Le bébé requin - Georges Richardot - E-Book

Le bébé requin E-Book

Georges Richardot

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Beschreibung

Autobiographie, fiction et auto-fiction se mêlent inlassablement pour former ce roman atypique et original.

Autobiographique ? On pourrait le penser. En vérité, l’auteur est formel, pas la moindre relation !… Encore que… telle ou telle anecdote… À condition de faire dans la nichée un tri sévère, d’intervertir le gris et le rouquin, de débarbouiller le cheptel sans lésiner sur le shampooing, une chatte y retrouverait quelques-uns de ses petits… Pauvres minous, attendrissants de véracité, égarés, ballottés dans un monde embrouillé à plaisir ! Ces « limborigènes » (sous leur désinvolture, probables manipulateurs du guignol dans sa globalité), ces rejetons surdoués cannibalesques, ces éditeurs sans foi ni loi, ces traîtresses de femmes : pures fictions ? On veut encore l’espérer !

Un ouvrage à l'écriture unique et reconnaissable entre mille, Le bébé requin ne cessera de vous surprendre.

EXTRAIT

« Échec et mat ! »… Se relâchant dans son fauteuil imaginaire, Jean-Jacques soupira d’aise. Comme chaque fois qu’il jouait contre lui-même, la partie avait été rude, d’autant plus tonique. Désormais, il se sentait en mesure de faire face aux aspects les plus ingrats de la situation. Pour se le prouver, il émit un rot en adéquation parfaite avec le personnage embryonnaire qu’il pouvait maintenant réendosser dans des conditions psychologiques satisfaisantes.
L’orgue s’était arrêté sans qu’accaparé par le jeu, il y prît garde. Tendant l’oreille vers le souffle de sa mère, il eut un moment d’inquiétude : il avait cessé de l’entendre. Dégringolant de sa couche malcommode, il courut aussi vite que le lui permettaient ses courtes jambes vers le lit, qu’il escalada.
Paisiblement, elle dormait. Rassuré, attendri, il la contempla. Elle se superposait à l’image qu’il portait en lui. Bien jolie, nonobstant les traces de lassitude, de désenchantement qui avec des survivances de fraîcheur virginale se partageaient son visage.

À PROPOS DE L'AUTEUR

“Un texte, je le reprendrai, dans quelques mois, quelques années, quand il aura cessé d’être à vif, dès lors engourdi d’une anesthésie naturelle propice à la chirurgie. Et puis d’autres fois, d’autres fois, jusqu’au Jugement Dernier…”
Né il y a quelques lustres (sic) à Épinal (Vosges), Georges Richardot est établi à Vence (Alpes-Maritimes).

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Georges Richardot

Le Bébé-Requin ou le charme discret du parricide

Avertissement

Tout défaut de ressemblance avec des personnes existantes ou aspirant à l’être serait, sauf preuve du contraire, imputable à ces dernières. Bien évidemment, il leur appartiendrait de prendre rang sans pleurnicher. (N’est-ce pas ce que font quotidiennement les auteurs courant après leurs personnages ?)

Première partie

1

Il serait trop tentant, après coup, de voir dans la date de naissance de Jean-Jacques un signe d’élection. Ce qui, par contre, est indubitable c’est qu’elle aida à passer à peu près inaperçue une entrée dans le monde passablement singulière.

À l’heure où nous découvrons notre jeune candidat à l’hominité – le 25 décembre, en milieu de matinée – règne à la maternité une ambiance, Dieu merci, inhabituelle. La fraction du personnel de repos en ce jour de fête semble avoir mis un point d’honneur à faire une apparition peu discrète, venant d’ailleurs à point nommé masquer le relâchement de concentration des collègues en service. On se congratule de bourrades, de baisers sonores, pour passer sous silence les effusions inavouables terrées dans les quelques recoins obscurs…

S’évadant en esprit de ce tumulte peu hospitalier, la maman de Jean-Jacques s’était endormie. Quant au bébé, du fond de son berceau voisin, il contemplait avec perplexité son géniteur, lequel venait de se présenter à lui sous un jour rien moins qu’avantageux. À peine arrivé, les cheveux en bataille, ne s’était-il pas lancé dans un festival de guili-guili et autres âneries de nature à détourner de la carrière un bataillon de nurses anglaises ?

Quelle inspiration, alors, saisit le nouveau-né ? Nous présumerons qu’excédé et apitoyé à la fois par les efforts dérisoires de l’apprenti papa pour établir une communication conforme aux préjugés les plus surfaits, il voulut, dans une intention pareillement louable, le dispenser de poursuivre un effort mal payé de retour.

