Les Bourgeois de Molinchart - Champfleury - E-Book

Les Bourgeois de Molinchart E-Book

Champfleury

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Extrait : "Il y a vingt ans, un chevreuil, poursuivi dans la plaine par des chasseurs, grimpa la montagne de Molinchart et traversa la ville. On en parle encore aujourd'hui. Les grosses bêtes ne sont pas communes dans cette partie de la France ; un chasseur qui rapporte un lièvre est sûr de commander une certaine admiration. Les perdrix représentent une bonne partie de la chasse ; quelques intrépides vont quelquefois au marais et en rapportent ces oiseaux à long bec."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.

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IVisites d’un chevreuil à quelques bourgeois

Il y a vingt ans, un chevreuil, poursuivi dans la plaine par des chasseurs, grimpa la montagne de Molinchart et traversa la ville. On en parle encore aujourd’hui.

Les grosses bêtes ne sont pas communes dans cette partie de la France ; un chasseur qui rapporte un lièvre est sûr de commander une certaine admiration. Les perdrix représentent une bonne partie de la chasse ; quelques intrépides vont quelquefois au marais et en rapportent ces oiseaux à long bec, dont la vue seule chatouille le palais des gourmets ; mais ceux-là sont des passionnés, dit-on.

De temps en temps, dans l’hiver, on entend parler d’un loup qui a été vu dans les Blamonts (corruption de blanc mont, c’est-à-dire mont-blanc). – Le fait est possible ; cependant la mairie n’a que rarement délivré la prime d’usage au paysan qui apporte le corps d’un loup.

Le chevreuil fit une entrée plus triomphante qu’un prince. Il se présenta à la porte de la ville au moment où le gardien de l’octroi était occupé à sonder une voiture de roulier. Comme la grosse voiture occupait tout le passage de la porte, le chevreuil fit un bond par-dessus la tête de l’employé, qui, tout stupéfait de ce bruit particulier, put à peine apercevoir les pattes de derrière du chevreuil, qui avait déjà tourné une rue.

Devant la porte d’un marchand de tabac, on remarquait un petit grenadier de bois du temps de Louis XVI ; il a un habit bleu à revers blancs, des culottes blanches, de grandes guêtres noires. Sous le bonnet à poil allongé sort une grosse tête fortement colorée, d’une nature impassible, dont les yeux ne semblent occupés qu’à regarder une longue pipe que la bouche serre avec amour.

Le grenadier excite généralement l’admiration des gens de la campagne qui arrivent par cette porte de la ville. Le chevreuil ne daigna pas lever les yeux sur le grenadier de bois qui fume la même pipe depuis une centaine d’années.

Il allait déboucher sur la place du marché qui conduit à la mairie, lorsque, pris de vertige, le chevreuil rebroussa tout à coup chemin.

Ces maisons, ces boutiques ne lui rappelaient que trop sa tranquille forêt de Saint-Landry, qui appartient à la couronne, et où les princes de la famille royale ne pensaient guère à chasser.

– Ah ! le voilà ! s’écria l’employé de l’octroi, qui courut au chevreuil avec une sonde à la main.

L’animal sentait la montagne, et il voulait reprendre le chemin des champs ; mais déjà son entrée avait produit un effet immense ; tout un atelier de couturières était aux fenêtres ; les boutiquiers de la rue, que le chevreuil avait traversée, sortaient de leurs boutiques.

L’animal avait choisi la plus mauvaise rue de la ville, car elle compte trois hôtels de voyageurs.

Les trois aubergistes étaient sortis précipitamment, occupés de cet évènement, les uns armés de couteaux, les autres de broches ; mais les trois rivaux, en se disputant d’avance la possession du chevreuil, firent que l’animal eut le temps d’enfiler une ruelle qui conduit aux remparts de la ville.

On vit alors un curieux spectacle : les marmitons, les cuisiniers des trois hôtels coururent à sa poursuite en deux bandes différentes, l’une redescendant vers la porte de la ville, dans la crainte que le chevreuil ne coupât brusquement la montagne ; l’autre suivant à la piste.

