Casting pour un roman noir à reflets bleus - Georges Richardot - E-Book

Casting pour un roman noir à reflets bleus E-Book

Georges Richardot

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Beschreibung

Plus qu'un roman ; une analyse des rapports de l'auteur avec les personnages qui le hantent.

« J’ai attendu d’avoir une plage complètement libre dans mes loisirs pour m’y plonger. Personnellement, j’ai été fasciné par ce que vous appelez roman et qui est bien autre chose : une analyse passionnante des rapports de l’auteur avec les personnages qui le hantent, jeu de miroirs, mise en abyme comme on dit maintenant, et surtout conflits ambigus entre imagination et réalité, entre père (littéraire) et enfants du même bois.
Il ne m’a fallu que quelques heures pour dévorer votre manuscrit. Quel auteur normalement constitué résisterait à ce tourbillon de fantaisie littéraire ? »
René Sussan, alias René Reouven, romancier (Policiers, fantastique, science-fiction - Grand prix de la littérature policière.)
‘Taches de rousseur derrière devant
Petite soeur le diable est au couvent’

Découvrez un texte unique et authentique, un genre qui n'existe nulle part ailleurs, un style d'une grande fantaisie littéraire.

EXTRAIT

Plus tard. Disons après dîner…
La mine studieuse, Élise tient sur ses genoux un gros répertoire à la couverture racornie. Tapote d’un crayon sa lèvre inférieure.
– De quelle couleur tu le vois ?
– Je vois quoi ?
– Notre roman
– La couverture ?
– Non, stupid man, la tonalité générale, l’ambiance. Noir ?
– Noir ? Pourquoi pas ? Pas noir pur et dur, quand même.
– Gris, alors ?
– Foutre non, pas de grisaille ! Suffit du quotidien !
– De grâce, épargne-moi le rose bonbon, je sors d’en prendre chez Arlequin. Les promenades main dans la main, à trois et demi à l’heure autour de l’étang, foulant les pitoyables feuilles mortes, girolles, myosotis, fourmis et autres gastéropodes ayant le tort de se trouver sous nos escarpins dorés. Rien que d’y penser, je bâille ! (Main sur la bouche, elle démontre, à en craquer-croquer.) Poursuivons ! Rouge, peut-être ?
– Rouge ? Le pourpre grand tralala ? (Sur l’écran de mon esprit, se projette une vaste fresque historique, cardinaux, Richelieu ou moindre acabit, intrigues de cour, amours obérées par la mésalliance, mal vénitien, saignées et lavements, moult chevauchées, pas moins de duels. Sans oublier, vus du petit bout de la lorgnette, de fastidieux séjours de documentation à la Bibliothèque Municipale. Grosse fatigue !) Non, non, foin du pourpre !

À PROPOS DE L'AUTEUR

“Un texte, je le reprendrai, dans quelques mois, quelques années, quand il aura cessé d’être à vif, dès lors engourdi d’une anesthésie naturelle propice à la chirurgie. Et puis d’autres fois, d’autres fois, jusqu’au Jugement Dernier…”
Né il y a quelques lustres (sic) à Épinal (Vosges), Georges Richardot est établi à Vence (Alpes-Maritimes).

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GEORGES RICHARDOT

Casting pour un roman noir à reflets bleus

 

 

Faire romancier ?

Bon Dieu, il faut avoir tué père et mère. Ne serait-ce que pour avoir quelque chose à raconter.

Gérard Bossuet

 

Collaborer à un roman : exercice périlleux, surtout depuis la mauvaise extrémité de la plume d’oie.

Élise Bussy-Rabutin

PERSONNAGES

Gérard Bossuet, auteur virtuel

Élise Bussy-Rabutin, personnage de roman professionnel et militant, postulant à l’écriture

Tanya/Élisabeth, plus un forcing éclair de Béatrice, avatars d’une sœur-ennemie de la précédente, briguant, à défaut du premier, le second rôle féminin. Patronyme ? Deux propositions sans suite : Daniélou, Dupanloup.

Luc Dutilleul, alias Dudu, alias « le Boss Épelé », employeur et ami de Gérard Bossuet

Laurette, épouse de Gérard Bossuet

Sylvie de Maubeuge, alias « la Fille des îles », amie de cœur de la précédente

Bartolomeo/Mario/Gino/Zephiro/Luppo/Fausto/Beppo/Marco/Lucio/Paolo, photographe-vidéaste italo-bordelais évolutif à s’en donner à lui-même le tournis

L’inconnu du bar, personnage lui aussi en pleine indétermination : maître-chanteur, tueur à gages… Nom ? Des familiers de l’auteur ont fait mention de Bourdaloue, Fénelon.

