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L'auteur, en écrivant la première page de ce livre, ne se dissimule pas à quel point est scabreux et délicat le sujet qu'il se propose de traiter. Ce n'est pas sans quelque crainte qu'il a pénétré dans ce cabinet secret de la Terreur, cabinet qui tient à la fois de l'alcôve, de la clinique, de la geôle et du cabanon. S'il s'y est cependant décidé, c'est que, ainsi qu'on l'a dit excellemment, à l'heure « où chaque historien éprouve le besoin d'une spécialisation toujours plus étroite et plus profonde », il s'est aperçu qu'on avait volontiers négligé cet aspect de la crise nationale de 93. Pourquoi la vie galante de la Terreur a-t-elle été frappée de cet ostracisme?
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Veröffentlichungsjahr: 2020
Hector Fleischmann
Les Filles Publiques sous la Terreur.
D'après les rapports de la police secrète, des Documents nouveaux et des pièces inédites tirées des Archives Nationales.
© 2020 Librorium EditionsTous Droits Réservés
Les Filles Publiques sous la Terreur
DU MÊME AUTEUR
Les Horizons hantés
épuisé
L'Épopée du Sacre
, avec une préface de M.
Henry Houssaye
, de l'Académie française
1 vol.
Napoléon et la Franc-Maçonnerie
, nouvelle édition considérablement augmentée
1 vol.
La Guillotine en 1793
, d'après des documents inédits des Archives nationales
1 vol.
Réquisitoires de Fouquier-Tinville
(
Fasquelle
, éditeur)
1 vol.
Les Discours civiques de Danton
(
Fasquelle
, éditeur)
1 vol.
Napoléon et l'Amour
1 vol.
Une Maîtresse de Napoléon
, d'après des documents nouveaux et des lettres inédites
1 vol.
LES DESSOUS DE LA TERREUR
Les Femmes et la Terreur
(
Fasquelle
, éditeur)
1 vol.
Anecdotes secrètes de la Terreur
1 vol.
Les Filles publiques sons la Terreur
1 vol.
En préparation :
Apologie de Maximilien de Robespierre
2 vol.
Réhabilitation de Fouquier-Tinville
1 vol.
Hector FLEISCHMANN
* * *
D'après les rapports de la police secrète, des documents nouveaux et des pièces inédites tirées des Archives nationales
© 2020 Librorium Editions
A Xavier Roux
Son ami, H. F.
L'auteur, en écrivant la première page de ce livre, ne se dissimule pas à quel point est scabreux et délicat le sujet qu'il se propose de traiter. Ce n'est pas sans quelque crainte qu'il a pénétré dans ce cabinet secret de la Terreur, cabinet qui tient à la fois de l'alcôve, de la clinique, de la geôle et du cabanon. S'il s'y est cependant décidé, c'est que, ainsi qu'on l'a dit excellemment, à l'heure « où chaque historien éprouve le besoin d'une spécialisation toujours plus étroite et plus profonde[1] », il s'est aperçu qu'on avait volontiers négligé cet aspect de la crise nationale de 93. Pourquoi la vie galante de la Terreur a-t-elle été frappée de cet ostracisme? Comment n'avait-on pas songé à évoquer le tableau grouillant de la luxure vénale révolutionnaire? Double question qu'il n'a pu se résoudre à expliquer que par un sentiment de pudeur attardée, de pudibonderie contemporaine, comme si la pudeur et la pudibonderie avaient quelque rôle à jouer en matière d'histoire! D'autre part, si le sujet semble scandaleux aux réactionnaires et mérite pour eux d'être dédaigné, il constitue peut-être, pour des esprits plus avancés, une tache sur laquelle il convient, sans doute, de laisser tomber le voile d'une indulgente ignorance. Ni l'une ni l'autre de ces raisons, un peu spécieuses, ne doivent paraître suffisantes à l'historien. Ce serait dédaigner ou négliger la source la plus merveilleuse des études pathologiques que peut mériter la Révolution ; ce serait enlever à l'examen de la névrose terroriste la meilleure part de ses documents psychologiques et priver l'histoire d'une page qui, pour être brutale, populacière mais passionnée, n'en mérite pas moins d'être recueillie et connue.
[1] M. Charles Velay, Annales révolutionnaires, no 1, janvier-mars 1908, p. 126.
C'est dans cet esprit que fut composé et écrit ce livre. Pour ce faire, deux procédés s'offraient à l'auteur. Le premier consistait à déduire des événements particuliers des conséquences générales, suivant la méthode de Taine et de Michelet ; le second exigeait qu'on remontât aux sources manuscrites, originales, aux dossiers des archives où dorment tant de papiers poussiéreux, et à présenter ce qu'ils offraient comme des faits particuliers, simplement comme des faits divers, en un mot, de la vie parisienne et galante sous le régime de la Terreur.
