Meurs, maman. - Cassandra Li - E-Book

Meurs, maman. E-Book

Cassandra Li

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Beschreibung

A 46 ans, Sandrine est maintenant une femme plutôt comblée : épouse heureuse et mère de deux grands et beaux garçons sur le plan personnel, manager commerciale reconnue et performante sur le plan professionnel, la vie suit son cours sans pour autant être un long fleuve tranquille. Mais le 17 mars 2020 va marquer le début d’une longue descente aux enfers.


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CassandraLi

Meurs, Maman.

JOUR 1

Valfréjus,

Je me lève. Il est déjà 9h45. Je replie le BZ, je suis seule. Je me sens démunie de ma moitié, de mon âme sœur, de mon mari. Je suis le même rituel que lorsque nous sommes ensemble : je replie la couette en trois, j’empile les quatre oreillers et j’emmène tout cela dans la chambre à côté. Je remets la housse sur le BZ, le petit plaid que j’affectionne tant, car il a des cœurs et je positionne bien les deux coussins aux extrémités du BZ. Je remets en place la table du salon et j’ouvre en grand la porte-fenêtre pour aérer. L’air est encore très froid ce matin. Il fait moins six degrés sur le petit balcon. Je suis chez moi dans mon petit cocon à la montagne à Valfréjus. Je redécouvre avec émerveillement ce magnifique paysage. Les sapins et les mélèzes sont recouverts de neige. Leurs branches ploient sous le poids de la neige, mais rien ne cède. Ils résistent en silence. Ils sont finalement comme moi ou peut-être que c’est moi qui leur ressemble.

Cela fait trois ans maintenant que le chemin de croix a commencé. Il est long, il est dur et les plaies sont grandes ouvertes. Lorsque je crois que cela va mieux, il y en a une qui se met à saigner. Elles me rappellent chaque jour ce que veut dire le mot résilience. Il faut avancer, dépasser ces épreuves et se relever. Oui c’est ça ! Se relever sans cesse, encore et encore.

Je suis en arrêt maladie depuis 4 mois. Physiquement je n’ai rien ou presque… Seulement les signes que mon corps m’envoie pour me signifier qu’il faut tout arrêter. Psychologiquement c’est le chaos. Mon cerveau ressasse encore et encore toutes les situations vécues, tous les scénarios à envisager, tout ce qui aurait pu se dérouler différemment, tout ce que j’aurais pu faire différemment et évidemment tout ce que j’aurais peut-être dû faire différemment.

Je commence à digérer doucement la partie professionnelle. C’est cette dernière qui m’a emmenée au fond. Je n’ai rien vu venir comme beaucoup. La tête dans le guidon comme on dit. À fond ! Tous les défis sont bons à affronter, tous les challenges sont bons à relever. Mais les trois années d’épreuves ont mis mon mental à rude épreuve. Et non, je ne suis pas Wonderwoman. Et pourtant j’ai bien développé ce syndrome depuis 40 ans. Mais je suis maintenant devant les faits : Wonderwoman n’existe pas. Au fait, moi c’est Sandrine.

Alors ce vendredi 23 septembre 2022, j’ai débarqué devant la porte de ma médecin généraliste en larmes et avec 17 de tension. Elle me suit depuis 15 ans, mais elle ne m’a jamais vue ainsi. Moi la femme forte qui affronte tout, qui relève le torse, qui plie mais ne rompt pas devant l’adversité, moi, je refuse d’aller au travail ce matin. Voilà c’est tout. C’est comme cela que tout s’est terminé.

Oui cela fait 4 mois. Il y a quelque temps, mon mari bien attentionné, Frédéric, m’a demandé si je ne voulais pas rester une semaine à la montagne sans lui, loin de la maison, loin des tâches quotidiennes que je m’impose, loin des appels d’anciens collaborateurs, loin de la culpabilité de ne plus travailler, loin de tout. Spontanément j’ai refusé, arguant le fait que la solitude en ce moment n’est certainement pas le meilleur remède à ma mélancolie et à mon mal-être. Mais petit à petit, cela fit son chemin dans mon esprit jusqu’à accepter.

Voici donc le point de départ de ce récit. C’est le jour 1. Celui où je suis seule. Seule avec moi-même ou seule face à mon passé, mes épreuves et peut-être mon avenir.

