L’homme, image de Dieu, chez les Pères grecs - Collectif - E-Book

L’homme, image de Dieu, chez les Pères grecs E-Book

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EditorialAprès avoir envisagé, dans le numéro 128 de notre revue, la manière dont les Pères latins comprennent la création de l’être humain à l’image de Dieu, nous publions le deuxième volet des Rencontres nationales de patristique de Toulouse de juillet 2012, en passant cette fois aux Pères grecs. En envisageant la patristique grecque, nous pensons immédiatement à une réflexion sur la théosis, sur la divinisation de l’être humain, créé à l’image de la Trinité, ce qui apparaît clairement chez Maxime le Confesseur. Nous verrons ce qu’il en est pour les autres Pères au fil des articles denses qui composent ce numéro. C’est, tout d’abord, Régis Burnet qui propose une étude sémantique où il envisage, non seulement la distinction entre l’image et la ressemblance, mais aussi le rapport entre la création de l’être humain à l’image de Dieu et l’Image par excellence qui est le Christ. Puis Jérôme Moreau reprend la question à partir de Philon d’Alexandrie, qui considère les deux récits de la création comme un seul, en deux étapes et qui situe l’image de Dieu dans l’intellect. En abordant la question de l’image de Dieu chez Origène, Daniel Vigne relève un défi, car il intervient après la thèse d’Henri Crouzel sur la question, mais il va encore plus loin, en approfondissant l’image de Dieu à partir de la Trinité, de la création et du salut. De manière originale, Guillaume Bady et Laurence Mellerin relisent principalement Tertullien et Grégoire de Nysse pour voir comment ils envisagent la différence entre l’homme et la femme, créés à l’image de Dieu. Ensuite, Marlène Kanaan étudie la question de la création de l’être humain à l’image de Dieu dans le traité Sur l’origine de l’homme de Basile de Césarée. Finalement, Élie Ayroulet met en évidence l’originalité de la compréhension de l’image de Dieu chez Maxime. Par le jeu de la liberté et de la grâce, elle est l’expression de « l’intentionnalité divine à diviniser (l’être humain) dans le Fils unique à l’image duquel il l’a créé ». Ainsi les Pères esquissent-ils l’anthropologie chrétienne qui, sur bien des points, est encore parlante aujourd’hui.
Marie-Anne VANNIER

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« En quoi consiste la grandeur de l’homme ? Non à porter la ressemblance de l’univers créé, mais à être à l’image de la nature de celui qui l’a fait. Quel est le sens de cette attribution d’“image” ? Comment, dira-t-on, l’incorporel est-il semblable au corps ? Comment ce qui est soumis au temps est-il semblable à l’éternel ? Ce qui se modifie à ce qui ne change pas ? À ce qui est libre et incorruptible à ce qui est soumis aux passions et à la mort ? À ce qui ne connaît pas le vice ce qui en tout temps habite et grandit avec lui ? Il y a une grande différence entre le modèle et celui qui est “à l’image”. Or l’image ne mérite parfaitement son nom que si elle ressemble au modèle. Si l’imitation n’est pas exacte, on a affaire à quelque chose d’autre, mais non à une image. Comment donc l’homme, cet être mortel, soumis aux passions et qui passe vite, est-il image de la nature incorruptible, pure et éternelle ? Seul celui qui est la vérité sait clairement ce qu’il en est. Pour nous, selon notre capacité, par des conjectures et des suppositions, nous suivrons la vérité à la trace […].

“C’est à l’image de Dieu que l’homme a été fait.” Ce qui équivaut à dire : il a rendu la nature humaine participante de tout bien. En effet, si la Divinité est la plénitude de tout bien et si l’homme est à son image, est-ce que ce n’est pas dans cette plénitude que l’image aura sa ressemblance avec l’archétype ? Donc, en nous, sont toutes les sortes de bien, toute vertu, toute sagesse et tout ce que l’on peut penser de mieux. Un de ces biens consiste à être libre de tout déterminisme, à n’être soumis à aucun pouvoir physique, mais à avoir, dans ses décisions, une volonté indépendante.

