Les laïcs - Collectif - E-Book

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Beschreibung

Ce numéro s’appuie sur le riche travail de Alexandre Faivre récemment disparu (1945-2020), historien et patrologue. Il met en avant la place des laïcs dans l’Eglise, et ce dès les premiers temps, dépassant largement la notion étroite d’un apostolat des laïcs. Ses travaux explicitent la construction de la hiérarchie et le rapport des hommes et des femmes face au pouvoir de servir. Il soutient l’intérêt et la fécondité qu’aurait l’Eglise à, comme aux premiers siècles, s’appuyer sur son laïcat.
la revue CONNAISSANCE DES PERES DE L'EGLISE : plus de 160 numéros CLIQUEZ ICI et TROUVEZ LE VÔTRE
Éditorial
Marie-Anne VANNIERIn memoriam Alexandre Faivre. Prendre la mesure d'une entreprise de science et de foi.
Paul MATTEIOrdonner la Fraternité. Acteurs, structures, frontières du champ religieux chrétien
Alexandre FAIVREValeur de l’hapax Laïkos dans l’Épître aux Corinthiens de Clément de Rome ?
Philippe MOLAC« Nous sommes devenus nombreux. » Croissance démographique et institutionnalisation des communautés chrétiennes
Attila JAKABDidaskalia et sacerdoce d’après Origène à Alexandrie
Michele CUTINOActualité des Pères de l’Église

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« Écoutez cela, vous aussi, les laïcs, Église élue de Dieu. Car le peuple de jadis était déjà appelé peuple de Dieu et nation sainte. Mais vous, vous êtes l’Église de Dieu, sainte et sacrée, inscrite dans le ciel, le sacerdoce royal, la nation sainte, le peuple acquis, la fiancée parée pour le Seigneur Dieu, grande Église, Église fidèle (…).

Ce sont eux vos pontifes ; vos prêtres, ce sont eux les presbytres, et vos lévites, ce sont à présent les diacres, ce sont vos lecteurs, chantres et portiers, ce sont vos diaconesses, vos veuves, vos vierges et vos orphelins.

Mais le plus élevé parmi eux tous, c’est le pontife, l’évêque. Il est le serviteur de la Parole, le gardien de la connaissance ; maître de piété, il est votre père, après Dieu, car il vous fait renaître de l’eau et de l’Esprit pour votre adoption, il est votre chef et votre guide (…).

L’évêque sera donc votre président, en tant qu’il est revêtu de la dignité divine ; grâce à elle, il dirige le clergé et gouverne tout le peuple.

Le diacre l’assistera comme le Christ assiste le Père ; qu’il le serve en tout de façon irréprochable, comme le Christ qui ne fait rien de lui-même, mais toujours ce qui plaît au Père.

Constitutions apostoliques II, 26, 1-5, Paris, Cerf, coll. « Sagesses chrétiennes », 2012, p. 83-84.

Sommaire

Les Laïcs

CPE n° 163

Éditorial — Marie-Anne VANNIER

In memoriam Alexandre Faivre Prendre la mesure d’une entreprise de science et de foi — Paul MATTEI

Ordonner la Fraternité Acteurs, structures, frontières du champ religieux chrétien — Alexandre FAIVRE

Valeur de l’hapax Laïkos dans l’Épître aux Corinthiens de Clément de Rome ? — Philippe MOLAC

« Nous sommes devenus nombreux » Croissance démographique et institutionnalisation des communautés chrétiennes — Attila JAKAB

Didaskalía et sacerdoce d’après Origène à Alexandrie — Michele CUTINO

Actualité des Pères de l’Église

Éditorial

Le 16 septembre 2020, Alexandre Faivre, professeur à la faculté de théologie catholique de l’université de Strasbourg, nous quittait au terme d’une longue maladie. Son épouse et collègue, Cécile, l’a accompagné avec beaucoup de dévouement et de bonté.

La vie universitaire d’Alexandre Faivre a été bien remplie, comme en témoignent ses différentes publications. Il a eu un rôle de pionnier dans un certain nombre de domaines, dont la mise en place du télé-enseignement, intitulé SERFOTHEC (Service de formation théologique continue)[1], qui a ouvert la théologie aux laïcs.

