Les aventures de Keira O’Connor - Pascal Dague - E-Book

Les aventures de Keira O’Connor E-Book

Pascal Dague

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Beschreibung

Keira O’Connor, surnommée « l’Irlandaise » ou encore « la Rouquine » est une aventurière. « Une voleuse ». Ce livre retrace les aventures tumultueuses d’une femme impitoyable et crainte par les hommes… Que cette femme ait réellement existé ou non importe peu. 

Keira O’Connor n’était plus sûre de rien, mais elle savait une chose : une vie nouvelle s’offrirait à elle…

 À PROPOS DE L'AUTEUR 

La « plume » de Pascal Dague, caresse le papier comme la feuille de rose excite par ordonnance la page blanche. Cela vous étonne ? D’aucuns pensent sûrement qu’il fut un homme insensible et froid, l’auteur est tout le contraire… Pour preuve le prix d’Excellence reçu en octobre 2020 par Bibliotheca Universalis et Horizon Littéraire Contemporain, dû au chantre d’amour de ses textes. Depuis plus de quarante ans, Pascal Dague cultive cette dichotomie entre la raison et la passion dans le seul but de découvrir la vérité ; de tout homme qui se cherche. Et revendique que quelque part, l’écrivain est un flic, un flic sentimental qui traque l’information jusqu’à satisfaire sa curiosité. Rien n’est simple, rien n’est écrit d’avance, la liberté se sculpte avec le temps. Faut-il encore le prendre pour lui donner toute son importance.

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Seitenzahl: 204

Veröffentlichungsjahr: 2024

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Pascal DAGUE

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L. 122-5, d’une part, que les "copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective" et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les "analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information", toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

RÉSERVÉ À UN PUBLIC AVERTI

Ma plume caresse le papier comme la feuille de rose excite, par ordonnance, la page blanche. L’enseignement du désir provient uniquement de l’envie d’être qui nous sommes… Bien sûr, cela suggère des fantasmes qui ne sont pas toujours les mêmes dans le temps. Il faut les prendre pour ce qu'ils sont. Pour ma part et à bien des égards, ce ne sont que des écrits, aux antipodes de la réalité. Depuis quarante ans, je ne pense pas avoir changé grand-chose dans mon style d’écriture, et sincèrement, qu’importe le thème de mes livres, mes héroïnes ont toujours les mêmes états d'âme.

Tout d’abord, la chance lui avait souri… Très vite, Keira avait découvert les premiers indices. Puis, elle s’était attelée à la tâche. Une première piste, une autre, puis d’autres encore. Plus de neuf mois d’enquêtes, de pistes associées à des recherches et, enfin, intelligence, volonté et patience payèrent. Enfin, la chasseresse débusquait sa première proie : un marchand le plus souvent itinérant, Youssef Pouchah. Très vite encore, le gros homme, mort de peur, délivra tout ce qu’il savait en pleurnichard affolé. Il donna même des plans, des croquis et des notes manuscrites, après quoi, Keira se contenta de l’assommer. Bâillon et liens en place, et le gros marchand fut abandonné, ligoté et enfermé dans un cagibi de la petite échoppe qu’il tenait en ville. La Rouquine savait qu’il n’y resterait pas longtemps. La femme prenait certes un gros risque, mais n’aimait pas tuer sans y être obligée. Encore que, elle serait peut-être morte avant le marchand… Les Blancs du coin appelaient ce foutoir ensablé « une ville », quelques poignées de cahutes et de baraques, comme jetées au hasard sur les sables. Un magasin de ravitaillement, et un édifice de deux étages construit en bois, servant des alcools et des putains à qui en voulait. Sans oublier l’échoppe du gros Youssef Pouchah, rarement ouverte et donc inutile. Une sacrée ville, en somme. Une ville où il faisait bon vivre, à ce qu’il paraît…

Keira O’Connor était proche du but. Une ultime étape à franchir, et elle serait la voleuse la plus riche du continent. Ou une Irlandaise morte…

Départ.