Il y a des années que je veux écrire, je crois même que j’ai toujours voulu écrire depuis toute petite. D’ailleurs, j’ai beaucoup écrit à l’adolescence. Cela m’aidait énormément. Coucher ses peines, sa colère et son incompréhension sur le papier aide à tourner les pages, les unes après les autres. Et puis la vie quotidienne a pris sa place et j’ai laissé de côté ce remède auxmaux.

Je vois bien que c’est la seule solution aujourd’hui pour sortir de l’ornière. Je ne veux pas prendre d’antidépresseurs ou autre remède chimique. Je ne veux pas ne plus rien sentir. Je dois continuer à sentir la morsure de la vie même si elle me prend jusqu’à l’os. C’est ça la vie. C’est cette douleur qui me rendra plus forte lors de la prochaine épreuve.

Ce matin, j’ai donc chaussé les skis et je suis montée pour faire quelques descentes. C’est très étrange de partir skier seule, un peu stressant et déroutant même. Mais j’ai aimé cela. J’ai beaucoup moins aimé ce que j’ai vu en haut des pistes. Le temps avait changé. Les nuages arrivaient et la neige avec. Comme je n’avais pas pris le bon masque, je ne voyais absolument rien avec mes lunettes de soleil. Tant pis je redescends pour prendre mon masque mauvais temps. Finalement, une fois les chaussures de ski enlevées, je me suis dit que j’allais changer de programme. Me voilà partie pour faire une randonnée en raquettes. C’est drôle cette liberté de mouvement. J’adore. Je crois que j’avais déjà envie de changer le programme et de faire au gré de mon envie, bien avant de me lever ce matin !

Me voilà sur le sentier des Herbiers. Départ face à l’appartement. C’est un petit chemin en face dans la montagne. Il serpente un long moment en sous-bois le long de la rivière. Je suis toute guillerette au début. J’ai chaussé mes raquettes, mis mon beau bonnet couleur vieux rose tricoté récemment et je suis partie pour une balade avec moi-même. Je sais que je vais traverser divers états, dont celui de la mélancolie. Lorsque je marche, mon esprit décide où il veut aller se promener. Il ouvre le tiroir des souvenirs qu’il souhaite. Je sais que cette marche me permettra d’entrer doucement dans son souvenir. Ce ne sera pas trop douloureux, car la neige autour de moi m’apaise. J’adore cette balade. Je suis seule dans le bois. Je n’entends que le bruit des raquettes sur la neige. C’est comme un bercement, c’est régulier, c’est apaisant.

Ces paysages me font toujours l’effet d’un baume. C’est doux, la neige est légère. Tout est maculé et ce blanc est puissant. Il me donne à la fois de l’énergie et à la fois de la douceur. La neige met un peu de baume sur mon cœur. Les bruits sont sourds, comme si la neige les absorbait. Je n’entends rien. Pas même un oiseau. Ils doivent être bien au chaud dans leurs nids douillets loin de la froidure.

Je marche. Lentement, mais d’un pas assuré et régulier. Mon esprit a commencé à partirloin.

Je suis trois ans en arrière sur le banc de notre jardin au téléphone avec ma mère. Nous habitons une jolie maison dans un village au cœur du Parc Naturel du Pilat, dans la Loire.

Le temps est doux ce printemps 2020. Nous vivons quelque chose qui restera dans les livres d’histoire c’est certain. C’est le mois d’avril. Nous vivons une pandémie mondiale. Un virus, ou plutôt un coronavirus fait des millions de morts dans le monde et ce n’est que le début, mais nous n’en avons pas conscience. Enfin peu d’entre nous en ont conscience. Le confinement a débuté le 17 mars 2020. Ce jour-là, nous savons en France que nous devons rester chez nous. Oui simplement chez nous et pas ailleurs. Nous ne pouvons sortir que rarement, et ce, pour de bonnes raisons. Nous devons d’ailleurs remplir des attestations indiquant le motif de notre déplacement. Et croyez-moi si c’est juste pour se promener, encore faut-il ne pas aller se promener à plus d’un kilomètre autour du domicile. Interdiction de se réunir en famille ou entre amis, interdiction de faire la bise ou de serrer la main. Interdiction de sortir sans porter un masque chirurgical. Un mot va révolutionner le monde du travail d’ailleurs : le télétravail.