Car ce n’est pas dans une partie de la nature que se trouve l’image, pas plus que la beauté ne réside dans une qualité particulière d’un être, mais c’est sur toute la race que s’étend également cette propriété de l’image. La preuve, c’est que l’esprit habite semblablement chez tous et que tous peuvent exercer leur pensée, leurs décisions ou ces autres activités par lesquelles la nature divine est représentée chez celui qui est à son image. Il n’y a pas de différence entre l’homme qui est apparu lors du premier établissement du monde et celui qui naîtra lors de l’achèvement du tout : tous portent également l’image divine. »

GRÉGOIRE DE NYSSE,

Sur la création de l’homme, chap. XVI.

Sommaire

L'homme, image de Dieu, chez les Pères grecs

CPE n° 130

Éditorial — Marie-Anne VANNIER

Refléter l’image du Christ, Image du Dieu invisible — Régis BURNET

La double création de l’homme chez Philon d’Alexandrie — Jérôme MOREAU

L’homme, image de l’Image d’après Origène — Daniel VIGNE

À l’image de Dieu… homme et femme. Regards patristiques sur la différence des sexes — Guillaume BADY, Laurence MELLERIN

L’homme, image de Dieu ? « Sur l’origine de l’homme » selon Basile de Césarée — Marlène KANAAN

Maxime le Confesseur. Pour une dynamique de l’image divine en l’homme — Élie AYROULET

Actualité des Pères de l’Église

Éditorial

Après avoir envisagé, dans le numéro 128 de notre revue, la manière dont les Pères latins comprennent la création de l’être humain à l’image de Dieu, nous publions le deuxième volet des Rencontres nationales de patristique de Toulouse de juillet 2012, en passant cette fois aux Pères grecs.

En envisageant la patristique grecque, nous pensons immédiatement à une réflexion sur la théosis, sur la divinisation de l’être humain, créé à l’image de la Trinité, ce qui apparaît clairement chez Maxime le Confesseur. Nous verrons ce qu’il en est pour les autres Pères au fil des articles denses qui composent ce numéro.

C’est, tout d’abord, Régis Burnet qui propose une étude sémantique où il envisage, non seulement la distinction entre l’image et la ressemblance, mais aussi le rapport entre la création de l’être humain à l’image de Dieu et l’Image par excellence qui est le Christ.

Puis Jérôme Moreau reprend la question à partir de Philon d’Alexandrie, qui considère les deux récits de la création comme un seul, en deux étapes et qui situe l’image de Dieu dans l’intellect.

En abordant la question de l’image de Dieu chez Origène, Daniel Vigne relève un défi, car il intervient après la thèse d’Henri Crouzel sur la question, mais il va encore plus loin, en approfondissant l’image de Dieu à partir de la Trinité, de la création et du salut.

De manière originale, Guillaume Bady et Laurence Mellerin relisent principalement Tertullien et Grégoire de Nysse pour voir comment ils envisagent la différence entre l’homme et la femme, créés à l’image de Dieu.

Ensuite, Marlène Kanaan étudie la question de la création de l’être humain à l’image de Dieu dans le traité Sur l’origine de l’homme de Basile de Césarée.

Finalement, Élie Ayroulet met en évidence l’originalité de la compréhension de l’image de Dieu chez Maxime. Par le jeu de la liberté et de la grâce, elle est l’expression de « l’intentionnalité divine à diviniser (l’être humain) dans le Fils unique à l’image duquel il l’a créé ».

Ainsi les Pères esquissent-ils l’anthropologie chrétienne qui, sur bien des points, est encore parlante aujourd’hui.