Derrière, on entendait un bruit confus de voix qui criaient : Arrêtez-le !

– Il faut aller au bas de la montagne.

– Vous ne l’aurez pas !

Les trois aubergistes gourmandaient leurs cuisiniers, leurs marmitons, donnaient des ordres, des contre-ordres, et ne savaient guère comment se terminerait l’affaire.

Au cas où le chevreuil voudrait bien se laisser prendre, un combat était presque imminent entre les gens des trois hôtels rivaux.

Le Griffon fit des ouvertures au Soleil-d’Or, et l’Écu souscrivit aux conditions suivantes, c’est-à-dire que le chevreuil serait loyalement partagé en trois parts.

Le Griffon réclama un morceau de poitrine ; le Soleil-d’Or prit le rognon, à la condition qu’on abandonnerait la tête pour l’exposer en montre, et l’Écu, qui était arrivé le dernier à la poursuite de la bête, se contenta de ce que ses rivaux voulaient bien lui laisser, c’est-à-dire des bas morceaux.

Cependant le chevreuil trompait les calculs de ses ennemis ; après avoir respiré l’air du haut des remparts, haletant, effrayé des rumeurs sourdes qui le suivaient, sentant l’odeur de la cuisine, et, comme tous les animaux qui ont l’instinct de l’abattoir, il ne retrouvait plus sa piste et détournait encore une fois les remparts, c’était vouloir faire une seconde entrée dans la ville.

Il arriva ainsi sous la voûte obscure de la mairie, où de tout temps les polissons de la ville jouent aux billes ; en apercevant l’animal qui se présentait inopinément, les enfants se crurent en présence d’une bête féroce et se répandirent sur la place en poussant des cris de terreur.

Le chevreuil essaya de rebrousser chemin ; mais, à cent pas de lui, il aperçut les tabliers blancs des gens de cuisine qui le poursuivaient ; alors il continua sa course vers la mairie, qui forme un terrain très en pente, au pied duquel se trouve la vieille tour des Évêques.

C’était un mercredi, jour de petit marché ; il y avait plus de monde là que partout ailleurs.

Le voisinage de la mairie, la grande rue de la ville amènent toujours quelques allants et venants.

Avant de tomber sur l’étalage du marchand de faïence qui fait face à la mairie, le chevreuil était signalé à l’attention du maître d’hôtel de la Tête-Noire, qui est toute la journée sur sa porte, en attendant les voyageurs.

Le maître d’hôtel appela son chef de cuisine et lui montra le chevreuil, qui, après une course trop rapide, était tombé sur quelques faïences et les avait brisées.

Le chef de cuisine dépêcha ses aides, et ils s’occupèrent à barrer le chemin des vignes par où la bête pouvait encore s’échapper. Mais les gens de l’hôtel de la Tête-Noire n’étaient pas assez nombreux pour barrer entièrement la rue ; un petit marmiton, qui tenta de s’opposer à la fuite du chevreuil, fut renversé dans le ruisseau ; et l’animal pouvait se croire encore échappé au feu de la cuisine, lorsqu’à l’extrémité de la rue il rencontra le commissaire de police, qui publiait un arrêté de la ville à son de caisse. Le bruit du tambour fut la perte du chevreuil, qui, éperdu, entra dans la boutique de M. Jajeot, épicier et marchand de joujoux.

À ce moment, l’épicier était en train de détailler un pain de sucre par petits morceaux. Il apportait à cette occupation un soin extrême : c’était réellement un plaisir que de voir donner un petit coup sec de marteau et tailler des morceaux de sucre carrés avec l’habileté d’un ouvrier adroit.

À chaque nouveau fragment, M. Jajeot semblait se sourire à lui-même et se complimenter en dedans ; cela se devinait à un certain clignotement d’yeux et à un léger mouvement des lèvres en avant ; puis M. Jajeot prenait délicatement son sucre du bout des doigts et l’arrangeait avec symétrie dans une espèce de montre tendue d’un papier bleu de ciel.