Pour la première fois de notre vie et j’ai alors 46 ans, à peu près tout est interdit sauf de rester chez soi. Pour nous autres occidentaux, peuples abreuvés de démocratie, c’est la révolution même si nous comprenons que c’est pour notre bien. Je me rappelle alors avoir commencé à écrire à un moment bien précis. C’était au 31e jour de ce confinement. Et c’est à mon amour que j’écrivais. J’avais alors ressenti une véritable soif d’écriture. J’étais consciente de la chance immense que nous venions d’avoir. Il me fallait immortaliser ces événements, les coucher sur le papier. J’avais aussi une envie irrépressible d’écrire sur la profondeur de mon amour pour ma moitié.

Lettre à Mon Amour,

J-31 de notre confinement et j’ai envie de t’écrire, de te raconter ce que l’on vit ensemble, ce que je pense, ce que je ressens, comment je vois notre passé, notre présent et surtout notre avenir.

Il y a 31 jours, je t’avoue avoir eu très peur de ce confinement, et ce à plus d’un titre.

La peur… Étrange sentiment qui se loge au creux de mon estomac fragile. Il ne me fera pas souffrir tout de suite d’ailleurs. J’ai peur. Oui j’ai peur. Je crains pour Mathis, notre fils cadet, pour Jérémy, notre fils ainé, pour toi et pour moi bien sûr ! Mais cette peur du virus n’est rien comparée à ma peur de ce confinement. Comment va-t-on gérer Mathis, lui qui ne supporte pas de rester enfermé. Comment peut-on aider Jérémy qui est enfermé dans un petit appartement avec Mélanie, sa copine ? Comment va-t-on faire, nous, mon amour pour ne pas nous étriper ? Oui nous nous aimons et ces dernières années, nous avons surmonté tellement de crises. Notre couple est solide, enfin, je le crois. Mais va-t-il résister à cette crise-là ?

Tiens, le mot crise d’ailleurs : il fait désormais partie de notre quotidien. Oui, la crise sanitaire du covid-19. C’est comme cela qu’on la nomme.

Cette première semaine de confinement, je veux me la rappeler pour toujours. Il paraît que le corps s’imprègne de tous les traumatismes psychiques, c’est Meredith Grey qui l’a dit dans Grey’s Anatomy, c’est te dire ! Je me rappelle beaucoup de rires tous les 3, Mathis, toi et moi. Nous avons commencé à compter les jours sur le ton de l’humour, rappelle-toi ! Quand l’un d’entre nous s’exprimait un peu trop fort sur quelque chose ou était empreint de tensions, c’était notre réplique : « J-3, imagine ce que cela va être à J-15 ». Je veux aussi me rappeler longtemps ce premier week-end de confinement… Extraordinaire vu de l’extérieur tout de même ! Toi aux platines un samedi soir pas comme les autres et Mathis et moi qui dansions tous les 2, tard… Peut-être que l’on s’est couché vers 2 heures du matin, je ne me rappelle déjà plus, c’est agaçant enfin…. J’ai beaucoup snapé avec Mélanie ce soir-là. Jérémy était vissé à sa PlayStation, probablement peu conscient de ce qui était en train de se passer.

