La Loi du Silence - Nicolas Bouvier - E-Book

La Loi du Silence E-Book

Nicolas Bouvier

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Beschreibung

2020. Lycée Albert-Camus. À 30 ans, Jérôme Marchand devient le nouveau professeur de français des élèves de terminale littéraire et de seconde. Mais le système scolaire a bien changé.

Alors que le baccalauréat se prépare, les programmes scolaires changent brusquement, obligeant Jérôme à revenir aux fondamentaux et à marginaliser sa manière d’enseigner.
Alors que Jonathan Perrot, son ennemi d’hier qui avait pourtant fait la paix avec lui, revient pour régler ses comptes, il devra faire face aux violences subies par sa fille à l’école primaire, tout en prenant garde d’être vigilant à celles qu’il subit au lycée, avec ses élèves. Confronté et impuissant face à tout le système scolaire, Jérôme arrivera-t-il à faire carrière dans l’enseignement et à se faire entendre par les institutions ?

Dans ce roman, Nicolas Bouvier s'inspire de ses propres expériences pour dénoncer le harcèlement scolaire

EXTRAIT

Je ne dors pas. Quelque chose m’en empêche. La peur, l’angoisse du lendemain, le début d’une nouvelle vie professionnelle, d’une nouvelle carrière qui s’annonce…
Suis-je prêt à l’affronter, à y faire face, comme tous ceux qui y sont passés avant moi ? N’y-a-t-il rien que je ne puisse faire pour relativiser cette situation ?

Maintenant, ça y est. J’angoisse. Je viens d'obtenir mon diplôme de l'Ecole Supérieure du Professorat et de l'Education (ESPE) et je vais devenir professeur de français dans mon ancien lycée Albert-Camus. J’ai le trac. Affronter trente élèves, ce n’est pas comme faire face à trente adultes lors d’une conférence. Surtout lorsqu’on n’y est pas préparé.
Alors quoi ?
Devrais-je baisser les bras et me reconvertir ?
Pour faire quoi ?
Et où ?
Non. Je dois y aller. C’est normal d’avoir le trac, un peu comme avant de monter sur scène, de passer un oral…
Quand il faut y aller, faut y aller.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Nicolas Bouvier né le 21 septembre 1990 est un écrivain engagé contre le harcèlement scolaire.
Ancienne victime au collège, il intervient aujourd’hui en tant que membre d’honneur de l’association « Les Parents » dans les établissements scolaires et sous forme de conférences caritatives auprès du grand public.
Sa carrière a commencé en 2011 avec la publication de « Sentiments Partagés », puis de « Scrupules » (2012), « Renaissance » (2013), un récit de vie intitulé « Une famille en danger », puis « Souviens-toi » qui a obtenu le Prix Émeraude « Livres en Quercy » en 2015.
« La Loi du Silence » est son sixième livre.

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PréfaceNicolas ou la fidélité

Après quelques vagabondages littéraires qui, avec par exemple « Une famille en danger » et « Souviens-toi », ont mené Nicolas Bouvier sur les pentes salvatrices de l’évasion, le jeune-homme-bien-comme-il-faut, sorte de futur gendre idéal pour clubs-services, a bien évolué… dans la fidélité.

Dans ce nouveau roman, on retrouve Jérôme Marchand, cet adolescent meurtri de « Sentiments partagés » de « Scrupules » et de « Renaissance » (Précieuses écritures) jadis parti en croisade contre le chauffard qui a bouleversé sa famille (et qui s’avéra être un collègue de son père disparu) mais aussi contre le harcèlement scolaire.

Le cadre ? Un lycée Albert-Camus ressemblant à tous les bahuts de France et de Navarre…

Mais Jérôme, l’antagoniste de Jonathan Perrot, d’Alexandre Verger et de toute une petite bande de sadiques en herbe, est cette fois du (bon) côté de la classe. Prof, il va être confronté, pour le meilleur et pour le pire, aux coulisses de cette Education Nationale dont on parle tant mais qu’au fond on connaît si mal.

Adieu le jeune premier des salons du livre campagnards, adieu le p’tit gars aux cravates impeccables, suivi par ses parents : Nicolas Bouvier nous joue cette fois, sur la base des mêmes personnages mais « grandis », un ouvrage d’anticipation, de suspense mâtiné tout à la fois de polar et de thriller.