Oiseau de balcon (spécialisé romancier)

Littérateur-Observateur de Permanence (LOP), participation de l’Auteur.

Sans oublier une intervention âprement négociée des Laissés Pour Compte (LPC)

(Gérard)

Élise : un début tombant d’un ciel très terrestre

Élise… Un soir, sur mon palier, je trouve cette jeune personne que je ne connais ni d’Ève ni d’Adam. Main sur la clenche, donnant l’impression d’attendre.

D’attendre quoi, qui ? Moi, s’avèrera-t-il.

La décrire ? Simple : cherchez dans votre cœur ! S’il est de la configuration appropriée – au bas mot trois étoiles nouvelles normes –, dans un compartiment du virtuel vous avez chance de la dénicher : de format assez menu, une frimousse presque rondelette, d’autres arrondis là où l’homme, et aussi certaines amazones, postulent. Yeux marron, longs cils, cheveux bruns coupés court, bref physionomie, allure suggérant franchise et détermination. Ensemble, conclurai-je, passé le premier temps de surprise, tout à fait à mon goût.

– Vous êtes bien Gérard Bossuet ?

– Lui-même. À qui ai-je le plaisir ?

– Mon nom ? Figurez-vous qu’il fait partie des apports vous incombant.

– Ah ! Mais encore ?

– À titre transitoire, vous pouvez m’appeler Élise, Élise Bussy-Rabutin. Pure suggestion, je ne suis jamais qu’un de vos personnages de roman : docilité, abnégation, particulièrement à ce stade liminaire de la relation.

– Roman ? Moi ? De quel roman parlez-vous ?

– De celui que nous nous apprêtons à écrire, si rien ne se met en travers, croisons les doigts ! (Elle le fait.) Allons-nous rester plantés devant la porte ?

Notre début de roman, pourquoi pas de romance, le voici donc : cette jeune femme, extrêmement séduisante, me fait entrer dans mon propre domicile, m’invite à m’asseoir. Je m’abstiendrai de relever la contradiction entre l’humilité affectée et le sans-gêne de l’intrusion.

– Un peu en désordre, en rajoute-t-elle, vous excuserez ! (Ma chère, si tu savais comme ce pourrait être pire, je venais de faire un vieux ménage de deux mois.) Vous êtes thé, plutôt café ?

– Café. Jamais de thé, s’il vous plaît.

Elle prépare du thé, dont elle nous sert deux tasses fumantes. D’où sort ce service en Limoges ? Ma tasse est ébréchée, la sienne sans défaut : ce n’est pas ce genre de détails qui troublera mon attentisme captivé.

(GÉRARD)

Une plantureuse parenthèse nommée Tanya

Élise est assise face à moi. Ses genoux joliment ronds brillent, brillent joliment… « rondement », ronronnerai-je en mon for intérieur. Le thé – un des premiers, réalisé-je, à passer mon œsophage – bien que je prête peu d’attention à la saveur, est un délice. Alchimie environnante, invasive, irrésistible. Ça plane…

Élise joue les coquettes.

– Êtes-vous satisfait de votre nouvelle héroïne ? La première impression est primordiale.

– Chère amie, il faudrait être difficile… !

– Vous êtes trop bon. Nous n’avons pas encore fait accord dans les formes, vous seriez en droit de me préférer dans une autre version. Tenez, à propos de versions… et de formes, démonstration…

Pppfffuuiiittt… Ouvrez grand vos yeux ! Mais d’eux-mêmes ne l’ont-ils pas fait ? Ma visiteuse vient de se métamorphoser en une blonde hyper-vamp, surjouant d’attraits déjà au départ outranciers.

Un mâle normalement constitué est empoigné par l’envie d’entonner le grand chant. Dans mon contexte du moment, je me refrène. Une autre fois, boudi, sabre au clair !…

– Dites-nous, monseigneur, l’une, l’autre ? Brune, blonde ? Petite souris trotteuse, grande prédatrice affûtant ses serres sur la colonne marmoréenne de volupté et de mort ?

