Le règne terrestre des parfaits - Ivsan Otets - E-Book

Le règne terrestre des parfaits E-Book

Ivsan Otets

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Second tome des écrits d'Ivsan Otets, Le règne terrestre des parfaits rassemble dix textes dont quatre études bibliques de type "akklésiastique", c'est-à-dire dans le cadre d'un christianisme sans Église. L'akklésia reconnaît l'incarnation et la résurrection du Fils de l'homme mais non le dogme du Corpus Christi. Dans ce deuxième recueil ce sont deux attitudes de foi qui sont mises en regard : la foi "raisonnable" qui s'occupe du terrestre face à la foi que Kierkegaard appelait "ténèbres", orientée vers l'impossible de la résurrection. Textes du recueil : 1- Les papes 2- À propos des cantiques 3- Contre Billy Graham 4- De la religion anglo-américaine 5- Les fils de Noé 6- Resserré est le chemin 7- Le cordon ombilical 8- La maturité spirituelle 9- Ta vie sera ton butin 10- Une géométrie de l'Éden

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Seitenzahl: 184

Veröffentlichungsjahr: 2022

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SOMMAIRE

AVERTISSEMENT

PROLOGUE

Les papes

I - 

IMPERIUM ANGLO-SAXONICUM

À propos des cantiques

Deux mots sur Billy Graham

De la religion anglo-américaine

II - SOUMISSION - CONTINUITÉ - MÉLANGE

Les fils de Noé

Resserré est le chemin

Le cordon ombilical

La maturité spirituelle

Ta vie sera ton butin

ÉPILOGUE

Une géométrie de l’Éden

AVERTISSEMENT

Les textes proposés dans ce recueil reflètent un cheminement et s’inscrivent dans la progression d’un discours. Ce discours est la réflexion philosophique et spirituelle D’IVSAN OTETS, développée à partir des années 2000 et se poursuivant jusqu’à nos jours. Les fruits de cette réflexion furent publiés sur deux sites internet, Les Cahiers Jérémie, puis, en collaboration avec DIANITSA OTETS, sur AKKLÉSIA où ils continuent d’être publiés.

Les écrits sélectionnés pour le présent tome datent, comme pour le précédent, d’une première période située globalement entre les années 2000-2015.

Certaines idées ont depuis évolué, certaines positions ont été revues et modifiées. Quelques-unes de ces évolutions apparaissent dans les textes les plus récents, disponibles en ligne. D’autres font l’objet de nos recherches et de notre réflexion actuelles et il nous tarde de les partager.

Nous laissons néanmoins les textes antérieurs tels quels, moyennant seulement quelques révisions stylistiques, mais sans y modifier certaines idées et positions exprimées alors qui auront peut-être changé depuis ; ces textes témoignent du chemin parcouru.

Ivsan & Dianitsa Otets

PROLOGUE

Les papesPontifex Maximus

DANS UNE CIRCULAIRE, LE PAPE JEAN-PAUL II affirma que « la foi et LA RAISON sont semblables à deux ailes permettant à l’esprit humain de s’élever vers la contemplation de la vérité 1 ». LÉON CHESTOV, quant à lui, tenait un tout autre propos. En effet, devant l’antique récit de la Genèse, le philosophe russe parlait ainsi : « la raison est ce glaive de feu au moyen duquel l’Ange placé par Dieu aux portes du paradis en écarte les hommes 2 ». Il faisait référence à ces êtres célestes dont parle le texte biblique : « les chérubins postés à l’orient du jardin d’Éden avec la flamme de l’épée foudroyante pour garder le chemin de l’arbre de vie. » (GEN 324).

Qui faut-il croire ? La théologie du prestigieux Souverain Pontife qui exerça son pouvoir durant près de trente années au Vatican, ou bien un philosophe à peine connu qui s’exila à Paris où il mourut ? Pour l’un, la raison élève l’homme ; pour l’autre la raison prive l’homme du plus grand bien. Le Pape prend l’envol de la raison pour rejoindre la vérité divine quand CHESTOV voit en elle un inflexible ennemi le menaçant continuellement. Comment, à partir du même texte biblique, un tel abîme a-t-il pu se creuser entre les hommes ? Est-ce que l’humanité s’y répartit proportionnellement sur chacun des deux côtés ? Niet ! Tous les hommes ont depuis longtemps rejoint la position des papes…ou plutôt : c’est Rome, qui depuis fort longtemps a rejoint les hommes intelligents et raisonnables !