C'est à cette dernière manière que l'auteur s'arrêta.
Outre que Taine et Michelet sont des écrivains trop considérables pour être suivis ou imités dans leur procédé d'analyse, on a pu croire, non sans raison, que cette manière ne pouvait s'appliquer au travail que voici. On ne saurait déduire de cette chronique de l'amour et de la luxure en 93 et 94, des conclusions quant au régime et à la vie générale du pays dans l'orage qui déracina la vieille société française. De ces exceptions, il importe de ne point faire des généralités ; de ce que le jardin de la Révolution fut le galant rendez-vous des « nymphes » et des « odalisques » de Paris, il ne faudrait pas conclure que toutes les promenades des grandes villes de France furent celui de toutes les filles perdues de la République.
A l'histoire de Paris sous la Terreur, nous ajoutons un document oublié ou inconnu, et c'est notre seul désir qu'il soit trouvé curieux et digne d'être conservé.
Il n'est aujourd'hui personne qui ignore la part de la femme dans l'œuvre politique de la Révolution. Ce qu'on a plus volontiers négligé, c'est son influence dans la vie quotidienne, son rôle dans cette partie de la société que fait oublier le salon girondin de Mme Roland et le boudoir amoureux de la Du Barry à Louveciennes. Depuis plus d'un siècle, l'histoire argumente autour de ces vies passionnées, mais nous, qui avons voulu les oublier ici, estimons que cette passion se retrouve au même titre, avec la même intensité, dans la vie d'une des courtisanes de la Terreur. La fièvre où vécut Olympe de Gouges, cette amazone, vaut bien celle où s'agita la Bacchante, cette fille publique. C'est une sœur de Mme Roland, que la prostituée menée à l'échafaud pour avoir crié, étant ivre : Vive le Roi! Toutes deux meurent bien, mais la seconde se rattache davantage à la vie sociale de cette époque où « la multiplication des filles, l'énervation de l'homme était un vrai fléau[2] ». De la première on sait tout ; de la dernière, peu ou rien. N'y a-t-il pas là l'attrait d'un mystère, d'une vie, qui sollicite la curiosité?
[2] J. Michelet, La Révolution française ; tome VI, la Terreur ; préface de 1869, XVII.
Et quel singulier et émouvant contraste! La patrie soulevée à l'appel guerrier, la Convention lançant aux quatre coins de l'Europe la foudre jacobine, la France faisant explosion, un pays debout, héroïque et vociférant, et, à côté de ce volcan, aux flancs du cratère, l'amour! L'amour furieux, innombrable, exaspéré, l'amour frère de la mort, mêlant les roses rouges aux obscurs cyprès[3]!
[3] C'est donc à tort, pensons-nous, que Bonaparte écrit dans un manuscrit de jeunesse : « Un peuple livré à la galanterie a même perdu le degré d'énergie nécessaire pour concevoir qu'un patriote puisse exister. » Qu'on considère les événements de l'époque pour voir à quel point le lieutenant d'artillerie s'abusait. — Manuscrit publié par Frédéric Masson et Guido Biagi, dans Napoléon inconnu, papiers inédits (1786-1793) accompagnés de notes sur la jeunesse de Napoléon ; Paris, 1895, p. 185.
Une telle époque mérite certes mieux que les quelques pages que consacrent les historiens à cette phase. C'est que, entre le cri à la Jean-Jacques de 1789 : « Aimez vos femmes et vos châteaux » et celui de 1793 : « Aimez vos citoyennes et la patrie », toute une société nouvelle est née, a grandi et s'apprête à prolonger sa vie jusqu'aux premières fanfares de l'Empire. Cette société ne doit pas être étudiée qu'en ses héros, ses grandes figures et ses premiers acteurs. Ainsi qu'en la Convention on néglige trop souvent la Plaine au détriment de la Gironde et de la Montagne, on oublie volontiers la société de la Terreur au bénéfice des protagonistes de la tragédie. Dans cette société, nous avons choisi aujourd'hui les filles publiques. Demain, de moindres comparses solliciteront peut-être notre attentive curiosité, mais d'avance nous sommes persuadés que la vie des unes éclairera singulièrement celle des autres. Enfin, nous faut-il pour étudier, par exemple, Maximilien de Robespierre ou Jean-Paul Marat, dédaigner ceux et celles qui soutiennent le pavois triomphal sur lequel ils s'élèvent?
Nous ne l'avons point pensé. De là cette étude pathologique, de là ce livre.