Et nous mon amour, cette première semaine se passa sans un seul mot plus haut que l’autre. Pas une remarque acerbe, pas de reproche, pas de taquinerie qui ne font rire que toi. Seulement de l’amour, de la tendresse, des rires aussi. Nous regardons le journal télévisé tous les midis et tous les soirs. Nous y allons chacun de nos commentaires et assistons impuissants à la bêtise humaine. Notre peuple est tellement indiscipliné, c’en est désarmant. Mais pas besoin d’aller loin autour de nous pour s’énerver. Nos mères respectives nous font alors faire du souci. Tiens, je me rappelle ce dimanche soir où chacun d’entre nous était avec sa propre mère au téléphone. Je t’entends alors parler très fort et pas très élégamment à ta mère. Mince, je me dis, que se passe-t-il ? Et je comprends alors que ta mère n’a pas encore pris la mesure du sujet. Une pandémie, Denise, et oui. Non, vous n’irez plus au Temple pendant un certain temps, non vous ne pourrez plus prendre le métro, non vous ne pourrez plus vous promener dans la rue comme avant. Mais si Denise, je vous assure… Mon amour, ce soir-là, tu t’es énervé comme jamais au téléphone. Que faire devant ce que nous avons appelé ensuite la connerie humaine ? Mais rien, mon chéri. On ne peut rien faire… Mais peut-être pourrons-nous en rire si tout le monde s’en sort vivant un jour… Je ne sais pas en fait… De mon côté, le portrait n’était pas brillant non plus avec ma mère. Visiblement elle n’avait pas encore compris le danger qui la guettait. Elle qui est asthmatique. J’étais persuadée ce jour-là qu’elle serait la première à se terrer dans sa maison. Mais il n’en fut rien. Une fois nos appels terminés, Mathis nous a regardés d’un drôle d’air. Un air qui voulait dire, maman j’hallucine ou vous vous êtes énervés tous les deux contre les grand-mères ? Oui mon chéri, mon fils, oui nous avons compris que nos mères n’avaient rien compris. Le chemin allait être dur et semé d’embûches… Nous sommes retournés à notre apéro, désormais quotidien. Je ne sais pas s’il faut en rire ou en pleurer. Peut-être est-ce trop tôt d’ailleurs pour ce genre de considération, mais le fait est que nous rythmions nos journées entre les apéros et les repas.

Cette première semaine fut la semaine que j’appellerai par la suite la semaine de calage.

J’ai retrouvé mon jeune fils Mathis avec tellement de plaisir et pleine d’amour pour lui. Il a été contraint de quitter l’internat, fermé pour cause de confinement. Il fait un CAP de conducteur d’engins. Il a quitté la Corrèze pour revenir au foyer. Oui je peux le dire, j’apprécie chaque minute avec lui, chaque instant, chaque rire, chaque trait d’humour, chacun de ses grands sourires, chacun de ses « La Mère, tu me tends », chacun de ses « Mais maman… », chaque bisou volé le matin à le réveiller, chaque caresse de sa tête, de sa joue, chaque claque sur son bras ou sur ses fesses en représailles à une blague pourrie dont je fais les frais.

Alors cette première semaine nous réapprenons à travailler ensemble sur les devoirs. Je dois me remettre en habit de prof et ça, ce n’est pas vraiment ce dont j’avais envie.

Les semaines s’enchaînent et j’apprends à travailler à la maison, de la maison et dans la maison ! La maison devient mon antre, mon unique repère… avec le jardin bien sûr ! Je suis Directrice commerciale régionale. Je gère une quinzaine de commerciaux sur un périmètre allant du Jura à la Côte d’Azur. Mais là, je suis à la maison…

La situation devient critique pour Jérémy avec Mélanie. Leur jeune couple bat fortement de l’aile. C’était déjà le cas avant l’arrivée de ce virus. Tout est forcément amplifié. Elle part donc se confiner chez ses parents et Jérémy rentre à la maison. Et là les choses vont se compliquer. Nous nous retrouvons avec un jeune adulte en plein doute sur sa relation, en plein doute sur son avenir, à la recherche d’un stage qui n’aura jamais lieu dans un restaurant qui restera probablement fermé un certain temps et avec le plus bel âge quand tout va bien : vingtans.

Jérémy fait des études dans la restauration. Il est en 1re année de BTS. Il est grand, beau, intelligent, mais en manque de maturité à cette époque. Il est aussi hypersensible. Cela signifie qu’il traverse des états émotionnels en montagnes russes. Quand tout va bien, il est plutôt euphorique. Quand la machine s’enraye et que le grain de sable ralentit le système, il peut basculer dans la dépression. D’autres appellent cela la bipolarité. Le médecin nous a gentiment expliqué récemment qu’il est à la limite des critères. Au moins désormais, je le comprends avec un filtre différent.

Ah oui ! Détail important et non des moindres : il réintègre sa chambre et me voilà à déménager mon bureau sur la mezzanine. Les choses se compliquent, mais nous restons optimistes ! N’est-ce pas mon amour ?