Son œuvre est importante et parlante pour aujourd’hui. Paul Mattei en retrace les grandes orientations en un article d’ouverture, où il s’attache plus précisément au dernier ouvrage d’Alexandre Faivre : Chrétiens et Églises. Des identités en construction. Acteurs, structures, frontières du champ religieux chrétien. Nous avons également la chance d’avoir, en quelque sorte, la synthèse de la pensée d’Alexandre Faivre dans la dernière conférence qu’il a prononcée. Son apport se dégage nettement : la distinction clercs-laïcs, la mise en place de la hiérarchie, l’étude du rôle des diacres, dont il a donné un écho dans le numéro 57 de notre revue, et de celui des évêques dans les premiers siècles… Dans la mouvance du concile Vatican II, Alexandre Faivre a ouvert des voies de recherche nouvelles, il a étudié, en particulier, l’émergence du laïcat et la naissance de la hiérarchie.

Des collègues et amis reprennent et prolongent sa réflexion : Philippe Molac s’attache, tout d’abord, à l’hapax laïkos chez Clément de Rome, puis Attila Jakab recherche comment, à partir de « la grande mutation institutionnelle » du IIIe siècle, les communautés se sont institutionnalisées et quelles structures elles ont mis en place. Toujours au IIIe siècle, à Alexandrie, Michele Cutino envisage un autre groupe : celui des Didascales, et précise comment ils se sont progressivement cléricalisés.

Il en va de toute l’organisation de la fraternité, dont Alexandre Faivre a été l’un des premiers à étudier la genèse et qu’il s’est efforcé de mettre en pratique dans la formation des laïcs, en particulier par le télé-enseignement.

Marie-Anne VANNIER

[1]. A. Faivre, « Le SERFOTHEC et les “nouveaux publics” de la faculté de théologie catholique de Strasbourg : entre célébration, mémoire et histoire », Revue des sciences religieuses, 78 (2004), p. 137-153.

In memoriam Alexandre Faivre Prendre la mesure d’une entreprise de science et de foi

Alexandre Faivre nous a quittés le 16 septembre 2020 après de longues années d’une douloureuse maladie, qu’il a vécues avec une force, une volonté, une dignité dont tous ceux qui en furent les témoins (parmi eux, trop rarement hélas, l’auteur de ces lignes) conserveront toujours le souvenir ému. Tout comme ils ne ménageront pas leur chaleureuse admiration envers celle qui portait avec lui le poids ininterrompu de ces interminables moments, son épouse Cécile.

Il faut aujourd’hui que le public, sereinement, prenne la mesure de la recherche qui fut celle d’Alexandre Faivre – de ses champs d’investigation, de ses acquis et de ses perspectives (de ses ambitions). Et il est bon que ce soit le lectorat de Connaissance des Pères de l’Église, lectorat étendu au-delà du cercle des spécialistes, et dont il n’est pas déplacé d’avancer qu’il est à la fois curieux d’érudition et préoccupé de nourrir sa foi ou du moins sa réflexion et ses interrogations, qui se trouve invité à cet effort. (Aussi bien, soit dit en passant, Alexandre Faivre a écrit, à plusieurs reprises, pour CPE.)

De fait, la recherche que nous évoquons n’est pas seulement celle d’un historien appliqué à enrichir les connaissances des modernes sur l’Antiquité chrétienne, d’une manière, si l’on veut, archéologique. Elle est le fruit du travail d’un chrétien, lui-même engagé, et pleinement conscient (il concevait même cette retombée comme un des moteurs de son travail) que le savoir ainsi renouvelé dans le respect le plus absolu des procédures et des protocoles validés par la communauté de ses pairs, ainsi que dans la mise en œuvre de méthodes et de modèles épistémologiques à jour et maîtrisés, ne pouvait pas ne pas influencer, ou mieux, ne pas bousculer, la façon dont les générations actuelles envisagent, dans les Églises, et au premier chef dans l’Église catholique, les problèmes sur lesquels elle porte, et qui, plus que jamais, demeurent ouverts, voire connaissent une acuité accrue : ceux de la structuration des communautés chrétiennes et de la définition des ministères d’autorité (expression d’autant plus intrigante que son allure d’oxymore saute aux yeux).