Marie-Anne VANNIER

Refléter l’image du Christ, Image du Dieu invisible

L’homme est créé à l’image de Dieu : cette affirmation, sans cesse répétée depuis des siècles – et pas uniquement par les Pères, objets de nos rencontres – est probablement au fondement de notre modernité. C’est en effet par une réflexion sur l’imago Dei que se fonde la doctrine de la dignité de l’homme des humanistes comme on le voit à l’évidence chez Pic de la Mirandole[1]. C’est elle également qui est à la source de la troisième des Méditations métaphysiques de Descartes et qui permet de sortir de l’opération de tabula rasa, puisque nous avons en nous l’idée de Dieu[2]. C’est elle enfin qui est à la source de l’anthropologie chrétienne du XXe siècle[3], que ce soit dans la doctrine sociale de l’Église[4], dans Lumen Gentium (§ 40), ou dans la réflexion de théologiens tant catholiques comme Balthasar que protestants comme Moltmann et Barth[5]. Toutes ces lectures ont un point commun : une reprise de Genèse 1, 26-27 pour fonder en raison l’éminente dignité de l’homme, qui, comme le dit Barth, ne se révèle pas dans ce que l’homme dit ou fait, mais bien dans son existence même[6]. Or, ce qui est des plus surprenants, c’est que le Nouveau Testament ne reprend absolument pas cette théorie, ce qui semblerait pourtant tout naturel. En effet, la majorité des occurrences du terme εἰκών concernent des images gravées ou sculptées, comme la pièce à l’effigie de César (Mt 22, 20 ; Mc 12, 16 ; Lc 20, 24) ou bien l’idole faite à l’image de la bête de l’Apocalypse (Ap 13, 14.15 ; 14, 9.11 ; 15, 2 ; 16, 2 ; 19, 20 ; 20, 24). Une seule référence semble parler de cette théorie, mais elle est extrêmement polémique. C’est le passage dans lequel Paul parle de la femme et de l’homme et qu’il déclare : « L’homme, lui, ne doit pas se voiler la tête : il est l’image et la gloire de Dieu ; mais la femme est la gloire de l’homme » (1 Co 11, 7). On peut se demander si ce passage ne doit pas être compris comme une déclaration ironique qui ferait entendre le discours d’un autre[7] : Paul, manifestement, ne développe pas cette question de l’individu masculin image de Dieu et enchaîne sur la gloire. Les autres références du terme εἰκών se trouvent toutes dans Paul ou dans l’épître aux Hébreux, mais ne disent pas que l’homme est à l’image de Dieu. Serait-ce donc que pour les premiers chrétiens l’homme n’est pas à l’image de Dieu ?

I. Une conception de l’image caractéristique du judaïsme de diaspora

Pour comprendre le concept d’εἰκών chez Paul, il convient de faire un petit peu retour sur ce qui l’a précédé et de rappeler que l’apôtre est le représentant d’un judaïsme de diaspora qui s’épanouit dans la langue et la pensée grecques. Séparer judaïsme et hellénisme n’a pas de sens : il faudrait en effet au préalable définir ce qu’est le « judaïsme » dans sa pureté, alors que le propre de cette doctrine religieuse est de se constituer dans l’hybridité[8] avec les cultures dominantes, que ce soit sous les dynasties achéménides que lagides, séleucides, etc. Aussi se demander si Paul s’inspire, dans son concept d’image, d’un judaïsme gnostique[9] ou d’un long compagnonnage avec le platonisme[10] n’a tout simplement pas de sens.

Le texte de la Genèse et l’anthropologie biblique

Il est certain que Paul est lecteur des textes bibliques, et particulièrement du premier récit de création.

Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! » (Gn 1, 26).