H. F.
Germinal, 1908.
Les citoyennes « férosses ». — Le singulier gendarme du Tribunal révolutionnaire. — Longchamps en 1793. — « Grande conspiration des femmes de la Salpêtrière! » — Repopulation et union libre.
Le citoyen Helvétius, illustre philosophe, semblait tenir les dames de son temps en petite estime. Ayant à se plaindre des Muses qui lui étaient rétives, il ne trouva rien de mieux que de les comparer à des femmes. « Elles font les prudes, mais elles sont femmes et sont réellement des p….. qui me plantent là fort souvent. C'est à nous à fixer leur inconstance[4] », écrit-il à M. Buquet, procureur au Châtelet.
[4]Catalogue d'autographes E. Charavay, décembre 1887, no 138. — La lettre est ornée d'un cachet représentant un chien attaché à une borne, avec cette légende un peu railleuse : « Fidel (sic) sans contrainte. »
Il serait évidemment exagéré d'appliquer cette maxime, quelque peu libre, aux femmes de la Révolution. Sans doute, parmi les libertés accordées par la Constituante, la Législative et la Convention, elles ont incorporé celle de l'amour, mais toutes ne poussent pas la bonne volonté au point où le présume Helvétius. 89 les trouve « éprises de la Révolution[5] », mais, comme toutes les passions, celle-ci sera de courte durée. Bientôt elles reviendront à leur véritable rôle : elles seront amoureuses de l'amour, et uniquement. « Une laide devient belle lorsqu'elle est patriote[6] », proclame une feuille du temps. C'est possible, mais puisque toutes, à l'aurore de la Révolution, ont été patriotes, on ne saurait nier qu'elles sont demeurées belles, par patriotisme. Ce ne fut qu'un jeu et qu'une amusette, au début, que la politique. Ne faut-il pas toujours à la femme « quelqu'un qui la divertisse et l'amuse, quand ce ne serait qu'un perroquet ou un petit-maître[7] »? Ce perroquet remplacez-le par la brochure du jour, ce petit-maître, imaginez-le devenu quelque orateur de club ou de salon politique, et rien ne sera changé au mot de l'ironiste badin.
[5] E. et J. de Goncourt, Histoire de la Société française pendant la Révolution, p. 3.
[6] Lemaire, Lettres bougrement patriotiques.
[7] Mercier de Compiègne, Eloge de quelque chose, suivi de l'éloge de rien ; à Paris, chez Claude Mercier, imprimeur-libraire et homme de lettres, rue du Coq-Saint-Honoré, no 120, 1793. — Mercier a publié plusieurs divers petits volumes d'un goût aussi frivole : Les Nuits d'hiver, variétés philosophiques et sentimentales, contes et nouvelles en prose et en vers, Paris, an III, in-18 ; Les matinées du printemps, œuvres diverses, Paris, 1797, in-18 ; et sous le pseudonyme de J. H. Meibomius : De l'utilité de la flagellation dans la médecine et dans les plaisirs du mariage, et fonctions des lombes et des reins ; Paris, in-12, 1795.
Quoique répudiés, ces sentiments de la première heure ne sauraient être ainsi oubliés. Ils font mieux : ils germent dans ces âmes trop frivoles pour n'être embrasées que de l'amour sacré de la patrie. C'est une dangereuse semence que celle-là, et on le verra aux fruits qu'elle donnera, la Terreur éclatée et régnante. Brusquement, elles se révèleront « férosses », ainsi que l'écrit pittoresquement l'inspecteur de la police secrète Pourvoyeur[8]. Jalouses, infidèles, cruelles, l'ancien régime a connu chez la femme ces défauts qui sont en même temps ses qualités. Il était donné au bouleversement social de 93 de les montrer « férosses ». Ce petit mot sinistre ramassé dans un rapport de police trouve pour être appuyé cent exemples.
[8] En écrivant ce livre nous nous sommes souventes fois servi des rapports dits de l'esprit public. Pour en expliquer l'origine à nos lecteurs, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire les lignes que nous leur consacrions dans un de nos précédents volumes : « Cette sorte de police secrète avait été créée par Garat, à son entrée au ministère, sous le nom d'observateurs locaux du département de Paris. La police de la ville était entre les mains de la Commune. Les rapports étaient adressés au citoyen Franville (ou Franqueville), chef de bureau à la maison de l'Egalité. Les principaux observateurs étaient : Le Breton, Siret, Mercier, Rollin, Latour-Lamontagne, Letassey, Hanriot, Soulet, Grivel, Dugast, Jarousseau, Leharives, Beraud, Moniés. — Perrière habitait à l'hôtel de Poyanne, rue du Faubourg-Saint-Honoré ; Pourvoyeur, cour du Commerce, rue Marat ; L. Antoine Bacon, Prévost et Charmont signaient toujours leurs rapports d'une manière maçonnique, c'est-à-dire en accompagnant leurs noms du signe ∴ » — La Guillotine en 1793, livre V, chap. V, p. 284.