Dans la même encyclique, JEAN-PAUL II s’enfonce davantage lorsqu’il ajoute : « la pensée philosophique est souvent l’unique terrain d’entente et de dialogue avec ceux qui ne partagent pas notre foi ». Rappelons que l’Évêque romain porte un titre hérité de l’Antiquité latine, un titre qui désignait le plus haut prêtre de la ROME PAÏENNE : le Pontifex Maximus, c’est-à-dire le Grand faiseur de ponts. JEAN-PAUL II, dans la lignée de ses multiples prédécesseurs, jette ici un pont philosophique afin d’unir l’Église avec le reste de l’humanité raisonnable. Le chrétien voit ainsi dans la raison une des ailes de l’esprit permettant aux hommes de s’élever de progrès en progrès. Chacun désignera ensuite ce qui lui convient le mieux pour incarner la seconde aile : la science dira l’athée ; la théologie diront les papes, prétendant qu’elle est « la science de la foi ». C’est ainsi que le feu de la raison a consumé la foi puis l’a métamorphosée en une science divine. Les papes ont fait de la liberté de l’esprit un glaive flamboyant et vindicatif ; ils lui ont arraché les ailes. Ils ne volent pas, ils marchent sur la terre en brûlant tout ce qui ne se soumet pas à leur raison…à l’instar de l’homme-raté, le pécheur.

CHESTOV, quant à lui, s’était donné pour tâche, non de « réconcilier la philosophie et la science, mais de les brouiller entre elles », et, dira-t-il : « plus intense, plus cruelle sera leur lutte, plus les hommes en retireront d’avantages 3 ». Il brisa pour lui le pont construit par les papes. Il resta là, exilé de l’autre côté du gouffre, rejoignant ce faible reste de l’humanité pour qui les connaissances de l’Ange au glaive de feu ne sont que des sortilèges pour intelligents. Quelle sorte de philosophie amputée des logiques de la raison CHESTOV produisit-il de ce côté-ci de l’abîme ? Celle qui, affirma-t-il, « se propose, non d’accepter, mais de surmonter les évidences et qui introduit dans notre pensée une nouvelle dimension, la foi. »

Ainsi donc, les papes ont donné la foi en pâture à la raison qui les fascine, et, faisant d’elle une Science de Dieu, ils ont élaboré des cathédrales de règles et de doctrines auxquelles il suffit de se soumettre pour atteindre le divin. Mais la foi ne s’achète pas aux lumières de la raison et de ses sages morales ; et non contente de lui DÉSOBÉIR, elle veut encore la soumettre à la liberté tant elle sait combien la raison devient folle dans son rôle de chef. La foi en Dieu se nourrit d’une liberté insaisissable pour toute logique ; aussi, quiconque bâtit un pont pour relier l’une à l’autre est en train de greffer sur un même corps le plumage de la liberté divine avec l’aile de plomb des vérités raisonnables. Ainsi prépare-t-il le monde à s’effondrer dans l’abîme sans fond qui sépare précisément Dieu, et nos sciences de la vérité.

Le royaume de Dieu où conduit la foi est un lieu où les vérités n’accusent plus l’âme au moyen de leurs flamboyantes épées. Le feu angélique de leur pouvoir y est là-bas déchu du règne que leurs évidences détiennent encore ici-bas. Dans la réalité divine, les vérités vivent et meurent au gré de la volonté des fils de l’homme, et leurs contradictions n’émeuvent là-bas ni les êtres, ni la nature. C’est pourquoi, l’homme de foi tend toutes ses forces en ce monde présent pour résister aux papes de la sagesse. Il refuse de brûler avec eux les ailes naissantes de l’esprit que son Dieu lui insuffle pour le rejoindre un jour. C’est lors de cette errance difficile que CHESTOV trouva la consolation suivante ; il se rappelait alors « la lutte contre les évidences » que mena aussi le Christ lors de la tentation au désert :