Imaginez l’effarement du père (mais commençons à l’appeler Adrien, tel étant son nom) ! D’abord, il n’en crut pas ses oreilles. Le choc fut si brutal qu’il revint à un langage intelligible pour prier son rejeton de répéter ses propos sibyllins, ce à quoi son interlocuteur consentit de bonne grâce…

Adrien dut se rendre à l’évidence : il n’était pas victime d’une hallucination éthylique. Bien entendu, c’est à son épouse – Hélène – qu’il tint à réserver la primeur du « scoop », mais elle résista à sa tentative, qu’il est vrai, les circonstances voulaient peu insistante, de la réveiller.

Se ruant dans le couloir, il abattit la main sur le premier quidam en blouse praticienne qui tomba sous elle : un jeune interne, arborant sans plus de honte que de morgue la physionomie égarée de mise ce jour-là…

– Vous voulez dire le 249, de 6 heures 37 ?

– Bon dieu, nous ne sommes pas à la SNCF ! Cantrel, le mien, quoi !

– Écoutez, mon vieux, feriez mieux de rentrer chez vous faire dodo ! Se lancer dans un discours, à peine sorti du ventre maternel, où vous avez vu jouer le sketch ? J’ai bien l’honneur, ravi de vous avoir rencontré par un si beau matin !

– Attendez : c’est même pas tellement le fait qu’il parle !

– Ben, voyons ! Après tout, c’est Noël !

– J’admets que ça paraît gros, mais le plus ébouriffant, c’est que ce diable pratique au moins une langue étrangère. Et pas l’anglo-américain, ce qui ne ferait qu’enfoncer un clou qui n’en a guère besoin.

– Oh, là, rien qui m’étonne. Tenez, je parie que je devine laquelle, de langue… Le Lilliputien, à moins que le Martien ? Dites-moi si je me trompe ?

– Il n’a lâché que quelques phrases, mais j’ai formellement identifié du batave des hauts plateaux, que j’ai de bonnes raisons de reconnaître !

– Cher monsieur, je reviens à mon diagnostic initial. Le mieux que vous puissiez faire, c’est de courir dans votre lit hiberner une semaine ou deux ! Téléphonez-nous dès que le jeune Einstein aura décroché son Nobel de langues orientales !

Il échappa à la poigne mal assurée du procréateur et prit en rasant les murs la direction d’une porte ouverte au fond du couloir, qui laissait se répandre un joyeux brouhaha.

Pensivement, Adrien regagna la chambre. Le bébé, paisiblement, dormait, ou en faisait mine. Quant à Hélène, elle émettait un ronflement qui, si léger fût-il, n’était pas dans ses habitudes : façon comme une autre de s’isoler, pensa le mari, ressentant le poids de sa propre solitude.

À la réflexion, peut-être le diagnostic de l’interne n’était-il pas dénué de pertinence. Il fallait bien admettre qu’au bar proche, sous la pression de joyeux fêtards, il avait copieusement arrosé la longue attente. Prendre quelques heures de repos, en sorte de s’éclaircir les idées, serait joindre l’utile à l’agréable, surtout si Christa, la jeune Hollandaise au pair…

Décrochant sa parka, il sortit en sifflotant…

2

Revenons à Jean-Jacques. Dès que le père l’eut libéré de sa présence, il se dressa sur son séant. Après avoir vérifié que sa mère continuait à dormir, il s’extirpa du berceau et se dirigea vers la porte, qu’il ouvrit.

Le corridor était désert. D’un bureau lointain sortait une rumeur avinée. De toute évidence, le personnel soignant courtisait quelques bouteilles. Notre jeune explorateur en profita pour risquer un œil dans la pièce vis-à-vis, d’où provenait un tumulte d’une nature bien différente, que son oreille identifia comme des glapissements de nouveau-nés laissés à l’abandon.

Constatant l’état pitoyable du cheptel, il leva les yeux au ciel. Baveux, grouillant de leurs membres sans consistance, incapables de formuler une réflexion même purement pratique, autant que de générer le moindre semblant d’autonomie, il n’était pas un de ces moutards pour racheter l’autre. Dans quelle galère était-il tombé ! Il en arrivait presque à comprendre la réaction du paternel, qui, somme toute, ne faisait qu’essayer de se mettre dans le ton de cette débilité générale.

Il s’empressa de refermer la porte sur l’affligeant spectacle et regagna son bercail. Il n’était que temps : la conscience professionnelle d’une infirmière ayant repris le dessus, d’un pas trébuchant elle rejoignait sa faction.

 

S’étant réinstallé aussi confortablement que possible, Jean-Jacques examina la situation. La conclusion s’imposait. Il allait lui falloir ronger son frein et, challenge peu reluisant, s’attacher à imiter ces jeunes larveux qu’il avait vus crachouillant, bavotant et, sans doute – Pouah, ce ne serait pas le plus facile ! –, déféquant dans leurs couches.

Il avait un principe : quand la solution d’un problème devait lui coûter, s’y attaquer sur-le-champ. Poussant énergiquement, non sans un sourire amer, il réussit à expulser une matière assez répugnante pour inaugurer son personnage.