Keira avait laissé sa monture sans attache. C’était une brave bête, une monture courageuse, qu’elle montait depuis ces derniers mois. Un cheval était rare en ces contrées primitives. Ce qui était rare valait son prix, et cela, même si un pauvre chameau n’était pas donné. Tout était cher dans le nord de l’Afrique. Si elle ne revenait pas de sa petite excursion, autant que la jument puisse repartir. Sa monture retrouverait certainement le dernier amas de cabanes habitées, qu’elles avaient trouvé à une quinzaine de lieues à l’est, ou de fortes chances existaient pour que l’une des fréquentes caravanes de passage recueille la jument. Si Keira réussissait dans son projet, elle volerait l’un des chevaux des voleurs… La Rouquine s’enfonça dans les terres, ou plutôt dans des sables qui la mèneraient au petit désert qui cernait le rocher. Elle serait seule en terres sauvages. Elle avait des outres d’eau pour quelques jours, quelques vivres, et ses armes. Keira n’avait pris aucune arme à feu. Les quarante, eux, possédaient pistolets et fusils. Des atouts, certes, mais qui seraient inutiles pour une voleuse, dans ce genre d’entreprise.

L’énorme rocher avait toujours été là. Beaucoup connaissaient son existence. Ce n’était pas un secret. Ensuite, les voleurs étaient venus. Une très grande bande. Une quarantaine de malfrats de toute provenance. Des Européens, des Arabes, des Blancs, et des Noirs, des voleurs très bien organisés tout autant que puissants. Cela faisait quelques belles années qu’ils pillaient ces coins de l’Afrique. Ils s’enrichissaient vite, et regagnaient plus vite encore leur tanière. L’histoire disait qu’ils avaient creusé la roche. Le rocher devint donc cache, puis caverne, et enfin antre. Le repaire des quarante voleurs ! Plus personne ne s’approchait trop près de l’endroit. Il y avait eu des morts. Beaucoup de morts. Des gens trop curieux, d’autres voleurs, comme des aventuriers. Tous ces gens devenus introuvables, après leurs tentatives de prendre ce rocher pour eux. Alors, de puissants et riches Arabes avaient levé des milices, lassés d’être pillés et rançonnés. Certes, le rocher avait été investi plusieurs fois, mais personne n’était jamais ressorti vivant de la pierre. Depuis lors, les quarante vivaient tranquillement. Pour Keira O’Connor, c’était parfait. La tranquillité, la quiétude, le confort, et surtout le bonheur tuaient les voleurs plus sûrement qu’une lame ou qu’une balle. Cela prenait seulement plus de temps.

À une trentaine de pas, la caverne était là ! Béante et offerte. Offerte à quelqu’un qui oserait la prendre…

Youssef Pouchah ne lui avait pas menti. Il avait très peur de ses compères bien sûr, et il perdrait gros à les trahir, mais Keira lui avait tranquillement expliqué qu’elle était l’envoyée de la mort. Là ! Tout de suite ! Pour lui ! Il parlait. Elle écoutait. Elle pensait qu’il mentait… il était mort. Elle obtint de lui des explications claires, des détails précis, elle les croyait. Il emporta sa fortune et quitta le continent. Vivant ! Le marchand n’avait pas menti. Ni sur la date du prochain raid prévu par les quarante ni sur rien d’autre. Sur le moment, il avait eu beaucoup plus peur de mourir de la main de la voleuse que de ses comparses, même aussi dangereux qu’ils l’étaient. La voleuse savait donc que la bande du rocher était partie en maraude. Et cela pour au moins trois longs mois, ou peut-être quatre. Pour un long moment en tout cas. Youssef Pouchah en était certain. Oui, au moins trois mois. Un butin qui en valait la peine était toujours long à être constitué. Trois mois au moins. Oui, l’histoire se tenait ! Il ne resterait qu’une douzaine de voleurs sur place. Le gros marchand le lui avait affirmé en frémissant de peur sous la lame posée sous sa gorge grasse et dégoulinante de sueur.