Quand Athènes proclame, urbi et orbi, pour la ville et pour le monde : Si tu veux te soumettre toutes choses, soumets-toi à la raison,4 Jérusalem entend à travers ces paroles : Je te donnerai toutes ces choses, si tu te prosternes et m’adores ; et répond : Retire-toi, Satan! Car il est écrit: Tu adoreras le Seigneur, ton Dieu, et tu le serviras lui seul. 5

1 JEAN-PAUL II, Fides et Ratio · Encyclique du 14 septembre 1998.

2 LÉON CHESTOV, Le pouvoir des clefs, « De la racine des choses ».

3 Léon Chestov, La balance de Job, « La philosophie de l’histoire ».

4 Sénèque, Lettres à Lucilius, lettre 37-4 (en latin dans le texte : Si vis tibi omnia subjicere, te subjice rationi).

5 Léon Chestov, Athènes et Jérusalem, « De la philosophie médiévale ».

I - IMPERIUM ANGLO-SAXONICUM

À propos des cantiquesÀ l’attention des hommes heureux

VICTOR KLEMPERER, DANS SON OUVRAGE La Langue du Troisième Reich, explique la façon dont la propagande nazie modifiait quotidiennement la langue allemande pour répandre son idéologie. Aussi dira-t-il que l’oppression mentale totalitaire est faite de « piqûres de moustiques et non de grands coups sur la tête ». C’est un mélange, ajoute-t-il, de « Nova-lis et de Barnum ». Novalis fait référence au poète romantique et BARNUM à l’entrepreneur de spectacles américain qui créa le cirque Barnum en 1871.

De là est née l’expression « effet Barnum » du psychologue PAUL MEEHL. Il faisait référence aux talents de manipulateur de l’homme de cirque, lequel affirmait qu’« UN BON CIRQUE DOIT OFFRIR QUELQUE CHOSE À TOUT LE MONDE ». L’effet Barnum sert à désigner une suggestion, une subjectivité. Par celles-ci on conduit une personne à accepter qu’une description succincte, qu’une impression évasive s’appliquent précisément à sa personnalité. L’effet Barnum, c’est prendre ses rêves pour des réalités. C’est une fâcheuse tendance à donner un sens à toutes ses expériences. De là naissent de faux espoirs amers. Ces suggestions fonctionnent sur les intelligents comme sur les idiots. Astrologie, cartomancie, numérologie et autres spiritualités la pratiquent à outrance. Leurs clients sont convaincus de soumettre leur vie et leur personnalité à une évaluation solennelle, au cours d’une rencontre-spectacle avec des « vérités » que ces marchands leur énoncent et que les spectateurs peuvent même arriver à expérimenter physiquement. Ils entrent dans une croyance suggérée comme certaine et certifiée. Toute remise en question de leurs pratiques ou expériences est dès lors « blasphématoire ».

Ce mélange de suggestion (barnum) et de romantisme (novalis) est le propre des églises. Depuis des siècles d’ailleurs. Le paganisme avec ses spectacles spirituels fut la première séance de cinéma. Il manipulait aussi ses inévitables « CLIMAX ». Cet instant, ainsi nommé par les professionnels du cinéma, où la tension et l’émotion cinématographique sont à leur paroxysme. Là où se résout l’action dans une réponse appelée aussi noeud dramatique. ARISTOTE parlait lui de CATHARSIS (de katharein, « purifier, purger »). Terme employé d’abord lors de rituels religieux d’expulsion pratiqués dans l’Antiquité. Pour SOCRATE, PLATON ou les Stoïciens, la catharsis et la philosophie sont liées. C’est isoler l’âme du corps, tuer l’être particulier pour le dissoudre dans l’idée générale. Plus près de nous en revanche, parallèlement à la définition clinique du psychologue, la catharsis désigne LE PLAISIR FONDAMENTAL DU SPECTATEUR. Lors du climax, une sorte de purge émotionnelle se produit, un dégorgement thérapeutique. C’est la résolution du conflit dans le scénario : David tue Goliath. Les scénaristes et le monde de la communication connaissent parfaitement les mécanismes de la catharsis. On suggère au spectateur qu’il est ce héros, victorieux dans sa lutte l’opposant au mal.