Pour entrer un peu davantage dans un détail qui n’est pas exhaustif, énoncer quelques mots ou expressions clés, et esquisser une chronologie sommaire, il s’agit des questions que pose la mise en place, souvent par le moyen d’une littérature sui generis (la documentation canonico-liturgique), selon des étapes à identifier dans leur nature et leur enchaînement au cours de l’époque anténicéenne, et plus spécialement durant la période subapostolique, puis, au fil des siècles suivants, jusqu’à notre temps, la persistance, présentée comme de droit divin, d’une hiérarchie dont les traits constitutifs majeurs s’énumèrent comme suit : exclusion des femmes, distinction entre clercs et laïcs, émergence et affirmation de l’épiscopat monarchique en tant que sommet de l’ordo, subordination des diacres dans la triade des « ministères majeurs » (évêque, presbytres, diacres), perfectionnement (poursuivi sous l’Empire chrétien) d’un cursus dont les premiers degrés sont définis comme « ministères mineurs », interprétation sacerdotale de la fonction d’évêque et de presbytre par le recours au « modèle lévitique » (comprenons : la figure qu’offrait la prêtrise de l’Ancien Testament, avec compréhension toujours plus nette de l’eucharistie comme sacrifice et mise en avant du rôle d’intercession joué par l’évêque).

La « production » d’Alexandre Faivre s’est pour l’essentiel matérialisée dans quatre livres, qui ont bénéficié de traductions, assez nombreuses, en diverses langues.

C’est d’abord deux monographies :

– Naissance d’une hiérarchie. Les premières étapes du cursus clérical, Paris 1977 (coll. « Théologie historique », 40) [cette étude de 448 pages est issue de sa thèse : Fonctions et premières étapes du cursus clérical. Approche historique et institutionnelle dans l’Église ancienne, 1 068 pages, elle-même publiée à Lille, en 1975 par le Service de reproduction des thèses] ;

– Les premiers laïcs. Lorsque l’Église naissait au monde, Strasbourg 1999 [cet ouvrage (335 pages environ) est la version augmentée et révisée de : Les Laïcs aux origines de l’Église, Paris 1986, 276 pages (coll. « Chrétiens dans l’histoire », 1)].

C’est ensuite deux recueils d’articles, pour la plupart précédemment publiés :

– Ordonner la fraternité. Pouvoir d’innover et retour à l’ordre dans l’Église ancienne, Paris 1992, 555 pages ;

– Chrétiens et Églises. Des identités en construction. Acteurs, structures, frontières du champ religieux chrétien, Paris 2011, 608 pages (coll. « Cerf-Histoire »).

Celui qui écrit ces lignes aurait aimé non pas certes fournir une analyse détaillée de ces quatre ouvrages, tâche impossible et qui eût été répétitive, mais une synthèse sur la pensée de leur auteur. Des circonstances personnelles lui ont interdit de réaliser ce projet, qu’il nourrissait pourtant depuis plusieurs mois. Il remercie donc Marie-Anne Vannier et la rédaction de CPE d’avoir accepté de réimprimer, avec un autre titre, mais à peu près tel quel (sauf ajout d’une incise dûment signalée), un article qu’il avait donné, en 2014, dans Théophilyon, revue des facultés de philosophie et de théologie de l’université catholique de Lyon (vol. 19, n° 1, p. 159-174) ; il remercie également la revue d’avoir donné son accord à la réimpression.

Sous l’intitulé : « D’un livre nouveau d’Alexandre Faivre : Chrétiens et Églises. Des identités en construction », cet article proposait une longue recension critique. Son intention était de faire voir les grandes lignes d’une pensée, d’en apprécier l’apport solide (par-delà quelques éléments dont il me paraissait que, sans que l’acceptation favorable de l’ensemble en fût compromise, et quelle que fût la stimulation intellectuelle que ces vues, originales, ne manquaient pas de provoquer, il était loisible de ne pas les recevoir tels quels), d’en tirer quelques conclusions pour le présent et l’avenir.

Il me semble que le dessein de cette recension n’est pas éloigné de ce qu’il ne m’a pas été donné d’effectuer à frais nouveaux. Par-delà la science partagée, les développements de ce compte rendu, qui sont par moments, je viens de le suggérer, des invitations au dialogue, des incitations à aller plus loin, resteront, je l’espère, aux yeux des lecteurs, comme la trace d’une communion dont l’horizon n’est pas borné par l’absence apparente.