Des hommes devenus trop tranquilles. Et puis surtout, le rocher était devenu, au fil du temps, une véritable forteresse imprenable. L’on disait qu’il avait fallu deux années entières pour fabriquer la porte, une porte de pierre, taillée dans la masse du rocher. Immense, épaisse, lourde. La roche taillée en cercle se relevait et s’abaissait sous d’ingénieux systèmes de chaînes d’acier, de cordages et de poulies. C’était ce que l’on disait… Le repaire des quarante voleurs était impénétrable ! De quoi être tranquille et rassuré, quand on était un membre des quarante.

Keira O’Connor.

Keira était devenue voleuse, alors qu’elle n’était encore qu’une gamine. Une orpheline recueillie par des paysans. Des gens durs et pauvres. Une orpheline battue, et exploitée, qui avait fini comme tant d’autres mômes. Livrée à elle-même, dans les rues crasseuses des pires quartiers de Dublin. À douze ans, Keira O’Connor s’était rebellée. Le couple d’ordures avait décidé de prostituer leur petite larbine. Alors, Keira avait tué l’homme, et regardé sa harpie d’épouse se carapater en hurlant. Keira l’avait tué avec un vieux couteau de cuisine lourd et large. Après quoi, elle avait quitté la ferme délabrée.

Des bandes, des voyous, des arrestations. Quelques voyages hors des villes pour se faire oublier.

Puis toute une vie où la jeune femme ne volait plus uniquement pour manger. L’Irlande était pauvre, mais certains Irlandais étaient riches. Keira détroussait les bourgeois, détournait les diligences, et pillait les marchands. Parce qu’elle l’avait décidé ainsi. C’était son travail. Sa spécialité. Et elle aimait cela.

Keira O’Connor s’était ainsi fait un nom. On la surnommait « la Rouquine ».

Les côtes anglaises derrière elle, Keira O’Connor, âgée de trente ans, entama sa seconde vie. Le continent. La France. Voyages et bons coups vite gagnés. Sept hommes tués de ses mains. Richesses, profits et pertes. Ses frasques et petits exploits de voleuse étrangère au pays alimentaient nombre de conversations. Les autorités françaises exécraient la Rouquine. Keira O’Connor gagna alors un autre nom de guerre. « L’Irlandaise ».

Une vie amoureuse peu glorieuse. Quelques hommes, inintéressants au possible. Une ou deux femmes à peine plus agréables. Et Églantine ! Dix mois passés avec cette belle Française. Paris. Églantine était veuve, riche et intelligente. Et avec cette femme, la découverte du plaisir pour la Rouquine. Un abus de plaisirs. Un festival de la jouissance… Puis l’est. Allemagne, Autriche et Prusse. L’Italie ensuite. Et l’Espagne. Eduardo ! L’amour et la mort au bout.

Et aujourd’hui, l’Afrique.

Keira O’Connor, femme de quarante ans, savait qu’elle n’avait plus de temps à perdre. Ses aventures deviendraient vite difficiles, puis trop dangereuses et finiraient par certainement la tuer. En ce XVIIIe siècle, les choses allaient vite. Et toutes ces choses finiraient par la bousculer. Églantine parlait du siècle des Lumières. C’était une intellectuelle. L’année 1722, la lumière d’Églantine vacilla et s’éteignit, la médecine n’étant pas, l’une des lumières vantées par les intellectuels de ce siècle.

Six pieds de haut, épaules larges, poitrine haute. Des seins lourds, mais fermes, et des hanches dures. Un ventre plat, des fesses bien tournées, musclées et portées par des jambes interminables. Crinière d’un roux flamboyant. Grands yeux gris nuancés d’éclats plus sombres, sous le coup de certaines émotions, et des cils roux épais. Un regard éclatant. Inquiétant, parfois. Une peau pâle de rousse. Des traits réguliers. Un visage teinté d’une légère touche de masculinité grâce à un nez un peu fort, et une mâchoire un rien trop dure. Bouche large sensuelle. Fossette au menton. Keira O’Connor était une belle femme. Elle aurait pu être somptueuse. Hormis les temps parisiens passés avec Églantine, point de vêtures féminines ni aucun fard. Tenues d’hommes. Chemises et pourpoints, pantalons et bottes. Keira pouvait être chaude comme la braise, ou froide comme la glace. Et ce, selon ses humeurs ou les circonstances.