Il explique admirablement la sorte de fureur qu'apportèrent les femmes de cette époque dans leurs passions, la frénésie dont elles enveloppèrent l'amour. Avant d'entrer dans une ville, on considère le paysage où elle se situe ; avant que de pénétrer au cœur de la vie galante de la Terreur, il nous faut étudier ses à-côtés.
A l'aube de la Révolution, une scène de barbarie véritablement sadique eut lieu. Peu de temps après le meurtre de Foulon, traîné par la ville en insurrection, une femme de la Halle, connue sous le nom de la Belle Bouquetière, avait assassiné son amant. C'était un grenadier de belle taille, à ce qu'il semble. Que lui reprochait-elle? On ne sait, mais toujours fut-il que, l'ayant entraîné au delà de la barrière de Grenelle, elle le massacra de singulière façon : elle le châtra. C'est un supplice familier aux héros de Justine, mais la Belle Bouquetière n'avait certainement pas lu « cette monstrueuse priapée[9] ». Le peuple allait se charger de lui en infliger une torture non moins singulière et cruelle. Arrêtée presque sur-le-champ, condamnée à mort, on lui ouvrit le ventre et « on le remplit des génitoires arrachées aux victimes du 14 juillet[10] ».
[9] E. et J. de Goncourt, vol. cit., p. 222.
[10]Souvenirs du comte de Montgaillard, agent de la diplomatie secrète pendant la Révolution, l'Empire et la Restauration, publiés d'après des documents inédits par Clément de Lacroix ; Paris, 1895, p. 106.
Qui eut l'idée de cette mutilation symbolique? On l'ignore, mais ne peut-on pas l'attribuer avec assurance à quelqu'une des femmes qui égorgèrent la meurtrière? Cette scène, véritablement féroce, elle ne se renouvellera pas durant la Terreur, mais elle est significative au début des troubles révolutionnaires. Ne semblent-elles pas s'en souvenir, ces femmes qui hurlent : « A la guillotine! » autour de Mme Roland qu'on vient d'arrêter[11], et qui remplissent les tribunes de la Convention de ce tapage sanguinaire[12]?
[11] Mme Roland, Mémoires, tome I, p. 38, édit. de 1865.
[12]Archives nationales, manuscrit des révélations de Chabot.
Et, pourtant, ce ne sont point des filles publiques que celles-là, les filles publiques ayant mieux à faire et plus à gagner dans le jardin de la Révolution. Celles-ci sont plus volontiers sensibles. Sensibles, et sans le savoir, à la manière de Jean-Jacques. Est-ce à cause de l'amour, leur profession, leur religion, leur commerce? L'inspecteur Pourvoyeur, en se promenant dans des rues, le 6 pluviôse an II (25 janvier 1794), a remarqué que « des femmes dans des groupes fesaient des motions et dénonçaient de très bons patriotes ». Cette fois encore, ce ne sont pas des Vénus vénales, car le policier note : « Le peuple les fit taire et les invitat à aller veiller à leur ménage en leur disant que ce n'était pas à elle à faire des motions et sure tout à dénonser de braves républicains. » Ce n'est pas à leur ménage qu'on renvoie les filles perdues! En 94, on mettait moins de formes à appeler un chat un chat. Cependant, Pourvoyeur observe, et c'est ici qu'on sentira toute l'importance de son témoignage : « Le peuple dit qu'il a remarqué que les femmes étoient devenues sanguinaires, qu'elles ne prêchent que le sang, qu'il y a entre autre une certaine quantité de femmes qui ne quittent point la guillotine ni le tribunal révolutionnaire[13]. »
[13]Archives nationales, série W, carton 191.
La guillotine! C'est désormais sa grande ombre oblique qui va s'étendre sur ces temps, c'est dans elle que se joueront tous les drames, que riront toutes les ironies, c'est dans cette ombre enfin qu'on aimera.
Le 26 pluviôse suivant (14 février), Pourvoyeur se trouvant sur la ci-devant place Louis-XV, remarque que « l'on disait sur la place de la Révolution cette après-midy, dans un petit groupe ; quand est-ce donc que la guillotine finira, il ne se lasse donc pas de guillotiner tous les jours ; il est étonent disaient-on à quel point les femmes sont devenues férosses elles assistent tous les jours aux exécutions[14] ».