Chacun essaie de trouver à nouveau sa place avec cette incertitude totale de pour combien de temps ou plutôt avec une certitude totale dans la tête de nos enfants que cela ne va pas durer… impossible….

De mon côté, j’alterne mes activités professionnelles entre Visios par Teams, appels téléphoniques des commerciaux qui sont au bout de leurs vies, réunion de travail pour trouver la meilleure stratégie pour ne perdre personne en route. On partage, on rigole du pire et on avance. Je sens que je vais devoir être endurante dans l’exercice qui nous attend. Mais cela ne me fait pas peur. Du moins pas encore. J’ai la force, j’ai l’énergie. Je suis entourée des miens. La cohabitation me bouscule à nouveau, mais je prends chaque bisou que je peux, chaque caresse. Je me dis qu’il faudra ensuite affronter à nouveau les départs des garçons, mais ce ne sera plus la première fois alors j’y survivrai.

Je prends un rythme clair. Je me lève tôt tous les matins. Il est essentiel de conserver le rythme de travail sinon on pourrait vite se laisser aller et ce serait le début des emmerdes. Pour Jérémy c’est bien plus compliqué. Nous devons le laisser autonome. Il a vingt ans, il doit apprendre à se gérer.

Et toi, mon amour ? Après deux semaines de confinement strict, tu repars quelques jours au travail par-ci par-là. Tout est à organiser là-bas : comment travailler avec le virus, comment protéger chaque salarié, comment mettre à disposition même des choses qui font partie de denrées très rares pour l’instant comme des masques. Et oui à ce moment-là de l’histoire, il n’y en pas ou très peu.

Mais nous gardons le moral ! Mathis passe beaucoup de temps dans notre jardin. Il a décidé « Cette année c’est notre année pour le potager ! » Bien sûr ! Tu as raison mon fils. Nous n’avons pas le choix d’être ici, mais nous avons le choix d’en faire autre chose que des pleurnicheries ou des jérémiades. Alors il retourne inlassablement le terrain, bine, bêche et enfin agrandit même une parcelle du terrain. Durant tout ce confinement, nous avons eu une chance incroyable avec la météo. Un temps absolument magnifique. Alors tous les midis ou presque nous mangeons dehors avec un bon barbecue ! Nous avons aussi redécouvert un village à 15 km de chez nous, Pélussin. Fini les courses à Rive-de-Gier, ville morne, moche et où les tensions sont fortes. Place à un beau village au cœur du Pilat. Alors cela devient notre unique sortie et seulement tous les 2 ou 3 jours. En effet, le but de ce confinement est de stopper absolument l’épidémie. Mais là je ne résiste à pas à l’envie de me remémorer des images que nous avons tous vues et qui resteront, je pense, dans les livres d’histoire. Des files de dizaines de mètres aux entrées des supermarchés, des caddies remplis de paquets de pâtes et de rouleaux de papier toilette. Des rayons complètement vidés de tout ! Ces images nous font peur et en même temps elles nous font rire. C’est triste, je crois, mais l’absurdité nous fait rire. Cela me rappelle d’ailleurs que quelques jours avant de réintégrer la maison, Jérémy nous avait expliqué utiliser des lingettes, car il ne trouvait plus de papier toilette chez Auchan.

Alors, te souviens-tu d’ailleurs mon amour que tu lui en as acheté ? Et nous avons tellement ri le soir ! Lorsque tu t’es enfin rendu compte que tu ne pouvais pas lui apporter puisque nous étions confinés. Ah ! Comme cette époque me semble loin maintenant ! Bref Pélussin devient notre refuge devant l’Éternel ! Enfin pour le peu que nous sortons ! Et c’est là que nous trouvons la meilleure basse-côte de bœuf à manger alors croyez-moi, nous en avons profité !

Mais cela ne s’arrête pas là. Le jardin, c’est bien, le travail ça occupe aussi, les devoirs je crois que je vais passer sur cela, mais malgré tout il manque un peu plus d’activité pour occuper tout le monde et se faire plaisir… Alors je me lance dans les gâteaux, les brioches aux pralines, les compotes et même les cookies ! C’est vous dire !