Pour rester au plus près du texte, il convient d’en explorer les termes. L’expression-clef est be-tsalemnu, qui contient le trilitère tsalm. Celle-ci signifie la copie, la statue[11], y compris dans ses aspects corporels[12]. Le terme tsélem réfère en effet à ces intermédiaires de Dieu sur terre que sont les effigies. Nombreux sont en effet les religions du Proche-Orient qui, de Babylone à l’Égypte, pensent que la divinité se condense dans des images et que rendre visite à la statue, c’est rendre visite au Dieu. Aussi peut-on « voir Dieu[13] » : cette expression signifiait probablement que les fidèles allaient visiter la statue dans son sanctuaire[14]. De même, dans l’Égypte pharaonique, « voir le dieu » est le désir de tout fidèle. Celui-ci est présent et accessible par l’intermédiaire de ses statues et de ses représentations gravées ou peintes. Et ceux qui n’avaient pas le privilège de s’approcher de la statue se contentaient d’adresser leurs dévotions à l’une des nombreuses représentations du dieu, souvent en bas-relief[15]. Autrement dit, Adam est la statue de terre qui représente Dieu sur la terre, il est son seul représentant. Immédiatement, il est d’ailleurs institué dans des prérogatives divines puisqu’il a pour mission de commander aux autres créatures[16]. On voit la visée du récit qui s’inscrit dans un document sacerdotal, qui polémique contre les idoles et veut instituer le shabbat. Si c’est l’homme la seule image de Dieu, la seule « statue » de Dieu, alors les autres images n’ont pas lieu d’être[17]. Et d’autre part, si l’homme est à l’image du Dieu qui se repose le septième jour, alors il a la possibilité de participer à ce repos shabbatique[18]. Plus qu’une déclaration sur l’homme, c’est une déclaration sur le culte que fait la Genèse.

Et c’est d’ailleurs bien ainsi que l’ont compris les lectures araméennes et palestiniennes de ce texte, qui, de manière très surprenante pour notre modernité occidentale, ne développent pas d’anthropologie à partir de ce texte. Dans les sources proprement araméennes et palestiniennes, on remarque même qu’il y a un certain malaise. Dans les targumim, par exemple, on a tendance à ne pas traduire « image de Dieu », on se contente de traduire la ressemblance[19]. L’épître de Jacques, qui est très proche d’un judaïsme palestinien parle d’ailleurs des hommes τοὺς καθ᾽ ὁμοίωσιν θεοῦ, faits « à la ressemblance de Dieu », en évitant soigneusement le concept d’image (Jc 3, 9). Un examen des sources allant jusqu’au Second Temple[20] permet de montrer en outre que celles-ci ne développent pas une anthropologie très consistante. Les différences selon les sources sont importantes, et le texte est lu de diverses manières. Aucune lecture ne s’impose. Dans le judaïsme rabbinique, même si l’on subit l’influence de l’anthropologie grecque[21], on part dans une direction qui n’est absolument pas anthropologique. Les textes considèrent en effet que Dieu crée Adam dans un corps de lumière qui disparaît avec la chute : la fameuse imago Dei est donc perdue, ce qui empêche toute considération anthropologique ou morale[22].