[14]Ibid.
Il est incontestable qu'il y a là une sorte de névrose, de maladie publique. La guillotine entre dans les mœurs, la férocité, l'insensibilité entrent dans les cœurs. Que ce soit seulement chez les femmes, nous ne songeons aucunement à l'affirmer, mais enfin on ne saurait contester qu'elles n'en sont point exemptes. Elles semblent abdiquer le tendre privilège de leur sexe, la pitié. De cela la guillotine paraît les avoir, pour longtemps, guéries.
Ecoutez comment les juge un conventionnel, Philippe Drulhe. Quand la tête du condamné tombe sous le glaive de la loi, un « être immoral et méchant » seul peut s'en réjouir, dit-il. Et il continue :
Il faut le dire à l'honneur de mon sexe ; si l'on rencontre quelquefois ce sentiment féroce, ce n'est guère que dans les femmes : en général, elles se montrent plus avides que les hommes de ces scènes sanglantes ; elles regardent sans frémir le jeu de ce glaive moderne, dont la description seule fit pousser un cri d'horreur à l'Assemblée Constituante, qui ne voulut jamais en entendre la fin : mais c'était une assemblée d'hommes ; les femmes sont cent fois plus cruelles.
Saurait-on plus énergiquement confirmer ce qu'a dit Pourvoyeur dans son rapport quotidien? Mais si le policier néglige — et pour cause — d'étudier les mobiles de ces fureurs, Drulhe tente au moins, lui, de les discerner. Les raisons qu'il donne de ce sentiment si général sont loin d'être mauvaises :
On remarque que ce sont elles (les femmes) qui, dans les mouvements populaires, se signalent par les plus horribles abandons, soit que la vengeance, cette passion chérie des âmes faibles, soit plus douce à leur cœur, soit que lorsqu'elles peuvent faire le mal impunément, elles saisissent avec joie l'occasion de se dédommager de leur faiblesse, qui les met dans la dépendance du sort. Du reste, on sent bien que ceci ne s'applique point aux femmes, en qui l'éducation ou la sagesse ont conservé ces douces mœurs qui sont leur plus bel apanage. Je ne parle que de celles qui n'ont jamais connu les vertus de leur sexe, et qu'on ne retrouve guère que dans les villes, qui sont l'égout de tous les vices[15].
[15] Opinion de Philippe Drulhe, député du département de la Haute-Garonne, sur l'article suivant du projet de constitution : La peine de mort est abolie pour tous les délits privés. Séance de la Convention nationale du lundi 24 juin 1793 ; XXXVIIIme annexe. — Archives parlementaires de 1787 à 1860, Ire série, tome LXVII, p. 306. — Note des Archives : Bibliothèque nationale, Le 38, no 283 ; bibliothèque de la Chambre des députés, Collection Portier (de l'Oise), tome 212, p. 16. — L'impression de ce document est annoncée dans le Journal des Débats et décrets, de juin 1793, p. 468.
Ceci n'est guère flatteur pour Paris, mais est-ce bien la faute de Drulhe? Il constate le fait, et ce n'est pas à nous de le nier. Ces quelques lignes en disent plus sur les « lécheuses » et les « furies de guillotine » que les copieux chapitres d'un long volume.
Quand, après avoir infligé la correction du fouet à une femme suspecte d'incivisme, elles la chassent en disant : « Lève-toi, coquine, la nation te fait grâce! », on peut se demander si c'est le patriotisme qui leur dessèche le cœur à ce point? Ici encore, la guillotine a fait son œuvre : en elle la France et la femme de France trouvèrent le plus extraordinaire professeur d'insensibilité, la plus énergique leçon d'indifférence.
La fille publique traite le Paris de la Terreur en ville conquise. Du Palais-Egalité — et nous le verrons plus loin — elle a fait son domaine incontesté, au point qu'une honnête femme ne saurait décemment le traverser. Celles qui s'y essayent rebroussent chemin aussitôt. De quel droit la vertu va-t elle en visite chez le vice? De cet envahissement, le Tribunal révolutionnaire lui-même n'a pas été exempt. La terrible majesté de la loi, le glaive qui frappe là à coups redoublés, traîtres, conspirateurs et suspects, cela n'est pas pour effrayer la Vénus publique qui, du carrefour, monte au Palais de justice. Ses plumes défrisées, trempées des averses, tentent la comparaison avec celles qui ornent les chapeaux à la Henri IV des juges.