Ce n’était pas tout, enchaîna son esprit : il aurait aussi à feindre d’être suspendu aux lèvres de ces adultes, dont, ce qui d’ailleurs n’était pas pour lui une découverte, le Q. I. plafonnait dans une zone critique.

Il eût apprécié d’avoir de quoi s’occuper, ne fût-ce que quelques ouvrages de biogénétique ou de politologie, histoire de réamorcer sa pompe intellectuelle tout en parachevant son investigation condescendante des connaissances régionales. Hélas, on ne l’avait doté que de hochets et autres joujoux plus que rudimentaires.

Il restait un moyen. Avec une aisance qui le revigora, il aménagea un coin de son supercerveau en bibliothèque à l’atmosphère feutrée, avec, sur une table basse, un échiquier garni de bonnes grosses pièces consistantes comme il avait appris à les aimer.

Également, il avait pris goût à ces curieux assemblages de sons qu’ils appelaient musique. Il se programma un récital d’orgue de bon niveau (Pachelbel, Daquin, Frescobaldi) et, lançant un « areu » conquérant, avança de deux cases le pion du roi. Pour l’immédiat, il était paré.

3

Profitons du répit – les riches sonorités de l’orgue de Jean-Jacques ne franchissent pas les frontières de son petit crâne, le personnel en goguette s’est dispersé, rendant l’hôpital au calme pesant des après-fêtes –… profitons donc du répit pour tracer un portrait de la jeune maman.

Toujours endormie, elle arbore un pâle sourire. Lui vient-il de quelque rêve, ou serait-ce un reflet persistant de la joie de la maternité enfin accomplie ?

Aussi loin que remontât sa mémoire, elle n’a cessé d’être en attente, une attente étrangère à l’impatience, composant au contraire avec une placidité inscrite en creux dans son caractère. Enfant, déjà, elle attendait… tout et rien, s’en faisant un jeu. D’un tempérament plutôt solitaire sans aller jusqu’à la sauvagerie, facile à vivre mais ne se départant jamais de réserve, elle pouvait consacrer le meilleur d’un après-midi de printemps à stationner dans un lieu public, attendant… personne, au risque de passer pour la dragueuse dont nulle n’était plus éloignée qu’elle.

Fille unique, elle avait peu d’amis véritables, pas le moindre garçon, cousin ou condisciple, dans son cœur. Elle restait en lisière d’un groupe du voisinage, où, l’aimant bien, on l’acceptait chaque fois qu’elle souhaitait participer, sans éprouver l’envie impérieuse de la convertir à une complète intégration.

Elle attendit la première cigarette – il n’y en eut guère d’autres –, la première boum – essentiellement pour ne pas se singulariser –, la première robe longue… et quoi encore ?…

N’ayant pas attendu ses premières règles, elle fut à moitié surprise de n’en être pas dispensée. Bien sûr, entre collégiennes on évoquait les grandeurs et servitudes de la condition féminine. Peu auparavant, sa mère avait entrepris de lui dresser un tableau courageux mais plutôt confus des divers aspects de la sexualité, à la bonne assimilation duquel ne contribua pas une commune gêne.

La pédagogue d’occasion s’était aventurée à demander à l’adolescente s’il ne lui arrivait jamais, dans son lit… « Tu vois bien. »… Elle avait ouvert de grands yeux. Se masturber : c’était aussi un sujet de conversation, plus sélectif, pour récré. Certaines de ses condisciples allaient jusqu’à pratiquer en duo, qui souhaitait l’initiation était volontiers accueilli. Sollicitée un jour, Hélène avait refusé, en dehors de toute indignation. Ces choses ne la passionnaient en aucun sens : en vérité, elle avait peine à concevoir qu’elles pussent la concerner personnellement.

Néanmoins il fallait faire avec. Paradoxalement, et involontairement, ce fut sa mère qui l’aida à franchir le pas. Le soir de leur conversation édifiante, dans son lit Hélène se surprit à se caresser, appelant, dans l’esprit de jouer le jeu, l’image d’un partenaire.

Elle feuilleta son catalogue mental, mais, étrangement, ce qui, à la place d’un garçon de son âge, se profila devant elle, ce fut la silhouette d’un ancien camarade d’armée de son père, avec qui, en dépit de leurs oppositions de toutes natures, celui-ci avait gardé des relations épisodiques : un négociant en spiritueux, fort en gueule, pas vraiment antipathique malgré une bonne dose de machisme, mais qui, au grand jamais, ne lui avait inspiré le moindre soupçon d’attirance physique. Dans cette vision, l’ogre lui apparut terriblement menaçant du bas du corps, l’œil rigolard, avec toutefois une étincelle d’attendrissement susceptible de faire fondre nombre de lolitas en proie aux conflits hormonaux.