Quand la casse d’un certain nombre de morceaux de sucre avait produit quelques fragments sans importance, M. Jajeot avait encore le soin de les séparer de la poudre et de ranger ces fragments dans un bocal ; la poussière de sucre servait aux divers besoins de la maison Jajeot.

C’est pendant que l’épicier enveloppait soigneusement sa poussière dans de grands cornets de papier que le chevreuil entra et produisit un effet tel qu’il s’en voit peu dans les meilleurs mélodrames.

Le chevreuil s’embarrassa les pattes dans des petites charrettes d’enfants qui formaient une partie des joujoux de la boutique. M. Jajeot poussa un cri de terreur. Le chevreuil se releva et donna des cornes dans des têtes de loup, des pelotes de ficelles, des petits balais qui étaient accrochés au plafond. L’épicier prit son cornet de poudre de sucre et le brandit comme une lance : la poudre de sucre vola sur son comptoir.

Le chevreuil, qui avait les cornes empêtrées de pelotons de ficelles et de petits balais, était agacé comme un taureau qui sent s’enfoncer dans son corps les mille flèches de picadores ; il se jeta au fond de la boutique, dans une montre qui contenait une trentaine de poupées de toutes les grandeurs, depuis la grande demoiselle habillée jusqu’à l’enfant dans le berceau. Un Turc tombant dans un sérail de Françaises eût témoigné moins de désirs ; car le chevreuil semblait les embrasser les unes après les autres.

M. Jajeot était hébété et anéanti ; il avait secoué le moulin à café pour s’en faire une arme ; mais le moulin à café était fixé solidement au comptoir depuis peut-être plus de cent ans. L’épicier cherchait des armes et ne trouvait partout que des substances coloniales dont l’emploi comme machines de guerre constituait des frais énormes ; il mit la main sur des pièces fausses de six livres qui étaient clouées au comptoir. S’il avait osé, M. Jajeot eût jeté des gros sous à la tête du chevreuil, mais c’était vouloir casser les glaces des montres.

Cependant, à chaque seconde le désastre augmentait. Au-dessus des poupées était le compartiment des joujoux, les maisons, les fermes, les ménages dans de petites boîtes de sapin, et chaque mouvement du chevreuil amenait un dégât nouveau.

Toute la boutique enfiévrée semblait atteinte de la danse de Saint-Guy.

C’étaient des pluies de polichinelles qui tombaient du plafond sur les petits tambours d’enfants ; les ballons décrochés faisaient des bonds considérables, dont quelques-uns atteignaient le chef de M. Jajeot ; tout était son et mouvement considérables. Les chanterelles des petits violons rouges pleuraient, accrochées par le torrent de joujoux qui ressemblaient à ces étonnantes pluies de grenouilles qui effraient les esprits ignorants.

Plus le bruit augmentait, plus le chevreuil effaré causait de dégâts ; il se démenait dans la boutique comme un parchemin sur des charbons.

Peut-être, sous la lisière de sa tranquille forêt, avait-il entendu par hasard le son d’un violon de ménétrier, à la tête d’une noce ; mais qu’était-ce que cette musique en comparaison des aboiements des chiens à soufflets, des lapins jouant du tambour de basque, des grincements aigus des petits violons rouges qui rendaient un dernier soupir désastreux sous ses bonds effrénés.

La tempête dans les forêts a des horreurs particulières quand le vent, soufflant de toutes ses forces, siffle en cassant des branches, en déracinant des arbres ; mais le rebondissement des ballons, des balles de gomme, la cascade de billes, ces poupées éventrées dont le son coulait, ces polichinelles aux abois qui agitaient leurs petits membres en semblant demander grâce, ces petits ménages dont toute la batterie de cuisine était mise au pillage comme par des barbares ignorants, ces sucreries gluantes sur lesquelles les pattes du chevreuil glissaient, non jamais la nature, dans ses révolutions, n’avait autant troublé un pauvre animal.