Afrique de l’Ouest et une caverne.

Personne ne savait qui était le chef des quarante. L’homme avait pourtant fait ses preuves. Intelligent, ingénieux, retors, très courageux et surtout discret. Discrétion et son point le plus fort. Aucune vantardise, jamais, et le secret autour de lui. Un maître voleur parmi les maîtres. L’homme n’avait jamais commis la moindre erreur. Jusqu’ici. Jusqu’à ce que Keira O’Connor croise son chemin. L’impression de sûreté et de sécurité tuait l’aventurier comme le voleur. Oh oui ! Et ce chef de bande, si sûr de lui, allait le comprendre.

Au tout début, la voleuse était restée sur place, surveillant les préparatifs de départ du gros Youssef Pouchah. Elle attendit patiemment, ne quittant que rarement la petite casemate qu’elle louait à un vieil homme, paysan et petit berger de quelques brebis et moutons. Puis le gros Youssef se volatilisa. Le marchand disparu devait certainement être très loin de l’Afrique, trop content que la mort qu’il avait croisée tienne sa promesse. La voleuse combattait son ennui en lisant, en échafaudant des plans pour son projet, ou en étudiant des cartes. De rares cartes imprécises. Elle imaginait des situations imprévues ou périlleuses, songeait et peaufinait des échappatoires… Les nuits : la tension de sa longue attente et ses frustrations se libéraient dans l’obscurité, lui apportant des « désirs » presque sauvages, feulant comme une lionne en chaleur et finissant par crier dans la pénombre de sa tanière.

Puis, un matin, Keira sella sa jument et prit la direction de l’ouest.

Près de trois longs mois étaient passés. Keira avait attendu. Elle avait attendu, et attendu encore… Il le fallait. La légende disait que le trésor de la caverne était inestimable. Alors Keira patientait. Là encore, l’on pouvait parler de trésor. Un trésor de calme et de patience. La Rouquine prenait son mal en patience en attendant que son plan puisse voir le jour. La voleuse attendait… Les pluies ! L’eau ! L’eau douce. L’eau potable ! Et cette ressource, la seule sur plus de trente lieues à la ronde, était primordiale pour le repaire des quarante. Keira attendit donc. Patiente et confiante.

Pour pleuvoir, on pouvait dire qu’il avait plu ! De quoi noyer le sable du petit désert qui protégeait le rocher. Un petit désert qui protégeait les quarante, certes, mais qui devait donner soif ! Trois vieux chariots brinquebalants et grinçants, de grands fûts de chêne. Une vingtaine par charrette. Des hommes. Huit hommes. Épées et pistolets à la taille. Des voix, des ordres et enfin, le départ. Un voyage pour la seule source d’eau potable assez proche, pour se ravitailler rapidement. Une piètre cascade à laquelle les courtes pluies avaient redonné vie. Une vie qui serait brève. Une source coulant paresseusement entre des roches grisâtres. Quelques buissons rabougris, et un palmier chétif et tordu. Un arbre qui forçait l’admiration. Keira trouva la source très rapidement grâce à ses cartes. La proximité du repaire des quarante la rendait dangereuse, mais ce point d’eau était connu. Les rares caravanes n’y passaient plus. Il y avait d’autres sources à l’est. Mais pour ceux du rocher, cette source était capitale. Un appoint d’eau proche, facile d’accès et qui, surtout, conforterait rapidement leurs réserves venues d’ailleurs. Presque une aubaine pour ces pillards. Keira avait parié sur le fait que les voleurs vivaient sur leurs acquis. Tranquilles, et certains d’être seuls maîtres de leur petit bout de désert. Cette source serait bien tentante ! Un plein d’eau vite fait, bien fait. Que craignaient-ils réellement ? Plus personne ne s’en prenait à eux depuis si longtemps. De plus, leurs espions les avertiraient en cas d’attaque prévue contre le repaire. Trois longues lieues dans le sable. Les voleurs avaient plusieurs fois tenté de tracer un chemin. En vain. Ici, les sables étaient rois. Au mieux, une journée et une nuit pour se ravitailler. Au mieux !