Fermant les siens, d’yeux, fataliste elle s’abandonna, mais, se trouvant finalement réduite à elle-même, dut faire appel à ses capacités d’obstination pour venir à bout d’un modeste premier orgasme…

Par la suite, elle apprendrait à s’inventer des personnages mythiques, d’une virilité tout aussi accommodante que celle qui, à une distance acceptable, avait ouvert la voie, ne prenant du relief que pour amorcer l’entreprise et surplomber, en mode quasiment totémique, des caresses qui lui suffisaient amplement.

Ce n’était pas, au demeurant, qu’elle ressentît une aversion marquée pour l’appareillage masculin. Même, elle n’excluait pas de se prendre un jour à l’apprécier, mais cela faisait partie des choses qu’elle entendait maintenir parquées dans les réserves de l’avenir, où elle ne tenait pas à puiser prématurément.

Cela exposé, l’inévitable se produisit. Hélène inaugurait sa dix-septième année. Le comparse fut le frère aîné d’une camarade, étudiant en médecine auréolé d’une réputation de bourreau des cœurs. Puisque, raisonnablement, il fallait en passer par là, pourquoi pas ce petit maître ? Faute que, dans cette phase de transition entre l’enfance et l’âge adulte, lui apparût une autre perspective motivante, elle envisageait d’aborder sans plus attendre… l’attente du mariage.

Voilà qui rompait avec la bagatelle. Pas question d’être encore vierge au moment où s’amorçait le processus : elle était bien consciente qu’aucun garçon ne prendrait en considération une fille à ce point arriérée.

Le jeune séducteur avait déjà un bon bagage. Quant à Hélène, fort mignonne de corps à l’avenant du visage, la nudité portée au grand jour la transcendait d’une aura de légende éternelle. L’initiateur sut se régaler sans égoïsme, pour laisser la novice plus qu’à moitié satisfaite, ce qui, en l’espèce, était quasiment inespéré.

Dès lors, l’idée du mariage prit aux yeux d’Hélène une coloration nouvelle. La sensualité dont elle avait eu un avant-goût correct, ennoblie par l’harmonie contractuelle de deux cœurs, devait, dans ce cadre hautement moral, constituer un divertissement plaisant. Ce n’était pas que la vertu la préoccupât outre mesure, mais à quoi bon faire compliqué ?

Dans la cuisine fonctionnelle où, anticipant un avenir à la Walt Disney Production, elle se voyait officier, elle imaginait – de temps à autre : point trop n’en faut – sur son échine des doigts libertins mais institutionnellement habilités déliant le tablier sous lequel, du fait de la chaleur… Rideau !

4

Cette esquisse d’Hélène en ses vertes années peut donner d’elle une image trompeuse d’indolence extrême. Ce trait, certes, ne lui était pas étranger. Pourtant, il lui arrivait d’étonner son monde par des revendications de personnalité fermes autant que subites. Fût-ce sur des sujets de peu d’importance, il était alors difficile de la faire revenir sur une décision prise.

Il est temps de mentionner que son père tenait une librairie de quartier, assez spacieuse et convenablement située, mais qui, en dehors du dépôt de presse, n’attirait qu’une clientèle de passage.

Quand, sans fanfare, elle eut obtenu son bac, Hélène, prenant à contre-pied ses parents, leur fit part de son intention d’arrêter ses études afin d’entrer dans l’affaire familiale.

Cela constitua matière à d’âpres discussions. Le père objecta à sa fille que les commerces de ce type étaient condamnés à brève échéance, les gens lisant de moins en moins tandis que la concurrence des grandes surfaces inexorablement se développait. N’en était-il pas à songer à négocier le fonds dès qu’une opportunité se présenterait ?

Faisant preuve de cette ténacité placide que nous lui avons reconnue, Hélène ne voulut pas en démordre : de son point de vue, la carte du professionnalisme pouvait encore être jouée.

Le père finit par s’incliner. La mère, qui l’aidait au magasin, s’en acquittait en rechignant. Si les études avaient cessé d’intéresser l’obstinée, l’y contraindre n’aboutirait qu’à un gâchis de temps et d’argent. En fait, sa conviction profonde – il ne se trompait qu’à moitié, mais de la moitié la plus trompeuse – était que l’avenir de sa fille passait par le mariage. Après tout, le négoce pouvait lui donner l’occasion de rencontres qu’il serait en bonne position pour contrôler.

La suite lui réservait une seconde surprise, de taille. Hélène s’investit dans l’apprentissage avec une ardeur et une réussite imprévisibles.

Grâce à une curiosité littéraire qui manquait à son père, elle le dépassa vite en compétence dans le domaine des ventes – il ne tarderait pas à en aller de même dans celui de la gestion.

Le contact permanent avec des inconnus l’amena à sortir d’elle-même, renforçant son assurance, polissant son charme florissant. L’alliage du sérieux professionnel et d’un minois de vierge sage était des plus séduisant. Ce n’était pas tant la sexualité des hommes qu’elle interpellait, on ne se lassait pas du plaisir de la contempler, se prenant à rêver de l’avoir à soi tel un précieux bibelot.