L’épicier voulait crier, appeler au secours ; mais sa langue était collée à son palais, la salive n’humectait plus les rouages de sa langue, quand tout à coup le chef de l’hôtel de la Tête-Noire entra dans la boutique, un énorme couteau à la main.

À ce spectacle, M. Jajeot ferma les yeux, car il avait horreur du sang, et l’idée de voir convertir sa boutique en abattoir fit qu’il se trouva mal.

Mais le chevreuil avait flairé un ennemi dangereux, et il disparut subitement dans un petit corridor du fond qui mène à la chambre à coucher de l’épicier. M. Jajeot eût alors un spectacle qui lui parut une vision, un horrible cauchemar.

Derrière le chef de la Tête-Noire étaient accourus les marmitons, les gens de l’hôtel en criant.

– Par ici, par ici !

Au-dehors de la boutique était une foule immense qui se collait aux vitres de la boutique, qui riait, qui montrait l’épicier du doigt, qui faisait de grands gestes en criant :

– Il est chez M. Jajeot.

Il se fit un mouvement dans la foule ; une seconde bande de marmitons traversa la boutique au galop : c’était le Soleil d’Or.

– Où est entré le chevreuil ? demanda l’un d’eux à l’épicier.

M. Jajeot sans savoir ce qu’il faisait, montra du doigt son corridor.

Une troisième bande entra plus tumultueuse que la seconde, et continua à fouler aux pieds les joujoux étendus sur le plancher : c’était l’Écu.

M. Jajeot fit un violent effort sur lui-même pour se lever en apercevant au milieu de la foule qui entourait la boutique le commissaire de police ; mais l’écharpe blanche du commissaire disparut tout d’un coup et se perdit dans cette foule tumultueuse qui criait :

– Voilà les bouchers !

Effectivement, la nouvelle d’un animal dangereux avait couru par la ville, et les garçons de la boucherie la plus voisine étaient accourus au-devant du danger.

Cinq grands gaillards, le tablier sanglant, traversèrent la boutique en suivant le chemin qu’avaient suivi les marmitons.

À tout moment la foule augmentait devant la boutique, et M. Jajeot crut à un acte de sorcellerie quand il vit entrer une quatrième bande habillée de blanc et coiffée de bonnets de coton, qui n’était autre que les cuisiniers du Griffon, ceux qui étaient postés en observation dans la montagne et qu’on alla chercher pour les prévenir que le chevreuil était entré définitivement dans la ville.

M. Jajeot, dans son trouble, confondait les premiers avec les derniers, eu égard à leur costume, et il ne pouvait comprendre comment des gens qu’il avait vus entrer dans sa maison pouvaient y revenir sans en être sortis.

Une douloureuse idée traversa le cerveau de l’épicier.

Qu’étaient devenus ces quarante individus dont on n’entendait plus le bruit ? Ils devaient être tous dans la chambre à coucher, plongeant leurs couteaux dans le corps du chevreuil ; et cette chambre, si calme jusqu’alors était témoin d’un meurtre affreux.

En ce moment, une partie de la foule fit craquer les carreaux de la devanture, qui offrait à l’œil des gourmands les mille bonbons en bocaux, les liqueurs fines et d’autres objets d’une valeur inappréciable et fragile. Une fanfare joyeuse de cors de chasse éclata dans les airs.

L’émeute avec des clairons sauvages, des canons retentissants, des fusillades lointaines, des cris de mourants, des bruits sourds de trains d’artillerie, des chevaux au galop, n’aurait pas produit un plus sinistre effroi aux oreilles de M. Jajeot.

Que pouvait être cette sonnerie de cuivre qui ne trouble jamais les calmes habitudes de Molinchart ? Le reflux de la foule ne laissa rien à chercher de l’esprit du marchand de joujoux.

Cinq cavaliers en habits de cheval, dont deux tenaient en main des cors de chasse, s’avancèrent devant la boutique de M. Jajeot qui fut tout étonné de ne pas voir les chevaux traverser sa boutique au galop ; rien ne pouvait plus le surprendre, ni le feu du ciel, ni les pluies de grenouilles, ni les sept plaies d’Égypte.