« Celui qui ouvre une école, ferme une prison », disait Victor Hugo. Avec son prénom à la fois enfantin et présidentiel, Nicolas se réfère à ce mot pour porter la question du harcèlement scolaire au plus haut niveau. Comme, toute proportion gardée, le même Hugo avait su porter sur la place publique la question de la peine capitale…

Nicolas Bouvier, un type BCBG ? Allons donc, plutôt un combattant de terrain d’un milieu scolaire insaisissable, qui ne se laisse pas claquemurer entre pupitre et tableau noir. Un garçon de qualité qui vainc une certaine pudeur à grands coups de règle en bois sur les oreilles des tortionnaires de Poil de Carotte…

Alain Bernard

AVANT-PROPOS

Avez-vous déjà imaginé l’école du futur, avec toutes ses machines, ses méthodes d’enseignement et l’évolution de ses institutions ?

Avez-vous déjà imaginé le ressenti d’un enseignant face à une classe qui lui est hostile, à des parents qui le considèrent plus comme un ennemi que comme un professionnel qui tente d’exercer son métier de la meilleure manière possible ?

Avez-vous déjà été à la place d’une victime de harcèlement scolaire qui n’est pas écoutée par les institutions, tout simplement parce qu’il y a une omerta, un tabou… et qui est vue comme quelqu’un pratiquant la « victimisation » ?

Avez-vous déjà imaginé les traumatismes qui peuvent découler du harcèlement scolaire ?

Avez-vous déjà été victime de cyber-harcèlement, de ce lynchage virtuel, de ce « harcèlement sous-terrain » ? Savez-vous que l’on peut en mourir ?

Avez-vous déjà connu la loi du silence ?

C’est ici que s’ouvrent les portes de la loi du silence, du déni de la réalité et de la peur au ventre. Parents, élèves, enseignants, chacun de nous a connu de près et/ou de loin cette forme de violence.

On ne va pas à l’école pour mourir, mais pour s’instruire !

« L’avenir dépend de ce que nous faisons dans le présent » Gandhi

« Celui qui ouvre une porte d’école, ferme une prison » Victor Hugo

À Pauline, Noélanie, Marion, Mattéo

Et à toutes les victimes de harcèlement scolaire, passées, présentes et à venir

À Timothy Penthaud et à toutes les victimes des attentats qui ont eu lieu en 2015

Première Partie

1.

Je ne dors pas. Quelque chose m’en empêche. La peur, l’angoisse du lendemain, le début d’une nouvelle vie professionnelle, d’une nouvelle carrière qui s’annonce…

Suis-je prêt à l’affronter, à y faire face, comme tous ceux qui y sont passés avant moi ? N’y-a-t-il rien que je ne puisse faire pour relativiser cette situation ?

Maintenant, ça y est. J’angoisse. Je viens d'obtenir mon diplôme de l'Ecole Supérieure du Professorat et de l'Education (ESPE) et je vais devenir professeur de français dans mon ancien lycée Albert-Camus. J’ai le trac. Affronter trente élèves, ce n’est pas comme faire face à trente adultes lors d’une conférence. Surtout lorsqu’on n’y est pas préparé.

Alors quoi ?

Devrais-je baisser les bras et me reconvertir ?

Pour faire quoi ?

Et où ?

Non. Je dois y aller. C’est normal d’avoir le trac, un peu comme avant de monter sur scène, de passer un oral…

Quand il faut y aller, faut y aller.

3 septembre 2020 : 8 heures

« Mesdames et messieurs, j’ai l’honneur et le privilège d’accueillir dans notre équipe un nouveau membre. Vous le connaissez tous pour sa notoriété littéraire, pour son combat contre le harcèlement scolaire, mais vous allez à présent le connaître pour le poste qu’il va désormais occuper. Il enseignera le français dans notre beau lycée Albert-Camus, un établissement qu’il connaît bien étant donné que c’est ici même qu’il a obtenu son baccalauréat en 2008. Il sera également le professeur principal de la classe de terminale littéraire.

Bienvenue à vous, Jérôme Marchand ! »

Les professeurs applaudissent et me saluent. Le proviseur, Pierre Valois, ancien enseignant en mathématiques, que j’ai vaguement connu lorsque j’étais lycéen, me tend le micro. Me retrouver dans cette nouvelle assemblée de professeurs procure une sensation assez particulière.

Pourtant, le choix de ce métier n’était pas naturel, loin de là. Je m’étais toujours promis de ne jamais enseigner. Ce que j’avais vécu en tant qu’élève avait déjà été assez pénible pour ne pas réitérer l’expérience de l’école en passant de l’autre côté du miroir.