Une clientèle d’amateurs de lecture, qui auparavant dédaignait la boutique sans âme, apprit à en franchir le seuil. Le chiffre d’affaires progressa, sans éclat mais avec continuité.

Les journées d’Hélène étaient bien remplies, ses soirées également, sa conception exigeante du métier la poussant à lire un maximum de nouveautés.

Cette vie formait un bloc homogène. Or, quel que soit l’agrément d’un bloc où on est logé, immanquablement l’instinct conduit à y chercher une ouverture.

Pour la jeune fille, tout naturellement, ce fut la rêverie. Toutefois, depuis sa découverte d’une activité motivante et des capacités qu’elle y révélait, elle ne visait plus le mariage comme une servile et chimérique réalisation d’elle-même. Le partenaire masculin qu’elle imaginait avait cessé d’être une sorte d’aîné tutélaire, se jouant de la tâche délicate de transplanter les fleurs protégées du rêve dans la pleine terre des réalités.

À présent, elle le voyait plutôt sous les traits d’un pendant contraire : assez grand sans particulière carrure, des yeux marron, des cheveux bruns à la diable. Enjoué, charmeur, elle lui tolérait, à doses raisonnables, désinvolture, gourmandises diverses, voire certaine paresse qu’elle se sentait apte à contrebalancer. Bref, qualités et faiblesses, sans qu’elle s’en rendît compte c’était la préfiguration du fils, devenu la finalité véritable.

5

« Échec et mat ! »… Se relâchant dans son fauteuil imaginaire, Jean-Jacques soupira d’aise. Comme chaque fois qu’il jouait contre lui-même, la partie avait été rude, d’autant plus tonique. Désormais, il se sentait en mesure de faire face aux aspects les plus ingrats de la situation. Pour se le prouver, il émit un rot en adéquation parfaite avec le personnage embryonnaire qu’il pouvait maintenant réendosser dans des conditions psychologiques satisfaisantes.

L’orgue s’était arrêté sans qu’accaparé par le jeu, il y prît garde. Tendant l’oreille vers le souffle de sa mère, il eut un moment d’inquiétude : il avait cessé de l’entendre. Dégringolant de sa couche malcommode, il courut aussi vite que le lui permettaient ses courtes jambes vers le lit, qu’il escalada.

Paisiblement, elle dormait. Rassuré, attendri, il la contempla. Elle se superposait à l’image qu’il portait en lui. Bien jolie, nonobstant les traces de lassitude, de désenchantement qui avec des survivances de fraîcheur virginale se partageaient son visage.

Sans ouvrir les yeux, l’accouchée se mit sur le flanc, balbutia : « Adrien », sur un ton de reproche désabusé plutôt que de tendresse véritable ; puis elle réintégra le sommeil qu’elle n’avait pas vraiment quitté.

Songeur, Jean-Jacques regagna son berceau. L’esprit encore partiellement embrumé, il cherchait ce que lui évoquait ce prénom… Le père, bien sûr. Il se remémora la première vision qu’au sortir de sa mue, il en avait eue : les poches sous les yeux, humides de l’émotion surajoutée aux excès de la nuit, la comédie grimacière, la logorrhée infantile, conformes à l’idée simpliste que l’aimable zozo se faisait de son nouveau rôle. Décidément, assumer les sentiments filiaux qu’impliquait la situation n’irait pas sans mérite.

Enfin, à court terme, la question ne pressait pas : du fait de son statut de bébé baveux réduit à feindre la plus totale dépendance, sa marge d’intervention, voire de simple appréciation, était des plus minces.

6

C’était un après-midi de printemps. Hélène, qui, dans l’attente de ses règles, se sentait lasse, s’acquittait de son ouvrage avec, circonstance inhabituelle, des envies de tout envoyer promener.

Elle s’était rabattue sur une tâche qui, d’ordinaire, la motivait : réassortir le rayon Poésie qu’elle avait créé. L’initiative ne s’était pas traduite par des ventes conséquentes, mais les couvertures des ouvrages posés à plat sur une table à tréteaux introduisaient de la couleur, de la fantaisie ; il ne manquait pas de curieux pour y jeter un œil, et cela contribuait à l’atmosphère intellectuelle que la jeune fille entendait faire régner dans la boutique, après qu’elle eut isolé la presse, bassement racoleuse.

Depuis quelques instants, elle se sentait observée. Puis ce fut dans son dos une présence, et à son oreille une voix dont la courtoisie appuyée n’était pas insoupçonnable de persiflage.

– Pardon, mademoiselle, n’auriez-vous pas quelque chose de Verhaeren ?

Pour qui la prenait ce plaisantin ? Elle connaissait ses classiques.

– Non, monsieur, rien pour le moment ! Vous auriez plus de chances chez un bouquiniste.