La lecture de la Diaspora

La lecture que fait la Diaspora de ce texte est tout autre, et sa traduction nous le dit clairement : ποιήσωμεν ἄνθρωπον κατ᾽ εἰκόνα ἡμετέραν καὶ καθ᾽ ὁμοίωσιν. Le mot-clef est ici εἰκών qui nous plonge dans un tout autre univers : celui de la reproduction et de l’apparence. Dans le monde grec, en effet, seule l’εἴδωλον relève, par son origine étymologique, de la sphère du visible, car elle est formée sur un thème *weid- qui exprime l’idée de voir. Ce thème a donné le latin video, et se retrouve, en grec, dans le verbe ἰδεῖν « voir » et dans le nom εἶδος « idée », qui s’applique d’abord à l’apparence visible. Au contraire, l’εἰκών, au même titre que les verbes εἴσκω « rendre semblable » ou εἰκάζω « assimiler » ou l’adjectif εἰκέλιος « semblable », se rattache à un thème *weik- qui indique un rapport d’adéquation ou de convenance : ὅς ἐστιν εἰκὼν τοῦ θεοῦ τοῦ ἀοράτου, πρωτότοκος πάσης κτίσεως (Col 1, 15 BNT) est une transposition de l’essence dans le visible[23]. Comme l’avait fait remarquer Jean-Pierre Vernant, le terme semble être né au moment où l’on se pose la question du rapport avec la réalité : l’art est-il une représentation de la vérité[24] ? se demandent les Grecs, qui finissent par répondre oui, en inventant le terme εἰκών qui dit le rapport de similitude mais surtout le rapport de véracité. C’est dans ce sens que le comprend l’auteur de l’épître aux Hébreux lorsqu’il critique la Loi en disant : « Ne possédant que l’esquisse des biens à venir et non l’expression même des réalités, la loi est à jamais incapable, malgré les sacrifices, toujours les mêmes, offerts chaque année indéfiniment, de mener à l’accomplissement ceux qui viennent y prendre part » (He 10, 1). Dans cette phrase le traducteur de la TOB a parfaitement raison de traduire οὐκ αὐτὴν τὴν εἰκόνα τῶν πραγμάτων par « l’expression même des réalités » et non par « l’image des réalités » puisque l’auteur construit une opposition entre σκιά « l’ombre » et εἰκών, montrant bien que l’image est pour lui du côté de la réalité.

C’est bien cette compréhension qui est reprise dans la pensée de Platon, qui oppose idole et icône. L’εἴδωλον est un piège de l’apparence auquel se prennent les ignorants à laquelle s’oppose l’εἰκών qui « mène du visible à l’invisible et reproduit, trait pour trait, la structure de la forme », pour reprendre la définition de V. Goldschmidt[25]. Les εἰκόνες ne sont pas seulement des moyens de faire accéder à la connaissance des êtres incarnés. Elles constituent le tissu même de la réalité sensible. Dans le Timée[26], le κόσμος est en effet une « icône » fabriquée par un Démiurge qui a les yeux fixés sur la forme comme sur un modèle (παράδειγμα)[27]. Mais son imitation n’est pas une copie. Il ne reproduit pas l’apparence sensible de la forme qui, par définition, n’en a pas, mais il transpose dans le sensible le rapport qui la constitue dans l’intelligible. Le monde des idées, le κόσμος νόητος est perceptible dans le monde du visible, le κόσμος αἴσθητος par les εἰκόνες.

Ce détour par la langue et la philosophie grecques permet de comprendre le sens nouveau qu’il faut donner à la création de l’homme comme image de Dieu. En effet, il ne s’agit plus d’en faire le véritable représentant de Dieu sur terre en concurrence avec les statues des dieux qui ne sont que des idoles, mais bien une expression adéquate de la divinité. Seule cette lecture permet d’expliquer la compréhension philonienne – dont on vient d’entendre parler –, où l’on ne répugne pas à dire que l’homme a été créé à l’image du logos, c’est-à-dire à l’image de l’image[28].

II . Restaurer l’image de Dieu

L’iconoclasme humain

Ces précisions vont s’avérer tout à fait nécessaires lorsqu’il s’agit de comprendre Paul, dont toute la pensée est informée par cette définition de l’image comme expression juste du divin. En effet, s’il ne dit jamais, à l’exception du passage des Corinthiens déjà mentionné, que l’homme est à l’image de Dieu, c’est que pour lui, cette image a été pervertie. L’un des passages clefs se trouve dans l’épître aux Romains. Parlant des hommes, il affirme clairement qu’ils se sont détournés de Dieu en Romains 1, 20-24.