Revenir dans ce lycée où j’ai vécu tant de souvenirs, bons et mauvais, est étrange. Je tente de faire abstraction du passé, mais il m’est impossible d’oublier le passage de Jonathan Perrot et d’Alexandre Verger, ces fantômes du passé qui ressurgissent instantanément dans mon esprit dès lors que j’observe la cour du lycée. Les bagarres, les coups de cœur, les histoires d’amour, les ruptures aussi… Tels sont les aléas des adolescents.

C’est à cette époque-là que j’ai ressenti ma vraie différence avec les autres. Bien que ce sentiment ait déjà commencé au collège, c’est réellement au lycée que j’ai compris que je n’étais pas en phase avec la société dans laquelle je vivais.

Est-ce que ce sera le cas demain ? Après-demain ? Dans un an ?

Face à mes nouveaux collègues, je prends le micro et me racle la gorge afin de m’éclaircir la voix.

« Chers collègues, c’est avec une certaine émotion et fierté que je reviens ici, après toutes ces années, pour enseigner le français. Je vous remercie de l’accueil que vous me faîtes aujourd’hui, bien que certains d’entre vous aient eu du fil à retordre avec moi, surtout au niveau des matières scientifiques !

Quelques personnes rient dans la salle, notamment les professeurs de mathématiques, de biologie et de physique-chimie.

« Je souhaiterais également rendre hommage à un de mes anciens professeurs – ceux que je n’ai pas eus, vous m’excuserez – comme vous, monsieur Valentin, mon professeur de philosophie en terminale littéraire, qui m’a donné envie d’enseigner, vocation que je n’avais alors pas à ce moment-là. »

Il me fait un signe de la main, souriant.

« Vous savez, être professeur doit être une vocation, un engouement pour nous tous. Nous exerçons ce métier pour transmettre un savoir, des connaissances et quelque chose que les parents font d’une autre manière : la vie.

Notre tâche est lourde, mais noble et nous n’avons pas le droit d’échouer. J’essaierai d’être irréprochable, comme vous l’êtes également, j’en suis persuadé. Merci à vous qui m’avez enseigné durant quelques années l’essentiel de ce qu’il fallait savoir pour bien démarrer dans la vie professionnelle. Je transmettrai donc le flambeau à nos élèves, soyez-en sûrs.

Je vous remercie. »

Des applaudissements retentissent dans la salle des professeurs, sous le regard paternaliste du proviseur. Voir mon ancien professeur de philosophie me touche beaucoup, car il m’a sauvé la vie face à Antoine Verger par le passé, ce chauffard qui a tué ma sœur, devenu par la suite un meurtrier qui s’était fait passer pour quelqu’un de bien auprès de ma mère et qui, finalement, était le père d’un de mes pires ennemis.

Jamais je ne l’oublierai.

Je n’oublie pas également mes anciens amis du lycée. Je veux bien entendu parler de François Bavière et Cécile Dauvoir, qui m’ont toujours été fidèles, quel que soit le moment.

Récemment, j’ai assisté à leur mariage avec ma femme Marie, avec qui je suis marié depuis quelques années déjà. Nous filons un bonheur parfait avec notre fille Alice, six ans. Mais voir mes deux meilleurs amis s’unir pour la vie a été un de mes plus grands bonheurs. Ils ont eu une fille en 2015 qu’ils ont appelé Judith et je suis devenu le parrain de cet adorable bébé qui a maintenant cinq ans.

Le temps passe vite, vous ne trouvez pas ?

François, qui détestait les langues étrangères à l’école, est devenu, contre toute attente, un excellent guide conférencier passionné par la Cité de Carcassonne où il exerce quotidiennement son métier, ce joyau architectural du sud, étant ainsi le troisième site le plus visité de France avec plus de quatre millions de visiteurs par an, dont environ 700 000 visiteurs seulement pour le 14 juillet.

Cécile est devenue professeure de français agrégée au Lycée Paul Sabatier à Carcassonne. Elle aime son travail, il aime le sien et je suis vraiment heureux pour eux.

Après François et Cécile, je pense à Manuel et Vincent, mes anciens camarades de fac. Ces deux-là travaillent du côté de Bordeaux. Le premier est avocat et le second est notaire. Je garde quelques contacts avec eux, surtout avec Manuel avec qui j’ai passé d’excellents moments, il faut bien le dire.