– Oh, je posais la question à tout hasard. Une réédition… Mais je vois que vous ne dédaignez pas de vendre la poésie. Bravo, belle abnégation !

– Vendre, c’est beaucoup dire, hélas ! Il y a d’excellentes choses, et, malheureusement, guère d’amateurs. Tenez, ce recueil, par exemple : superbe !

Elle lui désignait une plaquette. Il hocha la tête, avec une moue moyennement convaincue.

– Je connais. Pas mal, en effet. Mais il y a un auteur que je mets au-dessus de tous, et, celui-là, pas de danger que vous me le montriez !

– Possible. Comment s’appelle-t-il ?

– Adrien Cantrel.

– Éditeur ?

– Pour tout vous dire, je ne l’ai pas encore choisi.

– Je vois !

Consentant à lever les yeux sur l’inconnu.

– Si je vous suis bien, vous écrivez ?

Tandis qu’il saisissait la perche tendue, avec cette fausse modestie sarcastique qu’affectent les postulants à la gloire littéraire condescendant à aborder leur propre sujet, Hélène, sans l’air d’y toucher, l’observait. Grand, svelte, une mèche brune sur l’œil revendiquant malice, la lèvre inférieure gentiment désenchantée, bref pas le feu à la maison mais du charme.

Elle redevint attentive à ses propos pour avoir la surprise d’entendre :

– Alors, c’est d’accord : demain soir 21 heures ?

– Excusez-moi, monsieur, je dois m’occuper des autres clients ! éluda-t-elle, par pur réflexe. Et d’aller se mettre au service d’une vieille dame, qu’elle savait pourtant n’aspirer qu’à feuilleter gratuitement ses illustrés de prédilection.

Le lendemain, ce fut elle qui ouvrit le magasin. Elle s’en félicita en découvrant, accroché à la poignée de la porte, un bouquet de roses rouges. Bien qu’elle eût pu, en toute sincérité, jurer ses grands dieux que, depuis leur rencontre, elle n’avait pas dédié la moindre pensée au soi-disant jeune poète, elle ne douta pas que l’hommage vînt de lui.

Tout au long de la journée, non sans s’adresser des reproches tempérés, elle attendit qu’il apparût. Certes, s’il semblait s’avérer qu’il avait entamé sa cuirasse d’indifférence, ni de près ni de loin le phénomène ne s’apparentait au coup de foudre tel qu’elle se l’était mitonné dans son imaginaire. C’était, affleurant en elle, une impression de calme appropriation anticipée, dont le frisson, si frisson il y avait, ne tenait qu’au fait que la certitude fût disjointe de l’accomplissement.

Quoi qu’elle en eût, il lui fallait admettre que, dans un contexte de frivolité : celle, manifeste, du personnage, celle aussi des circonstances de leur rencontre, un processus, important en lui-même, inscrit dans son destin, venait inopinément de s’amorcer.

De toute la semaine, il ne se montra. Elle s’interrogeait : « L’aurais-je vexé, en ignorant son invitation sans la précaution d’une de ces pirouettes qui ne ferment pas complètement la porte, évitant au dragueur de perdre la face ? »… S’il avait été fâché, il n’y aurait pas eu le bouquet.

Après tout, cependant, venait-il bien de lui ? Le doute tourna en une inquiétude dérangeante. Le lundi soir qui suivit, alors qu’on l’attendait en bas pour le dîner, sourcils froncés, elle faisait les cent pas dans sa chambre. Soudain, du poing droit elle frappa sa paume gauche.

– Bon, ne nous racontons pas d’histoires ! Pourquoi serais-je différente des autres ? J’ai envie de revoir ce type. Pas pour une sortie en passant : ça, au moins, ce n’est pas le genre de la maison. Ma fille, tu l’as toujours affirmé bien haut : quand on veut quelque chose, on se bouge pour l’obtenir. Alors, de l’initiative !

Oui, mais comment établir le contact ? Elle n’avait ni adresse ni téléphone, aucune autre piste que la phonétique du nom. Les annuaires se trouvaient à la boutique. Quand même, l’investigation pouvait attendre quelques heures. Elle descendit rejoindre ses parents, qu’elle étonna par son entrain.

Hélas, le lendemain elle déchanta. Des Cantrel, le répertoire en contenait, sous diverses orthographes, mais pas d’Adrien, ni aucun qu’une adresse proche pût faire présumer être le bon : l’impasse.

7

« Cantrel » s’écrivait le plus simplement du monde. Adrien n’habitait pas le quartier, mais, rue des Ternes, un studio sous les toits. N’y ayant mis aucun empressement, il ne disposait pas du téléphone.

Qui était ce garçon ? Au moment où sur les pas d’Hélène nous faisons sa connaissance, il est loin d’envisager la paternité, voire le mariage.