* * *

[D’un livre nouveau d’Alexandre Faivre :Chrétiens et Églises. Des identités en construction [1]]

En guise d’introduction : mesure d’un contenu

Voilà, disons-le d’emblée, un livre important, et dont l’auteur, Alexandre Faivre (AF, désormais), n’est plus à présenter : ses recherches sur les ministères aux premiers siècles font autorité. C’est un recueil d’articles[2] – en l’occurrence parus depuis quelque dix ou vingt ans[3] (parfois, les chapitres du livre, assez longs, regroupent plusieurs articles). Un inédit au moins figure dans le lot[4]. Beaucoup de ces travaux ont été écrits de concert avec Cécile Faivre-Dibout, que je me fais, au seuil de ces pages, un amical devoir de nommer.

Les articles ont été recomposés et repaginés. Ont-ils été retouchés ? Je n’en sais rien, n’ayant pas fait, sauf sur un point[5], de contrôle ; mais les retouches, s’il s’en rencontre, doivent être minimes. L’annotation, en tout cas, n’a pas été harmonisée ; d’où des redites, portant, avant tout, sur la bibliographie ; felix culpa : dans chaque chapitre, le lecteur a commodément à portée la littérature de base.

Plus gênant : aucune table ne récapitule où, pour la première fois, ont paru les articles. L’auteur aurait voulu un tel index. L’éditeur ne l’a pas écouté. Il a eu tort : car cette lacune prive d’un utile instrument de consultation[6].

Le titre et le (ou les) sous-titre(s) sont explicites[7]. Il est question d’étudier comment s’est structuré aux premiers siècles le champ religieux chrétien. La notion de champ vient de la sociologie contemporaine (cf. p. 29) : elle signifie l’espace (idéologique ou religieux) que les chrétiens des premières générations ont cherché à s’ouvrir par rapport au judaïsme – aux divers judaïsmes (AF ne dit rien, sauf erreur, car là n’était pas son sujet, du difficile et long, imprévu et non voulu au départ, découplage d’avec la matrice juive) – et par rapport aux non moins divers « paganismes ». La structuration a consisté en ceci : comment, dans la nébuleuse de forces en tension qu’était le « mouvement de Jésus », se sont opérées la répartition, elle-même mouvante et évolutive, des fonctions et des ministères et la définition, toujours redessinée, de frontières internes entre les divers groupes revêtus de tel ministère ou investis de telle tâche – afin de dégager une image collective de soi, ou, comme l’on aime à dire aujourd’hui, une identité.

Le plan n’est pas moins clair. La première partie (« Panorama et problématiques », p. 25-180) dessine le tableau global, en quatre chapitres :

– (1) P. 27-78 : « Les fidèles du Christ. Acteurs et structures du champ religieux chrétien[8] » ;

– (2) P. 79-113 : « “Chrèstianoi/Christianoi”. Ce que “chrétien” en ses débuts voulait dire[9] » ;

– (3) P. 115-150 : « La question des ministères à l’époque paléochrétienne[10] » ;

– (4) 151-180 : « De l’apôtre à l’évêque. Naissance et passation des pouvoirs aux origines de l’Église[11] ».

La deuxième (« Acteurs et frontières », p. 181-380) présente quelques configurations fonctionnelles et la spécificité de leurs rôles respectifs en leur évolution :

– (5) P. 183-241 : « “Diakonos”, l’histoire d’un idéal, le pouvoir de servir[12] » ;

– (6) P. 243-309 : « Κλῆρος/λαϊκός. Deux ensembles flous à l’origine d’une dichotomie mutuellement exclusive[13] » ;

– (7) P. 311-380 : « Les femmes[14] ».

La troisième (« Focalisation et analyses », p. 381-550) étudie trois ensembles littéraires :

– (8) P. 383-441 : Lettre de Clément de Rome[15] ;

– (9) P. 443-488 : Lettres d’Ignace d’Antioche[16] ;

– (10) P. 489-550 : Documentation canonico-liturgique (nommément, Constitution ecclésiastique des apôtres, Tradition apostolique et Didascalie)[17].