Les soirées étudiantes surtout.

Finalement, tout cela ressemble au petit monde que j’ai côtoyé, jadis, mais qui me manque aujourd’hui. Mais c’était sans oublier ma femme et ma fille. Marie a ouvert son salon de thé et elle est épanouie entre les préparations des chocolats, des cafés et l’accueil de la clientèle, pendant que ma fille fait sa scolarité à l’école Jean-Moulin en CP. C’est une bonne élève, brillante, blonde aux yeux bleus, presque tout le portrait de sa mère et un peu de moi. J’ai de la chance, je suis heureux, avec une famille formidable, un job qui me plaît et une activité passionnante.

Que demander de plus ?

Mes rêves se sont réalisés : me marier, avoir des enfants, faire ce que j’aime et devenir écrivain. Je continue toujours mon combat contre le harcèlement scolaire, tout en sachant que mes tentatives d’hier ont échoué, pour le meilleur et pour le pire et qu’elles auront beaucoup de difficultés à réussir demain.

Mais qui ne tente rien n’a rien.

J’ai toujours voulu aider les victimes de ce fléau inacceptable, dès lors que j’ai compris que je pouvais faire quelque chose pour aller plus loin que la sensibilisation.

C’est ce travail essentiel que j’ai à côté de celui d’enseignant : l’engagement.

On ne naît pas engagé, on le devient par la force des choses, des circonstances, des situations diverses et variées qui nous mettent dans des positions souvent inconfortables, mais aussi par l’envie, les convictions, les idéaux, tout ce qui fait que l’on se bat jour après jour pour améliorer la condition humaine en utilisant des mots accessibles à tous, compréhensibles, mais qui sont lourds de sens et de conséquences. Après de multiples apparitions dans tous les types de médias possibles, j’ai réalisé que ma place était dans le feu de l’action, à essayer d’aller le plus loin possible pour bouleverser le système.

Cela dérange, mais c’est le principe d’un auteur engagé de déranger, de taquiner, de toucher du doigt les points sensibles, les sujets tabous, polémiques, à la limite de la censure, du blasphème.

La jeunesse n’est pas en reste en matière d’écriture. J’ai été l’un de ces jeunes à sortir de l’inconnu pour m’exprimer, mais combien sont-ils à attendre leur tour derrière moi ? Eux aussi ont beaucoup de choses à écrire, à déclarer, à crier, à revendiquer et, non seulement leur vie a une importance cruciale dans le monde d’aujourd’hui, mais leur vision de la vie est également révélatrice d’une société qui s’effondre et qui se meurt jour après jour, d’où cette conséquence :

Pour faire réagir, il faut choquer.

C’est pourquoi j’ai pris le parti d’écrire depuis l’adolescence car, dès cette époque, j’avais des choses à dire sur le fonctionnement de la société, des hommes, des femmes… De la vie, en somme.

Le droit n’a pas été ma tasse de thé au bout d’un moment, à cause de ce côté engagé qui m’a collé à la peau et qui n’était pas en adéquation avec ce que je voulais faire. Cela me poursuit, et pourtant, je n’ai rien fait pour que cela arrive. J’avais plus de facilité à écrire un roman qu’à écrire une dissertation de dix pages sur la différence entre le droit administratif et l’administration. Alors, j’ai préféré arrêter pendant qu’il était encore temps que de perdre mes journées en futilités. J’ai compris au bout d’un moment que je ne serais jamais heureux dans cet univers-là.

Après les présentations d’usage, la sonnerie du lycée retentit, me ramenant à mes lointains souvenirs d’adolescents. À l’époque, une musique accompagnait la sonnerie, comme Jean-Jacques Goldman, Ray Charles, Green Day, Maroon 5 ou encore Les Beatles. Avoir une musique qu’on aime en guise de sonnerie pour nous accompagner en cours était un luxe que peu de lycées pouvaient se permettre, je le reconnais encore aujourd’hui.

À présent, c’est la musique de « Homeless » de Marina Kaye qui résonne dans les interphones :

« In this bed where I rest

I’m homeless

This house I know best

But I’m homeless »

Les jeunes filles défilent devant moi comme des mannequins. L’été est encore présent et, comparé à il y a une dizaine d’années, les jupes ont raccourci. Les décolletés se sont approfondis également, faisant la joie des garçons qui les « matent » de loin.

Le lycée. Rien n’a changé.