– Cruel dilemme ! Allons, je reste sous le charme de la souris brune !

– Vous venez de faire la connaissance de ma consœur, presque sœur, sœur cadette, eût-on peine à le croire : Tanya.

Sagement, elle a repris sa place, son apparence. Assise comme auparavant, au détail près que sa robe, imperceptiblement mais quand même pas que d’un rien, s’est relevée. En aval de l’ourlet, elle est très femme ; en amont tout autant. Avec, ici comme là, une tranquillité de la chose, une proximité distante, poignante, à vous… oui oui, les faits sont les faits, à vous nouer la gorge.

– Décidément, je vous préfère dans ce personnage. Je n’en changerais pas un iota.

– Gentil à vous, Gérard. Je dois l’admettre : Tanya la ravageuse a un succès d’enfer ; peu d’hommes passent entre ses mailles. Reprenez du thé, s’il est encore chaud !

Il est froid, néanmoins je me ressers. Du café : ce serait du pareil au même. Ça plane…

(GÉRARD)

Question mise en train rien ne vaut une bonne défenestration

Déjouant tout pronostic, le lendemain, postée à l’affût sur mon palier, ce sera Tanya l’amazone que je trouverai. Prenant le relais de la brunette, moyennant quelques nuances, dont une tranchante désinvolture dans l’interprétation, la blonde luxuriante à son tour se comportera en hôtesse abusive… abusive, oui oui, les faits sont les faits, de mon propre logis…

Passée en habituée dans la salle de bains, elle en ressort en peignoir lâche, prodigue en fugaces (si l’on veut), vertigineux (là, sûr que l’on veut) étalages. Nouant son opulente chevelure, encore humide.

– Tu nous sers un scotch ?

– Un scotch ? C’est que… (Normalement, je suis Campari.)

– Tu trouveras du Chivas dans le placard.

– Dans le placard ? Heu, vous ne pensez pas qu’il est un peu tôt ?

– Joue pas les pinailleurs, tu veux ? On a du pain sur la planche.

L’apostrophe se complète d’un geste impératif, qui, entre autres résultats apparents, convoque le soir, lequel n’attendait que le signal pour se répandre, dissipant, avec les séquelles du jour, mes timides objections.

À nouveau, Tanya-Junon disparaît dans la salle de bain. Chuchotant à mon oreille, une voix inopinée sans être dérangeante tutoie mon tympan sous influence :

– Mea culpa, je n’ai pas pu l’empêcher. Une fois lancée, madame Puissance-de-feu ne lâche pas le morceau. Chacun cherche à tirer le maximum de ses atouts, c’est de bonne guerre. Sans vouloir peser sur ton libre arbitre, si tu tombes dans ses filets, elle t’en fera voir de toutes les couleurs. Une modeste pointure de mon acabit ne lutte pas à armes égales, je ne t’en voudrais pas de bifurquer. Dis, tu ne me regretteras pas un tout petit chouïa ?

– Peut-être… Hé, où c’est que vous m’embarquez ? Bien sûr, que je vous regretterais. Énormément ! Si… Mais, pas une seconde…

– J’espérais bien cette réaction. (Sa voix perd ses intonations suaves.) En ce cas, pousse-la !

– Que je la pousse ? Elle, là ? Attendez. Comme… la pousser, au sens premier ? Je te pousse, tu dévisses ? Je la pousse, patatras !

– Voilà, voilà : au sens premier, physique, tout bête. Par la fenêtre. Elle s’y penche. Tu lui plaques les mains au creux du dos, hop là, un grand classique !

– Hop là, vite dit ! Pas une mince affaire !

Voyez la suite ! Sur ses semelles extravagantes, érigeant en souplesse son port de reine plébéienne, Tanya a traversé la pièce. Elle a ouvert la fenêtre, s’y est penchée. Insouciance native ? Invite, défi, déjà moins naturels ? À quoi, me fais-je la réflexion, ne s’exposerait pas une carriériste sans scrupules s’agissant de s’ouvrir la voie royale d’un best-seller ? Sans même, remarquons, en connaître ne serait-ce que le pitche.

Je balance… Oui, non, quand même…

– Halte-là, mademoiselle ! Je ne suis pas un assassin.

– Un assassin, non. Un romancier ? C’est toute la question. Une beauté fatale défenestrée, n’est-ce pas une introduction idéale pour un thriller ? Je pourrais te citer mille précédents.