Les 4 premières semaines passent. Nous sommes mi-avril, mon Dieu ! Cela fait déjà 4 semaines et l’homme s’adapte à tout. Nous nous accoutumons à tout cela. Nous en prenons notre partie et nous avançons. Les kilos commencent à pointer leur bout du nez chez les garçons. Mais ce n’est pas grave. Nous nous en occuperons plustard.

Ma mère commence à souffrir de ce confinement. Elle tourne en boucle sur le sujet. Je l’appelle souvent pour essayer de lui redonner le moral, mais je sens bien que c’est difficile. Je suis donc dans le jardin, sur notre banc au téléphone avecelle.

–Mais enfin, ma puce, c’est complètement idiot. Je peux aller comme je veux dans le bois en face !!! Je ne vais contaminer personne ! Quelle connerie ! Je ne vais quand même pas porter un masque dans la forêt ! me crie-t-elle dans le téléphone.

Et moi de lui répondre très énervée qu’il serait temps qu’elle atterrisse. Ce virus est dangereux. Il tue. Et moi je ne veux pas qu’elle meure du Covid dans un hôpital.

Ces derniers temps, nos échanges se sont crispés d’ailleurs. Je me heurte à son déni et pour la première fois je ne trouve pas la solution pour lui faire entendre raison. Je sens que chaque jour elle se flétrit comme les plus belles fleurs qui n’auraient pas d’eau et de lumière. C’est dur. On en parle beaucoup à la maison avec les garçons. Ils l’appellent souvent pour essayer de lui remonter le moral. Je leur dis de ne pas trop être durs avec elle, car je le suis déjà de moncôté.

Je finis par lâcher un peu du leste et décide de parler d’autre chose avec elle. Alors chaque fois que je l’appelle je lui raconte tout ce que font les garçons, l’état du jardin, les fleurs qui commencent à s’ouvrir. Bref j’essaie de lui changer les idées.

Je ne sais pas encore à ce moment-là que nous vivons encore une des plus belles périodes de l’année. Je n’ai aucune idée de ce qui va suivre. D’ailleurs, comment le pourrais-je ? Ce dont je me rappelle chaque jour aujourd’hui c’est de ces moments-là où finalement, mon Amour, nous étions assez sereins et confiants. Et oui il y a pire que nous, tout de même. Il faut savoir écouter et voir lorsque le bonheur est là, caché dans chaque parcelle de peau, de vie, et derire.

23 AVRIL2020

Ce matin-là, je me lève comme tous les jours depuis le début du confinement. J’ai du boulot aujourd’hui et je ne chôme pas. Nous devons travailler sur des supports pour animer les commerciaux, des idées pour poursuivre le business à distance et mobiliser les troupes. Bref je suis sur la mezzanine et je bosse. Ce midi nous déjeunons dehors. Ou plutôt mes trois hommes sont attablés devant des saucisses grillées au barbecue. Je ne mange pas aujourd’hui. Je jeûne plusieurs fois par semaine. Cela me fait du bien et m’empêche aussi de prendre du poids, mais je partage ce moment avec eux. Il fait bon dehors, nous sommes en débardeur au soleil et nous profitons de ce moment. Les devoirs de Mathis sont faits pour aujourd’hui, je vais pouvoir me consacrer à mon travail.

Chacun repart ensuite à ses occupations jusqu’à 16h22.

Pour des raisons pratiques, je me suis installée dans la chambre de Mathis pour ma Visio. Je suis isolée, c’est mieux. Mathis bricole dans le garage et je ne sais pas ce qu’il y fait d’ailleurs. Peut-être ces fameux bacs en bois pour planter des salades, je ne sais déjà plus maintenant… Je t’entends vaguement crier, mon amour. J’ai l’impression que tu appelles Jérémy qui est dans la chambre juste à côté. Comme je t’entends crier plusieurs fois, j’envoie un SMS à Jérémy pour lui demander d’aller te voir. Je ne peux pas, moi, je suis en Visio avec ma DG. Je l’entends vaguement bouger alors je me dis qu’il a dû recevoir mon SMS. Ouf ! C’est stressant de tout devoir gérer à la fin !

Mais voilà que Jérémy entre dans la chambre où je suis et sans frapper ! Mais je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit :

–Maman, il faut que tu viennes, papa, ça ne va pas il y a quelque chose qui ne va pas. Il faut que tu viennes, vite s’te plaît ! me dit mon fils, blanc comme un linge.