AINSI FONCTIONNE TOUT SPECTACLE RELIGIEUX. Le catholicisme commença par ses récitations en latin, dans ses bâtisses grandioses, au milieu de ses acteurs parés pour l’occasion. La suggestion est ainsi créée, avec son romantisme liturgique, et l’ensemble est combiné à la purification de la conscience des participants. Tout cela rapporta des recettes énormes dans le monde entier. Mais le catholicisme est moribond. Le protestantisme a su habilement moderniser le spectacle : le métamorphoser pour qu’il colle à nos réalités.

C’est pourquoi la musique et les cantiques, plus que le prophétisme, le sentimentalisme ou le miraculeux, tiennent une place primordiale de nos jours. L’église qui réussit est celle qui sait le mieux chanter et manier les techniques modernes de sons et lumières. À l’instar de L’ANCIEN Testament, riche en cantiques et en liturgies, notamment lors de l’époque glorieuse des Rois, les églises s’avancent pour conquérir les âmes. Trompettes à la main, elles suggèrent à leur peuple qu’il est la race des parfaits venus rendre ce monde plus heureux, et l’épanouir dans ses sentiments.

À L’ENCONTRE DE CE CIRQUE, le NOUVEAU TESTAMENT est autant avare en cantiques que l’Ancien en est riche. En dehors de trois maigres références dans les lettres pauliniennes – dont Éphésiens et Colossiens, précisément suspectées d’être des pseudépigraphes – nous n’avons rien ! L’APOCALYPSE, faisant référence au monde à venir doit bien sûr être mise à part. Du reste, la seule et unique fois où les Évangiles font référence aux cantiques en présence du Christ, le propos est significatif au possible. En effet, après que le texte ait dit : « Ayant chanté les psaumes, ils sortirent pour aller au mont des Oliviers », Jésus prend lui-même la parole pour annoncer aussitôt : « Je serai pour vous tous, cette nuit, une occasion de chute. »

Paf ! Ce qui devait arriver arriva. Les disciples vont s’endormir en priant alors que le Christ est en train de suer du sang. Puis, ils vont tous l’abandonner ! Enfin, Pierre le reniera au chant du coq. Tout cela dans les heures qui suivirent le chant des psaumes. Le véritable cantique du NOUVEAU TESTAMENT, c’est le chant du coq ! Voilà ce qui dit le texte. Ailleurs, le grand écrivain GOGOL parlera du coq, dont le cri perçant annonce toujours le changement de temps.6 Le NOUVEAU Testament n’annonce-t-il pas le changement du temps ? N’annonce-t-il pas que la nature de l’homme va être révélée ? Cet homme, chantant sur son tas de fumier, doit apprendre qui il est pour atteindre ce qu’il n’est pas.

Devant les messes et les cirques évangéliques, il en vient à se demander ce que Dieu pense. Ne voit-il pas là ce que voyait VICTOR KLEMPERER ? C’est-à-dire « LES PIQÛRES DE MOUSTIQUE » d’une propagande religieuse, là où l’on suggère à l’homme, dans un romantisme écoeurant, que sa sanctification est l’expérience purgative des cultes et des messes. Il y a plus de vérités dans les larmes amères de Pierre que dans ses chants psalmodiés l’instant d’avant. Que les chrétiens fassent de même, qu’ils pleurent amèrement. Car leurs cantiques et leurs bazars prophétiques sonnent aujourd’hui leur réprobation. Ils sont la prophétie qu’ils n’entendent pas tant ils hurlent fort. LA PROPHÉTIE DU CHANT DU COQ QUI VIENT BIENTÔT POUR EUX.

6 NIKOLAÏ GOGOL, Les âmes mortes, Chant II.

Deux mots sur Billy GrahamÀ l’attention des Évangéliques

IL EXISTE UN CERTAIN PROTESTANTISME, tant en Europe que sur d’autres continents, « addict » et totalement envoûté par la prédication évangélique américaine. C’est une attitude fort inquiétante. Elle me rappelle d’ailleurs étrangement la propagande servant à décrire les faits historiques de la Seconde Guerre mondiale. En effet, on nous enseigne depuis notre enfance que l’Amérique, telle un sauveur, aurait débarrassé l’Europe du Nazisme. Nous savons pourtant que tout comme la France, l’Italie ou l’Angleterre, les pertes totales américaines furent d’environ un demi-million d’hommes. À côté de cela, la Russie perdit plus de 20 MILLIONS des siens à des milliers de kilomètres du débarquement de Normandie tant médiatisé par l’Histoire. Tandis que des millions d’hommes et de femmes slaves étaient sacrifiés dans une sorte d’incognito, pour ne pas dire de mépris aux yeux de l’Européen moyen pour qui la victoire ne devait se chanter qu’en américain, le peuple russe terrassait néanmoins à lui seul HITLER, préparant ainsi sa défaite définitive.