Dans sa prime jeunesse, il eut à combattre deux handicaps. D’abord, un sentiment d’infériorité vis-à-vis de condisciples nantis : ses parents petits-bourgeois, par préjugé viscéral contre l’enseignement laïque et porteur de germes, se saignèrent aux quatre veines pour le maintenir dans un établissement secondaire religieux, avant qu’une bourse lui permette d’aborder l’enseignement supérieur.

Pour surmonter ce complexe, il entreprit de se distinguer sur le double plan intellectuel et artistique. Il ne manquait pas de dispositions à cet égard. Profitant de la disponibilité que lui donnait sa facilité dans la plupart des matières scolaires, il alignait sans désemparer poèmes, contes, ébauches de pièces de théâtre, passant d’un humour post-surréalisant à un lyrisme échevelé, d’imprégnation socialo-métaphysique.

Le second de ses handicaps tenait à une timidité congénitale, dont, apprenant au fil des ans à la masquer, il ne se libérera jamais entièrement, conservant d’elle certaine contrainte dans ses rapports avec les autres, notamment les femmes. Cette raideur ne fondant que dans l’acte, il fut conduit, vis-à-vis de l’autre sexe, à cultiver un donjuanisme pour lequel, heureusement, il n’était pas non plus dépourvu d’atouts : la taille avantageuse, une bouche sensuelle, un regard rompu à manier la nuance.

Mais passons sur les tenants et aboutissants d’un personnage qui n’est pas censé constituer notre sujet principal. Retrouvons-le alors que, depuis près d’un an, licence ès Lettres en poche, service national – on disait alors « militaire » – accompli, il est « monté » à Paris.

La vie s’étale devant lui. Il ose se targuer d’une séduction assez performante, surtout quand elle se couronne de l’auréole de future vedette de la littérature.

Dans ce dernier domaine, son potentiel, quelle qu’en soit l’ampleur réelle, est intact. Il s’est essayé dans à peu près tous les genres, hormis le roman. Là se situe l’objectif primordial, auquel bientôt il s’attaquera. Le reste n’aura été que mise en train, travaux d’assouplissement, d’endurance, d’ailleurs souvent valables en eux-mêmes, et qu’il aurait pu faire accepter par des revues, s’il ne s’y était refusé sans la moindre modestie, se faisant fort, le moment venu, d’entrer de plain-pied, selon ses propres termes, dans la vraie consécration.

Rien n’est plus confortable que d’affirmer des prétentions avant d’avoir livré au jugement public les otages qu’il exige. Il en était là, il y trouvait son plaisir : en vertu de quoi irait-on le blâmer ?

Ajoutons cependant qu’il n’était pas – de beaucoup s’en fallait – d’une seule pièce. En lui, par-delà les affectations de désinvolture, affleurait à la première occasion un côté anxieux, tourmenté même, dont, au beau temps de la coquetterie juvénile, il ne se privait pas de parer son regard, fût-ce pour le seul miroir. De même, sous un dogme proclamé de renvoyer dans leur coin matérialisme autant que conformisme, il savait se montrer calculateur et opportuniste.

Lors d’un de ses déplacements exploratoires à Paris, alors qu’encore militaire d’occasion, notre Rastignac au petit pied préparait sa prise de possession, il avait, dans le couloir du train, reçu les vibrations émanant d’une blonde, plus Chanel que permis, affichant une maturité assumée jusqu’à l’insolence. Sans y croire, pour le sport, il tenta une approche. D’un œil exercé, la belle le jaugea, décida, ayant terminé la lecture de Vogue, de tâter d’une fantaisie sans conséquence.

Ils passèrent ensemble la soirée – elle l’avait invité dans un restaurant élégamment décontracté, où, l’alcool aidant, il se montrera charmeur et brillant –, puis la nuit.

Sandra – ainsi s’appelait-elle – était raffinée jusqu’aux bouclettes de sa toison, imprégnée d’un parfum coûteux aussi loin qu’Adrien en poursuivit la trace. Son goût visible pour les joutes amoureuses était servi par une forme labélisée Fitness.

Ce fut une nuit électrique dont Sandra elle-même se déclara enchantée.

Le lendemain, elle l’emmena dans des établissements qui lui appartenaient : une parfumerie boulevard Saint-Germain, puis une galerie d’art, rue de Seine.

Ils déjeunèrent sur les quais. Parlèrent peinture : Adrien déploya sa connaissance du sujet, si bien que sa conquête lui proposa, pour ses débuts professionnels, dès sa disponibilité, un emploi de vendeur dans sa galerie : elle voulait tenter l’expérience d’un homme jeune dans une branche où poivre et sel d’une part, oies blanches de l’autre se partageaient le terrain.

8

À dire vrai, et à supposer – ce qui n’était pas le cas – qu’Adrien eût pris au sérieux cette offre, elle avait peu de chances de l’intéresser. Ne doutant pas que ce fût à titre transitoire, dans l’attente que les portes de la gloire s’ouvrissent devant lui, il était prêt à accepter à peu près n’importe quel gagne-pain, mais, en l’occurrence, abhorrant la peinture qu’exposait Sandra, peinture de salon pour bourgeois cossus voulant se donner une image éclairée, il n’aurait pu éviter le sentiment de déchoir.