– Y a du vrai. Cependant, comme je crois l’avoir mentionné…

– Cesse de tergiverser ! Un romancier timoré, voilà bien le plus absurde comble de gaspillage qu’on puisse imaginer ! Tout à sa disposition, et il chipote !

Foin du libre arbitre, quand on a infiniment plus goûteux à portée de la main ! « Hop là » est accompli : la trop sûre d’elle Tanya n’a pas offert de résistance. En fait je la soupçonne de n’avoir attendu que l’impulsion. Une envolée de toute beauté ; d’enthousiasme, l’air, un peu frais pour la saison, n’en finit pas de vibrer ! Ça plane…

Pas longtemps. Schplafff !

Caressante, la voix d’Élise :

– Bien joué ! Alors, tu la vois, Sa Majesté « N’en-jetez-plus la bien nommée », gracieusement répandue sur la chaussée ? Raconte, avec tes yeux d’auteur tout puceau tout beau : ton public bout d’impatience !

– Hé, n’est-ce pas beaucoup demander à un néophyte !… Bon, on se lance ! Fantastique : l’attroupement présente la particularité de s’écarter juste ce qu’il faut pour qu’on ne perde pas une miette du spectacle : votre Tanya dans son peignoir… Non, tiens, c’est nouveau : en fourrure, une fourrure immaculée. On croirait, je vous en donne acte, une icône des grands classiques du noir et blanc. Sans vilain ketchup, du coup aucunement rebutant, le tableau. Distancié, pur esthétisme !

– Je l’aurais parié. Ce genre de nana possède un sens aigu de la récupération. Ce petit test aura été d’excellent augure : nous allons pondre un beau roman. Peut-être d’ailleurs lui réserverons-nous, à cette chère Tanya, un strapontin – le strapontin du popotin de la put… Bon, bien que tout nous y invite, ne donnons pas l’exemple de la langue de… de pute !

« Je te laisse. Des formalités diverses ; tu n’imagines pas les contraintes s’accumulant sur nos frêles épaules ! On se voit demain, si je me suis suffisamment avancée.

(GÉRARD)

D’Élise à moi, comme de moi à vous

– Entre personnage et auteur, nous devons respecter quelques principes de base.

– Qui seraient ?

– Garder nos distances, en premier. Mettons les points sur les « i » ! Tu reconnaîtras qu’il n’y a pire lâche, plus odieux macho qu’un auteur abusant de son héroïne sans défense. D’autant qu’en dépit des récentes conquêtes de nos consœurs femmes réelles en lutte, subsiste un vide juridique : parmi tous les harcèlements désormais criminalisés, le romanesque fait toujours défaut.

– Regrettable pour vous, en effet. En dehors du plan professionnel, comment peut-on jouer le fourbi ? Question, je le précise, d’ordre purement informatif.

– Dans le même esprit je te répondrai que le cas d’espèce n’exclut pas des rapports intimes, mais d’égal à égal. Tu vois ce que je veux dire ?

– Heu…

– Si une telle éventualité devait se produire (Me suis-je trompé ? Ai-je bien surpris une lueur furtive dans ses yeux bleus… à reflets noirs ?), il est entendu que l’intéressée assumera librement et en toute connaissance de cause le personnage du personnage choisissant librement – je souligne deux fois chaque « librement » – de… fricoter avec son auteur.

– Heu… et moi… enfin l’auteur présumé, dans le… fricot, fricotage, quel comportement on en attend ? D’évoluer en personnage de l’auteur préféré qui que etc. ? Pas loin de m’y perdre, moi !

– Toi ? (gloussement) Tu n’auras qu’à te comporter comme le grand benêt que tu es. Réelles ou filles du fantasme, les femmes en raffolent.

Tout de même ne trouvez-vous pas que cette jeune personne témoigne d’une belle audace ? Dans notre couple inédit, du moins à mes yeux de débutant, qui est censé tenir les rênes ? Au jugé, je lance (On remarquera que, pris par l’ambiance, j’ai rejoint mon interlocutrice dans le « tu ») :

– Toi, ça ne te tenterait pas d’être romancière à la source ?

– Mon grand, je te le rappelle, les mécanismes internes de mon personnage, c’est à toi d’en décider. Pour faciliter le démarrage, et aussi un peu, je l’avoue, considérant qu’on n’est jamais si bien servi que par soi-même, j’offre le contenant ; le contenu, à toi de nous le concocter !