Les chariots s’éloignaient. La voleuse ne savait pas si les deux pillards, restés aux abords de la caverne, étaient les derniers occupants des lieux. Mais elle en doutait fortement. Ils devraient être une douzaine, à rester cloîtrés dans la grotte. Une explication énoncée par Youssef Pouchah. D’autres hommes étaient certainement restés sous la roche. La Rouquine serait seule, mais elle serait une ombre. Ombre parmi les ombres. Vive, silencieuse, patiente et déterminée. Keira savait qu’elle avait toutes ses chances.

Les deux bandits restants à l’extérieur étaient rentrés. La masse taillée en un lourd cercle de pierre boucherait bientôt la seule issue possible pour accéder à son rêve. Un sourd grondement ! Elle y était ! L’ouverture de la caverne était ouverte, mais ne le resterait plus longtemps. Béante, sombre et menaçante. Une gueule noire qui allait la dévorer. La voleuse ferma les yeux et expira longuement. Sa chemise de toile noire collait à son corps, et moulait ses seins lourds. Keira passa ses mains moites sur le cuir noir de son pantalon. Elle transpirait sous la nervosité. Cela passerait. Elle serait vite plus calme. La Rouquine vérifia que ses deux couteaux de lancer étaient bien en place, cachés dans les hautes bottes de cuir noir. Elle fixa son arbalète de poing à ses hanches et vérifia le nombre de petits carreaux. Douze ! Ses longues mains caressèrent ses dagues… Deux cents pas au plus. Deux cents foulées et elle y serait.

Courbée en avant, la voleuse bondit et courut, bras aux corps et dagues en main. Elle quitta enfin l’abri de sa cachette, abandonnant le roc qui l’avait abritée durant ses journées et ses nuits de guet interminables. Une cinquantaine de pas encore. Le roulement sourd. Un instant, Keira eut peur. Puis, soudain, l’obscurité l’engloutit d’un coup. Elle était entrée…

La roue de la chance.

Il y avait des chances pour que l’affaire tourne mal. Keira le savait pertinemment. On n'avait rien sans rien. Elle avait eu une vie riche et bien remplie. Elle avait connu la misère en Irlande, son pays de naissance. Elle avait été pauvre, était devenue riche, avant de tout perdre à nouveau. Et riche encore. Puis simplement capable de vivre sans excès. Une roue qui tournait. La roue de la chance. La roue de sa vie. Keira avait connu bien des malheurs comme bien des plaisirs. Elle avait beaucoup voyagé. Angleterre, France, Saint empire germanique, Italie et Espagne. Keira O’Connor avait connu bien des histoires. La belle et si intelligente Églantine. Et avec elle, les vertiges des sens. Puis Keira vécut un grand amour. Eduardo ! Beau comme un dieu, fier et courageux comme un lion. Trois longues années de bonheur et d’aventures avec son cher amant. Et puis une pendaison en Espagne. Le malheur et la rage. La solitude du cœur. Depuis son arrivée en terres africaines, la Rouquine vivait des hauts et des bas. Il était temps d’en finir ! Tout d’abord, la chance lui avait souri… Et à présent ?

Pénombre et plus d’éclatant soleil. Des torches fixées à la pierre. Des lueurs troubles. Roulement de pierre, bruits de chaînes, grincements de cordages et de poulies. Un cri sourd. De l’arabe. D’autres cris gutturaux.

Une ombre sur elle. Sa dague acérée ouvrant un corps. Le premier ! Corps qui s’affaissa. Pas un son proféré. Une mort silencieuse.