Ce texte décrit le tragique mouvement du péché. Celui-ci commence par un mouvement d’éloignement de Dieu que Paul décrit comme une folie. Celle-ci a pour base un éloignement de Dieu, visible pourtant dans sa création. Et la preuve que cet éloignement concerne l’image que l’homme se fait de lui et de Dieu, c’est que le résultat est l’idolâtrie : « ils ont troqué la gloire du Dieu incorruptible contre des semblances représentant l’homme corruptible, des oiseaux, des quadrupèdes, des reptiles. » Au lieu d’adorer la gloire de Dieu, c’est-à-dire de faire correspondre le type et son contretype, ils ont choisi d’adorer des semblances, des ὁμοιώματα. Le terme choisi dit bien la confusion dans laquelle ils sont : tandis que l’image est bien la représentation d’un archétype, l’ὁμοίωμα est de l’ordre de l’accidentel ou de l’artificiel[29]. Ils refusent ce faisant l’image. Aussi, pour parachever la destruction, Dieu les livre-t-il à ce qui « avilit » le corps, en grec ἀτιμάζω, ce qui dés-honore, comme pour détruire l’image somatique puisque l’image spirituelle avait déjà été mise à mal. C’en est donc fini de l’homme icône de Dieu, c’est-à-dire juste expression corps et esprit de Dieu.

Le Christ, icône de Dieu

Si le terme « image » ne s’applique plus à l’homme, il est souvent attribué au Christ. On peut par exemple citer le célèbre verset de l’épître aux Colossiens, qui, si elle n’est pas forcément du Paul authentique, prolonge assurément sa pensée :

Il est l’image du Dieu invisible, Premier-né de toute créature (Col 1, 15).

Si l’homme n’est plus l’icône, le Christ l’est demeuré. Il faut bien donner à εἰκών son sens plein de description de l’essence, et presque de manifestation[30]. Comme le disait le P. Spicq, le Christ est ici la réalité même de l’archétype divin en tant qu’elle se manifeste[31], il est l’expression du Dieu invisible[32].

Expression du Dieu invisible et non manifestation du Dieu invisible. Encore une fois, l’image n’est pas forcément du côté du visible. En effet, le texte ne dit nullement que le Christ est visible, ni comme dans le milieu johannique, qu’il « manifeste » le Père. Il faut, avec Origène, maintenir que si Dieu est invisible, le Christ l’est aussi[33] car il se tient du côté de la divinité et donc de son invisibilité[34]. Et c’est d’ailleurs une expérience commune : jusqu’à preuve du contraire, le Seigneur ressuscité ne nous est pas visible[35]. Parler de « Dieu invisible » ne veut pas dire que Dieu est en soi invisible, comme l’avait remarqué Bultmann, mais bien qu’il excède les capacités de vision de l’homme : heureusement, une vision eschatologique sera possible[36].

Ce qui importe c’est que l’icône soit retrouvée. Le Christ a en effet la même fonction que l’homme en Genèse 1, 26-28 : il est bien l’image de Dieu car il a un mandat de domination sur la création[37]. « Tout est créé par lui et pour lui », précise le texte. Sa figure excède cependant celle de l’homme, comme l’avait bien vu le P. Feuillet : le texte est construit sur le modèle de la Sagesse, image de Dieu. C’est pourtant une vraie nouveauté, car jamais le messie préexistant n’est égalé à la Sagesse[38]. En même temps, c’est bien une nouveauté par rapport au platonisme, car le Christ est aussi un sujet et pas une simple manifestation[39].

Le renouvellement en miroir

Cette dernière remarque nous oriente vers le sens à donner à ce jeu d’image. En effet, pour Paul, si le Christ est l’image de Dieu (comme il le dit ailleurs textuellement en 2 Co 3, 4), c’est pour rendre à l’homme son image. Et ce renouvellement iconique ne peut se faire qu’en miroir et progressivement, pour Paul.

Concluant sur une opposition complexe qu’il construit entre Moïse voilant son visage et les apôtres s’avançant dévoilés, c’est-à-dire entre une Loi voilée et un Évangile dévoilé, il s’écrie :

Et nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande par le Seigneur, qui est Esprit (2 Co 3, 18).

Élucidons immédiatement la référence sous-jacente