« Cela dit, revenant à la situation dont tu émets l’hypothèse, je ne suis pas certaine que toi-même te montrerais à la hauteur. Tu admettras qu’en matière d’activité littéraire, les femmes sont devenues pour les hommes de redoutables concurrentes : le climat de compétition risque de te poser un problème d’ego.

« De toute façon, la question est prématurée. Nous avons suffisamment de pain sur la planche avec le lancement de notre production. D’abord, bien asseoir le concept. Sans doute ne t’apprendrai-je rien : une des règles majeures du marketing consiste à élaborer le mode d’emploi d’un produit avant d’en lancer la fabrication. Je propose que nous nous inspirions de la recette.

Et blablabla…

(GÉRARD)

Des goûts et des couleurs

Plus tard. Disons après dîner…

La mine studieuse, Élise tient sur ses genoux un gros répertoire à la couverture racornie. Tapote d’un crayon sa lèvre inférieure.

– De quelle couleur tu le vois ?

– Je vois quoi ?

– Notre roman

– La couverture ?

– Non, stupid man, la tonalité générale, l’ambiance. Noir ?

– Noir ? Pourquoi pas ? Pas noir pur et dur, quand même.

– Gris, alors ?

– Foutre non, pas de grisaille ! Suffit du quotidien !

– De grâce, épargne-moi le rose bonbon, je sors d’en prendre chez Arlequin. Les promenades main dans la main, à trois et demi à l’heure autour de l’étang, foulant les pitoyables feuilles mortes, girolles, myosotis, fourmis et autres gastéropodes ayant le tort de se trouver sous nos escarpins dorés. Rien que d’y penser, je bâille ! (Main sur la bouche, elle démontre, à en craquer-croquer.) Poursuivons ! Rouge, peut-être ?

– Rouge ? Le pourpre grand tralala ? (Sur l’écran de mon esprit, se projette une vaste fresque historique, cardinaux, Richelieu ou moindre acabit, intrigues de cour, amours obérées par la mésalliance, mal vénitien, saignées et lavements, moult chevauchées, pas moins de duels. Sans oublier, vus du petit bout de la lorgnette, de fastidieux séjours de documentation à la Bibliothèque Municipale. Grosse fatigue !) Non, non, foin du pourpre !

– Vert ? Blanc ? (Elle chantonne, sur un vieil air.) « Blanc, blanc, blanc… » ?

– Sachons rester à notre place, laissons à Flaubert l’angoisse du blanc !

– Tu sais que j’ai failli faire Emma Bovary ?

– Ah ? Pas tellement ton look, si tu veux mon avis.

– Rôle de composition. Un best-seller mondial, ça vaut bien quelque torticolis de personnalité, non ? Revenons à nos moutons, il faut se décider. Que nous reste-t-il dans l’arc-en-ciel ? L’indigo ? (moue du sieur Gérard Bossuet, qui, sans vouloir jouer les mauvaises langues, ne semble pas précisément situer la teinte sur la palette) Bleu ?

Bleu ? Dans les cheveux de mon interlocutrice languissamment se lovent, sous-jacents plus que musardant en surface, des reflets d’un bleu profond.

– Bleu, voilà ! Sauf que, personnellement, j’y ajouterais une sorte de profondeur, comme de…

– Cher Kierkegaard, la profondeur, autre paire de manches. Commençons par le B, A, BA. Noir en couleur de fond : c’est vendu.

(GÉRARD)

Première apparition de l’oiseau

« Noir, avec des reflets bleus », ai-je rectifié in petto, enchaînant de même : « et des joues pleines, des yeux bleus – tiens, au fait, piquetés de points noirs – de petits seins fermement modelés, qu’une fois franchi le premier cap de l’intimité, certaine jeune personne ne marchanderait pas aux efficients coups de barre d’un navigateur éclairé »…

Ladite jeune personne serait-elle dotée de double vue ? Dans l’intérêt du présent et de quelques avenirs envisageables, j’espère que non, cependant qu’elle enchaîne :

– Bon, nous progressons ! Autre chose, qui va sans dire, mais mieux encore à l’énoncé : je serai l’héroïne principale. Tu me donneras acte d’un sens aigu de l’anticipation, justifiant la primauté. Qu’il soit clair que je ne suis pas disposée à me laisser déposséder par la première intrigante venue !