C'est un singulier spectacle que celui qu'offre le public du Tribunal révolutionnaire. Dans l'ancienne chambre du Parlement de Paris, il siège. Le décor est d'une austérité toute romaine. Au mur du fond, les bustes de Brutus, et de Jean-Paul Marat et de Lepelletier, martyrs de la liberté française. Sous les bustes, la table des juges. A droite, Fouquier-Tinville ; à gauche, les gradins des accusés. Quiconque s'assied là se sent au cou la fraîcheur de l'acier. Il semble que tout doit être tragique, solennel, glacé.
Et pourtant c'est là le rendez-vous des oisifs, tant hommes que femmes. A les voir si nombreux, le policier Rolin présume « qu'il n'i ait quelque projet sinistre en l'air[16] ». Il n'en est rien cependant. S'ils témoignent leur joie du jugement des coupables et de la promptitude qu'y mettent les juges[17], ils ne peuvent s'empêcher de se montrer mécontents de certains petits incidents qui ravissent les filles publiques attirées là, et par la hantise de la mort et par l'espoir du client providentiel. C'est le policier Prévost (il signe Prévost ∴) qui nous conte une de ces aventures :
[16] Rapport de police de C. Rolin, 25 pluviôse an II ; Archives nationales, série W, carton 191.
[17] « Les juges mettent toute la dextérité dans leurs jugements, ce qui fait le plus grand plaisir aux citoyens. » Rapport de l'observateur Prévost, 22 pluviôse an II. — Archives nationales, série W, carton 191.
Ce qui a déplu très fort à plusieurs citoyens, écrit-il dans ses observations du 22 pluviôse an II (10 février 1794), c'était la tenue la plus indécente d'un gendarme qui étoit à costé d'un accusé lors de son interrogatoire. Il m'a paru qu'il avoit bu, il se couchoit presque sur les bancs sur lesquels il étoit assis, mettoit sa main dans sa culotte, enfin il n'est pas possible de voir une indescence de cette nature surtout pour un fonctionnaire et dans un lieu où on doit y être avec la plus grande descence pour les juges et les spectateurs, tout ceci s'est passé dans la salle de l'égalité[18] au moment où on jugeoit un commandant de bataillon de l'armée du traître Dumouriez[19].
[18] Le Tribunal révolutionnaire était partagé en deux sections. La première siégeait dans la salle de la Liberté, la seconde dans la salle de l'Egalité. La première de ces salles forme aujourd'hui la 1re chambre du Tribunal civil de la Seine ; la seconde fut incendiée sous la Commune.
[19] Rapport de police de Prévost, ci-dessus cité.
Si de telles choses ont lieu dans la salle, que ne se passe-t-il point dans les couloirs? De la salle des Pas-Perdus, alors salle de Saint-Louis, toute sonore encore du pas des conseillers au Parlement de Paris, de ce noble pavé de France aux galeries latérales, la prostitution bat l'estrade, racole les plaideurs, cligne de l'œil aux défenseurs officieux et ne dédaigne point les hommages des guerriers pacifiques préposés au maintien du bon ordre du Palais. Aussi est-ce avec une indignation, qui appelle les foudres ministérielles, que le policier Mercier écrit, le 10 pluviôse :
Aux palaix de justice, il se fait toujours des attroupemens de femmes de fille qui nont lair autre chose que de libertines jen ait surprie une aujourdhuit sur les six heures qui étoit couchée dans un banc avec deux soldat ou 2 tambours. Ceci empechent les honneste jen de pouvoir y aller par la mauvaisse réputation qua cette endroit[20].
[20]Archives nationales, série W, carton 191.
Et l'indignation de Mercier donne la mesure de l'irrespect de Vénus pour sa sœur Thémis[21].
[21] Sur ces scandales du Palais de justice, voir à l'appendice la plainte de la Section Révolutionnaire.
Le printemps ne fait point ralentir les travaux du Tribunal, mais chasse du Palais, déshonoré et avili, ses luxurieuses habituées. C'est l'époque où le tendre germinal orne Longchamps et le Bois de Boulogne des neuves grâces de ses jeunes verdures.
Les belles promeneuses du régime disparu et traqué ont autrefois fait la fortune de Longchamps. N'est-ce pas là qu'un jour, dans son carrosse à fond d'or peint, capitonné de satin tête de canard et garni de coussins de soie gris perle, avec un tapis de pied de 36 000 livres, est venue la Duthé? Le duc de Durfort se « pavanait alors à ses pieds[22] », et c'était de son or qu'il avait payé le fourreau de taffetas recouvert d'une large chemise d'organdi claire et empesée, froncée autour du col et des poignets pour descendre jusqu'aux chevilles et se rattacher autour de la taille avec un nœud de rubans noirs, où se cuirassait la belle impudique. Déjà son sourire allait au comte d'Artois, à cet « invalide du despotisme et du libertinage » dont elle allait partager les orgies[23]. Mais où donc était maintenant la Duthé, et même le comte d'Artois, raillé jusque par les royalistes :
[22] Comte de Montgaillard, vol. cit., p. 74.
