L'aubaine d'être né en ce temps - Fabrice Hadjadj - E-Book

L'aubaine d'être né en ce temps E-Book

Fabrice Hadjadj

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Beschreibung

La foi en Dieu implique la foi en l’aubaine d’être né dans un tel siècle et au milieu d’une telle perdition. Elle commande une espérance qui dépasse toute nostalgie et toute utopie. Nous sommes là, c’est donc que le Créateur nous veut là. Nous sommes en un temps de misère, c’est donc le temps béni pour la miséricorde. Il faut tenir notre poste et être certains que nous ne pouvions pas mieux tomber. »


À PROPOS DE L'AUTEUR

Fabrice Hadjadj, essayiste et dramaturge, dirige Philanthropos (Institut européen d'études anthropologiques, à Fribourg, en Suisse). Il collabore aussi au Figaro littéraire et à Art Press, ainsi qu'à Panorama et à Prier. Il enseigne également la philosophie et la littérature en lycée, en faculté et au séminaire de Toulon.

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Nihil obstat,

Paris, le 27 juin 2015

G. PELLETIER

 

Imprimatur,

Paris, le 27 juin 2015

M. VIDAL, Vic. Ep.

 

 

 

 

Couverture : Christophe Roger

Composition : Soft Office (38)

 

Nouvelle édition : © Éditions de l’Emmanuel, 2021

 

1re édition : © Éditions de l’Emmanuel, 2015

89, bd Auguste-Blanqui – 75013 Paris

www.editions-emmanuel.com

 

ISBN : 978-2-35389-916-6 (1re édition, ISBN : 978-2-35389-482-6)

 

Dépôt légal : 3e trimestre 2021

Avant-propos

De l’aubaine

Ce texte est la reprise d’une conférence prononcée à l’invitation du cardinal Stanislas Rylko pour inaugurer le IIIe Congrès mondial des mouvements ecclésiaux et communautés nouvelles. Le thème en était explicité par un titre un peu lourd, qui ravaudait, selon l’usage, des citations du pape François : « La conversion missionnaire : sortir de soi-même pour se laisser provoquer par les signes des temps. Un monde en transformation interpelle toute l’Église. » C’était à Rome, le jeudi 20 novembre 2014. Depuis, deux événements – les attentats islamistes de janvier et la parution de l’encyclique Laudato si’ – m’ont poussé à étoffer mon propos au regard de la situation présente.

Il va de soi que jamais je n’aurais eu le front d’aborder de telles questions si cela ne m’avait été demandé de plus haut. Mon culot procède de mon obéissance ; ma fantaisie, de ma fidélité (je dois confesser ici ma dévotion spéciale à l’apôtre Pierre : partout où je trouve sa statue, je baise sa mule de bronze). Si toutefois il y a çà ou là des observations maladroites ou « malsonnantes », comme on dit dans le Magistère, cela ne vient que de moi-même et de mon manque de sujétion à cet Esprit qui rend léger dans la gravité, limpide dans le mystère, drôle dans le tragique…

Par ailleurs, je n’aurais jamais publié ce texte sans la sollicitude de Louis-Étienne de Labarthe – qui était dans l’assistance le jour de la conférence – et de ce viril relecteur qu’est Gabriel Morin (je rappelle au passage que « relecteur » veut dire étymologiquement la même chose que « religieux »). Sans eux, j’aurais cru mon discours voué pour ainsi dire à une confidentialité « mondiale ». D’une part, il était écrit pour répondre à une demande particulière dans un contexte particulier, ce qui seul pouvait m’habiliter à le prononcer sans outrecuidance. D’autre part, le public étant composé de fondateurs ou membres de communautés répandues à travers le monde – de l’Inde au Canada en passant par l’Allemagne et le Brésil –, il me semblait qu’une parution strictement française pécherait par de graves lacunes, puisqu’elle passerait à côté des problèmes spécifiquement français (notamment celui de la « laïcité »). Les deux éditeurs susmentionnés en ont jugé autrement, avec plus d’obligeance que d’inconscience, je l’espère, et je les en remercie.

Enfin, je dois préciser que le titre qu’on peut lire sur la couverture de ce livre n’est pas de moi, mais que je l’ai accepté comme une « aubaine », justement. Comme je n’ai pas l’habitude de jeter à la face du lecteur un mot dont je n’ai pas au préalable soupesé au moins un peu le sens, je profite de ces dernières lignes d’introduction pour m’y essayer.

#

« Aubain », ici, ne vient pas du latin albus, « blanc », qui donne son nom à l’« aube », mais probablement d’alibi natus, c’est-à-dire « né ailleurs, à l’étranger ». L’aubain est un alien,en quelque sorte. Quant à l’« aubaine », au féminin, elle renvoie à une particularité du droit successoral tel qu’il s’appliquait à l’aubain. En vertu du « droit d’aubaine », le souverain recueillait la succession de l’étranger non naturalisé qui mourait dans ses États. De là le sens figuré et familier du mot : un « avantage inattendu », un bel « héritage précédé d’aucun testament », qui nous tombe dessus comme cela, du fait de la mort chez nous d’un inconnu venu de loin.