Le tout est suivi d’un Appendice (p. 551-571) : « Les fouilles “in Vaticano”. Bilan et enjeux d’un demi-siècle de débats[18] », sur les tenants et aboutissants institutionnels et ecclésiologiques d’une entreprise archéologique. Il est précédé d’un « Avant-Propos » (p. 9-24), longue introspection, rédigée exprès, où AF fait le point sur sa propre pensée et retrace son itinéraire scientifique. Le livre se clôt sur un sextuple index (p. 573-605) : références bibliques ; références des sources anciennes ; noms des personnages anciens ; noms des auteurs modernes ; mots grecs ; mots latins.

Grandes lignes d’une pensée

Ce sont elles d’abord qu’il convient de mettre en évidence, ou, si l’on préfère, les axes porteurs d’une recherche en matière d’histoire des ministères, pour le plus clair à l’époque anténicéenne.

Selon AF, l’histoire des ministères aux deux ou trois premiers siècles se trouve commandée par deux phénomènes clés :

– la distinction clercs-laïcs, qui apparaît à la fin du IIe siècle : les premières attestations se lisent chez Clément d’Alexandrie et chez Tertullien (sur le sens du mot laïkos dans Clément de Rome, nous reviendrons plus loin) ;

– la mise en place du « modèle lévitique » – comprenons : d’une interprétation des ministères chrétiens à la lumière du sacerdoce de la première Alliance. Avec attention moins sur l’eucharistie conçue comme sacrifice que sur la capacité des « prêtres » chrétiens (c’est-à-dire des évêques) à être des intercesseurs pour les péchés du (nouveau) peuple.

Ces deux phénomènes clés ont un corollaire, qui concerne la constitution progressive de la triade des ministères majeurs en sa hiérarchisation, et dont les composantes se résument comme suit :

– naissance tardive de l’épiscopat (courant, ou plutôt seconde moitié, du IIe siècle) ;

– « caractère[19] » sacerdotal des presbytres reconnu plus tardivement encore (IIIe siècle) ;

– subordination de la fonction diaconale (processus entamé dès le IIe siècle).

L’« invention » de la distinction clercs-laïcs et la prévalence du « modèle lévitique » auraient causé un dégât collatéral, mais de vaste conséquence : la mise à l’écart des femmes et leur infériorisation dans les instances ecclésiales.

Ce « modèle » explicatif de l’évolution des ministères soulève trois questions annexes : définition d’une périodisation, détermination précise de la nature de l’évolution, identification du rôle des différents acteurs.

Quant à la périodisation, AF cherche à dégager des paliers. Singulièrement, les Pastorales, à la fin du Ier siècle, marquèrent une étape décisive. Plus généralement, AF souligne l’importance de ce palier subapostolique, qui, outre les Pastorales, vit aussi la rédaction de la Didachè et de la lettre de Clément.

Pour autant, et cela touche à la conception de l’évolution, il n’y a pas de lents développements, mais plutôt des mutations, selon les circonstances nouvelles qui affectent les communautés dans leur croissance interne (démographique et sociologique) : par exemple, et surtout, s’agissant de la dichotomie clercs/laïcs. AF refuse de déceler dans Clément de Rome une première attestation de cette dichotomie. C’est là un parti épistémologique : l’histoire procède par mutations. Et c’est, plus encore, un véritable parti théologique, et parfaitement justifié, dans le refus même de la théologie, fût-elle « positive », par un historien qui ne veut être qu’historien[20] : AF rompt en visière, du moins dans le domaine qui est le sien, avec l’idée de développement dogmatique homogène, il brise avec toute conception « téléologique » de l’évolution des ministères. Ce faisant, il aide à mieux cerner les enjeux proprement doctrinaux : nous y reviendrons.

Enfin, la responsabilité exacte des « docteurs » dans ces mutations. Ignace d’Antioche et la documentation canonico-liturgique prescrivent et promeuvent un état jugé par eux souhaitable plus qu’il ne reflète une situation réelle. Trois exemples : le plaidoyer d’Ignace en faveur du mono-épiscopat ; l’utilisation que la Tradition apostolique fait de la liturgie et des notions d’ordination et d’institution, pour tracer des frontières ; l’insistance de la Didascalie sur l’idée que les diaconesses reçoivent une ordination au sens strict, pour combattre les ambitions des veuves (ce qui ne va pas sans paradoxe : promotion du ministère féminin des diaconesses ordonnées, contre des veuves instituées ? La supposition que les premières sont plus dans la main de l’évêque résout-elle le paradoxe ?)

Quaestiones disputandae