[23] Comte de Montgaillard, vol. cit., p. 134.
[24]Journal général de la cour et de la ville, 1er mars 1792.
Hélas! les lys de France sont coupés et les lauriers du roy seront longs à cueillir! Aujourd'hui, les citoyennes, les sans-culottes et les filles publiques mènent à Longchamps leur goût de la nature, et c'est sous ses bosquets bruissants qu'on sacrifie aux ardeurs printanières. Le 8 avril 1789, le temps est particulièrement beau. Pour la première fois, la foule se porte au Bois de Boulogne, et un contemporain note que les promeneurs y sont précédés ou suivis « par ces fameuses impures, moins curieuses de voir que d'être vues, d'étaler leurs charmes séducteurs et d'éblouir la multitude indignée de leur faste, par le spectacle aussi scandaleux que brillant de leurs élégantes parures, de leurs chars somptueux auxquels elles attachaient leurs esclaves[25] ». La mode est alors à ces petites brochures badines ou scandaleuses, de quatre ou huit pages, qui prennent leur vol dans Paris. Longchamps a sa part dans cette bibliographie : ce sont les Observations critiques d'un flâneur sur la promenade de Longchamps ou Examen joyeux des voitures qui doivent s'y rendre pendant trois jours[26], et on devine dans quel esprit cet examen est fait par l'auteur anonyme ; c'est encore Le Départ des belles femmes de Paris en grand costume pour embellir Longchamps pendant trois jours, avec la liste de leurs noms[27], et la mode se perpétuera jusqu'en l'an IX, où paraîtra encore ce petit libelle diffamatoire : Les plaisirs de Longchamps pour l'an IX, noms et qualités de toutes les dames qui doivent s'y trouver avec leurs aimables favoris, détails de leurs costumes, couplets à cet égard[28].
[25]Journal du libraire Hardy, tome VIII, p. 281.
[26] Imprimerie Aubry. 1790, 8 pp.
[27]Se trouve à Paris sous le vestibule du théâtre de la République, in-8, 8 pp.
[28] Paris, an IX, in-4o, 4 pp.
La Terreur, cependant, offrira en ces lieux charmants, dans ces verts paysages, coupés d'eaux vives, de bosquets murmurants, de vallons gazonnés, d'autres spectacles. Ce sera l'endroit choisi, par un beau jour de germinal, pour des duels de jeunes vauriens en culottes d'écoliers[29], la promenade où des hommes sans pudeur insulteront outrageusement les femmes venant goûter le charme printanier. C'est un policier qui conte : « Un de ces hommes vit passer une femme à qui il a tenu les propos les plus sales, a défait sa culotte et l'a poursuivie, enfin il est impossible de dire qu'elle en a été le résultat. » On comprend la pudeur du mouchard. « Cette femme, conclut il, s'est enfuie à toutes jambes[30]. » Ne fit-elle pas mieux que de s'attarder? Ces incidents, les rapports de police les signaleront souventes fois Maximilien de Robespierre aura beau avoir mis la vertu à l'ordre du jour, exigé « la bonté des mœurs[31] », c'est en vain qu'il demandera, à la veille de sa chute, de « sauver la morale publique[32], Paris restera ce qu'il fut et l'amour — si toutefois cela peut s'appeler ainsi — n'abdiquera pas un pouce du terrain, ne cédera pas une allée du Bois de Boulogne. Le cours des saisons y ramènera les amants, ces amants à qui Cubières, le « citoyen poète de la Révolution », promet un charme nouveau à chaque mois de l'amoureux calendrier :
[29] C'est l'inspecteur Le Breton qui mentionne un fait de ce genre dans un de ses rapports de germinal an II : « Dans les Champs-Elizées, sur les quatre heures après midi, deux petits jeunes gens s'étoient donnés parole je crois pour se battre. Ils avoient chacun une pique et se mettoient en face l'un de l'autre pour se porter des coups de longueur. Ils avoient l'air d'y aller bon jeu, bon argent. Je me suis mis au devant d'eux en leur faisant honte de leur procédés, ce qui a amassé un peu de monde un poste que l'on alloit relever, et de fait abandonner la partie et ils ont gagné au large en se sauvant l'un de côté, l'autre de l'autre. » Archives nationales, série W, carton 174, pièce 106.
[30] Rapport de police de Prévost, 3 ventôse an II, Archives nationales, série W, carton 112.