Mais je ne suis plus un adolescent. À présent, j’ai des responsabilités en tant que professeur de français et professeur principal d’une classe qui prépare un examen important, crucial dans la vie d’un adulte en devenir. Je dois donner l’exemple et être à la hauteur. Pour cela, je me dirige vers la salle de cours des terminales qui se situe dans un grand bâtiment où se trouve toujours la fameuse salle de piano que j’ai laissée à la poussière pendant des années. Certains élèves y ont sûrement touché depuis, mais ses touches noires et blanches me manquent, malgré son manque d’accordement. Un piano droit et blanc qui lui donnait une teinte classique et un aspect enjôleur dans une salle où j’ai vécu certains émois d’adolescents. C’était le repère secret des amoureux transis, des joies inespérées, des chagrins d’amour, des envies sexuelles. Chaque adolescent aura laissé un souvenir dans cette salle qui possède depuis tant d’années le secret de ces lycéens devenus adultes désormais.

Je suis l’un d’entre eux.

Les escaliers sont toujours aussi nombreux à monter pour arriver à ma classe. Les élèves attendent sagement contre le mur, tels que je les imagine. Certains sont déjà blasés des cours avant même d’avoir commencé, d’autres trifouillent leurs smartphones, leurs ipad et leurs ipod, pendant que d’autres lisent. Ce sont des filles pour la plupart. Et il y a un ou deux élèves qui se retrouvent seuls parmi la foule, comme s’ils souhaitaient être oubliés pour toujours dans cet espace-temps où la réalité n’existe pas, mais où une bulle magique leur permettrait de sortir de ce lycée.

En me voyant, ils se relèvent. Ils n’ont probablement pas l’habitude de voir un professeur en costard cravate, alors certains sourient, voire rigolent.

— Un souci ? leur dis-je en souriant.

Leur sourire se referme, mais l’un d’entre eux me dit :

— Eh m’sieur, pourquoi vous êtes en costard cravate ? On est au XXIe siècle, c’est ringard !

— Peut-être, mais j’ai remarqué que la bêtise humaine s’était très bien installée dans ce siècle. Allez, entrez.

Tout le monde avance en silence et chacun s’assied. Quelques secondes suffisent pour que chaque élève trouve sa place. Je leur fais face en m’asseyant provisoirement à mon bureau, vide pour le moment. Une sensation de nouveauté et de fraîcheur m’envahit et je suis à la fois anxieux et excité de commencer cette nouvelle année scolaire 2020-2021.

Mais je n’arrive pas à rester assis derrière mon bureau en les regardant dans le blanc des yeux. Je dois bouger, être mobile, leur montrer que je ne suis pas comme les vieux professeurs bedonnants qui n’ont plus la force de se mobiliser pour leur apprendre quelque chose. Je suis encore jeune, du moins pour quelque temps encore (à 30 ans, j’ose l’espérer), alors j’en profite. Je parcours la salle en les observant. Certains me regardent bizarrement, probablement en se demandant pourquoi je fais le tour de la classe, comme l’attitude de ces professeurs, gravée dans les livres de Pagnol.

Mais après les observations, le cours commence.

2.

Je retourne à mon bureau après un silence pesant. Mes chaussures résonnent sur le parquet fraîchement lavé par la femme de ménage. J’ai l’impression de sentir les cœurs de chacun résonner dans cette salle éclairée par un soleil de feu.

Je m’assieds au bord du bureau pour faire face aux terminales.

Mes premiers mots sont simples :

— Bonjour à toutes et à tous.

« Bonjour » répondent-ils faiblement.

— J’espère que vous avez passé de bonnes vacances.

Un vague « oui » se dégage de l’assistance. À croire qu’ils auraient voulu faire durer le plaisir. Comme tout le monde.

— Je suis votre professeur de français, je m’appelle Jérôme Marchand. Je suis également votre nouveau professeur principal.

Aucun signe d’enthousiasme ne semble les atteindre. Ils me regardent avec une attitude de zombies et je me demande même s’ils parlent. C’est assez déroutant. Heureusement que j’ai l’habitude de côtoyer des gens en dédicaces et en conférences, ce qui fait que je ne suis pas tellement surpris par leur indifférence. Je pense même que je m’y attendais.

Mais je ne perds pas la main et tente de les faire réagir.

— Avant de faire plus ample connaissance avec vous, je vais un peu vous parler du programme de français prévu cette année. Il porte sur le thème de « Lire, écrire et publier » qui