On peut songer ici au mystère de l’Incarnation : le Verbe fait chair habite et meurt parmi nous, et nous nous retrouvons soudain, sans aucun mérite, à hériter de sa vie éternelle. Et cela pour le meilleur et pour le pire, car où il y a héritage il peut y avoir querelle et dilapidation.

Relativement à notre sujet, l’« aubaine » peut s’entendre au moins de deux façons, me semble-t-il. Si l’on en croit l’épître aux Hébreux, les chrétiens n’ont pas ici-bas de cité permanente (He 13, 14), ils sont toujours comme étrangers et voyageurs et donc aubains sur la terre (He 11, 13 ; 1 P 2, 11). Tout ce qu’ils font, tout ce qu’ils laissent ici-bas, devient automatiquement l’objet d’un droit d’aubaine de la part des puissances de ce monde. Celles-ci s’en emparent, parodient le paradis, singent le saint, récupèrent la compassion pour la mettre au profit de leurs combines. C’est ainsi que les chrétiens sont confrontés à des antichrists qui sont sortis de chez eux (1 Jn 2, 19). C’est ainsi qu’aujourd’hui, au nom de l’amour, de la liberté ou de l’esprit, s’engagent des processus de dévastation sans précédent : ils tirent toute leur énergie d’une source qu’ils détournent et dissimulent. Et ce détournement culmine en cette heure oùquiconque vous tuera pensera rendre un culte à Dieu (Jn 16, 2). Une Heure qui, à vue humaine, a de quoi nous désespérer.

Mais derrière ce droit d’aubaine exercé par les malins petits ou grands, il en est un autre, plus haut, ou plus profond, qui est celui de l’Éternel, du vrai Souverain à qui tout finit par revenir. Il faut être assuré, en effet, puisque c’est le mystère même de la Croix – et de la fécondité d’Israël en Égypte (Plus on lui rendait la vie dure, plus il croissait en nombre et surabondait, Ex 1, 12) – que toutes les spoliations malignes sont encore des providences pour les enfants, et donc héritiers – héritiers de Dieu, et cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui (Rm 8, 17). L’extrémité de la persécution permet d’autant mieux l’extrémité du témoignage. L’extrémité de la misère sonne d’autant mieux l’heure de la miséricorde. Il faut se souvenir de cette parole de Paul aux Corinthiens au sujet du « langage de la Croix » : Que nul ne tire gloire des hommes, car tout est à vous : aussi bien Paul, qu’Apollos, Céphas, le monde, la vie, la mort, le présent, l’avenir, tout est à vous, mais vous êtes au Christ, et le Christ est à Dieu (1 Co 3, 21-23).

Telle est l’aubaine d’être né en ce temps de détresse. Car si le mot « apocalypse » dit déjà la révélation dans la catastrophe, le mot « aubaine » dit l’héritage inespéré au milieu des plus mauvais pronostics.

Montsvoirons, le 15 août 2015,en la solennité de l’Assomption de Notre-Dame.

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De la mission catholiqueet de son opposition à toute propagande idéologique

Se tourner vers Dieu, appartenir à son Église, est-ce la même chose qu’adhérer à un parti ? La conversion et la mission chrétiennes ne sont-elles qu’une espèce parmi d’autres d’adhésion et de militantisme partisans ? C’est une question qu’il convient de se poser au préalable, sans préjugé.

Quand vous adhérez à un parti, vous adhérez d’abord à une doctrine ou à un groupe, puis vous en faites la propagande, vous essayez de rallier le maximum de personnes et de transformer le monde conformément aux valeurs de votre groupe. C’est selon ce modèle que l’on a pu concevoir l’expansion de l’Église, car c’est le modèle de toutes les entreprises à prétention universelle : une partie veut transformer le tout. Certains diront que c’est comme un cancer qui développe ses métastases, d’autres que c’est comme une turbine qui électrifie la ville.

Le seul problème, c’est que ce modèle est mondain. Il fait de la mission de l’Église quelque chose qui n’est pas seulement dans le monde, mais du monde. Il pousse à croire que l’évangélisation s’opère principalement à travers la récupération des moyens mondains, en changeant Coca-Cola® par Jésus-Christ™. Ce faisant, on procède comme n’importe quelle autre entreprise, avec un train de retard, cependant, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière (Lc 16, 8). Peu importe. Vous trouverez toujours un professeur de théologie pastorale pour vous expliquer : « Si saint Paul vivait aujourd’hui, nul doute qu’il utiliserait Internet et Facebook pour diffuser son message. » Soit. Il faut métamorphoser la Croix en croisillon (c’est-à-dire en hashtag). Mais est-ce là le principal ? L’Évangile est-il d’ailleurs un « message » à communiquer ?

Avant d’aborder la provocation des signes des temps, je voudrais m’arrêter un peu à cette question, et voir en quoi la mission du chrétien est autre chose qu’une simple propagande militante. Je retiendrai ici cinq points de différence radicale.

Adhérer à quelque chose et se tourner vers quelqu’un

Se tourner vers le Christ, c’est d’abord se tourner vers quelqu’un ; adhérer à un parti, c’est adhérer à quelque chose