[31] Discours de prairial an II.
[32] Discours du 8 thermidor.
[33]Le Calendrier républicain, poème, précédé d'une lettre du citoyen, Lalande, par Cubières, poète de la Révolution.
Ces charmes, ce ne seront point ceux-là qui attireront les « muscadins » à qui le policier Clément trouve un air très suspect et dont il procurera la liste[34]. Les Champs-Elysées deviennent, à certains jours, le rendez-vous des aristocrates déguisés, de mécontents promis au rasoir national. Sous la verdure lourde de la chaleur de thermidor, ils agiteront de « sinistres projets », combineront des plans machiavéliques. Ils conspireront, mais à voix basse. « Nous attendons qu'ils parlent plus haut et nous les veillons[35]. » C'est un mouchard qui passe. Les feuilles vertes des Champs-Elysées ont des oreilles.
[34] Rapport de police adressé à la Commune, 19 floréal an II. Archives nationales, série W, carton 124, pièce 40.
[35]Archives nationales, série W, carton 124, pièce 18.
A la prostitution, au libertinage, à la névrose érotique, rien ne saurait mettre un frein. On conçoit que, sous l'œil d'une police impuissante et qui a bien d'autres suspects à surveiller, elle s'étale impunément. On comprend que la rue, qui appartient à tous, soit témoin des déportements des filles, et alors comment ne pas s'étonner de voir la débauche triompher jusque dans les lieux sur lesquels la police a toute autorité? L'Hôtel général et l'Hôtel-Dieu sont particulièrement accusés d'être le théâtre de scènes scandaleuses, et l'inspecteur Mercier se fait, à la date du 4 ventôse an II (23 février 1794), l'écho des bruits qui courent parmi le public. C'est au moins ce qu'on discerne à travers les extravagances de son orthographe : « On murmure beaucoup de linconduite qui regne dans lopitalle générale on assure que beaucoup de femmes qui son dans cette maison mène une vie bien pire que celle qui racroche publiquement, l'hotelle dieu a apeuprest la même renommée. Ces deux maisons passe aussie pour estre remplie de lesprie darristocrasie[36]. » C'est une singulière idée que l'on peut se faire de ce lieu d'angoisse où râlent les agonisants, où se lamentent les malades et où chante le rire de la débauche. Ici, une fois encore, l'amour et la mort sont frères et se tendent la main. Aux gémissements des souffrants répondent les soupirs de la volupté, et cet hôpital c'est comme une énorme maison de débauche sous la protection de l'autorité municipale et la surveillance de la police.
[36]Archives nationales, série W, carton 112.
Il en est de même au collège de Laon[37], à la Montagne Sainte-Geneviève. La Commune a décidé de l'abandonner aux femmes sans ressources dont les maris sont partis aux frontières défendre, contre les despotes coalisés, la patrie en danger. Le collège est bientôt devenu un mauvais lieu. Ces ménagères, désormais délivrées du souci d'un loyer à payer, ont une manière particulière de faire preuve de reconnaissance, et cette manière n'est certes pas à l'honneur de leur propreté domestique. Grâce à elles, les dégâts sont bientôt considérables. Des ordures sont jetées au premier endroit venu, dans les escaliers, dans les couloirs. Les reliefs de la cuisine font un charnier de l'antique collège. La crainte de maladies épidémiques n'est pas pour les arrêter. Mais ce n'est pas tout. La citoyenne Bigaut, graveuse, rue Saint-Jean-de-Beauvais[38], semble particulièrement renseignée sur ce qui se passe en cet endroit. Est-ce elle qui donne à l'inspecteur Rollin des renseignements? On ne sait, mais la chose est présumable. « On assure que le libertinage le plus effréné est à l'ordre du jour dans cette maison, quelle (les femmes sans doute ; Rollin néglige de le dire) reçoivent des hommes chez elles à toutes heures de jour et de nuit, quelles sénivrent continuellement, et que dans cette état elles tiennent les propos les plus dissolus et les plus inciviques comme de dire au diable la nation, la belle f….. nation, etc., etc. »
[37] « Le collège de Laon fut fondé en 1313, par Guy de Laon, trésorier de la Sainte-Chapelle, suivant un auteur du XVIIIe siècle ; d'après un autre plus récent, il aurait été fondé en 1305, par Huard de Courtegis ; ce qui a causé l'erreur de l'ancien historien, c'est qu'il a confondu l'exécuteur testamentaire, Guy de Laon, avec Huard de Courtegis, le donateur. » Ch. Virmaître, Paris historique, p. 79. — Le collège de Laon occupait l'emplacement du Collège de France.