À cette heure, il était rompu à toutes les émotions ; sous le joug de l’hallucination, il ne faisait plus partie de la vie réelle, il rêvait, il n’habitait plus Molinchart, mais un enfer.

La foule redevint silencieuse devant les cinq cavaliers, qui étaient remarquables par leur tournure élégante, de riches costumes de chasse et une physionomie distinguée qui ne permettaient pas de les classer dans la bourgeoisie.

Les deux sonneurs de trompe étaient deux cousins, messieurs de Vorges et de Jonquières, qui habitent un château à trois lieues de Molinchart, près du village des Étouvelles.

Les cavaliers produisirent plus d’effet que toutes les harangues du commissaire de police ; la foule se recula et fit cercle autour des chevaux.

La noblesse exerce encore un certain prestige sur la petite bourgeoisie ; l’élégance des manières, la politesse froide de l’ancienne aristocratie, qui a laissé des traces d’hérédité dans le sang, font baisser la tête aux bourgeois, qui se sentent laids et communs devant les nobles, et qui s’en moquent aussitôt que ceux-ci ont tourné les talons.

Le comte de Vorges ayant demandé quelques explications sur la situation du chevreuil, cent voix s’élevèrent dans la foule pour lui répondre.

– Messieurs, dit le comte, voulez-vous garder un instant les chevaux ? je vais voir à retrouver ces coquins qui s’acharnent tous après une belle bête.

Le comte entra dans la boutique, et l’aspect du ravage lui indiqua le chemin, car le chevreuil avait laissé partout des traces de son passage : c’étaient mille objets qu’il avait traînés après lui, des plâtras qu’il avait détachés du mur en se cognant avec ses cornes.

– Ah ! monsieur le comte, je suis ruiné, s’écria M. Jajeot, en reconnaissant dans sa boutique une figure humaine.

– Où est passé le chevreuil ? demanda M. de Vorges.

– Par là, dit l’épicier.

– Voudriez-vous, monsieur, me montrer le chemin ?

M. Jajeot fit un signe de tête désespéré qui montrait sa profonde répugnance à suivre les traces de la bête.

– Il n’est pas au premier ? demanda le comte.

– Je ne sais pas.

– Ni à la cave, par hasard ?

L’épicier secoua la tête. Désespérant d’en tirer de meilleurs renseignements, le comte prit le chemin du corridor et entra dans la chambre à coucher, où on ne remarquait d’autre désordre que des traces de pas boueux dont la pointe en avant annonçait, comme une boussole, que tout le monde s’était dirigé vers la fenêtre.

– Le chevreuil aura sauté par ici, se dit le comte.

Il entendit un bruit confus de voix qui le fit hâter d’arriver.

La fenêtre de la chambre à coucher de M. Jajeot donne sur une grande cour formant terrasse, qui dépend de la maison de M. Creton du Coche, avoué.

Justement sous la fenêtre de l’épicier, un petit appentis qui sert d’entrée à la cave avait permis au chevreuil d’échapper encore une fois au corps armé des marmitons, des cuisiniers et des bouchers.

Mais, malgré la légèreté et la souplesse de ses pattes, le chevreuil avait troué le toit trop faible de l’appentis ; il parcourut la terrasse avec inquiétude, et comprit que la fuite était tout à fait impossible, cette terrasse étant portée par un mur très élevé appartenant aux anciennes fortifications de la ville.

Dans cette folle course, le chevreuil s’était blessé à la patte en tombant sur le petit toit ; il se laissa tomber de fatigue dans un coin de la terrasse, huma l’air avec son nez et regarda avec ses grands yeux tristes l’horizon qu’il voyait peut-être pour la dernière fois.

Une jeune femme parut à la porte vitrée qui donne sur la terrasse, et fut tout étonnée de voir cet animal étendu, couvert d’une sueur fumante.