Mais la propagande fit admirablement bien son travail. L’Europe se tourna ébahie vers l’Ouest, encensant l’Amérique comme un héros. Elle ne cesse depuis lors de s’ouvrir à son mode de vie, bouche bée, se nourrissant de tous ses messages et accueillant sur tapis rouge ses messagers. C’est ce même aveuglement qui pèse, tel une ombre, sur l’esprit d’une certaine chrétienté de nos jours. On se tourne vers l’Ouest comme si là-bas le christianisme possédait à lui seul les secrets de la victoire évangélique ; comme si Dieu avait exclusivement pourvu les ekklésias made in USA d’une force spirituelle capable de vaincre les ennemis de l’humanité. Le christianisme d’outre-Atlantique est regardé avec naïveté et une quasi-idolâtrie comme un modèle d’excellence. N’estil pas le premier à atteindre le but final de ce messianisme qu’on prétend être parfaitement fidèle au Christ ? À savoir que la chrétienté se doit de RÉGNER politiquement !

Dans son documentaire Dieu protège l’Amérique, DAVID VAN TAYLOR nous relate l’élection de RICHARD NIXON. Le nouveau Président tout juste élu se présente devant la foule exaltée de ses fidèles bardée de la clique habituelle des journalistes ; et à ses côtés, sur le podium, le sourire en bouche couronné d’un regard de faucon, se tient BILLY GRAHAM. Le prédicateur religieux reçoit alors le micro et se lance aussitôt dans une phraséologie digne de L’ANCIEN TESTAMENT : « Ô Seigneur, nous sacrons Richard MILHOUS NIXON président des États-Unis, au nom du Prince de la Paix qui a versé son sang sur la croix pour que les hommes aient la vie éternelle, amen. » NIXON vécut alors une extase à nulle autre pareille. Imaginez ! Être ni plus ni moins directement sacré roi par Dieu lui-même via la bouche d’un de ses plus prestigieux évangélistes. L’un et l’autre sont alors convaincus d’être en mission divine ; ils dirigeront la Nation la plus puissante au Monde pour encore une fois SAUVER ce dernier de l’envahisseur qui le dévore.

Le vieux Pape romain de la vieille Europe est à terre avec son urbi et orbi, avec son « à la ville et au monde ». Quant au Pape du protestantisme, BILLY GRAHAM, le voici en train d’élever l’urbi et orbi à la hauteur des espérances divines. L’onction a certes changé de main, mais BILLY GRAHAM est néanmoins le digne fils de l’Évêque de Rome ; car comme lui, il vise aussi le règne politique et s’adresse avec grandiloquence à la ville et au monde. Le prédicateur américain, bien plus pragmatique, a cependant largement dépassé son père. Abandonnant le vieux costume liturgique, il s’est revêtu d’un complet coupé par les meilleurs tailleurs, a étudié l’économie moderne, les mécanismes de Mammon, puis s’est immiscé enfin dans le cercle très fermé des pouvoirs obscurs de la politique. Il serre désormais la main des exousia, des « autorités » ; là, sur la plus haute marche de leurs gloires. Quant au Christ ? Il fit l’exact inverse puisqu’il renia les autorités et les humilia publiquement (cf. COL 215). Le Christ jeta à terre leurs couronnes, criant au monde et à la ville : « Mon royaume n’est pas de ce monde, mon royaume n’est pas d’icibas » (cf. JN 18 36). Assurément, LE CHRIST N’ÉTAIT PAS SUR L’ESTRADE avec Billy Graham et Richard Nixon ; il était absent d’un tel lieu. Il faudra bien que le prêcheur américain rende un jour compte de s’être ainsi saisi du nom du fils de Dieu pour bâtir ses fantasmes humains et y avoir plongé de surcroît tant de foules crédules qui l’écoutèrent.