Plus tard, je me ferai la réflexion que le personnage primordial d’un roman, essentiel bien qu’en théorie échappant à la perception du lecteur, c’est le romancier lui-même. Ce constat s’imposera à moi tandis que je contemplerai l’oiseau s’invitant sur la balustrade de mon balcon. L’oiseau – mais nous y reviendrons – l’oiseau n’était pas réel. Ce qui, dans la gradation vers l’antériorité, s’intercalait devant le portail de cette réalité-là, c’était l’homme – l’homme-moi – en passe de se transformer en romancier et, en tant que jalon discret posé sur sa route, imaginant l’oiseau perché sur sa balustrade.

C’est ainsi que me sera donnée l’occasion de me convaincre : primo, qu’Élise est un personnage top niveau, qu’il serait criminel de ne pas cultiver avec la dilection qu’elle appelle ; secundo, qu’il serait d’autant plus piquant, encore que n’échappant pas aux conventions, de lui être infidèle, du moins tant que notre relation n’aurait pas pris un tour trop contraignant en matière de loyauté…

– Tu as défenestré Tanya, sacrifice auquel peu de mâles l’ayant eue dans leur viseur auraient consenti. Pour t’épargner des regrets, sache que Tanya, c’est le miroir aux alouettes, l’illusion brillante qui fait choir de haut les naïfs tombés sous le charme. Je préfère t’éviter la déconvenue : quand elle se laisse aller, elle perd pas mal de sa superbe. Quand même pas la crasse sous la soie, mais, en fin de journée, odeur sous les aisselles. Pire : il lui arrive de lâcher… comprends à demi-mot. Pas à tout bout de champ, d’accord, mais un seul de cette sorte d’alizés suffit à déboulonner n’importe quel mythe statufié, non ?

– Lâcher des vents ? Péter ? Une héroïne de roman : j’ai peine à le croire !

– Héroïne de cinéma, même, ou il s’en est fallu de peu : à l’époque, elle visait un Oscar. Lors d’une fin de soirée arrosée de Veuve Clicquot, elle amorce la procédure de mise en jouissance en nue propriété au bénéfice du producteur ventripotent inscrit sur la troisième page de son planning-plan de carrière, lequel commanditaire suit avec intérêt la démarche. Alors qu’elle se ploie, histoire de lui faire admirer l’ampleur de son volume de jeu, comme métaphorisent les commentateurs de football, lui échappe un pet, pour reprendre ton expression, triviale mais dont je t’accorde qu’elle fait mouche.

– J’imagine que la mésaventure aura stoppé net ses débuts dans le septième art.

– Finalement, oui, par voie de conséquences indirectes. Le producteur, auquel le vieillissement rendait de plus en plus coûteux l’exercice du droit de cuissage, était subjugué. Il estima que, venant d’une créature d’une telle sophistication, l’acte ne pouvait que traduire une classe suprême, du ixième degré d’élégance distanciée. Il prétendit se mettre au diapason : la cata ! Tanya a un fond constitutif de vulgarité, mais sa tolérance fonctionne à sens unique. Pour en terminer avec la petite histoire, sur ces entrefaites elle rencontra Erskine Caldwell. Je ne sais quelle utilisation en fit le bonhomme, le fait est que ça la retira du circuit un bon moment.

J’avais peine à imaginer Supertanya s’oubliant ainsi ; chaque jour apporte son lot de surprises.

De trivialité, Élise, pour sa part, semblait totalement exempte. Elle enfonce le clou :

– Moi, je suis dans le camp du clean. Ce camp-clan, avec moi tu l’as choisi. Nous enfanterons d’un roman clean. Sans pets, pas même de lapin ou de nonne, j’en prends l’engagement !

La chose ne prêtait pas à discussion : clean, elle l’était. Si l’on me poussait dans mes retranchements, j’ajouterais : presque un poil trop à mon goût. J’entends par là : d’une façon qui à la longue risquait de s’avérer un tantinet fastidieuse.

Une personne vulgaire on la trompe avec son contraire, tout autant se vérifie la réciproque. Déjà, quelque part, je savais ne pas en avoir fini avec Tanya… ne serait-ce que par souci de vérifier si les accusations de sa rivale n’étaient pas entachées de partialité, ce qui eût été humain, donc par essence ressortissant au domaine romanesque, le mien dès à présent, puisque c’est dans ces flots du destin que s’engageait ma barque.