Après qu’il se fut installé à Paris, provisoirement chez un ami, le hasard, un jour, le conduisit devant la parfumerie de Sandra. Elle s’y trouvait, en discussion avec la vendeuse. Adrien fit de grands gestes pour attirer son attention. À sa vue, Sandra fronça des sourcils perplexes, puis elle eut une moue de reconnaissance étonnée, plutôt agréablement. Étant sortie, elle l’embrassa, le pria de l’attendre à une terrasse voisine.

Bien que leur première rencontre remontât à plusieurs mois, ils renouèrent avec un plaisir partagé. Faisant preuve d’une constance encourageante, Sandra réitéra à Adrien sa proposition d’embauche.

Le jeune homme ne lui dissimula pas le jugement qu’il portait sur sa peinture, mais l’argument n’arrêta pas la femme de tête. Vendre, soutint-elle, était formateur pour un jeune, quelle que fût la marchandise. Par surcroît, l’orientation artistique de la galerie ne venait pas d’elle – elle s’avouait peu concernée –, mais d’un ami tâtant du négoce, le même qui lui avait conseillé cet investissement, auquel spontanément elle n’eût pas songé. Il l’avait mise en relation avec des peintres dont il ne pouvait pas ou plus s’occuper, ce sans engagements de durée.

Elle ne demandait qu’à étudier les suggestions d’Adrien. Trouvant l’ouverture positive, celui-ci consentit à l’expérience.

Sandra ne borna pas là ses bienfaits. Elle procura à Adrien un studio aménagé par une de ses amies dans un immeuble ancien de la rue des Ternes. Nonobstant l’inconvénient d’un cinquième étage sans ascenseur, l’appartement était agréable et le loyer modéré. Ainsi, du jour au lendemain, Adrien se trouva confortablement pourvu.

Plus par raison que vertu, Sandra et lui avaient décidé, maintenant qu’ils étaient en rapports de travail, de se cantonner par ailleurs à un plan amical.

Durant plusieurs mois, ils tinrent leur résolution. Une fois par semaine, à l’initiative de l’un puis l’autre choisissant l’endroit, ils dînaient ensemble. Sandra s’amusait de découvrir avec Adrien ces bistrots sympathiques dont Paris est truffé.

Ils apprirent à se connaître. Sandra était mariée à une sorte de financier international courant le monde. De longue date ils n’avaient plus que des relations de façade et de convenance, dans lesquelles ils s’attachaient à mettre la juste dose de correction et de respect mutuel.

Un de ses chagrins de femme mûre, qu’elle finit par révéler, était l’inaptitude à la maternité. Ç’avait été du reste le besoin d’un dérivatif qui l’avait poussée à quitter, pour se lancer dans le commerce de luxe, la vie d’oisiveté dont elle s’était accommodée jusqu’à ce que l’âge lui donne le sentiment douloureux de l’irréversibilité. Les dispositions qu’elle s’y découvrit l’aidèrent à compenser tant soit peu sa frustration. Sans doute, pourtant, était-ce cette dernière qui parfois lui inspirait l’envie d’ouvrir son lit à de très jeunes hommes. Jusqu’alors elle n’avait fait qu’en rire. Femme libérée au sens vrai du terme, elle gérait sa vie sexuelle sans complexes ni dépendances d’aucune nature.

Elle se prit d’un sentiment assez fort pour Adrien. Il flattait et rassasiait sa sensualité, tout en fixant un instinct de protéger, voire de materner, qui était en elle. C’est ainsi qu’entre eux allaient s’établir des relations gratifiantes, fondées sur une compréhension réciproque, le besoin d’être agréable au partenaire, de se valoriser par lui.

Mais revenons en arrière !… Une nuit, ils sortaient d’une boîte de jazz. Adrien avait raccompagné Sandra, ils s’attardaient à bavarder dans le hall de l’immeuble. Une bouffée de tendre désir envahit la femme. Prenant Adrien par la main, elle poussa une porte qui débouchait sur l’escalier. Dans l’obscurité, adossée au mur, onctueuse, palpitante, elle se donna à lui.

Ayant ainsi ouvert la phase vraiment amoureuse de leur liaison, elle lui fit convenir avec elle de s’interdire à jamais d’être l’un pour l’autre une entrave.

9

Ce fut dans ce contexte qu’Adrien franchit le seuil de la Librairie Principale (par la suite l’enseigne changerait). D’abord, il vit Hélène de dos. La silhouette était gracieuse, la blondeur de la chevelure massée sur le haut chauffait joliment la pâleur délicate de la nuque. Quant aux jambes, dont un rayon de soleil fureteur se plaisait à allumer le fin duvet, elles tendaient au regard un piège de candide sensualité.