Un bruit derrière elle ! Un souffle rauque. L’air frais bousculé. Keira se baissa, buste droit, à genoux, son bras se courba et se leva, plongea vers l’arrière. Un mouvement rapide et puissant. L’autre dague trouva un torse. Il fallait ça. Un torse, c’est dur à pénétrer. Aucun regard derrière elle. L’autre était hors de combat, ou mort.

Mouvement vif et debout. Keira se jeta en avant. Son épaule roula sur la roche, entraînant son corps dans une rapide rotation. Redressée et accroupie, Keira frappa droit devant elle. Dagues filant vers le haut. Un Noir énorme lâcha un râle, sabre encore levé. Le pillard s’effondra lentement en grognant. Lui mourrait aussi. Les aciers déjà ensanglantés avaient percé cœur et poumon.

À l’ouest ! Course et coup de feu. Des cris encore. La petite arbalète lâcha son trait avec un bruit sec. Un sifflement suivi d’un gémissement rauque. Un pistolet tomba et rebondit sur la pierraille. Carreau fiché. Un foie en bouillie. Le salaud succomberait très vite.

C’était calme. Keira était accroupie, adossée à une paroi dure. C’était calme. Coup de feu ! Un couloir d’ombre épaisse en face. La Rouquine bougea et vola vers le tunnel.

Un autre pillard qui déboucha de la galerie. Toujours en pleine course, l’Irlandaise se rua sur l’homme et le percuta avec une force terrible. Détonation assourdissante, très proche de l’oreille de Keira. Il l’avait manquée. La Rouquine, à califourchon sur son adversaire, trouva sa gorge. Gargouillis étranglés. Flot de sang sur sa main. Un autre mort.

Tunnel noir et au bout, il y aurait une vaste caverne. Les plans de Youssef Pouchah.

Obscurité. Silence. Keira avança lentement. Bottes frôlant le sol. Épaule épousant la paroi. Mains légèrement en avant du corps. Une dague se lança aussi. L’idée qu’elle n’avait pas rechargé l’arbalète de poing. Une vague lumière au bout du couloir rocheux. Une cinquantaine de pas ? Ou un peu plus ?

Des aboiements furieux ! De la rage ! Des chiens ! Bordel ! Des ombres rapides ! Des ombres hurlantes ! Galopades et aboiements furieux. Les dagues volèrent dans le noir. Jappements de douleur, couinements, grondements rauques. Des torches levées éclairaient le couloir derrière les chiens. L’une des bêtes geignit doucement à terre. Des voix masculines. Encore de l’arabe. Un choc rude bouscula la voleuse et elle fut au sol sous le monstre resté vivant. Peur ! Panique ! Des yeux flamboyants de fureur. Gueule monstrueuse écumante. Une douleur sourde broya son poignet droit.

« Calme-toi… »

Murmure écrasé, étouffé par les rugissements de la bête. Main gauche dans sa botte. Le couteau de lancer plongea, replongea. Hurlements aigus et le molosse lâcha prise. Poids mort sur elle. Une torche au-dessus d’elle. Un lourd sabre qui s’abattit…

Captive.

Trente-trois jours. Emprisonnée. La cavité de la caverne qui servait de prison était fermée par une lourde grille. Keira n’était pas enchaînée. En haut, au plafond, une trouée dans le roc. À peine la largeur d’une main et la longueur d’un bras. Keira avait compté les lunes en regardant par l’ouverture. Chaque nuit, elle avait pleuré. Sa cellule naturelle, munie d’une grille, était inviolable. Cinq pieds de longueur. Presque trois de large. La voleuse avait misé sur la chance. Elle avait perdu. Des hommes, oui, elle en serait venue à bout. En tout cas, elle en aurait tué encore quelques-uns. Pas des chiens comme ceux-là ! Cette ordure de marchand ne lui avait pas parlé des molosses ! De véritables fauves ! Youssef Pouchah était venu plusieurs fois au repaire. Il savait forcément pour les chiens. Ordure de marchand !