(GÉRARD)

Contexte et confidences

Étais-je suffisamment motivé par cette abracadabrante histoire de roman tombé du ciel sur mon palier sans crier gare ? Ne m’abstenais-je pas d’en récuser le projet au titre de l’aubaine Élise ? Un peu aussi, me chuchoterai-je sans panache, n’y miroiterait-il pas un rab Tanya, voire d’éventuelles congénères des deux jeunes femmes n’attendant qu’un signal de ma lubricité – laquelle n’attendant que l’occasion… – pour lui offrir leur petit ballet de charme ?…

Pondre un roman, jamais je n’avais envisagé pareille entreprise. Le plaisir inédit d’en caresser le rêve je le découvrais comme une révélation ; quant à aligner page sur page, pour un garçon plutôt conditionné multimédia, la galère ! En plus, qu’on me croie sur parole, entrer dans la cohorte désordonnée et geignarde des gens de lettres était bien la dernière de mes ambitions !

Mes ambitions, puisque le sujet se glisse sous nos pas, comment les définir ? À ce stade de mon existence, retourné à la solitude à la suite de diverses péripéties conjugalo-sentimentales, pittoresques mais ayant avec leur brûlante actualité perdu leur sel (le fait en compensation aidant à la cicatrisation), subsistant pas trop chichement d’un travail à domicile pour une société d’informatique dont le patron était un presque ami, je ne ressentais pas de soucis pressants d’argent, ni d’ailleurs, dans les limites de ce « pressant », d’aucune autre nature.

Je me cherchais – formule commode que, mainte fois, je me suis félicité d’avoir épinglée à mon vocabulaire –, sans passion ni impatience. Durant mon adolescence il m’était arrivé de noircir du papier, mais ces velléités se bornaient à d’épisodiques envolées lyriques, s’insérant de préférence dans un cadre de théâtralité narcissique, que leur outrance même préservait du danger de se prendre au sérieux. Lorenzaccio, Othello en personne, défions la terre et les étoiles, croule sur notre tête le ciel embrasé ! Et vogue la galère, fouette cocher, il est minuit docteur Schweitzer, dormez en paix bourgeois de Calais !…

Quelquefois, aussi, devant le clavier de mes ordinateurs d’apprentissage, au gré du fond musical dispensé par France-Musique, je me muais en quelque avatar de Wagner s’escrimant pour faire joli sur les grandes orgues de l’Apocalypse.

J’ajouterai que je me voyais mal dans la peau d’un de ces beaux messieurs chrysostomes, sachant traiter de tous sujets nobles en termes bien pesés, bien posés, sans trébucher, assumant la promotion de leur « Paradis Perdu » – peu de Pickwick, hélas, dans le fatras ! –, à la manière de grandes bouteilles de Coca-Cola light dotées, oh combien, du beau langage, dans une des émissions spécialisées, délicieusement confidentielles et feutrées, s’évertuant à survivre sur ondes hertziennes, câble et satellites… commentant (j’en reviens aux beaux messieurs Bouche-d’or-main-de-plomb) les faits et gestes de leurs personnages de plume déplumés à l’égal de manifestations d’êtres réels, sensibles, conséquents (Paix, mademoiselle Élise, vous n’êtes pas visée par la satire !), dont le destin fût en tous points digne de concerner, d’éclairer Madame – Chère Madame, très honoré ! Mais oui, vous vous en souviendrez sûrement, nous fûmes présentés chez d’Ormesson. –… Madame l’Humanité-rien-que-ça-une-affaire-qui-tourne !

Bon, vous venez d’avoir là un échantillon du style Bossuet (Gérard) première période. Donne à réfléchir, non ?

(GÉRARD)

L’oiseau, quel oiseau ?

Élise me désarçonnera d’une drôle de question :

– Est-ce que tu m’aimerais en oiseau ? Un petit oiseau qui vient de se poser, d’emblée prêt à reprendre le vol, insaisissable et néanmoins incommensurablement familier ?