Devant un tel dévoiement de L’ÉVANGILE, la pensée de CHESTERTON me vient aussitôt à l’esprit : « Le monde est plein d’idées chrétiennes devenues folles. » Le règne politique du christianisme est simplement le mélange tragique et pathétique du judaïsme avec L’ÉVANGILE. C’est Pierre qui, balbutiant d’effroi lors de la transfiguration, se met à dire n’importe quoi : « Dressons trois tentes, une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie » (Mc 95). C’est ce vieux geste craintif d’un christianisme infantile qui veut coudre la Foi à la Loi. C’est-à-dire rendre Dieu tangible ; mêler le Christ à une théocratie venue de la Loi ; l’obliger, tel que tentèrent de le faire les pharisiens et la foule, à accepter le couronnement politique. Fort heureusement, le Nazaréen préféra la croix et l’incognito de la résurrection. LE CHRIST NE VEUT PAS RÉGNER SUR LES HOMMES ! Il veut changer leur nature si profondément que chaque-Un règne sur sa propre réalité ; qu’il soit roi sur son propre royaume : qu’il soit sans Dieu ni maître. Le Christ se donne comme Père, et il est lui-même le Père qui se sacrifie pour ses fils ; mais jamais son but final n’est de se donner comme Dieu Tout-Puissant à des fils qui ne pourraient s’approcher de lui qu’à genoux. Il a en vue leur pleine liberté. Il veut les faire passer du statut de créature soumise au Créateur, à la dignité de fils portant la nature de leur Père. La différence est radicalement différente ; c’est une véritable cassure avec la théologie de la Thora et de ses morales sociales. Un divorce sans retour avec cette ardeur qu’a L’ANCIEN Testament à être politiquement reçu et à régner sur les hommes.

Mais BILLY GRAHAM n’a-t-il pas prêché l’Évangile, me fera-t-on remarquer ? N’a-t-il pas conduit au Christ de nombreuses personnes ? N’en soyons pas si sûrs. Il est aisé de procéder à des conversions intellectuelles ou morales, lesquelles sont le propre des conversions politiques somme toute. Voici la recette. On suggère à autrui des convictions par le levier envoûtant d’un orateur de talent et de son directeur de campagne, expert en propagande. On apprend à manipuler telles ou telles valeurs ou mécanismes agissant sur la psychologie humaine ; de telle sorte qu’on acquiert sur l’autre assez de pouvoir pour qu’il se saisisse du bulletin de vote qu’on veut le voir utiliser. Ainsi le « convertisseur » fait-il régner une certaine autorité sur son prochain en lui faisant accroire qu’il l’a librement choisie. En vérité, il n’y a élection ni d’un côté ni de l’autre. Il n’y a ici qu’une manipulation morale et intellectuelle qui n’a absolument RIEN DE SPIRITUEL !

De fait, il est aisé de CONFONDRE une conversion de la conscience à un quelconque schéma de pensée du bien et du mal, avec la naissance spirituelle qui précisément échappe à tous les schémas du bien et du mal. En effet, l’Esprit agit tout autrement. Il vient littéralement déchirer l’individu ; il le rend fou. Il fait justement en sorte que l’argutie intellectuelle ou morale ne tienne plus ; qu’elles n’offrent plus d’échappatoire à celui pour qui n’existe d’autre espoir qu’une intervention totalement gratuite, miraculeuse et déraisonnable de Dieu. Et cela, dans un face à face intime et personnel entre l’homme et le ciel. L’intervention de l’Esprit est au-delà du bien et au-delà du mal ; au-delà de toute raison, de toute logique, de toute théologie et de toute justice. Il est question, pour l’Esprit, de la Justice du Royaume des cieux, laquelle n’a été vue par aucun oeil, saisie par aucune intelligence, expérimentée par aucun sentiment. Cette justice contre-THORA qui fait naître l’homme à Dieu ne peut être appréhendée humainement. Il faut un acte absolument gracieux de la part du Christ pour que soudain s’ouvre à l’homme ce tout-nouveau qu’il n’a jamais auparavant imaginé ; ce tout-nouveau qu’il ne peut désormais embrasser et faire sien que par la Foi seule.