« Fumier d’Arabe ! »

L’Irlandaise avait craché par terre. Keira détestait les marchands, et plus encore les Arabes. Comme elle détestait les Français, hormis sa chère Églantine. On ne pouvait pas se fier aux Arabes. Ils étaient partout chez eux ! Ils envahissaient lentement, mais sûrement, le continent. Ils chassaient de l’homme. Massacraient, pillaient et prenaient des hommes. Et plus encore des femmes. Des ordures d’esclavagistes ! Pire que les Français qui, eux au moins, s’en prenaient à un autre continent…

Pas si bêtes, ces pillards ! Ils ne l’avaient pas tuée. Ils avaient voulu tout savoir. Et ils avaient tout su. À quoi bon se taire ? Elle avait tout dit à un Anglais. Ce qui n’avait pas empêché les voleurs de la tabasser. Des tabassages en règle. La Rouquine avait hurlé et supplié en gaélique et en anglais. « Une vengeance pour les tués ! », disaient-ils. Régulièrement, pendant deux jours au moins, ils l’avaient frappée. Keira n’en était pas certaine, mais deux jours, cela lui paraissait juste. Son poignet mordu et blessé s’était fracturé sous une lourde botte. Ils l’avaient mise nue très vite. Étrangement, ils ne l’avaient pas violée. Puis, ils l’avaient enfermée. D’abord, elle avait refusé de se nourrir. Ils l’avaient enchaînée et battue. Longtemps. Et puis elle avait mangé. Une épaisse bouillie étrangement goûteuse, servie dans une écuelle de bois. Du pain. Deux bols d’eau par jour.

Les autres voleurs étaient revenus du ravitaillement en eau, et à partir de ce moment, Keira avait appris des choses. Il y avait des pigeons voyageurs. Elle avait affaire à des pillards très futés. Un chef prévoyant tout, ou peut-être omniscient. Un chef respecté. Très respecté. Était-ce la raison pour laquelle elle n’avait pas été violée ? Le chef de bande se réservait-il sa prise ? Il tenait à ce qu’on la traite correctement. Pourquoi ? Elle serait certainement vendue en esclave. Une Irlandaise, même âgée et en mauvais état, valait un bon prix. C’était forcément l’idée de cet ignoble bâtard ! Pourquoi ne faisait-il rien, ce chef si respecté ? S’il tenait à sa captive, il aurait pu réagir. Il devait savoir qu’elle vivait nue dans le froid, parmi ces porcs de pillards ? Keira avait appris des choses et se posait des questions. Et cela, en écoutant les conversations de deux bandits. Des Français. La voleuse avait été interrogée en arabe, et ne connaissait que peu de mots. Elle avait parlé en anglais. Elle n’avait jamais dit un mot de français. Elle le parlait assez bien et le comprenait mieux encore. Les fumiers qui discutaient entre eux ne le savaient pas. Merci, chère Églantine !

Une nuit, l’Anglais accompagné de trois autres pillards, dont les deux Français, ouvrit la grille. Poignets aussitôt entravés, ils traînèrent Keira dans une enfilade de galeries. Puis ils la collèrent à genoux et s’éloignèrent. Une à une, des torches furent allumées et l’obscurité recula lentement sous les lueurs vives. D’abord, la voleuse ne vit rien.

⸺ Si l’patron apprend ça, on est morts les gars !

⸺ Si tu fermes ta grande gueule, il n’en saura jamais rien, Jacques !

Des coffrets, des coffres, des tapisseries roulées, des soieries qui brillaient sous les éclats des torches. Des objets de toutes sortes. Bibelots, statues, plats ou assiettes, vases, vêtements empilés en tas. L’Anglais déposa un coffret aux genoux de l’Irlandaise. Il l’ouvrit sous ses yeux. De l’or. Des pièces d’or. Du métal jaune qui étincelait. Les doigts du pillard dans l’or… Des tintements métalliques.

⸺ C’est pour ça qu’t'es venue, hein, sale garce ! Alors, regarde bien…

Keira détourna les yeux et l’autre la gifla avec force, puis tira méchamment sur la tignasse rousse, sale et emmêlée.