J’ai juste le temps de prévenir ma DG que je dois m’absenter, car il y a un problème avec mon mari et je descends en trombe au rez-de-chaussée.

Mon cœur s’est accéléré, je sens la peur arriver. Insidieuse, elle se loge dans mes entrailles. Les fourmillements arrivent aussi, tout s’accélère. En quelques secondes je suis à tes côtés.

Tu es accoudé au bar avec les deux bras. Tu te tiens la tête dans les mains et tu gémis. Tu sembles très faible sur tes jambes. Je suis là, mon amour, je suis là. Mais c’est mal te connaître d’imaginer que tu vas te laisser porter ou lâcher prise. Je te questionne avec appréhension :

–Où as-tu mal ? À la tête ? Où exactement ? Tu veux t’asseoir ?

Mais à part quelques grognements c’est tout ce que j’ai en réponse. Je suis patiente, car je sais qu’il faut l’être avec toi. Je sens Jérémy en stress à mes côtés.

Tu finis par m’expliquer que tu as mal derrière la tête, là juste à la base du cervelet, que c’est venu d’un coup-là pendant que tu étais en train de traverser le salon. Que la douleur monte dans ta tête derrière… Et tu restes prostré sur le bar et nous sommes impuissants avec Jérémy. Je veux appeler le 15, mais tu refuses, tout net. Non c’est peut-être ton algie vasculaire faciale… Mais tu n’y crois pas. Tu ne cesses de me répéter que cela ne fait pas pareil d’ailleurs. Je parviens à te faire accepter un coup de fil à Emma, notre médecin traitant.

J’appelle enfin, fébrile, les minutes passent… Jeannette, la secrétaire, décroche et là je lui débite ton histoire. Très calme, elle me pose une seule question :

–a-t-il du mal à ouvrir les yeux ?

Ma réponse est immédiate et sans appel :

–Oui.

–Alors tu appelles le 15 immédiatement Sandrine !

Elle me parle de méningite. Je dois agir vite, mais ce n’est pas simple…

Je raccroche, te tiens informé et j’appelle le 15 non sans insister, car tu es résistant, mais peu importe.

Tu arrives à aller t’asseoir dans le canapé.

J’arrive enfin à avoir un médecin du SAMU qui me questionne et je finis par te tendre le téléphone. Je sens le doute dans sa voix, car tu lui parles de suite de tes algies vasculaires. Alors bien entendu elle fonce vers ce diagnostic !

Vous décidez ensemble que tu te fais une injection pour ton algie et on rappelle si cela ne passepas.

Après ton injection nous te laissons tranquille dans la chambre au calme. Je repars à ma Visio pour prévenir ma DG et lui expliquer ce qui se passe, mais je ne suis pas tranquille. Je réintègre d’ailleurs la mezzanine pour être en prise directe sur la chambre. Et je fais bien !

Une demi-heure à peine après je t’entends. Je descends en trombe. Tu ne vas pas bien, la douleur est insoutenable.

Je rappelle le15.

Le médecin me demande de t’amener aux urgences.

–Vous comprenez avec le Covid, vous serez plus vite arrivés en venant par vos propres moyens.

Non, je ne comprends pas le rapport entre le Covid et une ambulance qui arriverait moins vite, mais peu importe. Je vais t’amener à l’Hôpital Nord de St Etienne. C’est bien le dernier endroit où nous avons envie d’aller en ce moment.

Ah, mais voilà que tu continues à décider de tout mon amour ! Quel épisode que celui qui vient ! Quel cirque !

Jérémy monte au garage pour aller chercher Mathis, qui jusque — là ne se doutait de rien et n’avait aucune idée de ce qui se passait. Je vois mon Mathis redescendre en trombe les yeux écarquillés.

Je leur explique clairement que nous devons installer papa dans la voiture et que je dois l’emmener à l’hôpital.

Pour Mathis la tâche ne semble pas ardue. C’est sans compter avec la tête de mule qui fait office de tête à son père !!!

Là mon amour je te jure que je t’aime, mais à ce moment-là je suis entre les prières que je répète intérieurement comme un mantra et les jurons que j’ai envie de te crier à la figure.