philocléon un tableau à peu près semblable :

Φίληλιαστής έστιvv ώς ούδεις άvήρ,

Έρα τε τούτου, του διxάζειν, xαί στένει

Ην μή’πι του πρώτου xαθίζηται ξύλου

Ύπνου δ’δρα τῆς νυxτός ούδέ πασπάλην.

(Guêpes, 89-92.)

14 Ce trait est emprunté à Aristophane :

Τόν άλεxτρυόνx σ’, ος ηήδ’έσπέρας, έφη,

οφ’έ’γείρειν αύτόν άναπεπεισμένον,

Παρά τών ύπευθύνων έχοντα χρήματα.

(Guêpes, vers 100-102.)

15Graisser la patte signifie corrompre en donnant de l’argent.

16

Οΰτος φυλάττειν τόν πάτερ’έπέταξε νων,

Ενδον xαθείρξας, Ίνα θύραζε μή’ζίη. (Guêpes, vers 69 et 70.)

17 Ce mot, dans les anciennes éditions, est constamment écrit : baailler,

18 L’édition de 1736 et celle de M. Aimé-Martin donnent ici l’indication : « Il se couche par terre. »

Scène II

L’intimé, Petit Jean.

L’INTIMÉ

Ay, Petit Jean ! Petit Jean !

PETIT JEAN

L’Intimé !

Il a déjà bien peur de me voir enrhumé19.

L’INTIMÉ

Que diable ! si matin que fais-tu dans la rue ?

PETIT JEAN

Est-ce qu’il faut toujours faire le pied de grue20,

Garder toujours un homme, et l’entendre crier ?

Quelle gueule21 ! Pour moi, je crois qu’il est sorcier.

L’INTIMÉ

Bon !

PETIT JEAN

Je lui disais donc, en me grattant la tête,

Que je voulais dormir. « Présente ta requête

Comme tu veux dormir, » m’a-t-il dit gravement22.

Je dors en te contant la chose seulement.

Bonsoir.

L’INTIMÉ

Comment bonsoir ? Que le diable m’emporte

Si…. Mais j’entends du bruit au-dessus de la porte.

19 L’édition de M. Aimé-Martin fait précéder ce vers de l’indication : « À part. »

20Faire le pied de grue, attendre longtemps sur ses pieds, comme une grue se tient immobile sur une jambe.

21 Boileau s’est aussi servi du mot gueule, en parlant de la chicane, dans la satire VIII (vers 299) :

Lorsqu’il entend de loin d’une gueule infernale

La chicane en fureur mugir dans la grand-salle.

Gaultier, célèbre avocat de ce temps, était surnommé Gaultier la Gueule.

22 « Il y avait alors… un président si amoureux de son métier qu’il l’exerçait dans son domestique. Quand son fils lui représentait qu’il avait besoin d’un habit neuf, il lui répondait gravement : Présente ta requête… ; et quand le fils lui avait présenté sa requête, il répondait par un : Soit communiqué à sa mère. » (Louis Racine, Comparaison des Plaideurs et de la comédie d’Aristophane intitulée les Guêpes, au tome I des Remarques sur les Tragédies de Jean Racine, p. 217 et 218.)