Je n’avais pas mis au point une réplique pertinente que, déjà, l’escogriffe évoqué était perché sous mes yeux. Dodelinant sa petite tête de piaf, familier, incommensurablement insaisissable… je prendrai sous mon bonnet d’ajouter : indifférent, ironique, insouciant, irréductible dans sa poignante vulnérabilité, volatil (sans « e », piètres plaisantins !), les ailes vibrantes d’envol, de « renvol », de trahisons, inéluctables à mesure même de leur innocence…

Bien sûr, je traversais des phases de doute. Il m’arrivait de penser que ce m’était une chance imméritée qu’Élise eût choisi mon univers en friches pour y débarquer, avec armes et bagages, escorte légère, suite bruissant de tout un carnaval à colorier. Aussi m’advenait-il de craindre de la décevoir doublement, tant en qualité de compagnon de route que dans le rôle d’hypothétique romancier, qu’elle ne me quittât pour plus séduisant, plus consistant ; cette appréhension même ne faisait que l’ancrer dans sa réalité en forme de défi de buveuse de thé du bon faiseur (le moindre détail, chez elle, semblait en sortir, de ce fichu bon faiseur, alors que – challenge – rien encore ne provenait de moi), cette sorte d’invraisemblable autant que flagrante réalité qu’elle parvenait à créer à mon usage plus que l’inverse, lequel eût davantage été dans l’ordre naturel d’une présumée relation auteur-personnage.

Mais la seule vraie peur, authentiquement douloureuse celle-là, était qu’elle ne cessât de venir, point final ; qu’un jour, sans même un grincement à capter, à intégrer, à malaxer en ses tréfonds durant l’éternité du regret, une lourde porte ne se refermât sur ce fantasme, renvoyé vers un non-temps déjà passé, pire : vers l’oubli.

L’oiseau, brusquement décollant du balcon, qui nous garantit que demain il reviendra ?

Je n’aurais pas d’adresse, postale ou électronique, de numéro de téléphone, fixe ou portable, de fax ou télécopie, pas de mention, judicieusement copiée-collée au détour d’une conversation, d’une amie, d’un coiffeur, d’un magasin attitrés, autant de passerelles aptes à me permettre, le cas échéant, de la relancer. Une superstition, qu’on me fasse ou non la faveur de la comprendre, m’interdisait de m’en enquérir auprès d’elle.

Superstition ? Sentiment foncier de la fragilité universelle – non dénué de complaisance peut-être ? Hé, peut-être. Peut-être, hé oui, puisque vous le dites…

(GÉRARD)

Pour en revenir à ce concept de concept

Si, comme on a pu le lire entre les lignes, à pas circonspects j’avançais dans l’idée de faire romancier, au point que, la considération d’Élise, Tanya et les autres ne suffisant pas à expliquer la conversion, dorénavant il m’eût cruellement frustré d’avoir à y renoncer, les difficultés de la mise en œuvre ne tardèrent pas à m’apparaître.

Le choix du protagoniste masculin, d’abord. J’étais le premier à en admettre l’urgence. Au début, même, je me promettais une joie d’incorporer dans mon nouveau microcosme à géométrie variable ce compagnon, ce complice, allons, ne chipotons pas : cet alter ego. À l’expérience aucun des candidats qui se présentaient ne trouvait grâce à mes yeux. Trop peu mâle (traduisez : trop séduisant pour ne pas me faire de l’ombre), trop macho, trop gnangnan, trop conformiste, trop frivole, pisse-froid, emprunté, prêchi-prêcha, et j’en passe, bref trop Latour-prends-garde pour une identification crédible avec un quelconque auteur, dans la mesure du moins où ce dernier n’était autre que moi.

– Quand pouvons-nous espérer que tu en trouveras un à ta convenance ? s’impatientait Élise. Je me garderai de sonder ton cœur et tes reins, mais rappelle-toi qu’un écrivain n’est pas au service de médiocres motivations égoïstes !

– Objection ! J’ai toujours considéré que le meilleur moyen d’atteindre les autres était d’en chercher le chemin à travers soi-même. Pour expliciter mon propos, j’en appellerai aux gloses de Théophr…

– Foutaise !

En fait, je ne dévoilais pas le fond de ma pensée. Déjà, m’était apparu un deuxième obstacle. Ce personnage masculin, ce faux frère, ce rival, ce traître de vocation, pour Élise que serait-il ? Du point de vue de l’intérêt romanesque, le statut d’amant semblait s’imposer. Cette idée je la supportais mal. De quelle trahison, au reste, ne me rendrais-je pas coupable, prostituant de gaieté de cœur le cher ange sur l’autel d’une aléatoire gloire littéraire ?